Les roses se cachent pour faner 
( Soap Opéra )
par Miss Retro

 

Chapitre 4

Promesse, promesse, quand tu nous tiens

Dimanche, 6 septembre 1936, midi trente. Suzanne se versa un verre d’eau et se mit à raconter comment elle s’était sentie lorsque Terry avait fait annuler la cérémonie du mariage à quelques jours d’avis, en prétextant être surchargé de travail. Elle savait bien que ce n’était pas la vraie raison, mais elle avait pris le parti d’attendre, jusqu’à ce que la vérité éclate. Pendant un mois, elle vit qu’il essayait de lui parler de cette autre femme, mais elle était incapable de le supporter. Elle préférait ne pas savoir que Candy était revenue. Les choses en restèrent là jusqu’à un certain dimanche glacial. Et ce soir-là, sa mère se comporta de façon étrange…

Le vent de cette fin d’octobre balayait les feuilles mortes dans la rue. Le cœur de Mme Marlowe était aussi froid que le souffle. Comment avait-il osé ? Il avait demandé la permission de retirer sa promesse d’épouser sa fille et elle ne lui avait pas accordée, même si elle savait qu’il avait une liaison avec cette petite infirmière de rien du tout. Elle venait de voir Terry et Candy s’embrasser dans Central Park lors de leurs adieux, puisque Candy devait bientôt retourner chez elle. Mme Marlowe s’était fâchée et les avait abordés en les enjoignant de rompre immédiatement. Bien sûr, ils avaient refusé plutôt sèchement. C’est alors que Terrence lui avait annoncé son intention de quitter Suzanne.

Il ne s’en tirerait pas comme ça. Elle savait qu’il était allé noyer ce refus dans le même bar miteux qu’il fréquentait à chaque fois qu’il avait une déception. Il devait épouser sa fille et elle allait user de tous les moyens pour réussir son plan. Elle entrait maintenant dans le débit de boisson. Il y régnait une odeur de désespoir et de poussière. Ça et là, des vieillards déjà ivres se racontaient leurs exploits du temps jadis. Un temps, qui, pour la plupart n’avait jamais existé, puisqu’ils étaient depuis des centaines de milliers d’années momifiés dans ce liquide qui leur tenait lieu de sang et de refuge.

-Où est Grandchester ?

Le barman fit un signe de la tête en direction du fond. Là, une ombre silencieuse, penchée sur la table, était en train de s’endormir devant les bouteilles vides. Terry avait encore trop bu. Comme toujours. Comme chaque fois qu’il ressentait cette immense peine qui le submergeait de douleur. Il se contrôlait pour son travail, mais autrement… De toute façon, il pouvait bien se le permettre. Il y avait presque six mois qu’il ne s’était pas saoulé. Et puis cette fois, il avait une vraie bonne raison… “ Oh… Candy… Je voudrais tant rester avec toi toute ma vie et t’éviter l’opprobre dans lequel tu es, mais… que faire quand on ne peut retirer une promesse ? ”

À ce moment, il s’aperçut que la mère de Suzanne le regardait. Il se leva du mieux qu’il put pour l’accueillir. “ Bon… bonsoir… Que… voulez-vous ? ” , fit-il froidement.

-J’ai à vous parler en privé. Allons chez moi, répondit-elle.

Il la suivit, sans dire un mot. Comme il était naïf ! Chez Mme Marlowe, il s’assit et elle lui proposa un autre verre. Il l’avala d’un trait. Elle lui dit que sa fille était la personne la plus importante dans sa vie, qu’elle ne lui permettrait pas qu’il puisse la renier aussi facilement. Elle lui promit tout ce qu’il voudrait, pourvu qu’il renonce à cette… cette orpheline de rien et qu’il épouse Suzanne. Comme elle l’avait prévu, il refusa net. Soudain, sa tête baissa et il bâilla. Il se sentait soudainement fatigué. Il allait prendre congé, mais il s’endormit sur la chaise. Mme Marlowe avait mis un somnifère dans le verre (Classique !). Elle appela sa bonne et, avec son aide, le posa sur le canapé. Ensuite, elle le dévêtit, le couvrit d’une couverture et alla réveiller sa fille. Suzanne ne comprenait pas ce qui se passait. Encore engourdie de sommeil, elle mit son peignoir et attrapa sa canne, pour se diriger vers le salon. “ Mère, que se passe-t-il ? ”

Pour toute réponse, Mme Marlowe lui montra le corps allongé sur le canapé. “ Quoi ? Comment Terry se trouve-t-il ici ? Il est ivre… ”

-Ma chérie, voici ta seule chance. Si tu veux l’épouser, tu dois faire exactement ce que je te dis. Relève la couverture, ordonna la femme.

-Mais…

-Je sais que c’est contraire à la manière dont je t’ai élevée, mais tu dois le faire. Voyons, ce n’est pas si difficile. N’es-tu pas amoureuse de lui ?

-Oui, sauf que… Je… je ne peux pas !, répondit Suzanne, suffoquée.

-Mais si tu peux…

-Eh, bien, alors… JE NE VEUX PAS ! Vous avez perdu la raison ?

-Quoi ! Ma fille qui se dresse contre moi alors que je fais tout ce que je peux pour lui assurer un meilleur avenir. Parce que tu sais, si Grandchester ne t’épouse pas, personne ne le fera ! Écoute petite sotte ! Qui épouserait une infirme ?, demanda Mme Marlowe sur un ton terrible.

-Mère !

