UN PASSE TROP PRESENT
Par Leia

Chapitre 4

- Surtout ne triche pas, mon aimée, ce serait gâcher la surprise ! - fit Albert en aidant son épouse à sortir de leur voiture.

- Mais où me mènes-tu donc ? Est-ce encore loin ? - fit Candy, trépignant d'impatience.

- Encore quelques mètres... - chuchota-t-il à son oreille en lui prenant la main.

Les yeux bandés, soutenue par la poigne robuste de son époux, la jeune femme longeait d'un pas hésitant le trottoir d'une rue de Chicago. Dévorée de curiosité, elle aurait bien voulu ôter le linge blanc qui lui cachait la vue et découvrir au plus vite ce qu'Albert lui avait préparée. L'attente fut brève car déjà ils s'arrêtaient.

- Nous sommes arrivés!... Tu peux regarder à présent !...

Sans plus attendre, Candy se libéra de son bandeau, lequel, en retombant, vint se poser autour de son cou délicat. Elle cligna des yeux quelques secondes, éblouie par l'éclat du soleil de cette fin de matinée sur la façade rénovée d'un immeuble d'une dizaine d'étages devant lequel elle se trouvait. Au dessus de la porte d'entrée, une enseigne familière la saluait : Fondation Anthony Brown - Hôpital pour enfants. Stupéfaite, Candy écarquilla des yeux émerveillés, rapidement troublés d'un flot de larmes qui lui brouilla la vue. Elle se  tourna vers son époux dont le regard empreint de satisfaction la bouleversa d'autant plus. C'était donc cela ses aller-retours incessants à Chicago, ses obligations professionnelles dont il éludait l'objet à chaque question et qui l'avaient éloigné d'elle tout ce temps !... 

- Petit cachottier ! - s'exclama-t-elle en se jetant à son cou, réprimant un sanglot de joie - Merci, merci ! C'est un merveilleux cadeau que tu m'offres là!

- Mais comment as-tu pu organiser tout cela en si peu de temps ??? - lui demanda-t-elle en s'écartant de lui, ses yeux admiratifs caressant de bas en haut l'imposant édifice. Le récit qu'il lui en fit ne fit que confirmer la générosité de coeur de son époux, lequel, bien avant leur départ pour l'Amérique, avait sollicité Georges pour partir avant eux à Chicago afin de s'occuper de la rénovation d'un immeuble appartenant à la famille et situé dans un des quartiers populaires de la ville. Dès leur retour effectif en Amérique, il ne put que constater la réussite de la tâche effectuée par son intendant, et consacra les dernières semaines avant l'ouverture à finaliser le projet jusqu'au moindre détail mobilier. Il ne savait que trop le déchirement causé à Candy d'avoir eu à quitter ce à quoi elle s'était consacrée à Paris et il avait voulu qu'elle retrouvât au plus vite cet entrain, cette énergie qui l'animait de coutume. Ne l'avait-il pas trouvée d'humeur maussade ces derniers jours ? Le sourire radieux qu'elle lui renvoyait à cet instant chassa ses dernières inquiétudes, et c'est avec une fierté non dissimulée qu'il l'entraîna à l'intérieur.

Candy ne tarissait pas de cris d'émerveillement, enthousiasmée par le confort des lieux, la chaleur accueillante qui s'en dégageait et le souci de modernité porté au choix des équipements. Rien n'avait été préparé au hasard et Candy réalisait combien Albert avait dû l'observer dans son activité à sa fondation parisienne. Elle n'aurait pu faire ni choisir mieux ! Elle nageait dans le bonheur, flottant sur un nuage à chaque découverte.

- Et voici ton bureau ! - fit Albert en poussant une porte massive, subtilement sculptée en ses quatre angles de l'aigle royal, blason de la famille André, qui en s'ouvrant, laissa apparaître une vaste pièce lumineuse, percée d'un côté de deux grandes portes-fenêtres cernées d'un balcon qui surplombait un magnifique jardin de promenade. Un bureau de style Louis XVI long et profond avait été placé au centre de la pièce, bibliothèques et fauteuils de confort ayant été disposés au fond - Tu trouveras sur la table une liste de personnel que je t'ai établie à laquelle tu peux effectuer les modifications que tu souhaiteras nécessaires. C'est toi la directrice à présent !

Devant la rapidité des évènements, Candy restait coite, la bouche paralysée d'émotion. Elle se trouvait à présent à la tête d'une organisation qui ne demandait qu'un battement de ses jolis cils pour s'animer, flanquée d'un bureau de ministre ! Elle n'était rentrée à Chicago que la veille, sans être préparée en aucune façon à ce qu'elle allait découvrir. Son seul souci ayant été, avant de partir et d'un commun accord avec Albert, de confier son fils pour le restant de l'été aux bons soins de Soeur Maria et de Melle Pony, convaincue que ce séjour parmi ses compagnons de jeux, le rétablirait plus rapidement de la perte de Capucin.

- Pauvre Capucin !... Comment vais-je annoncer la triste nouvelle à Annie  ? - se dit-elle subitement. La perte de Capucin avait laissé un grand vide dans le cœur de Candy. Et la peine immense qu'elle ressentait s'accentuait à l'évocation du moment où il faudrait informer son amie d'enfance du décès du pauvre animal. Elle espérait avoir encore un peu de temps devant elle avant d'avoir à lui faire part de cette tragédie. Elle la savait si sensible à cet égard et voulait la ménager. 

Albert remarqua l'ombre qui venait de passer sur le visage pensif de son épouse et le froncement de sourcil qui aiguisa son inquiétude.

- Quelque chose ne va pas ? - s'enquit-il, soucieux, un main affectueuse posée sur l'épaule de la jeune femme.

Devant la mine préoccupée de son époux, elle se ressaisit et vint se blottir contre lui.

- Rien de bien grave!... Je pensais à Annie.

- Me voilà rassuré ! - s'écria-t-il dans un gloussement nerveux - J'avais peur que la décoration ne te convienne pas !

- Tu plaisantes, mon ami ! C'est un bureau digne d'une princesse !

- Mais tu es ma princesse !... - fit-il en se pressant un peu plus contre elle, cherchant à capturer ses lèvres. Elle ne le repoussa point, trop heureuse de la sensualité de ce contact dont elle était gourmande, de cette impression de sérénité qui prenait possession d'elle à chaque fois qu'il l'enlaçait.

- Tu veux poursuivre la visite ? - murmura-t-il dans un souffle, caressant sa nuque de milles baisers

Pour toute réponse, elle le repoussa un peu plus contre la porte. Il la sentit s'arquer puis frôler de son bras contre sa taille à lui, suivi du bruit d'un tour de clé derrière lui. Le regard malicieux qu'elle lui adressa, sa respiration rapide qu'il discernait sous le corsage de sa jolie robe blanche, ses mouvements de recul vers le fond de la pièce où se trouvait le sofa, ébranlèrent son coeur comme un cheval au galop. Il la rejoignit en quelques enjambées et encercla sa taille de ses deux mains, la soulevant comme un fétu de paille. Elle rit de bon coeur, fermant les yeux, s'abandonnant avec plénitude aux bras puissants de son époux, prisonnière soumise à la voluptueuse possession qui les appelaient au creux de leur couche improvisée...  

