Les caprices du destin
par Mary

Chapitre 1

La fuite

  • Ma visite touche à sa fin. Je reviendrai te voir demain. Repose-toi bien d'ici là.
  • Oui, ma tante. J'attends votre prochaine venue avec impatience.
 Tante Elroy sortit de la pièce et ferma la porte derrière elle. 
  • Edgar ! Faîtes bien attention à ce qu'il ne s'éloigne pas trop du manoir. Si jamais il lui arrive quelque chose, je ne vous le pardonnerai jamais !
  • Vous pourrez compter sur moi, madame.
  • Bien. Prévenez le cocher que je serai bientôt prête à partir.
  • Oui, madame.

Les marches des escaliers grincèrent sous les pas du majordome.  

Depuis déjà six ans, tante Elroy se rendait régulièrement au vieux manoir des André pour s'assurer de « son » bien-être et de « sa » sécurité. Elle l'aimait tant ! Pourquoi a-t-il fallu qu'il tombe amoureux de cette petite effrontée ? A cause d'elle, elle avait failli le perdre, lui, la personne qu'elle chérissait le plus au monde. Toutes les paroles blessantes qu'il n'avait pas proférées à son intention lorsqu'elle était encore à ses côtés ! Si tante Elroy haïssait quelqu'un par dessus tout, c'était bien elle.

Heureusement, il y a eu cette chute de cheval. Cette chute qui, pour tout le monde, a coûté la vie de son neveu. Mais tout n'était que mascarade pour qu'elle puisse continuer d'être l'unique objet de son affection. Avec la complicité du médecin de famille, qu'elle avait d'ailleurs grassement rémunéré pour l'occasion, tante Elroy s'était arrangée pour faire croire aux autres membres de la famille André qu'Anthony était mort des suites de l'accident. Pour que son stratagème réussisse, il fallait que personne ne soit au courant de sa guérison. Autrement, le secret aurait été trahi un jour ou l'autre. Elle en était certaine.

La réaction d'Anthony avait été plutôt inattendue. Non pas qu'elle ne se soit pas préparée à toute éventualité, mais jamais au grand jamais, l'hypothèse de la perte de mémoire ne lui avait effleuré l'esprit. Remarquez, cela lui avait grandement simplifié les choses, elle qui pensait qu'elle allait devoir le séquestrer contre sa volonté. (Cela lui aurait bien sûr brisé le cœur, mais s’il n'y avait eu que ce moyen là…) La perte de mémoire de son neveu avait été pour elle le moyen de lui faire oublier son passé, sa mère et surtout… Candy.

Depuis six ans maintenant, il n'appartenait qu'à elle. A elle seule. Personne n'avait pu interférer entre eux deux. Personne. Et cela devait continuer ainsi, même si ça devait être au dépens de la liberté d'Anthony. 

Les cheveux au vent, Anthony observait sa tante par la fenêtre. Sa tante qui l'avait élevé depuis qu'il était tout petit. Elle s'était toujours occupée de lui. Même lors de la terrible maladie qui s'était abattue sur lui à l'âge de 15 ans et dont il ne se souvenait d'ailleurs plus très bien. A son réveil, la première personne sur laquelle son regard se posa fut sa tante. Certes, il ne se souvenait alors pas d'elle mais le docteur avait dit que c'était tout à fait normal, qu'il s'agissait en fait d'une perte de mémoire temporaire consécutive à sa maladie. Dans quelques jours, il se rappellerait de tout. Et c'était vrai.… enfin presque. Il n'avait pas voulu le dire à sa tante, pour ne pas lui faire de peine, mais bien qu'elle lui soit familière, ce n'était pas son visage qui lui apparaissait chaque nuit, en rêve. Non, ce n'était pas le sien mais celui d'une magnifique jeune fille aux cheveux blonds dorés et aux yeux d'un vert si intense qu'on ne se lasserait jamais de la regarder. Cette jeune fille lui semblait parfois si réelle. Mais qui pouvait-elle bien être ? Était-ce simplement le fruit de son imagination ou l'avait-il réellement connue ? Cela restait un mystère auquel il s'était promis, au fond de lui-même, de trouver la clé. Sa tante n'aurait pas compris s'il lui en avait parlé. C'est pourquoi, il avait décidé de garder tout cela pour lui. 