Et Suzanne éclata en sanglots. Sa mère disait vrai. Elle le savait. Personne ne voudrait d’elle. Personne sauf Terry, si elle réussit… “ Très bien. Emportez-le dans ma chambre et laissez-moi seule avec lui ”, finit-elle par dire.

La bonne et Mme Marlowe déposèrent Terry sur le lit de Suzanne. Cette dernière entra, la mine basse. Sa mère lui prodigua quelques conseils qui la firent rougir. Enfin, Suzanne demanda qu’on sorte et qu’on ferme la porte. Elle appellerait dès qu’elle aurait fini pour qu’on le retourne chez lui.

Le petit frère de Joan était parti jouer avec des avions de papier dans sa chambre. “ Alors, Charlotte ? De quoi discutaient-ils ? ”, demanda Louise avec impatience.

-Oh, on dirait qu’ils avaient une affaire à régler, mais je n’ai pas compris ce que c’était. Papa et Maman n’avaient pas l’air de savoir où Mme Lloyd voulait en venir. Mais Joan… j’ai senti que vos parents vous regardaient bizarrement.

-Ah… Je n’ai rien remarqué, dit-elle sur un ton qui se voulait insouciant ( Mais elle se sentait plutôt angoissée.).

-Hmmm… Ça ne sent pas bon…, observa David.

-Comment ça ?

-Nous savons que Mme Lloyd veut régler une affaire reliée au passé. C’est pourquoi elle a invité Maman et Papa ce dimanche, fit David. Êtes-vous sûre de ne pas avoir de détails intéressants, Mlle Lloyd ?

-( Pâlissant. ) Euh, tutoyez-moi ! J’aurais voulu le tenir caché, mais je pense que je peux le dire, vu les circonstances. Je… quand j’étais petite, je suis un jour tombée sur le certificat de mariage de mes parents. J’y ai vu que la date était postérieure à celle de ma naissance, d’un an et demi. Je ne suis probablement donc pas la fille de mon père.

-OOOOOOOOOOOOOH !!!!!, firent tous les autres en pensant la même chose.

-Vous ne pensez quand même pas…

-Et si on allait écouter ce qu’ils disent pour vérifier ?, suggéra Louise.

-Bien… on peut monter à l’étage et entendre ce qu’ils disent par le monte-plats. Je l’ai fait souvent, vous savez…, fit Joan en souriant un peu nerveusement.

-Oui, allons-y, dit David.

Ils montèrent l’escalier en silence et se dirigèrent vers la chambre parentale. Suzanne prenait souvent ses repas dans cette pièce lorsque sa jambe fantôme la faisait souffrir, d’où l’utilité d’un monte-plats. Par le trou, on entendait distinctement ce qui se passait dans le grand salon. Ils se penchèrent tous avec appréhension…

Suzanne prit une pause dans son récit pour prendre encore un peu d’eau. Terry et Candy avaient l’air terrifié. Soudain, le comédien éclata, incrédule : “ Mais c’est impossible ! Je me souviens d’être allé dans ce bar, d’avoir parlé à ta mère… et ensuite de m’être réveillé dans ma chambre… Ton histoire ne tient pas ! J’aurais des souvenirs, non ? ”

Il regarda sa femme, elle était au bord des larmes, les yeux baissés, la tête penchée vers le sol. Il ne pouvait supporter l’idée qu’elle puisse le croire capable de… Non… Vraiment ! C’était ridicule !

-Calmez-vous, dit Suzanne. Laissez-moi continuer. Bon. Dans ma chambre, j’ai pris mon courage à deux mains. Il fallait que je me sorte de cette situation. Ces procédures me dégoûtaient totalement. Je t’ai laissé dormir. Environ quinze minutes après le départ de ma mère, je l’ai appelée en lui disant que c’était fait. Elle et la bonne t’ont alors reporté chez toi.

-Mais alors, ta fille ?, demanda Candy en tremblant.

-J’y arrive. J’ai avoué la vérité à ma mère le lendemain matin et elle est entrée dans une colère noire… Elle m’a alors intimé l’ordre de simuler une grossesse pour te manipuler, Candy. C’est à ce moment que j’ai compris son dessein. Ces méthodes me rebutaient, mais j’ai obéi quand même, parce que j’étais désespérément amoureuse. Et puis, je faisais confiance à ma mère. Je croyais vraiment qu’elle arrangerait les choses. Nous allions justement partir pour Chicago, afin de te rencontrer et faire appel à ta compassion, lorsque nous avons reçu un télégramme de Terry qui nous faisait ses adieux définitifs. Ma mère a alors appelé son avocat pour vous poursuivre… Il a fallu plusieurs mois pour monter le dossier. Alors, Maman est arrivée un jour avec un nouveau-né dans ses bras et m’a dit que je devais faire comme si c’était ma fille. Son adoption est restée secrète de tout le monde, car il fallait faire croire que j’avais vraiment donné naissance à un enfant. Ensuite, vos avocats ont réussi à retarder la déposition de l’affaire au tribunal, jusqu’à ce que ma mère découvre son cancer. Elle mourut quelques jours plus tard. C’est peu après sa mort que j’ai rencontré Andrew. J’ai alors fait tout arrêter. Vous connaissez la suite.

-Mais, alors… pourquoi nous as-tu fait venir ici ?

-Je voulais entre autres vous assurer de ma bonne foi à vouloir devenir votre amie et vous assurer que vous ne risquez plus rien de ma part. Cette révélation n’en est-elle pas la preuve ? Et puis, j’ai des remords d’avoir agi ainsi dans le passé. Je voulais me libérer la conscience. Je voudrais aussi demander à Candy si je dois dire à ma fille que je l’ai adoptée. Est-ce que ça risque de lui causer un choc ?

