UN PASSE TROP PRESENT
Par Leia

NOTE DE LA WEBMISTRESS

La fiction suivante présente un contenu qui, par sa nature, s'adresse à un public, disons, "ADULTE"... Afin d'éviter toute réaction négative envers cette fiction, veuillez donc prendre en considération cet avertissement...

Chapitre 5

Albert actionna la douche et une pluie bienfaisante s'abattit sur tout son corps meurtri. Il gémit, soupira au contact de l'eau, dont la tiédeur se déversait agréablement le long de ses membres, s'écoulant sur chacun de ses longs muscles endoloris par le choc de l'accident. Plongé dans le feu de l'action à retirer Terry des flammes, il n'avait pas ménagé son corps, lequel à présent lui rappelait ce triste évènement. Il ferma les yeux, accueillant avec délice cette caresse de la nature, savourant chaque goutte comme s'il redécouvrait un plaisir qu'il avait oublié. Il resta ainsi quelques minutes, la nuque baissée sous le jet, pour mieux apprécier cet instant de répit, qui ne tarda pas à s'évanouir, et céder la place aux pensées les plus douloureuses.

Comme dans un mauvais rêve, lui revenaient en mémoire ces quelques instants qui avaient fait basculer sa vie : le regard déterminé de son épouse, le regard d'une femme prête à tout pour être aux côtés de celui qu'elle aimait, car c'était bien ce qu'il avait lu dans ses yeux alarmés : de la panique, de la détresse, de la révolte... Des émotions qui ne s'adressaient pas à lui, son époux, mais à l'autre, celui qui depuis le commencement aurait dû l'être à sa place... Durant toutes ces années, il avait fini par croire qu'elle l'avait oublié tant ils affichaient un bonheur sans nuages. Mais la réaction inattendue de Candy lors de l'accident venait de prouver le contraire. Il réalisait que Terry, par sa seule présence, était capable de tout bouleverser dans le coeur de sa femme, et que malgré les années, malgré son silence, elle n'avait jamais cessé de l'aimer. 

- Nous ne trouverons jamais la paix... Jamais... - gémit-il, de grosses larmes roulant sur les joues de cet homme athlétique, pourtant si faible soudain, ses sanglots à peine étouffés par le clapotis de l'eau sur le sol....

La nuit venait de tomber. Inconfortablement  assise sur une chaise dans le couloir des urgences, Candy se morfondait, seule, revoyant comme dans un cauchemar, les derniers instants qui avaient précédé l'arrivée de Terry à l'hôpital : le jeune homme inconscient, sa tête penchée sur le côté, les flammes qui léchaient l'habitacle et qui s'approchaient dangereusement, la fumée épaisse et noire qui prenait à la gorge et qui les empêchait de respirer... Et puis cette panique effroyable qui l'avait saisie, cette angoisse terrorisante de le perdre, qu'il meure sous ses yeux, suivis de ces sentiments confus, cachés, tus depuis des années, réveillés avec une telle fureur qu'elle avait perdu le contrôle d'elle-même, et ce, malgré les menaces de son époux. Son cher et tendre époux qu'elle avait abandonné, pour un autre... mais pas n'importe qui : pour Terry... Elle avait beau se remémorer la scène et se la repasser des dizaines de fois dans la tête, elle arrivait chaque fois à la même conclusion : que rien ni personne n'aurait pu l'empêcher de l'accompagner à ce moment là. A cet instant, s'était imposée à son esprit l'image de Terry blessé et rien d'autre que lui n'importait.  Durant les quelques minutes qu'avait duré le transport jusqu'à l'hôpital, elle n'avait eu de cesse de le supplier de rester vivant, de résister à la tentation de partir vers la douce lumière dont les patients qu'elle avait soignés en tant qu'infirmière lui avaient si souvent parlée au moment de mourir. La voix cassée, elle s'était approchée de son oreille et lui avait confessé ces mots que seul le papier de son journal intime avait recueillis après leur séparation, ces mots d'amour qu'elle n'avait jamais pu lui dire. Il lui avait semblé en les entendant, que c'était la voix d'une autre personne qui les prononçait tant elle s'était interdite d'y penser, et cela l'avait bouleversée.  Elle avait cru discerner sur le visage de Terry, un frémissement de sourcil. Se pouvait-il qu'il l'ait entendue, qu'il ait reconnu sa voix ? Mais déjà l'ambulance s'était arrêtée devant l'hôpital, des infirmiers avaient sorti en hâte le blessé du véhicule et l'avaient emporté à l'intérieur. Candy les avaient suivis en courant,  empruntant à l'instinct les couloirs qu'ils avaient dû parcourir, jusqu'à buter devant une grande porte dont on lui avait interdit l'accès. 

Cela faisait à présent plus de six longues heures qu'elle attendait, ballottée entre l'inquiétude et le désespoir, une éternité que l'homme qu'elle aimait était en chirurgie et personne n'était encore venu l'informer du déroulement de l'opération. Parfois, elle surprenait le regard posée sur elle de l'infirmière qui lui faisait face derrière son comptoir des admissions, et le soupir silencieux qu'elle lui renvoyait ne faisait qu'ajouter de l'angoisse à sa peine. Des bruits de pas se rapprochant la firent instinctivement se redresser.

  • Comment va-t-il ??? - s'enquit immédiatement Candy en se précipitant vers le médecin encore vêtu de sa combinaison de chirurgien.
  • Je ne peux me prononcer pour le moment, Madame… - répondit-il en enlevant son masque et son bonnet de protection. Les traits de fatigue apparents sur son visage attestaient des efforts qu'il avait dû mener pour maintenir Terry en vie - Il a perdu beaucoup de sang et reste toujours inconscient… Nous en saurons plus demain matin…
  • Mais cela fait des heures que vous le gardez en salle d'opération !!! - riposta la jeune femme d'une voix désespérée - Vous avez bien dû remarquer une quelconque amélioration de son état !!!
  • Ce que je peux vous dire, c'est que malgré la côte cassée qui lui a perforé le poumon et les blessures à la tête, les organes vitaux ne sont pas atteints. Il a eu beaucoup de chance que vous soyez présente à ce moment là… Nous devons maintenant attendre qu'il se réveille, et cela ne saurait tarder avec une aussi belle épouse que vous ! Il doit avoir hâte de vous retrouver !- ajouta-t-il en souriant, devinant à travers ce visage noirci de fumée et boursouflé de larmes, les plus beaux et tendres yeux qu'il ait pu admirer auparavant.
  • C'est que… - fit Candy embarrassée - Je ne…
  • Nous l'avons ramené dans sa chambre, vous pouvez aller le voir maintenant - fit le docteur sans porter attention à ce qu'elle voulait lui confier - Il a besoin de beaucoup de repos mais surtout de la présence de la femme qu'il aime à ses côtés - dit-il en lui prenant la main et en la tapotant affectueusement - Seuls l'amour et l'attention d'un être cher peuvent le pousser à vouloir revenir parmi nous…

Sans hésitation, Candy suivit le médecin qui la conduisit à la chambre de Terry. Quand elle ouvrit la porte, une odeur d'éther et de produits désinfectants assaillirent ses narines. Elle était pourtant habituée à ces odeurs et ne s'en était jamais formalisée auparavant, mais savoir qu'ils étaient en relation avec l'état de Terry lui donnait la nausée. Il gisait au milieu de l'austère pièce, allongé dans un lit étroit, recouvert d'un drap blanc qui accentuait la pâleur de sa peau, le front  et le torse bandés, les bras le long de son corps immobile, dont un relié à une perfusion. 

