Les roses se cachent pour faner 
( Soap Opéra )
par Miss Retro

Avertissement : Ceci est un mélange de sérieux et d’humour à prendre avec une poignée de sel. Certaines scènes et sujets peuvent choquer. Garder hors de la portée des enfants. Les titres sont absurdes. J’ai fait quelques références de toutes sortes et j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur. Notez aussi que l’auteur ( moi ! ) intervient parfois dans l’histoire. Si vous voyez des erreurs ou avez des commentaires, n’hésitez pas à me contacter. Je suis toujours prête à m’améliorer.

Chapitre 1

Une surprenante surprise ou le pléonasme redondant

En ce lundi 31 août 1936, alors que les petits oiseaux chantaient encore, Terry s’était réveillé avec le poids de ses années sur le dos. La veille, il avait assisté à une autre de ces réceptions interminables que de riches admirateurs organisaient en son honneur. Pour la première fois, il se sentait vieux. Il se souvenait de ce petit rouquin rougissant qui le regardait avec admiration et lui expliquait que c’était lui, son idole, Terrence Grandchester, qui lui avait donné envie de plonger dans le théâtre. Ça l’avait immédiatement embarrassé. Il n’avait su que lui bafouiller qu’il était bien content que la relève soit de si grande qualité. Terry avait à peine eu le temps de s’habituer à ses fans délirants, que déjà il était considéré comme le père spirituel d’une flopée de nouveaux artistes. " Mon Dieu ! Ça fait plus de vingt ans que je suis sur les planches. Tous ces jeunes me poussent vers la sortie. "

Il se leva et alla se regarder dans le miroir. Il était un peu moins maigre qu’autrefois, mais, sauf de superficielles rides d’expression, il faisait beaucoup moins que son âge. Ses cheveux bruns, qu’il gardait toujours longs à cause du métier, n’étaient pas encore striés de gris et dans ses yeux brûlaient encore des petites flammes bleues. " Voyons Terry, tu es stupide : tu en as encore à montrer à ces jeunots ! ", se dit-il en se regardant dans le blanc des yeux. Il décida de réveiller la déesse qui ronflait dans le grand lit de la chambre, sinon elle allait être en retard au travail. " C’est fou, pensa-t-il avec un sourire malicieux, elle ne ronflait pas si fort quand je l’ai connue, à l’époque. " La jolie blonde réagit dès que les lèvres de son époux l’effleurèrent.

-HMMM… dormir…. Zzzzz.

-Allons, l’infirmière, tu as des malades à visiter. Réveille-toi.

-HMMM… Quoi ?.. Hein…

-Si tu ne te réveilles pas d’ici deux secondes, tu auras droit à un traitement spécial de chatouilles !

-NOOOON ! C’est bon, je me lève…

Candy enfila sa robe de chambre vieux rose en baillant et descendit les marches au bras de Terry pour aller à la salle à manger. Elle ne cessait de murmurer " Café, café, café, café… ". Le déjeuner venait juste d’être servi par la cuisinière. Les trois enfants étaient déjà là, vêtus et dévorant à pleines dents les muffins et les pommes de terre sautées. Ils accueillirent par une exclamation amicale l’arrivée de leurs parents et continuèrent leur repas en silence. Candy avait une faim de loup : comme chaque matin, elle mangea comme quatre. Elle embrassa son aînée, Charlotte, qui commençait ses cours à l’université ce matin. La petite brune aux yeux verts et au visage constellé de taches de rousseur faisait partie d’un minuscule groupe d’étudiantes, les femmes n’étant admises que depuis moins de 30 ans à la Faculté de Médecine. Sa mère en était si fière ! Charlotte partie, ce fut le tour de Louise et de David de quitter pour la high school. La jeune fille, portrait craché de sa mère, y allait depuis quatre ans, tandis que son frère débutait cette année. Candy et Terry soupirèrent : la pièce semblait si vide à présent. Il leur fallait cependant se préparer, l’un avait ses répétitions, l’autre ses malades.

