Retrouvailles dans le tourbillon
Par Mercurio

(généreusement traduit de l'anglais par Gérald )

CHAPITRE QUATORZE - 2eme partie

Les Allemands se repliaient, mais pour le général Ludendorff tout n’était pas perdu. Il savait qu’il devait résister en France le plus longtemps possible. S’il pouvait maintenir ses positions le long de la frontière jusqu’à l’arrivée de l’hiver, cela donnerait aux diplomates allemands assez de temps et de pouvoir militaire pour négocier un armistice plus avantageux. S’ils ne pouvaient pas gagner la guerre, ils devaient faire de leur mieux pour obtenir au moins des conditions de paix moins lourdes. Son plan était donc de se replier lentement, unité après unité, en essayant de préserver ses positions avec un effectif moindre. Foch comprit les intentions de son ennemi et décida qu’il lui fallait arrêter le mouvement des Allemands, les contraignant à se rendre avant qu’ils ne s’échappent, pour qu’ils subissent une humiliation plus grande et que le résultat pour les Alliés soit plus profitable. La guerre, après tout, peut être une excellente affaire pour ceux qui la gagnent. En 1919 viendrait le temps des négociations, et chacun voulait être dans la meilleure position possible.

Pendant les mois de septembre, octobre et novembre, les Alliés organisèrent leur dernière offensive, celle qui les mènerait à la victoire finale. Elle serait divisée en trois fronts essentiels : un en Flandre, à la frontière belge, un autre vers Cambrai et Saint-Quentin, et le troisième vers Mézières et Sedan. L’idée était de prendre le contrôle du chemin de fer que les Allemands utilisaient pour transporter leurs troupes, leur équipement militaire et leur ravitaillement. Le premier point que Foch décida d’attaquer était Saint-Mihiel, à quelques kilomètres au sud de Verdun. L’armée américaine fut désignée pour cette mission.

En septembre 1918, les Américains avaient déjà installé leur quartier général sur la Vesle, et la Première armée américaine fut donc chargée d’attaquer le saillant de Saint-Mihiel et de le réduire, de façon à ce que les Alliés puissent communiquer librement par chemin de fer entre Paris et la Lorraine. L’objectif des Américains était de prendre Saint-Mihiel et de continuer vers la forêt de l’Argonne, à quelques kilomètres au nord. La Seconde division participait à la mission.

Voilà pourquoi, la nuit du 11 septembre, Terrence Grandchester était de nouveau assis dans la tranchée, à attendre son tour d’entrer en action. A une heure du matin, le 12 septembre, la bataille commença par une intense attaque d’artillerie qui dura plusieurs heures. Pendant ce temps, l’artillerie attendait en silence entre les parois sombres des tranchées. On n’entendait que le vent d’automne et les coups de canon, mêlés à une forte odeur de poudre qui envahissait l’atmosphère. Un jeune homme était assis près de Terrence, tenant sa mitrailleuse Browning avec des doigts nerveux et frissonnant de peur à chaque nouvelle détonation. C’était la première fois qu’il verrait le feu, et Terrence ne pouvait le blâmer d’avoir peur. Le jeune acteur posa ses mains sur les épaules de son compagnon, essayant de le rassurer.

"Tout ça fait sacrément peur", commenta Grandchester, "mais il faut te contrôler si tu veux survivre. "

"Comment pouvez-vous être si calme?" s’étonna le jeune homme en regardant le flegmatique sergent.

"J’ai aussi peur que toi, Matthew," répondit Grandchester avec une grimace, "mais je fais de mon mieux pour me concentrer sur mon objectif. Si je veux atteindre mon but, je dois me concentrer. "

"Et c’est quoi, votre but?" s’enquit le jeune homme.

"Il faut que je vive, Matthew " répondit le sergent, un éclat étrange traversant brièvement ses yeux, " Il y a quelqu’un qui compte là-dessus. Donc, quand nous serons en face de l’ennemi, je mettrai toutes mes forces à préserver ma vie et faire mon devoir. En ce moment, je n’ai pas de place pour d’autres pensées ou sentiments. Concentre ton esprit là-dessus, et consacre tes cinq sens au combat. "

"Et si je n’y arrive pas?" demanda le jeune homme.

"Alors, fie-toi aux prières de ta mère, Matthew, parce que je ne crois pas que Dieu écoutera les prières d’un pécheur comme toi. " plaisanta le sergent en envoyant au jeune homme une légère bourrade, qui soulagea quelque peu sa tension.

A cinq heures du matin, l’infanterie sortit des tranchées. A nouveau, Terrence dut supporter la vision toujours horrible d’hommes s’entretuant, et une fois de plus il dut tacher ses mains de sang. Il savait qu’il ne pourrait pas effacer ces taches, qu’elles resteraient sur sa peau même s’il les lavait encore et encore, et qu’elles troubleraient toujours sa conscience et feraient partie de ses cauchemars. Pourtant, il avait un argument qui le soutenait pendant ces heures : il lui fallait vivre, et s’il fallait tuer pour défendre sa vie, il le ferait.

Pour la première fois de sa vie, il savait que son existence avait vraiment un but.

La bataille dura presque vingt-quatre heures, mais heureusement les Allemands ne résistèrent pas aussi fermement qu’on ne le prévoyait. Le 13 septembre, le saillant était conquis, et quelques heures après les forces américaines furent relevées par des éléments français. La Première armée américaine continua son chemin vers la forêt de l’Argonne, où un mois entier de lutte difficile l’attendait.

En route vers le nord, Terrence regardait par la fenêtre du train tout en caressant un crucifix dans ses mains. Il voyait le feuillage toujours vert des pins contrastant avec le paysage doré, signe de l’automne qui arrivait, et son esprit lui ramena immédiatement le doux souvenir des yeux de sa femme. Il soupira légèrement, remerciant Dieu qu’elle soit loin et à l’abri. Dans la correspondance qu’il avait entretenue avec Albert les mois précédents, le jeune millionnaire lui avait assuré qu’il s’était arrangé pour maintenir Candy loin du front. Toutefois, Terrence n’aurait pas été aussi heureux s’il avait su ce qui se préparait à Paris.

Les rumeurs peuvent devenir des pièges dangereux, qui tôt ou tard finissent par capturer la proie désirée. Alors que Candy travaillait diligemment pendant ses longues périodes de service, et passait son temps libre à rêver de l’homme qu’elle aimait, priant avec une ferveur qu’elle n’avait jamais connue auparavant, quelqu’un d’autre s’occupait à répandre une mixture venimeuse de mensonges et de vérités, laquelle trouva aisément un écho dans les bouches qui aimaient les ragots. Après tout, il n’est pas difficile d’atteindre le côté obscur des cœurs humains. Il suffit de gratter un peu pour révéler les faiblesses de l’homme. A long terme, elles peuvent être très utiles pour atteindre certains buts.

Candice Neige André avait été envoyée sur le front, à Ypres puis à Cambrai, l’année précédente, revenant à Paris en décembre, juste quelques jours après que le colonel Vouillard – qui à l’époque était encore major – avait été nommé directeur de l’hôpital. Depuis, cinq groupes différents de personnel médical avaient été envoyés dans différents secteurs du front occidental, mais Mlle André n’y avait plus jamais été affectée, bien qu’elle ait acquis l’expérience et l’entraînement nécessaires.

Lorsque Mlle André était arrivée à l’hôpital après son séjour au front, elle avait souffert de la grippe pendant quelques semaines, et quoique Vouillard ne soit pas censé la connaître, il s’était tellement intéressé à son rétablissement qu’il lui avait rendu visite plusieurs fois. L’intérêt de Vouillard pouvait être un simple geste de politesse et de courtoisie envers une héroïne de guerre venue d’un des pays alliés. Mais était-ce tout ?

Flanny Hamilton, qui avait toujours été distante et froide avec tout le personnel qu’elle commandait, avait soudain changé d’attitude envers Candice André dès que toutes les deux étaient rentrées à Paris. On pouvait penser que le changement de Mlle Hamilton venait de ce que Mlle André lui avait pratiquement sauvé la vie. Néanmoins, cette transformation était survenue exactement au moment où Vouillard était arrivé à Saint-Jacques. Coïncidence ?

Le docteur Bonnot avait ouvertement courtisé Candice André pendant plus d’un an, mais elle n’avait jamais montré le moindre intérêt. Pourquoi une jeune femme célibataire repousserait-elle les attentions d’un homme à l’avenir aussi prometteur que Bonnot, sans parler de sa beauté physique ? Y avait-il un amour secret qu’elle ne pouvait pas avouer, et qui ne lui permettait pas de répondre à l’affection de Bonnot ?

Pendant l’été, les patients de la salle A-12 s’étaient littéralement mutinés pour avoir Mlle André comme infirmière. Vouillard avait simplement réglé le problème en la renvoyant dans la salle en question. Certains pensaient que cette mesure avait été un signe de faiblesse, qui n’était pas vraiment dans le style militaire. Une solution plus sévère aurait été de transférer l’infirmière dans un autre hôpital, pour donner une leçon aux patients rebelles. Néanmoins, Vouillard préférait garder Mlle André à l’hôpital Saint-Jacques.

Enfin, récemment, Mlle André avait disparu toute une nuit, et était même arrivée en retard pour prendre son service le lendemain matin. Néanmoins, Mlle Hamilton n’avait rien fait pour punir sa faute. N’était-ce pas vraiment bizarre, d’autant que Flanny Hamilton était toujours un chef très strict ?

