Candy, une infirmière sur le front
Par Nanou

 

 

Ch 21 : Le drame

Les soldats ne pouvaient pas apprécier le magnifique coucher de soleil de cette fin d’été, les Allemands ne leur en laissaient pas le temps. Le régiment de Terry était de retour en première ligne. Les huit jours de récupération à l’arrière furent chaleureusement accueillis mais bien trop courts.

Terry faillit hurler de joie quand il apprit de la bouche de Bernard que Candy était en vie et tout près d’ici. Son ami se fit un plaisir de le taquiner.

- Tu sais Terry, elle a les mains si douces Candy, elle s’est bien occupée de moi ! ricana Bernard.

- Arrête Bernard…grogna Terry.

- Si si je t’assure, elle m’a lavé tout le corps, c’était exquis ! rajouta t-il.

- Bernard !! s’exclama Terry

- Ah, j’ai raté une occasion, j’aurais dû lui conter fleurette, elle doit avoir la peau toute douce aussi ! rigola Bernard.

- Grr, oh toi tu vas voir !! dit Terry en lui sautant dessus.

Les deux amis se roulèrent dans la boue. Terry avait parfaitement compris que Bernard le charriait. Les autres voulurent les séparer mais se rendirent vite compte que c’était un jeu. Les deux amis se relevèrent en rigolant.

Mais au fond de lui, Terry n’avait qu’une hâte, c’était d’aller la retrouver. Mais hélas, le séjour à l’arrière était terminé et vu la situation, la permanence n’arriverait pas de sitôt. Terry était désespéré si bien que Bernard se dit qu’il aurait dû attendre un peu avant de lui annoncer la nouvelle.

Le jeune acteur essaya de parlementer avec le commandant pour avoir une journée de libre mais ce dernier refusa car ce n’était pas le moment et que s’il continuait à discuter ses ordres, il le mettrait huit jours au trou pour indiscipline ! Etienne et les autres essayèrent de le calmer. Ils lurent l’immense déception dans le regard de leur ami. Ils s’éloignèrent un peu pour le laisser tranquille, sauf Etienne qui essayait tant bien que mal de le réconforter

- Ne t’inquiètes pas Terry, tu trouveras bien une occasion de la voir, j’en suis sûr ! Le plus important est qu’elle soit en bonne santé et toi aussi !

A peine eut-il fini sa phrase qu’une balle siffla et atteint Etienne en pleine tête. Il s’écroula comme une masse, il était mort !

- Oh mon Dieu, Etienne !!! hurla Terry.

Il le prit dans ses bras mais il n’y avait plus rien à faire. Il avait un trou de la taille d’une bille près du crâne, par lequel le sang jaillissait à flots. De grosses larmes roulaient sur les joues de Terry. Les autres n’avaient rien vu venir ; Ils se retournèrent au cri de Terry. Ils tirèrent dans la direction d’où venait la balle, mais il y eut à nouveau un silence.

- C’est de ma faute, c’est de ma faute !! cria Terry.

- Terry, calme-toi, c’est fini….murmura Bernard.

- Si je ne l’avais pas distrait, il serait encore parmi nous ! Maudits Boches, ls vont me le payer !!! hurla Terry.

- Terry, non !!! cria Georges.

Maurice et Georges essayèrent de le retenir mais la colère avait décuplé ses forces et il s’élança à l’assaut de la tranchée ennemie, baïonnette au poing. Il tirait de toutes ses forces. L’ennemi se manifesta à nouveau après un court silence en visant Terry. Le commandant somma ses gars de ramener l’imprudent Conscients du danger, mais déterminés à sauver leur camarade, Georges, Philippe, Bernard et Maurice sautèrent hors de la tranchée. Ils eurent vite fait d’éliminer les soldats de la tranchée adverse.

Maurice finit le « travail » en lançant une grenade. Il n’y eut plus aucun bruit. Bernard attrapa Terry qui était tombé par terre, par le revers de son manteau.

- Terry, espèce d’abruti, tu te croyais malin en agissant ainsi ?? cria-t-il.

Mais Terry ne lui répondit pas ; Bernard vit qu’il avait reçu une balle du côté droit. Il gémissait.

- Bon sang, t’es blessé ! Vite els gras, ramenons-le au camp ! hurla Bernard.

Terry fut évacué à l’arrière Des infirmières s’occupèrent de lui mais les médicaments étaient en pénurie alors il fallut l’envoyer plus loin encore, dans un hôpital.

Dans la voiture qui l’emmenait là-bas, Terry avait de la fièvre et délirait. Il appelait sans cesse Candy. Les infirmières pensaient qu’il appelait sa femme ou un membre de sa famille, il s’exprimait en anglais. Mais elles n’avaient aucun moyen de prévenir un proche car le jeune homme n’avait aucun papier sur lui, si ce n’est sa plaque de régiment.