Quelqu'un frappa à la porte. 

  • Entrez !
  • Monsieur, je vous apporte votre déjeuner.
  • Oh non, ce n'est pas la peine Christie, je vais descendre le prendre en bas. J'en ai vraiment plus qu'assez de rester enfermé à longueur de journées dans cette chambre.
  • Bien, monsieur.

La porte se referma laissant Anthony à nouveau seul avec ses pensées. S'il y avait une chose qu'il reprochait à sa tante, c'était bien de l'avoir si longtemps tenu à l'écart du monde. Pourtant, il ne savait pas pourquoi mais il lui avait toujours obéi. Jamais il ne s'était risqué à dépasser les limites du manoir. La peur de l'inconnu sans doute. 

Une semaine plus tard. 

  • Monsieur, votre dîner est prêt. Il vous attend sur la table de la salle à manger comme vous l'avez demandé.
  • Merci bien, Christie. Je suis sûr que je vais encore me régaler. Marthe fait si bien la cuisine que c'est toujours un plaisir pour moi de prendre place à table. (ou de me voir amener la plupart du temps un plateau repas dans ma chambre, se dit-il en son for intérieur)
 Le repas terminé, Anthony remonta dans sa chambre. Cette fois, il se devait d'agir. L'envie qui le rongeait depuis des mois maintenant était aujourd'hui la plus forte. Il ne pouvait pas rester éternellement cloîtré à l’intérieur ces murs. Il fallait qu'il sorte, qu'il se rende compte par lui-même de ce que pouvait réellement être le monde extérieur. 

La dispute qu'il avait eu la veille avec sa tante n'était pas étrangère à sa décision.  

  • Non, il est hors de question que tu sortes de ce manoir. Tu entends, je te l'interdis.
  • Mais, ma tante…il faut que vous compreniez que je ne peux pas rester éternellement auprès de vous. Je dois vivre ma vie que cela vous plaise ou non.
  • Sais-tu ce qui t'attend au-delà de ces murs ? Non, tu ne le sais pas. Le monde est dangereux et je ne veux pas que tu y sois confronté. Le mieux que tu aies à faire pour l'instant est de rester ici, crois-moi.
  • Ma tante, j'ai parfois la désagréable impression que vous me cachez quelque chose. Pourquoi ne voulez-vous pas me laisser mener ma propre vie comme je l'entends ? Si c'est de me perdre dont vous avez peur, ne vous inquiétez pas, je reviendrai vous voir aussi souvent que je le pourrais. Vous avez tant fait pour moi ! Vous savez très bien que je vous considère un peu comme ma mère.
  • La réponse est toujours non, Anthony. Et n'essaie pas de m'attendrir avec tes paroles mielleuses. Ca ne marchera pas.

Anthony commença à perdre patience.  

  • Et puis, je me demande même pourquoi je vous en ai demandé l'autorisation ! J'ai 21 ans et je crois être tout à fait capable de prendre mes décisions par moi-même. Aussi, je vous annonce que je m'en vais demain.
  • Non, Anthony. Tu ne le feras pas car je t'en empêcherai.
  • Et comment ferez-vous ? Vous m'enfermerez dans chambre comme si j'avais 10 ans ? Enfin, reprenez-vous ma tante !
  • Si c'est nécessaire, je le ferai, oui. Et je donnerai l'ordre à tous les domestiques de t'empêcher de sortir de ce manoir.
  • Comme vous voudrez, ma tante, mais croyez bien que rien de ce que vous pourrez faire ne m'empêchera de quitter cette prison dans laquelle vous me séquestrez car c'est bien le mot, je crois depuis des années. Sur ce au revoir, ma tante. Je vous demanderai de bien vouloir me laisser seul, lança Anthony d'un ton glacial.
 Malgré l'affection sincère qu'il portait à sa tante, Anthony était désormais sûr d'une chose. IL DEVAIT s'échapper d'ici. Les mots qu'ils venaient d'échanger avait eu raison de ses doutes. Tante Elroy avait dépassé les bornes et il se devait de lui faire comprendre qu'il était seul maître de sa propre existence.  