Au son d’une musique klezmer trépidante, Candy fit rapidement sa toilette. Au fil du temps, elle avait pris l’habitude de se parfumer et de se maquiller chaque matin. Rien de grave : tout ce qu’il y a de plus léger, afin de ne pas choquer ses patients. Pour la journée, elle se contentait d’un rouge à lèvre discret. Elle enfila ensuite son uniforme d’un blanc immaculé. "  Bravo Candy ! Tu viens de battre ton record personnel de 15 secondes ! ", dit Terry en regardant le chronomètre. Elle partit ensuite, sans oublier d’embrasser son tendre époux et de laisser une petite trace rose sur sa joue.

À quelques rues de là, le cœur de Charlotte bondissait dans sa poitrine : oui, elle allait devenir médecin ! Depuis qu’elle était toute petite, prendre soin des autres était son rêve le plus cher. La jeune fille avait d’abord été intriguée de la façon dont Candy s’y prenait pour soigner les divers maux de sa sœur, un véritable garçon manqué qui se faisait sans cesse mille et une bosses. Et quand Candy avait repris son travail d’infirmière, il y a huit ans, après une petite remise à jour, Charlotte avait bien vu que sa mère, quoique très fatiguée, semblait beaucoup plus heureuse que les années précédentes, où elle avait été presque confinée à l’univers familial.

Un jour, il y a quelques années, elle s’était aventurée à lui dire qu’elle voulait elle aussi soigner les gens. Candy avait souri doucement et lui avait demandé pourquoi.

-Parce que je veux être comme toi. Je t’aime tant, Maman, tu es mon modèle…

-Ma chérie, je suis contente de voir que tu m’apprécies à ce point. Cependant, tu dois trouver ta vraie personnalité et choisir un métier en fonction de tes désirs. Tu n’es pas obligée de tout faire comme moi. Dieu sait que je ne suis pas un modèle, pourtant !, ajouta-elle en riant.

-Mais pourquoi ne serais-je pas infirmière, moi aussi ?, avait demandé l’enfant de onze ans.

-Parce qu’en 1928, il y a tant de métiers qu’une femme peut exercer, même si elle n’a pas autant de choix que les hommes. Voyons, tu peux bien sûr être institutrice, vendeuse, secrétaire, mais dans plusieurs États tu peux exercer le droit. Et je n’ai pas encore parlé des métiers artistiques. Justement, ça ne te plairait pas d’être sur scène comme ton père ?

-Mais Maman, tu sais que je bégaye toujours en public !

-Je crois que le théâtre serait une bonne façon pour toi de combattre ce problème, tu sais. Moi non plus, je n’aime pas parler devant un large auditoire, mais quand je fais des discours sur l’hygiène publique devant les journalistes comme ça va être le cas dans dix minutes ( Oups ! ), je m’efforce d’être efficace. Bon, à plus tard ma chérie, fais sagement tes devoirs ! Bye !

Charlotte se souvenait encore de cette conversation entre deux rendez-vous, qui l’avait poussé à la découverte d’elle-même. À partir de ce moment, elle s’était mise à participer à toutes sortes d’activités extérieures à ses études : elle peignait sur toile et avait même tâté au théâtre, avec un succès tel que son père en avait presque explosé de fierté. Elle s’était rendu compte graduellement que si elle adorait les arts, elle ne voulait pas en faire un métier, mais un loisir agréable. Peu à peu, elle se découvrit une passion pour la chimie et la biologie. Elle décida de prendre tous les cours qu’elle pouvait dans ces matières et elle s’aperçut alors qu’elle se dirigeait vers une profession pratiquée en majorité par des hommes. Des hommes qui pensaient en hommes et qui soignaient les femmes tout en étant des hommes, c’est-à-dire avec beaucoup de préjugés. Quand elle annonça qu’elle allait entrer à la Faculté de Médecine dans le but de l’exercer, ses proches prirent d’abord la nouvelle avec un mélange d’incrédulité et d’appréhension ( " Mais, comment vas-tu réussir à percer la misogynie du corps médical ? Ça va être difficile, ma pauvre petite. Es-tu sûre que c’est ce que tu veux faire dans la vie ? "). Heureusement, la surprise passée, ils se décidèrent à l’appuyer.