Il fut opéré de nuit ; une minute de plus et il y passait car il avait perdu beaucoup de sang.

Cette nuit là, Candy eut un sombre pressentiment, elle sentit son coeur s’affoler dans sa poitrine. Son esprit était déjà perturbé par l’arrivée de Terry en France, ce qui l’empêcha de dormir.

« Je suis sûre qu’il est arrivé quelque chose à Terry ! Je le sens…J’espère que ce n’est pas grave ! »

Des larmes se formèrent à nouveau. Depuis qu’elle a su qu’il se battait, Candy n’arrêtait pas de penser à lui. Mais quelle folie l’avait donc pris de venir ici ? Etait-il inconscient du danger ? Son esprit était partagé entre la colère et la tristesse mais elle finissait par ne pas lui en vouloir. Elle pria beaucoup.

Elle aurait voulu le voir, mais elle était tellement sollicitée qu’elle ne pouvait pas trouver de temps. Son seul moment libre, si rare fut-il, elle le passait à dormir, deux ou trois heures maximum. En même temps, elle se disait que plus elle patientait, plus elle aurait de la chance de le voir.

Sur le front, les camarades de Terry enterrèrent Etienne. Ils regrettaient que Terry ne soit pas là pour dire au revoir à son ami. Ils eurent la bonne idée de faire un bouquet de fleurs sauvages qu’ils posèrent sur sa tombe. Son casque trônait sur la croix en bois. Georges pria pour le salut de son âme.

Maintenant, il s’agissait de prévenir ses parents. Comme Terry était le plus proche du jeune homme, ils préféraient l’attendre pour lui demander s’il était d’accord.

Terry passa un bon mois de convalescence, il avait perdu beaucoup de sang et le médecin qui l’avait opéré ne voulait pas prendre de risque. Il ne devait pas faire de gestes brusques s’il ne voulait pas que la plaie ne s’ouvre à nouveau.

Dans un premier temps, le commandant, sur les conseils de son régiment, décida d’envoyer Terry voir les parents d’Etienne et leur annoncer la mauvaise nouvelle. Le jeune homme hésita un peu car il ne voulait pas être l’oiseau de mauvais augure mais il ne pouvait laisser ces pauvres gens dans l’ignorance du décès de leur fils.

Finalement il reconnut que c’était à lui d’y aller car Etienne était son ami et qu’il se sentait responsable de sa mort.

Ch 22 : La visite

Les parents d’Etienne habitaient près d’Arras, dans un petit village. Ce dernier avait été épargné par les Allemands. Terry avait préféré mettre des vêtements civils plutôt que son uniforme pour ne pas se faire remarquer. Les habitants avaient rarement l’habitude de voir des étrangers.

Quand Terry arriva, les curieux l’épiaient par les fenêtres, certains fermaient leurs volets et d’autres s’enhardissaient et se postaient devant le seuil de leur maison. Terry demanda où se trouvait la maison d’Etienne Blanchon., qu’il faisait partie du régiment où combattait le jeune homme. A ces mots, les langues se délièrent, ceux qui trouvaient Terry, froid, arrogant, d’allure aristocrate -ce qu’il était tout de même- changèrent d’avis. Ce soldat était venu les délivrer de l’envahisseur Boche, se disaient-ils.

La maison d’Etienne se trouvait au bout du village, près de la forêt. C’était une jolie bâtisse que le père d’Etienne avait entièrement construite. C’était un mélange harmonieux de bois, de terre, le tout agrémenté par de petites fleurs.

La famille Blanchon était très appréciée par les villageois. Marcel Blanchon surnommé « le Patriarche » à cause de sa grosse moustache blanche, était une figure du pays, il avait participé à l’élaboration des différents bâtiments du village. Etienne était son dernier fils, les deux aînés étaient morts, l’un emporté par la grippe et l’autre sur les champs de bataille. Les trois filles de la famille vivaient paisiblement auprès de leurs époux respectifs, dans des villages voisins.

Quand monsieur Blanchon vint ouvrir à Terry, son regard s’assombrit. En effet, il n’avait pas l’habitude que des étrangers viennent frapper à sa porte. Ce jeune homme à l’élégance naturelle mais au regard triste ne venait sûrement pas lui annoncer de bonnes nouvelles. D’ailleurs, il sentait comme cet officier qui lui avait annoncé la mort de son Roger, tombé dans une embuscade de l’ennemi, une odeur de fusil, de sang…

Il le dévisagea avant de lui demander ce qu’il voulait.

- Bonjour monsieur Blanchon, je suis un ami d’Etienne, puis-je entrer ? lui demanda t-il poliment.

