Cher Terry,
Je viens juste de lire
un article sur ta prestation d' Hamlet, dans lequel il est dit que tu
as reçu un accueil très favorable. Je suis vraiment ravie de lire cela.
Félicitations pour ton succès ! J'ai toujours cru que ce jour
reviendrait.
Comme si j'y étais, je
pouvais entendre les tonnerres d'applaudissements que l'on t'adressait,
et qui ne s'arrêtaient pas. Et je pouvais te voir dans ton costume
blanc et répondant avec le sourire aux nombreux rappels.
Melle Pony et Soeur
Maria ont dit que tu étais le meilleur Hamlet qu'elles aient jamais vu
de toute leur vie. Elles étaient fascinées de voir ta photo dans le
journal, et elles piaillaient d'excitation au-dessus d'elle comme des
adolescentes.
Il est vrai, Terry, que
tu es venu une fois à la Maison Pony, n'est-ce pas? A cette époque,
j'étais moi aussi en chemin pour rentrer chez moi. Le temps s'écoule
impitoyablement. Si je n'avais fait qu'une petite pause, j'aurais pu te
voir. La Maison Pony était-elle comme tu l'avais imaginée? C'était tout
petit, n'est-ce pas? Je peux juste t'imaginer te tenant, seul, devant
la Maison Pony. Tu es venu ici en ce jour enneigé alors que je n'étais
même pas là. J'étais pourtant de retour en Amérique, courrant à ta
recherche. Puis, j'ai commencé des études d'infirmière, tout en rêvant
de pouvoir te retrouver un jour.
- "Il y a quelque chose
que je désire ardemment faire" - m'avais-tu dit en quittant le Collège
Saint Paul. Je voulais que tu voies à ton tour ce que j'avais fait par
moi-même de ma vie. Je pensais que je finirai bien par te revoir. Mon
coeur a explosé de joie au moment où j'ai trouvé cet article sur toi
dans un coin de journal. Terrence Graham.... Je découvrais enfin en
lisant les quelques lignes, que le G. de Terrence G Grandchester
signifiait Graham... J'avais cru que G voulait dire Gorille ! Et
j'appris que ta mère, Eléonore Baker avait souhaité t'appeler Graham !
Je fus très émue en apprenant que tu avais abandonné le nom de
Grandchester en quittant l'Angleterre. J'ai compris ta détermination
vis à vis de cette histoire. De toute façon, les gens de Broadway ont
vraiment l'oeil pour découvrir de nouveaux acteurs talentueux. Ils ont
remarqué ton talent immédiatement.
Chaque fois que je
lisais de tes nouvelles, j'imaginais que je les vivais avec toi. Tu
'imagineras jamais combien je fus heureuse d'apprendre que tu venais à
Chicago pour une représentation avec la compagnie Stratford. Tu ne
savais pas encore que j'étais en Amérique à ce moment là, et je pensais
que tu aurais une énorme surprise en me voyant soudain apparaître.
Malheureusement, la pièce n'était visible que par les spectateurs ayant
reçu une carte d'invitation. N'étant qu'infirmière, il n'y avait aucune
raison que je sois invitée. Au moment où j'allais finalement perdre
tout espoir, Archibald et Alistair se procurèrent un billet pour moi,
ce qui était vraiment un coup de chance. Cependant, ce n'était pas mon
jour. C'était mon jour de garde, et personne ne voulait prendre ma
place ce jour là. Mais il fallait que je te voie jouer à tout prix, et
je finis par quitter furtivement mon poste pour aller au théâtre. Comme
tu le sais, je suis très douée pour faire le mur. Mais j'avais une
responsabilité au travail. C'était bien différent du temps de
Saint Paul. Plus tard dans la nuit, je fus sévèrement réprimandée par
Flanny, qui était ma chef à l'école d'infirmières.
J'étais très déçue de
n'avoir pu te voir jouer, assise parmi les autres spectateurs, suite
aux problèmes causés par Eliza. Cependant, j'ai pu te voir du
poulailler. Tu étais un merveilleux roi de France... J'ai pensé qu'ils
auraient du mettre le petit roi de France à la place du roi Lear. J'ai
écouté ta voix claire et puissante portée sur la scène. Et j'ai vu ton
attitude raffinée sous les éclairages. Tu te reflétais dans les larmes
de mes yeux.
