Candy Candy II 
Construire son destin

par M. Pop

Chapitre 2 : Un accueil cauchemardesque

 

Déménager… Changer de vie, de monde… Voyager…

L’arrivée dans un nouvel environnement n’est pas toujours chose facile. Parfois, les habitants de la place se montrent plutôt hostiles lorsqu’une personne inconnue s’installe dans leur localité. Il faut souvent du temps pour se faire accepter, pour s’intégrer. Et beaucoup d’efforts sont de mise.

La vie nous réserve souvent bien des surprises. Tantôt malheureuses, tantôt heureuses, ces expériences contribuent à faire grandir chacun de nous…

La luxueuse Cadillac s'arrêta près de la gare. Albert et Steve en descendirent. Ce dernier empoigna deux valises qu'il trimbala jusqu'au quai.

N'oublie pas ceci, lui dit Albert en lui tendant quelques papiers dans une chemise, ça te permettra de récupérer ce qui a été envoyé la semaine dernière. Les colis et la voiture sont entreposés dans un entrepôt près de la gare.

Steve saisit alors la chemise : “ As-tu aussi mon billet que Georges m'a réservé? ”

Juste ici: première classe en plus, repas et boissons compris.

Merci beaucoup! C'est très aimable, je n'en demandais pas tant; j'ai tellement l'habitude de voyager à rabais. Le grand luxe, ce n'et pas pour moi; je n'ai que peu d'argent. Dans ma famille, nous n'avions que le strict nécessaire. C'est grâce à mon oncle Henry si j'ai pu étudier à l'université.

Il faut bien commencer quelque part! Moi non plus je ne suis guère à l'aise avec la vie opulente de la haute société. J'ai longtemps vécu comme un simple nomade sans le sou avant de prendre le relais de la fortune familiale. Ma tante a toujours toute contrôlée. Pendant longtemps, c'était elle, le grand-oncle William…

J'ai bien hâte de la rencontrer. Elle réside dans le manoir habité par les Legrand, n'est-ce pas?

Exactement. C'est le manoir que tu dois rénover et agrandir. J'ai glissé dans la chemise un papier avec le chemin pour t'y rendre. Ne le perds pas!

Elle ne doit pas vivre seule dans ce manoir, je présume, sinon, pourquoi l'agrandir?

Mais non! M. Legrand, son épouse ainsi que leurs enfants y habitent aussi. Ils forment une belle famille. Mais méfie-toi; ils n'ont pas tout à fait une excellente réputation et sont parfois arrogants. Et les deux enfants sont très gâtés et se croient tout permis. Toutefois, tante Elroy a été prévenue de ton arrivée et je lui ai dit combien tu étais une personne respectable. Tu n'auras qu'à te comporter comme un parfait gentleman et elle te recevra comme si c'était moi. Je te fais confiance…

Albert posa alors sa main sur l'épaule de Steve. Ce dernier déposa sa valise de la main droite et lui serra la main chaleureusement.

Merci pour tout, Albert. Crois-moi, tu ne seras pas déçu.

Mais c'est moi qui devrais te remercier. J'apprécie tellement ta loyauté et ta modestie. Tu as fait du beau travail. Et n'oublie pas : tu peux toujours m’envoyer un télégramme si tu as des problèmes.

C’est d’accord!

Le train lança alors son cri. Le chef de gare donna le signal du départ. Steve empoigna alors ses deux valises puis monta à bord du wagon de première classe.

Après avoir trouvé sa cabine, il s’y installa. Le train prenait de la vitesse et sortait de la ville. Il ouvrit alors la chemise qu’Albert lui avait remise.

À l’intérieur se trouvait une lettre de recommandation adressée à la famille Legrand et à la tante Elroy. Le chemin pour se rendre au manoir à partir de la gare s’y trouvait également. Il y avait aussi quelques papiers à propos d’un second projet dont il aurait la charge également pendant les travaux au manoir.

De plus, deux formulaires inclus lui permettront de récupérer quelques colis contenant ses effets personnels ainsi qu’une Ford modèle T de l’année, un cadeau de son oncle Henry qu’il a reçu à l’obtention de son diplôme universitaire quelques semaines avant d’être embauché par le grand-oncle William Albert André. Le tout avant été expédié aux frais d’Albert à destination par un convoi de marchandises une semaine auparavant.