Cela faisait déjà quinze jours que Candy était arrivée à Chicago, et le temps s'était écoulé à une vitesse folle ! Bien que secondée par Albert, elle se trouvait très absorbée par la prochaine ouverture de son hôpital : le suivi des ultimes travaux, l'embauche du personnel, les dernières commandes de matériels à effectuer, les contacts entrepris avec les associations de lutte contre la pauvreté, accaparaient ses jours et parfois ses nuits. Ce fut donc avec étonnement qu'elle raya une nouvelle semaine sur son calendrier ce matin là. Usant du sofa comme lit d'appoint, elle s'était rarement rendue dans la demeure familiale. Elle trouvait qu'elle gagnait du temps à dormir sur place mais n'osait s'avouer qu'elle préférait ses quartiers à l'hôpital, à ses immenses et luxueux appartements dans la sombre et austère maison des André, où chacun de ses gestes était épié, répété et déformé auprès de la Grand-tante Elroy…

C'est donc penchée sur une pile de formulaires et papiers variés, qu'elle fut surprise par la venue de sa meilleure amie Annie, qui revenait d'un séjour de plusieurs semaines à San Francisco.

  • Ah Candy ! Je suis si heureuse de te revoir ! - fit l'élégante jeune femme en serrant son amie contre son cœur - Dès que j'ai su que tu étais de retour à Chicago, j'ai pressé Archibald pour que nous avancions la date de notre départ ! J'ai tant de choses à te raconter !
  • Moi aussi Annie… - fit Candy, le ton enjoué qu'elle employa manqua de trahir son inquiétude.

Bien que ravie de retrouver Annie, elle n'en était pas moins embarrassée par la difficile tâche qu'elle se devait d'accomplir. L'absence de cette dernière n'avait fait que reculer l'échéance. Mais le moment qu'elle redoutait tant, torture suprême pour Candy, se présentait maintenant et il fallait qu'elle trouve le courage nécessaire pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Dieu que sa bouche était sèche à cet instant !

  • Que se passe-t-il ? Tu n'as pas l'air contente de me voir après tout ce temps ? - demanda Annie, remarquant la mine tourmentée de son amie.
  • Détrompe-toi ! - se défendit Candy - Je suis très heureuse de te voir Annie. Seulement….
  • Il n'est rien arrivé à Arthur au moins ??? - l'interrompit-elle paniquée.
  • Non, Arthur va très bien… Il est resté chez Pony…
  • Capucin n'est donc pas venu avec toi. Ils sont inséparables ces deux là ! - fit-elle avec un soupir de soulagement.
  • Eh bien… - commença Candy, hésitante, les mots peinant à franchir la barrière de ses lèvres - C'est à propos de Capucin… - parvint-elle à prononcer faiblement.

Annie la regarda interrogative, muette.

  • Il ne s'est pas réveillé un matin… - dit-elle en fixant le sol pour éviter le regard de la jeune femme - Il n'a pas souffert. C'est une belle mort, tu sais ! - ajouta-t-elle gauchement pour essayer d'affaiblir le sens de ses mots.

Annie ne dit mot et prit place en face de Candy.