-(OUF !) Ben, ça alors !, fit Terry, ne trouvant rien d’autre à dire.

-Pauvre Suzanne !, dit Candy en la prenant dans ses bras. Tu as vraiment été la victime de ta mère ! Dire que je recherche la mienne…Écoute. Je ne sais pas quoi te répondre : j’ai été adoptée à un âge si avancé. (Après un silence.) Dis-lui la vérité seulement quand tu te sentiras prête à lui raconter tout ce que tu viens de nous dire. D’accord ?

-Oh ! Candy, tu es pleine de réconfort ! Et maintenant que j’ai tout raconté, je me sens si légère !, fit Suzanne en souriant.

“ Ben, ça alors ! ”, firent en eux-mêmes Charlotte, Louise, David et Joan, ne trouvant rien d’autre à penser. Ils se regardèrent d’un air stupéfait. Finalement, Charlotte leur fit signe qu’il fallait redescendre, pour ne pas éveiller les soupçons. Ils s’exécutèrent sans bruit, aussi furtifs que des daims et reprirent leurs places dans le petit salon. Ils éclatèrent de rire, encore bouleversés par les révélations entendues.

-Tu es un vrai Sherlock Holmes, ironisa Louise à l’endroit de son frère.

-Ben, j’avais presque raison… ça aurait pu, n’eut-ce été de la décision de Mme Lloyd de désobéir à sa mère !, se défendit-il.

-Il a raison, dit Joan, j’ai été à un cheveu d’être votre demi-sœur… ( Pensive. ) Je savais que Maman ressentait une certaine colère envers ma grand-mère, mais ça… Elle devait être horriblement manipulatrice. Mais maintenant, je sais que je ne connais pas mes véritables parents…

-Tu sais, comme tu viens de l’entendre, notre mère aussi est dans cette situation, dit Charlotte, pour la réconforter.

-Raconte…

-Oui, elle est orpheline et elle a été adoptée par les André quand elle avait treize ans. Depuis plusieurs années, elle cherche à savoir qui étaient ses parents biologiques, mais la piste est bloquée pour diverses raisons. Quant à notre père, il est le fruit des amours illégitimes du Duc de Grandchester et de la comédienne Éléonore Baker.

-Wow ! C’est un vrai mélodrame ! Et vous voyez vos grands-parents ?

-Non… Éléonore est morte de la grippe espagnole quand j’avais presque deux ans. Quant au Duc… ben… Papa n’aime pas parler de lui. Il est sûrement mort sans avoir connu notre existence…, admit Charlotte.

-Oh ! C’est vraiment terrible ! Et je parie que l’histoire d’amour de vos parents est pleine de drames et de passions inavouées.

-En effet. C’est meilleur que Gone With the Wind. ( Les filles protestèrent, arguant que ce roman était le meilleur qu’elles aient lu cette année. ) Sans blague ! Veux-tu qu’on te raconte ce qu’on sait en faisant une petite partie de billard ?, proposa David.

-Faites, chers amis !, dit la jeune fille en faisant une révérence.

Les deux sœurs du garçon firent équipe, alors Joan et David se mirent ensemble. “ Ben voilà : il était une fois une petite orpheline qui fut amenée dans une riche famille pour servir de dame de compagnie, ou plutôt, de servante et… ”(La boule blanche brisa le beau triangle coloré.)

-Mais tu oublies plein de détails !, s’indigna Louise.

-Oui. Tu as oublié de parler de Mlle Pony, de Sœur Maria et de Tante Annie et…, lui dit son autre sœur.

-Oh ! Je mise sur l’essentiel…

-Laisse-moi raconter !, insista Louise en frottant sa queue de billard avec du bleu.

-Non ! Ça va nous prendre toute la journée…, protesta David.

-Vous aviez dit qu’elle a été finalement adoptée… Si on débutait là ?, proposa Joan, soucieuse d’éviter la bagarre.

-Oui. Et après un garçon dont elle était très amoureuse est mort d’une façon tragique et…, commença David.

-Et finalement, elle a rencontré Papa ! Mais…, continua Louise, qui réussit à placer une boule dans un coin.

-C’était difficile, parce qu’elle n’arrivait pas oublier son premier amour et… Zut !, s’interrompit Charlotte, qui rata son coup.

-Ensuite, la Tante Élisa, par une sombre machination…, commença David, qui regardait Joan se pencher pour jouer, admirant ce qu’il pouvait deviner.

-Les a séparés et Papa est parti à New York devenir acteur, déclara Louise, qui fit une grimace à son frère, devinant ce à quoi il pensait.

-Mais Maman s’est enfuie du collège et a traversé l’Atlantique…, fit Charlotte, qui ne se doutait de rien, puisqu’elle leur tournait le dos, admirant les riches coloris des toiles de Suzanne.

-Parce qu’elle voulait le rattraper. Malheureusement, ils ne sont revus que plusieurs mois plus tard, dit Louise.

-Ça devait bien faire un an, non ?, demanda David, dont c’était le tour de jouer.

-Je n’en suis pas certaine, mais…, commença Charlotte en se caressant le menton.

-Ils ont fini par se retrouver et…, fit Louise avec une expression de ravissement romantique sur son visage.

-Malheureusement, votre mère a…, ajouta David.

-D’accord, je connais cette partie de l’histoire, dit Joan, étourdie.