Steve n’en revenait toujours pas. Alors qu’il ne s’attendait à entretenir avec lui qu’une simple relation entre hommes d’affaires, Albert l’avait accueilli à bras ouverts et avec enthousiasme. Un an s’était écoulé depuis ce temps. Plus qu’un ami, Albert était comme un frère pour Steve; parfois, il avait l’impression d’avoir été carrément adopté par lui.

“ S’il chérit sa fille adoptive de la même manière, elle doit être alors très heureuse. Avec lui, elle n’a pas dû connaître le malheur… ”

Achibald entra brusquement dans le bureau.

Que se passe-t-il?

Mademoiselle Pony s’est évanouie, répondit Candy en larmes, elle ne répond plus…

Mais que lui est-il arrivée?

Soudain, mademoiselle Pony se mit à bégayer.

Ce… c… C’est… Ce… ii…

Grâce au Ciel! Elle revient à elle, remarqua Candy.

Qu’est-ce que c’est, ça? dit Archibald en ramassant un morceau de papier sur le sol.

Je ne sais pas, répondit Candy, Mlle Pony le regardait quand elle s’est évanouie.

C’est… c’est in… inn…

…inadmissible que des créanciers sans scrupules s’en prennent à des gens démunis comme nous, clama Archibald. On dirait qu’ils nous ont encore envoyé un avis de saisie.

Patricia et Annie entra dans le bureau à leur tour.

Que s’est-il passé, demanda Annie?

On t’a entendu crier à l’aide, affirma Patricia. Qu’est-il arrivée à mademoiselle Pony?

C’est alors que Sœur Maria entra dans le bureau à son tour.

Oh! mon Dieu! s’exclama-t-elle. Que se passe-t-il?

Elle a lu cette lettre, répondit Archie en brandissant le morceau de papier dans les airs à la vue de tous. Un autre avis de saisie…

Mais que dit cet avis? demanda Sœur Maria.

Je ne sais pas, dit Archie en lisant le papier. Il semble y avoir ici le montant total des dettes…

Archibald pâlit d’émotion à son tour

Ce… C’est une blague, dit-il, c’est une grossière erreur…

Il prit alors un air étonné.

Mais non! Je ne rêve pas… c’est.. deux…

Stupéfait, il annonça :

Deux millions de dollars…

QUOI?

Ce fut le choc! Tout le monde resta surpris.

…c’est… c’est in… in…, bégaya Mlle Pony.

C’EST TOTALEMENT INJUSTE ET GROSSIER! hurla Candy, les larmes aux yeux. Ces bandits sont sans scrupules. Ils se sont trompés! Le total des dettes de la clinique ne dépasse pas les sept cents dollars; la lettre de la semaine dernière en fait mention.

Mais ce n’est pas une lettre de saisie, spécifia Archie; c’est un chèque… adressé à nous!

Comment? demanda Candy. Fais-moi voir.

Candy prit alors le chèque que tenait Archibald, puis se mit à lire : “ Émis par la banque de Chicago, le 11 mars 1916. Payez à l’ordre de la Maison Pony la somme de 2 000 000,00 $. Signé : William Albert André ”

C’est… C’est incroyable! exprima Mlle Pony avec tant de joie, en revenant à elle. Ce… C’est un miracle!

Grâce au Ciel, ajouta Sœur Maria, le Seigneur a entendu nos prières.

Mais c’est fantastique! répondit Patricia. Notre maison est sauvée.

Notre avenir est assuré pour la vie, conclut Annie. Nos petits protégés n’auront plus d’ennuis. Tant d’argent pour si peu.

C’est vrai! remarqua Archie. Pourquoi tant d’argent?

Je crois que j’ai la réponse, dit Candy. Il y a une lettre qui accompagne ce chèque.

Candy prit alors la lettre et se mit à la lire :

Chicago, le 11 mars 1916

Chers amis,

Désolé de ne pas vous avoir écrit plus tôt; le temps était devenu chez moi une denrée rare et c'est aujourd'hui ma première journée de repos depuis des mois. J'espère que tout le monde se porte bien depuis ma dernière visite. Jamais je ne vous remercierai assez pour le bel accueil que vous m'avez fait. Désolé encore une fois d'avoir dû vous quitter si tôt mais mon rôle de grand gestionnaire de la fortune et de l'empire des André m'impose de sérieuses obligations que je ne puis renier.