  • Je m'y attendais depuis longtemps déjà…. Il était si vieux... - dit-elle finalement en fondant en larmes - …mais je n'aurais jamais imaginé que cela fasse aussi mal ! - redoubla-t-elle de sanglots.
  • Oh Annie… - s'écria tristement Candy en prenant dans un tiroir de son bureau un mouchoir qu'elle avait préparé en prévision de ce douloureux moment.
  • Je m'en veux tellement ! - renifla Annie en s'emparant du mouchoir que lui tendait son amie pour essuyer les larmes qui barbouillaient son joli visage parfaitement maquillé.
  • Annie… - fit Candy en se rapprochant - Pourquoi dis-tu cela ?…
  • Parce-que c'est la vérité… - répondit-elle amère - Capucin était mon animal de compagnie à l'origine et je te l'ai confié quand je vous ai abandonnés pour vivre chez les Brighton…
  • Annie, tu es trop sévère avec toi…
  • Et puis, quand je vous ai retrouvés au Collège Saint Paul, je n'ai pas vraiment cherché à regagner son affection… ni à le reprendre…
  • Mais je ne t'aurais jamais laissée faire ! - fit Candy avec douceur - Je m'étais trop attachée à lui !…
  • Annie… - poursuivit-elle - Tu m'as fait le plus beau des cadeaux en me confiant Capucin. Il est devenu mon meilleur ami, mon confident, mon soutien dans les moments difficiles…
  • C'est bien ce qui me chagrine ! - gémit-elle dans un trémolo - Il n'a fait que prendre la place que j'aurais dû occuper… Mon caractère frivole, mon orgueil, mon égoïsme, m'ont souvent éloignée de toi alors que tu avais besoin de moi….
  • Que racontes-tu Annie ? - fit Candy, l'œil sévère - Je n'ai jamais eu à me plaindre de toi !
  • Je te reconnais bien là Candy - répondit-elle dans un rire moqueur - Ton cœur est pur. Tu ne perçois que le bon côté chez les gens. Tu es prête à tout pardonner à tes amis ! Et pourtant, je t'ai laissée te faire humilier chez les Legrand, je t'ai ignorée à Saint Paul alors que tu venais de perdre Anthony, et je n'ai même pas été fichue de m'apercevoir que tu t'étais séparée de Terry !… Une vrai amie remarque tout cela…
  • Annie… C'est si loin maintenant…
  • Je dois te paraître bien futile… - pleurnichait-elle - …et bien égoïste… A chaque embarras, je me suis déchargée sur toi… Capucin en était un pour moi, et je m'en suis libérée en te le confiant… Il ne me reste que les regrets maintenant.
  • Annie… - fit Candy en prenant les mains de son amie et en la fixant droit dans les yeux - Je ne veux pas croire que seule la mort de Capucin te bouleverse à ce point. Que se passe-t-il ? Pourquoi ces idées noires soudainement ?
  • Tu m'as l'air très occupée ! - répondit nerveusement Annie en se levant - Je repasserai te voir plus tard…
  • Annie !!! - s'exclama Candy en lui barrant le passage - Tu ne franchiras pas cette porte avant que tu m'aies tout raconté !!!
  • …. !???… C'est Archibald !!! - s'écria finalement Annie en s'effondrant lourdement dans son fauteuil - Rien ne va plus entre nous… Notre mariage n'a jamais vraiment été une réussite mais depuis quelques mois, il s'est pris d'une nouvelle passion qui me fait redouter le pire….
  • Mon Dieu !… - fit Candy avec surprise en s'asseyant à côté de son amie.
  • Il ne s'est vraiment jamais remis de la mort d'Alistair - bredouilla Annie en sanglotant - Je crois qu'il s'en veut de n'avoir pas su l'empêcher de partir… Il n'a de cesse désormais de se lancer dans toutes sortes d'occupations périlleuses… Pour se prouver qu'il est quelqu'un…
  • Mais Archibald n'a rien à prouver à personne ! - fit Candy spontanément.
  • Va le dire à ce crétin de Daniel ! Il est à l'origine de mes perpétuels soucis !…
  • Qu'a-t-il encore fait celui-là ? - demanda Candy avec humeur.
  • Il y a quelques mois de cela, lui et sa sœur sont venus dîner chez nous… - commença Annie - Ils se sont mis à parler affaires, actions, partenariat. Le genre de sujet qui ne passionne que les hommes ! Archibald a confié qu'il investissait dans l'industrie automobile et qu'il était devenu un des actionnaires majoritaires de la compagnie Ford… La conversation a dévié sur ces nouvelles courses sponsorisées par ces compagnies… Archibald a alors avoué son attirance pour la vitesse… Et cet idiot de Daniel l'a pris au mot, le défiant de participer à une de ces prochaines courses… Mon sang s'est glacé quand j'ai entendu Daniel le traiter de poule mouillée s'il refusait… Tu connais Archibald, c'est la phrase à ne jamais prononcer !…
  • Je devine la suite… - soupira Candy.
  • Il s'entraîne depuis des semaines pour la prochaine Compétition des Célébrités qui aura lieu à Détroit le week-end prochain ! - gémit Annie - J'ai tout fait pour l'en dissuader… Je l'ai même menacé de divorcer, rien n'y a fait !
  • Il te connaît trop bien ! - sourit Candy - Tu l'aimes trop pour un jour songer à le quitter…
  • Je ne sais plus quoi faire ! - pleurait Annie - J'ai si peur pour lui ! C'est si dangereux ! Ces bolides sont de vraies fusées pas plus solides que des boîtes en carton ! Il y a eu deux accidents meurtriers le mois dernier à San Francisco ! C'est compréhensible, rouler à 150 km/h, c'est de la folie pure !!!
  • C'est vrai, c'est phénoménal ! - fit Candy avec étonnement - On n'arrête pas le progrès !
  • Voudrais-tu m'y accompagner ? - demanda soudain Annie, l'air suppliant - Si j'y vais seule, je vais mourir d'une attaque au coup de feu du départ !…
  • C'est que ça tombe très mal… - répondit Candy embarrassée - L'ouverture de l'hôpital est proche… Je ne peux pas quitter Chicago maintenant…
  • Je comprends… - fit Annie visiblement déçue - Comme toujours je n'ai vu que mes petits problèmes personnels sans réaliser l'énormité de la tâche dans laquelle tu es lancée… - poursuivit-elle en se dirigeant vers la sortie.
  • Ecoute Annie… - fit Candy en l'accompagnant - Ma réponse n'est pas définitive… Je vais tâcher de m'organiser. Je t'appelle d'ici peu…
  • Merci Candy ! - dit Annie dans un triste sourire - Je ne sais comment tu fais pour rester mon amie. Tu es toujours là quand j'ai besoin de toi…
  • Les amies sont faites pour ça ! - rit-elle pour adoucir l'atmosphère - Au pire, je parlerai à Archibald. Peut-être arriverai-je à lui faire entendre raison…
  • J'en doute - soupira Annie en franchissant la porte - Mais s'il y a une personne qui en soit capable sur cette terre, c'est bien toi !
  • Rentre chez toi maintenant et repose-toi ! - fit Candy en embrassant son amie - Je t'appelle ce soir. Tu connais ma devise : il n'y a pas de problème, il n'y a que des solutions !
  • Aujourd'hui, plus que tout autre jour, je voudrais que tu aies raison… - dit Annie en s'éloignant.

Candy, troublée, regarda son amie disparaître au détour du couloir. Elle désirait ardemment aider Annie mais la situation se présentait particulièrement compliquée alors que la date d'ouverture de l'hôpital avançait à grand pas!!! Toute la journée, elle n'eut de cesse de repenser à la visite de son amie, à ses pleurs et la déception qu'elle avait affichée quand Candy ne s'était pas prononcée pour l'accompagner à Détroit. Elle se sentait coupable et impuissante à la fois.

  • Que faire ? - se disait-elle en soupirant. 

L'irruption d'Albert dans la pièce, un plateau-repas entre les mains, interrompit ses interrogations. Devinant que son épouse oublierait de manger, il avait pensé que la bonne cuisine de la maison familiale se devait d'arriver jusqu'à elle. Candy fut ravie de cette bonne surprise et partagea son repas avec son époux, avalant goulûment chaque bouchées tant elle était affamée.  Ce dernier l'observait avec amusement, essayant tant bien que mal de limiter son rythme effréné de peur qu'elle s'étouffât. L'idée lui vint alors de lui montrer un article paru dans le Chicago Tribune du matin et qui retint instantanément son attention. Un encart chapeauté du titre racoleur "Détroit - Un médecin claque la porte de l'hôpital Saint Thomas" attisa sa curiosité. Ce n'était pas tant l'article qui l'intéressait mais plutôt la personne sur la photographie, une jeune femme brune, portant de grosses lunettes qui lui cachaient le visage. C'est le cœur battant qu'elle lut en légende le nom de Flanny Hamilton, confirmant l'impression première qu'elle avait eu en croyant la reconnaître. C'était bien de Flanny dont parlait l'article ! Elle était donc vivante, sauve de la guerre et avait même suivi des études de médecine puisque c'était le sous titre de Docteur que le journaliste la décrivait. Candy se réjouit d'avoir enfin des nouvelles de son amie et colocataire du temps de l'école d'infirmières. Elle était restée en bon terme avec nombre de ses camarades mais n'était jamais parvenue à savoir ce qu'était devenue Flanny après la guerre. Elle avait cru à un moment qu'elle était morte sur le front, mais renseignement pris, elle ne figurait pas sur la liste du personnel décédé. L'article expliquait que Flanny Hamilton, brillant médecin de l'hôpital Saint Thomas de Détroit, avait claqué la porte après une violente altercation avec son Directeur.

"Cela ne m'étonne pas d'elle !" - se dit Candy amusée - "Flanny n'a jamais eu la langue dans sa poche !… Mais pour bien la connaître, il fallait vraiment que cela soit sans issue pour qu'elle décidât de partir. Elle n'est pas du genre à tout laisser tomber sur un coup de tête…"

"Le hasard fait bien les choses…" - poursuivit-elle, songeuse - "Si j'accompagnais Annie à Détroit, je pourrais en profiter pour rencontrer Flanny et la convaincre de venir travailler avec moi ! Je suis sûre qu'elle ferait un excellent médecin ! Elle est tout à fait la personne qu'il me faut : sérieuse, volontaire et méticuleuse. Et puis, je serai ravie de travailler avec une ancienne amie !"

