Candy, une infirmière sur le front
Par Nanou

 

 

Ch 11 : Une nouvelle vie

Le lendemain, Candy fut parmi les premières à se lever. Bien que mise au courant par le médecin chef, elle fut surprise du grand nombre de blessés. Il y en avait de toutes sortes : des borgnes, des boiteux, des manchots, des gazés, des paralysés. Ceux qui impressionnèrent le plus la jeune femme furent les « gueules cassés ». C’était des soldats qui avaient des très graves blessures au visage, certains n’avaient plus rien entre le nez et le menton, d’autres n’étaient plus que lambeaux de chair. Elle ne put qu’admirer leur courage car ils souffraient en silence, certains chantaient même.

L’arrivée de nouvelles infirmières n’était pas pour leur déplaire, beaucoup n’avaient pas vu femmes et enfants depuis plusieurs mois et cette présence féminine leur était d’un grand réconfort.

En deux semaines, Candy, par sa gentillesse et son naturel, avait su charmer les blessés. Elle savait écouter et les soigner avec dévouement, les faire rire aussi pour leur faire oublier leur quotidien. Certains lui demandaient même de leur parler de son Amérique, ce grand pays qu’ils n’avaient vu qu’en photographies dans des livres. Les sœurs et les autres infirmières furent aussi conquises.

Des soldats s’enhardirent jusqu’à lui compter fleurette mais ils comprirent très vite qu’elle n’était pas intéressée !

Candy profitait de la pause déjeuner pour écrire à ses amis et à ses bienfaitrices, elle avait beaucoup à leur raconter sur ce qui s’était passé ces quinze derniers jours mais elle ne voulait pas non plus les inquiéter. Alors contrairement à sa première idée, elle évita de leur raconter les détails de son arrivée tumultueuse à l’asile. Elle n’oublia pas d’écrire à Terry puisqu’elle lui avait promis de le faire.

Tout autour de l’orphelinat, il y avait un immense jardin. Candy aimait s’y promener pendant les rares moments de repos. Aujourd’hui, tout était calme, plein de vie. Comment croire qu’à quelques kilomètres de là, des hommes s’entretuaient pour une cause que chacun croyait juste ?

Candy en voulait aux pays gouvernants qui auraient pu éviter cette guerre et sauver beaucoup de vies. En même temps, elle se disait que peu importe son opinion, la guerre était là, sans espoir de rémission pour le moment. Les journées se passaient entre le soin aux blessés, les lettres aux familles et les discussions avec le personnel médical. Le courrier était une sorte de thérapie. Les soldats avaient besoin de se confier, de parler.

A Chicago, Albert, ainsi qu’Annie et Archibald furent soulagés d’avoir de ses nouvelles, la situation ne s’arrangeait pourtant pas en France. Candy avait aussi écrit une longue lettre à Melle Pony et Sœur Maria pour leur dire de ne pas s’inquiéter et que même la situation n’était pas des plus idylliques, elle n’avait pas trop à se plaindre.

Ces dernières furent très heureuses de ses nouvelles. Elles priaient beaucoup pour elle et pour les nombreux soldats en proie à la détresse, la solitude et l’angoisse de la mort. Les deux femmes lisaient les lettres de Candy à haute voix, en gardant Capucin sur leurs genoux. Comme s’il comprenait, l’animal couinait de plaisir, heureux d’avoir des nouvelles de sa maîtresse.

Certains des soldats qui se retrouvaient blessés, voulaient à tout prix revenir sur le front pour continuer le combat, le discours de leurs supérieurs étant ancrés dans leurs têtes. « Il faut sacrifier sa vie pour l’avenir de la France »

Un fantassin, affreusement mutilé, dit qu’il faut juste obéir aux ordres, qu’il n’attend ni décoration, ni gloire. D’autres par contre, parlent de l’absurdité de la guerre, que les gens ne sont pas dignes qu’on se sacrifie pour eux. En effet, ceux-là ont pu obtenir une permission pour voir leur famille. Mais l’accueil qui leur fut réservé fut glacial, des amis étaient même étonnés qu’ils soient encore en vie !

Candy était souvent bouleversée par ce qu’elle entendait. Ces soldats souffraient non seulement de leurs blessures, mais aussi d’un manque d’amour et de chaleur humaine. Le soir, quand elle revenait de son tour de garde, elle écoutait au loin le bruit du canon, le fameux 75, fierté de l’armée française. Combien de temps encore va durer cette horreur ?

Le lendemain, Candy fut réveillée par les sœurs. Deux soldats étaient morts de leurs blessures très tôt le matin et d’autres blessés arrivaient. Elle avait beau vouloir s’endurcir, Candy ne pouvait s’empêcher d’avoir des larmes aux yeux. Il fallait prévenir leur famille, l’un avait une femme et des enfants, l’autre n’avait plus que sa mère. Le téléphoniste se chargeait de transmettre le courrier aux proches. Quelques soldats mieux portants, enterrèrent leurs camarades sous la présence d’un prêtre. On improvisa des cimetières là où on pouvait.

Quant à ceux qui sont arrivés le matin, ils faisaient peine à voir. C’étaient des fantassins de première ligne, touchés pendant un assaut contre le camp adverse. L’un avait la jambe déchiquetée par un obus, un autre, touché à la tête, avait de la fièvre et délirait. Il y avait un sérieux travail de chirurgie à faire sur la jambe du premier. Le pauvre souffrait énormément et il fallait le retenir pur lui faire un piqûre de morphine.