Je suis tellement heureux de connaître des gens comme vous. Candy, tu es toujours aussi dévouée auprès des enfants et toujours aussi attachée à tes deux mères adoptives. Ta gentillesse et ta joie de vivre end heureux tous ceux qui te rencontrent. Archibald et Annie, tels des anges gardiens vous veillez sur elle, vous en prenez soin. Toujours là pour l'aider quand elle en a le plus grand besoin, elle peut vraiment compter sur vous. Patricia, malgré ton air sévère, qui d'autre pourrait enseigner les choses de la vie à ces enfants avec tant d'attention et de dévouement?

Ça faisait longtemps que je n'étais pas passé vous voir. Cette bonne vieille maison Pony n'a pas changé, elle est toujours la même. Et vous, mademoiselle Pony et Sœur Maria, votre dévouement exceptionnel ne cesse de m'émouvoir à chaque fois. Après tout, c'est en grande partie grâce à vous que Candy est ce qu'elle est aujourd'hui, une femme forte, déterminée, plein de courage, d'espoir et de joie de vivre. Vous avez fait de la maison Pony le plus bel orphelinat qu'il puisse exister en ce pays.

Malheureusement je ne puis en dire autant du couvent qui ne peut cacher son âge. Je me rappelle encore du “trou” que j'ai accidentellement creusé dans le plancher en marchant sur une lame pourrie. Et selon ce que j'ai vu et entendu, l'édifice serait plus que centenaire et nécessiterait des réparations majeures.

Quand j'ai quitté la maison Pony après la réception, je me suis arrêté chez M. Cartwright, le propriétaire des terrains où est situé le couvent. Il m'a alors confié que, il y a quelques années, il a voulu récupérer toutes ses terres pour agrandir ses pâturages mais que Candy et les enfants lui ont persuadé d'abandonner l'idée. Mais aujourd'hui, il est victime d'un manque d'espace et a cruellement besoin de récupérer la quasi-totalité de ses terres. Je dis bien “la quasi-totalité” car il y a une petite parcelle boisée près de la colline dont la terre est trop stérile pour y élever son bétail. À la fin de notre rencontre, il a accepté de me la vendre à bon prix.

Si je vous raconte tout cela, c'est que j'ai un projet dont j'aimerais bien vous faire part. Le lot que j'ai acquis ne peut servir à l'agriculture mais pas à l'établissement d'un édifice. C'est pourquoi j'ai pensé vous en faire don afin d'y construire un nouvel orphelinat plus gros et plus fonctionnel et disposant de l'électricité, d'un système d'eau courante, d'un système de chauffage et du téléphone. Une portion du nouveau bâtiment abritera la clinique médicale, une autre, les classes d'enseignement, une autre, une petite chapelle, une autre, le dortoir, et ainsi de suite.

Monsieur Cartwright m'a promis qu'il ne touchera pas à ses terres tant que les travaux ne seront pas complétés et que vous n'aurez pas emménagés dans le nouvel édifice. Dans le but de m'assurer du bon déroulement du projet et de sa bonne planification, mon secrétaire Georges vous rendra visite à la fin du mois, accompagné de celui qui coordonnera l'ensemble du chantier. Je suis convaincu que c'est la meilleure solution pour régler votre problème d'espace en plus de fournir à vos petits protégés un environnement sain et bénéfique pour eux.

Bien entendu, vous n'aurez aucun souci à vous faire concernant les frais qu'occasionne une telle entreprise puisque je les prends sous ma responsabilité. À ce propos, je me suis aperçu que depuis l'été dernier j'avais cessé d'envoyer ma contribution. C'est pour cela que je joins à cette lettre un chèque dont le montant servira également à régler la totalité des sommes que vous allez devoir au cours de la construction du nouvel édifice. Je suis sûr que vous saurez en faire bon usage.

J'espère aussi vous rendre une autre petite visite ce printemps. D'ici là, prenez bien soin de vous et des enfants. J'attends de vos nouvelles avec impatience.

Bien affectueusement,

William Albert André

Candy porta la lettre à son cœur. “ Cher Albert, pensa-t-elle, tu n'as pas changé, tu es toujours aussi bon… ”

Alors là je le reconnais bien, notre Albert, sourit Archie. C'est vraiment gentil de penser à nous.

Mais n'est-ce pas un peu trop tout de même, se demanda Candy?

Que veux-tu dire?

Quelques réparations à ce bon vieux couvent auraient suffi!

Peut-être pense-t-il que nous méritons mieux, ajouta Mlle Pony qui reprenait peu à peu ses esprits. Après tout, les terres où nous nous trouvons appartiennent toujours à M. Cartwright. Et il a droit de les reprendre quand bon lui semble.