Nancy Thorndike connaissait les raisons de tous ces étranges évènements. Elle avait travaillé à classer les archives de l’hôpital pendant un mois, et dans sa tâche elle avait trouvé le dossier de Candy, tombant sur des informations très intéressantes. Elle apprit ainsi que la jeune blonde faisait partie d’une très riche famille, liée à de hauts gradés de l’armée française. Elle lut les lettres de Foch au major Legarde, au major La Salle et au colonel Vouillard, donnant des ordres stricts pour garder Mlle André à l’arrière. Ceci expliquait la mystérieuse disgrâce de La Salle, puisqu’il avait envoyé Mlle André à Ypres, et l’intérêt qu’avait Vouillard à maintenir Candy loin du front.

Nancy relia les fils et, ayant une image complète de la situation, comprit que les évènements pouvaient facilement être mal interprétés. Après quoi, il ne lui fallut que quelques conversations anodines avec certaines collègues, qui avaient la réputation de cancanières expertes, pour répandre l’idée qu’Eric Vouillard avait une liaison avec Candice André, et que c’était pourquoi il essayait de protéger sa maîtresse, en la tenant à l’écart des hôpitaux de campagne. Flanny Hamilton était sûrement au courant de l’histoire, et avait donc changé d’attitude envers Mlle André lorsque Vouillard était devenu directeur de l’hôpital. D’autre part, Bonnot ne pouvait être le rival du colonel qui, bien que grisonnant et marié, pouvait offrir beaucoup plus à sa maîtresse que Bonnot ne pourrait jamais donner à sa femme. La petite Américaine blonde n’était pas si pure et si naïve, après tout.

La rumeur se répandit rapidement, et en une semaine elle atteignit les oreilles de Vouillard. Il fut bien sûr profondément offensé, et inquiet pour sa femme. Plus jeune, Vouillard n’avait pas été un saint, comme la plupart des militaires, et Madame Vouillard avait répondu à l’infidélité de son mari par un ressentiment très profond, si bien que leur mariage avait été proche de l’échec total et de la séparation définitive. Heureusement, le temps, l’amour et une bonne dose d’indulgence avaient sauvé les Vouillard du divorce imminent, et, ces cinq dernières années, ils avaient reconquis leur confiance l’un en l’autre, non sans beaucoup d’efforts. On le comprend, Vouillard redoutait que le scandale de sa liaison supposée avec l’infirmière américaine ne soit appris par sa femme, ruinant de nouveau leur relation encore fragile. Vouillard craignait aussi que sa réputation professionnelle ne souffre de la rumeur, surtout s’agissant d’une jeune femme dont la famille était liée au maréchal Foch. Vouillard décida donc d’agir pour faire immédiatement taire ce bruit malveillant.

Candy était seule dans sa chambre. Elle pliait doucement la robe de lin blanc que Mademoiselle Pony et Sœur Maria lui avaient envoyée en cadeau d’anniversaire, pour la ranger dans la boîte. Elle s’était dit, après l’avoir soigneusement lavée et amidonnée, qu’elle ne la porterait plus jamais. Après tout, ç’avait été sa robe de mariée, et elle n’allait pas la mettre simplement pour aller se promener dans le parc : elle la garderait en souvenir du jour où elle avait juré un amour éternel à l’homme de sa vie.

Elle caressa légèrement l’organdi fin et blanc qui ornait le corsage et les petits boutons en forme de perles, incapable d’échapper au souvenir des mains de Terry les défaisant de ses doigts nerveux. La jeune femme sentit la rougeur couvrir ses joues roses, mais cette fois la sensation chaude lui plut, quand elle se souvint des caresses de son mari. Elle ferma les yeux et sentit de nouveau ses baisers, entendit ses mots d’amour à ses oreilles. Elle ferma la boîte et s’étendit sur le lit, abandonnant son esprit aux souvenirs les plus doux et les plus intimes. Elle chercha, avec sa main droite, l’anneau d’émeraude qu’elle portait pendu à son cou au bout d’une chaîne d’argent, toujours cachée sous son uniforme, et l’écrasa d’un geste tendre.

La veille, Candy avait reçu les lettres de Terrence, et chacun des mots qu’il avait écrits battait dans ses veines à chaque seconde du jour et de la nuit. Elle ferma les yeux, essayant de se répéter ces phrases qu’elle connaissait déjà par cœur, en une sorte de dialogue secret. 

Mais maintenant, je me réveille et je pense à nous, et je m’étonne moi-même avec ce sentiment merveilleux que certains ont appelé l’espoir.

"Oh, Terry!" soupira-t-elle, "c’est l’espoir qui remplit mon cœur maintenant… en pensant que je pourrais attendre un enfant, ton enfant." 

Je lis et relis tes paroles d’amour et imagine tes yeux chéris, mon ange. Comme il me tarde de voir mon image reflétée dans ces miroirs verts.

"Autant qu’il me tarde de voir tes yeux et de sentir la chaleur de tes bras autour de moi."

penser à toi est une joie qui guérit mon âme et me donne la force de continuer… 

"Je ressens la même chose, mon amour, mais savoir que tu es maintenant au milieu d’une nouvelle bataille m’inquiète et me prive de repos ! " se rappela-t-elle soudain, et son esprit s’assombrit.

Je suis dans la main de Dieu, et je suis sûr qu’il préservera ma vie pour te rendre heureuse.

"Oh, Terry!" dit-elle à voix haute, mais en entendant la porte s’ouvrir elle se hâta d’essuyer les larmes qui couvraient déjà ses joues. 

Au même moment, Flanny entrait dans la chambre, ses lunettes à la main, essuyant elle aussi ses yeux pleins de larmes avec un mouchoir d’un blanc immaculé. 

"Flanny!" s’exclama Candy, surprise par les larmes de son amie autant que par son arrivée inattendue, à l’heure où elle était censée être de service. 

"Candy!" fut tout ce que Flanny put dire avant de se jeter dans les bras de son amie. 

La jeune blonde serra tendrement la brune contre elle en essayant de calmer son cœur tourmenté par des paroles rassurantes. Elles restèrent debout enlacées pendant un moment, jusqu’à ce que Flanny sente que toutes ses larmes étaient sorties. Puis les deux femmes s’assirent sur le lit de Candy, la blonde tenant les mains de son amie. 

"Tu voudrais partager avec moi ce qu’il y a là-dedans?" demanda Candy en touchant sa poitrine d’une main. " Ou est-ce que tu voudrais juste rester un moment avec moi sans rien dire ? " 

"Candy… Je" marmonna Flanny avec hésitation, "Je pense que ce serait bien de parler" acheva-t-elle, se demandant jusqu’à quel point elle pouvait confier ses chagrins. 

La jeune brune écarta une des mèches sombres qui agaçaient son front, puis sortit de sa poche une enveloppe déchirée qu’elle montra à son amie. 

"Cette lettre vient d’Yves," expliqua Flanny d’un air abattu. 

"Je ne savais pas qu’il t’avait écrit " commenta Candy, un peu étonnée. 

"Il ne l’a pas fait, Candy… Comment pouvait-il le faire? " répondit la brune avec désespoir, " Il a écrit à Julienne, mais elle m’a donné la lettre à lire. " 

Candy leva les yeux de l’enveloppe, adressant à son amie un regard interrogateur. Soudain, une longue série d’incidents, de paroles isolées, de gestes et de réactions de Flanny finirent par trouver leur sens, et Candy put lire dans les yeux sombres et humides de son amie comme dans un livre ouvert. 

"Flanny… tu es… amoureuse de lui!" murmura la blonde, sans encore croire ce que les iris bruns avaient déjà avoué. 

"Non, non, non!" se hâta de nier Flanny, répugnant encore à livrer ses sentiments intimes, " C’est… c’est juste que… je m’inquiète… je… " bégaya-t-elle, sans pouvoir trouver d’explication logique. 

"Si ce n’est pas ça, pourquoi est-ce que tu pleurais? Et pourquoi est-ce que tu bégaies ? Ce n’est pas la Flanny que je connais " riposta Candy. 

"Simplement parce que tu es tellement amoureuse de Terrence, est-ce que tout le monde devrait être amoureux de quelqu’un ? " protesta Flanny en dernier recours. 

"Allez, Flanny, tu as dit que tu voulais parler. Ça aiderait un peu si tu étais vraiment honnête avec moi… Qu’est ce que tu as à perdre ? " demanda Candy de sa voix la plus douce, et, en dépit de la méfiance de Flanny, la brune finit par céder au charisme de son amie. Elle se dit intérieurement que, maintenant que Candy était mariée à Grandchester, il ne servait à rien de lui cacher ses sentiments. 

"D’accord," finit par dire Flanny, en détournant les yeux et en serrant nerveusement son mouchoir, " Tu avais raison, Candy… je… je suis… amoureuse de lui. " 

"Pourquoi ne m’as tu pas parlé de tes sentiments plus tôt ! " demanda Candy étonnée. 

" Parce que tu l’aurais quitté" répondit Flanny tandis qu’une nouvelle larme roulait sur sa joue, "Je ne voulais pas ça. Je ne veux pas être choisie à cause de la charité d’une autre femme. Ce n’est pas mon genre… dis que c’est de l’orgueil, si tu veux… de plus, je n’étais pas sûre que tu ne finirais pas par l’aimer… ça l’aurait rendu très heureux… Comment aurais-je pu m’interposer alors …? " 

"Oh, Flanny! Tu n’as rien dit de tout ce temps, et j’étais tellement aveugle que je ne l’ai pas remarqué ! " regretta Candy, " Je suis vraiment nulle comme amie ! " se reprocha-t-elle. 