Le deuxième avait l’air de moins souffrir mais sa blessure était plus grave. Il ne devait pas avoir plus de dix-huit ans. Les médecins ne lui donnaient que quelques heures à vivre, et encore. La mère supérieure resta à son chevet, lui tenant la main et récitant des prières. Au bout d’un moment, il y eut un silence, le malheureux avait quitté ce monde. Celui qui était blessé à la jambe dormait profondément, comme si tout cela n’était qu’un cauchemar…

Candy fut appelée à la salle principale, une lettre venait d’arriver pour elle. C’étaient Annie et Archibald qui donnaient de leurs nouvelles. Cette lettre fut d’un grand réconfort pour la jeune femme après tous ces évènements dramatiques. Ses amis exprimaient leur soulagement de la savoir en bonne santé. Albert avait aussi écrit quelques lignes de sa main. Il lui demandait de garder espoir en une paix prochaine, d’être prudente aussi. Annie lui parla de Patty qui avait décidé de rejoindre la Croix Rouge comme bénévole.

« La Croix Rouge…Patty…tu es devenue très courageuse avec le temps, tu veux te dévouer pour les autres comme je le fais…Alistair serait fière de toi s’il te voyait ! Je ne sais pas où tu es en ce moment mais j’espère que nous nous reverrons… »

Ch 12 : La dispute

A New York, la logeuse de Terry lui apporta son courrier. Il reconnut tout de suite la petite écriture ronde sur une des enveloppes. Il se dépêcha de l’ouvrir et parcourut avidement la lettre. Candy omettait de lui parler de son arrivée plutôt mouvementée en France. Elle lui dit simplement qu’elle n’avait pas beaucoup de temps pour elle, qu’elle n’avait jamais vu autant de blessés et de morts. Elle lui dit aussi de bien prendre soin de lui et de Suzanne. Elle n’avait pas osé mettre un mot doux à la fin de la lettre, de peur que Suzanne ne tombe dessus et demande des explications au jeune homme. Terry serra la lettre contre lui. « Chère Candy…tu trouves encore le temps de penser aux autres…merci pour cette lettre réconfortante mais je me fais quand même du souci pour toi. »

Quant à Suzanne, elle harcelait Terry pour qu’il lui donne une réponse au plus vite, si bien que celui-ci passait le plus clair de son temps en ville, loin d’elle, et ne rentrait qu’à des heures tardives. Il n’avait pas recommencé à boire. Il n’oublierait jamais sa dernière cuite, où il avait été malade pendant deux jours !

Suzanne s’impatientait, elle avait l’impression que Terry reculait l’échéance chaque jour. Elle ne savait pas quand il rentrait. A bout de nerfs, elle décida de l’attendre au théâtre. Terry eut un petit soupir en la voyant mais ne laissa rien paraître de son agacement.

- Suzanne, mais que fais-tu là ? Tu aurais pu me faire appeler, je serais venu.

- Non, il fallait que je te voie Terry. Ca ne peut plus durer, il faut qu’on parle !

- Ecoute Suzanne, tu ne voudrais pas que l’on aille ailleurs, je ne veux pas que tout le monde entende ce que tu as à me dire.

Certains acteurs, jaloux de lui, avaient un sourire moqueur aux lèvres. Certains pensaient même qu’il allait se faire disputer et disaient « Bien fait ! » La popularité de Terry et son talent y étaient pour beaucoup.

- Pourquoi pas ? Au moins comme ça, tu éviteras de te défiler ! cria Suzanne.

- Je t’en prie Suzanne, pas ici !

- Très bien, allons chez moi !

- Je suis d’accord.

Une fois arrivé là-bas…

- Terry, cela fait plusieurs semaines que tu refuses de me parler, on dirait que tu m’évites !

- Mais pas du tout Suzanne…

- Arrête Terry, ça suffit ! Je voudrais que tu me donnes une réponse maintenant !

- Suzanne, ne te mets pas dans cet état, je t’en prie !

- Terry, pour la dernière fois, donne moi une réponse !

- Je ne peux pas Suzanne…

- Pourquoi ?! A cause de Candy ?

- Non tu te trompes !

- Alors pourquoi es-tu sur la défensive ?

- Je ne le suis pas Suzanne, je ne peux tout simplement pas te donner de réponse !

- Ce n’est pourtant pas difficile de dire oui ou non !

- Alors ce sera non !

- Quoi ?! Tu ne veux pas m’épouser ?

- Tu as bien compris Suzanne ! Oh mon Dieu !

Suzanne était tombée du fauteuil roulant en s’évanouissant.

- Suzanne, réponds moi, Suzanne !

Terry fit venir le médecin qui fut suivi de Mme Marlowe.

- Suzanne, mon enfant que lui est-il arrivé ? Terrence, que lui avez-vous fait ? cria la mère de la jeune femme.

- Madame, calmez-vous, je vais l’ausculter, veuillez sortir tous les deux.

Dans le salon, Mme Marlowe foudroyait Terry du regard, ce dernier baissa la tête, incapable de lui tenir tête. Au moment où elle s’apprêtait à lui faire des reproches, le docteur sortit de la chambre de Suzanne.

- Elle n’a rien, juste un petit peu choquée. Je lui ai donné un tranquillisant, elle devrait se réveiller dans quelques minutes.

- Merci infiniment docteur, lui dit Mme Marlowe.

Une fois que le médecin fut parti…

- Maintenant Terrence, dites-moi ce que vous lui avez dit pour la mettre dans un tel état ! />

- Ne parlez pas si fort madame, elle risque de se réveiller !