  • Terry… - fit Candy tristement en prenant place à côté de lui. Bien sûr, il ne lui répondit pas. Il avait les yeux clos, les traits tendus, manifestation de sa souffrance, mais respirait régulièrement. Candy lui prit la main et l'amena contre sa joue - Terry… Je t'en supplie… Reviens vers moi ! - dit-elle doucement d'une voix chevrotante - J'ai tant besoin de toi ! Je ne veux pas te perdre ! Je ne pourrai pas vivre sans toi… -murmura-t-elle en sanglotant.

Sans faire de bruit, elle rapprocha du lit le fauteuil qui se trouvait près de la fenêtre. La nuit était tombée depuis un moment déjà et Candy pouvait distinguer la lune qui se reflétait sur les voilages, dessinant des ombres de lumière qui ondoyaient légèrement sur les murs, rythmées par le passage des nuages qui les faisaient s'évanouir puis réapparaître. Candy posa sa tête contre le bord du lit, sa main caressant doucement celle de Terry. Pendant de longues minutes, elle surveilla la respiration du jeune blessé. Bercée par son rythme régulier, elle ferma les yeux, l'épuisement venant à bout de ses efforts pour rester éveillée. Elle s'endormit à son tour, l'esprit vide de toute pensée. Demain était un autre jour, un autre jour où il faudrait affronter la réalité...

 Quand Candy ouvrit les yeux, il lui sembla que quelques minutes seulement s'étaient écoulées. Pourtant déjà, se diffusaient à travers les rideaux, les éclats ocre et magenta d'un crépuscule matinal qui venaient réchauffer son visage troublé d'inquiétude. En une seconde, les évènements de la veille lui revinrent à l'esprit. Elle se redressa et leva la tête vers Terry. Elle sursauta, son coeur manquant d'éclater dans sa poitrine. Le jeune homme la contemplait en silence, depuis un long moment visiblement, à en juger la flamme qui brillait dans son regard aux reflets turquoise.

- Candy... - murmura-t-il péniblement, esquissant un léger sourire.

La voix étranglée par l'émotion, elle se pencha vers lui et  posa sa main sur la joue du jeune blessé, la caressant tendrement. Ce dernier appuya un peu plus sa tête contre ce doux contact, creusant plus profondément l'oreiller qui la soutenait..

- Terry.... Ne te fatigue pas... Tu as eu un accident durant la course hier, mais tout va bien à présent. - fit-elle en essayant de garder son calme malgré l'enthousiasme qui s'emparait d'elle de le savoir conscient et capable de lui parler.

- Je suis restée à ton chevet tu sais, toute la nuit... comme une bonne infirmière ! - ajouta-t-elle en retroussant son joli nez, omettant de réfléchir à ses propos, cherchant seulement à faire diversion sur l'inconvenance de sa présence dans cette chambre d'hôpital.

Il fut secoué d'un petit rire qui le fit grimacer de douleur. Un éclair de malice brillait dans ses yeux malgré sa faiblesse.

- Je me demande... comment j'ai pu... en réchapper... avec toi... pour me soigner ! - fit-il d'une voix hachée, retrouvant néanmoins son sarcasme naturel - Tu n'es pas sortie... major de promo, tache de... son !

Oh quel goujat !!! Et il ose encore m'interpeller avec ce fichu surnom ?!!! Mais à qui la faute si je ne suis pas sortie major de promo ?!! ! Toutes mes pensées allaient vers toi et occupaient perpétuellement mon esprit ! Comment étudier dans de bonnes conditions dans une telle situation ???

- Monsieur Grandchester, vous parlez trop ! - s'écria vivement Candy en se raidissant. 

Il n'avait pas changé ! Peu importaient les circonstances, il fallait toujours qu'il se cachât derrière cette façade goguenarde, même devant elle alors qu'elle le connaissait mieux que lui-même. Le regain d'énergie qu'il manifestait pour l'agacer avait cependant le privilège d'apaiser ses inquiétudes. Elle baissa d'un ton. 

- Cesse de t'agiter... - lui ordonna-t-elle d'une voix doucereuse en réajustant le drap sur lui - Il faut te reposer à présent. Tu as subi une longue opération. Allons... Ferme les yeux... Et rendors-toi...

Pour toute réponse, il se contentait de l'observer muni d'un de ces sourires énigmatiques qui savaient si bien la désarmer. Embarrassée, fuyant son regard qui la scrutait comme pour lire dans ses pensées, elle soupira avec force suivi d'un sourire maladroit, ses petits doigts graciles torturant avec nervosité un pli de sa robe. 

Qu'est-ce que je fais là ??? Ma place n'est vraiment pas ici ! C'est une autre qui devrait là, pas moi ! Quelle folie s'est emparée de moi ? Oh Terry, par pitié, cesse de me regarder de cette façon! 

A bout d'arguments, ployant sous la confusion, elle voulut se lever pour aller prévenir le docteur du réveil de son patient. et esquissa un geste vers la porte. Terry la retint d'une main étonnamment ferme, l'air subitement grave.

- Pardonne-moi!... Reste... là, je t'en prie!... Je veux... profiter... de... l'instant... De NOTRE... instant... SEULS!...

Candy se retourna et ce qu'elle vit la bouleversa. Le Terry arrogant et moqueur qui avait sévi quelques instants auparavant s'était évanoui et avait cédé la place au vrai Terry, à son Terry, celui dont elle était tombée follement amoureuse à Saint Paul quand il s'était laissé aller à lui dévoiler son âme. Il ne souriait plus, tendant seulement la main vers elle pour qu'elle se rapprochât de lui. Elle se rassit et et prit la main du jeune homme, qu'elle porta à sa bouche. Ses doigts à lui remuèrent et avec une pudeur audacieuse, caressèrent ses lèvres entrouvertes divinement ourlées, légèrement humides en bordure intérieure de leur renflement. Candy rougit  un peu mais ne baissa pas les yeux. Les mots étaient inutiles, ils n'en avaient jamais eu besoin pour se comprendre. Un seul regard suffisait. Ils s'observaient en silence, ébauchant des sourires crispés pour contenir leurs sanglots. Malgré tous ses efforts pour les retenir, des larmes irrépressibles roulèrent sur les joues de Candy qui allèrent s'écraser lourdement sur le drap qui recouvrait Terry, formant de petits cercles grisâtres sur le tissu blanc, laissant en transparence apparaître quelques centimètres de sa peau. Elle sentit alors le pouce de Terry se déplacer et venir essuyer ses larmes qui persistaient à couler. Elle ferma les yeux, savourant ce doux contact de la peau de Terry contre sa joue, cette union charnelle de leurs sentiments qui s'exposaient à eux dans toute leur tragédie. Elle se souvint de cette phrase magnifique qu'il avait murmurée à son oreille au moment de leur séparation, sur les marches de l'escalier de l'hôpital de New-York: "... que le temps suspende son vol..." Comme en ce triste jour, elle aurait ardemment souhaité à son tour que le temps s'arrêta car ils savaient tous deux, que ce moment précieux qu'ils étaient en train de vivre, disparaîtrait dès que quelqu'un extérieur à leur univers poserait un pied dans la pièce. Elle n'ignorait pas qu'elle ne pourrait pas rester auprès de lui très longtemps et qu'il faudrait bien qu'ils se séparent. Le destin, pourtant si cruel à leur égard, leur offrait un instant de répit, quelques minutes de bonheur, ensemble, isolés du reste du monde. Elle n'osait en apprécier la saveur de crainte que tout s'évanouisse d'un battement de cil. Les secondes, les minutes s'écoulaient trop vite, bien trop vite ! Elle rouvrit les yeux et croisa les siens qui la fixaient encore avec plus d'intensité, troublés d'une fièvre langoureuse, qui l'embrasa toute entière. Sans cesser de la regarder, il retira sa main de sa joue pour prendre la sienne, la glissant lentement sous le drap, pour la guider peu à peu vers son coeur. Fébrile, elle se pencha vers lui et appuya sa main un peu plus fermement sur le bandage qui entourait sa poitrine, comme pour prendre possession de son âme. Elle sentit la chaleur du corps de son aimé remonter de sa main pour envelopper tout son être, et les battements du coeur de ce dernier s'emballer comme un cheval au galop, sa respiration s'accélérer. Elle prit peur un instant qu'il fut saisi d'un malaise mais le regard encourageant qu'il lui adressa la rassura immédiatement. Il avait arqué le cou pour mieux la contempler, et elle remarqua le lent va et vient de sa pomme d'Adam affleurant sa gorge, qui témoignait de son émotion. Les lèvres de Terry se mirent alors à remuer et elle put y lire ces mots que seuls leurs coeurs connaissaient mais n'avaient jamais pu prononcer. Et il les lui disait à présent, dans un souffle, presque inaudiblement bien qu'il lui sembla qu'ils explosaient à ses oreilles! Bouleversée, elle fut secouée d'un sanglot sourd et porta sa main à la bouche en réaction. Les yeux brillants de larmes, et toute tremblotante, elle lui sourit tristement.

