La lettre déchirée

par M. Pop

  

Alors que Terry se promenait à cheval sur les terrains du Collège royal de Saint-Paul à Londres, Elisa l’arrêta afin de lui parler de Candy.

-         -         … Tu sais, cette chipie est également une voleuse. Elle a déjà dérobé des bijoux appartenant à ma mère et une de mes broches en or alors qu’elle était fille d’écurie dans ma famille.

-         -         Ça alors! Je n’arrive pas à y croire.

-         -         Je te le dis : ce n’est qu’une chipie!

-         -         Eh bien… Merci Mademoiselle pour ces informations

Elisa sourit. C’est alors que Terry lui demanda :

-         -         Ah! au fait, pourrais-tu transmettre un message de ma part à cette mademoiselle Taches de son?

-         -         Ah oui?

-         -         Tu lui diras que Terrence G. Grandchester, fils du duc de Grandchester, une des plus nobles familles d’Angleterre, fume comme un Turc, boit comme un Irlandais et se bat comme un chiffonnier.

-         -         Hein?

-         -         Sur ce, je dois y aller,  mon cheval s’impatiente. Ah! Et si je peux vous donner un conseil, c’est de vous regarder bien comme il le faut dans un miroir; vous y verrez de quoi a l’air un visage déformé par la haine! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha!

Sur ce, Terry s’enfuit, laissant Elisa sur place, bouillonnante de rage.

-         -         Il m’a humilié, le goujat! Il m’a injurié!

Une lueur maléfique apparut soudaine dans ses yeux

-         -         Mais je vous jure que je me vengerai! Oh oui, je me vengerai…

 

-         -         Dépêche-toi! Je vais être en retard à mon prochain cours.

-         -         Vas-y sans-moi. Je dois auparavant retourner à ma chambre pour y récupérer mes livres. Je te reverrai après les cours. À ce soir.

-         -         D’accord! À ce soir…

Et Annie s’éloigna d’Archibald en courant. Ce dernier flâna un peu en chemin lorsqu’un petit bout de papier attira son attention. “ Tiens, tiens, se dit-il. C’est bizarre, il y a un nom écrit d’une main semblant féminine… Et celui-là avec… Et il y en a plein d’autres par ici. ” Archibald les ramassa tous. “ Il me semble que je connais cette écriture. Ce n'est pas celle de Candy en tout cas. Ni celle d'Annie ou de Patricia. Mais qu'est-ce que cela signifie? ”

 

-         -         Hé! Alistair!

Archibald pénétra soudainement dans le laboratoire des garçons où Alistair y travaillait.

-         -         Quoi? Que se passe-t-il Archibald?

-         -         Regarde un peu ce… Mais, dis donc, qu’est-ce que tu fabriques encore? demanda-t-il en pointant le curieux appareil que réparait Alistair.

-         -         C’est ma toute dernière invention, répondit-il fièrement. C’est un polygraphe.

-         -         Un quoi?

-         -         Un polygraphe!

-         -         Et à quoi ça sert, un folie-gratte?

-         -         PO-LY-GRA-PHE! On appelle ça aussi un détecteur de mensonges. Ça permet de savoir si une personne dit la vérité ou ment. Avec ça, Elisa et Daniel n’auront qu’à bien se tenir avec Candy.

-         -         Pourquoi? Crois-tu que ces deux-là mijotent encore un mauvais coup?

-         -         Non, mais… Avec eux, il faut s’attendre à tout. Rappelle-toi quand Candy a été injustement accusée de vol et envoyée au Mexique. Si j’avais construit ceci à cette époque, les Legrand ne l’auraient sûrement pas reniée.

-         -         Intéressant. Mais, dis-moi, comment tout cela fonctionne-t-il?

-         -         Hé bien, c’est très simple! Regarde : tu n’as qu’à apposer ta main ici…

-         -         Es-tu bien sûr que ce n’est pas dangereux?

-         -         Mais non, je t’assure! Allez, mets ta main ici.

Archibald s’exécuta, non sans une légère crainte.

-         -         Moi je te poserai des questions dont tu ne devras y répondre seulement que par oui ou par non. La machine dira alors si tu mens ou non. Si c’est une vérité le voyant vert s’allumera. Si c’est un mensonge, le voyant rouge clignotera et alors une sirène retentira.

-         -         D’accord, je veux bien l’essayer.

Alistair mit le polygraphe sous tension.

-         -         Tiens, c’est bizarre! Il refuse de s’allumer.

-         -         Je le savais! Tes inventions ne marchent jamais mon vieux.

-         -         Allons donc! Ne te moque pas de moi encore une fois. Il doit sûrement y avoir un mauvais contact quelque part…

Alistair saisit les deux câbles d’alimentation reliant le polygraphe à la prise de courant.

TCHHAC!

