Retrouvailles dans le tourbillon
Par Mercurio

(généreusement traduit de l'anglais par Gérald )

EPILOGUE

Première partie

Dylan

La vie n’est pas une croisière d’agrément autour du monde, mais une série d’expériences, certaines heureuses et d’autres moins fortunées. Notre itinéraire est toujours marqué par la trace de nos erreurs personnelles et le résultat collectif des misères humaines. Autrement dit, nous souffrons parfois parce que nos péchés ont toujours une conséquence, et d’autres fois parce que nous vivons dans un monde injuste.

Candy n’avait pas mérité d’être abandonnée par ses parents et d’être maltraitée chez les Legrand. Elle n’avait certainement rien fait qui lui vaille la douleur causée par la mort d’Anthony et d’Alistair, et, ben sûr, il n’était pas juste non plus qu’elle soit prise dans un malheureux triangle avec Suzanne et Terrence.

De son côté, Terrence n’était pas à blâmer pour les erreurs de ses parents, et pourtant il avait eu à en supporter les conséquences pendant la plus grande partie de son enfance et de son adolescence. Ce n’était pas sa faute si un projecteur était tombé pendant la répétition, et il n’était pas responsable des sentiments qui avaient conduit Suzanne à lui sauver la vie. Tous ces malheurs faisaient partie de ceux que nous avons à endurer sans raison, d’autant plus difficiles à supporter qu’ils sont injustes.

Plus tard, Terrence et Candy firent leurs propres erreurs et prirent quelques décisions pas vraiment intelligentes, quoique toujours bien intentionnées. A la fin de tout, la vie les récompensa par un retournement heureux du destin, mais même si Dieu nous pardonne nos fautes, il est inévitable de subir les suites logiques de nos erreurs.

Si Candy et Terry avaient pris une décision différente ce soir-là à l’hôpital, leurs vies auraient peut-être affronté une autre sorte d’épreuves, mais la façon dont les choses se résolurent les conduisit tous deux au milieu d’une guerre, et marqua leurs destinées d’une façon certaine. Certaines choses, comme je l’ai dit, s’étaient terminées heureusement, mais on ne peut pas aller faire la guerre et en revenir indemne. On ne peut pas tuer et continuer de vivre comme si rien n’était arrivé.

Tel fut le fardeau que Terrence eut à porter dans les années qui suivirent : le souvenir traumatique des batailles qu’il avait vues, et les visages de ceux qu’il avait tués pour défendre sa vie et accomplir son devoir. Riche, célèbre et heureusement marié à une femme qu’il adorait et qui l’aimait en retour, il semblait avoir une vie parfaite, mais, dans un coin sombre de son cœur, il porterait ce poids pour le restant de ses jours. Avec les années, il apprendrait à le supporter, et cette douloureuse expérience le rendrait même plus sage, mais, durant la première année qui suivit la fin de la guerre, alors que le jeune homme s’adaptait encore à sa nouvelle vie, il dut énormément lutter.

Il tenta de livrer seul cette bataille mentale, ne voulant pas inquiéter l’âme sensible de son épouse. Mais les hommes ont du mal à cacher des choses à ces mystérieuses créatures, appelées femmes, qui vivent à leurs côtés. Candy connaissait bien les cruelles douleurs dont il souffrait par moments, et comprit en de nombreuses occasions qu’un cauchemar répétitif le tourmentait pendant la nuit. Lorsque cela arrivait, quand il s’éveillait en sursaut, transpirant et haletant silencieusement, il essayait de se rendormir en serrant étroitement sa femme contre lui. Alors, elle ouvrait les yeux et lui demandait s’il allait bien. Il ne parlait jamais de ses cauchemars, se contenant de l’embrasser. Connaissant le caractère de Terrence, elle respectait donc son silence et essayait de l’apaiser par son affection muette.