- Moi aussi... - murmura-t-elle en en baissant la tête - Je n'ai jamais cessé de t'...

Les mots s'échouèrent sous la pression de son index à lui sur ses lèvres. Elle comprit qu'il était inutile de se torturer ainsi. Elle releva les yeux et regarda le doux visage de Terry dont les traits s'étaient détendus. Deux larmes qu'elle voulait de joie, coulaient de chaque côté des joues du jeune acteur et dessinait comme une ride profonde sur sa peau immaculée.

- Tu sais, Candy... Je ne t'ai... jamais... oub... - fit-il dans un ultime effort, en cherchant son regard.

Il ne put achever sa phrase. Ses yeux papillonnaient de fatigue, le faisant sombrer rapidement dans les bras de Morphée. Peu à peu, sa respiration s'apaisa et prit un rythme régulier. Les yeux brouillés de larmes, elle posa son front contre le bord du lit, convulsant de sanglots trop longtemps retenus.

- Moi non plus, Terry... - gémit Candy, la gorge nouée - Moi non plus je ne t'ai jamais oublié... Oh, Terry, qu'allons-nous devenir ?

Candy venait de s'assoupir quand une main féminine la réveilla en lui secouant doucement l'épaule.

- Veuillez pardonner mon intrusion, Madame... Mais le docteur Emerson souhaiterait vous parler. Il vous attend dans son bureau.... 

Candy opina du chef et tout en se levant, jeta un oeil furtif sur Terry qui dormait paisiblement. Rassurée sur son état, elle suivit docilement l'infirmière qui la devançait de quelques pas. Avec le jour, la vie avait repris son cours dans l'hôpital. Candy croisa des aide-soignantes qui distribuaient les petits déjeuners et les salua. Les effluves d'oeufs frits et de pancakes s'engouffrèrent dans ses narines, provoquant des gargouillis bruyants dans son estomac, ce qui lui rappela qu'elle n'avait rien mangé depuis la veille, et qu'elle avait TRES faim ! Le bureau du docteur se trouvait à l'extrémité du couloir. L'infirmière toqua plusieurs fois à la porte, puis le son d'une voix étouffée se fit entendre. L'infirmière appuya sur la poignée et fit entrer Candy. Elle n'avait pas fait un pas qu'un cri strident emplit la pièce, manquant de réduire son audition à néant.

- C'est bien elle !!! Chassez-la d'ici !!!

Assommée par le choc, les oreilles bourdonnantes, Candy ouvrit grand les yeux et aperçut en contre-jour une silhouette bruissant de fanfreluches qui s'agitait devant elle avec de grands gestes d'épouvantail,  secouant dans sa hargne ses longues anglaises comme des fouets. 

  • Docteur Emerson - fit la voix au ton familièrement suraigu - Je vous présente ma cousine, Candy Neige André, qui vous a honteusement trompé sur son identité depuis son arrivée !
  • Est-ce vrai Madame ? - demanda le médecin, assis derrière son bureau, le regard sévère.
  • O... Oui… Mais je n'ai… J'ai voulu vous expliquer mais...- tenta pour sa défense Candy, encore abasourdie par le choc de la présence d'Elisa en ces lieux.
  • Je suis désolée Madame… André ?… mais le règlement est formel, la famille uniquement…
  • Comment as-tu osé ??? - rugit Elisa en pointant Candy de son doigt menaçant, la bave aux lèvres - Te faire passer pour sa femme alors qu'il est époux d'une autre ! Son époux !!! - ajouta-t-elle en désignant une jeune femme blonde, assise au fond de la pièce et dont Candy n'avait pas remarqué la présence, son ventre arrondi pointant sous sa robe de voile d'un bleu légèrement grisé.
  • Suzanna ! - s'écria Candy, chancelante.

Suzanna la toisait, sans un mot, ses mains serrant si fort son petit sac que les phalanges de ses doigts étaient vidées de leur sang. Ce qu'elle avait toujours craint s'était finalement déroulé : ils s'étaient retrouvés !... Imaginer Terry blessé, couché dans ce lit, avec Candy à ses côtés, lui était insupportable. Elle tourna la tête en baissant les yeux comme pour fuir l'insoutenable.

  • Suzanna, c'est un malentendu !… - gémit Candy au bord des larmes, rouge de honte.
  • Voilà ce qui arrive quand on a la bonté d'accueillir dans sa famille une roturière, une petite infirmière de moins que rien qui veut jouer à la grande dame !!! Une femme mariée qui plus est !… - poursuivit Elisa, se délectant de cracher devant le médecin son venin sur Candy - Je ne pensais vraiment pas que tu aurais osé te montrer ici, Candy ! Dire que c'est moi qui ai immédiatement téléphoné à Mme Grandchester pour l'informer de l'accident de son époux. Je m'en serais bien gardée si j'avais su qu'elle aurait eu à subir l'affront de ta présence!..  

Nous atteignions le summum de l'hypocrisie!... Candy se tourna vers le médecin en désespoir de cause, essayant de chercher dans ses yeux une once de compréhension. 