-Nous allons t’installer un bureau privé dans cette pièce, ainsi tu pourras étudier dans la quiétude. Et ne t’inquiète pas pour l’argent : même si on vit une crise économique et que les études en médecine coûtent cher, nous sommes capables de te les offrir, lui avaient annoncé ses parents en souriant. Nous vendrons la Rolls, c’est tout.

-Je promets de ne pas te déranger pendant tes études… je vais essayer d’être sage, chuchota Louise avec un clin d’œil espiègle.

-Moi, aussi ., s’exclama David.

Charlotte franchissait maintenant le portail en fer forgé. Devant elle, un bâtiment impressionnant abritait les locaux des cours de médecine. Elle se sentait observée, mais n’y tint pas compte, étant consciente que la rareté de la gent féminine en ces lieux attirait les regards masculins. Elle gravit les marches et entra dans le pavillon.

Pendant ce temps, Terry avait raté le métro de justesse. Il attendait le suivant, quand il entendit une voix connue derrière lui.

-Bonjour Terry. Comment vas-tu depuis le temps ?

Terry se retourna et eu un léger sursaut. Une blonde en chaise roulante lui souriait tendrement.

-Ça alors ! Su… Suzanne ! Euh, comme tu le sais sûrement si tu lis les journaux, je me porte mieux que jamais…

-Je sais, fit-elle en souriant encore, je sais. Terry…, s’exclama-t-elle , Je… je ne t’en veux plus maintenant. J’ai fini par comprendre que je te rendais malheureux, que j’étais un poids pour toi.

-Suzanne…

-Non, je t’en prie… ne dis rien. Je sais que ça m’a pris du temps avant d’accepter la réalité, mais depuis plusieurs années je vais beaucoup mieux. Seulement, je n’ai jamais pu te le dire, je n’osais pas. Dans le fond, j’étais rancunière… Et maintenant, je te rencontre par hasard et ma rancune disparaît. Je t’ai pardonné. Tu sais, moi aussi j’ai ma vie maintenant. Je suis mariée depuis quinze ans…

-Oh, c’est bien ! Je m’inquiétais pour toi.

-Je suis aussi la mère de deux enfants adorables. Et puis, surtout j’ai un nouveau moyen de m’exprimer : je peins… En plus, mon mari a ouvert une galerie d’art dont je m’occupe et j’adore partir à la recherche de nouveaux talents. Bien sûr, les affaires ne sont plus ce qu’elles étaient, mais nous nous débrouillons malgré tout. Je constate même une très légère remontée depuis cette année. ( après un court silence ) Terry, ton amitié me manque… J’aimerais tant que tu redeviennes un ami comme avant l’accident… et… tout ce qui a suivi…. Voici ma carte… Tu peux me rendre visite quand tu veux et tu peux aussi amener ta femme et tes enfants.

-Merci, j’y songerai…, répondit Terry, un peu déboussolé devant les paroles de son ancienne fiancée.

Un homme imposant aux tempes grises s’avança.

-Ma chère, voici tes magazines… Ah… Bonjour ! ( il fait un sourire de clown ) Je suis Andrew H. Lloyd, sculpteur à maigres revenus, et vous… vous me rappelez quelqu’un. Voyons, je n’oublie jamais un visage. Mais où vous ai-je donc vu ?

-Chéri, je te présente Terrence Grandchester… Tu sais, je t’en ai déjà parlé ?..

-Mais bien sûr ! Je suis ravi de rencontrer ce grand acteur, mais… Devrais-je être jaloux de l’homme qui a ravi pour toujours le cœur de ma femme ?

Silence gêné.

-C’est une blague…. HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !

-Hahaha…, fit Terry avec un demi-sourire.

-Oh ! Coquin !, cria Suzanne en essayant d’attraper le veston de son mari, Tu m’as encore eue! Tu vas me faire mourir de peur !

-Je suis désolé, mais les situations délicates m’inspirent toujours de telles blagues ! HAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !

-Mon farceur chéri !

Le métro arrivait.

-Bon, ben, au revoir les tourtereaux. Je dois y aller.

-Attends-nous, nous descendons à la prochaine station !

-Ah, très bien alors…

Ils s’installèrent. Le mari installa sa femme dans l’espace vide entre les deux bancs, sourit et commença à lire un magazine humoristique. Il rit souvent et fort.

-Dis-moi Terry… Je ne voudrais pas être indiscrète, mais je me demandais dans quelle pièce tu allais jouer cet hiver, puisque ton nom n’est à l’affiche nulle part…

-Ah, mais ce n’est pas une indiscrétion… c’est un secret ! NAN ! Je plaisante ! On joue du Marivaux. Tu sais, Le Jeu de l’Amour et du Hasard ? Pour la première fois, j’ai un rôle de vieux : je suis Orgon, le père de Silvia. J’ai accepté parce que, entre autres, je veux laisser une chance à la relève et… que je prépare quelque chose d’autre…

-Quoi ?

-Chut… Ne le dis à personne… Depuis quelque temps, je songe à la mise en scène. Je suis justement en train de faire des recherches pour le projet…

-Et ce projet, c’est ?

-C’est motus et bouche cousue ! Oui, je n’ai pas envie de tout dévoiler, vu que aucun contrat n’est signé.

-Je vois… Eh, bien… J’espère que tu m’en donneras des nouvelles ?

-Mouais… ( le métro arrive à la station ) Au revoir !

-Au revoir !

-Au revoir, messire Grandchester ! HAHAHAHAHA !

" Vraiment, il est bien gentil le mari de Suzanne, mais quel rire insupportable! C’est sûr qu’elle doit l’aimer très fort, pour supporter ça. ", pensa Terry, un sourire en coin.

Comme chaque matin, Candy était d’abord allée à l’agence qui l’employait, afin de prendre la liste de ses patients de la journée. Il lui avait d’abord fallu s’occuper d’un jeune enfant très fortement grippé, dont la mère ne s’occupait jamais, et en proie à la déprime, parce qu’il ne pouvait plus voir ses amis. Elle le consola du mieux qu’elle put et sa visite consista plutôt à jouer avec lui aux soldats de plomb ( Et paf ! Je suis Mussolini. Et pif ! Je suis Hitler. Partons à la conquête du monde… ). Elle ne pouvait cependant rester longtemps et le petit garçon ne put retenir ses larmes quand son infirmière préférée lui annonça qu’elle devait partir.

-Je te promets de revenir demain Bernie…, dit-elle. Et Candy partit soigner la personne suivante sur la liste.

Candy était maintenant au chevet d’une nouvelle accouchée. La femme reposait sur le lit, blême et très mal en point. Le bébé était arrivé avant-hier et il s’était présenté par le siège. C’était une vraie catastrophe. Candy s’affairait à nettoyer ses blessures. Elle se disait que les instruments utilisés par le médecin pour faciliter la sortie du bébé avaient profondément meurtri la chair de la femme. Elle frissonna en se rappelant la nuit où David était venu au monde, il y a treize ans. C’était maintenant un adolescent très grand pour son âge. Il avait été justement un nouveau-né énorme. Les naissances de Charlotte et Louise avaient été presque des vacances, en comparaison. Il aurait fallu faire une césarienne, mais l’enfant brun était déjà bien engagé quand ils arrivèrent à la clinique. Alors, elle avait perdu beaucoup de sang. Terry était devenu fou… Il se contenait seulement pour ne pas effrayer ses filles. Candy pensa que même si Terry était un père exceptionnel, elle avait toujours passé en premier. C’est pourquoi, dès qu’elle se réveilla, une des premières choses qu’il lui dit en tremblant fut :

-Candy, le petit garçon que nous avons eu cette nuit sera notre dernier enfant…

-HMMMM… Terry…

-Non… ne parle pas, tu es épuisée… Candy ! Tu as été si près de mourir ! Je… je ne pense pas que j’aurais la force de supporter ce genre de situation encore ! Je n’y survivrais pas ! Le docteur croit que si jamais un bébé aussi gros que notre fils se présente à nouveau, tu as une chance sur deux d’y passer. Je ne veux pas prendre ce risque !, dit-il blême de peur.