"Les mêmes mains qui ont été autrefois couvertes de sang peuvent-elles désormais vivre dans la paix, l’amour et le travail honnête ? Si rien ne justifie le meurtre, alors, pourquoi tant de bénédictions m’ont-elles été données ?" étaient les questions répétitives qui le torturaient, martelant sa tête par intervalles.

Rien n’est parfait sous le soleil, et nous devons apprendre à vivre avec les imperfections de ce monde ; mais cet apprentissage est un processus difficile. Dans le cas de Terry, il faudrait des années, des milliers de pages sur lesquelles il écrirait ses frustrations et ses peurs, beaucoup de patience et d’amour de sa femme, et un événement extraordinaire qui ferait comprendre au jeune homme qu’il lui fallait surmonter sa culpabilité.

Lorsqu’une femme attend un bébé, l’attente devient agréable et inconfortable, naturelle et mystérieuse, exaspérante et douce, inquiétante et encourageante en un étroit mélange de sentiments. Candy ne fit pas exception à la règle. Elle était pleine d’espoirs et de confiance, mais aussi nerveuse et anxieuse de tenir l’enfant dans ses bras.

Si longue que l’attente ait semblé au début, le temps passa étonnamment vite au milieu de ses responsabilités domestiques, de son activité à décorer la chambre du bébé, de ses inquiétudes pour les fréquents cauchemars de Terry, et de l’attente, pour elle et son mari, de la première de Retrouvailles, qui devait avoir lieu en août. Terry était très nerveux et excité par le projet, et sa jeune épouse savait qu’une partie de son devoir était de l’aider à résister aux si nombreuses pressions qu’il affrontait.

Mais, malgré le fardeau qu’ils avaient tous deux à porter, le couple trouva encore le temps de goûter la présence l’un de l’autre, comprenant qu’en dépit de toutes les préoccupations terrestres auxquelles ils devaient faire face, ils avaient toujours la grâce spéciale de l’amour sincère qu’ils partageaient, et que c’était une bénédiction dont peu de gens pouvaient se vanter.

Suivant son aimable nature, Candy passa donc ses journées à s’occuper de l’homme qu’elle aimait et du bébé qui grandissait en elle, en comptant les jours qui la séparaient de ces deux événements, la première et la naissance de l’enfant.

Charles Ellis arriva à sa loge, au théâtre, juste à temps pour la première. Il venait d’obtenir une promotion dans son journal et n’écrivait plus de reportages, mais travaillait comme assistant pour l’un des critiques les plus importants du New York Times. Quoiqu’il ait toujours rêvé d’être correspondant de guerre, il se mettait lentement à aimer son nouveau travail, qui était moins frivole et beaucoup plus intéressant.

Il s’installa dans son fauteuil, regardant distraitement le public qui entrait lentement à l’orchestre. Dans ses mains, il tenait le programme et s’interrogeait à nouveau sur la pièce qu’il allait voir.

Il était sceptique quant au jeune écrivain dont il allait découvrir l’œuvre. " Etre un bon acteur ne veut pas nécessairement dire qu’on peut aussi écrire avec succès ", pensa Ellis. L’homme aux yeux noirs était donc curieux, mais pas vraiment sûr d’apprécier la soirée. Ses yeux parcoururent la salle et finirent par atteindre une autre loge, juste en face de lui. Deux femmes blondes étaient déjà en train de s’asseoir. Un homme de grande taille, blond lui aussi, le visage particulièrement bronzé, escortait les dames.

"La famille de l’auteur," se dit Ellis en utilisant ses jumelles pour reconnaître les trois visages, "L’excentrique M. André, qui vient de rentrer du Nigeria ; Mme Baker, toujours aussi élégante et distinguée, et bien sûr la douce Mme Grandchester, jeune, belle et enceinte. Je pensais que dans son état elle resterait chez elle."