"Non… non, Candy. Ne t’accuse pas comme ça, " répondit Flanny avec un triste sourire plein de compréhension, " Comment pouvais tu voir mes chagrins silencieux, alors que tu étais occupée par tes propres soucis ? " 

"Flanny, tu es une vraie amie!" dit Candy, profondément touchée, en l’étreignant. 

Les deux femmes restèrent silencieuses un moment, serrées l’une contre l’autre et sentant que le lien invisible qui les unissait devenait encore plus fort. 

"Mais maintenant, assez parlé de moi!" reprit la blonde avec un sourire, " Tu dois me dire pourquoi tu étais si triste… C’est quelque chose qu’Yves dit dans sa lettre ? " 

"Eh bien, oui," lâcha Flanny avec un profond soupir, " il travaillait à Arras, mais là il vient d’être envoyé avec l’hôpital de campagne à la suite de la Quatrième armée française. Ils sont en marche vers le sud, Candy ! Ça peut être très dangereux, les Allemands ont des positions très fortes dans cette région ! J’ai peur, Candy… Je me rappelle encore comment le Dr Duval est mort ! " pleura-t-elle doucement, sans un sanglot, en serrant les poings et en laissant ses larmes couler. 

"Ne pense pas ça, Flanny" dit Candy en essayant d’être forte, même si son cœur avait bondi intérieurement en apprenant que l’armée française marchait vers le sud. Qu’est-ce que c’était ? Un pressentiment ? Essayant de chasser ses propres peurs, la blonde prit les mains de son amie et, de son accent le plus serein, lui dit : " Yves va aller très bien, tu verras. Il suffit de faire confiance au Seigneur, et qu’Il protège nos hommes sur le front. Il faut être fortes maintenant… Regarde Julie !!! Comme elle a été courageuse depuis presque quatre ans !!!! " 

"Tu as raison!" approuva Flanny, " Je ne sais même pas pourquoi je ressens ça, alors qu’il ne pense même pas à moi ! Vous, les filles, vous vous inquiétez pour vos maris… mais moi… il ne m’écrit même pas ! " remarqua-t-elle tristement. 

"Mais c’est peut-être le bon moment pour que toi, tu commences à lui écrire " suggéra Candy avec un sourire malin. 

"Tu as perdu la tête, Candy ? " répondit Flanny, choquée par la suggestion de son amie, " Je ne saurais pas quoi dire… De plus… il n’y a aucune chance pour qu’il aime quelqu’un comme moi… " 

"Flanny Hamilton!" gronda Candy, "Ne te considère jamais avec autant d’irrespect! Tu es une femme formidable, et si Yves ne peut pas le voir, c’est juste qu’il ne te mérite pas ! Mais… je pense qu’il y a toujours une chance pour ceux qui osent essayer ! " 

"Je ne sais pas, je ne voudrais pas commencer à rêver pour être déçue à la fin de tous mes efforts ! " se défendit Flanny. 

"Qu’est-ce que tu veux, Flanny?" demanda énergiquement Candy, les sourcils froncés sur son visage délicat, " Tu veux attendre jusqu’à ce que tu sois vieille, pour découvrir que tu regrettes les choses que tu n’as pas osé faire ? C’est idiot !!! " s’exclama-t-elle en se levant, les mains sur les hanches, " Est-ce que je t’ai jamais demandé quelque chose pour t’avoir sortie de cette tranchée ? " questionna la blonde en regardant son amie d’un œil impératif. 

"Non… pourquoi dis-tu ça?" demanda Flanny sans comprendre. 

"Eh bien, maintenant je vais te le demander!" répondit Candy en souriant, mais sans que cet éclat autoritaire ait quitté ses iris verts, " Tu vas rester ici et écrire cette sacrée lettre pendant que je te remplace au service. Et ne t’avise pas de sortir avant de l’avoir écrite proprement. Quand tu auras fini, je la posterai moi-même ! " ordonna-t-elle en sortant de la chambre avant que Flanny n’ait pu dire un mot. 

La brune se leva, essayant de suivre son amie, mais lorsqu’elle tenta d’ouvrir la porte elle découvrit que Candy l’avait fermée et avait pris les clés avec elle. Flanny soupira en agitant les bras, en partie frustrée et en partie furieuse contre son amie. 

"Comment oses-tu, petite peste entêtée ! " cria-t-elle, sans obtenir de réponse. 

Elle arpenta un moment la petite chambre, sa tête agitée par une foule d’arguments contre l’idée de Candy. Néanmoins, quelques minutes plus tard, elle s’assit au petit bureau que les deux filles partageaient et, prenant une feuille de papier blanc, elle se mit à écrire. 

Dès que les pas nerveux de Flanny eurent cessé de l’autre côté de la porte, Candy quitta le corridor et se dirigea vers la salle où elle devait remplacer Flanny. En chemin, elle sentit de nouveau cette piqûre dans sa poitrine. 

"Le sud… le sud d’Arras. Quelle bataille se prépare là-bas ? " répétait-elle dans son esprit, " Je dois commencer à trop m’inquiéter… Terry doit être à Saint-Mihiel, maintenant. Les journaux disaient que les Américains se battaient là-bas ! " 

Candy ne savait pas que la veille au matin, la bataille de Saint-Mihiel s’était terminée, et que Terry se dirigeait vers le nord. Néanmoins, les journaux ne disaient rien de ce mouvement, car les Alliés voulaient prendre l’ennemi par surprise. 

 

Le soir de ce même jour, le colonel Vouillard appela Flanny Hamilton dans son bureau. Dès qu’elle eut reçu ses ordres, la jeune brune, qui avait finalement été libérée de sa prison après avoir fini une certaine lettre, se rendit immédiatement au bureau du directeur. Flanny ne savait pas alors qu’elle allait recevoir une nouvelle qu’elle ne pourrait comprendre sur le moment. 

"Mademoiselle Hamilton," ordonna Vouillard une fois expédiées les formalités de routine, " Sur ce document, il y a une liste de six noms d’infirmières que je veux transférer à l’hôpital Saint-Honoré. Je veux que vous disiez à ces dames que le colonel Lamark attendra leur arrivée demain matin à sept heures. Elles doivent donc commencer à faire leur paquet tout de suite. " 

Flanny prit le papier que Vouillard lui tendait, et ses yeux furent immédiatement accrochés par un nom sur la liste. 

"Colonel Vouillard," osa dire la jeune femme, "Il y a une infirmière sur cette liste que je voudrais garder dans mon équipe, avec votre permission, bien sûr, Monsieur. Elle est très efficace. " 

"Je crains de ne pouvoir changer aucun des noms, Mademoiselle Hamilton," répondit catégoriquement Vouillard en allumant un cigare. 

"Mais, Monsieur…" objecta Flanny. 

"Vous avez vos ordres," fut la réponse laconique donnée par l’homme aux yeux froids. A ce moment, quelqu’un frappa à la porte. " Entrez " cria Vouillard. 

Nancy entra avec plusieurs grandes enveloppes jaunes dans les mains. 

"Voilà les dossiers des infirmières que vous voulez transférer, Monsieur, " annonça-t-elle d’une voix nasillarde, avec un regard hautain vers Flanny. 

"Très bien" répondit Vouillard sans regarder aucune des deux femmes présentes, " Veillez à ce qu’un messager porte ces dossiers à l’hôpital Saint-Honoré demain matin. C’est extrêmement important, " fit-il remarquer en se tournant vers les infirmières. 

Flanny allait ouvrir la bouche de nouveau, mais les paroles de Vouillard ne le lui permirent pas. 

"Vous pouvez disposer toutes les deux, Mesdames," ordonna-t-il sèchement. 

Lorsque les deux femmes furent parties, Vouillard s’assit en soupirant profondément, comme s’il s’était débarrassé d’une lourde charge. 

"Ce sera la fin de ces rumeurs," pensa-t-il, "et de toutes mes inquiétudes quant à Mademoiselle André et son importante famille. Maintenant, ce sera le souci de quelqu’un d’autre. En tous cas, les lettres garantiront sa sécurité, comme le veulent ses parents. " 

Vouillard aurait été vraiment inquiet s’il avait su que Nancy avait détruit les lettres de Foch. 

 

Le matin du 14 septembre, Candy quitta l’hôpital Saint-Jacques, non sans se sentir profondément triste de laisser ses deux meilleures amies, Flanny et Julienne. Néanmoins, elle fit de son mieux pour avoir l’air joyeuse et positive en disant au revoir. Après tout, elle n’allait pas travailler dans une autre ville, et elles pourraient toujours se voir de temps en temps. Avant de sauter dans le camion qui allait l’emmener au nouvel hôpital, elle prit soin de poster la lettre de Flanny. Avant qu’elle ait fini, une petite silhouette sortit de l’hôpital, courant vers Candy avec toute la force que peut avoir une femme âgée. 

"Mademoiselle, Mademoiselle" appela une vieille dame que Candy reconnut immédiatement pour une des femmes de ménage, " Je dois vous poser une question avant que vous ne partiez, " dit-elle dans son mauvais anglais. 

"Oui, Madame?" répondit la blonde en souriant. 

"Il faut que je sache qui a gagné le match " demanda la vieille dame avec des yeux espiègles. 

"Je vous demande pardon? Le match ? " s’étonna Candy sans comprendre, en fronçant légèrement les sourcils. 

"Je veux dire…" la vieille dame commença en français, puis hésita, cherchant ses mots, " Qui a gagné, le bel Américain ou le gentil docteur ? " demanda-t-elle en gloussant. 