Le visage du vieil homme s’éclaira un peu et il accueillit chaleureusement le jeune homme en lui donnant une tape dans le dos. Il masqua son inquiétude avec un sourire. Sa femme, petite au visage rond vint à la rencontre de Terry et le prit contre sa large poitrine. Terry se sentit gêné par tant d’effusions mais ne dit rien. Monsieur Blanchon apporta du cidre que Terry refusa poliment. Il avait quelque chose d’important à leur dire et voyant son air grave, La mère posa la question.

- Au fait, pourquoi not’ Tiennot n’est pas venu nous voir ? demanda t-elle avec un tremblement dans la voix.

- Il est où l’ marmot ? demanda le père, conscient que ce qu’il allait apprendre ne lui plairait pas.

Terry baissa la tête.

- Nooon !!! Ne me dites pas que notre Etienne est…., s’étrangla t-elle.

- Je suis désolée madame, parvint à articuler Terry.

- Non pas mon Tiennot, pas mon Tiennot !!! cria t-elle.

Son mari la prit dans ses bras, il ne voulait pas pleurer devant Terry.

- Comment c’est arrivé ? murmura monsieur Blanchon.

Terry ne voulut pas donner trop de détails.

- Lors d’un combat, une balle l’a frappée et il est mort sur le coup…dit-il

- Noooon !!!Tout ça c’est de ta faute !! Tu voulais que mon Etienne s’engage pour sauver la France, c’était pareil pour Roger ! Ils sont morts à cause de toi ! hurla Madame Blanchon, en martelant la poitrine de son mari.

Monsieur Blanchon essaya de la calmer mais elle le repoussa. Terry ne savait que dire. Lui-même était triste de les voir ainsi. La guerre fauchait toujours les meilleurs en premier. Il décida d’intervenir.

- Je vous en prie, madame, monsieur, arrêtez de vous disputer, Etienne ne l’aurait pas voulu…dit-il

Ces mots firent leur effet. Les époux Blanchon s’arrêtèrent net.

- Vous avez raison sur un point madame Blanchon, Etienne n’aimait pas la guerre et il ne voulait pas s’engager mais il l’a quand même fait…par amour pour ses parents…raconta Terry

- Que voulez-vous dire ? demanda Mme Blanchon.

- Etienne m’a toujours dit qu’il ne voulait pas que vous souffriez à cause de cette guerre. Il n’aurait pas supporté qu’ils vous arrivent quelque chose, il voulait que les Allemands quittent la France le plus vite possible et pour cela, il était prêt à tout, même à donner sa vie.

- Etienne, mon fiston…murmura Monsieur Blanchon.

Le patriarche ne pouvait plus contenir ses larmes ; Les deux parents se tinrent enlacés.

Terry se sentait de trop, il ne voulait pas rester. Sa vue se brouilla soudain, la tête lui tournait, sa blessure le faisait souffrir. Il chancela. Le père Blanchon réussit à le rattraper avant qu’il ne tombe.

- Hé ho mon garçon qu’est ce qui vous arrive ? lui demanda le père Blanchon.

Terry se tenait le côté droit, du sang mouillait sa veste.

- Mais vous êtes blessé ! s’exclama Madame Blanchon.

- Ce n’est rien madame…murmura Terry avant de s’évanouir.

Les époux Blanchon portèrent Terry jusqu’à la chambre d’Etienne. Au bout de quelques minutes, il revint à lui. Il était chez Etienne, sa mère était à son chevet, une main posée sur son front. Que c’était agréable ! Rien de tel que la chaleur maternelle pour remettre d’aplomb.

- Alors mon garçon, comment vous sentez-vous ? lui demanda la mère Blanchon.

Malgré ses yeux rougis par les larmes, elle s’efforçait de sourire.

- Mieux, merci madame…dit Terry

- Vous avez fait tout ce chemin pour venir nous annoncer la mort d’Etienne alors que vous étiez blessé ? lui demanda t-elle.

- Oui madame, Etienne était mon ami, je me devais de venir, dit Terry.

- Vous êtes un brave garçon ! lui sourit mme Blanchon.

Elle lui ébouriffa les cheveux, un geste que Terry avait quasiment oublié, vu que son père l’avait arraché à sa mère très tôt. Son mari rentra dans la chambre à ce moment là.

- Alors comment ça va p’tit gars ? Vous savez que vous nous avez fichu une peur bleue ! lui dit le père Blanchon.

- Je suis désolé…dit Terry.

- Ne vous excusez pas mon garçon, je suis content que vous alliez mieux ! Dites-moi, c’est vrai p’tit gars ? Ce que disait Etienne à not’ sujet ? lui demanda t-il.

- Oui, il me disait combien vous lui manquiez, qu’il avait de la chance de vous avoir comme parents, leur raconta Terry.

- Mon Tiennot…sanglota Mme Blanchon en s’essuyant les yeux.

- Allons la mère, va plutôt chercher de quoi r’quinquer le p’tit gars ! dit le père en essayant de changer la conversation.