Puis les pensées d’Ellis furent interrompues par les applaudissements qui envahirent le théâtre lorsque le rideau se leva. Et, au contraire de tout ce qu’il attendait, il ne lui fallut pas longtemps pour être pris par un scénario émouvant, racontant l’histoire de trois hommes affrontant les dangers et les épreuves de la guerre qui les forçaient à prendre des décisions, certaines pour le meilleur et d’autres pour le pire. Si Andrew Wilson avait décidé de s’enrôler pour laisser derrière lui les obligations familiales qu’il haïssait, Matthew Tharp essayait de fuir ses souffrances intérieures après avoir perdu la femme qu’il aimait. De son côté, Derek James cherchait un moyen de se prouver à lui-même qu’il pouvait faire quelque chose d’utile, au-delà de la vie frivole qu’il menait. Les trois hommes retrouveraient leur chemin perdu au milieu du chaos et des effroyables souffrances que le monde dispensait, mais, malheureusement, seul Tharp survivrait pour raconter l’histoire au monde.

Les dialogues étaient sobres mais ne manquaient pas d’émotion, et l’action progressait lentement, amenant les spectateurs à se sentir impliqués dans l’histoire. Ainsi, le public se sentit excité quand Wilson comprit qu’il pouvait fuir sa famille mais pas se fuir lui-même, puis pleura quand James mourut en héros sur le champ de bataille, trouvant ainsi la voie qu’il cherchait, et soupira quand Tharp retrouva de façon inattendue l’amour qu’il avait cru perdu pour toujours.

Ellis ne pouvait détacher ses yeux de la scène, sentant que son admiration pour le talent de Grandchester devenait de plus en plus profonde. Non seulement il avait réussi à composer une histoire vraiment adulte et écrite de façon émouvante, bien qu’il soit un écrivain débutant, mais il réalisait aussi la meilleure performance de sa carrière en jouant le rôle de Tharp. Mais les surprises de la soirée ne s’arrêteraient pas là.

Après l’entracte, tandis que le public se rasseyait, Ellis vit à distance Mme Grandchester porter la main droite à son ventre, et le rouge de ses joues pâlir une seconde. L’instant d’après, la jeune femme toucha l’épaule de sa belle-mère, et aussitôt les deux dames et le millionnaire sortirent de la loge avant que l’acte suivant ne commence.

Lorsque Ellis vit la famille de l’acteur quitter la loge au milieu de la pièce, il comprit que Mme Grandchester était sur le point de donner naissance à son premier enfant. Mais le journaliste savait que le spectacle devait continuer, et ne fut pas étonné de voir Terrence Grandchester continuer impassiblement de jouer. Il put cependant observer, à travers ses jumelles, que le jeune homme avait légèrement pâli en levant brièvement la tête pour chercher une paire d’yeux verts et en ne les trouvant pas. Malgré cette première réaction bien naturelle, l’acteur continua avec la même nonchalance et le reste du public, inconscient de ce qui se passait en coulisse, répondit généreusement au talent de l’artiste qui, une fois de plus, excellait au-delà de ses performances précédentes.

A la fin de la pièce, le public se leva, acclamant l’auteur et acteur principal, mais, bizarrement, le jeune homme n’accorda qu’un seul rappel. La seconde fois que le rideau s’ouvrit, Robert Hathaway fut le seul à paraître en scène. Après que des signes de ses mains eurent fait taire les applaudissements, le vieux metteur en scène s’adressa au public.

"Mesdames et Messieurs. La compagnie Stratford est très reconnaissante de votre appréciation. Ce soir, nous avons assisté à la naissance d’un nouvel écrivain et à la consolidation d’une carrière dramatique déjà brillante. Mais les bonheurs n’arrivent quelquefois pas seuls, et cela a été le cas pour mon ami et associé Terrence. Il aurait bien voulu rester avec nous plus longtemps ce soir, mais d’autres devoirs l’ont forcé à quitter le théâtre, car, voyez-vous, sa femme vient de mettre au monde leur premier enfant, et laissez-moi vous dire que ce bébé était vraiment pressé de naître. C’est un garçon, et il a sûrement voulu féliciter personnellement son père pour son succès de ce soir, que nous devons également à vos suffrages. Bonsoir."