C’est vrai, renchérit Archie. M. Cartwright est libre de reprendre ses terres. En tout cas, il a eu la gentillesse de céder à Albert une parcelle de terre pour nous.

C’est sûrement Jimmy qui a du le convaincre, déclara Mlle Pony. Il reste toujours attaché à nous. La preuve est qu’il continue de venir nous voir presque à tous les jours.

Ah oui! C’est sûrement lui! conclut Candy.

Mais ce sera toute une nouvelle à annoncer aux enfants, déclara Annie. Comment leur dire?

Nous verrons cela plus tard, répondit Patty. Mais pour le moment, il est grand temps que je retourne en classe avec eux. Je ne dois pas prendre trop de retard dans leur enseignement. Et puis ils doivent s’impatienter...

Ouais! Tu as raison, conclut Archie. Nous leur annoncerons tout cela plus tard. Pour l’instant, nous allons reprendre chacune de nos activités. Patricia doit donner la classe aux enfants, Mlle Pony, Sœur Maria et Annie doivent faire la cuisine et le ménage et Candy a des patients à s’occuper. Quant à moi je vais écrire à l’oncle Albert pour lui demander quoi faire…

Des coups résonnant de la porte interrompit Archibald. Il ouvrit la porte du bureau de Mlle Pony et vit un petit homme dans un complet noir portant un chapeau melon de la même couleur. Dans sa main gauche il tenait une serviette également noire et de la droite il montra un papier juridique.

Bonjour, messieurs, dames! Désolé de vous interrompre. Je suis M. Ronald Bennet, huissier de justice, et je viens au nom de la Lakewood First Bank of America concernant une facture impayée de 273, 90 $ contractée par la Maison de Pony il y a maintenant de cela trois mois…

Le printemps était déjà bien installé. La neige avait presque complètement fondu, inondant les champs, gonflant les rivières et rendant les routes embourbées. Les cultivateurs reprenaient doucement leurs activités. Les animaux sortaient de leur tanière où ils s’étaient réfugiés à l’abri de cette saison hostile. Les oiseaux se remettaient à chanter de plus belle. Les arbres bourgeonnaient déjà.

Comme à tous les jours, Tom se rendit au village à bord de sa carriole pour y vendre le lait de son troupeau. Son père adoptif, monsieur Steve, resta pour s’occuper du bétail. En arrivant sur la grand-route de macadam peu avant le pont, il entreprit de contourner une immense flaque d’eau causée par le débordement printanier de la rivière.

“ RHHHHHEEEUUUUUUU!! ”

Derrière Tom surgit une voiture lancée à vive allure. Tom eut à peine le temps de se retourner pour l’apercevoir que le bolide passa juste à côté de lui.

SPLASH!

Tom reçut un immense jet d’eau sur lui causé par le passage rapide de la voiture dans la flaque. Son cheval s’emballa presque mais il réussit à le retenir.

Espèce de malappris! lança-t-il en jurant contre l’automobiliste. Ce n’est pas parce qu’on possède le luxe de se payer une automobile qu’il faut pour autant narguer les honnêtes paysans!

Toutefois, Steve était déjà rendu trop loin pour l’entendre. Et le bruit du moteur de la Ford modèle T lui ronronnait aux oreilles. Ce matin, il était arrivé en gare où il avait pris possession de la totalité de ses effets personnels envoyés plus tôt. Sans plus attendre, après avoir réglé tous les détails administratifs avec le chef de gare, il chargea la voiture, lança le moteur puis se mit en route pour le manoir Legrand.

Steve était pressé d’arriver au plus vite afin de se reposer d’un si long voyage. De plus, il est un grand passionné de vitesse. Ayant déjà participé à une course automobile pour le compte de son oncle Henry, il a remporté plusieurs victoires. Depuis, il est devenu un excellent pilote. Malheureusement, les études universitaires ont vite mis fin à cette brève mais brillante carrière.

Après une demi-heure de route, il aperçut au loin un portail recouvert de roses. “ Ce doit être l’entrée du manoir. ” se dit-il. Il ralentit puis pénétra par la grille ouverte. Les deux gardiens l’interceptèrent.

Bonjour messieurs! leur dit-il en leur remettant la lettre de recommandation. J’ai rendez-vous ce matin avec Mme Elroy André.

