Interactivité

Le Témoignage de Gérald

J’y étais, jeunes gens [voix chevrotante, canne brandie vers le ciel, quinte de toux, où sont mes pilules ?]. Tel un matelot américain de garde à Pearl Harbour en 1941, j’étais devant mon poste pour voir la première vague de l’invasion japonaise.

Donc, ce mercredi de l’été 1978 (je crois), installé devant la télé pour voir l’émission enfantine rituelle (je ne me souviens plus si ça s’appelait RécréA2 ou Les Amis de Dorothée), j’apprends que l’on va voir des dessins animés JAPONAIS ?!?!?!?! Il y a de quoi exciter la curiosité (ce ne sont pas les premiers, on a vu Le Prince Saphir avant, mais qui savait que c’était japonais ?). J’en regarde un à propos d’un robot qui a des cornes sur la tête, puis un autre…

… qui a dit que c’était un dessin animé pour filles ? Dès la deuxième scène, avec ce pauvre Tom qui reçoit le biberon dans la figure, j’ai compris que Candy était le genre de personne à laquelle un garçon peut s’intéresser. Et me voilà serrant les dents en la voyant humiliée par les Legrand, applaudissant intérieurement lorsqu’elle danse avec Anthony… Terry ? Oui, bon, évidemment, enfin oui, quoi, Terry. J’avoue tout de même avoir été surpris par la scène du baiser. Je ne pensais pas qu’il oserait.

Je me demandais également quelle était la drôle de bête qui accompagnait Candy partout. Il m’a fallu du temps pour savoir qu’il s’agissait un raton-laveur. J’ai suivi le feuilleton, en manquant quelques épisodes, pendant presque deux ans. Et puis, les horaires de mon collège ont changé alors que Candy venait de quitter le sien pour rentrer en Amérique, et je n’ai plus pu regardé la série. J’essayais de suivre de façon irrégulière, avec les résumés, genre « si vous avez manqué le début », qui paraissaient parfois dans les journaux télévisés. J’ai ainsi appris que Candy était devenue infirmière. En voyant que les résumés parlaient d’une certaine Suzanne, je me suis tout de même demandé d’où elle sortait, et pourquoi Terry s’était subitement mis en tête de l’épouser.

Arrivent les années 90, et la deuxième vague de l’invasion japonaise. On commence à trouver en librairie des mangas traduits, et même parfois non traduits. C’est ainsi qu’un jour, dans un magasin Fnac, je tombe sur une petite blonde avec des couettes que je reconnais immédiatement. Aussitôt, je m’installe pour lire (connaissez-vous cette publicité pour les magasins Fnac où l’on voit un type assis au rayon BD pour lire gratuitement, avec une voix qui dit « Untel est notre plus fidèle client, mais on aimerait qu’il nous achète enfin quelque chose » ? Eh bien, ce type, c’est moi quand j’étais étudiant). Bien sûr, je me suis intéressé aux volumes concernant la partie de l’histoire que je n’avais pas vue à la télé. J’ai ainsi découvert l’apparition de Suzanne, le destin d’Alistair (Mme Mizuki, je vous hais !), la séparation de Candy et Terry (oui, bon, évidemment, enfin oui, quoi, c’est bien triste), et surtout, surtout, cette trouvaille géniale sur l’identité de l’oncle William et du Prince (bon sang, mais c’est bien sûr ! Il suffisait d’y penser !).

Merci donc à la Fnac pour m’avoir permis de découvrir gratuitement la suite de l’histoire. Du coup, je n’ai pas acheté les mangas, et Candy est ressortie de ma vie jusqu’à ce que, début 2000, je m’abonne à Internet et commence à creuser divers sujets. Une recherche sur les sites de robots, avec ou sans cornes, donne de nombreux résultats. Mais il doit bien y avoir aussi, quelque part, une ou deux pages parlant de Candy ? Effectivement…

J’ai ainsi redécouvert l’œuvre originelle, et même lu, pour la première fois, des extraits des mangas correspondant à la partie de l’histoire que j’avais vue en dessin animé, par exemple la superbe scène où Candy et Terry font du cheval ensemble (j’ai expliqué mon interprétation de cette scène à Sophie, une fois, je ne sais pas si elle m’a pris au sérieux). Surtout, j’ai appris que Candy menait désormais sa vie propre, grâce à tout un monde de fans. J’y ai même apporté ma modeste contribution fanfictionnelle. Bref, ma troisième décennie avec Candy a commencé. Il faut dire qu’entre-temps, je m’étais découvert une passion pour les grands mélodrames français du XIXe siècle : Eugène Sue, Paul Féval, Ponson Du Terrail, tous ces romans-feuilletons à base d’enfants trouvés et de protecteurs mystérieux, avec lesquels Candy a plus d’un rapport. Moi qui n’aime généralement ni le style ni l’idéologie des mangas et des animes (je préfère Astérix), j’adore cette série au thème très européen (d’ailleurs Astérix est petit, blond, sympa, futé, courageux et bagarreur ; son nez et sa moustache mis à part, il ressemble beaucoup à Candy). Que Candy ressorte enfin en cassettes, ou même repasse à la télévision ? J’en serais très content… pour les autres : je n’ai pas la télé !