Une joyeuse rumeur parcourut la salle, et la dernière ovation résonna longtemps, dans les salles et sous les plafonds de l’immense édifice. Ironiquement, Terrence ne put pas entendre ce tribut à son travail, et même s’il avait eu la chance d’être là, il ne l’aurait pas apprécié, car son esprit était déjà trop inquiet et tourmenté, alors que le chauffeur l’amenait précipitamment à l’hôpital avec Albert.

Je le regardai pour la première fois, et sus qu’il faisait déjà partie de mon cœur. L’infirmière me donna le petit bébé pour que je puisse le serrer contre ma poitrine. Il était encore couvert du liquide dans lequel il avait vécu pendant neuf mois, mais ses yeux étaient déjà ouverts, percevant les lumières et les ombres autour de lui. Puis il me regarda avec ses iris d’un cristal océanique et je l’aimai encore plus, en voyant la même lumière que j’aimais dans les yeux de son père. C’était l’expérience la plus délicieuse que j’aie jamais vécue, et, incapable de retenir mon émotion, je me mis à pleurer en le serrant doucement dans mes bras. Je compris alors que le petit mystère que je tenais serait désormais, avec son père, le centre de ma vie. Je ne pouvais pas imaginer une joie plus haute, une chanson plus joyeuse, un bonheur plus grand, un orgueil plus légitime que d’avoir un fils de l’homme que j’aimais.

L’infirmière me demanda de lui rendre le bébé pour qu’elle puisse le nettoyer, mais je la priai de me laisser le faire avec son aide. C’était une demande très inhabituelle, mais je l’avais fait avec tellement de bébés que j’avais aidés à venir au monde, que je ne pouvais imaginer de ne pas le faire avec mon propre fils. J’ai toujours été une femme difficile à convaincre, et comme le docteur avait déjà quitté la pièce, l’infirmière finit par céder à mes désirs. Nous avons donc toutes deux donné à mon enfant son premier bain.

Bientôt, on m’a emmenée dans notre chambre et malgré les protestations de l’infirmière, j’ai insisté pour garder le bébé avec moi. Nous avions été en contact intime pendant neuf mois, ce n’était pas maintenant que j’allais l’abandonner, alors qu’il venait d’arriver dans ce monde et qu’il était sûrement effrayé par son nouvel environnement, la lumière violente, le froid inattendu et tous ces bruits désagréables alentour. Heureusement, j’en avais déjà discuté avec le docteur et je l’avais convaincu de laisser l’enfant rester avec moi malgré la règle de l’hôpital, qui, je l’ai toujours pensé, était horriblement inhumaine.

Quand j’arrivai dans la chambre, Eléonore était déjà là. Elle avait utilisé sa popularité pour qu’on la laisse entrer. Elle vit son petit-fils et, au premier coup d’œil, remarqua la grande ressemblance qu’il avait avec son père. Elle prit le bébé dans ses bras pendant que l’infirmière m‘aidait à me laver, à me changer et à me peigner. La pauvre femme pleura en silence, avec un mélange incroyable de bonheur et de mélancolie, tout en berçant doucement mon fils. Je compris que comme grand-mère elle était submergée de bonheur, mais que comme mère – se rappelant peut-être du moment où Terry était né – elle revivait la douleur qu’elle avait soufferte quand Richard Grandchester lui avait pris son enfant.

J’imaginai à cet instant ce que ce serait d’être séparée de cette petite tranche de paradis que mon fils était déjà pour moi. Je n’avais jamais vraiment compris ce qu’Eléonore avait enduré, jusqu’à ce moment, et une pensée furtive me rappela aussi ma propre mère, qui sûrement avait énormément souffert de devoir m’abandonner pour une raison que j’ignorerai toujours. Mais, à ce moment, je demandai à Dieu de prendre soin de cette femme que je ne rencontrerais jamais, et le remerciai aussi d’avoir compensé la souffrance d’être orpheline en me donnant une famille à moi.