Six années s’étaient écoulées depuis la mort d'Anthony. Pour tous ceux qui le chérissaient, la blessure avait été profonde mais la plaie s'était finalement refermée. Anthony n'était plus désormais qu'un doux souvenir auquel tous aimaient à penser et qui leur réchauffait le cœur dans les moments de solitude. Tous étaient heureux de l'avoir connu, de l'avoir aimé et d'avoir su, tant qu'il était encore temps, partagé avec lui quelques instants magiques et inoubliables.

De tous ceux qui lui avaient offert leur amitié ou leur amour, Candy avait certainement dû être, avec Archibald, celle qui avait le plus souffert de son décès. Mais cette époque était désormais révolue. Sa rencontre avec Terry et les moments précieux qu'ils avaient passés ensemble lui ont permis doucement, petit à petit de tirer une croix sur un passé douloureux et d'oublier. D'oublier qu'elle avait un jour aimé ce garçon de tout son cœur et de tout son être. D'oublier son tendre sourire et ses grands yeux bleus. D'oublier ses paroles chaleureuses et réconfortantes. D'oublier, oui… ou du moins de tenter de le faire, mais sans succès. Oh ! Bien sûr, Candy aimait toujours encore aujourd'hui éperdument Terry, mais sa relation avec Anthony était… différente. C'était son premier amour et l'on n’oublie jamais son premier amour, quoiqu'on fasse. Mais surtout, Anthony est la première personne qui ait su lui prodiguer de l'affection lorsqu'elle est arrivée chez les Legrand. Au moment où elle s'est sentie seule et abandonnée de tous, un visage lui est apparu, comme dans un rêve. Un visage souriant et apaisant qui a su lui redonner courage. Ce visage, jamais elle ne pourrait l'effacer de sa mémoire, même si elle le voulait.  

  • Candy, ma chérie, à quoi pensais-tu ? Cela fait un moment déjà que tu n'as pas touché à ton assiette. Tu n'as pas d'ennuis, j'espère ? s'inquiéta Sœur Maria.
  • Non, non rassurez-vous ma sœur. Tout va très bien. Mais…
  • Mais ? demanda mademoiselle Pony.
  • Mais je me demandais à quoi aurait ressemblé ma vie si Anthony était encore en vie.
 Mademoiselle Pony et Sœur Maria se regardèrent. Elle ne l'avait toujours pas oublié. 
  • Je suis sûre que vous auriez été très heureux ensemble, lui assura Sœur Maria.
  • Oh, ça j'en suis certaine ! Mais je n'aurais sans doute jamais rencontré Terry et …
 Terry non plus. 
  • Candy, ma chérie, pourquoi te torturer l'esprit de cette manière ? lui reprocha gentiment mademoiselle Pony. La vie est trop courte pour se poser ce genre de question.
 Mademoiselle Pony jeta un coup d'œil à l'horloge. 
  • De toute façon, il commence à se faire tard. Une rude journée t'attend demain. Si tu veux être en forme pour le pique-nique, il vaudrait mieux que tu ailles tout de suite te coucher.
  • Oui Candy, écoute mademoiselle Pony. Les enfants sont si contents à l'idée de passer une journée entière avec toi. Tu ne voudrais tout de même pas les décevoir !
  • Comme toujours, vous avez toutes les deux raison. Que ferais-je sans vous ?
 Candy se leva, embrassa tendrement "ses deux mamans" et se retira. 