  • Je regrette Madame André, mais vous devez quitter l'hôpital… - fit le chirurgien d'un ton sec en faisant signe à deux infirmiers, restés sur le pas de la porte, d'emmener la jeune femme.
  • Mais … Docteur…- fit Candy en se débattant. Elle croisa alors le regard de Suzanna, qui, contre toute attente, ne cilla pas. Elle se tut, baissa la tête, incapable d'affronter le sentiment de honte que sa rivale lui renvoyait. Sa place n'était pas ici, c'était le rôle de Suzanna de prendre soin de Terry. Et le mépris silencieux que cette dernière affichait à son égard, lui renvoyait en pleine figure l'inconséquence de son comportement. Elle se laissa emmener hors de la pièce, résignée comme un condamné à la potence.
  • Ne la ménagez pas !!! - aboya Elisa, haineuse - Elle n'a que ce qu'elle mérite, cette usurpatrice !!!
  • Calmez vous, Madame Withmore, sinon je me verrai dans l'obligation de vous faire quitter l'hôpital à votre tour ! - ordonna le chirurgien, maîtrisant difficilement son calme.
  • Mais voyons Docteur !!! - s'insurgea Elisa dans des frous-frous vaporeux d'un parfum trop fleuri - Après ce que j'ai fait pour vous, moi qui vous ai permis de démasquer cette mythomane !!!
  • Etes-vous de la famille de M. Grandchester ? - fit le médecin avec humeur.
  • Non, mais…
  • Donc le règlement de l'hôpital s'applique autant à vous qu'à Madame André…
  • Ma situation est différente ! - riposta Elisa avec virulence - Je suis une ancienne amie de collège de Terry et…
  • M. Grandchester a besoin de repos et certainement pas d'une cour de jeunes femmes enamourées !… - répliqua-t-il impassible en de quitter son fauteuil pour clore le débat.
  • Je ne vous permets pas, Docteur Emerson !!! - fit Elisa, outrée, le rouge lui montant aux joues - Vous entendrez parler de moi ! Je me plaindrai auprès de vos supérieurs ! - lança-t-elle en se levant, manquant de faire tomber son fauteuil en reculant. Elle releva son nez pointu avec un ridicule élan de fausse dignité et s'éloigna avec des cris de rage, battant le sol de son ombrelle.
  • Mais je vous en prie Madame Withmore ! - répondit en ricanant le médecin sans lever un oeil vers elle - Ce sera avec grand plaisir que je prendrai de vos nouvelles !

Tout en soupirant sur la bêtise humaine, il alla rejoindre Suzanna et s'employa personnellement à guider sa chaise roulante jusqu'à la chambre de son époux.

- Voulez-vous que nous vous installions dans un fauteuil plus confortable, vu votre état ?... - lui demanda-t-il quand ils pénétrèrent dans la pièce.

Suzanna refusa poliment.

- Je préfère rester où je suis, c'est plus commode pour me déplacer.

- Soit!... Dans quelques minutes, je viendrai consulter votre mari et une infirmière devra changer ses pansements. Il vous faudra alors quitter la chambre pendant un petit moment. Nous avons un bien joli parc où vous pourrez aller vous promener si vous le souhaitez. Il y brille déjà un soleil radieux comme vous avez dû le remarquer en arrivant ici.

- Je vous remercie Docteur Emerson de prendre aussi bien soin de mon mari. Je ne vous dérangerai pas. 

Le médecin opina et s'apprêta à sortir quand Suzanna l'interpella :

- Je vous serais très reconnaissante de bien vouloir demander à madame André de m'attendre dans le couloir, si cela est encore possible...

Le docteur eut un arrêt de quelques secondes. Il la regarda d'un air interrogatif puis finalement répondit en acquiesçant :

- Je vais tâcher de faire au mieux, madame Grandchester. Si madame André est encore dans ces murs, elle sera informée de votre requête.

Suzanna le remercia d'un triste sourire et poussa sur la roue de son fauteuil pour s'approcher de son époux, lequel continuait à dormir calmement, indifférent à l'agitation ambiante. D'une main tremblante, elle caressa le drap qui le recouvrait. Elle n'osait le toucher de peur de le réveiller. Le temps furtif d'un sommeil, il lui appartenait. La déception dans ses yeux se lirait uniquement quand il les ouvrirait, quand il la chercherait, elle, dans la pièce, et qu'il ne verrait que sa femme, seulement sa femme... 

Les lèvres de Terry se mirent alors à remuer légèrement. 

- Candy... Candy... - l'entendit-elle murmurer dans un souffle.

Des larmes perverses brouillèrent sa vue, elle étouffa un sanglot, se mordant la lèvre pour retenir un cri. Qu'il était cher le prix à payer d'avoir tant souhaité être Madame Grandchester !

Candy n'en revenait toujours pas de la requête de Suzanna. Alors qu'on s'apprêtait à la jeter dehors, elle avait cru sur le moment  à un mauvais coup d'Elisa, un de ces tours machiavéliques que seule son imagination d'aliénée pouvait concevoir. Mais quand elle aperçut cette dernière à la sortie de l'hôpital, vociférant des propos aux dénominations peu orthodoxes,  chassant de son ombrelle les journalistes et photographes massés dehors, puis disparaître comme une furie dans la voiture qui l'attendait devant l'entrée principale, elle comprit que Suzanna était bel et bien la personne qui souhaitait la voir. C'était donc avec une certaine angoisse qu'elle l'attendait, adossée contre le mur du couloir, à quelques mètres de la chambre de Terry. Au bout d'un moment, la porte s'ouvrit et apparut la fragile silhouette de sa rivale, son fauteuil poussé par une infirmière. Candy se proposa de prendre le relais. Suzanna opina sans prononcer un mot et elles prirent le chemin du parc. Les gravillons dans l'allée crissaient sous les roues du petit véhicule, interrompant à un rythme régulier le silence pesant qui les unissait. Candy trouva finalement une halte agréable, sous un tilleul majestueux aux branches démesurées qui s'étendaient au-dessus d'elles comme un plafond de verdure sur lequel venaient jouer les rayons du soleil. Elle plaça Suzanna à côté d'un banc et s'assit sur ce dernier. Elles n'avaient toujours pas échangé un mot et Candy se sentait de plus en plus embarrassée. Du coin de l'oeil, elle l'observait, fixant son ventre arrondi, ce futur enfant à naître, l'enfant de Terry... Elle se souvint alors de cette image furtive qui lui avait traversé l'esprit, des années auparavant, quand elle avait rencontré ces jeunes parents et leur bébé, dans le train qui la ramenait à Chicago, quelques heures seulement après sa douloureuse séparation. Elle avait contemplé longuement le bonheur de cette petite famille jusqu'à s'identifier à elle et à imaginer le couple qu'elle aurait pu former avec Terry... Anéantie, elle avait compris à ce moment là que cela ne se réaliserait jamais, qu'ils n'auraient pas d'avenir ensemble, si bien que de désespoir, elle avait souhaité en finir avec la vie !... Son coeur se serra à cette évocation, et elle secoua la tête pour chasser ces malheureuses pensées. Ce fut finalement Suzanna qui interrompit le silence :

- Je suis désolée... - fit-elle d'une douce et faible voix - Je suis désolée, Candy, de vous avoir fait perdre la face devant le personnel de l'hôpital. J'ignorais que vous étiez là avant que cette dame, cette Elisa Withmore, s'époumone comme une hystérique dans le bureau du docteur Emerson. 

Candy écarquilla les yeux de surprise. Suzanna avait une drôle de façon de la sermonner. Gênée par cette démonstration de grandeur d'âme, elle se recroquevilla d'autant plus sur son banc. Suzanna fut secouée d'un petit rire qui l'interpella.

- Je dois vous paraître étrange, n'est-ce pas Candy ? Je suis là devant vous à vous faire des excuses alors que vous vous teniez à ma place au chevet de mon mari  ?

Candy opina en rougissant.

- En effet Suzanna, vous avez l'art de me mettre mal à l'aise. Je dois vous avouer que je n'ai pas agi ainsi pour vous porter préjudice. J'ai été égoïste... J'ai tellement eu peur pour Terry, j'ai tellement craint pour sa vie...., que je n'ai pensé qu'à une seule chose : m'assurer qu'il irait bien, en dépit des conséquences, qui vont être très lourdes pour moi, c'est à craindre.

- Vous savez Candy, j'aurais agi de la même façon si j'avais été à votre place... N'occupé-je pas déjà celle qui aurait dû être la votre, il y a bien longtemps ?...