Depuis lors, ils s’étaient renseignés sur les moyens contraceptifs disponibles. Ce n’était pas facile, vu qu’une loi en interdisait la publicité. Une infirmière célèbre, Margaret Sanger, avait même fait de la prison après avoir pris position pour l’utilisation de ces méthodes, dès 1914, au nom de la santé publique. Elle avait pourtant persévéré et continué à distribuer des diaphragmes dans ses locaux d’information. Ce n’est qu’en 1936 qu’une décision judiciaire rendit la contraception légale aux États-Unis.

Candy se disait justement que cette pauvre femme qu’elle soignait pourrait en bénéficier. Mais comment aborder ce problème si… intime ?

-Combien avez vous d’enfants, madame ?

-C’était mon cinquième, répondit la femme d’une voix faible.

-En voulez-vous d’autres ?

-Mais la question ne se pose pas : dans un couple normal, les enfants naissent, c’est tout…

Candy commença à expliquer à sa patiente quels moyens les femmes utilisaient pour éviter une nouvelle conception. Elle y allait très doucement, n’y ajoutant pas un luxe de détails. Après une petite heure, Candy s’en alla visiter l’autre personne sur sa liste. Elle sursauta en voyant le prénom. " Non, ça ne peut pas être elle, il s’agit d’une Lloyd. " Ces pensées la rassurèrent.

Au même moment, David se demandait où pouvait bien être passée sa sœur : il voulait lui demander où se trouvait le local pour le cours de musique. Il était un peu perdu dans cette grande école mixte où il connaissait seulement ses amis du primaire. Soudain, il aperçut les deux grandes amies de Louise : Martha et Eunice. Il prit ses manières de playboy décontracté pour cacher sa timidité et les aborda sans autre forme de cérémonie.

-Excusez-moi, mes jolies, je cherche ma sœur.

-Oh ! Nous aussi., répondit Martha

-Louise est partie rapidement à la pause en nous disant au revoir. Elle ne nous a pas dit où elle allait. Elle devrait se dépêcher, sinon elle va rater le cours de physique…, s’inquiétait la rousse Eunice.

-Zut ! Elle va encore faire des bêtises ! Et moi qui cherche le local de musique…

Les gentilles copines de Louise l’aidèrent aussitôt à s’orienter et partirent de leur côté, d’un air inquiet.

Louise avait quitté la classe dès que la cloche avait sonné. Elle avait couru rapidement vers les toilettes, guettant du coin de l’œil si un sévère surveillant passait par-là. Puis, elle s’était maquillée prestement. Hop ! De la poudre de riz lui donnait une pâleur surnaturelle qu’elle sublimait en fardant légèrement ses joues et en rougissant sa bouche. Elle termina par un peu de khôl noir et de mascara. Elle mit ensuite des bas de soie, changea de robe et posa sur ses cheveux un petit chapeau coquet. Elle portait des gants assortis et s’enveloppa d’un manteau léger. Ainsi, elle avait l’air d’une dame. Elle réussit à sortir incognito de l’édifice. Elle se précipita alors vers la première station de métro. Elle se sentait si libre…

Charlotte était assise dans le grand amphithéâtre et écoutait le discours infâme du vice-recteur :

" (…) D’aucuns croient que la gent féminine est égale à l’homme, mais moi je vous assure que les dames qui sont parmi nous ne sont là que par faveur et ne resteront pas longtemps ici. Leur nature sera bientôt offensée par ce qu’elles verront en ces murs et elles comprendront que leur place n’est pas à la Faculté de Médecine à travailler dans un domaine propre à l’homme, mais au foyer ! (…) " ( Et vlan pour les féministes, devait-il se dire. )

Charlotte se mit aussitôt à détester cet homme fat qui discourait devant elle. " Je vais lui montrer, moi ! " Heureusement, les paroles du directeur de la Faculté étaient beaucoup plus accueillantes.