-         -         Aaaaahhhh!

Archibald retira brusquement sa main en voyant les étincelles électriques.

-         -         Je ne comprends pas! Pourtant, le courant se rend à l’appareil. Il doit fonctionner! À moins que… Ah! Suis-je bête, j’ai oublié d’activer le détecteur digital. Voilà…

PAAFF!!!

L’appareil explosa!

-         -         Oh non! fit Alistair, déçu, la figure noircie. J’ai encore raté. Tant pis; je vais en fabriquer un autre.

C’est alors qu’Archibald tendit à son frère la lettre déchirée.

-         -         Avant de nous fabriquer une autre bombe encore une fois, j’aimerais que tu regardes un peu ce que j'ai trouvé dans le boisé tout à l'heure.

Alistair examina à son tour les bouts de papier. “ On dirait une lettre déchirée. Sans doute rien d'important. ”

-         -         Mais ne trouves-tu pas que cette écriture t'est familière?

-         -         Un peu… Je crois que le mieux serait d'essayer de reconstruire cette lettre.

-         -         C'est exactement ce que je veux que tu m'aides à faire. Je suis persuadé que ce que nous allons découvrir sera très intéressant…

 Une lueur semblait s’approcher de la grange. La porte s’ouvrit soudainement dans un grincement sinistre.

-         -         Que se passe-t-il? Que faites-vous ici à cette heure?

Furieuse, la Mère Supérieure pénétra dans la grange, la lanterne illuminant le noir de son intérieur…

-         -         Mais… Que se passe-t-il?

-         -         Qu'il y a-t-il, ma Mère? demanda Sœur Margaret.

-         -         Mais la grange est vide, dit la Mère. Où sont-ils donc passés?

-         -         Ils se sont sûrement cachés lorsqu'ils vous ont entendu arriver, ajouta Elisa. Je suis sûr que vous les trouverez sous le foin.

-         -         Fouillez la grange de fond en comble, ordonna la Mère. De toute façon, ils ne peuvent pas s'échapper puisqu'il n'y a qu'une seule issue possible : celle où nous nous trouvons.

Après dix minutes, les religieuses annoncèrent :

-         -         Nous sommes désolées, mais nous n'avons trouvé pas âme qui vive.

-         -         Voilà qui est fort curieux, se dit la Mère. Dites-moi, mademoiselle Elisa, êtes-vous bien sûr de ce que vous dites au sujet de cette rumeur?

-         -         Mais bien sûr que oui, ma Mère, répondit-elle, un peu nerveusement. Et même que je les ai vus de mes propres yeux la nuit dernière se diriger vers cette grange. C’est une vraie honte pour la réputation du Collège. Sans compter que tout le monde ici est au courant que Candy et Terry se retrouvent en secret chaque soir.

-         -         Ça, c'est ce que tu crois!

Archibald surgit derrière elle, accompagné de Candy, Alistair, et Terry.

-         -         N'as-tu donc aucune honte à fabriquer de toutes pièces de fausses rumeurs dans le seul et unique but de nuire à Candy?

-         -         Tais-toi, Archibald! protesta Elisa.

-         -         Silence! ordonna la Mère Supérieure. Que faites-vous tous ici à cette heure? Alors que vous devriez être tous dans vos chambres. Allez, répondez! Et qu'on me dise enfin la vérité.

-         -         La vérité, c'est ceci, enchaîna Alistair en brandissant la lettre recollée. Une lettre adressée à Candy de la part de Terrence l'invitant à le rejoindre ce soir à huit heures à la grange en secret.

-         -         Et après? Qu'est-ce que cela prouve? demanda Elisa.

-         -         J'ai reçu la même invitation de la part de Candy, ajouta Terry. Et écrit de la même façon, avec les mêmes mots.

-         -         Si vous comparez les deux lettres, ma Mère, vous verrez qu'elles furent écrites de la même main, renchérit Alistair en les remettant à la Mère Supérieure. Et, même si elles semblent écrites d’une main différente, certaines lettres et certaines boucles se ressemblent étrangement.

-         -         Hummm… fit-elle en comparant les deux lettres. Je vois…

-         -         Et alors, clama Elisa pour sa défense, qu'est-ce que cela prouve?

-         -         Cela prouve que c'est toi, Elisa, qui a écrit ces lettres pour nous piéger, Terry et moi, ajouta Candy d'un petit sourire en coin. Heureusement qu'Archibald et Alistair ont découvert la vérité, sans quoi je n'ose pas pensé à ce qui me serait arrivé.

-         -         Sale menteuse! répondit Elisa. Tu n'as aucune preuve de ce que tu dis, petite chipie!

-         -         Silence! dit la Mère Supérieure. Messieurs Alistair et Archibald Cornwell, comment pouvez-vous accuser mademoiselle Elisa?