Sur cette décision, candy referma vivement le journal et se tourna vers son époux.

- Te pourrais te libérer pour m'accompagner quelques jours à Détroit, mon aimé ? - s'enquit-elle, l'oeil brillant de malice. Albert émit un petit gloussement de contentement :

- J'ai demandé à Georges de faire préparer nos bagages et de réserver notre compartiment pour le prochain train de demain matin. J'étais certain que tu voudrais revoir Flanny ! 

- Tu lis dans mes pensées ! - s'écria-t-elle en se jetant à son cou, dévorant ses joues de baisers claquants et bruyants, jusqu'à l'en étouffer. Un flot d'air libérateur pénétra dans les poumons du jeune homme quand elle se détourna de lui pour s'emparer du téléphone.

- Et d'une pierre, deux coups !  - se dit-elle en collant le combiné à son oreille. L'opératrice mit quelques secondes à répondre. Les doigts de Candy pianotaient d'impatience sur le bureau.

  • Ah, bonsoir Madame !!! Je voudrais le 324 à Hyde Park s'il vous plait ?…. Allo ? Annie ? Prépare tes bagages, je viens avec toi à Détroit !!!

Flanny Hamilton ouvrit sa porte en bougonnant. Qui pouvait donc venir la déranger alors qu'elle était occupée à préparer ses bagages en vue de son prochain départ de Détroit ?! Elle recula de quelques pas, suffoquée par la surprise !

  • Candy ??! - s'écria-t-elle hébétée en découvrant l'élégante jeune femme blonde qui la regardait en souriant - Que me vaut ta présence ici ???
  • C'est ainsi que tu m'accueilles après tout ce temps ? - fit Candy en riant - Je vois que les années n'ont pas entamé ton franc parler !...
  • Tu te présentes à un mauvais moment… - fit la jeune femme en retournant à son occupation.
  • Je suis venue jusqu'ici pour te parler de quelque chose de très important ! - dit Candy en osant poser un pied dans la pièce, irritée par l'impolitesse manifeste de Flanny.
  • Je n'ai vraiment pas le temps de te parler ! - grogna-t-elle en lui montrant d'un geste las les cartons empilés et le désordre de par et autre de l'appartement.
  • Je pensais qu'après toutes ces années sans nous voir, tu aurais montré un peu plus d'enthousiasme ! - fit Candy.
Flanny arqua un sourcil de réprobation.
  • Qu'attendais-tu donc de moi, Candy ? - fit-elle, sur un ton acerbe - "Madame Candy Neige André" vient chez moi sans me prévenir, et il faudrait que je lui fasse la révérence ?
  • Tu es restée fidèle à tes préjugés ! - lança Candy, vexée - Tu persistes à me reprocher mes liens de parenté avec la famille André.
  • Tu es bien fidèle à toi-même, Candy ! - railla Flanny - Toujours aussi hypocrite ! Je t'ai connue jouant à l'infirmière et maintenant tu prends tes grands airs parce que tu es l'épouse d'un milliardaire !!!
  • C'est bien mal me connaître et j'aurais cru un autre jugement de toi ! - répondit violemment Candy, le rouge de la colère lui montant aux joues - J'appréciais Albert bien avant de le savoir si riche ! Tu es bien placée pour le savoir puisque tu as assisté à mon renvoi de l'hôpital pour l'avoir trop bien soigné !

Flanny éclata d'un rire moqueur, sa tête basculant en arrière. 

  • Tu t'es manifestement empressée de l'épouser quand tu as su qui il était vraiment !!! - fit-elle en haussant les épaules avec dédain.
  • Les choses sont plus compliquées que cela… - murmura Candy, blessée - Albert a toujours été là quand j'avais besoin de lui. Il…
  • Tsss! Tsss! Je n'ai pas besoin que tu me racontes ta vie, Candy ! - répondit Flanny, agacée par la subite faiblesse de Candy - J'avais déjà ma petite idée sur toi quand nous étions à l'école d'infirmières. Ce que j'ai appris sur toi à mon retour au pays n'a fait que confirmer mon opinion à ton égard…

Désorientée par les attaques injustes de la jeune femme, Candy cherchait à capturer le regard fuyant de son ancienne amie.

  • Pourquoi me détestes-tu ainsi ? - riposta Candy - J'ai toujours voulu être ton amie et seulement cela ! Je sais que nous pourrions l'être si tu acceptais ma main tendue ! Je ne te rejetterai pas comme l'a fait ta famille ! Je t'en prie !… - la suppliait-elle en s'approchant d'elle - Aie confiance en moi ! Ne crains pas d'afficher tes sentiments ! Je ne me moquerai pas de toi!…
  • Je n'ai rien à cacher ! - répliqua Flanny troublée, embarrassée par la justesse des propos de Candy - Et puis, laisse ma famille en dehors de tout ça ! Elle ne m'intéresse pas !
  • Alors pourquoi leur as-tu confié toutes tes économies avant de partir pour la France, si tu ne tenais pas eux ?
  • Comment sais-tu cela ??? - s'étonna Flanny en se retournant vivement vers Candy - … C'était donc toi ! - ajouta-t-elle après réflexion - C'était donc toi cette jeune fille qui est venue leur rendre visite après mon départ et dont ma mère me parlait dans ses lettres…
  • Ta mère t'écrivait !.. - fit Candy émue - Je suis heureuse d'apprendre que vous vous êtes réconciliées !
  • Ne va pas si vite en besogne ! - répondit gauchement Flanny - Nous nous voyons de temps en temps, c'est tout…
  • Flanny !… - dit soudain Candy en fixant intensément le regard de la jeune femme - Peu importe ce que tu penses de moi… Je suis venue te voir parce que je connais l'être de valeur que tu es et j'ai besoin de toi !…
  • Toi, besoin de moi ? Et pourquoi faire ? - fit Flanny, railleuse.
  • Pour soigner des enfants malades dans l'hôpital que j'ai fait construire…
  • Quelle âme charitable tu fais ! Un nouveau caprice d'enfant gâtée ? - poursuivit Flanny dans ses remarques blessantes.
  • Ne peux-tu pas arrêter un instant ?!!! - s'énerva Candy - Cela n'a rien d'un caprice !!! Quand cesseras-tu donc de me voir comme une opportuniste ! Je suis comme toi, j'adore mon métier !!!
  • Belle preuve d'amour que de t'isoler dans ton château à la campagne !!!
  • Tu devrais alors mieux t'informer car cela fait très peu de temps que je suis revenue dans la région. Permets-moi de te dire que ces dix dernières années ont été passées à Paris où j'ai créé ma fondation, la fondation Anthony Brown, qui venait en aide aux orphelins de guerre. J'ai tenté du mieux que je le pouvais, et ce, grâce à l'argent de mon époux en effet, et à ses relations, à aider ces pauvres enfants abandonnés, à les soigner, à leur trouver des familles pour les aimer. Tu n'imagines pas la joie que cela a été pour moi de pouvoir redonner le goût de vivre à tous ces êtres blessés par la vie ! A mon retour ici, j'ai souhaité continuer ce que j'avais créé en Europe avec la création d'un hôpital pour enfants dans le quartier pauvre de Chicago. J'ai besoin de gens de valeur comme toi, malgré ton sale caractère!...
  • Je déteste les enfants ! - rétorqua sèchement Flanny.