-Merci de nous éclairer de votre lanterne, cher collègue, fit-il sur un ton ironique. Bon, maintenant, après les blagues, passons aux choses sérieuses. La Faculté est fière d’accueillir des femmes depuis plus de vingt ans. Quoiqu’il en soit, que vous soyez homme ou femme, la Faculté vous souhaite la bienvenue et vous avertit que vous devrez travailler très dur pour obtenir votre diplôme. Alors, si vous le voulez bien, le cours va débuter dès maintenant. Voici le professeur Forbes…

Charlotte prit sa plume et commença à noter tout ce qui se disait. Il s’agissait d’un cours d’introduction à l’anatomie. Elle se sentit soudain observée, comme avant qu’elle n’entre dans l’édifice. Elle tourna la tête et aperçut un jeune homme aux cheveux très noirs, qui la dévisageait. Elle rougit et tenta plutôt de se concentrer sur le cours. Le professeur Forbes, un petit homme barbu, maigre et chauve, expliquait à ses étudiants où ils devaient se procurer les trois livres obligatoires pour le cours. " Ces volumes vous seront utiles tout au long de vos études de médecine, dit-il en souriant. En attendant voici un bref aperçu de ce que vous aller apprendre ce trimestre… "

Une heure et demie plus tard…

" Le cours est terminé. Votre premier devoir est d’acheter les volumes. Ensuite, vous lirez les trois premiers chapitres de Johnson et Ford, les deux premiers de Vince et les quatre premiers de Lee. Au revoir. "

Charlotte se précipita vers la sortie : il lui tardait d’aller acheter les bouquins ! " Excusez-moi, je suis pressée, disait-elle "

-Nous sommes tous pressés ma chère, lui répondit une grande brune sympathique.

-Pardon de mon impolitesse : je suis Charlotte Éléonore Grandchester.

-Non !? Sans blague, tu es la fille de ce grand acteur ?, fit-elle, tout de suite familière. Je m’appelle Caroline Mae Diefenbaker et mon père est chirurgien. Je suis son enfant unique, alors tu imagines que mon père a placé tous ses espoirs en moi : c’est presque freudien ! Mais toi, le tien n’a sûrement pas mis cette pression sur tes épaules. Que fais-tu en médecine ?

-Eh, bien… J’y suis par moi-même. Je veux soigner les gens et j’aime vraiment les sciences. Et puis, je suis sûre que je n’aurais pas fait une aussi bonne infirmière que ma mère…

-Ha ! Ta mère est infirmière ! Bien sûr ! Je l’avais lu dans un de ces journaux à potins ! Ma foi ! Ça explique un peu pourquoi tu es ici !

-Tu sais Caroline, je ne me suis jamais habituée au fait que la vie de ma famille soit disséquée dans ces petits journaux… Ils sont si réducteurs…

-Excuse-moi. C’est vrai… Tu n’as pas à supporter le fait que ton père soit si célèbre. Veux-tu que je te dépose quelque part ? Mon père m’a offert une vieille Modèle T pour mon anniversaire…

-Ben, je vais à la librairie…

-Quelle chance, moi aussi !! En fait, je crois qu’on n’est pas les seules…

-Bonjour, fit le jeune homme aux cheveux noirs, doit-je comprendre que vous allez à la librairie ?

-Alfred ! Toujours le même, hein ? Charlotte, je te présente mon plus grand rival au collège et un de mes pires amis : Alfred Lawrence. Je te préviens : c’est un noceur, mais il réussit toujours à avoir de bonnes notes !

-Caroline, voyons ! Tu vas effrayer ton amie. Je suis ravie de faire votre connaissance mademoiselle...

-Mademoiselle Grandchester, mais je vous en prie, appelez-moi Charlie, puisque nous allons travailler tous ensemble.

-Eh, bien ! Vous venez ? Dépêchez-vous, sinon on va arriver là-bas et il ne restera plus aucun livre !, leur cria Caroline, déjà au volant.