- N’essayez pas de changer la conversation et dites moi la vérité !

- Très bien je…

Il s’arrêta car Suzanne venait de se réveiller.

- Maman ?

- Oui ma chérie ?

- J’aimerais que tu nous laisses en tête à tête Terry et moi.

- Mais tu es sûre Suzanne ?

- Oui maman, ne t’inquiète pas.

- Très bien, si c’est ce que tu veux…je suis dans ma chambre si tu as besoin de moi…

- Merci maman.

Avant de sortir, elle jeta un regard dur vers Terry et les laissa ensemble.

- Terry, ce que tu m’as dit tantôt est très cruel !

- Suzanne, je te demande pardon mais tu ne m’as pas laissé le choix.

- Si ! Terry, tu es ma seule raison de vivre, sans toi, à quoi bon continuer.

- Suzanne…

- Terry, sois franc avec moi, qu’est ce qui te pousse à refuser ? Non, ne me réponds pas…je sais que tu n’es plus le même depuis que tu as vu ce maudit journal avec la photo de Candy !

- Suzanne…

- Je pensais qu’avec le temps et l’éloignement, tu l’aurais oublié mais je me suis trompée…Le proverbe « loin des yeux, loin du cœur » ne s’applique pas à ton cas !

- Je vais être franc avec toi Suzanne, Candy a beau être loin de moi, mes sentiments pour elle n’ont pas changé. Je vais t’avouer quelque chose, je l’ai revue sur le port de New York peu avant son départ. En fait, comme j’ai su que son bateau partait d’ici par le journal, je suis allé la voir pour lui faire changer d’avis, en vain…C’est là que je me suis rendu compte que je l’aimais encore plus qu’avant…

- Merci de ta franchise Terry…et elle, est ce qu’elle éprouve encore quelque chose pour toi ?

- Je ne sais pas, mais je ne pense pas que je lui sois indifférent, après tout ce que nous avons vécus…

- Terry, je ne pourrais jamais vivre sans toi…mieux vaut que tu me tues maintenant, comme ça tu pourras agir à ta guise sans que je sois un boulet pour toi !

- Arrête de dire des bêtises Suzanne, je veux que tu vives…

- Je ne le pourrais que si tu es à mes côtés…

- Je t’ai promis de rester près de toi Suzanne, rappelle-toi. Je m’occuperais toujours de toi mais ne me demande pas de t’épouser !

- Pourquoi Terry, à cause de tes sentiments pour Candy ?

- J’ai fait le choix un jour de prendre soin de toi et je tiendrais ma promesse Suzanne. J’aime Candy, c’est vrai mais ce n’est pas pour ça que je ne veux pas me marier avec toi, c’est juste que je n’en aie aucune envie et je trouve que nous sommes trop jeunes pour ça !

- Mais ma mère nous a donné son consentement Terry…tu n’as qu’un mot à dire !

- Suzanne, j’ai des projets pleins la tête, je veux devenir l’acteur le plus célèbre de ce pays et je dois m’en donner les moyens, je n’aurais pas le temps de m’occuper de quelqu’un…

- Maman est là, ne l’oublie pas…

- Je ne peux pas t’offrir la vie dont tu rêves Suzanne, essaie de comprendre…

- Je veux juste être à te côtés, de soutenir…

- Et tu le fais très bien mais je te supplie de ne pas me forcer à t’épouser…

Devant le regard déterminé du jeune homme, Suzanne dut s’avouer vaincue. Des larmes coulèrent sur ses joues.

- Terry, promets-moi de ne jamais me quitter… je ne pourrais pas le supporter !

- Je te le promets Suzanne…dit-il en la prenant dans ses bras.

Terry resta à côté d’elle jusqu’à ce qu’elle s’endorme puis il la quitta.

« Suzanne est quelqu’un de très fragile, elle s’accroche à moi, je suis sa seule raison de vivre…J’ai de la peine pour elle, mais je n’arrive pas à l’aimer comme elle le voudrait que je le fasse…mon cœur appartient encore à Candy malgré notre séparation et même si nous ne pourrons jamais être ensemble, je continuerais à l’aimer ! Oh Seigneur, donnez-moi la force de supporter cette situation ! »

Ch 13 : La décision d’Annie

Nous étions au mois de septembre. L’empereur d’Allemagne, Guillaume 1er avait reçu un avertissement du gouvernement Américain qui voulait que les navires transportant des non- belligérants soient protégés.

La nouvelle était dans tous les journaux. A Chicago, Albert ne fut pas content d’apprendre la nouvelle. Si les Etats-Unis menaçaient l’Allemagne, c’était le signe qu’ils allaient entrer en guerre très prochainement ; il fit part de ses inquiétudes à Archibald. Ce dernier n’était pas plus rassuré, il pensait beaucoup à Alistaire actuellement.

- Croyez-vous que nous allons être engagé d’office ? demanda t-il à Albert.

- Je ne le pense pas Archibald, en tout cas pas pour l’instant. Mais si la situation en Europe continue à empirer, il manquera de soldats…, répondit Albert, le front barré d’un pli soucieux.

- Quand je pense à Candy, au milieu de cette tourmente, je ne peux pas m’empêcher de frissonner ! dit le jeune Dandy.

- Tu as raison, elle a beaucoup de courage. Puisse Dieu la protéger dans cette épreuve…murmura Albert.