"Je vois!" s’exclama Candy, comprenant enfin la question et très amusée par la curiosité de la vieille dame. Elle se tut une seconde, le temps de se rapprocher d’elle, et lui chuchota à l’oreille " C’est l’Américain ! " 

"Tant mieux !" dit la femme avec une expression ravie sur son visage ridé, "C’était celui que je préférais !" 

Le commentaire de la dame fit rire Candy, qui répondit: 

"Moi aussi!" 

Une minute après la jeune femme montait dans le camion, se signait et, avec un de ses plus éblouissants sourires, agitait la main à l’adresse de la vieille dame sur le trottoir et des deux visages qui la regardaient à travers une des fenêtres, jusqu’à ce que le camion disparaisse dans la brume du matin. 

 

La Première armée américaine n’arriva pas tout de suite en Argonne. Les Américains se déplaçaient lentement, essayant de faire croire à l’ennemi qu’ils attaqueraient ailleurs. Les Allemands étaient trop sûrs de leurs positions en Argonne, car ils avaient transformé la forêt en une forteresse imprenable, postant leurs hommes dans toute la région montagneuse, couvrant les bois de mines et transformant le moindre village en une redoute de résistance. Avancer à travers la forêt serait extrêmement difficile, surtout sous le feu des Allemands qui, depuis leurs postes élevés dans les collines abruptes et les montagnes, tireraient à volonté. 

L’objectif des Alliés était de repousser les Allemands autant que possible vers le Nord, de façon à franchir la voie ferrée Mézières-Sedan avant la venue de l’hiver. Ce ne pourrait être fait si l’on ne réduisait pas d’abord les forces ennemies en Argonne. La Quatrième armée française, qui arrivait du nord, allait attaquer le flanc gauche et pénétrer dans les bois, tandis que les Américains devaient attaquer les postes sur la Meuse, et rencontrer l’armée française à Grandpré, sur la lisière nord de la forêt. 

Les Américains avaient plus d’hommes par division, mais manquaient de certains personnels qualifiés et d’équipements militaires. Avant que l’attaque ne commence le 26 septembre, un groupe d’artilleurs, de tanks et de personnel médical français arriva donc pour les soutenir. 

Quelques jours avant le début des combats, Terrence Grandchester profita de son temps libre pour aller voir Matthew Anderson à l’hôpital de campagne. Le jeune homme avait été blessé à la jambe pendant la bataille de Saint-Mihiel, mais comme il n’y avait pas eu d’occasion pour envoyer les blessés à l’arrière, Matthew était encore avec son régiment, à l’hôpital bien sûr. 

"Vous avez un visiteur, soldat Anderson," dit un infirmier qui essayait de nettoyer un bassin ensanglanté près du lit de Matthew. 

"Ho, Matthew," le salua une voix profonde, et le soldat reconnut immédiatement son visiteur, " Je voix que tu as un traitement de première classe ici… Un lit confortable, une belle salle, et de jolies infirmières pour s’occuper de toi, " gloussa Terrence, tandis que l’homme qui lavait le bassin lui adressait un geste obscène en réponse à sa réflexion sur la soi-disant jolie infirmière

"Je ne le dirais pas dans ces termes exactement, " répondit Matthew avec une grimace, " mais j’ai entendu que j’allais être envoyé à Paris dès que possible. Le docteur m’a dit qu’il va falloir m’opérer de la jambe une deuxième fois… après, il est possible qu’ils me renvoient au pays " conclut-il en essayant de changer de position sur son lit pliant. 

"Je suis content d’entendre ça" dit Terry, même si intérieurement il se disait qu’une telle décision n’était explicable que si la jambe de Matthew ne pouvait être sauvée, " Alors, tu vas prendre du bon temps dans la plus belle ville du monde. Ça a l’air tentant " continua-t-il en essayant de remonter le moral du jeune soldat. 

"Vous avez déjà eu cette chance, sergent, " répondit Matthew avec une légère étincelle dans ses yeux vert clair, " et il semble que ça vous ait fait beaucoup de bien, si vous me permettez de le dire, Monsieur, " suggéra le jeune homme d’un air malin. 

"C’est certain" se hâta de dire une troisième voix dans le dos de Terry, et le sergent sentit une impression de piqûre courir le long de son épine dorsale, suscitant en lui des défenses primitives. Néanmoins, faisant appel à son talent pour cacher ses émotions, il se retourna lentement et, avec un sourire étudié, répondit à la voix. 

"Quelle coïncidence de vous trouver ici, Dr Bonnot, " dit calmement Terry, en se demandant comment il devait agir dans une telle situation, où il savait que Bonnot ne pouvait plus être considéré comme un rival. Cette seule pensée suffit pour qu’il renonce à son attitude défensive. Yves Bonnot n’était pas un méchant homme, après tout. " Eh bien, Matthew, tu peux être sûr que tu es en de bonnes mains " finit par dire Terry, en se retournant vers le jeune soldat, " cet homme est celui qui m’a sauvé la vie. " 

Yves fut surpris d’entendre le ton conciliateur de Terrence, mais ne baissa pas la garde. 

"Je ne faisais que mon devoir, sergent, " répondit-il avec un simple signe de tête, " Et maintenant, si vous m’excusez, Messieurs, j’ai du travail à faire, " dit le jeune docteur en se hâtant de sortir, visiblement troublé par cette rencontre inattendue. 

"Je parie que quelqu’un n’a pas été content de vous voir, Monsieur, " dit laconiquement Matthew. 

" Je ne ferais pas beaucoup attention à ces sacrés mangeurs de grenouilles, " plaisanta Terry en essayant de minimiser la situation, et il changea aussitôt de sujet, " mais nous parlions de Paris… " 

Les deux jeunes gens continuèrent leur conversation, mais au fond de lui-même Terrence ne pouvait oublier sa rencontre avec Bonnot. Quelques heures plus tard, pendant son tour de garde, il médita un peu plus sur le sujet. 

Que devait-il penser et faire vis-à-vis de l’homme qui, peu de temps auparavant, avait été son rival ? S’il était honnête avec lui-même, il devait admettre que Bonnot était quelqu’un de bien, et Terry lui-même était certainement le dernier à pouvoir reprocher au docteur français d’être tombé amoureux de Candy. 

"Je crois que je ne peux pas empêcher d’autres hommes de désirer ma Candy, " se dit-il en gloussant doucement, " Si je voulais que personne ne regarde ma femme, j’aurais dû tomber amoureux d’une fille laide et méchante, au lieu de l’ange que Dieu m’a donné. De plus, ce n’est pas la première fois que je ressens cette méfiance. Je me souviens clairement comment c’était avec Archibald, quand nous étions adolescents… et je crois que ce ne sera pas la dernière fois non plus. Quand un homme possède un joyau, beaucoup d’autres peuvent l’envier. C’est une partie de la nature humaine. Mais le joyau sera à moi aussi longtemps que je m’en occuperai avec tendresse. D’un autre côté, Bonnot mérite ma compréhension et ma sympathie plutôt que mon mépris. Si Candy l’avait choisi à ma place, je serais l’homme le plus malheureux du monde en ce moment… C’est ce qu’il doit ressentir. Je sais ce qu’il ressent, parce que j’ai été dans le même trou noir avant lui. " 

Terry ne se trompait pas. Yves traversait une très sombre période de dépression, et rencontrer Grandchester était une des pires choses qui auraient pu lui arriver. Au moins, c’était ce qu’Yves croyait en ce moment. Les blessures qu’avait reçues le cœur du jeune médecin étaient encore très récentes, et le contact le plus léger les faisait saigner de nouveau, de manière encore plus douloureuse. 

"Qu’est-ce qui s’est passé entre Candy et Grandchester ? " s’était plusieurs fois demandé Yves au cours des semaines précédentes. " Est-ce qu’ils se sont avoué leurs sentiments mutuels ? Ou est-ce qu’il a été assez stupide pour la laisser partir ? Après tout, il n’avait pas beaucoup de temps non plus. Il est sorti de l’hôpital le même jour où j’ai quitté Paris, " ainsi Yves revenait-il sans cesse sur les mêmes considérations, finissant toujours par un terrible mal de tête, et se promettant qu’il allait surmonter cet amour sans espoir, mais en revenant chaque soir au même point. Après avoir vu Terry cet après-midi là, Yves commença à se torturer avec un nouveau souci. " Si ça n’a pas marché entre eux… est-ce que je devrais lui parler ?… est-ce que je devrais me taire, comme le voulait Candy ?… Cette rencontre est-elle une coïncidence ?… ou est-ce le destin ?… Si oui, aurais-je le courage de faire ce que je dois… ? " 

Néanmoins, Dieu ne demandait pas à Yves d’atteindre de telles extrémités dans le sacrifice. Le lendemain matin, après toute une nuit d’insomnie, le jeune docteur trouva une partie de ses réponses, qui le soulagèrent de la déplaisante responsabilité de jouer les intermédiaires entre Grandchester et la femme dont il était encore amoureux. 

Le jeune homme déambulait dans le camp, les mains enfouies dans les poches de son manteau, essayant d’atténuer le froid grandissant de ce matin d’automne, quand il aperçut accidentellement une silhouette bien connue à distance. C’était Grandchester qui avait fini son tour de garde. Luttant encore contre sa conscience, Yves se trouva soudain marchant dans la même direction. Il ne put rattraper le sergent avant qu’il n’entre dans la tente qu’il partageait avec d’autres hommes. 