Mme Elroy nous a prévenu de votre arrivée, répondit un des deux gardiens. Veuillez me suivre, je vous prie…

Sans hésiter, Steve le suivit tandis que l’autre referma la grille. L’odeur de la roseraie lui monta à la tête. “ Quel doux parfum! Et quel décor magnifique! Celui qui a planté ces roses doit les aimer pour les entretenir avec autant de soin. ”

Il gara la voiture près de l’entrée principale. Le majordome l’accueillit. “ Bonjour! Vous devez être monsieur Ford, je présume. ” Steve répondit positivement. Le gardien lui remit la lettre qu’il lut aussitôt. “ Bien. Je vais appeler Mme Elroy tout de suite. Vous pouvez entrer. ” Sur ce, il se retourna et entra à l’intérieur du manoir.

Steve descendit de sa voiture en contemplant l’architecture de l’édifice. “ Wow! se dit-il, émerveillé. Difficile de douter que des gens de la haute société vivent ici lorsqu’on regarde toute la richesse qui émane de ce manoir. ” Il gravit les marches de marbre puis franchit le paillasson…

SPLASH!

AAAHHH! Qu’est ce que c’est que ça?

À peine eut-il le temps de prendre conscience de la situation qu’il s’aperçut que ses deux pieds traînaient dans une flaque d’eau. Heureusement, son chapeau lui a permis d’épargner son costume d’une douche certaine.

Ça alors! Ce doit être Dieu qui s’est vengé de ce paysan que j’ai éclaboussé en chemin, dit-il en secouant son chapeau pour l’assécher.

HA! HA! HA! HA! HA! HA! HA! HA! HA! HA! HA! HA!

Des rires semblaient provenir du balcon d’en haut. Le majordome se retourna et se précipita à l’extérieur pour reconnaître les auteurs de cette plaisanterie.

Daniel! Elisa! Vous ne changerez donc jamais! Espèces d’enfants gâtés!

Je te l’avais dit que c’était un bon tour! dit Elisa à son frère.

Ouais! Tu as raison! Je me sens déjà mieux, renchérit Daniel en déposant le seau d’eau qu’il a renversé sur l’invité.

Elisa était ravie de retrouver le complice en son frère qu’elle eut toujours. “ Comme ça, il finira bien par oublier cette petite peste! ” pensa-t-elle.

C’est malin! se plaignit Steve. J’ai failli être trempé jusqu’aux os! Et ce chapeau qui m’a coûté une fortune!

Steward! Que se passe-t-il, je vous prie?

Mme Legrand arriva, vêtue de son costume de sortie.

Ce sont vos enfants qui viennent encore de jouer un vilain tour à un visiteur, dit le majordome.

Daniel et Elisa se sauvèrent en courant sans qu’on ne les remarqua.

Comment osez-vous les accuser ainsi à tort et à travers? se fâcha-t-elle.

Pourrait-on m’expliquer ce qui se passe? demanda Steve. Si ce n’est pas eux qui ont fait ça, alors qui m’a joué ce sale tour?

Et qui est ce vagabond qui se promène avec un chapeau détrempé? dit-elle en le pointant du doigt.

Comment vous dites? s’irrita Steve.

Madame, il s’agit de monsieur Ford dont sont arrivée était prévue pour aujourd’hui, ajouta le majordome.

Peu importe! Il est hors de question que ce “mendiant” souille davantage cette maison! Je vous ordonne de le chasser sur-le-champ! Et faites venir la voiture immédiatement!

Que se passe-t-il? fit une voix. Mme Legrand se retourna et vit la grand-tante Elroy arriver et se mêler à la dispute.

Ne vous inquiétez pas, tante Elroy, rassura Mme Legrand. Ce mendiant ne viendra plus nous importuner, je vous l’assure.

Mais puisque je vous répète qu’il s’agit de monsieur Ford…

SUFFIT! ordonna-t-elle au majordome. Un mot de plus et vous êtes renvoyé.

Calmez-vous, je vous prie, répondit Tante Elroy, nerveusement. Laissez-moi m’occuper de ce monsieur. Steward, faites venir la voiture pour Mme Legrand.

Sur ce, Mme Legrand sortit de la maison furieusement en poussant Steve dans l’escalier qui manqua de faire une chute. Daniel et Elisa, cachés dans les buissons, observèrent discrètement la scène en riant sous cape.

Steve était absolument hors de lui. “ Quel accueil charmant! ” Tante Elroy s’avança vers lui.

