UN PASSE TROP PRESENT Chapitre 4 - Surtout ne triche pas, mon aimée, ce serait gâcher la surprise ! - fit Albert en aidant son épouse à sortir de leur voiture. - Mais où me mènes-tu donc ? Est-ce encore loin ? - fit Candy, trépignant d'impatience. - Encore quelques mètres... - chuchota-t-il à son oreille en lui prenant la main. Les yeux bandés, soutenue par la poigne robuste de son époux, la jeune femme longeait d'un pas hésitant le trottoir d'une rue de Chicago. Dévorée de curiosité, elle aurait bien voulu ôter le linge blanc qui lui cachait la vue et découvrir au plus vite ce qu'Albert lui avait préparée. L'attente fut brève car déjà ils s'arrêtaient. - Nous sommes arrivés!... Tu peux regarder à présent !... Sans plus attendre, Candy se libéra de son bandeau, lequel, en retombant, vint se poser autour de son cou délicat. Elle cligna des yeux quelques secondes, éblouie par l'éclat du soleil de cette fin de matinée sur la façade rénovée d'un immeuble d'une dizaine d'étages devant lequel elle se trouvait. Au dessus de la porte d'entrée, une enseigne familière la saluait : Fondation Anthony Brown - Hôpital pour enfants. Stupéfaite, Candy écarquilla des yeux émerveillés, rapidement troublés d'un flot de larmes qui lui brouilla la vue. Elle se tourna vers son époux dont le regard empreint de satisfaction la bouleversa d'autant plus. C'était donc cela ses aller-retours incessants à Chicago, ses obligations professionnelles dont il éludait l'objet à chaque question et qui l'avaient éloigné d'elle tout ce temps !... - Petit cachottier ! - s'exclama-t-elle en se jetant à son cou, réprimant un sanglot de joie - Merci, merci ! C'est un merveilleux cadeau que tu m'offres là! - Mais comment as-tu pu organiser tout cela en si peu de temps ??? - lui demanda-t-elle en s'écartant de lui, ses yeux admiratifs caressant de bas en haut l'imposant édifice. Le récit qu'il lui en fit ne fit que confirmer la générosité de coeur de son époux, lequel, bien avant leur départ pour l'Amérique, avait sollicité Georges pour partir avant eux à Chicago afin de s'occuper de la rénovation d'un immeuble appartenant à la famille et situé dans un des quartiers populaires de la ville. Dès leur retour effectif en Amérique, il ne put que constater la réussite de la tâche effectuée par son intendant, et consacra les dernières semaines avant l'ouverture à finaliser le projet jusqu'au moindre détail mobilier. Il ne savait que trop le déchirement causé à Candy d'avoir eu à quitter ce à quoi elle s'était consacrée à Paris et il avait voulu qu'elle retrouvât au plus vite cet entrain, cette énergie qui l'animait de coutume. Ne l'avait-il pas trouvée d'humeur maussade ces derniers jours ? Le sourire radieux qu'elle lui renvoyait à cet instant chassa ses dernières inquiétudes, et c'est avec une fierté non dissimulée qu'il l'entraîna à l'intérieur. Candy ne tarissait pas de cris d'émerveillement, enthousiasmée par le confort des lieux, la chaleur accueillante qui s'en dégageait et le souci de modernité porté au choix des équipements. Rien n'avait été préparé au hasard et Candy réalisait combien Albert avait dû l'observer dans son activité à sa fondation parisienne. Elle n'aurait pu faire ni choisir mieux ! Elle nageait dans le bonheur, flottant sur un nuage à chaque découverte. - Et voici ton bureau ! - fit Albert en poussant une porte massive, subtilement sculptée en ses quatre angles de l'aigle royal, blason de la famille André, qui en s'ouvrant, laissa apparaître une vaste pièce lumineuse, percée d'un côté de deux grandes portes-fenêtres cernées d'un balcon qui surplombait un magnifique jardin de promenade. Un bureau de style Louis XVI long et profond avait été placé au centre de la pièce, bibliothèques et fauteuils de confort ayant été disposés au fond - Tu trouveras sur la table une liste de personnel que je t'ai établie à laquelle tu peux effectuer les modifications que tu souhaiteras nécessaires. C'est toi la directrice à présent ! Devant la rapidité des évènements, Candy restait coite, la bouche paralysée d'émotion. Elle se trouvait à présent à la tête d'une organisation qui ne demandait qu'un battement de ses jolis cils pour s'animer, flanquée d'un bureau de ministre ! Elle n'était rentrée à Chicago que la veille, sans être préparée en aucune façon à ce qu'elle allait découvrir. Son seul souci ayant été, avant de partir et d'un commun accord avec Albert, de confier son fils pour le restant de l'été aux bons soins de Soeur Maria et de Melle Pony, convaincue que ce séjour parmi ses compagnons de jeux, le rétablirait plus rapidement de la perte de Capucin. - Pauvre Capucin !... Comment vais-je annoncer la triste nouvelle à Annie ? - se dit-elle subitement. La perte de Capucin avait laissé un grand vide dans le cœur de Candy. Et la peine immense qu'elle ressentait s'accentuait à l'évocation du moment où il faudrait informer son amie d'enfance du décès du pauvre