"Cela tombe mal !!!" - se dit Candy en levant les yeux au plafond.

  • Je ne veux pas croire que tu puisses te désintéresser de ces pauvres êtres qui souffrent ! Toi, toi qui a assisté à toutes ses horreurs sur le front en France.
  • C'était différent ! On avait besoin de moi là-bas !…
  • Mais ils auront aussi besoin de toi à l'hôpital ! - s'écria Candy, rejoignant ses mains comme en prière - Je t'en prie réfléchis !… Ne les abandonne pas ! Si tu ne le fais pas pour moi, fais-le au moins pour eux !
  • Je crois que tu m'as suffisamment dérangée comme cela, Candy ! - dit soudain Flanny, sans un regard pour son interlocutrice - J'ai encore de nombreux paquets à faire avant mon départ…
  • Je comprends… - fit Candy en baissant la tête, comme résignée - J'arrive au mauvais moment…
  • C'est cela oui ! Heureuse que tu finisses par t'en apercevoir !
  • Voici ma carte à Chicago ainsi que l'adresse de l'hôtel où je suis descendue, ici, à Détroit - dit Candy en lui tendant un morceau de papier - Si tu changes d'avis…
  • Je ne voudrais pas te décevoir mon amie… Mais d'autres choses plus importantes m'attendent que de nettoyer des petits morveux dans un hôpital de luxe !…
  • Je n'insiste plus ! - s'écria Candy excédée en se dirigeant vers la sortie - Tu me déçois Flanny! - ajouta-t-elle en passant la porte - J'avais pensé que la guerre t'aurait ouvert les yeux sur la misère humaine ! Je vois qu'elle n'a fait que remplir ton cœur de haine et d'amertume ! Je te plains ma pauvre Flanny !…
  • C… Candy ! - fit Flanny en se retournant, mais Candy avait déjà disparu.

"Candy… Je regrette…" - se dit-elle en allant à la fenêtre, cherchant à apercevoir dans la rue la jeune femme qu'elle venait de chasser - "Je t'ai repoussée alors que je te dois tant, mon amie. Je n'ai pas su te remercier alors que grâce à toi, j'ai retrouvé ma famille. J'aurais dû me douter, connaissant ton âme généreuse, que c'était toi qui étais allée rendre visite à mes parents, et que par ce geste, tu avais renoué ce lien qui s'était brisé depuis si longtemps. Tout le long de cette maudite guerre, les lettres que j'ai reçues de leur part sont devenues ma petite lumière, ma raison de vivre puis de survivre, dans ces tranchées jonchées de morts et d'estropiés. Plus d'une fois j'ai souhaité qu'une bombe vienne tomber à mes côtés et me libère de ce cauchemar. Et puis, comme par enchantement, alors que le courage m'abandonnait, je recevais une tendre lettre de ma mère accompagnée d'un colis de victuailles ou de petits cadeaux de mes frères et sœurs, et je retrouvais le goût de vivre, sachant que par delà l'océan, quelqu'un pensait à moi et m'aimait… Comment ai-je pu être aussi dure avec toi ? Pourquoi chacune de tes apparitions me bouleverse au point de ne plus être moi-même ? Pourquoi faut-il que je te rejette alors que mon plus grand désir est de te remercier ! Je n'ai pas pu… Je n'ai pas voulu, Candy, te montrer mon amitié… Peut-être ta joie de vivre, ta spontanéité, ta capacité à te faire aimer de tout le monde, me rappelle ma propre disposition à me faire détester… Comme si je n'étais pas faite pour ce bonheur que tu m'as si souvent proposé. Pardon Candy, mais c'est au-dessus de mes forces… - murmura-t-elle les yeux humides en retournant à son rangement…

  • Terry ??? Mais que fais-tu ici ??? - s'exclama Archibald en butant sur le jeune homme brun qui sortait du vestiaire.
  • Archibald !!! Je pourrais te dire la même chose ! - fit Terry aussi surpris que son ami.
  • Je participe à la course… Ne... Ne me dis pas que toi aussi !…
  • Et bien oui !… Mon manager m'a dit que ce serait une bonne publicité pour me faire connaître dans le pays… Le microcosme théâtral new-yorkais commençait à me peser…
  • Mais je ne t'ai pas vu aux essais !
  • J'y étais mais incognito sous ma cagoule sinon je n'aurais pas fait un mètre !!!
  • Je n'en reviens pas ! - poursuivit Archibald tandis qu'ils longeaient le couloir qui les menait aux boxs où les attendait leur véhicule respectif - Toi, ici, après toutes ces années !… Tu n'as pas changé, mon vieux !
  • Toi non plus… J'ai appris que tu avais finalement épousé Annie. Félicitations !
  • Merci !… C'est une femme dévouée et attentionnée… - répondit Archibald, gêné, se frottant la nuque avec embarras - Tu sais Terry, je préfère t'avertir mais C….
  • Archibald, tu es là enfin !…  - l'interrompit la douce voix de son épouse - Oh !!! Mon Dieu !!!… - s'écria la jeune femme, posant une main sur sa bouche pour taire sa stupéfaction tout en se retournant précipitamment vers le couple qui la l'accompagnait.

De l'angle du couloir, une vision de rêve se détacha soudain en contre-jour. Elle était là, divine, merveilleusement belle, les cheveux noués sur la tête négligemment mais avec élégance, laissant échapper quelques boucles rebelles sur sa nuque, soulignant la perfection des lignes de son cou. Un homme très distingué, aux longs cheveux blonds lui tenait le bras... 

  • Candy !!! - s'exclama Terry, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte paralysée par le choc.
  • Terry !!! - gémit-elle tout en portant une main à son cœur. Son ravissant corsage aux nuances de lilas pourpre maintenait avec difficultés les respirations saccadées et précipitées de la jeune femme. Instinctivement, elle se tourna vers son époux, incapable de maîtriser le bouleversement qui la submergeait. Celui-ci ne manifesta aucune réaction bien que Candy reconnut au frémissement de ses narines et à la froideur de son regard qu'il n'était pas insensible à la présence inattendue du jeune acteur.

"Comme tu es belle !!!" - se dit Terry, tentant de cacher l'émoi qui le possédait -"Tu es là si proche et je ne peux te toucher, ni te serrer contre moi, alors que j'en meurs d'envie !… Oh Candy, comme tu m'as manqué !"

Ses yeux s'écartèrent une seconde de la jeune femme et vinrent toiser celui qui se tenait à ses côtés. Une ombre passa sur son visage dont les traits se durcirent instantanément et c'est péniblement qu'il parvint à le saluer :

- Albert!... - fit-il, la mâchoire serrée.
- Terry !... - reçut-il pour toute réponse sur un ton glacial.