Terry protesta mais le patriarche le fit taire.

- Il faut reprendre de forces mon garçon ! bougonna t-il.

Terry toucha son pansement, ce qui n’échappa pas au père Blanchon.

- Ma femme était infirmière avant de s’arrêter pour élever nos enfants….lui dit-il.

« Décidément, il y a toujours une infirmière qui veille qui sur moi ! » pensa t-il.

En quelques minutes il se retrouva devant un bol de soupe fumante et une assiette de ragoût de bœuf. Il ne se fit pas prier et mangea avidement tout ce qu’on lui donna.

- C’est qu’il avait bougrement faim l’ marmot ! s’exclama le père Blanchon.

- C’est sûr, il a dû faire le trajet jusqu’ici sans rien dans l’ventre ! rajouta sa femme.

- Oui, je l’avoue, et c’est pas la tambouille du front qui nourrit son homme ! Je vous remercie madame, c’était vraiment très bon ! Ça fait longtemps que je n’avais pas mangé un vrai repas…

- J’suis ravie que ça te plaise mon garçon ! lui dit mme Blanchon.

Le passage au tutoiement fit sourire Terry.

- Est-ce que je pourrais avoir mon sac, s’il vous plait ? demanda Terry.

- Tiens petit…lui donna le patriarche.

- Merci. Je voulais vous remettre les effets personnels d’Etienne. Il y a sa solde, quelques vêtements et les lettres que vous lui avez écrites.

Mme Blanchon serra les affaires contre elle en versant quelques larmes. Terry lui prit affectueusement la main.

- Je suis sûr qu’Etienne veille sur nous tous de là où il est…dit Terry.

- Tu as raison mon garçon, lui dit le père Blanchon.

Mme Blanchon serra Terry contre elle mais pas trop, pour ne pas lui faire mal. Elle avait l’impression de serrer son fils ; son mari fit de même.

Dans les jours qui vinrent, Terry et les Blanchon firent plus ample connaissance. Lui qui n’avait pas de famille stable, était content d’en avoir une, provisoire. C’est ainsi que Terry connut la famille Blanchon et celle-ci connut celle du jeune homme.

Les parents d’Etienne s’attachèrent très vite à Terry, si bien que la séparation fut difficile. Mais le jeune acteur promit de revenir les voir une fois la guerre finie. C’est le cœur serré qu’il s’en alla car pour la première fois de sa vie il avait eu l’impression d’avoir une vraie famille…

Ces quelques jours de repos lui avait permis de se rétablir complètement. Il rejoignit son régiment au début du mois de novembre 1916. C’est la période où les Français connurent quelques succès après la reprise de Douaumont et du Fort de Vaux. L’espoir animait de nouveau les cœurs…

Ch 23 : Moments de trêve

Hôpital volant, quelque part vers Laon…

Candy écrivit à Sœur Maria et Melle Pony. Il était possible qu’une bonne nouvelle arrive d’ici peu. Les deux femmes avaient eu raison de croire à une fin prochaine de la guerre. L’infirmière avait négligé ses amis à Chicago, faute de temps. Elle s’empressa de leur écrire aussi. La nouvelle des victoires françaises fit plaisir à Albert et aux autres. Par contre, ils furent peinés d’apprendre que Terry s’était engagé comme volontaire en France. Albert avait deviné que c’était pour Candy qu’il l’avait fait. L’amour faisait disparaître toutes les peurs.

Même s’il n’approuvait pas du tout la décision de Terry, il comprenait.

Archibald avait toujours trouvé Terry arrogant et prétentieux mais là, il le surprenait beaucoup. Il commençait à changer d’avis sur lui.

Le jeune dandy se sentait presque misérable face à l’acteur, même Annie participait indirectement à cette guerre mais lui, ne faisait rien. Pourtant, à plusieurs reprises, il avait tenté de se porter volontaire mais à chaque fois, Albert l’avait empêché d’y aller. Le chef du clan André ne tenait pas à perdre un nouveau membre de la famille. Après Alistaire, Niel dont il n’avait plus de nouvelles, Archibald était le seul André vivant après lui.

Albert détestait par-dessus tout la guerre. Pourquoi des hommes devaient-ils se battre ? Les Allemands avaient tous les torts et il priait pour que la France remporte l’issue de ce combat. A y regarder de près, la décision de Terry de s’engager était pure folie. Etait-il entrain de regretter son geste ? Sûrement pas. Tel qu’il le connaissait, le jeune homme remuerait ciel et terre pour retrouver sa chère Candy. Albert espérait de tout cœur que son ami ne commettrait pas d’imprudence.

Ce dernier était justement dans le feu des combats ; avec son régiment, il avait repoussé l’ennemi jusqu’à St Quentin, près de Laon. Il ne savait pas que Candy se trouvait tout près de là.