Un frisson désagréable lui parcourut l'échine. La franchise de Suzanna la décontenançait. Cette dernière la regardait droit dans les yeux, sans fléchir, comme pour l'assurer de la sincérité de ses propos. Candy était d'autant décontenancée que c'était la première fois qu'elle abordait aussi ouvertement ce sujet, sujet qui était devenu tabou au fil des années si bien que même Albert n'avait osé l'évoquer. Avoir à cet instant à partager ses sentiments avec celle qui était à l'origine de sa rupture avec Terry lui paraissait complètement surréaliste. Elle percevait néanmoins dans la détermination de Suzanna, une fêlure secrète, une souffrance intérieure qui la bouleversa, car elle devinait sans peine qu'il ne devait pas être aisé pour sa rivale de lui avouer ses faiblesses et ses tourments. Elle voulut se montrer rassurante. 

- Suzanna... Ne dites pas cela... - fit Candy en esquissant un geste de refus - Ce fut un choix commun, un choix réfléchi... Terry se devait de prendre soin de vous... Vous avez manqué perdre la vie pour lui ! Il n'aurait jamais pu ne pas se soumettre à son devoir!...

- Son devoir, ma chère , son devoir..  Vous avez prononcé les mots qui conviennent... - répondit Suzanna, un brin cynique - Terry n'obéit qu'à son devoir en restant près de moi...

- Vous vous méprenez, Suzanna... Terry vous est très dévoué et a beaucoup d'affection pour vous!

- De l'affection ! - rétorqua Suzanna en haussant les épaules avec une moue de dépit - Croyez-vous que ce soit de l'affection que j'attende de Terry ??? 

Candy posa une main compatissante sur le genou de la jeune femme qu'on avait recouvert d'une légère couverture de coton.

- Pardonnez-moi, Suzanna... Je ne voulais pas vous blesser.

Suzanna poursuivit sans l'écouter.

- J'ai toujours, naïvement, espéré voir briller dans ses yeux quand il me regardait, cette flamme de passion qui l'emportait dès qu'on évoquait votre nom, Candy. Nous ne parlions pourtant jamais de vous, vous avez été bannie de notre vocabulaire dès la minute où vous vous êtes séparés... Mais je devinais aisément, quand son regard se perdait au loin, et qu'un éclat de joie y scintillait soudainement, que c'était à vous qu'il pensait et non pas à moi... J'ai attendu tout au long de ces années, vainement, qu'il ressente autre chose pour moi que de la pitié... Car ce n'est que ce sentiment là que je lui fais éprouver... De la pitié !... Je préférerais tant qu'il me haïsse ! Au moins, je lui paraîtrais moins indifférente ! Il pourrait alors déverser sur moi le contenu de son coeur, plutôt que de tout conserver en lui, et d'en perdre goût à la vie, comme si un cancer le rongeait intérieurement...  

Elle baissa la tête, serrant de ses poings menus le bord de sa couverture.

- La dernière fois que j'ai vu Terry, nous nous sommes disputés à votre sujet... 

Candy resta coïte de stupeur devant cette révélation. Elle voulut tenter un nouveau geste de compassion que Suzanna refoula poliment de la main.

- J'avais appris votre retour de France, et j'étais convaincue que cela ne ferait que raviver la flamme de son amour pour vous. J'ai été odieuse avec lui, et lui très blessant. Ma santé a décliné si bien qu'on lui a conseillé de s'éloigner de moi, pour mon bien-être. Voilà pourquoi il s'est inscrit à cette maudite course, pour oublier le désastre de sa vie, subir les effets de l'adrénaline et avoir l'impression d'exister, de contrôler son existence... Quand j'ai appris son accident, j'ai pris, en cachette de ma mère et avec l'aide d'un domestique, le premier train pour Détroit, sans tenir compte des conseils du médecin. Il fallait que je sois à son chevet à tout prix, que je m'assure qu'il ne m'en voulait plus. L'idée même de le perdre dans ces conditions m'était insupportable. 

Elle inspira profondément et leva ses yeux translucides troublés de larmes vers Candy.

- Je vous avais promis, Candy, de prendre soin de lui et de faire son bonheur. J'ai lamentablement échoué ! J'ai stupidement voulu croire qu'il suffisait d'aimer pour deux pour que mon souhait se réalise. C'était sans compter l'amour qui vous lie tous deux, dépassant les frontières et les conventions. Comme je vous envie, Candy ! Comme je vous envie de disposer de son âme alors que je ne suis que la détentrice de son enveloppe. Je porte son nom, son futur enfant, et pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi étrangère de lui... 

- Je suis vraiment désolée, Suzanna... Désolée pour tout cela, croyez-moi... 

- Mais je vous crois, Candy. Je vous crois car je sais que vous êtes une âme pure, si pure que vous avez fait le sacrifice de l'homme que vous aimiez, pour moi, une inconnue, une jeune actrice capricieuse qui ne voyait d'autre issue à son malheur que d'imposer sa volonté à celui qu'elle adorait. Je ne supportais pas l'idée de le perdre. Je n'aurais pu trouver le courage de vivre s'il s'était éloigné de moi... Je ne voulais pas le partager... Il était à moi et à moi seule !

Candy tressaillit en entendant cette dernière phrase. Elle regarda Suzanna et lut dans ses yeux une volonté qu'elle lui reconnaissait, qu'elle avait vu briller autrefois lors de leur précédente rencontre, celle d'un enfant irrité quand on veut lui reprendre son jouet et qui lutte pour le conserver. Sa voix aussi avait changé, plus ferme, plus énergique. Terry représentait pour Suzanna un trésor, un bijoux précieux que nul ne pouvait approcher et dont elle était la gardienne. Se pouvait-il que Suzanna considérât toujours Terry comme sa chose, un titre de propriété sur son existence ? Après toutes ces confidences, Candy peinait à le croire...

- Il était à moi !... - renchérit-elle d'une voix étranglée -  C'est ce dont j'étais convaincue à cette époque... J'étais si stupide et si arrogante !... Moi qui évoluais sous les feux de la rampe depuis mon enfance, qui vivais entourée d'une mère qui cédait à toutes mes exigences et d'un entourage qui me manipulait par l'extravagance de ses louanges, je n'avais jamais fait l'expérience de la résistance. Et Terry m'avait résisté, n'avait pas cédé à mon pouvoir de séduction, si tant est qu'il l'ait une fois remarqué... J'ai bien vite compris que son coeur appartenait à une autre, à une certaine Candy dont je voyais arriver les lettres de temps en temps à la compagnie théâtrale et qu'il saisissait avec empressement pour aller les lire en cachette de nous. Je vous imaginais comme une déesse, car je ne pouvais concevoir autre chose qu'une créature céleste pour pouvoir de se faire aimer de lui. Et quand je vous ai vue dans ce hall d'hôtel de Chicago, à la fois irréelle et terriblement humaine, sublime malgré vos cheveux en bataille, votre robe froissée et vos souliers à la main, j'ai réalisé que je n'étais pas de taille à lutter contre vous. Vous aviez la beauté de la simplicité alors que je n'étais qu'artifices et sophistication... Vous connaissiez tous les secrets de son coeur alors que je devais me contenter de quelques bribes ou de ragots rapportés par quelques jaloux de son immense talent. J'avais si peu tandis que vous aviez tout ! J'ai assisté à vos retrouvailles le lendemain, lui suspendu à la porte grande ouverte de ce train qui nous ramenait à New-York, et vous courrant le long de la voie ferrée. Je découvris à cet instant un visage inconnu du garçon que j'aimais, un visage qui irradiait de bonheur, nous éclaboussant tous de sa lumière, jusqu'à ce que vous disparaissiez à l'horizon. Et les traits bouleversés de désespoir qu'il afficha par la suite acheva de me détruire. Vous seule étiez capable de provoquer en lui des émotions aussi intenses, si ce n'est peut-être le théâtre qui le galvanisait à son tour, parce qu'à travers les mots d'amour qu'il déclamait, il lui semblait certainement qu'il se rapprochait de vous...  Je vous ai détestée si longtemps Candy, je vous ai tant enviée, alors que c'est moi qui aurais dû être l'objet de votre haine. 