Au même moment, Annie avait elle aussi lu le journal. Depuis quelques temps, elle avait perdu l’espoir que cette guerre s’arrête de sitôt. Elle pensait même y participer. Certaines usines américaines fabriquaient de l’armement à destination de l’Europe et elle s’était dit qu’elle pourrait donner un coup de main. Elle avait lu qu’en France, les femmes reprenaient le travail des hommes dans les usines alors pourquoi pas ici ? Certes, les femmes qui y travaillaient ne faisaient pas partie de la bourgeoisie mais Annie se disait que peu importe son rang, elle devait aider son pays par tous les moyens.

Le soir, elle discuta de son projet avec Archibald et ses parents. Mme Brighton était totalement contre tandis que son mari approuvait l’initiative d’Annie. Sa mère ne comprenait pas sa décision, lui disant que ce n’était pas un travail pour une femme, surtout une femme de son rang. Son père savait que Candy avait beaucoup d’influence sur elle, même à des milliers de kilomètres d’ici. Archibald, quant à lui, n’en revenait pas que sa fiancée ait eu une telle idée. Il lui demanda si elle avait bien réfléchi, que ce n’était pas un travail facile et avec peu de temps de repos.

Malgré les avertissements d’Archibald et les pleurs de sa mère, Annie ne transigea pas. Elle stoppa la dispute de ses parents et leur dit qu’elle était bien assez grande pour prendre des décisions toute seule ! Sa mère fut choquée, jamais Annie n’avait parlé comme cela. Son père, plus compréhensif, se chargea de convaincre sa femme et Annie put travailler à l’usine d’armements. La seule condition fut qu’Archibald puisse l’accompagner le premier jour.

En fait, l’entrepôt était un grand bâtiment en tôle. De grandes tables étaient installées l’une à côté de l’autre et recouvertes de grandes feuilles de carton léger. Des dizaines de femmes, debout, en tablier blanc, assemblaient de minuscules pièces à une allure rapide. De l’autre côté de l’entrepôt se trouvait une autre rangée de tables où des femmes soudaient les pièces entre elles et plus on arrivait en bout de chaîne et plus on se retrouvait avec des armes perfectionnées, des fusils à baïonnettes, des pistolets, des pièces de canon.

Annie déglutit en voyant ces femmes, le visage couvert de sueur, les bras taché de cambouis et en entendant le vacarme assourdissant des machines mais elle se ressaisit et se dirigea, la tête haute vers le bureau de recrutement, Archibald sur ses talons.

En la voyant, le chef la dévisagea en lui demanda si elle ne s’était pas trompé d’endroit et que l’école pour les filles de la haute société était deux rues plus loin ! Annie ne se démonta pas et arrêta Archibald qui voulait répondre à sa place, en posant une main sur son bras.

D’un geste brusque, elle retroussa ses manches et lui dit qu’elle n’était pas venue ici pour bavarder mais pour rendre service à la nation et que ce genre de travail ne la rebutait aucunement !

Elle rajouta, devant le regard surpris du chef de l’usine, qu’il devrait se méfier de apparences et la voir à l’œuvre ! Archibald n’osa pas ouvrir la bouche et se demandait si ça fiancée n’avait pas été envoûtée par un de ces génies maléfiques qu’on trouve dans les contes fantastiques ! Il la couva d’un regard protecteur ; décidemment, fréquenter Candy avait été la meilleure chose qui lui soit arrivée !

Impressionné par le discours d’Annie, le chef accepta de la prendre à l’essai. Les pièces d’artillerie à assembler étaient plus ou moins lourdes mais Annie ne se décourageait pas. Les autres travailleuses, d’abord étonnées de voir cette jeune fille plutôt fragile dans un tel lieu, s’habituèrent à sa présence. Certes, au départ, elle n’était pas la plus douée, elle cassait certaines pièces par maladresse mais personne ne lui en voulait car elle mettait du cœur à l’ouvrage.

Elle ne se plaignait pas, serrait les dents quand elle se faisait mal. Elle faisait preuve d’un courage à toute épreuve. D’ailleurs, les autres femmes la prirent sous leur aile dès le premier jour. Elle était en quelque sorte la mascotte de l’usine. Elle voulait montrer qu’elle n’était plus la petite fille timide et fragile d’autrefois. Candy aurait été fière d’elle si elle la voyait !

Malgré tout, Annie fut complètement épuisée par sa première journée à l’usine mais elle se garda bien de se plaindre devant ses parents et devant Archibald. Le travail à la chaîne était très physique et Annie revint chez elle, des cloques aux mains. Elle se dépêcha de monter dans sa chambre et ferma la porte à clé. Quand sa mère vint la voir, elle garda les mains dans le dos mais Mme Brighton, plutôt curieuse, lui attrapa les mains et pleura de voir son enfant dans cet état ; elle lui dit qu’elle ne pourrait plus jouer au piano !

Annie la rassura et lui dit que c’était normal pour un premier jour et que ça ne se verra pas dans peu de temps. Elle lui parla de son travail, de la gentillesse de ses collègues et des on supérieur et finalement Mme Brighton se rendit compte que sa fille avait mûri. Elle s’en voulait de ne pas s’en être aperçu plus tôt. Son mari entra dans la chambre à son tour et félicita sa fille. Ils serrèrent Annie dans leur bras.

Mme Brighton se disait que ce changement était sûrement dû à Candy, mais elle n’en voulait pas à l’infirmière. Au contraire, elle la remerciait d’avoir fait de sa petite Annie, une jeune femme courageuse et fière, qui savait se prendre en main. Archibald entra à son tour dans la pièce et fut émue devant le spectacle de cette famille unie.