L’infirmière avait eu affaire à un soldat complètement déchaîné un matin. Il venait d’apprendre par courrier que sa femme avait une liaison avec un autre homme et qu’elle demandait le divorce pour vivre avec son amant. Elle l’avait mis dans une rage folle.

Candy essaya de le raisonner mais en vain. Il refusait les médicaments et arrachait les tuyaux.

Il fallut plusieurs aides-soignants pour le contenir. Il fut attaché sur son lit. Il pleurait de rage ou ne parlait pas pendant des heures. Aucune des infirmières n’osait l’approcher, seule Candy venait le voir de temps en temps mais elle se tenait à distance pour ne pas recevoir le plateau repas sur la tête ! Elle en avait fait l’expérience au début de l’arrivée du soldat.

Ce jour-là, elle voulait le forcer à manger car il n’avait rien avalé depuis plusieurs jours. Devant son refus, elle se proposa de le faire manger. Elle le détaché et c’est à ce moment là que le soldat se mit en colère et lui envoya le plateau repas au visage. Par chance, elle ne fut pas blessée.

Le médecin en chef la sermonna un peu en lui demandant de ne pas trop importuner les blessés et de ne pas les forcer à manger s’ils ne voulaient pas.

Après plusieurs jours, la morphine eut raison du blessé.

Le soldat se calma instantanément. Il n’avait presque plus d’accès de colère mais une immense tristesse perdurait dans son regard. Il était venu pour soigner une oreille arrachée à la baïonnette mais il aurait préféré qu’on lui arrache les yeux pour ne pas avoir eu à lire cette maudite lettre.

Candy était désolée pour ce pauvre soldat. La vie avait été cruelle. Elle sut plus tard que la femme ne supportait plus l’éloignement et qu’elle aurait craqué pour un homme du village voisin. Ce dernier était attentionné et voulait qu’elle devienne sa femme. Il savait qu’elle était mariée et que son mari était au front mais ça ne l’avait pas découragé. Candy pensait que ça ne pouvait pas être un mariage d’amour, basé sur une confiance réciproque et de la patience, mais elle garda son opinion pour elle.

« J’espère qu’à cause d’une femme, il ne va pas détester toutes les autres ! »

Le mois de novembre passa à toute vitesse. Un jour, un aide-soignant arriva en courant, un journal à la main.

- Regardez, les forces ennemies offrent de négocier la paix ! hurla t-il.

Cette nouvelle fit l’effet d’une bombe, si l’on peut parler comme ça en temps de guerre…

Candy faillit sauter de joie mais le médecin chef lui dit de ne pas crier victoire trop vite. En effet, les Alliés n’avaient pas encore accepté, c’était juste une proposition et on ne connaissait pas les conditions. Pourtant au plus profond d’elle, la jeune femme gardait espoir.

Dans le régiment de Terry, c’était aussi l’effervescence. Philippe tirait à pile ou face pour savoir s’il y aurait une réponse concrète mais la pièce retombait toujours au milieu. Enervée, il remit la pièce dans sa poche. Les questions fusaient dans le régiment.

- Terry, t’en penses quoi toi ? lui demanda Bernard.

- A mon avis, tant qu’il n’y a pas de pourparlers, rien n’est sûr…

- Je suis d’accord avec toi, on ne peut jamais savoir ce que nous réserve la vermine Boche !

- Bigre, qu’est ce que j’ai faim ! soupira Philippe.

- T’es pas le seul ! rajouta Bernard.

- Je donnerais n’importe quoi pour avoir un bon morceau de viande ! soupira Maurice.

- Mon pauvre Maurice, ce serait déjà bien si on avait des patates ou des conserves alors de la viande, je n’ose même pas en rêver ! s’exclama Bernard.

En effet, à la fin de l’année, les vivres s’amenuisaient. La ration du soldat n’était déjà pas terrible, il fallait que la nourriture se fasse rare.

Deux semaines après, on apprenait le rejet des négociations qui n’étaient pas suffisamment précises, selon les pays de l’Alliance. Ce fut un coup dur pour les forces alliées. Une nouvelle année allait s’achever alors que l’espoir d’une paix prochaine disparaissait peu à peu.

Pourtant, il arriva une curieuse chose à la St Sylvestre. Personne n’avait le moral et on se consolait avec de la bière et de l’eau-de-vie.

Soudain, de la tranchée adverse, on vit un petit mouchoir blanc se lever, un autre et encore un autre. Terry se demanda si ce n’était pas les effets de l’alcool. Il se frotta les yeux mais c’était bien la réalité.

Les Allemands demandaient une trêve pour la veille du Nouvel An. Le régiment de Terry, après un bref moment de consultation, accepta et chacun sortit aussi un mouchoir blanc. Cette nuit fut magique. Les deux camps ennemis trinquèrent ensemble même s’ils ne se comprenaient pas. Après tout, on était tous des êtres humains et peut-être que les Boches en avaient assez de la guerre eux aussi.