Lorsque Yves arriva dans la tente, Terrence enlevait déjà son manteau et son uniforme, décidé à dormir profondément quelques heures, après l’épuisante garde de nuit. 

"Grandchester!" appela le jeune docteur, et Terrence se tourna immédiatement vers lui, tout en jetant sa chemise sur le lit pliant. 

C’est alors qu’Yves aperçut un objet brillant sur le tricot de peau du sergent. Il reconnut immédiatement le pendentif qu’il avait vu plusieurs fois au cou de Candy. Elle lui avait dit une fois l’histoire du crucifix, et tout ce qu’il signifiait pour elle. Yves n’avait besoin de rien d’autre pour comprendre la situation. Terrence Grandchester n’avait pas perdu son temps, après tout. 

"Bonnot?" demanda Terry, stupéfait par la soudaine apparition d’Yves, mais ses yeux comprirent bientôt que le jeune docteur regardait fixement le crucifix sur sa poitrine. Il n’eut pas besoin d’autre explication lorsque Yves sortit de la tente sans un seul mot. Tout avait été dit par ce minuscule gage de l’amour d’une dame. 

 

Le jeune docteur passa le reste de la journée dans la plus sombre des humeurs. Ce soir-là, au bal du colonel Vouillard, il avait compris que toutes ses chances avec l’infirmière américaine étaient perdues, et cela avait été douloureux. Mais comprendre pleinement que son rival avait finalement conquis la dame était un nouveau coup, qui achevait de dévaster ce qui restait de son cœur déjà brisé. Yves mit alors toute sa douleur dans son travail, quoique cela ne suffît pas à apaiser son âme bouleversée. Ce même jour, tout le camp et l’hôpital de campagne partirent vers la Meuse, en un stratagème que les Allemands n’attendaient pas. 

Le matin du 26 septembre, à 5 heures 30, la Première armée américaine attaqua les positions allemandes sur la Meuse avec un grand succès. Bonnot demanda à être envoyé sur la ligne de front avec l’équipe de premiers secours. Le jeune homme n’avait jamais vu de bataille auparavant, mais ce jour là il apprit ce que ce mot signifiait dans toute son horrible étendue. Il sentit sa peau frissonner aux coups de canon, et subit la vision apocalyptique d’hommes projetés dans les airs lorsqu’un soldat malchanceux trouvait une mine sur son chemin. Rien ne pouvait être plus frustrant, pour le jeune docteur, que de voir que ses efforts désespérés pour sauver des vies étaient toujours trop lents et trop limités, face à la vitesse irrésistible des armes humaines. La mort est certes un drame auquel nous devons tous faire face, mais le meurtre légalisé que la guerre autorise dépasse cette vérité naturelle. 

Yves, ému jusqu’au fond de lui-même par cette vision impressionnante de la cruauté de la guerre, et saignant intérieurement du rejet d’une femme, travaillait jour et nuit, ne prenant quelques moments de repos que lorsque ses supérieurs l’ordonnaient. Au début, il pensa qu’affronter les cruelles scènes du champ de bataille lui ferait oublier son chagrin personnel, mais chaque tragédie humaine a sa place dans le cœur d’un homme, et même en sachant que d’autres connaissaient des douleurs plus grandes au milieu de ce chaos, cela n’atténua pas la sienne. Plus d’une fois, il désira être à la place des hommes qui mouraient dans ses bras impuissants. 

Durant ces jours de confusion croissante et de malheur constant, Terrence observa de loin Yves se plonger dans son désespoir, et le jeune acteur crut pouvoir se regarder dans un miroir en voyant le docteur risquer sa vie, comme s’il cherchait sa fin. Le sergent se sentait une dette envers Yves et résolut de le protéger de lui-même, autant qu’il le pouvait. La meilleure façon d’accomplir cette tâche serait peut-être de pouvoir se rapprocher un peu du médecin français, et comme Yves ne deviendrait pas son ami sans un peu d’aide, Terrence tenta le premier pas. 

"Vous ne vous reposez jamais?" demanda le sergent un jour qu’il avait aidé les infirmiers à amener quelques blessés de la ligne de feu vers l’hôpital de campagne. 

"Pourquoi?" fut l’aigre réponse d’Yves. 

"Pour rester en vie, au moins" répondit Terrence. 

"Peut-être que nous accordions trop d’importance à la vie. Vous n’y avez jamais pensé ? " riposta le docteur, agacé par l’insistance de Terrence. 

"Plus que vous ne croyez, Bonnot," répondit Terry d’une façon si sérieuse qu’Yves le regarda droit dans les yeux, "Ecoutez, je sais que vous êtes très occupé maintenant, mais j’aimerais vous parler quand vous aurez un moment de libre. Je veux dire, si jamais vous vous accordez une pause. " 

"Et de quoi pourrions-nous parler?" demanda Yves avec une trace d’ironie dans la voix. 

"Vous n’avez jamais pensé que parfois, les gens se parlaient simplement pour passer un bon moment et parce qu’ils voulaient être amis ? Et croyez-moi, Bonnot, au milieu de cette guerre, se faire des amis est quelque chose qu’on peut apprécier quand on est là-dehors, avec une mitrailleuse allemande qui vous tire dans le dos, " répondit l’homme aux yeux bleus, avec un franc sourire qu’Yves n’avait jamais vu depuis qu’il connaissait Grandchester. " Nous pourrions parler… du temps qu’il fait, si vous voulez, " dit-il avant de quitter Yves, lequel se demandait ce qu’il était arrivé à Grandchester pour qu’il devienne si étonnamment aimable. 

Les Allemands se replièrent d’environ six kilomètres le long de la rivière, et les Américains tentèrent d’entrer dans les bois de l’Argonne, mais l’ennemi était très puissant dans cette région. Les Alliés ne purent avancer que d’à peine deux kilomètres dans la forêt, et durent cesser l’attaque le 30 septembre. Les troupes se reposèrent pendant quelques jours, tandis que les chefs militaires révisaient leur stratégie. Il n’y avait pas d’autre solution, décida le général Pershing : les Américains devaient s’ouvrir un chemin à travers la Troisième ligne de défense allemande, quel qu’en soit le danger ou le coût en vies humaines. L’attaque recommença le 4 octobre, et devait durer quatre longues et pénibles semaines, où les pertes américaines allaient s’accroître à une vitesse effarante au fil des jours. 

Un des soirs où Terrence n’était pas de service, le jeune homme avait cherché un endroit retiré où il puisse écrire tranquillement, avec l’aide d’une lampe à kérosène. Il avait déjà écrit une sixième lettre à sa femme, et la gardait avec les autres qu’il n’avait pas encore pu envoyer. Il prit donc une nouvelle feuille de papier blanc et continua en écrivant autre chose, tandis que les images de ses compagnons mourant au combat flottaient dans son esprit. 

Chacune des minutes d’horreur vécues sur la ligne de feu était distinctement gravée dans sa mémoire. Les visions de la Meuse rougie du sang de nombreux hommes, des corps sans vie flottant à la surface de l’eau, des membres mutilés, de l’agonie, et par-dessus tout des visages de ces hommes qu’il avait tués pour défendre sa propre vie, étaient si douloureuses que le seul moyen d’éviter la folie était de tout écrire sous forme de dialogues, espérant qu’un jour d’autres pourraient entendre les mots qu’il écrivait en ce moment et réfléchir sur nos misères humaines. Le monde devait connaître la cruelle vérité que cachait la " glorieuse victoire ", et il sentait que c’était son devoir de raconter tout cela. 

"Vous avez toujours cette habitude," dit la voix d’Yves, interrompant la tâche de Terry en s’asseyant à côté du sergent. 

"Vous voulez dire, écrire?" répondit le jeune homme en regardant les yeux gris éclairés par la lampe au kérosène. Il n’avait pas parlé au médecin depuis des semaines, et il était assez surpris qu’Yves ait décidé de l’approcher. 

"Oui, je vous ai souvent vu écrire à Paris," approuva négligemment le docteur, " Vous avez tant de lettres que ça à envoyer ? " 

"Eh bien, pas vraiment," admit Terry en haussant les épaules, "Je n’écris pas seulement des lettres." 

"C’est drôle, Grandchester," répondit Yves avec un gloussement ironique. 

"Qu’est-ce qui est drôle ? " demanda le sergent intrigué. 

"Que vous ayez été mon patient pendant des mois, et que je ne vous aie jamais demandé votre métier. Avec quoi vous gagnez votre vie ? Vous êtes journaliste, écrivain ? " 

"Je vois," sourit Terry en comprenant la réflexion d’Yves, " Je suis acteur, " répondit-il simplement. 

"Quoi?" s’étonna Yves, "Vous voulez dire que vous jouez sur une scène, que vous portez des costumes et que vous vous maquillez?" 

"Oui, c’est vrai. Je fais ces choses bizarres, " approuva Terry en gloussant, " mais je n’imaginerais pas de faire dans ma vie quelque chose qui n’ait pas de lien avec le théâtre, et croyez-moi, les gens pensent que je suis doué pour ça, " dit-il en haussant un sourcil. 

"Si vous le dites…" fut tout ce qu’Yves put répondre. 

"Mais j’aime aussi écrire," continua Terry en rangeant les pages qu’il venait de griffonner dans son porte-documents en cuir. 

"Et sur quoi écrivez-vous ? " demanda Yves nonchalamment. 