-         -         Oh, mais c'est très simple, déclara Archibald en tendant une autre lettre. Regardez ce texte écrit et signé de la main d'Elisa qu'elle m'a remis pour notre cours d'histoire.

-         -         Les écritures des lettres y sont très similaires à cette feuille, prouva Alistair. Malgré les différences, il est facile de constater qu’elle a odieusement tenté de cacher sa véritable écriture.

-         -         Ça alors! s'exclama la Mère Supérieure, surprise. Mademoiselle Elisa, qu'avez-vous à ajouter à ce propos?

-         -         Eh bien… euh…

-         -         Prise au piège, hum? conclut Archibald.

-         -         L'arroseur arrosé, ha! rit Terry.

De grosses gouttes de sueur coulèrent sur le front d'Elisa qui se sentait de plus en plus coincée.

-         -         Bandes de lâches! Vous n'avez aucun respect pour…

-         -         SUFFIT! SILENCE TOUS!

Furieuse, la Mère Supérieure déclara : “ Mademoiselle Elisa Legrand, vous avez été jusqu'ici une élève exemplaire, mais devant les faits ici présents et pour m'avoir affreusement menti ce soir, ainsi que pour avoir délibérément accusé deux de vos camarades sans preuves suffisantes, je vous ordonne de vous rendre à la chambre de méditation sur-le-champ et d'y rester jusqu'à nouvel ordre. Allez! ”

Et les sœurs emmenèrent Elisa avec elle. “ Vous me le paierez tous! ” clama-t-elle.

-         -         Quant à vous, messieurs Archibald et Alistair Cornwell, je vous remercie pour votre aide ainsi que pour votre franchise. Toutefois je vous prierai de venir dans mon bureau, ainsi que monsieur Terrence Grandchester et mademoiselle Candy Neige André, demain à dix heures afin de tirer tout ça au clair et me permettre de rédiger mon rapport. Maintenant, veuillez regagner vos chambres je vous prie. Et bonne nuit à tous.

-         -         Merci ma Mère, répondirent-ils tous en chœur.

Archibald chuchota à Alistair : “ Cette fois-ci, ton polytruc ne sera pas nécessaire; de toute façon, il est maintenant hors d’usage! ”

-         -         Cesse donc de te moquer de moi, Archie! répliqua Alistair. De toute façon, cette pimbêche d’Elisa vient d’en prendre pour son rhume!

 

 Au pied du grand chêne de la colline retrouvée, Candy contemple le ciel, allongée dans l’herbe avec Capucin qui se roule parmi les fleurs fraîchement écloses.

-         -         Tu vois, mon petit Capucin, c’est déjà la fin du printemps… ainsi que des études dans ce Collège qui ressemble davantage à une prison. Mais heureusement, c’est fini pour nous deux. Le grand-oncle William a accepté ma demande et je pourrai retourner en Amérique cet été. D’ailleurs, Alistair et Archibald aussi vont revenir avec Annie et Patricia. Quant à Daniel, il est déjà reparti avec sa sœur Elisa. Et je ne suis pas fâchée d’être débarrassée d’eux! Elle n’a toujours pas digéré la punition qu’on lui a infligée. C’est pour ça que les Legrand l’ont retirée pour qu’elle poursuive ses études en Amérique. Ah! Ce qu’elle a pu être méchante lorsqu’elle a voulu nous piéger, Terry et moi, dans la grange en pleine nuit. Nous aurions sûrement été renvoyés. Heureusement qu’Alistair et Archibald ont découvert la supercherie à temps. Au fond, la Mère Supérieure n’est pas si méchante que ça. N’empêche que je ne suis pas fâchée de rentrer chez moi. Ah! Comme j’ai hâte de revoir ma “vraie” colline, celle de la maison de Pony. Je me demande comment vont Mademoiselle Pony et Sœur Maria. Et Jimmy. Et les autres enfants…

-         -         Alors, Mademoiselle Candy, on est encore en train de rêver là, tranquillement allongée dans l’herbe fraîche?

Candy se retourna soudainement.

-         -         Ah! Toi alors, Terry, tu es impossible.

-         -         Ha, ha, ha, ha! Toi alors, tu n’as pas changé! Tu resteras toujours comme tu es, à la fois belle et franche. Mais malheureusement tu ne seras jamais tout à fait une vraie Jeune Fille du Monde.

-         -         Et alors! Je m’en fiche de toute manière! Quant à toi, tu ne seras jamais complètement un vrai gentleman!

-         -         Mais il faut avouer que j’ai fait tout de même des progrès.

-         -         C’est vrai! Tu ne m’appelles plus “Taches de son”, “Tarzan” ou “Chita”, c’est déjà mieux.