Il se dit qu’il ne les avait jamais vu si proches et si compréhensifs, surtout Mme Brighton. En s’apercevant de sa présence, les parents laissèrent les fiancés en tête à tête. Annie fut brève et narra en quelques phrases sa journée mais ses paupières alourdies de sommeil l’empêchèrent de continuer et elle tomba comme une masse sur son lit. En la voyant dormir, Archibald sourit. Il la recouvrit d’une couverture et écarta une mèche de cheveux pour l’embrasser sur le front. En sortant, il se retourna vers elle et murmura : « je suis fière de toi… », avant de refermer la porte…

Le lendemain, Annie reçut une lettre de Candy qui lui donnait sa nouvelle adresse. Elle omit de lui parler des risques qu’elle encourrait dans un tel endroit. Elle lui dit seulement que cette adresse était provisoire et qu’elle pouvait être transférée ailleurs à tout moment. Elle rajouta que le courrier avait du mal à être acheminé et qu’elle n’avait pas pu lui écrire tout de suite.

Chaque nouvelle lettre de Candy était un soulagement pour Annie. Les journaux avaient tendance à exagérer les évènements et elle ne savait jamais s’il fallait les croire. Elle avait peur pour son amie à chaque fois que des combats étaient annoncés…

 

Ch 14 : Niel

Candy, quant à elle, faisait tout pour rassurer ses amis, elle ne se plaignait pas et disait quelle ne manquait de rien. Pourtant, avec les bombardements des voies ferrées et des routes, les vivres venaient à manquer parfois. Certains soldats partageaient les colis qu’ils recevaient avec les sœurs et les infirmières quand ils parvenaient à destination.

L’automne avait commencé depuis quelques temps déjà. Fin septembre, il y eut de nouvelles offensives en Artois et en Champagne. Le moral des troupes n’était pas bon. Pour couronner le tout, les défaites russes continuaient. Les Allemands gagnaient du terrain.

Candy fut transférée en Champagne où les combats faisaient rage. La situation devenait inquiétante, les réserves de morphine s’amoindrissaient. A l’aide de mulets, els ravitaillements en vivres et médicaments arrivaient sur le front et dans les hôpitaux volants mais pas toujours à temps.

Un soldat venait de mourir par manque de quinine. Candy s’affairait parmi les blessés car il ne fallait pas s’apitoyer trop longtemps. L’un d’eux s’était soûlé avec son bidon d’eau-de-vie, faute de morphine. Le pauvre délirait. Sa femme avait accouché d’un fils il y avait quelques jours et l’avait prénommé Pierre, comme son père à lui. Il était heureux et triste à la fois, triste d’être à des kilomètres des êtres aimés. C’était son premier enfant et il voulait fêter cet évènement à sa manière. Il avait été touché à la jambe le matin, l’alcool lui faisait du bien.

Enfin, les ravitaillements arrivèrent. Les mulets étaient chargés à bloc. Ils avaient voyagé pendant plusieurs heurs et étaient contents de se reposer. Les infirmières se dépêchèrent de décharger les vivres et les médicaments. Après cette halte, les mulets devaient porter armes et munitions sur le front, à quelques kilomètres de là. Candy avait de la peine pour eux. « Les animaux souffrent autant que les hommes dans cette maudite guerre ! » pensa t-elle.

De plus, depuis le commencement d’Octobre, il n’arrêtait pas de pleuvoir. Les bottes de Candy étaient maculées de boue, une boue épaisse et collante qu’on enlevait difficilement. Même les vêtements étaient tâchés. Les soldats se brossaient avec des étrilles pour s’en débarrasser.

Au loin, une pluie d’obus venait de s’abattre sur les tranchées. Le bruit était assourdissant malgré la distance. Candy pensa qu’il y aurait de nouveaux blessés et sûrement des morts. Les blessés les plus graves furent envoyés dans des convois vers des lieux avec plus de lits car la place venait à manquer. Un soldat arriva à l’hôpital volant, visiblement choqué. Son camarade avait sauté sur une mine juste à côté de lui, son sang l’avait complètement éclaboussé, il était tout rouge. Il murmurait : « Ça aurait pu être moi, vous comprenez, ça aurait pu être moi ! » Il s’accrocha à une infirmière. Des brancardiers essayèrent de le calmer et l’emmenèrent se changer et reprendre des forces.

Un médecin posait du plâtre sur une jambe cassée.

- Voilà, dans un bon mois, vous pourrez à nouveau marcher ! dit-il au soldat.

- Oui, pour retourner dans ce carnage ! grogna le soldat.

Le soldat, derrière son épaisse barbe exprimait son mécontentement. Il n’en pouvait plus de combattre, d’enfoncer sa baïonnette dans les corps ennemis. Candy sursauta, cette voix ne lui était pas inconnue : c’était Niel Legrand !

Le pauvre avait beaucoup maigri, il n’avait plus que la peau sur les os. Candy n’osait pas s’approcher de lui. Le docteur lui donna un calmant. Notre héroïne se posa beaucoup de questions. Albert lui avait écrit que Niel s’était porté volontaire pour le front. Cela l’avait étonné, venant d’un couard comme lui ! Maintenant qu’elle l’avait revu, elle trouvait qu’il avait changé, il faisait plus adulte. La guerre n’avait pas que de mauvais côtés, pensa t-elle, mais elle se ressaisit aussitôt.