"Pour le moment, j’ai plusieurs histoires à raconter," expliqua Terry, en sentant que la froideur du soir commençait à atteindre ses os, " par exemple, un jeune soldat dont je n’ai pas pu sauver la vie ce matin, mon capitaine qui aimait les conversations brillantes mais qui est devenu de plus en plus silencieux et sombre ce mois-ci, un homme qui m’a confié la dernière lettre qu’il avait écrite à ses enfants avant qu’un obus allemand n’explose devant lui, et un jeune docteur qui semble désespérément chercher sa mort chaque fois que je le vois en action " dit le sergent en appuyant avec intention sur les derniers mots. 

Yves se tourna pour jeter un regard de rancune aux yeux bleus iridescents. 

"C’est facile de juger quand vous avez ce crucifix accroché au cou, " lança amèrement le docteur français. 

"Comment pourrais-je juger un homme qui éprouve la même sorte de douleur que moi, tant de fois dans ma vie ? " répondit Terrence avec sincérité, " Vous me comprenez mal, Bonnot. " 

"Peut-être, mais ce que je vois maintenant, c’est que ma vie est devenue une chute dans le noir, et que je ne peux pas l’arrêter, " avoua le jeune docteur d’une voix tremblante, en détournant les yeux pour éviter le regard pénétrant de Terry. 

"Chercher votre mort avec autant d’irresponsabilité ne sera jamais une réponse, " rétorqua le sergent. 

"Depuis quand êtes-vous devenu mon conseiller?" répondit Yves, sur la défensive. 

"Bonnot, je ne suis pas qualifié pour donner des conseils à qui que ce soit," répliqua Terry en se levant, " mais il n’y a pas si longtemps, je subissais la même dépression amère, et croyez-moi, la mienne était cruellement pénible parce que je l’ai endurée pendant des années, à remplir mon cœur de remords et de reproches envers moi-même. J’ai souhaité la mort autant que vous la souhaitez ; pourtant, aujourd’hui je remercie Dieu de ne pas m’avoir donné ce que je demandais. Un homme, qui est beaucoup plus sage que je ne le serai jamais, m’a appris que rien n’est écrit sur les pages de nos histoires personnelles jusqu’à ce que nous décidions de prendre en note notre destin, et aussi longtemps que nous vivons, il y a espoir d’écrire une meilleure page la prochaine fois. Ne vous refusez pas cette occasion. Bonne nuit, docteur, " acheva-t-il en prenant la lampe avec lui et en disparaissant dans l’obscurité. Yves resta seul avec ses propres pensées. 

 

Le soir du 29 octobre, Candy regardait la pluie insistante tomber sur la grande tente où elle se tenait, quand elle sentit un malaise inhabituel dans son cœur, qui lui fit toucher l’anneau qu’elle portait pendu au cou, sous l’uniforme blanc. 

"Mon Dieu, Mon Dieu!" murmura-t-elle, " Protégez-le ce soir ! S’il vous plaît, ne nous abandonnez pas aujourd’hui, Seigneur ! Je ne crois pas que je pourrais le supporter s’il mourait maintenant ! " 

L’averse d’automne continua à tremper le sol boueux, et elle put voir à distance un soldat courir à travers le camp. 

 

L’offensive dans la forêt d’Argonne avait été très difficile pour au moins une des deux armées alliées. Néanmoins, après de longs jours de combat sanglant, les Allemands commencèrent à se replier, répugnant encore à quitter leurs positions dans les bois. Le 29 octobre, presque toutes les redoutes avaient été prises, mais il y avait encore des postes où quelques hommes résistaient, tirant constamment depuis leurs positions élevées sur les collines. Ce soir-là, l’attaque routinière avait cessé un moment et les hommes, derrière leurs retranchements improvisés, observaient avec méfiance l’horizon assombri des bois. Quelques minutes auparavant, deux d’entre eux avaient été envoyés chercher de l’eau potable dans un torrent voisin. 

"J’ai dit que c’était vraiment stupide," commenta l’un des soldats, "on aurait pu tenir sans boire d’eau." 

"Peut-être," répondit un deuxième, "mais le docteur en a besoin pour les blessés," conclut-il en désignant le jeune médecin qui travaillait frénétiquement derrière eux. 

"Oui, mais on aurait aussi pu attendre les hommes qui sont allés à l’arrière chercher les vivres, " argumenta le premier soldat, " Quand le sergent va rentrer, cette idée ne va pas lui plaire. " 

"Peut-être que Richmond et Whitman seront rentrés avant," fut la dernière chose que le second soldat put dire avant que deux ombres se déplaçant dans l’obscurité n’attirent son attention, " Les voi… " mais il ne put finir sa phrase : une soudaine explosion, suivi par une pluie de balles venant d’une colline à l’est, l’interrompit. 

"Seigneur!" s’étrangla le premier soldat, le visage livide, " Il y avait une mine sur le chemin ! " 

Lorsque la première décharge s’arrêta, les soldats derrière le retranchement purent entendre les cris d’un des deux hommes, à seulement quelques mètres. Le jeune docteur avait quitté les blessés pour voir ce qui était arrivé, et découvrit que Whitman était mort dans l’explosion et que la voix de Richmond agonisant se faisait entendre à distance. 

"Il faut que quelqu’un sorte et ramène cet homme au retranchement," dit le docteur d’un ton déterminé. 

"Vous êtes fou, toubib?" demanda le second soldat en se tournant vers l’homme aux yeux gris, " Richmond est aussi mort que Whitman. Il ne peut pas résister longtemps là-dehors, et si l’un de nous sort maintenant, il y aura un mort de plus. Il pourrait y avoir d’autres mines ! " 

"Si vous n’y allez pas, j’irai," explosa le jeune docteur en prenant une trousse de premiers secours avec lui. 

"Monsieur," protesta le premier soldat en saisissant le bras du jeune homme, " On peut se permettre de perdre un homme, mais pas un docteur. On a tous besoin de vous vivant. " 

"Peut-être, mais je ne vivrai pas avec les cris désespérés de cet homme sur ma conscience, " et sur cette dernière phrase, le jeune médecin grimpa sur l’échelle pour sortir du retranchement. Les soldats, dont il était le supérieur, ne pouvaient rien pour l’arrêter. 

Au-dehors, la nuit était redevenue silencieuse et glaciale. On n’entendait que les cris affaiblis de Richmond à distance. Le jeune homme adapta ses yeux à l’obscurité et, après quelques secondes, put repérer l’homme gisant sur le sol à quelques mètres de lui. Il lui fallait se dépêcher s’il voulait le sauver. En essayant de se déplacer à l’abri des ombres, il courut, priant intérieurement pour ne pas trouver une autre mine sur son chemin. Par malchance, il atteignait presque son but lorsque les nuages se déplacèrent et que la lune éclaira la clairière où il se trouvait. 

Derrière le retranchement, les hommes furent glacés en comprenant que les Allemands allaient pouvoir facilement découvrir le jeune docteur. 

"Qu’est-ce qui se passe, merde ? " demanda une voix furieuse derrière les soldats. Ils réagirent aussitôt, en se levant pour saluer leur supérieur. 

"Sergent Grandchester!" s’étrangla le premier soldat, effrayé par la colère du jeune homme. 

"Le docteur français, Monsieur," expliqua le deuxième, "il est là-dehors, il essaie de sauver Richmond. " 

"Et qu’est-ce que Richmond faisait hors du retranchement?" demanda le sergent d’un air furieux. 

"Il… il est allé chercher de l’eau pour les blessés, Monsieur." 

"Génial! Et maintenant, cet ahuri de Français risque sa vie de nouveau! Les Allemands vont le voir avec ce clair de lune!" dit le jeune sergent, et ses yeux virent un projectile tomber des hauteurs, mais sans la détonation habituelle. Ce n’était pas une grenade ! 

"Nom de Dieu!!! Ces salopards ont envoyé du gaz moutarde !!! " cria un infirmier qui assistait lui aussi à la scène. 

"Mettez les masques, tout le monde!!!" ordonna Grandchester, et tous les hommes derrière le retranchement se couvrirent aussitôt le visage. 

"Qu’est-ce que vous faites, Monsieur?" demanda un des soldats en voyant le jeune sergent prendre un masque supplémentaire et commencer à grimper l’échelle que le docteur français avait utilisée pour sortir du retranchement. 

"Je vais chercher le mangeur de grenouilles, qu’est-ce que tu crois? Il doit être aveuglé par le gaz, et s’il y reste exposé, il sera mort dans quelques minutes, " dit l’homme, la voix assourdie par le masque. 

"Laissez-moi aller avec vous!" offrit le soldat, qui se repentait d’avoir laissé le jeune docteur partir seul. 

"Il y a assez de deux idiots là-dehors. Tu restes là, et si on ne revient pas, tu n’auras qu’à poster les lettres que j’ai dans mon sac, et explique à la dame dont le nom est sur l’enveloppe que j’ai fait de mon mieux pour conserver ma vie, mais qu’il y a des devoirs qu’un homme ne peut pas négliger " dit-il avant d’atteindre le sommet du retranchement et de sauter hors de sa protection. 

Il devait se dépêcher, tant que le gaz empêchait les Allemands de distinguer sa silhouette dans l’obscurité. En avançant à travers la clairière, il pensa aux promesses qu’il avait faites à sa femme. Ce qu’il faisait en ce moment n’était certainement pas très sensé, mais Terry sentait qu’il devait beaucoup à Bonnot pour lui avoir sauvé la vie en salle d’opération, et que c’était l’occasion de payer sa dette. 

Lorsqu’il put enfin voir une silhouette indistincte à distance, le jeune homme courut vers le docteur qui était agenouillé près du cadavre de Richmond. Terry atteignit Yves et lui toucha l’épaule d’un mouvement nerveux. A ce contact inattendu, le docteur se tourna, les yeux errant dans le vide. Terry comprit alors qu’Yves n’y voyait plus. 