Elle venait de perdre l’équilibre et avait failli abîmer le tissu vert de la table de billard. Son père l’aurait tuée !

L’après-midi pluvieux se passa sans encombre en compagnie des Lloyd. On joua au bridge et on mangea des petits gâteaux. Suzanne se mit au piano. On dansa le tango. On s’inquiéta de la situation politique en Allemagne. On discuta de l’utilité d’apprendre l’algèbre à l’école, quand on rêve d’une vie sans mathématiques, basée uniquement sur des grands idéaux. Sur ce sujet, Charlotte avait un point de vue unique : “ J’aime les maths ! ”, dit-elle avec passion. “ Eh, bien ! On te les laisse ! ”, répondirent tous les autres. Enfin, on se sépara en promettant de se revoir bientôt. Joan était vraiment une fille très amusante et, d’après David, “très mignonne”. Suzanne et Charlotte avaient discuté de peinture pendant plusieurs heures et l’ancienne actrice avait demandé à voir des œuvres de l’étudiante, la prochaine fois qu’elle viendrait. Candy était heureuse d’avoir fait la paix avec Suzanne et le mari de celle-ci ne lui déplaisait pas du tout. Il n’y avait que Terry qui se sentait aigre-doux. Suzanne l’avait encore questionné sur son projet et il avait répondu qu’il en parlerait quand le moment serait venu. En attendant, il était inutile de tenter de lui tirer les vers du nez. Il aimait bien l’idée de fréquenter les Lloyd, mais… pas trop souvent. C’était son petit côté misanthrope

De retour à la maison, Terry fut assailli de questions par rapport à ses relations avec Suzanne et à son état mélancolique suite à sa rupture avec Candy. Notre héros se dit que ses enfants avaient de bien grandes oreilles… Il ne put cependant éviter de leur répondre, car il savait qu’ils ne le laisseraient pas en paix.

-D’accord, d’accord, d’accord… Je vais vous parler de cette période sombre de ma vie, mais ce sera la dernière fois… Je n’aime pas évoquer ces souvenirs, dit-il en soupirant.

-Oh !!! Papa !!! Sois gentil… Nous voulons mieux te connaître !, dit Louise.

-Vous me prenez toujours par les sentiments…, soupira-t-il, encore.

Il se versa un verre de gin et s’assit dans son fauteuil de velours bourgogne capitonné. David et Louise s’étendirent sur la moquette, près de lui, alors que Charlotte et Candy prirent place dans la causeuse. Les lampes électriques du salon éclairaient la scène d’une lumière chaleureuse et tendre. La radio jouait un petit air de jazz. Le tout formait un tableau charmant, digne des œuvres de Norman Rockwell. Terry était fatigué, mais il fit un effort pour tout raconter. La descente aux enfers, la froideur qu’il ressentait envers Suzanne à cette époque, la dépression, l’envie d’en finir avec la vie et le dur combat, qu’il menait toujours, contre l’alcoolisme. S’il avait fini par être avec la femme qu’il aimait, le reste n’alla pas toujours comme sur des roulettes. Au début, son mariage avec Candy avait pourtant toutes les raisons de le rendre heureux : les époux s’entendaient à merveille et une petite fille leur était née au début de mai 1917. Charlotte avait été le plus beau cadeau du 19eme anniversaire de Candy. Il lui donnèrent Éléonore pour second prénom, parce que la comédienne occupait une grande place dans le cœur des heureux parents. Cependant, une épée de Damoclès pendait au-dessus de leurs têtes. La conscription des hommes de 18 à 45 ans, adoptée par le gouvernement le même mois, menaçait d’envoyer Terry au front. Heureusement, on envoya d’abord les volontaires et les conscrits célibataires. Ainsi, Archie faillit être expédié dans les tranchées de France, mais son mariage avec Annie retarda son envoi outremer à mai 1918. Terry se souvenait que la petite brunette, alors enceinte, s’était réfugiée chez eux, en s’inquiétant de son jeune mari parti au loin. À l’époque Terry tenait bon, malgré la crainte d’être conscrit : à peine prenait-il un verre ou deux, à l’occasion. Candy et lui avaient tout mis en œuvre pour réconforter Annie pendant les longs mois de l’attente. Victor naquit dans l’allégresse de l’annonce de la paix, à l’intérieur de cette même maison qu’ils venaient d’acheter. Cependant, Archie n’arriva pas avant février 1919, et, entre temps, Éléonore Baker était tombée gravement malade. À l’époque, une grave épidémie de grippe mortelle sévissait dans le monde entier. Éléonore devait faire partie des vingt millions de victimes. Elle s’éteignit en mars et une partie de Terry mourut avec elle ce jour-là. Aux funérailles, il offrit un bien triste spectacle, complètement ivre et pleurant à chaudes larmes sur la tombe de sa mère. Il fit les choux gras de la presse à scandales encore une fois et sa carrière tomba dans un creux. Il ne vivait que pour boire, il oublia sa petite famille aimante. Terry savait maintenant que Candy avait été bien près de le quitter, mais il s’en était sorti avec l’aide de Daniel. Il disait tout cela en regardant son verre avec une petite honte. Il se promit de se contenter d’un seul pour ce soir. Et il tint parole.