Elle sanglotait. 

- J'ai été bien punie, vous savez Candy... Je dois subir quotidiennement son indifférence qu'il masque sous des attentions impersonnelles, et je dois aussi subir cette terrible culpabilité d'avoir gâché sa vie et brisé son coeur... Je me honnis de ne pas avoir eu le courage de mettre un terme à cette triste comédie. Je me déteste d'être la source de ses tourments. Me pardonnerez-vous un jour, Candy ? Me pardonnerez-vous d'être si désespérément faible quand il s'agit de lui ? Je l'aime tant !

Candy restait sans voix, incapable de prononcer un seul mot. Que pouvait-elle lui dire excepté toute la compassion qu'elle ressentait à son égard? N'était-elle pas, elle-même, en partie responsable de tout ce désastre ? Pourquoi ne s'était-elle pas battue pour conserver Terry alors qu'elle savait très bien que c'était elle qu'il aimait ? Pourquoi avait-elle aussi aisément renoncé à lui, elle si combative dans la vie ?... Elle connaissait très bien la réponse... 

Parce-qu'il n'y avait pas d'autre solution... Parce-que Terry n'aurait jamais pu supporter de vivre ainsi, indifférent au malheur de Suzanna alors qu'elle avait tout sacrifié pour lui, sa carrière, son avenir!... L'abandonner aurait été l'acte le plus lâche qu'il aurait pu commettre. Mais Terry n'était pas de cette trampe là, il était de celle des hommes qui ont le courage d'affronter leur destin. Candy n'avait fait que le conforter dans sa décision, qu'il avait déjà prise inconsciemment, mais dont il refusait l'évidence par crainte de briser son coeur et le sien. Parce-que l'insoutenable devait être et qu'ils ne pouvaient y échapper. C'était écrit, depuis le début, et rien ne pouvait changer cela. Leur destin aussi cruel qu'il fut, voulait qu'elle soit mariée à Albert et Terry à Suzanna. C'était sans issue. Candy savait qu'elle ne pourrait jamais quitter Albert, ni que Terry abandonnerait Suzanna. On ne pouvait revenir en arrière, et même si cela eut été le cas, elle aurait agi de la même façon. Suzanna méritait d'être l'épouse de Terry et la mère de son enfant. Après tout, Terry serait bel et bien mort si elle n'avait pas été là pour lui sauver la vie!... 

Albert méritait aussi d'être aimé plus sincèrement, lui qui avait toujours été présent dans ses périodes de désespoir, qui l'avait aidée à reprendre goût à la vie après sa rupture d'avec Terry. Il était son oxygène, son énergie, et elle l'avait abandonné, sans sourciller, sans états d'âme, pour quelques minutes auprès d'un homme qu'elle n'aurait jamais. Elle réalisait à présent la folie de son acte, et voulut se précipiter à l'hôtel pour le retrouver, pour le rassurer sur ses sentiments. Mais serait-il encore là ?...

Les pleurs persistants de Suzanna soutirèrent Candy de ses pensées. Elle s'en voulut de sa négligence et prit affectueusement la main de la jeune femme, la tapotant doucement.

- Suzanna... Se serait vous mentir de vous dire qu'il n'existe plus aucun sentiment entre Terry et moi. Mais je puis vous assurer que Terry tient profondément à vous. Il n'est pas du genre à se laisser influencer par les règles établies. Je l'ai trop vu se rebeller contre cela toute sa vie pour imaginer une seule seconde qu'il s'y soumette alors que ce n'est pas sa nature. Terry a fait le choix de rester près de vous et il a fait le bon choix, car c'est là où doit être sa place. Nous le savons tous deux. Vous êtes sa femme, la compagne de sa vie, moi je ne suis plus qu'un souvenir d'un passé révolu. J'ai commis la grossière erreur de venir jusqu'ici alors que j'aurais dû avoir la sagesse, et surtout le bon sens de rester à l'écart. Je n'ai fait par mon comportement que rouvrir une blessure mal fermée et la laisser béante entre nous trois. Croyez bien que je le regrette amèrement. C'est votre rôle à présent de vous occuper de lui. Le mien est de me faire oublier de lui, et surtout de me faire pardonner de vous pour vous avoir fait souffrir involontairement. Je n'ai jamais voulu m'immiscer entre vous deux. J'ai juste voulu, ne serait-ce qu'une seconde, le voir vivre, entendre battre son coeur, m'assurer que la mort ne viendrait pas une nouvelle fois m'enlever un être cher. Mon inconscience m'a ôté tout raisonnement. Je n'ai pas mesuré les conséquences de mon acte, mais je puis vous assurer que vous n'entendrez plus parler de moi, Suzanna. Je ne serai plus ce fantôme qui erre entre vous deux. Terry fait bel et bien maintenant partie d'une autre vie qui n'existe plus, et vous devez penser la même chose à mon égard. L'enfant que vous attendez de Terry vous réunira, vous deviendrez la mère de son fils, et il vous en chérira d'autant plus pour cela. Prenez bien soin de lui. C'est quelqu'un de fragile malgré les grands airs qu'il veut se donner !...

La voix de Candy chuta sur ses dernières paroles. S'entendre renoncer à tout ce que représentait Terry pour elle lui donnait l'impression que son âme s'échappait de son être.  Comme si on lui ôtait la vie. Elle lutta un moment contre un flot de larmes qui se débattait en bordure de ses paupières, mais ne put le retenir plus longtemps. Embarrassée, en sanglots, elle se leva promptement.

- Je vais vous laisser à présent Suzanna. Je dois retourner auprès de ma famille. Ne vous découragez pas. Terry est un homme bien, rares sont ceux de son espèce, et il saura vous rendre heureuse, j'en suis sûre.

Très émue, Suzanna lui tendit la main, que Candy accueillit chaleureusement, la serrant très fort entre les siennes.

- Merci pour ces paroles d'encouragements, Candy. Je comprends maintenant pourquoi Terry vous a tant aimée... Vous m'avez redonné la force de persévérer, de me battre pour le reconquérir. Merci pour votre bonté!...

Les lèvres tremblant d'émotion, Candy opina simplement du chef et esquissa un pas pour s'enfuir au plus vite. Suzanna l'interpella une dernière fois.

- Vous savez, Candy... Si les circonstances avaient été différentes, nous aurions pu être amies...