« Non, il ne devait pas y avoir de guerre ! »

Niel dormait paisiblement grâce aux tranquillisants. En presque quatre mois de guerre, il avait vu des choses qu’il n’aurait jamais imaginées. Il recevait du courrier de sa famille mais en ce moment il se faisait de plus en plus rare à cause d’un problème de transmission. C’était la seule chose qui le reliait au monde « civilisé ». Candy ne se doutait pas qu’il s’était engagé pour être auprès d’elle.

Le lendemain, les sœurs distribuaient les repas des blessés. Chacun mangeait avidement car dans les tranchées, la nourriture était souvent immangeable, tout juste bonne à jeter aux chiens. Parfois certains préféraient rester le ventre vide. Les sœurs et les infirmières étaient tellement dévouées que les soldats avaient l’impression d’être chez eux. Malheureusement, une fois guéris, ils devaient retourner sur les champs de bataille. Mais ils essayaient de ne pas y penser tant qu’ils étaient là.

Beaucoup de soldats eurent la foi et priaient tous les jours. Pour certains, c’était la découverte de Dieu, pour d’autres ce furent des prières oubliées, dites à la messe de Dimanche en famille. Il fallait bien un miracle pour arrêter cette guerre. Candy terminait les soins quand Niel l’aperçut. Il l’appela.

- Candy ! Enfin, je t’ai retrouvée !! cria t-il.

Il essaya de se lever mais grimaça de douleur.

- Niel, en fais pas de gestes inutiles, tu risques de te faire mal, dit Candy en le redressant.

- C’est tout ce que tu trouves à dire après tout ce temps ?? grogna t-il

- Que veux que tu que je te dise ? répondit-elle, un brin agacée.

- Tu es partie comme ça, sur un coup de tête, sans me dire au revoir ! s’exclama t-il.

- Tu te trompes, c’était une décision mûrement réfléchie ! dit-elle, en colère.

- Candy, si tu savais comme tu m’as fait de la peine en partant ainsi…, murmura t-il en lui prenant ses mains.

- Niel, je t’ai déjà dit ce que je pensais de toi, alors pourquoi n’essayes-tu pas de comprendre ? dit-elle en baissant le ton, pour ne pas déranger les autres blessés.

- Je t’aime Candy, tu as toujours été si gentille avec moi, alors que moi je ne cherchais qu’à te nuire. D’abord, je ne voulais pas le croire mais je sais maintenant que tu comptes plus que tout à mes yeux ! déclara t-il en approchant ses lèvres de celle de Candy.

- Niel, arrêtes ! cria Candy en se dégageant de son étreinte. Je suis désolée mais moi je ne t’aime pas !

Elle s’écarta de lui. Visiblement blessé, Niel baissa la tête puis la releva.

- Je suis sûre que tu finiras par changer d’avis, dit-il.

- Ne dis pas de bêtises Niel ! s’écria t-elle.

- Candy, c’est pour toi que je suis ici, pour toi que j’ai supporté toutes ses souffrances…c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour être près de toi, dit-il avec un sanglot dans la voix.

- Niel, ça suffit maintenant ! Nancy, est-ce que tu peux t’occuper de ce patient s’il te plaît ? dit-elle à une collègue qui passait dans le couloir.

- Candy, attends ! Reviens ! cria Niel.

- Tu le connais Candy, demanda Nancy.

- J’aimerais ne pas le connaître mais oui, je le connais. J’ai travaillé chez ses parents quand j’étais petite…si tu pouvais me rendre ce service et t’occuper de lui ? lui demanda Candy.

- Ne t’inquiètes pas, je m’en occupe ! la rassura Nancy.

- Merci infiniment Nancy ! répondit Candy.

- S’il vous plaît, mademoiselle, j’aimerais que vous rappeliez l’autre infirmière, mademoiselle Candy André...demanda Niel.

- C’est impossible monsieur, elle a été appelée par le chef de service.

Niel poussa un grognement et renversa son plateau de nourriture.

- Si vous ne vous calmez pas monsieur, je vous mets une piqûre de morphine pour que vous dormiez toute la journée ! dit Nancy, agacée par son comportement.

- N’en faites rien s’il vous plaît, je m’excuse…répondit Niel, tout penaud.

Une fois que Nancy fut partie, il pensa tout haut qu’il finirait bien par avoir Candy.

Un peu à l’écart, Candy n’était pas de bonne humeur. Elle en voulait à Niel de la forcer comme ça. Elle pensait qu’avec l’éloignement, il l’oublierait mais c’était pire qu’avant ! De toute façon, elle n’avait rien fait pour l’encourager, elle n’avait montré que froideur et colère à son égard. Mais elle n’avait pas le temps de s’arrêter à ce genre de futilités, un blessé la réclamait.

Les infirmières étrangères étaient très appréciées par les soldats mais aussi par leurs collègues français, pour leur volontariat mais aussi pour leur dévouement, à de milliers de kilomètres de chez elles. Le personnel de la Croix Rouge n’était pas en reste. Justement, un camion de cette association venait d’arriver à l’hôpital. Quelle ne fut pas la surprise de Candy de voir son amie Patty en descendre !

- Patty ! s’écria t-elle

- Oh Candy, que je suis contente ! Je savais que tu étais quelque part en France car j’ai écrit à Annie mais je ne pensais pas te revoir de sitôt, dit la jeune femme en se jetant dans les bras de son amie.