Ses deux filles lui sourirent. Charlotte se leva peu après pour avancer ses lectures, mais Louise ne put s’empêcher de songer à ce que son père avait éludé dans son récit. Pendant ce temps, bercé par la musique et les paroles de son père, le plus jeune s’endormit comme l’enfant qu’il n’était déjà plus. Il était plutôt fatigué de cette journée riche en surprises. Candy avait curieusement insisté pour que l’autre prénom de son seul fils soit Anthony. Cependant, Terry ne l’entendait pas de cette oreille. Il ne comprenait pas pourquoi elle tenait tant à perpétuer le souvenir du seul vrai rival qu’il ait jamais eu, fut-il décédé. Il avait quand même fini par céder, après une dispute homérique, parce qu’il cédait toujours si Candy insistait. L’enfant avait grandi. Il ressemblait curieusement à Albert, mais avait hérité de nombreux traits de caractères de Terry. Il était hypersensible, mais devant les nombreuses taquineries de son père, il avait vite appris à mieux le cacher et s’était forgé une petite carapace. Candy s’aperçut que son fils avait sombré dans un profond sommeil lorsqu’elle l’entendit ronfler. “ Oh, Non ! Comment va-t-on le transporter jusqu’à son lit ? Il est beaucoup trop grand, trop lourd ! Venez m’aider ! ”, chuchota-t-elle.

-Mère poule !, dit Terry. Tu es sûre que tu veux l’emmener dans sa chambre ? ( Devant l’insistance de sa femme, il leva les yeux au ciel. ) Ce n’est plus un gamin, pourtant… D’accord ! Tu prends les jambes et moi, le reste…, fit-il, résigné.

Nous étions maintenant le mercredi, 9 septembre, et Charlotte en avait marre. Avec Alfred, c’était toujours la même chose : il arrivait toujours en retard au cours. Elle attendait impatiemment le retour du bouquin qu’elle lui avait prêté la semaine dernière. Au fil des jours, Charlotte était tombée sous le charme du jeune homme, mais une chose la retenait, qui l’empêchait de s’abandonner totalement à ses sentiments nouveaux. Elle ne savait pas vraiment sur quel pied danser avec cet individu. Alfred était mystérieux, à la fois secret et bavard. Une énigme. Charlotte en avait marre (bis). Un matin, elle le considérait comme un excellent ami, le jour suivant, elle l’aimait d’un sentiment passionné, pour le détester le soir même. Il avait l’air plus qu’intéressé envers elle, mais... La situation était à la fois claire et ambiguë, à l’image d’Alfred. Elle en avait parlé à Caroline. Cette dernière connaissait Alfred depuis quelques années et elle avait aussi remarqué la valse-hésitation qu’il faisait avec Charlotte. Elle était perplexe : “ D’habitude, quand il veut sortir avec une fille, il est beaucoup plus direct. Mais on ne peut nier qu’il s’intéresse sentimentalement à toi, sinon il ne te traiterait pas avec autant d’égards. Il te respecte avec tant de délicatesse, alors que moi, son amie, je me fais sans cesse taquiner à propos de tout et de rien. Et tu as droit aux regards enflammés. Je ne le comprends pas ! Il n’est pas du genre timide ! ”

-Peut-être qu’il fait juste ça pour s’amuser ?, proposa Charlotte.

-C’est impossible, ce n’est pas son genre !

Donc, en cet instant, Charlotte attendait Alfred. Il lui avait donné rendez-vous devant le pavillon avant le cours d’après-midi, qui allait commencer dans quinze minutes. Charlotte se dit qu’elle allait entrer quand il arriva en courant. “ Bonjour ! ”, lui dit-il en souriant et en lui tendant le livre qu’il lui devait.

-Bonjour, nous allons être en retard, répondit-elle froidement en reprenant le volume.

-Oh… Désolé. Je voulais juste te demander ce que tu faisais demain soir.

-Vendredi ? Je suppose que je vais encore étudier…, dit-elle avec un soupir.

-Étudier ? Un vendredi ? Je voudrais t’amener dans un endroit formidable.

-Ah… ( De plus en plus intéressée. ) Quel genre d’endroit ?

-Ben… Un petit club que je fréquente. La musique y est excellente !

-Hum…

-Allez ! Dis-moi oui ! J’aimerais tant que tu m’accompagnes !, supplia presque Alfred.

-Bon, d’accord ! Quelle heure ?

-Je passe te prendre à 7 heures ?

-D’accord.

Ils se dépêchèrent ensuite de prendre place dans la salle de classe. Le professeur était déjà arrivé et il allait commencer. Charlotte tenta de prendre ses notes le plus studieusement possible, mais la présence d’Alfred à ses côtés la distrayait énormément. Son regard croisa celui de Caroline, qui était assise quelques rangs devant le couple et qui s’était retournée. Elle savait que Charlotte et Alfred s’étaient parlés et elle semblait curieuse de savoir ce qu’ils s’étaient dit. Charlotte lui fit un clin d’œil et ses lèvres mimèrent quelques mots. “ Je te parlerai après le cours. ”, lui fit-elle savoir.

Trois heures plus tard, Caroline rejoignait Alfred et Charlotte à la sortie de la classe. Ils discutèrent de ce qu’ils avaient vu dans le cours et de l’examen qui allait être la semaine prochaine. Puis, Alfred prit congé, disant qu’il allait être en retard pour le dîner et baisant la main de Charlotte, comme à son habitude. Charlotte rougit encore plus que de coutume. Caroline était tout sourire. Il s’était donc déclaré ? Quand il disparut de leur vue, elle ne put s’empêcher de questionner son amie.

-Oh. J’ai été invitée à aller dans un club vendredi soir…, lui répondit Charlie.