A bout de résistance, la gorge serrée, Candy émit un oui plaintif et partit en courant. Il fallait qu'elle fuie ces lieux au plus vite ! Elle croisa en rentrant dans le couloir une infirmière. Elle lui signala la présence de Suzanna dans le parc et elle lui demanda de la ramener auprès de son époux. Puis elle se dirigea vers la sortie, enfonçant les portes à battants avec l'énergie du désespoir. Parvenue à l'extérieur, elle s'appuya un instant contre le mur pour reprendre sa respiration. Le sol semblait s'effondrer sous ses pas, et le ciel tournoyer dans tous les sens. Le répit fut de courte durée... Tout à coup, elle se retrouva assaillie d'une nuée de photographes et de journalistes qui l'interpellaient de tous côtés. Des flashs aveuglants crépitaient autour d'elle, des cris assourdissants bourdonnaient à ses oreilles, on la bousculait. Prise au dépourvu, Candy se demanda comment elle allait pouvoir se dégager de cette foule, si proche d'elle qu'elle ne discernait plus un coin du ciel. Une main secourable et inespérée lui empoigna alors le bras et parvint à l'extirper de cet agroupement. C'était Georges qui venait à son secours et le visage de Candy s'illumina de soulagement en le reconnaissant. Au pas de course, ils rejoignirent une voiture garée un peu plus loin. Dès qu'ils furent à l'intérieur, le chauffeur démarra en trombe et le véhicule partit à toute allure, laissant sur le côté les curieux indélicats.

- Oh Merci, Georges ! - s'écria Candy en lui prenant chaleureusement la main - Je ne sais pas comment j'aurais pu m'en sortir sans vous !

- J'obéis aux ordres de Monsieur, Madame... J'avais pour mission de vous attendre et de vous ramener à l'hôtel dès votre sortie de l'hôpital... - répondit Georges assez froidement.

- A... Albert est encore là ? - bégaya Candy. Les évènements se précipitaient !

- Oui, Madame!... Et il vous attend...

Candy tourna son visage vers la fenêtre, un voile d'inquiétude balayant le sourire reconnaissant qui s'était niché sur ses lèvres. Les poings serrés, elle regarda sans les voir les rues défiler devant ses yeux. Une boule d'angoisse commença à grossir dans son ventre, et c'est au bord de l'évanouissement qu'elle posa un pied sur le trottoir de l'hôtel où l'attendait son mari. Les pensées s'embrouillaient dans son esprit, mêlées à la certitude qu'elle devait  tout faire pour le convaincre de la sincérité de ses sentiments. Elle cherchait des mots qui ne venaient pas, des paroles rassurantes qui devenaient confuses en voulant les rassembler. Elle suivit Georges jusqu'à la chambre maritale, et quand la porte s'ouvrit, Candy crut bien que son coeur allait s'arrêter tant les battements de son coeur cognaient dans sa poitrine. Elle remercia Georges d'un signe de tête, prit une profonde inspiration, et tremblant de tout son être, entra dans la pièce.

Il faisait sombre dans la chambre. Les rideaux étaient restés tirés et Candy peinait à distinguer quoi que ce soit autour d'elle. Finalement, elle devina une forme familière en contre-jour, assise dans un large fauteuil face à la fenêtre, et s'en approcha.

- Albert? - fit-elle d'une voix de petite fille.

La silhouette cachée dans la pénombre remua un peu mais persista dans son mutisme. N'y tenant plus, Candy se jeta à ses genoux et éclata en sanglots.

- Oh, Albert, pardonne-moi ! Je suis si heureuse que tu sois là ! J'ai tellement eu peur que tu sois déjà parti, que tu refuses de me voir ! Je sais que j'ai commis une erreur impardonnable ! Je te supplie de croire que je regrette profondément la souffrance que je t'ai fait endurer ! Oh, Albert, pourras-tu me pardonner un jour ???

Pour toute réponse, elle sentit une main venir lui caresser les cheveux avec tendresse. Surprise, elle leva la tête en hoquetant et vit le visage de son époux, ravagé de tristesse, qui, penché au-dessus d'elle, la regardait avec bienveillance.

- Calme-toi, mon amour... C'est à moi de te demander pardon après les dures paroles que j'ai eu envers toi au moment de l'accident. Je n'ai pas compris qu'il fallait que tu partes avec lui... pour que tu me reviennes...

- Albert... - fit Candy en se redressant, les yeux plein de larmes - Tu es si bon, mon aimé!... Je ne mérite en rien ta clémence... Je ne t'en voudrais pas si tu me quittais, tu sais, tant je mérite ton courroux. Je ne suis pas digne de ton amour! Je ne suis qu'une écervelée qui a agi sans réfléchir, se moquant des conséquences et du mal que je pouvais te faire. Oh Albert, j'ai si honte de moi !

- Quels mots sévères s'emparent de ta jolie bouche, ma chérie ! - fit-il, la voix enrouée, en lui prenant la main -  Te laisser, alors que je ne peux vivre sans toi?...

- Mais Albert, j'ai déshonoré la famille en me précipitant au chevet de Terry, j'ai sali ton nom par mon irresponsabilité, j'ai failli à tous mes devoirs !... Comment peux-tu être aussi indulgent envers moi ?

- Parce que je vais te demander de l'être à ton tour à mon égard... - répondit-il d'une voix qui trahissait sa crainte.

- Je ne comprends pas... Je n'ai jamais rien eu à te reprocher, Albert! Tu as toujours été un merveilleux époux !

- Détrompe-toi... - dit alors l'élégant jeune homme blond en se levant vers la fenêtre. Manquant soudain d'air, il tira sur la poignée, et une brise légère se faufila entre les rideaux, et pénétra dans la pièce, faisant ondoyer les mèches de cheveux qui retombaient sur son visage  - Tu pleures sur ton inconséquence, et pourtant, tu devrais m'en vouloir car je suis à l'origine de tout cela... Je t'ai menti, Candy, je t'ai menti pendant des années, alors que tu émerveillais mes jours et mes nuits. Et pas un instant, je n'ai eu le courage de t'avouer la monstruosité de mon acte...

- Je ne comprends rien, Albert ! - fit Candy sur un ton alarmé - Que veux-tu dire par là ???

Albert, les mains croisées dans le dos, baissa la tête. Puis il prit une profonde inspiration.

- IL... IL est venu... Il est venu un jour à Chicago, quelques temps après votre rupture, alors que tu travaillais dans cette misérable petite clinique, dans le quartier pauvre de la ville. 

- Terry ? Terry est venu à Chicago ? - s'écria Candy, ses vertes prunelles s'écarquillant de surprise.

- Je l'avais rencontré dans un bar - poursuivit Albert, sans se retourner - Il était passablement éméché. Le tenancier m'avais confié que cela faisait des jours qu'il était là, à se saouler... 

- Mon Dieu !... Terry!... - gémit Candy, en s'échouant dans le fauteuil, le visage enfoui dans le creux de ses mains.

- J'ai essayé de lui parler. Il m'a repoussé. Nous nous sommes battus, mais pas très longtemps !... - dit-il comme pour la rassurer - Puis nous sommes allés nous promener vers la bute qui dominait la clinique qui t'employait. C'est là qu'il m'a avoué son incapacité à t'oublier... Il avait perdu le goût de vivre, il avait renoncé au théâtre, abandonné Suzanna...

Albert n'avait pas besoin de tourner la tête pour savoir que sa femme agonisait de douleur derrière lui. Mais il fallait qu'il lui avouât sa faute, tant elle avait été pesante pour sa conscience tout au long de ces années, et lui expliquer ce que l'amour pouvait provoquer de faiblesses chez un homme, et combien il pouvait comprendre alors ce qu'elle pouvait éprouver ...

- Je n'ai pas cherché à lui dire que tu vivais le même supplice, je ne lui ai pas parlé de toutes ces nuits où je t'entendais pleurer dans ta chambre. Je n'ai pas pu lui dire qu'il lui suffisait de réapparaître devant toi, pour que vous vous retrouviez et que vous vous aimiez comme cela aurait du être, car j'en étais incapable, fou de jalousie j'étais, fou d'angoisse de te perdre!... Il t'a donc observée de loin, et je me suis contenté de lui dire que tu ne t'étais pas laissée abattre, que tu avais poursuivi ta voie malgré les difficultés, et que tu avais affronté ton destin, sans fléchir, avec courage... Mes mots ont dû être convaincants car il s'est levé et m'a dit qu'il repartait pour New-York, qu'il avait compris, qu'il devait suivre ton exemple, qu'il ne voulait plus jamais te décevoir... Il m'a demandé de ne jamais te parler de sa visite, et je m'en suis bien égoïstement gardé...