Quand je fus prête, Eléonore me rendit le bébé et me dit que je devais le nourrir tout de suite. Je savais ce que j’avais à faire, mais cette seule pensée me fit frissonner de plaisir. Je m’étais imaginée nourrissant mon enfant bien des fois durant ma grossesse, et finalement le moment était arrivé. Avec des mains tremblantes, je découvris mon sein et mon fils trouva facilement le chemin de sa nourriture. Je n’oublierai jamais la sensation quand il commença à téter avec une confiance étonnante, comme si quelque chose lui disait intérieurement qu’il pouvait en tout se fier à moi.

"Merci," me dit Eléonore tandis que le bébé continuait à s’activer, oubliant totalement le reste du monde.

"Pourquoi?" demandai-je sans trop comprendre.

"Pour tellement de choses, mon enfant," dit-elle avec son beau sourire, le même qui, j’en étais sûre, serait celui de mon bébé quand il aurait appris à sourire, "mais surtout pour aimer sincèrement mon fils et pour lui donner ce petit miracle. "

"Tout ce que j’ai donné à Terry, il me l’a rendu, et il m’a même donné plus que je n’avais jamais espéré, " répondis-je en prenant la main d’Eléonore dans la mienne, tout en tenant mon fils de l’autre bras.

Puis nous sommes restées silencieuses, contemplant l’enfant avec la même adoration, toutes deux absorbées par les bruits doux et paisibles qu’il faisait en mangeant. Nous sentions en ce moment qu’un nouveau lien particulier entre nous deux, en tant que femmes, était né ce jour-là. Nous étions devenues deux maillons dans la longue chaîne de l’humanité, qui seraient toujours étroitement liés.

"A propos," s’étrangla-t-elle au bout d’un moment, "je crois que je dois sortir voir si le père de cet ange a déjà quitté le théâtre ! Il mérite de voir son enfant !" s’excusa Eléonore en me laissant seule avec mon fils.

J’ouvris la porte à la volée, sans prévoir que le choc serait trop violent pour être supporté en une fois. Le résultat logique fut que l’émotion me submergea avec toute sa force, me laissant stupide et muet lorsque je vis cette jeune femme souriante avec un bébé dormant paisiblement sur sa poitrine. S’il m’est donné de vivre cent ans, je ne crois pas que je pourrai connaître un moment plus intense que celui-là, lorsque j’ai vu ma Candy, tenant notre premier fils dans ses bras et me regardant avec ce sourire particulier, mélange de bonheur, d’orgueil et d’une sorte de complicité, comme si elle voulait me dire, à sa manière silencieuse, que le petit miracle dans ses bras était une partie de moi, autant qu’une partie d’elle.

Je fermai la porte derrière moi et restai silencieux un moment, regardant la beauté de ma famille pour la première fois. Candy était, sans conteste, la femme la plus magnifique que j’aie jamais vue, et la petite vie couchée sur sa poitrine était un cadeau de Dieu auquel je pouvais à peine croire. Mon ange tenant un autre ange, voilà ce que je vis à ce moment, et cette vision vivra dans mon esprit pour toujours.

Je m’approchai du lit, encore assommé par toutes les émotions que j’éprouvais, mais elle étendit un de ses bras vers moi et j’arrivai à m’asseoir près d’elle. Mes lèvres cherchèrent immédiatement son front et je restai silencieux contre elle, sans honte de pleurer doucement. A ce moment, étreignant ma femme et mon fils, le cœur débordant de joie, je ne pouvais m’empêcher de penser aux tristes jours de mon enfance, lorsque le mot " famille " était un genre de bonheur que je croyais impossible pour toujours.