-Ah ! C’est magnifique ! Je ne me souviens pas qu’il ait invité une fille à partager ainsi sa passion pour le jazz !, s’exclama son amie.

-Mouais… Mais ça ne veut rien dire…

-Idiote ! Tu es aveugle ou quoi ? Devrait-il te sauter dessus pour que tu voies qu’il t’adore ?

-J’admets que ce ne serait pas désagréable, dit Charlotte en rougissant.

-Pourquoi ne prendrais-tu pas les devants, alors ?

-Comment ?

-Vendredi, mets ta plus jolie robe et maquille-toi un peu… Ensuite, en marchant, fait semblant de trébucher et…

-Oh ! Je suis contre ces procédés !

-Ce que tu peux être compliquée !, fit Caroline, déconcertée.

-Je veux seulement être honnête envers moi-même, expliqua Charlotte.

-Ben alors, dis-lui ce que tu ressens !!!

-Moi ?, fit Charlotte, qui tremblait à l’éventualité de se dévoiler.

-Tu l’aimes, oui ou non ?, s’exaspéra Caroline.

-Euh ! Oui…, fit son amie d’une toute petite voix, presque imperceptible.

-Ah… C’est fou ce que tu es timide ! Libère-toi un peu, bon sang ! (Voyant que Charlotte était rouge comme une pivoine, elle changea de ton.) Bon, j’abandonne… Il est cinq heures et demie. Je te dépose chez toi ?, proposa Caroline.

-J’aimerais t’inviter à dîner dans ma famille : mes parents sont curieux de faire ta connaissance.

-Hum. Je vais appeler ma mère pour l’avertir, alors. Elle va m’envier, car elle est une grande fan de ton père !, blagua Caroline.

Ce soir-là, les Grandchester furent très heureux d’accueillir l’amie de leur aînée à leur table. Elle ne manquait ni de conversation, ni d’appétit, ce qui fit qu’ils l’adoptèrent aussitôt. David, surtout, s’enticha d’elle : “ Et vous reviendrez souvent, n’est-ce pas ? ”, lui chuchota-t-il discrètement.

-Oui. Pourquoi pas ?, répondit Caroline, flattée des attentions du jeune garçon.

-David, laisse Caro en paix ! Aurais-tu déjà oublié Joan ?, le taquina Louise.

David rougit et n’osa plus regarder personne en face. Comme toujours, la famille raconta tour à tour sa journée. Quand Charlotte annonça qu’elle avait rendez-vous avec Alfred vendredi soir, les visages prirent un air entendu. Tout le monde savait qu’elle n’était pas indifférente vis à vis du jeune homme. Terry ricana un peu en disant qu’il allait enfin lui voir la figure. Il blagua lorsqu’il promit de l’interroger de façon serrée. Vers la fin du repas, ce fut le tour de Louise de raconter sa journée.

Ils répétaient tout le premier acte, ce mercredi. C’était si amusant de jouer la propre fille de Terry ! Pendant qu’ils jouaient ces scènes familiales, John les regardait avec admiration. Ils formaient un couple très vraisemblable, un joli duo d’amour filial. John ne put s’empêcher de ressentir un pincement au cœur en constatant leur bonne entente. Heureusement, il avait plus de scènes avec Maria que Terry n’en avait. Après tout, ne jouait-il pas le rôle du promis ? En ce moment, Silvia se travestissait en soubrette, avec l’accord paternel, pour mieux pouvoir juger de son futur époux, tandis que Dorante se déguisait lui-même en domestique. Bientôt, il allait entrer en scène. ( Note : Répliques originales de la pièce. )

-( John, qui joue Dorante, à l’endroit de Terry. ) Je cherche monsieur Orgon ; n’est-ce pas à lui que j’ai l’honneur de faire la révérence ?

-Oui, mon ami, c’est à lui-même.

-Monsieur, vous avez sans doute reçu de nos nouvelles; j’appartiens à monsieur Dorante qui me suit, et qui m’envoie toujours devant, vous assurer de ses respects, en attendant qu’il vous en assure lui-même.

-Tu fais ta commission de fort bonne grâce. Lisette, que dis-tu de ce garçon-là ?

-( Louise, alias Maria, jouant Silvia, alias Lisette. )Moi, Monsieur, je dis qu’il est le bienvenu, et qu’il promet.

-( Dorante ) Vous avez de la bonté; je fais du mieux qu’il m’est possible.

-( L’acteur qui joue Mario, le frère de Silvia. ) Il n’est pas mal tourné, au moins ; ton cœur n’a qu’à se bien tenir, Lisette.

-Mon cœur ! C’est bien des affaires.

-( Dorante ) Ne vous fâchez pas, Mademoiselle; ce que dit Monsieur ne m’en fait point accroire.

-D’accord, tu sais ton texte par cœur. Maintenant, pourrais-tu seulement raconter ta journée ?, demanda David.

Louise soupira et reprit.

Et ce fut des marivaudages incessants toute la matinée. Bientôt, ce fut midi. Sachant que, comme d’habitude, Maria partirait avec Terry et Frank au restaurant, il décida de se joindre à eux, voulant mieux connaître la jeune fille. Il prétexta des raisons professionnelles : “ Euh, Maria… ”

-Oui, fit Louise en souriant.

-Je me demandais… J’ai un petit problème avec la scène sept.

-Comment ?

-Oui. Euh…C’est cette réplique, dit-il en lui montrant timidement la ligne.

-Ah. Le traducteur n’a peut-être pas trouvé le mot juste… Vous savez, le français n’est pas une langue facile à traduire… Dites, vous pourriez venir manger avec nous, nous pourrions en discuter !, proposa Louise.