Heureusement que les supérieurs n’étaient pas là, ils n’auraient pas vraiment apprécié ce genre de « camaraderie » !

Ch 24 : Georges

L’année 1917 ressemblait aux précédentes. La seule chose qui changeait, c’est que cela faisait maintenant trois ans que les combats avaient commencé. Certains soldats pensaient avoir gâché trois ans de leur vie, d’autres, à force d’attendre une future paix commençaient à devenir fou, si ce n’était déjà fait !

Ces premiers jours de l’année passèrent sans nuages. L’ennemi campait sur ses positions, personne ne savait ce que tramait les Boches. En attendant, leurs canons et leurs mitrailleuses restaient silencieux. Des soldats profitèrent de cette accalmie pour écrire à leur famille. Terry reçut un colis de Suzanne avec des conserves et des friandises. Elle s’excusait du retard car il y avait un problème de liaison entre les deux pays. Parfois, les colis étaient interceptés par les Allemands. Terry en fit profiter ses camarades. Il écrivit aussitôt une lettre de remerciements.

Dans l’après-midi, ils jouèrent aux cartes. Bernard proposa une cigarette à Terry qui refusa. Il lui montra l’harmonica que Candy lui avait offert et lui raconta comment il avait arrêté de fumer.

- Décidément, tu as trouvé une perle rare Terry !

Cette remarque fit rire ce dernier. L’écho de son propre rire l’étonna ; cela faisait bien longtemps qu’il ne l’avait pas fait.

Bientôt le régiment changea de région. De Péronne dans la Somme, ils descendirent à Compiègne dans l’Oise. Terry entendit parler de Jeanne d’Arc. Etant d’origine anglaise, cela le gênait que ses compatriotes se soient conduits comme des sauvages et qu’ils aient brûlé une jeune femme innocente qui ne faisait que défendre son pays. Lui qui n’avait jamais été porté par les études sauf le théâtre était fasciné par sa vie.

La nuit même, il rêva d’une Jeanne d’Arc qui avait pris les traits de Candy. Pour lui, sa petite tache de son aurait très bien pu lever une armée pour sauver son pays, courageuse et têtue comme elle était !

Cette année-là, les combats se passèrent dans la forêt. Il fallait dresser des campements rapidement pour s’abriter. Les soldats avaient pris vite l’habitude de monter et démonter ces abris de fortune. Les mains et les jambes étaient mises à rude épreuve.

Georges écrivit une lettre à son fils de dix ans. Les autres se moquaient souvent de lui car il en écrivait une pratiquement tous les deux jours ! Terry, lui, ne se moquait pas. Il l’enviait même, d’avoir épousé la femme qu’il aimait et d’avoir eu une enfant avec elle. Georges encourageait son fils à devenir un homme, il lui prodiguait de bons conseils. Il s’excusait de ne pas être près de lui mais il faisait son devoir en tant que bon citoyen, défenseur de sa patrie. Il voulait que son fils soutienne sa mère, qu’il l’aide à soulager sa peine.

Bien que très croyant, Georges avait le pressentiment qu’il ne s’en tirerait pas mais il ne voulait rien laisser paraître. Il surmontait sa peur en priant. Terry admirait son courage ; lui qui voulait à tout prix chercher à revoir Candy, avait abandonné l’idée de le faire. En effet, il pensait qu’il fallait être patient comme Georges, même si ce dernier croyait ne pas réchapper de cette guerre.

Malheureusement pour lui, l’intuition de Georges ne l’avait pas trompée. Son régiment se retrouva dans une tranchée au moment d’une action contre l’ennemi. Soudain, un avion qui tournoyait dans le ciel depuis quelques minutes les repéra et commença à cracher une pluie d’obus. L’un d’eux toucha le rebord de la tranchée si bien que Terry et ses camarades se retrouvèrent complètement ensevelis sous un tas de décombres de pierre et de terre.

Les soldats commencèrent à étouffer dans l’obscurité. Terry et Bernard étaient sains et saufs, ils avaient juste avalé un peu de terre. Ils appelèrent les autres. Maurice et Philippe gémirent. Ils avaient les jambes coincées sous un amas de bois, mais on n’entendait pas Georges. Rapidement, Terry et Bernard creusèrent la terre avec les mains. Il fallait absolument se sortir de là sinon c’était la mort.

Enfin, ils virent un rayon de soleil et creusèrent plus énergiquement. Ensuite, ils dégagèrent et aidèrent leurs camarades. Heureusement pour eux, Philippe et Maurice n’avaient rien de cassé, ils étaient juste choqués. Mais Georges avait les poumons et la gorge percés par des éclats de bois ; ses camarades ne purent rien faire pour lui. Il succomba à ses blessures alors que les autres le sortaient des décombres. Tout le monde était peiné mais Bernard était furieux.