"Rien de ce que je pourrais te dire en ce moment ne traduirait ce que j’ai dans le cœur, Candy," finis-je par lui dire avec difficulté, "Rien de ce que je peux imaginer ne pourrait refléter ma gratitude envers toi, mon amour."

"Tu n’as besoin de rien dire, parce que nous ressentons tous les deux la même chose. On n’a pas besoin de mots," répondit-elle en me rendant mes baisers. Son goût n’avait jamais été aussi délicieux qu’en ce moment. Pourtant, en ce temps-là, j’étais encore neuf aux nombreuses saveurs que j’allais encore découvrir dans sa bouche.

Lorsque notre baiser se rompit, le bébé commença à bouger lentement sur la poitrine de Candy, et il ouvrit soudain les yeux droit sur moi. Je fus si émerveillé de ce premier regard que Candy ne put se retenir de pouffer.

"Je te présente ton fils. Il a tes yeux, non ?" remarqua-t-elle fièrement.

"Tu crois?" demandai-je, encore assommé.

"Allez, essaie de le prendre" me dit-elle, et devant une telle proposition, je dus pâlir, car elle rit de mon expression.

"Le tenir?" demandai-je, terrifié à cette idée, "Je ne crois pas que je pourrais !"

"Ce n’est pas si dur, allez, je vais te montrer comment faire," me pressa-t-elle, puis elle me donna quelques indications simples sur la manière de prendre le bébé sans danger.

Lorsque je tins pour la première fois ce petit corps dans mes bras et le sentis bouger ses bras et ses jambes, en me regardant avec curiosité, je crus que j’allais fondre. Sa douce chaleur se glissa dans mes pores et la sensation fut très semblable à celle que j’éprouvais toujours en étreignant sa mère, quoique différente. Le minuscule garçon était là, abandonné à mon étreinte, confiant et oubliant les maux de l’humanité, pendant que je sentais le poids de la paternité me tomber sur les épaules pour la première fois. Depuis, ce mélange d’orgueil et de peur n’a jamais quitté mon âme, même quand nos enfants ont tous été partis de la maison. A cet instant, comme si le contact avec mon fils avait un effet magique sur moi, je compris que, même si je ne le méritais pas, j’avais reçu la grâce d’une famille, et en même temps que la bénédiction j’allais aussi en porter l’énorme responsabilité.

Souvent, dans le passé, j’avais blâmé Richard Grandchester d’être un si médiocre père, mais alors que Candy et moi regardions notre fils, je n’étais pas sûr de pouvoir faire mieux. Encore perdu dans la contemplation de ce petit visage, je sentis la main de ma femme sur mon bras.

"Maintenant, il faut que tu oublies et que tu te pardonnes," me dit-elle en plongeant ses yeux dans les miens avec intention.

"Candy!" fut tout ce que je pus répondre, sachant bien ce qu’elle voulait me dire.

"Ce que tu as vécu dans les tranchées et au dehors, Terry," continua-t-elle d’un ton décidé, avec sa douce fermeté, "ce n’était pas ta faute, mon amour. Il faut que tu surmontes ces souvenirs pour élever notre fils hors de cette culpabilité."

J’avais toujours su qu’avec ou sans mon accord, Candy pouvait voir à travers moi comme si j’étais fait de verre. Néanmoins, je pensais avoir caché mes troubles secrets assez bien pour qu’elle les ignore, mais elle me montra de nouveau que c’était une tâche impossible.

Je la regardai et me contentai de céder à son regard direct, admettant silencieusement qu’elle avait raison.

"Ce n’est pas facile, Taches de son," finis-je par lui dire avec difficulté, "Je ne sais même pas comment faire," ajoutai-je, en sentant les douleurs réprimées revenir soudain à la surface.

"Certains disent que parler des choses tristes que nous gardons en nous aide beaucoup à surmonter nos peurs et à guérir notre cœur blessé," répondit-elle avec un doux sourire, incurvant ses lèvres en ce geste particulier qu’elle m’offre chaque fois que j’ai besoin de son aide.