Un petit sourire apparut aux lèvres de Candy. Terry enchaîna :

-         -         De toute façon, moi aussi je m’en moque! Puisque je quitte cet été cette prison dorée pour toujours. Les cours terminés, je pars pour l’Amérique

-         -         C’est vrai? Parce que moi aussi je veux retourner en Amérique revoir Mademoiselle Pony et Sœur Maria. Pour moi aussi, le Collège royal de Saint-Paul, c’est terminé.

-         -         Vraiment? Dans ce cas, nous pourrions partir ensemble. Je t’offre de m’accompagner pendant la traversée de l’Atlantique. Et je pense également te reconduire jusqu’à cette maison de Pony dont tu parles tant; je meurs d’envie de la voir.

-         -         C’est gentil à toi de bien vouloir m’offrir cela. Tu vois, tu n’es pas si mal après tout pour quelqu’un qui ne se dit pas un “vrai” gentleman.

Candy prit la main de Terry. Il rougit en baissant les yeux.

-         -         Merci. Mais c’est aussi que je pense prendre un peu de bon temps avant de repartir pour mieux suivre ma voie.

-         -         Ah oui? Et quelle est cette voie?

-         -         Eh bien, je voudrais devenir acteur. J’adore le théâtre, je rêve de pouvoir changer de peau et de pouvoir jouer la comédie et le drame.

-         -         Ça, je le savais!

-         -         Je sais! C’est pour ça que je pense partir pour New York où je pourrais me faire engager par une troupe théâtrale.

-         -         Eh bien, si c’est ce que tu souhaites, je veux bien t’encourager.

-         -         C’est gentil à toi Candy. Et toi, que comptes-tu faire?

-         -         Eh bien, je pensais rester à la maison de Pony et servir de monitrice pour les enfants… jusqu’à ce que j’aie trouvé ma vraie voie moi aussi.

-         -         Tu n’as donc aucune idée de ce que tu voudrais vraiment faire de ta vie.

-         -         Non! Pas pour l’instant.

-         -         Pourtant, tu ferais une bonne institutrice pour les enfants. Ou même une infirmière. Lorsque je suis entré ivre par erreur dans ta chambre, tu m’as bien soigné. Je suis certain que tu serais excellente pour soigner tous les petits malades.

-         -         C’est vrai que j’ai bien pris soin de toi ce soir-là. Mais n’empêche que tu t’es enfui pendant que je me risquais pour te procurer des médicaments.

-         -         Ha, ha, ha! Et alors? Je ne t’avais rien demandé de toute façon!

-         -         De toute façon, tu as vite guéri, c’est l’essentiel.

-         -         C’est vrai. Et c’est surtout grâce à toi, Candy.

Terry prit alors l’autre main de Candy qui se mit à rougir.

-          -          Candy, je voudrais te demander une faveur. Voilà : si je te dis ça, c’est parce que j’aimerais bien que tu viennes me voir de temps à autre quand je serai à New York. Tu pourrais même venir y faire tes études d’infirmière. De cette façon, on pourrait se voir plus souvent.

-          -          Oh, toi alors! Ce que tu ne me demanderais pas! Mais peut-être que ça pourrait être intéressant.

        Candy regarda au loin le soleil qui descendait lentement.

-          -          Regarde, Terry : le soleil se couche, il va bientôt faire nuit.

        Terry se leva en tenant la main de Candy pour l’inviter à faire de même. Candy se redressa à son tour en le regardant dans les yeux.

-          -          Tu sais, Candy, je repense à cette journée d’été en Écosse où nous avions dansé ensemble…

-          -          Je me souviens : tu m’as embrassée… et je t’avais giflé! Mais peut-être que je n’aurais pas dû…

-          -          Ne t’en fais pas, c’est pardonné. Je suis parfois maladroit pour exprimer mes sentiments.

-          -          Mais je te comprends, Terry. Et je sais aussi pourquoi tu m’as demandé de t’accompagner…

        Tendrement, Candy déposa un doux baiser sur ses lèvres.

-          -          Et je pense bien accepter ton offre. Tu n’es peut-être pas un parfait gentleman, mais moi, je t’aime bien comme tu es.

        Leurs regards se figèrent ensemble.

-          -          Moi aussi… je t’aime… Candy, conclut Terry en embrassant en douceur ses douces lèvres…

        DONG! DONG! DONG! DONG!

-          -          Ah zut! Cette satanée cloche, dit Candy! Je commence à en avoir assez.

-          -          Moi aussi, approuva Terry en baisant son front. Allons, rentrons ou on va se faire encore gronder par les sœurs. Ne t’en fais pas, dans quelques jours, nous partirons loin de ce Collège sinistre. Il n’y aura que toi et moi… (sans oublier Capucin)!

-          -          Pour le meilleur et pour le pire…

Fin

 

Un grand merci à Miss Rétro pour son petit coup de main et son encouragement!

 © janvier 2002, par M. Pop