"C’est moi, Grandchester!" chuchota Terry, " Mettez ce masque tout de suite ! " le pressa-t-il. 

"Pourquoi êtes-vous venu, imbécile??!! " reprocha le docteur, qui se sentait assommé par le gaz. 

"Oh, fermez-la et mettez le masque avant que le gaz ne vous bousille les poumons ! " dit Terry en forçant pratiquement Yves à porter le masque. 

"Laissez-moi là, et sauvez-vous tant qu’il est encore temps! Laissez-moi là !!! " cria le jeune homme, mais il ne put rien dire d’autre, car un coup de poing bien appliqué à la tempe lui fit perdre connaissance. 

"Désolé, grenouille," dit Terry en soulevant le corps inconscient du jeune docteur, " mais je crois que votre conversation sera très ennuyeuse pendant ce voyage que nous allons faire ensemble ! " 

Il commença à revenir vers le retranchement, mais peu à peu le gaz commença à disparaître, laissant la silhouette exposée au clair de lune. C’est alors que les mitrailleuses allemandes remplirent à nouveau l’air de leur rugissement mortel. 

"Et ça repart," pensa Terry en sentant distinctement une piqûre à son bras droit, " Si ton talisman marche vraiment, mon amour, c’est le moment qu’il fasse quelque chose pour cet idiot de Français et pour moi, Candy " se répéta le jeune homme jusqu’à ce qu’il atteigne enfin le retranchement. Les secondes semblaient des siècles, tandis que les hommes de l’autre côté ouvraient le feu pour couvrir leur sergent qui approchait avec le docteur inconscient sur le dos. 

"Aidez-moi!" cria Terry, et un des infirmiers bondit hors du retranchement et prit Yves avec lui. Les Allemands continuèrent à tirer depuis leur poste sur la colline, puis une nouvelle explosion retentit dans la clairière. C’était une autre mine, qui avait été activée par le feu des Allemands. Terry se retourna pour voir le lieu de l’explosion, et réalisa qu’il était passé très près de cet endroit. 

"Entrez, Monsieur! Tout de suite!" cria un des soldats, effrayé par la nouvelle détonation. 

Terry grimpa lentement, sentant la douleur s’accroître dans son bras, mais il atteignit finalement le sommet, tandis que d’autres balles sifflaient autour de lui. Néanmoins, une seconde après, il était déjà à l’abri de l’autre côté du retranchement, pâle comme une feuille de papier, le cœur battant à une vitesse stupéfiante, et avec une nouvelle blessure au bras droit qui commençait à saigner en abondance. 

"J’ai cru que vous n’alliez pas y arriver, Monsieur," dit l’un des infirmiers, étonné par le courage du jeune sergent, en nettoyant la blessure de Terry. 

"Moi aussi, mon pote, moi aussi," fut tout ce que Terry put dire avant de fermer les yeux, en remerciant Dieu d’avoir préservé sa vie. 

 

Du noir, il ne pouvait voir que du noir. Les bruits du camp étaient pourtant distincts. Il pouvait identifier les voix et les cris de l’hôpital de campagne. Il sentit du bout des doigts les draps usés et rudes du lit pliant où il était couché, et sentit aussi une douleur aiguë à la cuisse gauche lorsqu’il essaya de bouger. Les sons étaient faciles à décrire, mais il n’y voyait pas. Il porta la main à ses tempes, et sentit le bandage qui couvrait ses yeux. 

"Alors, vous êtes finalement réveillé, toubib, " le salua une voix profonde qu’Yves connaissait bien, " Je pensais que vous alliez rêver éternellement ! " continua la voix en plaisantant. 

"Grandchester?" s’étonna Yves, en se tournant vers la direction dont venait la voix. 

"Qui d’autre?" répondit-elle, "Désolé de vous décevoir, mais vous avez raison: c’est encore mon ennuyeuse personne. " 

"Comment suis-je arrivé ici?" demanda le jeune homme, l’esprit confus. 

"Eh bien, techniquement, vous avez été amené ici par les infirmiers depuis la ligne de front, où vous et moi avons fait une très intéressante promenade la nuit dernière. Et maintenant nous sommes ici tous les deux, à profiter de merveilleuses vacances. Même si je dois avouer que je préfère vraiment le service qu’on a à Paris. Comparé à ça, je trouve le service ici… un peu… insatisfaisant… dois-je dire ? " expliqua Terry du même ton moqueur. 

Les souvenirs commencèrent à se mettre en place dans l’esprit d’Yves, à mesure que le sergent, soudain devenu bavard, continuait son explication en se plaignant des infirmiers du camp. Yves se souvint de sa frustration en voyant Richmond rendre le dernier soupir, puis sentit l’explosion du gaz tout près de sa position. Il ne lui fallut que quelques secondes pour devenir aveugle, et il crut à ce moment que sa vie touchait à sa fin. Il ne pourrait pas revenir au retranchement avant que le gaz ne commence à ravager ses poumons, et le feu allemand ferait certainement le reste. Il crut un moment qu’il avait trouvé la meilleure façon de terminer son existence douloureuse, mais il ne pouvait s’empêcher d’avoir horriblement peur, comme jamais auparavant. Le jeune homme vit ses souvenirs les plus chers défiler dans son esprit. Il se souvint de son enfance, des visages de ses frères et sœurs et de la voix de sa mère, de la joie qu’il avait ressentie en aidant son premier patient, et de la beauté du coucher de soleil sur Nice, là où il allait souvent en vacances d’été quand il était petit. Allait-il revenir au retranchement en une dernière tentative de sauver sa vie ? Non, il était trop tard pour lui. C’est à ce moment qu’il sentit la main de Terrence sur son épaule. 

"Vous m’avez sauvé la vie!" s’écria-t-il, interrompant le monologue de Terry, en comprenant ce qui s’était passé. 

"Eh bien, je ne le dirais pas en des termes si dramatiques," répondit négligemment Terry, "disons que j’ai simplement aidé Dieu à vous donner une chance de corriger votre attitude stupide." 

"Pourquoi avez-vous fait ça? Pourquoi avez-vous risqué votre vie pour un homme qui cherchait la mort, alors que vous avez un avenir si prometteur ? " demanda Yves, incapable de comprendre l’acte de Terry. 

"Je vous l’ai déjà dit une fois," répondit le jeune aristocrate d’un ton plus sérieux, "Dieu m’a donné une chance d’écrire une meilleure histoire de ma vie, et j’ai pensé que c’était mon devoir d’aider quelqu’un d’autre qui avait lui aussi besoin d’apprendre la même leçon… De plus, vous m’avez sauvé la vie à Paris. Je n’oublierai jamais ça. " 

"Merci" marmonna Yves, profondément ému. 

"Ne nous attendrissons pas, " gloussa Terrence, et voyant le docteur essayer de toucher la blessure de sa cuisse, il expliqua " Au cas où vous vous inquièteriez pour votre santé, laissez-moi vous dire que nous avons eu tous les deux beaucoup de chance, en considérant le pétrin où vous nous aviez mis. Les balles n’ont fait qu’érafler votre jambe et mon bras. Rien qu’un peu de repos ne puisse soigner, et quant à vos yeux, vous êtes resté très peu de temps exposé au gaz. Le docteur m’a dit ce matin que vous pourrez sûrement y revoir, après les soins nécessaires. Tout de même, je dois me plaindre de quelque chose ! " 

"Quoi?" demanda Yves intrigué. 

"Je vais devoir arrêter d’écrire quelque temps, en attendant que mon bras se rétablisse ou que j’apprenne à écrire de la main gauche, selon ce qui sera le plus rapide ! " 

"Je voudrais vous aider, mais je ne pense pas le pouvoir," commenta Yves en esquissant un sourire, pour la première fois depuis deux mois. 

"Ne vous inquiétez pas, mon ami" dit Terry en pensant " Non que j’aie eu l’intention de te dicter une lettre à Candy… ça, je ne le ferais à personne au monde. " 

Candy s’était adaptée très facilement au nouvel hôpital. Son humeur toujours joyeuse et sa bonté d’âme lui gagnèrent la sympathie de ses nouvelles collègues et de ses patients, et elle partagea vite la lumière qu’elle avait dans le cœur avec tous les hommes et femmes qui l’entouraient. Malheureusement, elle n’eut guère de temps pour s’installer. Il n’était passé que six jours depuis son arrivée quand elle reçut l’ordre de se rendre sur le front, en Flandre, pour rejoindre le personnel d’un hôpital de campagne. 

Elle n’avait pas de bons souvenirs de la dernière fois où elle avait travaillé en Flandre, mais elle savait bien que malgré sa répugnance interne elle avait un devoir à accomplir. C’était ce que Mary Jane lui avait appris, et elle n’allait pas laisser tomber son vieux professeur. Elle boucla donc simplement son léger bagage et, avant son départ, alla à Saint-Jacques voir Flanny et Julienne. 

La jeune femme avait décidé de ne pas dire qu’elle avait été de nouveau envoyée au front. Elle ne voulait pas donner à Terry un nouveau sujet d’inquiétude ; elle demanda donc à ses amies de Saint-Jacques de recevoir sa correspondance, et d’envoyer en retour une série de lettres qu’elle avait écrites d’avance, pour que sa famille et ses amis en Amérique, ainsi que Terrence, ne sachent pas où elle était vraiment. Il valait mieux qu’ils ne connaissent pas la vérité. Du moins, c’était ce qu’elle pensait. 