Une tension extrême avait envahi le couloir en quelques secondes. Mal à l'aise, Candy, chancelante entre les deux hommes qui s'affrontaient sans un mot, se sentait sur le point de défaillir. Comme par miracle, une voix nasillarde, reconnaissable entre toutes, vint involontairement à sa rescousse.

  • Tiens, tiens, tiens !… Quel tableau original que voilà !
  • Daniel, qu'est ce que tu fiches ici ??? Tu t'es inscrit toi aussi ? - s'écria Archibald avec irritation.
  • Comme vous, je m'amuse à jouer au coureur automobile !… - répondit-il, sarcastique - Il faut bien occuper ces journées !…  Et puis, je ne voulais manquer sous aucun prétexte ta prestation mon cher Archibald.

Il tournait autour d'eux comme une hyène sur sa proie ...

  • Si Albert n'était pas présent - reprit-il, moqueur, à l'attention de Terry et de Candy - J'aurais juré que vous aviez un rendez-vous galant !…
  • C'est de très mauvais goût, Daniel… - marmonna Terry en serrant les poings.
  • C'est vrai, j'oubliais !… - poursuivit Daniel, son éternel sourire machiavélique sur les lèvres - …que tu avais épousé cette chaise à trois pieds, cette bancale de Suzanne Marlowe. Je t'avais connu meilleur goût !... - ajouta-t-il en jetant un oeil pervers vers Candy.
  • Tais-toi !!! - hurla Terry, fou de rage, en saisissant Daniel par le col de sa combinaison de sport - Je vais te faire cracher ce que tu viens de dire !!!
  • A moi ! Au secours !!! - beugla Daniel en se débattant - Archibald, Albert ! Faites quelque chose ! Vous voyez bien que ce malade essaie de m'étrangler !!!

    Les deux hommes observaient la scène sans esquisser le moindre mouvement.

  • Je ne bougerai pas d'un millimètre !… - fit Archibald qui se délectait de la scène - Tu n'as que ce que tu mérites ! A sa place, je t'aurais déjà écrasé mon poing sur la figure !
  • C'est un fou furieux !!! - s'exclama-t-il enfin libéré de la vigoureuse emprise de Terry, époussetant sa tenue  - Je comprends maintenant pourquoi elle t'a préféré mon oncle ! - persifla-t-il en montrant d'un signe de tête l'aîné des André - Elle avait vu jour dans la brute féroce qui sommeille en toi !
  • La ferme maintenant ! - rugit Terry en s'emparant une nouvelle fois du triste personnage - Je vais te faire ravaler tes insultes !!! - s'exclama-t-il en le couchant à terre et commençant à le rouer de coups…

Horrifiée, Candy se précipita sur les deux bagarreurs, s'efforçant de s'interposer avec toute l'énergie qu'il lui restait.

  • Je vous en prie !!! Arrêtez !!! Cessez de vous battre !!! Je t'en supplie, Terry ! - fit-elle en empoignant le bras en pleine action du jeune homme - Il n'en vaut pas la peine !… Ce qu'il désire, c'est de nous voir souffrir - poursuivit-elle en capturant son regard dans lequel brillaient des flammes de rage, cette rage qu'elle avait si souvent lu dans ses yeux quand il se sentait impuissant et qui le rendait incontrôlable - Ne lui donnons pas ce plaisir !…
  • Candy !… - murmura Terry troublé. Il acquiesça dans un soupir de frustration et repoussa violemment sur le côté l'ignoble Daniel qui gémissait.

"Candy !" - pensa-t-il, remarquant les larmes qui ondoyaient au bord des yeux émeraude de la jeune femme - "Ta douce main sur la mienne est comme une brûlure sur mon cœur ! Dieu que j'aimerais te serrer contre moi et te dire combien je t'aime ! Comme je voudrais pouvoir essuyer ces larmes que je vois poindre au bord de tes jolis yeux !… Tu n'as pas changé Candy… Tu es encore plus belle que lorsque je t'ai aperçue dans la roseraie de Lakewood… Tu es si douce… Comment ai-je pu un jour renoncer à toi ?…"

  • Que se passe-t-il ici ? - fit une voix suraiguë, l'interrompant dans son songe - Mon Dieu !!! Daniel !!! - s'exclama Elisa en se précipitant vers son frère - Mais que lui avez-vous fait bande de brutes ?!! - mugit-elle, hystérique, en l'aidant à se relever.
  • Nous ? Rien… - répondit naïvement Archibald - Ton frère a dû tomber dans le couloir… Il est si maladroit !…
  • Menteur !!! C'est Terry qui m'a frappé ! - gémit Daniel en se protégeant de son bras, craignant un nouveau coup.
  • Regardez dans quel état vous l'avez mis ! Il est en sang !!!
  • N'exagère pas Elisa !!! Une petite entaille à la lèvre et quelques ecchymoses, c'est tout ! Cela l'empêchera de médire pendant un bout de temps !… hehehehehee ! - ricana Archibald, se divertissant de la rage manifeste de sa cousine.

Stoïque, Albert restait à l'écart, redoutablement silencieux, observant ce qui se déroulait sous ses yeux comme s'il s'agissait d'un mauvais cauchemar. La voix stridente d'Elisa lui confirma la désastreuse réalité dont il était témoin. 

  • Je vais aller de ce pas prévenir la police ! - rugit-elle, entraînant son frère vers l'extérieur - Comment veux-tu qu'il participe à la course dans cet état là ???
  • Cela fera un danger public de moins, voilà tout !!! - lança Archibald, railleur - La police nous donnera une médaille pour avoir évité une catastrophe aux concurrents. Mais à ta guise, va les en informer ! Ce sera ta parole contre la notre ! Tu veux lancer les paris ??? 
  • Vous me le paierez cher ! - cracha-t-elle, écarlate, une veine de son cou menaçant d'exploser - Je vous déteste, tous autant que vous êtes !!!
  • Je puis alors te rassurer sur la réciprocité de nos sentiments envers toi et ton nigaud de frère ! Sur ce, ma chère cousine, tu nous excuseras, mais la compétition nous attend !...

La jeune femme, tirant son frère boitillant par le bras, disparut telle une tornade, ses cris de colère vrombissant au loin, tel le tonnerre. Il y avait à craindre des représailles à la hauteur de sa fureur. Annie en était encore toute tremblante.

  • Tu n'aurais pas dû la traiter ainsi… - fit-elle, un accent de reproche dans la voix, s'assurant auparavant que les deux êtres malfaisants s'étaient éloignés - Dieu sait quelle perfidie elle nous prépare maintenant…
  • Si nous devions agir en fonction des sautes d'humeur de notre "charmante" cousine, nous ne vivrions plus, très chère… - répondit Archibald, balayant l'air d'un revers de la main - Laissons la vaquer à son occupation principale : empoisonner la vie des gens. Nous la contrerons en temps voulu.
  • Je suis désolé, Candy - fit Terry en frottant sa combinaison poussiéreuse - Je ne peux pas me contrôler quand il s'agit d'eux !… Ils ne savent que causer le malheur autour d'eux…
  • Ce n'est rien !… - répondit Candy livide, tout en essayant de paraître aussi naturelle que possible - L'envie me prend souvent de faire de même ! - ajouta-t-elle avec une fausse légèreté, humeur dont elle se sentait incapable à cet instant. 