"Il y a des choses que j’ai vécues là-bas et que je ne me dirais même pas à moi-même," protestai-je, encore troublé, mais sentant déjà un faible soulagement tandis que nous continuions à parler.

"Alors, continue à les écrire. Il semble que tu sois doué pour ça. Tout le monde vantait ton talent pendant l’entracte, ce soir," me dit-elle fièrement, "et… si jamais tu veux quelqu’un pour écouter ton histoire, tu devrais savoir que je suis là pour toi. Après tout, je ne suis pas étrangère à ces horreurs que tu as vécues, parce que je les ai vues, en quelque sorte. S’il te plaît, Terry, ne m’exclus pas de tes luttes. Je suis ta femme. Ne suis-je pas censée tout partager avec toi ?" ajouta-t-elle en une question qui était plutôt une affirmation, tout en me caressant le front.

Je tentai un faible sourire, incapable de répondre à ses mots tant l’émotion envahissait mon cœur à ce moment. Finalement, je parvins à acquiescer d’un simple signe de tête, et nous restâmes silencieux un moment. En un sens, je savais qu’un long processus de guérison venait de commencer, et je décidai d’y travailler dur au nom de ma famille. Je pensai aussi au moment où j’avais rencontré la mère de mon fils, et une liste infinie de souvenirs commença à remplir mon cœur de la plus douce certitude. Cet enfant était le fils de l’amour, et j’étais déterminé à l’éduquer avec amour.

"J’ai pensé à un nom pour lui," dit alors Candy, rompant le silence.

"Oh, vraiment? Lequel?" demandai-je avec curiosité.

"Terrence, bien sûr! Y en a-t-il un autre ?" dit-elle en souriant.

"Mon nom?" m’étonnai-je, pas vraiment convaincu par l’idée d’appeler le bébé comme moi, "Tu ne penses pas que ça pourrait créer des confusions ? De plus, je connais déjà son nom," répondis-je en la regardant avec espièglerie.

"Qu’est-ce que tu as en tête ?" me demanda-t-elle d’un ton sceptique, avec un amusant froncement de sourcils qui fit bouger les taches de son sur son nez d’une manière charmante.

"Son nom est Dylan," dis-je en regardant mon fils qui se rendormait lentement.

"C’est un beau nom, mais pourquoi Dylan ?" s’étonna-t-elle.

"A cause de ce que ça veut dire."

"Qu’est-ce que ça veut dire ?"

"Fils de l’océan," dis-je en l’embrassant à nouveau sur le front, "parce que cet enfant, en réalité, a été conçu dès la première fois où nos yeux se sont rencontrés, ce soir sur l’Atlantique. Je t’ai donné mon cœur à ce moment, et même si je suis conscient qu’à l’époque tu étais amoureuse de quelqu’un d’autre, je crois que je ne t’étais pas totalement indifférent."

Elle sourit en dessinant mes lèvres de son index, montrant d’une façon muette mais claire qu’elle avait été émue de mes paroles.

"Tu es sacrément sûr de tes charmes, hein ?" demanda-t-elle avec un sourire provocant, "Mais tu as raison, je n’ai jamais arrêté de penser à toi depuis ce moment, malgré ma répugnance à l’admettre, et quant au nom, c’est une belle métaphore. Pourtant, je tiens à ce que notre fils ait ton nom, parce que c’est celui de la personne que j’aime le plus."

"Bon, mettons-nous d’accord et prenons les deux noms," suggérai-je, et je vis son approbation dans ses yeux verts.

Je lui donnai le bébé et, quand elle l’eut à nouveau blotti contre elle, elle s’adressa doucement à lui.

"Terrence Dylan Grandchester, alors, bienvenue dans notre famille," lui dit-elle, et il fut baptisé ainsi.


Fin de la première partie de l'épilogue

© Mercurio 2003