Je suis sincèrement désolé pour ce regrettable incident, avoua-t-elle. Je vous attendais depuis ce matin. William André m’a parlé de vous. Je suis Mme Elroy André, le chef de cette famille.

Elle le salua respectueusement. Steve reprit alors son calme et sa courtoisie.

Enchanté, Madame, de faire votre connaissance, dit-il en lui faisant le baisemain. Je suis Steve James Ford, architecte, designer et ingénieur, à votre service.

Je sous souhaite la bienvenue dans cette maison au nom de toute la famille André. J’espère que vous saurez apprécier votre séjour. Nous vous avons préparé une chambre à l’étage.

Je vous remercie de tout cœur pour votre hospitalité. Mais je n’ose pas trop vous déranger. Je peux très bien me trouver à loger dans les environs. Et puis, je ne fais pas partie de la famille.

Votre modestie me touche, monsieur Ford. Mais sachez que c’est avec grand plaisir que nous vous l’offrons. D’ailleurs, c’est moi-même qui aie proposé à monsieur William de vous loger entièrement à nos frais pendant toute la durée de votre contrat. Vous pourrez même prendre place quelquefois avec nous à table.

C’est trop aimable, Madame. C’est avec joie que j’accepte votre proposition.

Bien! Dans ce cas, je vais vous faire reconduire à votre chambre. Dorothée, conduisez monsieur Ford à sa chambre. Steward, faites monter ses bagages et rangez sa voiture dans le garage.

Merci beaucoup! Vous savez, ça me met un peu mal à l’aise tout cela. J’ai tellement l’habitude de me débrouiller seul.

Ça ne fait rien! Vous vous habituerez…

Aussitôt dit, les ordres de tante Elroy furent rapidement exécutés. Steve suivit les domestiques qui emportèrent ses effets personnels à sa nouvelle chambre. Il y entra, suivi par la grand-tante Elroy. Steve fut stupéfait devant le décor luxueux de la chambre d’invité qui sera la sienne pour quelques temps.

Wow! Quel luxe! Il s’agit d’un design typiquement écossais, digne des grands rois.

Effectivement, la famille André est originaire de l’Écosse, renchérit tante Elroy. Et comme vous devez le savoir, notre fortune est inestimable.

Et il ne s’agit que de la chambre d’ami, n’est-ce pas?

Oui! À côté de vous se trouve la chambre de ma nièce Elisa et en face celle de son frère Daniel. Ne faites pas trop attention à eux; ils sont très gâtés. Enfin, je crois que vous saurez vous entendre avec eux. Daniel a besoin d’apprendre à travailler dur et Elisa doit savoir se comporter en jeune fille du monde.

N’ayez crainte, madame Elroy, j’y veillerai…

Le majordome arrive avec la dernière valise. Les domestiques finirent de ranger le contenu des bagages et se retirèrent.

Bien! Je vais maintenant me retirer et vous laisser vous installer, déclara tante Elroy. Je serai absent de la maison jusqu’au déjeuner. Prenez le temps de vous reposer un peu et de vous mettre à l’aise. Je vous attends à la salle à manger pour midi.

Puis elle se retira. Steve referma la porte puis s’étendit dans le lit. “ Wooaaah! Quel confort! Jamais de ma vie j’ai eu une telle chance! ” Il ferma les yeux. Emporté par l’odeur des roses qui pénétrait dans la pièce par la fenêtre, il se mit à rêver doucement…

Le voilà!

Que fait-il ici?

Les enfants ne m’ont pas menti! Il est entré ici comme un voleur!

Steve se leva. La porte s’ouvrit brusquement. Un gardien fit irruption dans la pièce en braquant son fusil droit sur lui.

Alors, on se permet d’entrer chez les honnêtes gens et de dormir comme ça, hein?

Mme Legrand entra furieusement dans la pièce accompagnée de deux autres gardiens qui empoignèrent Steve et le tirèrent hors du lit avec force.

Mais… Que se passe-t-il? protesta-t-il. Vous faites erreur sans doute…

Suffit! ordonna Mme Legrand. Messieurs, éliminez-moi ce vagabond et jetez son corps à la décharge.

Steve hurla : “ Mais attendez! Laissez-moi au moins m’expliquer… ” L’un des gardiens qui le maintenait le gifla violemment tandis que le troisième s’apprêta à tirer…

Par la fenêtre, Daniel et Elisa observèrent la scène en souriant…

Fin du chapitre 2

© mars 2001, par M. Pop