Un des membres de l'équipe de course les interrompit pour les avertir que la course allait commencer et qu'ils devaient se hâter.

  • Excusez-moi, mais il faut que j'y aille maintenant…  - fit-il en s'adressant à Albert et Candy, dans une ébauche de révérence - J'aimerais bien te revoir Candy, après la compétition… pour parler… en bons amis… Tu le permets, Albert ?

Le ton employé se voulait indifférent, mais Terry dissimulait difficilement son orgueil blessé : devoir demander l'autorisation à Albert de pouvoir discuter avec son ancienne fiancée le rendait fou ! La réponse de ce dernier finit de l'achever !...

- Je regrette, Terry, mais nous devons repartir juste après la course. Des affaires urgentes m'attendent à Chicago. Une autre fois, peut-être ?...

Vexé, Terry lui lança un regard furibond.

- Une autre fois... Oui... Bien sur ! - fit-il, un sourire ironique se dessinant sur ses lèvres parfaites.
- Alors, au revoir Candy!... - fit-il en lui tendant la main comme il l'aurait fait  à une inconnue.

Réprimant difficilement un sanglot, Candy lui offrit une main tremblante qu'il serra tendrement. L'espace d'un instant, le regard qu'ils échangèrent les isolèrent du reste du monde. Le doux contact de leur peau l'une contre l'autre, cette chaleur intense qui se diffusait dans leur corps, cette sensation étrange de plénitude, instauraient un dialogue muet qu'eux seuls pouvaient comprendre.

- Il m'aime toujours ! - se dit Candy, maîtrisant péniblement ses larmes - Oh Terry ! Comme j'aurais voulu qu'il en soit autrement ! Comme je m'en veux de te faire souffrir ainsi ! Dans quelles ignobles circonstances le destin se joue de nous : se rencontrer ainsi, comme des étrangers, sous les yeux d'Albert!... Dieu qu'il doit me haïr !...

- Alors, à bientôt, Candy!... - parvint-il à prononcer, réunissant toutes ses forces pour se séparer de ce doux contact qui l'ensorcelait. Il adressa un signe de tête à Albert en guise de salut puis tourna les talons, pressant le pas pour disparaître au plus vite. Émergeant sur le tarmac, insensible à la chaleur torride qui s'abattait sur lui comme une chape de plomb, il emplit ses poumons d'un air chaud chargé d'effluves de gaz d'échappement un air libérateur et rafraîchissant après la suffocation dont il avait été l'objet durant quelques minutes. Faisant fi des cris de la foule qui l'acclamait, il revêtit sa capuche et ses lunettes de protection et prit place dans le cockpit de la voiture de course...

  • Je suis désolée, Candy ! - fit Annie alors qu'Albert marchait silencieusement devant elles - J'ignorais la présence de Terry parmi les participants… Si j'avais su !… - gémit-elle dans un excès de sensiblerie. Je n'en reviens pas de la réaction d'Albert. On aurait dit que cela ne l'atteignait pas.
  • Détrompe-toi, je suis sûre qu'il fulminait intérieurement - soupira Candy, le cœur gros - Mais il fallait bien qu'un jour nos chemins se croisent de nouveau… Cependant j'aurais préféré y être préparée. J'avais l'air d'une bécasse en pâmoison! Si tu savais comme je me sens mal à l'aise à présent !!!
  • Albert est une personne compréhensive! - tenta son amie de la rassurer - Il connaît tout de votre histoire et ne peut nier l'importance qu'a eu Terry dans ta vie. Ce fut une séparation douloureuse et imposée. Il était inévitable que votre première rencontre, malgré les années écoulées, vous secoue tous deux.  Albert a surtout besoin à présent que tu le rassures sur la force de tes sentiments. 
  • Oui, je profiterai que nous soyons seuls ce soir dans le train pour évoquer le sujet. Terry fait désormais partie de mon passé, il n'y a aucune équivoque.

Candy s'entendait prononcer ces paroles comme s'il s'agissait d'une autre personne. Comment pouvait-elle se mentir autant, même à elle-même? Elle savait néanmoins qu'il n'y avait aucune échappatoire. Elle était mariée à un autre homme, et malgré les sentiments qui la liaient à un autre, elle se devait de chasser ces pensées troublantes au plus vite !!!  

Le trio se dirigea vers le stand des VIP pour assister au départ de la course. Confortablement installés, ils pouvaient apercevoir parfaitement la trentaine de voitures alignées en rangées de six. Celles de Terry et d'Archibald se trouvaient en deuxième ligne, l'odieux Daniel, qui manifestement s'était rapidement rétabli, était positionné en troisième. Les moteurs commencèrent à vrombir. On baissa le drapeau à damiers. Au coup de feu du départ, les trente voitures s'élancèrent sur le circuit. Candy s'empara des jumelles d'Annie pour mieux suivre le trajet de Terry. Elle comprenait maintenant la crainte de son amie, réalisant le danger qu'encourrait l'être qu'elle aimait. Elle voulut soudain s'enfuir et échapper à ce sentiment oppressant qui prenait tout son sens à présent, mais une force irrésistible l'en empêcha. Oui, elle aimait Terry de toute son âme mais devait s'en détacher car cet amour lui était interdit. "Dès la fin de la course, nous partirons… Au plus vite !!!" - se répéta-t-elle, le cœur douloureux mais convaincue que c'était la meilleure chose à faire. Juchée sur la pointe des pieds, elle chercha une nouvelle fois du regard la voiture de Terry qui passa à toute allure devant leur stand. D'un geste tendre mais ferme, Albert lui intima de s'asseoir. Elle remarqua cet étrange regard dans ses yeux, où se mêlaient à la fois crainte et jalousie. Un frisson d'effroi lui parcourut l'échine. C'était la première fois qu'il la regardait de cette façon et son embarras s'accentua.