-Oh… Pourquoi pas… ( “ Youpi, ça a marché ! ”, se disait-il. )

Terry, qui avait tout entendu de leur conversation, savait bien que ce n’était qu’un prétexte futile pour parler avec Louise. Il rit intérieurement, mais laissa les choses suivre son cours. Comme il s’en doutait, John aiguilla la conversation sur tout autre chose que la pièce dès qu’ils s’assirent à table. Terry ne put s’empêcher de tendre l’oreille, par curiosité paternelle. De son côté, Frank monologuait avec lui-même, comme d’habitude.

-Euh, je me demandais… Est-ce que c’est la première fois que vous faites du théâtre professionnel ? Parce que je ne vous avais jamais vue dans les autres productions, demanda John.

-Oui, mais j’ai fait beaucoup de théâtre amateur, là d’où je viens.

-Et d’où venez-vous ?, dit John, de plus en plus curieux.

-De Chicago ( “ Je connais cet endroit, alors ça va avoir l’air naturel. ”, pensait-elle. ).

-Ah. Et votre famille est là-bas ?

-Oui.

-Alors, où habitez-vous ?

-Oh, jusqu’à récemment, j’étais à l’hôtel, mais maintenant que j’ai fait la connaissance de Monsieur Grandchester, j’habite chez lui.

-Vous vivez chez lui ?, fit John, étonné.

-Je paie une petite pension, bien sûr. Et ma mère est si rassurée de me voir habiter chez une famille si gentille. ( Elle regarda son père avec un sourire. ) Vous n’avez pas idée à quel point ils sont aimables ! ( Espiègle. ) Surtout leur fille Louise, je m’entends tellement bien avec elle. Il faut dire qu’on se ressemble beaucoup, elle et moi…

-Excuse-moi, l’interrompit Caroline, mais tu as vraiment dit ça ?

-Oui.

-Et il n’a pas eu un doute sur ton identité ?

-Non. Pas une miette.

-Il est bizarre, ce type !, dit Caroline sur un ton péremptoire.

Il la trouvait merveilleuse. Mille questions se bousculaient dans sa tête. Pourquoi chez les Grandchester et pas dans une autre famille ? Est-ce que Terry avait des visées sur la jeune fille ? Il était marié depuis longtemps et on le disait heureux en ménage, mais Maria était si tentante ! Comment un homme pourrait-il lui résister ? Et puis, elle avait peut-être un petit ami ? Elle avait peut-être quelqu’un dans sa vie, mais à voir la façon dont elle regardait Terry, il pouvait jurer qu’elle en était éprise ! Il n’y avait rien de sûr, cependant, il devait lui poser encore quelques questions. “ En tout cas, vous vous entendez bien, Terrence et vous. ”, finit-il par dire d’un ton légèrement amer. Terry fit semblant de ne rien avoir entendu, mais il sursauta intérieurement. John s’imaginait des choses. Il faut cependant admettre que la bonne entente entre Louise et son père pouvait prêter à confusion pour ceux qui ne connaissaient pas leur lien de parenté.

-Oh ! Je n’aime pas l’appeler par son prénom, ça me fait tout drôle. C’est quand même un monsieur !

-Comment l’appelleriez-vous, alors ?, demanda John.

-Ben, je pense que les moments où je me sens le plus à l’aise pour l’interpeller sont dans la pièce, lorsque je dis mon père. C’est un peu fou, non ? (Louise adorait donner des indices à ses victimes.)

-En effet… Mais comment le trouvez-vous ? Moi, il m’intimide un peu… Il est tellement talentueux !

-Eh bien... J’aime vraiment cet homme : il est drôle, brillant, charmant. Il est plein d’attentions envers moi et je sais qu’il m’apprécie en tant que personne. Et puis, il est loin d’être moche !, fit Louise sur un ton de confidence qui fit frémir John.

 

Terry, de son côté, appréciait l’hommage en silence, mais considérait que sa fille venait de faire une terrible gaffe. Probablement que Louise n’était pas encore assez mûre et expérimentée pour s’apercevoir de ce que John éprouvait pour elle. Elle représentait parfaitement l’ingénue typique qui ravageait les cœurs sans le faire exprès. Terry plaignait John en silence : il voyait bien qu’il avait l’air pâle depuis les révélations de Louise.

-Mon Dieu ! John !, fit Frank en sortant pour une fois de la contemplation ultime de son moi. Allez-vous bien ?

-Euh, je pense que les huîtres n’étaient plus très fraîches… Mais ça va aller. Oui, je me sens déjà mieux, mentit John.

-Pauvre John ! Vous devriez prendre un peu de thé au gingembre. Ainsi, les nausées vont passer, conseilla Louise.

Et elle lui en versa une bonne tasse.

Le retour à la répétition se passa sans encombre et le travail se termina relativement tôt. John alla parler à Louise : “ Excusez-moi, Maria, mais je ne suis pas satisfait de la façon dont je joue les scènes avec vous. Auriez-vous le temps, cette semaine, de me consacrer quelques heures pour que nous pratiquions un peu plus ? ”

-Euh ! Demain, c’est impossible pour moi, mais il reste vendredi soir… Faites-vous quelque chose ?

-Non…

-Vous passerez me prendre à sept heures, chez M. Grandchester. Vous savez où c’est ?

-Non…

-Bon, on se revoit vendredi matin pour une autre pratique de toute façon. Je vous expliquerai le chemin et vous dirai à quel endroit nous pourrons aller, décida-t-elle, sans lui laisser le temps de répondre.