Effectivement, il ne restait pas grand chose… que deux exemplaires de chaque ouvrage. Alfred fit le galant et abandonna son droit sur les livres aux deux demoiselles. Charlotte lui promit de l’aider, mais Caroline la regarda d’un air amusé. " Ne t’inquiète pas, il réussit toujours à s’en sortir. Tu verras… "

Alfred proposa d’aller manger ensemble, puis de commencer à lire les livres à la bibliothèque. Les filles trouvèrent que c’était une bonne idée. Ils allèrent dans un petit restaurant italien. Charlotte apprit que le père d’Alfred était marchand : il vendait des instruments de musique, des partitions et des disques. Alfred lui-même jouait du piano et de la clarinette. Charlotte ne put s’empêcher de dire que son propre père jouait de l’harmonica. Alfred avait l’air intéressé. Il aimait tellement la musique ! Il passait son temps libre dans les boîtes de jazz et c’est à cause de cela qu’il avait la mauvaise réputation de débauché. Charlotte était fascinée.

Les additions payées, le trio se dirigea vers la bibliothèque de l’université. Chaque jeune fille prit un livre et commença à lire. Alfred demanda à Charlotte s’il pouvait lui emprunter un des volumes qu’elle ne lisait pas. Elle acquiesça en rougissant. Caroline avait observé la scène en riant dans sa barbe. " Vraiment, il ne change pas !, pensa-t-elle en tournant la page. Je me demande si un jour, il va cesser de faire le charmeur. "

La pièce était vide et Terry se souvint qu’exceptionnellement, les répétitions pour cette pièce ne commençaient que vers dix heures et demie à cause de Frank, le metteur en scène, qui habitait très loin. Il avait au moins une demi-heure à attendre. Il s’assit en attendant. Il ne connaissait pas vraiment les autres acteurs qui faisaient partie de la distribution, mais il avait accepté en partie parce que le metteur en scène était un de ses bons amis. " Voyons… " Il regarda la petite liste qu’il avait sur lui. C’était surtout des jeunes. " Peter joue mon fils, ça va. Dave sera le serviteur, Bonnie, la servante Lisette… John W. Stevens ? Oh… Ce petit roux qui m’admire tant ! Il doit être doué s’il a obtenu le rôle de Dorante. Frank m’a dit qu’il avait tenu des auditions très sévères… Hmmm…Qui sera Silvia ? Maria Andrevitch…???? ( la porte s’ouvre et on entend des bruits de pas ) Oh ! Louise !", finit-il par s’écrier, reconnaissant sa propre fille.

La jeune fille sursauta. " Euh, Papa, bonjour ! "

-Mais qu’est-ce que tu fais ici ?

-La même chose que toi : du théâtre !

-Tu devrais être à l’école… Mais tu es maquillée, ma parole !, lança-t-il.

-Non, je préfère tenir le rôle de Silvia !, lança-t-elle avec un air de défi.

-Mais non, c’est Maria… Ah ! Je vois… Louise MARIA Grandchester… Oh… Ça alors ! S’il te plaît, explique-moi pourquoi…

-Papa, je fais du théâtre amateur depuis longtemps maintenant, j’ai commencé en même temps que Charlie. Mais moi, je ne veux pas faire autre chose de ma vie que d’être sur scène. Et je n’ai pas envie d’attendre d’avoir fini l’école pour le faire. Tu devrais pouvoir le comprendre, n’est-ce pas ? Alors, je me suis présentée à ces auditions l’année dernière et j’ai été choisie. J’ai seulement changé mon nom pour ne pas qu’on t’accuse de favoritisme. Donc, personne ne sait que je suis ta fille. Et pour ne pas nuire à mes chances et à ta réputation, il veut mieux que personne ne le sache, du moins, pas tout de suite.