Ta popularité était
stupéfiante. J'étais émerveillée de te voir à ce moment là, entouré
d'une foule d'admiratrices. Je criais "Terryyyyyyyy!" au plus haut de
ma voix, mais elle se noya vainement dans le bruit.
Tandis que j'étais
bousculée par la foule des spectarices, je te vis toi et Suzanna monter
dans la voiture. En y repensant, je pense que cela présageait de notre
future séparation. Nous nous sommes croisés et manqués en
permanence, comme à la Maison Pony, au théâtre et aussi à l'hôtel
à Chicago. Quand je vins à l'hôtel où tu séjournais, Terry, tu
m'attendais devant l'hôpital, n'est-ce pas? Oh, comme j'aurais voulu le
savoir plus tôt. Pendant que tu étais là-bas, j'étais renvoyée par
Suzanna, et c'était pour moi une grande déception de ne pas t'avoir vu,
et j'errais dans les rues, l'esprit absent, jusqu'à l'aube. Je
murmurais à moi-même : "Terry, je me demande si tu ne m'as pas déjà
oubliée?... Non, cela n'est pas possible".
Alistair me dit plus
tard que tu étais à la réception après la pièce organisée par le maire
de Chicago, et qu'il t'avait dit que j'étais de retour en Amérique. Tu
as dû être surpris d'apprendre cela. J'aurais voulu voir ton expression
d'étonnement, mais je n'étais pas là et j'ai manqué ça. Je fus emportée
de joie en apprenant de lui que tu avais quitté la réception
immédiatement sans porter attention aux autres invités qui essayaient
de te parler, après que tu aies appris ma présence à Chicago. Oh
vraiment, nous avons eu de nombreuses opportunités de nous rencontrer
ce soir là si nous avions eu un peu plus de chance. Mais finalement, je
fus très heureuse de pouvoir t'apercevoir de loin et de savoir que tu
allais bien.
Juste après, je reçus
ton message du gardien, le jour suivant, à midi. Je me suis précipitée
vers la gare, mais en y arrivant, ton train était déjà parti ! Alors,
j'ai couru vers la campagne car je voulais au moins voir le train dans
lequel tu étais supposé être. Et je t'ai aperçu, debout devant une des
portes extérieures. Nos yeux se croisèrent un instant, c'est tout.....
mais j'étais heureuse comme ça.
Nos doux souvenirs
continuent, Terry.
Si j'avais
su ce qui allait arriver, je t'aurais écrit plus souvent. J'aurais
voulu avoir plus de lettres de toi. Mais c'est trop tard, n'est-ce
pas?
Après ces
brèves retrouvailles, je vins à new-York. Je ne m'attendais pas à ce
que ce voyage soit un voyage d'adieu pour toi et moi. Quand je
reçus de toi le billet pour la pièce de Roméo et Juliette, et un billet
de train aller-simple, je pensais que cette longue attente pour te
revoir était finalement récompensés par ces merveilleux cadeaux. Oh oui
! J'avais ardemment attendu ce jour, compté les jours sur mes doigts.
Nous avions surtout un souvenir particulier de cette pièce, Roméo et
Juliette. Je suis si émerveillée que tu aies joué finalement
Roméo.
Quand j'ai
pu te revoir enfin à New-York, ce fut le moment le plus heureux de ma
vie car nous ne nous étions pas vus depuis si longtemps. Je garde
encore cette émotion au fond de moi. A ce moment là, je remarquais bien
ton anxiété et ton air déprimé parfois. Mais j'étais si heureuse que
j'en faisais peu cas. Maintenant je sais combien la tragédie de Suzanna
occupait tes pensées. Je regrette tant de n'avoir rien fait pour
te soulager alors que tu avais des problèmes. Je suis si triste de
ça.
Je peux te
dire que tu n'es pas responsable de l'accident de Suzanna, mais il est
vrai qu'elle t'a pris sous ses ailes, et qu'elle s'est vraiment
sacrifiée pour toi.
Quand
j'ai réalisé les sentiments profonds de Suzanna envers toi, j'ai décidé
de te dire au revoir, Terry. Je ne pouvais supporter de te voir
affligé plus longtemps. Mais par dessus tout, nous n'aurions pas pu
continuer ainsi alors que Suzanna serait restée seule et désespérée.