Il leva son poing, les larmes aux yeux et cria :

- Maudits Boches, vous n’allez pas vous en tirer comme ça, même si je dois vous exterminer de mes propres mains !! Je vous mènerais la vie dure !!

Terry posa une main sur son épaule.

- Allez viens Bernard, allons enterrer notre pauvre Georges avant que l’ennemi ne revienne…

Le reste du régiment était en arrière. Le commandant avait été mortellement touché à la tête lors d’une précédente attaque et c’était donc un peu le désordre dans les rangs. Seul Terry et ses proches camarades restaient soudés. Mais Etienne était mort et maintenant c’était le tour de Georges. Terry plaignait sa femme et son fils. Lui, son père l’avait négligé, mais s’il ne l’avait pas eu, il n’aurait pas eu la chance de mener cette vie, de rencontrer Candy…

« Que la vie est cruelle parfois… » pensa Terry.

Aucun d’entre eux ne put prendre de jours pour aller annoncer la mauvaise nouvelle à la famille de Georges. Ils décidèrent de faire une lettre commune où ils louaient les exploits de leur ami en précisant qu’il était mort en héros.

Terry serra les poings…

« Qui sera le prochain sur la liste ? Combien cette maudite guerre va-t-elle réclamer de soldats ? »

Personne ne trouva le sommeil cette nuit-là. Une étoile brillait plus que les autres au dessus d’eux. Terry et ses amis se dirent que c’était peut-être l’âme de Georges qui veillait sur eux…

Ch 25 : La rencontre surprise

De son côté, Candy n’était pas loin de penser la même chose que Terry. Elle se trouvait maintenant à Soissons, dans un hôpital volant. Les voyages d’une région à l’autre ou d’une ville à l’autre étaient particulièrement éprouvants. Les routes étaient souvent cabossées ou trouées par les obus.

Elle ne savait pas que seulement quelques kilomètres la séparaient de Terry. Pour l’instant, elle pansait une blessure à la tête. Le matin, des sœurs et leur mère supérieure avaient enterré des soldats qui avaient succombé à leurs blessures. Ces malheureux n’étaient guère plus âgés que Candy. Ils avaient sûrement une famille qui espérait les voir revenir sains et saufs. Le plus dur était de leur annoncer la mauvaise nouvelle.

C’est Candy qui les avait accueillis à leur arrivée dans un camion de la Croix Rouge. Ils étaient déjà mal en point mais elle pensait qu’ils avaient encore une chance d’être sauvés. Malheureusement ce n’était pas le cas. Et Terry ? Que se passait-il dans la Somme ? Elle ne savait pas qu’il était plus proche qu’elle ne le pensait. Les nouvelles arrivaient au compte-gouttes. Est-ce qu’il était blessé ? Elle espérait que non.

C’est alors qu’elle reçut une lettre. Elle arrivait de la Somme et avait été transférée de Laon à Soissons. Une lettre de Terry ! En effet, ce dernier l’avait écrite il y a un mois mais l’acheminement entre plusieurs zones de combats avait été difficile donc elle ne la recevait que maintenant. Elle s’empressa de l’ouvrir.

« Chère Candy,

Quand Bernard m’a dit qu’il t’avait vue, je n’avais qu’une envie : venir te voir. Mais je n’ai pas pu. Mon régiment est constamment en déplacement et je ne peux pas te donner d’adresse fixe pour que tu me répondes. J’étais fou d’inquiétude quand tu ne m’as plus donné signe de vie pendant plusieurs semaines. J’ai donc décidé de m’engager comme volontaire pour pouvoir te retrouver. J’espère que tu ne m’en veux pas trop. J’ai pris cette décision sur un coup de tête mais maintenant je ne regrette pas d’être venu ici. Non pas que j’aime me battre mais je comprends mieux ce que ressentent les Français en les côtoyant tous les jours et je suis fière de pouvoir leur donner un coup de main. La vie est dure mais j’ai un régiment formidable et on se serre tous les coudes dans le malheur. De plus je parle le français presque couramment !

En espérant te revoir bientôt, je t’embrasse ma taches de son. Prends bien soin de toi. 

Terry »

Elle ne put s’empêcher de verser quelques larmes. Terry, mon Terry…mais non mon gros bêta, je ne t’en veux pas, j’ai juste peur pour toi ! Je suis contente que tu aies des amis pour te soutenir. Moi qui pensais qu’il n’était pas sociable, il s’est plutôt vite lié d’amitié avec des gens ! La difficulté rapproche. Tant mieux…je suis sûre que nous nous reverrons, il faut juste être un peu patient !

A peine eut-elle fini de lire la lettre, qu’un autre camion de la Croix Rouge arriva. « J’espère que ce ne sont pas des blessés graves ! »

Quand elle sortir de la tente, elle vit un groupe de soldats britanniques et reconnut avec surprise Charly.