Terry regarda sa fille. Il s’aperçut qu’il ne l’avait pas vue grandir. Il croyait jusqu’alors que c’était toujours la même Louise, le garçon manqué aux genoux écorchés, qui grimpait aux arbres comme sa mère l’avait fait avant elle. Maintenant, il se trouvait devant une jeune femme pleine de charme, à l’allure vaguement sophistiquée et au discours convaincant. Terry se sentait vraiment vieux en ce moment. " Ma Louise, je suis vraiment fier de toi, mais je ne te le dirai pas tout de suite, pensa-t-il. Il finit quand même par lui dire, avec un sourire intérieur : " Nous verrons ce qu’en pense ta mère, mais pour le moment, je suis bouche cousue. "

-Bien, fit la jeune fille, et maintenant faisons semblant que nous venons juste de nous rencontrer !

-Oh ! Bonjour, mademoiselle, commença Terry dans un personnage comique de prétentieux snob. Je suis Terrence G. Grandchester, le fa-bu-leux acteur dont vous êtes sûrement une des plus grandes fans. Puis-je me permettre de faire un brin de causette avec vous ?

-Oh !, répondit sa fille sur le même ton. Cher ami, voyons ! Cela ne serait pas du tout raisonnable !

-Et pourquoi très chère ?

-Il vous faut im-pé-ra-ti-ve-ment demander la permission à mon père pour le faire.

-Hahaha ! Louise… pardon… Maria, vous êtes une petite comique ! Vous serez parfaite dans le rôle de Silvia et moi dans celui de votre gentil papa. ( Terry aimait vraiment l’idée de ce double rôle, dans la vie comme à la scène, et puis, il pourrait la surveiller sans qu’elle rechigne trop. )

-Hihihihihi !

Ils riaient déjà depuis un bon moment, quand John Stevens entra dans la pièce. Ses yeux se portèrent immédiatement sur la jeune fille blonde qui riait aux côtés de Terry. Il les aborda.

-Bonjour !

-Ah ! John, quelle belle journée, n’est-ce pas ?, fit le grand comédien avec un sourire épanoui. Puis-je te présenter Maria Andrevitch, qui va être ta partenaire privilégiée vu qu’elle joue Sylvia ? Maria, voici John Stevens.

-Bonjour !

Et ce disant, elle plongea ses yeux bleus comme la mer dans ceux, vert tendre, du rouquin, et lui serra la main. John se sentit perdre tous ses moyens pendant une seconde. Elle se remit à rire.

-Euh ! Est-ce que monsieur Grandchester a raconté une bonne blague ?, se hasarda-t-il à dire.

-Non ! Mffffffffff… C’est que vous avez tellement de taches de rousseurs, même ma mère n’en a pas autant !

-Vous n’en êtes pas mal pourvue non plus, ma chère, lui lança son père.

-Oh ! C’est vrai, mais je croyais les avoir bien cachés…

-Excusez mon indiscrétion, mais vous quel âge avez vous ?, demanda John, curieux devant son attitude un peu puérile.

-Quel âge me donnez-vous ?, lui répondit-elle avec coquetterie.

-Euh… Je ne sais pas… Peut-être dix-neuf ans ?

-Je viens tout juste d’avoir dix-huit, mentit-elle.

En entendant ce mensonge de deux années, Terry dut se retenir pour ne pas faire une énorme grimace. Au lieu de cela, il lança cette réplique taquine : " Donc, vous n’êtes pas encore majeure, mon petit ! Est-ce que vos parents approuvent votre choix de faire du théâtre ? "

-Oh… Au début, ils n’étaient pas très chauds, mais ils ont dû se faire à l’idée. Je suis très têtue, vous savez !

Terry se retint encore de toutes ses forces pour ne pas sourire à pleines dents : vraiment, elle était futée ! Peu à peu, les autres comédiens vinrent et firent connaissance. Enfin, le metteur en scène arriva tout essoufflé.

-Excusez-moi, mon réveille-matin s’est détraqué !

-Mais oui, Frank… , fit Terry, ironique.

Il le connaissait trop pour le croire.

Questions : Pourquoi Candy a de la difficulté à se lever le matin ? Charlotte va-t-elle passer à travers ses devoirs et leçons ? David se fera-t-il une petite amie à l’école ? Terry va-t-il réussir à se débarrasser de Suzanne une bonne fois pour toutes ? C’est ce que vous saurez dans le prochain épisode…

© Miss Retro novembre 2000