Quand je t'ai dit au revoir, tu m'as dit à l'oreille, alors que tu me
serrais dans tes bras : "Sois heureuse, ou sinon je ne te le
pardonnerai pas. "
Merci
Terry, je suis si heureuse maintenant. J'ai toujours perdu les amis qui
avaient pris soin de moi. Mais je garde encore dans mon coeur les doux
souvenirs que nous avons partagés. Je n'oublierai jamais la chaleur de
ta poitrine contre moi.
D'un autre
côté, depuis que nous avions rompu, Terry, tu n'étais pas heureux. Tu
étais si affligé que tu ne pouvais pas te consacrer entièrement au
théâtre, c'est pourquoi tu as quitté la troupe. Quelle erreur, Terry.
Mais plus que ça, j'ai été stupide de ne penser qu'à ma peine, j'ai été
si égoïste. Je pense que c'est un signe divin qui m'a guidé vers ce
théâtre ambulant, dans lequel je t'ai trouvé, un jour d'hiver. Tu
jouais en titubant et en tournoyant. J'ai failli sauter sur la scène
devant toi, et frapper des poings ta poitrine en criant "Ressaisis-toi
!" Je voulais faire cela pour toi. Terry, pouvais-tu entendre ma voix
dans ma tête à ce moment là? Au milieu de la pièce, tu es devenu comme
passionné. Tu étais une toute autre personne, tu jouais avec élan. Je
ne pouvais pas retenir des larmes d'émotion. "C'est toi, Tu es bien le
Terry que j'ai connu" - murmurais-je à moi même. Sais-tu que ta mère
était dans l'assistance au même moment? Plus tard, Eléonore Baker, ta
mère, m'appela furtivement. Elle me dit qu'elle avait annulé un
tournage pour te suivre en secret. Elle fut aimable au point qu'elle
m'envoya l'autre jour une invitation pour Hamlet. Je la lui ai
renvoyée. Je n'ai pas encore le courage de te voir jouer à Broadway.
Terry, je
suis de retour à la maison Pony, et j'y travaille comme infirmière.
Tant de choses se sont passées depuis notre rupture. Alistair, le
garçon que tu trouvais rigolo, s'est porté volontaire dans l'armée de
l'air en France et est mort à la guerre. Je suis si triste d'avoir
perdu mes chers amis l'un après l'autre. Cela ressemble à la comptine
des "dix petits indiens". Seul Albert est encore avec moi. Terry,
devine ! Il est celui qui m'a adoptée, l'Oncle William. Il nous a
vraiment eus ! Ne crois-tu pas qu'il aurait pu être un bon acteur ?
Oh mon dieu
! Je suis étonnée de voir toutes les pages que j'ai remplies. Je me
demande pourquoi j'ai tant écrit puisque je ne t'enverrai jamais cette
lettre. Cela doit être ton article sur Hamlet qui m'a bouleversée.
C'est presque le crépuscule. Je peux entendre les cloches de l'église
sonner en écho à travers les montagnes.
Terry, s'il
te plait, prends soin de Suzanna. J'ai lu son interview quand tu es
revenu à Broadway après avoir quitté la troupe ambulante. "Melle
Suzanna, étiez-vous inquiète que Terry vous ait quitté et qu'il ait
disparu?" "Non, je ne l'ai jamais été. J'ai confiance en lui, quoi
qu'il fasse." En lisant l'article, des larmes ont roulé sur mes joues.
Suzanna est une si gentille personne, comme toi, Terry. A ce moment là,
tu as fini par choisir Suzanna au lieu de moi, même si ce fut très
pénible. Je t'apprécie toujours tel que tu es. Terry, c'est si loin
d'ici Broadway, mais j'espère que tu te rappelleras que je resterai ton
admiratrice dévouée du fin fond de la campagne américaine. S'il te
plait, garde à l'esprit que je te soutiendrai toujours quand tu seras
sur scène.
Melle
Tarzan tâches de son
PS : Je
t'ai tant aimé....
© Candy Candy Novels Tous
droits réservés; Reproduction interdite. Publiées la première
fois au Japon en 1979 .
© Texte de Kyoko Mizuki 1978-1979, 1990
© Traduction française Sophie - www.candyneige.com, juillet 2002
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