- Charly ??

Ce dernier releva la tête, il se faisait aider par un infirmier qui le mettait sur une civière. Il avait une vilaine blessure à la cuisse droite.

- Candy, si je m’y attendais !

Il grimaça quand le brancardier lui déplaça la jambe. Une fois à l’intérieur, Candy prit la relève et s’occupa de lui.

- Charly, comment t’es-tu retrouvé ici ?

- Figure-toi qu’une fois que je suis sorti de prison, j’ai vagabondé à droite et à gauche mais j’ai écouté tes conseils et j’ai arrêté de voler.

- Bravo, ça n’a pas dû être une décision facile à prendre…

- Eh oui, mais j’ai tenu la promesse que je t’avais faite. Quelques temps après, j’ai vu une affiche qui disait qu’on avait besoin de volontaires pour la France. J’ai choisi de m’engager comme volontaire dans l’armée Britannique car j’ai rencontré un officier en perm à New York. Il a été rappelé immédiatement dans son régiment. Je lui ai demandé si je pouvais venir avec lui, il a accepté et j’ai pu intégrer son régiment. On a très vite sympathisé. Ça fait trois ans que je suis en France et la vie dans les tranchées n’est pas des plus faciles, on ne s’y fait pas totalement. Tout à l’heure, il y a eu un assaut de mon régiment conte le camp adverse. On a eu de terribles combats au corps à corps. C’est là que j’ai reçu un coup de baïonnette à la cuisse. Je n’ai eu pas mal sur le coup mais j’ai perdu beaucoup de sang et je me suis évanoui. J’ai repris connaissance dans le camion de la Croix Rouge. Apparemment, selon le premier diagnostic des médecins, l’artère fémorale n’est pas touchée, je suppose que je l’ai échappée belle !

- Oh oui ! Ne t’inquiète pas Charly, on va bien prendre soin de toi ici.

- Je te fais confiance Candy ! Mais dis-moi, depuis quand es-tu ici ?

- Mon hôpital voulait envoyer des volontaires pour le front et je me suis proposée. Comme toi, ça fait trois ans que je suis en France.

- Et c’est la première fois qu’on se croise…

- Oui, j’aurais préféré ne pas te voir ici parce que ça suppose que tu sois blessé…

- C’est vrai mais je suis entre de bonnes mains ici, n’est ce pas infirmière Candy ? dit-il en clignant de l’œil.

- Bien sûr, je vais te donner un peu de morphine en attendant, ainsi qu’un sédatif léger. Le médecin chef te recoudra.

- C’est un beau programme mais s’il te plait, ne me donne pas de détails ! Au fait, tu as des nouvelles de Terry ? Je suppose qu’il a dû faire des pieds et des mains pour ne pas te laisser partir !

- Heu…tu sais, on s’est séparé…c’est une longue histoire, je te la raconterais une autre fois. Je sais qu’il se trouve quelque part par ici en tant qu’engagé volontaire dans l’armée française.

- Terry dans l’armée française ?! Ça alors, je n’arrive pas à la croire ! Mais qu’est ce qui lui a pris ?

Candy lui fit lire la lettre qu’elle venait de recevoir.

- Hum…je crois que vous avez encore une chance…

- Une chance ?

- Oui, d’être à nouveau ensemble !

- Je ne sais pas Charly. Il y a Suzanne, la jeune femme qui a sacrifié ses jambes et sa carrière pour lui.

Et Candy lui raconta brièvement les circonstances de sa rupture avec Terry.

- Eh bien, c’est un vrai chantage tout ça ! On ne peut pas appeler ça de l’amour ! Franchement Candy, ce n’est pas fini entre vous, d’autant plus que vous aimez encore !

- La situation est compliquée Charly, seul l’avenir nous le dira…

- Tu as raison mais ne perds pas espoir. Oh, je me sens tout drôle…

- C’est la morphine qui fait son effet. Repose-toi, je vais chercher le médecin.

Une heure plus tard, les points de suture étaient faits et Charly dormait profondément. En quelques semaines, il ne souffrait plus. Il avait eu beaucoup d’occasions pour discuter avec Candy. Il pensait aussi à une future réconciliation avec sa mère. Il l’avait injustement abandonnée des années plus tôt. C’est en France qu’il s’est rendu compte de l’importance de l’amour maternel. Il regrettait tout et avait écrit à sa mère pour lui demander pardon. Elle lui avait répondu combien elle était heureuse d’avoir de ses nouvelles et de voir qu’il était devenu un bon garçon.

« Terry serait surpris et heureux pour lui… » pensa Candy.

Sa blessure commençait à cicatriser et Charly fut donc envoyé en maison de repos pour récupérer complètement…

 

© Nanou 2007