Au début, Flanny n’apprécia pas du tout l’idée, car elle impliquait de participer à une sorte de mensonge, qui contredisait la stricte morale de la brune. Néanmoins, Julienne approuva Candy, car elle avait fait la même chose chaque fois qu’elle avait été envoyée au front pendant les quatre années de guerre. Son mari Gérard n’avait jamais su qu’elle avait travaillé plusieurs fois dans des hôpitaux de campagne. Julienne convainquit donc Flanny, et les deux femmes promirent d’aider Candy dans son projet. La blonde donna aussi pour instruction à ses amies de lire les lettres de Terry à son adresse, et, si elles annonçaient des nouvelles importantes que Candy devrait connaître, les filles lui enverraient tout de suite un télégramme de Paris. 

"Je ne vais pas lire les lettres de ton mari!" se plaignit Flanny, embarrassée à la seule pensée de lire la correspondance de quelqu’un d’autre. 

"Et comment imagines-tu que je pourrais savoir s’il va bien ou non ? Il faut que je le sache ! " répondit Candy, qui commençait à être désespérée par la correction excessive de son amie. 

"Nous pourrions t’envoyer les lettres à l’hôpital de campagne " suggéra Flanny. 

"Ça prendrait trop de temps, Flanny " fut la remarque de Julienne, " Ne t’inquiète pas, Candy, je le ferai pour toi si notre Flanny est trop gênée par cette idée. C’est bon pour toutes les deux ? " demanda leur aînée, et les deux filles approuvèrent d’un signe de tête. 

"Et j’enverrai le télégramme" se proposa Flanny."Merci, toutes les deux," Candy sourit à ses amies en remarquant que l’heure du dernier au revoir était arrivée, "Eh bien, je crois que ça y est. Il faut que je parte. " 

Les deux brunes regardèrent la petite blonde, et ne purent éviter une boule dans la gorge en pensant qu’elle allait une fois de plus travailler près de la ligne de feu. Candy lut l’inquiétude sur le visage de ses amies, et se força à montrer plus d’optimisme. 

"Allez, les filles," pouffa-t-elle, "On dirait que vous êtes à mon enterrement. Cette mission ne va pas durer longtemps. Il me faudra peut-être plus de temps pour arriver en Flandre qu’aux Allemands pour se rendre. " 

"Tu dois nous promettre de faire attention à toi, Candy," dit Julienne en l’étreignant tendrement, "Je ferai ce que tu m’as dit la fois où tu nous as laissées dans le camion, quand tu es partie dans la neige chercher de l’aide. " 

"Qu’est-ce que je t’ai dit?" demanda Candy sans comprendre. 

"De prier, simplement de prier, " répondit Julienne tandis qu’une larme roulait sur sa joue. 

"Oh, Julie," murmura doucement la blonde, "tout ira bien. Tu verras, " et, se tournant vers Flanny, elle dit avec autorité, " et toi, ma fille, dès qu’Yves répond, tâche de lui écrire tout de suite. " 

"Tu es bête, toujours à donner des ordres," gémit la brune, en essayant de retenir ses larmes, pendant que Candy l’étreignait à son tour. 

"Ecoutez qui parle," dit Candy en riant, et quelques minutes plus tard elle quittait Saint-Jacques, laissant derrière elle deux amies qui prieraient pour elle jour et nuit. 

Avant son départ, Candy rendit aussi une dernière visite au père Graubner. Celui-ci, tout prêtre qu’il soit, n’eut pas les mêmes problèmes de conscience que Flanny pour promettre à Candy de ne pas dire un mot dans ses lettres à Terrence. Tout au contraire, il pensa que c’était une bonne idée, car il savait combien Terry pouvait s’inquiéter, surtout quand il s’agissait de Candy. La jeune femme et le prêtre passèrent quelques minutes dans la chapelle de Monseigneur Benoît, à dire une prière silencieuse, et quand ils eurent fini, Graubner adressa un dernier sourire de bénédiction à Candy et ils se quittèrent. 

C’était un matin glacé, le 20 septembre. Le voyage par le chemin de fer endommagé était long et devait s’interrompre, à cause de toutes les occasions où les membres des armées française et britannique arrêtaient le train pour contrôler les passagers et leurs bagages. Les paysages se succédaient à un rythme impassible, tandis que Candy réalisait avec une grande désillusion qu’elle n’était pas enceinte comme elle l’espérait. En dépit de sa déception initiale, quand elle arriva enfin dans la région pluvieuse des Flandres, elle comprit que ce n’était pas le meilleur moment pour attendre un enfant, si fort qu’elle le désirât. Au premier abord, la vision de l’hôpital de campagne était décourageante, et le travail à faire était sans fin. Néanmoins, la jeune femme releva la tête, attacha son tablier et, avec son courage habituel, fit diligemment son travail. Même si elle n’était pas enceinte, elle comprenait qu’au fond d’elle une flamme brûlait, et l’espoir d’un avenir meilleur l’attendait. Elle continua donc à prier, et, pendant ses pauses, commença un journal, espérant qu’un jour son mari pourrait lire ce qui lui était réellement arrivé pendant ces jours de silence, où elle avait décidé de mentir pour préserver le calme de Terry. 

Terry, mon amour, 

De la pluie et de la boue, c’est tout ce que j’ai vu de la Flandre dans les deux occasions où j’y ai été. Mais cette fois, les conditions de l’hôpital de campagne ne m’étonnent plus. Je fais mon travail comme on me l’a appris, et j’essaie d’aider mes patients à se remettre physiquement et émotionnellement. Cette dernière chose, cependant, est la plus difficile à faire, non seulement parce que tous ces hommes endurent des moments très durs, mais aussi parce qu’une peur constante me poursuit jour et nuit, et qu’il faut que je fasse comme si de rien n’était si je veux remonter le moral de ces pauvres soldats… 

Je sais que tu dois te battre en Argonne en ce moment. J’ai entendu des histoires terribles sur ce qui s’y passe, et les journaux ne disent pas grand-chose pour apaiser mon cœur. Dans ces moments, je comprends que je dois reconnaître mes limites et accepter que seul Dieu puisse te protéger. Mais laisser mes inquiétudes pour toi sur les épaules du Seigneur n’est pas facile, car chaque cellule de mon corps crie ton nom, et la seule idée que je pourrais te perdre me blesse jusqu’au plus profond de moi. 

Aujourd’hui, un jeune soldat français est mort dans mes bras après une opération. J’ai combattu la fièvre de tout mon pouvoir, mais il a quand même succombé. Ses dernières paroles ont été pour sa mère, et en mourant il a cru, dans son délire, que c’était moi. Il m’a serré fort au moment où le dernier râle de la mort le saisissait, il m’a appelé " maman " et il a expiré. En essayant de préparer son corps pour le renvoyer chez lui, je n’ai pas pu retenir mes larmes en pensant à cette pauvre femme qui avait donné son trésor le plus précieux pour défendre la France, et qui ne va voir revenir qu’un cercueil sombre avec le drapeau français. Alors, si fort que j’aie essayé d’éviter de telles idées, j’ai pensé à toi et à nous. Je t’ai vu mourant dans les bras de quelqu’un d’autre, comme ce pauvre jeune homme, peut-être appelant mon nom comme tu l’as fait une fois à Paris, quand toi aussi tu avais une forte fièvre. Et ce genre de pensées me hante même dans mes rêves, qui depuis peu sont devenus des cauchemars. Je me réveille en pleine nuit, et je fais la seule chose qui peut m’apporter la paix en ce moment, prier et écrire dans ce journal comme je le fais maintenant. 

Je prie, et je remercie Dieu que tu ne saches pas où je suis pour le moment. J’espère que tu pourras me pardonner de te mentir pendant ces jours. Je suis sûre que tu subis des situations bien plus dangereuses que moi, et que tu as besoin de te concentrer complètement sur ce que tu fais. Je ne me le pardonnerais pas si tu étais blessé parce que tu t’inquiétais pour moi. Jusqu’à ce que nous nous revoyons, cela en est assez d’un qui a des cauchemars… T’aimer n’a jamais fait aussi mal qu’aujourd’hui. 

 

Aux soirs succédaient les matins, et le calendrier continua à devenir de plus en plus mince, tandis que les Allemands s’affaiblissaient. Ludendorff démissionna à la fin d’octobre et fut remplacé par le général Wilhelm Goener, dont la principale mission était de faire accepter l’armistice. C’est pendant ce temps que Terrence et Yves furent blessés. Après avoir passé une semaine à l’hôpital de campagne, le docteur français fut envoyé à Paris pour se remettre, et Terrence dans un hôpital plus petit à Buzancy, une ville à quelques kilomètres au nord de l’Argonne qui avait été récemment prise par les Américains. Ignorant dans son esprit, mais non dans son cœur, ce qui était arrivé à Terrence, Candy fut envoyée travailler à Arras, après que la Flandre ait été complètement reconquise par les Alliés, évènement qui termina l’offensive dans cette région. 

Le 11 novembre, les Empires centraux et les Alliés signèrent l’armistice, et les hostilités cessèrent sur le front occidental. 

 A suivre… 

NOTES DE L’AUTEUR : 

Et voilà… Nous allons bientôt terminer ce long voyage avec nos chers personnages. Merci à Sophie, Nila et Elaine pour la place sur leurs pages, et à Patty, Masanagi, Claya, et bien sûr à ma chère Michie, pour toute leur aide et leur travail de révision sur ce chapitre. 

MERCURIO

 

© Mercurio 2001