- C’est un véritable réconfort de te voir ici Patty, ajouta Candy. Est-ce que tu as le temps de bavarder un peu ?

- Eh bien, le temps de monter les blessés graves de ce matin, je crois que oui ! répondit la brune à lunettes.

Candy lui raconta ses péripéties ainsi que la « visite » inattendue de Niel Legrand, les lettres d’Annie, d’Archibald, mais aussi celles d’Albert et de Terry. Patty fut ravie que son amie ait gardé contact avec le jeune acteur. Elles eurent juste le temps de prendre un café que Patty devait déjà repartir.

- J’espère que nous nous reverrons bientôt Patty…, murmura Candy en serrant son amie contre elle.

- Je l’espère aussi Candy, dit cette dernière en s’essuyant les yeux.

Le camion de la Croix Rouge reprit son chemin. Candy le regarda s’éloigner jusqu’à devenir un petit point qui finit pas disparaître de son champ de vision.

« Patty a changé elle aussi, elle a pris beaucoup d’assurance. Je suis tellement heureuse pour elle ! Mon Dieu, faites qu’il ne lui arrive rien et qu’on puisse tous se retrouver sain et sauf en Amérique, même Niel Legrand ! »

Ch 15 : Premier hiver

A des kilomètres de là, à New York, Terry se reposait dans chambre d’hôtel. C’était jour de relâche pour la troupe de théâtre. Il avait passé la journée avec Suzanne et l’avait emmené là où elle le souhaitait, pour lui changer les idées. Quelques semaines plus tôt, il lui avait clairement fait comprendre qu’il n’était pas prêt pour le mariage. Malgré l’insistance de Mme Marlowe, il n’avait pas changé d’avis.

Le visage de Suzanne exprimait son mécontentement, mais en y réfléchissant bien, elle se disait que ce n’était pas le bon moment. Plus elle le brusquerait, moins il y aurait de chance qu’elle se marie un jour. Elle trouverait une bonne occasion plus tard. Elle savait que Terry ne la quitterait pas, il fallait faire en sorte que l’idée vienne de lui. Elle préférait attendre encore un peu, le temps de peaufiner un plan.

Quant à Terry, les seuls moments de calme qu’il pouvait trouver c’était à son hôtel. La journée avait été pénible pour lui. Le plus souvent, Suzanne gardait le silence, comme si elle voulait le punir de sa décision de ne pas l’épouser. Il regarda par la fenêtre. Un puis deux puis plusieurs flocons tombèrent.

« Tiens, il neige déjà. Il est vrai que ce mois de Novembre a été particulièrement rigoureux. Je me demande quel temps il fait en France. La dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles, il pleuvait à verse. J’espère que Candy ne souffre pas trop du froid ! Ce la fait déjà six mois qu’elle est partie. J’aimerais bien lui écrire mais je ne sais pas si elle est encore au même endroit que la dernière fois…de toute façon, ça ne me coûte rien de le faire ! Oh, tiens, j’ai une idée ! »

Une semaine plus tard, à l’hôpital volant...

Candy, ce paquet est arrivé pour vous ce matin…, lui dit le médecin-chef.
Un paquet pour moi ? interrogea t-elle
Oui, allez vite l’ouvrir !lui dit le médecin en souriant.
Oui j’y vais ! dit-elle en retournant au dortoir.

Elle lut l’adresse sur la boîte. « TERRENCE G. GRANDCHESTER… »

« Mais c’est un paquet de Terry ! Qu’est ce que ça peut bien être ? Oh…un manteau ! »

En effet, Terry avait envoyé un superbe manteau en laine, très doux. Quand Candy le prit contre elle, une petite carte tomba par terre.

« Ma chère Candy, je ne sais pas quel temps il fait en France mais ici il fait très froid. J’espère que mon cadeau te plaira et te tiendra chaud tout l’hiver. Prends soin de toi. A bientôt. Terry. »

« Terry…quel cadeau magnifique ! Il doit être très cher. Merci mille fois ! »

Elle ne put s’empêcher de pleurer. Le soir même, elle écrivit au jeune homme.

Vous avez un très beau manteau Candy, la personne qui vous l’a offert doit beaucoup tenir à vous ! lui dit le médecin-chef en la voyant passer dans le couloir, vêtue de son cadeau.

Candy n’osa pas répondre, elle se contenta de sourire. Terry tenait sûrement à elle mais pouvait-elle prétendre aujourd’hui à un bonheur qui lui avait été volé par une autre ? La question resta en suspens. De gros flocons tombaient à l’extérieur et Candy se précipita au dehors. C’était les premiers jours de décembre. Elle se rappelait des batailles de boules de neige à la maison de Pony. C’était aussi par un temps de neige que ses parents l’avaient abandonnée devant la Maison de Pony et qu’elle s’était séparée de Terry. Quelle « surprise » allait lui réserver ce nouvel hiver ? L’avenir était plutôt incertain. L’année allait s’achever et il n’y avait aucun espoir de paix à l’horizon.

Candy adorait la neige mais en période de guerre, elle n’arrangeait pas les choses. Les véhicules s’enlisaient, les soldats s’enfonçaient dedans malgré leurs grandes bottes de caoutchouc qui tenaient chaud et préservaient de l’humidité. Le ravitaillement se faisait lentement, beaucoup de soldats avaient faim et soif. Ils comptaient sur les colis que leurs familles leur envoyaient.