"Candy…" - se disait au même instant Terry, les yeux perdus dans le vide, tenant machinalement son volant - "Quelle tristesse et quel bonheur à la fois de te revoir ainsi… Nous nous sommes comportés comme deux étrangers alors que nous avons vécu de si merveilleux moments ensemble. Nous n'avions rien à nous dire.. Et tout cela par ma faute, pour n'avoir pas su te retenir ce soir là et te dire combien je t'aimais, combien je t'aime encore !!!… J'ai lutté chaque jour contre cet amour, me dévouant à Suzanne, en croyant ainsi pouvoir t'oublier. Malheureusement, le visage radieux qu'elle me renvoyait ne faisait que me rappeler que je t'avais perdue, que je t'ai perdue, pour toujours, puisque tu es à un autre désormais, à Albert !!!…" - enragea-t-il - "Mon meilleur ami est devenu mon rival et ennemi… Celui qui m'a pris l'être que j'aime par-dessus tout… et à laquelle il a fait un enfant… Alors que j'aurais dû être ce père, si j'avais eu le courage de dire à non à Suzanne et à sa mère !… Pourras-tu un jour me pardonner, mon amour ? Pourrais-je un jour me le pardonner ?…"

Plongé dans ses pensées, Terry ne réalisa pas qu'il se trouvait en tête, le manque de concentration ayant paradoxalement renforcé la maîtrise de son véhicule. Néanmoins, lancé à toute vitesse, il ne put aborder correctement le virage suivant. Dans une manœuvre désespérée, il tenta d'éviter l'obstacle, freina, pied au plancher. Sa voiture, déséquilibrée, fit une embardée, pivota sur elle-même comme une toupie emballée, et alla s'écraser contre les barrières de sécurité dans un fracas de tôles et de pneus mâchés.

  • "Que se passe-t-il ???" - fit Candy, alertée par le bruit et apercevant de la fumée au loin.
  • "Il y a eu un accident !!!" - s'écria un spectateur - "C'est le jeune anglais, je crois !…"

Un frisson glacial parcourut l'échine de la jeune femme. Terry!!!!

  • "NOOOOONNNN !!!!" - hurla-t-elle en s'élançant. Albert voulut la retenir mais elle se démenait déjà à travers la foule qui s'agglutinait sur les stands. Elle courut à perdre à haleine pendant des centaines de mètres puis, parvenue sur les lieux de l'accident, s'engouffra dans le nuage de fumée épaisse qui émanait de la voiture en flammes de Terry. Elle l'aperçut enfin, inconscient, le visage ensanglanté, sa tête reposant sur le côté comme une poupée dont le cou aurait été brisé, les flammes s'approchant dangereusement de l'habitacle. Sans réfléchir, n'écoutant que son instinct, elle entreprit de le dégager, insensible aux brûlures du métal calciné.
  • "Candy !!!" - fit une voix familière en arrivant à sa rencontre.
  • "Albert !!! - s'écria-t-elle hystérique - "Aide-moi à le sortir de là !!! Il va brûler vif !!!"

Albert saisit la poignée de la portière, mais la lâcha instantanément en poussant un cri de douleur, les doigts rougis par la brûlure.  Instinctivement, il ôta sa veste et sa chemise qu'il appliqua sur la portière en guise de protection, puis tira le plus fort possible. Peu à peu, la portière céda et il l'arracha dans un cri de rage. Candy se précipita alors pour détacher les liens qui enserraient Terry. Doucement, précautionneusement, ils le sortirent du véhicule, Candy soutenant sa tête pour éviter tout dommage. Ils s'éloignèrent le plus vite possible de la voiture en flammes et le déposèrent sur le sol. Les secours arrivèrent au même moment.

  • "Il respire encore !" - fit un médecin en auscultant Terry - "Apportez un brancard vite !!! Il faut le mener d'urgence à l'hôpital !!!"
  • "Madame ? Vous êtes de la famille ?" - demanda un infirmier alors que l'on installait Terry dans l'ambulance.
  • "Oui… Oui!…" - répondit Candy sans réfléchir, des larmes noires de graisse et de fumée coulant sur son beau visage.
  • "Alors, je vous en prie, montez…" - lui dit-il doucement en lui prenant la main, remarquant son désarroi et sa panique.

Au même instant, une main ferme s'empara de son bras.

- N'y va pas ! - s'écria Albert, bouleversé -  Je t'en supplie !
- Il a besoin de moi !!! - répliqua-t-elle avec fureur, se démenant comme une possédée pour se dégager de son étreinte - Je ne le laisserai pas ainsi !!!
- Si tu y vas, je pars et tu ne me reverras pas !!! - fit-il dans une ultime menace.

Candy lut dans son regard qu'il ne plaisantait pas. Pourtant, comme sous l'effet d'un pouvoir incontrôlable, elle s'engouffra dans l'ambulance, sans un mot pour son époux qui regarda, impuissant, le véhicule partir en trombe sous les cris stridents de sa sirène.

"Mon Dieu ! Sauvez-le !" - implorait Candy, les yeux au ciel - "Je vous en prie !!! Ne me l'arrachez pas ! Je ne pourrai jamais vivre sans lui !!!" - s'écria-t-elle en éclatant en sanglot tandis qu'elle caressait la tête du jeune blessé toujours inconscient. "Ne me laisse pas !!! Ne me quitte pas !!!" - murmurait-elle entre deux sanglots - "Oh ! Terryyy !!!…"

Albert, resté sur le bord du talus, tétanisé, ne remarqua pas Annie qui accourait. Archibald, qui avait cessé de poursuivre la course, venait à leur rencontre. Déjà, une horde de journalistes mitraillaient de photos les lieux, ignorant les pompiers occupés à éteindre l'incendie. Un soldat du feu, excédé pat leur comportement, les rabroua d'un jet de pompe à eau, ce qui les fit reculer un instant pour revenir tout aussi nombreux quelques minutes plus tard, tels des vautours sur leur proie.

  • Albert !!! Mon Dieu que s'est-il passé ??? 
  • Terry a eu un accident… - répondit-il d'une voix sourde.
  • C'est grave ? - demanda Annie, inquiète.
  • Je le crois malheureusement… - fit-il en baissant la tête - Il est blessé et inconscient…
  • Mon Dieu ! Candy !!! Elle ne s'en remettra pas !!! - laissa-t-elle échapper, tout en se maudissant toute de suite après pour sa maladresse - Mais où est-elle ??? 
  • Dans l'ambulance... Avec lui… - dit-il en soupirant, les épaules courbées, écrasées sous le poids incommensurable de son désespoir.
  • Candy est dans l'ambulance ??? - s'offusqua Archibald, très surpris par le comportement inconscient et inattendu de son amie.
  • Candy est infirmière, ne l'oublions pas !!! - répliqua vivement Annie, méconnaissable, tant Archibald était habitué à sa passivité - Elle n'a fait que son devoir, tu le sais bien ! - fit-elle avec insistance, cherchant la complicité de son époux, lequel acquiesça pour nuancer la situation.
  • Tu as raison, Candy est avant tout une professionnelle! Terry est entre de bonnes mains avec elle ! - dit-il tout en se mordant la langue d'avoir pu ajouter une telle sottise.

Sourd à leurs commentaires maladroits, Albert, une main balayant avec consternation sa chevelure blonde, fixait, l'esprit vidé de toute substance, la route qu'avait pris quelques instants plus tôt le véhicule de secours qui transportait Candy et Terry, convaincu que le bonheur qu'il avait connu durant toutes ces années allait à tout jamais être bouleversé...

Fin du Chapitre 4

© Leia juillet 2007