-Euh…

-Au revoir !

Elle était partie avec Terry. Il se disait qu’il n’avait jamais rencontré de fille aussi spéciale. Elle avait elle-même décidé du moment et du lieu de leur rencontre. Elle n’était pas comme les autres.

De son côté, Louise n’avait aucune idée de la tempête qui dévastait le cœur du jeune homme. Elle était simplement heureuse de cette journée passée à jouer à être une autre personne. En plus, elle se sentait privilégiée de profiter de la présence rassurante de son père et des forts liens qui les unissaient. Terry se dit de son côté que sa fille était une vraie oie blanche. Comme sa mère lorsqu’elle était au Collège St-Paul. Mais bon. Elle finirait bien par s’éveiller aux choses de la vie. Cependant, pour réduire les souffrances de John au minimum, il lui fallait parler avec Louise au plus vite et lui faire comprendre quelques trucs. Le sujet était délicat. Bon sang ! Pourquoi avait-il eu des filles ?

Caroline quitta les Grandchester peu après sept heures, parce qu’elle avait beaucoup de travail à faire en préparation du premier examen en médecine. Charlotte s’enferma alors dans le bureau pour étudier jusqu’à tard dans la nuit.

Vers neuf heures, Terry vit que Louise avait terminé ses devoirs. Il sollicita un entretien avec elle : “ Louise, j’aimerais te parler d’un sujet de la plus haute importance. ”, commença-t-il.

-Vas-y, je t’écoute.

-Euh ! (Il lui fallait trouver les mots justes.) Ces derniers jours, on beaucoup parlé de mon passé et de celui de ta mère, n’est-ce pas ? Et je suppose que tu trouves notre histoire très romantique. Est-ce que je me trompe ? (Il vit son sourire. Il hésita un peu, puis se lança.) Il faut que tu saches que je suis tombé éperdument amoureux d’elle dès la première fois que je l’ai vue, mais que ce ne fut pas réciproque. (Louise fit un air étonné.) Bon. C’est vrai que je m’étais montré très désagréable et qu’elle a dû avoir une mauvaise opinion de moi au départ, mais ce n’est qu’un détail. En fait, ce qui est important… Euh ! (Terry cherchait encore ses mots.) Quand nous sommes devenus amis… C’était pire ! J’ai beaucoup souffert. Extérieurement, je n’en laissais rien paraître, parce que je ne suis qu’un terrible orgueilleux…. Je voulais avoir un lien particulier avec elle et voilà qu’elle me parlait de cet Anthony… (Il soupira.) Enfin bon. On t’a raconté qui il était… (Il se racla la gorge.) Bon ! Où en étais-je ? Ah oui ! Donc, j’étais ce pauvre garçon amoureux d’une fille qui le considérait seulement comme un de ses amis… C’était atroce et je crois que ta mère devait être complètement aveugle pour ne pas s’apercevoir que j’étais fou d’elle. C’est vrai que j’agissais de façon paradoxale, déconcertante… (Il aperçut le regard accusateur de Louise.) Bon ! Je le reconnais : je suis en partie responsable et elle avait raison d’être perplexe à mon égard ! Mais, la plupart des garçons sont moins ambivalents. Euh ! Il arrive ainsi, très très très souvent, qu’une jeune fille naïve ne se rende pas compte des sentiments dont elle est l’objet et fasse involontairement souffrir celui qui l’aime…

-Oui, mais… euh ! C’est au garçon d’être plus démonstratif !

-Hé ! J’ai été giflé le jour où j’ai essayé d’être plus démonstratif ! C’est pas une bonne idée ! Je crois que la jeune fille doit être consciente qu’elle peut charmer sans le vouloir. Il lui faut faire attention.

-Pourquoi me racontes-tu cela, Papa ?

Visiblement, elle n’avait pas compris. Terry soupira encore pour la deuxième (Ou troisième, quatrième, cinquième ?) fois : “ Oh… Laisse tomber ! On en rediscutera dans un an… ” Charlotte, cependant, avait tout entendu depuis le bureau puisqu’elle lui lança : “ Tu sais Papa, la situation inverse à ce que tu viens de raconter existe aussi… ” Terry alla aussitôt la voir et il la rassura. Il ne fallait pas qu’elle s’inquiète. “ J’ai bien hâte de le voir, ça me permettra d’en mieux juger ”, admit-il à son aînée. Content d’avoir joué son rôle de père moderne, il retourna dans le salon où Candy classait des documents. “ Alors, ça avance ? ”, lui demanda Terry. Depuis qu’elle était devenue mère, Candy faisait d’intenses recherches pour retrouver ses racines. Malheureusement, son enquête était pleine de difficultés : “ Non, ça n’a pas vraiment bougé depuis un mois ! J’aimerais trouver ce que je cherche plus rapidement… Je suis à bout ! ”, répondit-elle. Après avoir noté ses résultats dans un carnet, elle poussa un soupir de découragement et décida d’aller dormir. Terry la regarda s’éloigner en se versant un verre de sherry. Il se dit que certaines personnes devaient avoir intérêt à ce que Candy se décourage de faire de telles recherches.

Questions : John va-t-il finir par découvrir la supercherie dont il est victime ? Quel est le secret d’Alfred ? Qui pourrait avoir intérêt à ce que les origines de Candy restent obscures ? De l’action en perspective, les amis ! 

Fin du chapitre 4

© Miss Retro avril 2001