Malheureusement, ces derniers se faisaient rares à cause du temps et des difficultés d’acheminement. Un vent glacé soufflait, certains soldats se faisaient soigner pour leurs pieds gelés. Les rations, bien amoindries, ne tenaient pas au corps. Bien souvent, la nourriture était infecte. A ce rythme là, le soldat devenait une sorte de brute insensible, indifférente…

Candy écrivit une lettre à Annie, lui disant qu’il y avait une accalmie en ce moment, qu’il y avait une sorte de lassitude de la guerre et que le temps n’arrangeait rien. Le moral n’était pas bon mais tout le monde tenait le coup. Annie lui répondit qu’aux Etats-Unis, il était de plus en plus question de l’entrée en guerre du pays mais personne ne le disait à haute voix. En même temps, les journaux avaient tendance à exagérer les faits alors fallait-il s’inquiéter ? 

Annie demandait à Candy de garder le moral car elle et ses consœurs étaient le seul soutien des soldats. Elle n’omit pas de parler de son travail à l’usine. Il y avait une petite boîte avec le courrier. Candy ouvrit le paquet et y trouva une magnifique écharpe tricotée par Annie. Un mot l’accompagnait.

« Je l’ai faite avec amour pour toi, qui a toujours été une sœur pour moi. J’espère qu’elle te plaira ! Je t’embrasse bien fort. Annie. »

« Je suis vraiment gâtée, d’abord Terry qui m’offre un manteau et maintenant Annie m’envoie une écharpe…Merci mes amis, j’ai l’impression que vous êtes toujours à mes côtés, je me sens moins seule.. »

Annie avait dû passer du temps dessus car il y avait différents motifs brodés. Candy pensa que son amie avait raison. Elle n’avait pas le droit de démoraliser. Les blessés comptaient sur elle. Et puis de toute façon, elle n’avait pas fait tout ce chemin depuis l’Amérique pour se laisser abattre comme ça ! 

Même Annie avait trouvé le courage de s’affirmer. Quand Candy reçut sa lettre lui faisant part de son nouveau travail, elle n’en crut pas ses yeux. Son amie d’enfance, sa « sœur », comme elle aimait à le dire avait énormément changé. Elle ne reconnaissait plus la petite brune timide d’autrefois, qui faisait souvent appel à elle par le passé. Annie travaillait dans une usine d’armement !

Si on lui avait dit ça il y a quelques mois, elle aurait bien ri ! La vie prenait de biens curieux tournants mais Annie avait l’air de se plaire à l’usine alors elle se réjouissait pour elle. Candy était fière d’elle, même si elle trouvait que le travail à l’usine n’était pas des plus faciles. Quelques jours plus tard, elle reçut une lettre de monsieur Brighton qui la remerciait d’avoir une si bonne influence sur Annie. Ce courrier la réconforta.

Dehors, la neige tombait toujours, si bien qu’on s’y enfonçait à mi-mollets. Les soldats pataugeaient dans les tranchées et la terre était molle tout autour. Il fallait donc équiper les versants de montants en bois pour que la terre ne glisse pas et paver le fond pour s’y déplacer. Le soir, les combats ont repris ; dans la nuit on apercevait le feu des rafales des mitrailleuses. Des sapeurs creusaient des galeries pour faire sauter les tranchées ennemies. Des morceaux de corps volaient d’un camp à l’autre.

A cause des combats, l’aménagement et l’entretien exigeaient des efforts incessants et épuisants. Malgré cela, des hordes de rats partageaient les lieux. Pour éviter les épidémies, les soldats partaient à leur chasse.
Un peu plus loin, des blessés attendaient d’être évacués à l’arrière. Là, le séjour était agréable, le soldat reprenait des forces. De nouveau, il y eut un silence dans les premières lignes. Les soldats retrouvaient leur bonne humeur. Ils discutaient, riaient, fumaient ou dormaient. En même temps, ils réparaient les dégâts et enterraient leurs morts. 

Les fêtes de fin d’année se passèrent sans effusions de joie. Certains pensaient à leur famille, d’autres priaient pour un miracle. On essayait de plaisanter mais le cœur n’y était pas. Quelques soldats recevaient des extras par colis, des choses simples mais rares en temps de guerre comme le beurre, le café, le chocolat ou des conserves.

Le passage à la nouvelle année se fit dans le calme. Les soldats n’osèrent pas se souhaiter la bonne année, on ne pouvait pas savoir si on allait y passer ou rentrer chez soi.

Pou ceux qui venaient de loin comme Candy, c’était pire. Il fallait traverser un océan pour revoir ses proches. Heureusement, les sœurs apportaient un énorme soutien moral aussi bien aux infirmières qu’aux blessés. Candy se mit à penser à Melle Pony et sœur Maria et son coeur se serra. Elle aurait tant voulu les voir.

Certains se mirent à chanter des chants de Noël. Comme par enchantement, Candy reçut une lettre de Melle Pony et sœur Maria. Elles lui disaient de garder la foi et qu’elles étaient persuadées que la guerre finirait bientôt. Elles donnèrent des nouvelles de la chienne Mina qui avait eu des petits. L’un d’eux fut donné à Tom comme chien de berger.

«  Puisse Dieu entendre vos paroles Melle Pony et Sœur Maria. Chaque jour, les soldats lèvent les yeux au ciel, comme s’ils cherchaient à communiquer directement avec Dieu, pour qu’Il mette un terme à cette guerre…ma petite Mina est devenue maman, comme le temps passe vite ! »

Mais malgré les prières des uns et des autres, la guerre devait encore se prolonger…

© Nanou 2007