"Anthony… Terry… j'aimerais tant vous revoir ! Malheureusement, je sais que c'est impossible…" 

Anthony était parvenu tant bien que mal à tromper la vigilance des domestiques. Alors qu'il était sur le point de quitter définitivement le manoir, un bruit le fit sursauter. Anthony se retourna et scruta le bois du regard. Rien. Ce devait être son imagination. Après tout, il était suffisamment nerveux pour cela. Anthony fit quelque pas puis se retourna de nouveau. Cette fois il ne rêvait pas. Il avait bel et bien entendu un bruit en direction du bois. Tout à coup, son cœur se serra. Et si sa tante avait engagé quelqu'un pour l'empêcher de quitter le vieux manoir des André ? Non elle ne ferait tout de même pas ça ? Pourtant… il lui semblait entendre comme des bruits de pas sur le sol.

Soudain, quelqu'un ou plutôt quelque chose se jeta sur lui. Anthony se débattit tant bien que mal tout en essayant de ne pas crier afin de n'alerter personne. Anthony venait en effet de se rendre compte que ce qui l'avait tant effrayé n'était en fait qu'un pauvre petit animal apeuré et désorienté. 

Quelques minutes passèrent sans qu'aucun des deux adversaires ne lâche prise. Puis Anthony céda et l'animal se calma peu à peu. L'animal regardait maintenant Anthony, une lueur de malice dans les yeux. Amusé pas le comportement étrange du petit animal, le jeune homme le prit dans ses bras. 

  • Dis donc, toi. Que faisais-tu seul au beau milieu de la nuit ? Tu veux m'accompagner ?
 L'animal baissa doucement la tête. 
  • Alors c'est d'accord. Tu viens avec moi.
 Sur ce, Anthony posa le petit animal sur son épaule et reprit sa route. 

Chicago. Il y était finalement parvenu. Les lumières de la ville semblaient briller de mille feux. Jamais il n'aurait pensé, un jour, pouvoir ne serait-ce qu'apercevoir la plus petite parcelle de cette ville prodigieuse. Aujourd'hui, son rêve prenait enfin forme. Un nouveau monde s'offrait à lui et il n'était pas près de laisser passer cette chance ! 

Anthony passa une partie de la nuit à déambuler à travers la ville. Comme celle-ci lui semblait gigantesque et… familière ! C’est à croire qu’il y avait rêvé si fort pendant toutes ces années, qu’il avait l’impression de la connaître depuis toujours. 

Ses pas le menèrent bientôt devant l’un des plus célèbres théâtres de Chicago. 

« Quelle merveille ! » se dit-il. 

Soudain, alors qu’il était occupé à admirer la façade sculptée de l’imposant bâtiment, quelqu’un sortit en trombe du théâtre et le bouscula. Anthony perdit l’équilibre.  

  • Eh… Vous ne pourriez pas faire un peu attention, non ? s’écria Anthony.
  • Excusez-moi, je ne l’ai vraiment pas fait exprès ! répondit l’inconnu tout en continuant d’avancer. Mais apparemment, vous n’avez rien de cassé. Je peux donc partir tranquille !
 Anthony n’eut même pas le temps de dire un mot que l’inconnu avait déjà disparu.  
  • Eh bien, Prune, notre aventure commence bien ! Tu ne trouves pas ?
 Le petit animal s’approcha de son maître et frotta sa tête contre son bras.  
  • Tiens ! Qu’est-ce que c’est ?
 Anthony prit le morceau de papier que lui tendait Prune et le regarda attentivement. 
  • Mais c’est une lettre ! Il a dû la faire tomber accidentellement quand il m’a bousculé. Voyons voir, a qui est-elle adressée ?… Terrence G. Grandchester. Je ne sais pas ce que tu en penses, Prune, mais je crois qu’il va falloir retrouver cet homme. Après tout, cette lettre est peut-être importante.

Fin du chapitre 1

© Mary septembre 2000