- Terry... Terry était là, et tu... tu me l'as caché!... - sanglotait Candy en balançant la tête, hébétée.

- Je le regrette, je le regrette tellement, Candy ! - s'écria-t-il en se précipitant à ses genoux, la tête enfouie contre son ventre, gémissant comme un malheureux - Je t'aimais tellement déjà ! - fit-il en levant vers elle ses grands yeux clairs troublés de larmes  - Je t'aimais tellement que, lorsque je l'ai vu, j'ai paniqué, je savais que je risquais de te perdre, et cette perspective m'était insupportable !

- Tu comprends maintenant pourquoi je ne peux t'en vouloir ? - poursuivit-il - Je ne peux t'en vouloir car mon attitude est beaucoup plus méprisable. Je suis à l'origine de notre souffrance mutuelle.

Abasourdie par la confession de son époux, Candy resta coite un instant, incapable de prononcer une seule parole. Elle ne pouvait qu'observer Albert en silence, lequel ne tarissait pas de sanglots étouffés, serrant la taille de sa femme, de peur qu'elle lui échappe pour de bon. Ce fut au moyen d'un effort surhumain, qu'elle parvint à ouvrir la bouche, prenant cette fois sur elle, faisant taire son chagrin dans les tréfonds de son coeur.

Tu as tort!... - répondit-elle alors avec fermeté, en fixant le regard de son époux - Tu n'as fait que dire à Terry ce que je lui aurais dit, s'il s'était tenu devant moi... Que sa place était auprès de Suzanna... Que nous avions pris la bonne décision... Je te suis reconnaissante de m'avoir évité à subir cette nouvelle épreuve....

- Je te demande pardon, Candy ! Je me sens si misérable ! - fit Albert en cachant son visage dans ses mains.

- Je n'ai rien à te pardonner, mon aimé... - répondit-elle en caressant les mèches blondes de son époux - Nous avons commis la même erreur : d'écouter notre coeur en restant sourd à notre raison. Nous nous sommes blessés l'un l'autre. A nous désormais de prouver que nous avions tort, que notre amour est fort, et qu'il mérite que nous nous battions pour lui... Je ne veux plus regarder en arrière, je ne veux penser qu'à l'avenir, au notre, si tu veux encore de moi...

- Oh, Candy, mon amour ! - s'écria Albert en se redressant et en la serrant plus intensément contre lui - Comment peux-tu encore douter de cela ?!

- Albert!... - murmura Candy d'une voix émue, guidant son visage vers celui de son époux, sa joue venant frôler la sienne, qu'il avait agréablement douce - Je t'aime tant...

Fébriles, les lèvres d'Albert se rapprochèrent des siennes, les effleurant timidement d'abord, mais comme elle ne s'écartait pas, il s'enhardit et les saisit avec fièvre, les mouillant de ses larmes. En réponse, Candy passa tendrement ses bras autour du cou du jeune homme, qui l'enlaça passionnément, dévorant son beau visage de multiples baisers. La chaleur du corps d'Albert contre le sien l'enveloppait et la revigorait tel un soleil de printemps venu chasser les ombres glaciales de l'hiver.  Elle se sentait revivre, émergeant d'un long sommeil. Comme électrisée, le corps et le coeur endoloris, avides de réconfort, elle se laissa aller à la douceur de ses caresses qui se montraient de plus en plus audacieuses. Les lèvres entrouvertes, elle céda à la pression de sa langue qui cherchait un passage à la rencontre de la sienne, chassant ses dernières résistances, provoquant à leur contact une excitation libératrice qui secoua tout son être. Toute à leur impudeur, ses mains se glissèrent sous sa chemise, faisant tressaillir sur leur passage chaque muscle de son torse robuste d'ancien vagabond . Elle sentit son coeur battre plus vite, sa respiration s'accélérer, et quand, haletant, il s'écarta d'elle pour mieux la regarder et s'assurer de son consentement, le trouble qu'elle lut dans ses yeux exalta l'étourdissement des sens qui la possédait. Il la souleva du fauteuil et la déposa avec empressement sur le lit, la chevauchant de sa haute stature, dominante et imposante. Sous la vigueur de l'effervescence, il s'activa à la libérer de sa robe, tandis qu'elle lui arrachait ses vêtements qui s'éparpillèrent sur le sol . Elle sentit ses doigts  affamés se promener sur sa peau nue, lécher ses flancs de caresses qui la brûlaient, et accueillit avec jouissance son corps viril qui s'appesantissait entre ses cuisses. Elle prit son beau visage entre ses mains et l'attira à elle, saisissant ses lèvres avec voracité, les mordant presque jusqu'au sang. Albert enfouit sa tête dans le creux de son cou en gémissant et prit possession d'elle sans ménagement. Un plaisir violent s'empara d'elle, intense et pénétrant, embrasant chaque parcelle de sa peau, chaque cellule nerveuse, et qui s'intensifia à lui en faire perdre raison, au rythme du balancement déchaîné de leurs deux corps. Ils firent l'amour avec férocité, la rage de leur meurtrissure commune décuplant leur désir, exprimant leur joie des retrouvailles par des plaintes étouffées qui montaient en puissance, chaque mouvement de rein les plongeant dans un bain de sensations enivrantes, aiguës, qui les amenaient sur des altitudes inaccessibles qu'eux seuls pouvaient atteindre, jusqu'à parvenir au sommet de jouissance, suffocante et délirante. 

A bout de souffle, prenant appui sur les coudes, Albert dégagea d'une caresse, les mèches moites de sueur qui s'étaient collées sur le visage de Candy. Il percevait les jambes de sa femme qui l'enserraient, convulser encore légèrement. Il l'embrassa tendrement et chercha son regard dans la pénombre. Il y brillait une lueur nouvelle comme si elle le regardait différemment, comme si l'ombre de Terry s'était définitivement évanouie. Pris d'un sanglot, il enfouit sa tête dans ses boucles dorées pour cacher son émoi, humant avec délice ce parfum de fleurs des champs dont jamais il ne se lasserait. 

- Dis-moi que ce n'est pas un rêve... - murmura-t-il au creux de son cou - Dis-moi que ce que nous venons de vivre est bien réel, que rien n'a changé entre nous.

Candy plongea la main dans la chevelure de son époux, couvrant son front de baisers.

- Je veux bien partager ce rêve avec toi, mon amour... Je t'aime, Albert... Sincèrement et du plus profond de mon coeur... 

Albert s'allongea contre Candy et ferma les yeux de contentement. Le bras recouvrant la taille sa femme, il laissa peu à peu son corps épuisé se livrer à un sommeil bienveillant qui l'emporta rapidement. Candy continua à à le bercer de caresses, appréciant la chaleur réconfortante du corps de son époux contre le sien. Elle savait à présent que le tremblement de terre qui avait bouleversé leur union quelques heures auparavant, que cette mise à l'épreuve leur avait été nécessaire pour se retrouver. Une vie nouvelle s'ouvrait à eux, une vie écartée des souvenirs et des regrets. Elle en était convaincue...

Fin du Chapitre 5

© Leia avril 2008