animal. Elle espérait avoir encore un peu de temps devant elle avant d'avoir à lui faire part de cette tragédie. Elle la savait si sensible à cet égard et voulait la ménager. Albert remarqua l'ombre qui venait de passer sur le visage pensif de son épouse et le froncement de sourcil qui aiguisa son inquiétude. - Quelque chose ne va pas ? - s'enquit-il, soucieux, un main affectueuse posée sur l'épaule de la jeune femme. Devant la mine préoccupée de son époux, elle se ressaisit et vint se blottir contre lui. - Rien de bien grave!... Je pensais à Annie. - Me voilà rassuré ! - s'écria-t-il dans un gloussement nerveux - J'avais peur que la décoration ne te convienne pas ! - Tu plaisantes, mon ami ! C'est un bureau digne d'une princesse ! - Mais tu es ma princesse !... - fit-il en se pressant un peu plus contre elle, cherchant à capturer ses lèvres. Elle ne le repoussa point, trop heureuse de la sensualité de ce contact dont elle était gourmande, de cette impression de sérénité qui prenait possession d'elle à chaque fois qu'il l'enlaçait. - Tu veux poursuivre la visite ? - murmura-t-il dans un souffle, caressant sa nuque de milles baisers Pour toute réponse, elle le repoussa un peu plus contre la porte. Il la sentit s'arquer puis frôler de son bras contre sa taille à lui, suivi du bruit d'un tour de clé derrière lui. Le regard malicieux qu'elle lui adressa, sa respiration rapide qu'il discernait sous le corsage de sa jolie robe blanche, ses mouvements de recul vers le fond de la pièce où se trouvait le sofa, ébranlèrent son coeur comme un cheval au galop. Il la rejoignit en quelques enjambées et encercla sa taille de ses deux mains, la soulevant comme un fétu de paille. Elle rit de bon coeur, fermant les yeux, s'abandonnant avec plénitude aux bras puissants de son époux, prisonnière soumise à la voluptueuse possession qui les appelaient au creux de leur couche improvisée... Cela faisait déjà quinze jours que Candy était arrivée à Chicago, et le temps s'était écoulé à une vitesse folle ! Bien que secondée par Albert, elle se trouvait très absorbée par la prochaine ouverture de son hôpital : le suivi des ultimes travaux, l'embauche du personnel, les dernières commandes de matériels à effectuer, les contacts entrepris avec les associations de lutte contre la pauvreté, accaparaient ses jours et parfois ses nuits. Ce fut donc avec étonnement qu'elle raya une nouvelle semaine sur son calendrier ce matin là. Usant du sofa comme lit d'appoint, elle s'était rarement rendue dans la demeure familiale. Elle trouvait qu'elle gagnait du temps à dormir sur place mais n'osait s'avouer qu'elle préférait ses quartiers à l'hôpital, à ses immenses et luxueux appartements dans la sombre et austère maison des André, où chacun de ses gestes était épié, répété et déformé auprès de la Grand-tante Elroy… C'est donc penchée sur une pile de formulaires et papiers variés, qu'elle fut surprise par la venue de sa meilleure amie Annie, qui revenait d'un séjour de plusieurs semaines à San Francisco.
Bien que ravie de retrouver Annie, elle n'en était pas moins embarrassée par la difficile tâche qu'elle se devait d'accomplir. L'absence de cette dernière n'avait fait que reculer l'échéance. Mais le moment qu'elle redoutait tant, torture suprême pour Candy, se présentait maintenant et il fallait qu'elle trouve le courage nécessaire pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Dieu que sa bouche était sèche à cet instant !
Annie la regarda interrogative, muette.
Annie ne dit mot et prit place en face de Candy.
Candy, troublée, regarda son amie disparaître au détour du couloir. Elle désirait ardemment aider Annie mais la situation se présentait particulièrement compliquée alors que la date d'ouverture de l'hôpital avançait à grand pas!!! Toute la journée, elle n'eut de cesse de repenser à la visite de son amie, à ses pleurs et la déception qu'elle avait affichée quand Candy ne s'était pas prononcée pour l'accompagner à Détroit. Elle se sentait coupable et impuissante à la fois.
L'irruption d'Albert dans la pièce, un plateau-repas entre les mains, interrompit ses interrogations. Devinant que son épouse oublierait de manger, il avait pensé que la bonne cuisine de la maison familiale se devait d'arriver jusqu'à elle. Candy fut ravie de cette bonne surprise et partagea son repas avec son époux, avalant goulûment chaque bouchées tant elle était affamée. Ce dernier l'observait avec amusement, essayant tant bien que mal de limiter son rythme effréné de peur qu'elle s'étouffât. L'idée lui vint alors de lui montrer un article paru dans le Chicago Tribune du matin et qui retint instantanément son attention. Un encart chapeauté du titre racoleur "Détroit - Un médecin claque la porte de l'hôpital Saint Thomas" attisa sa curiosité. Ce n'était pas tant l'article qui l'intéressait mais plutôt la personne sur la photographie, une jeune femme brune, portant de grosses lunettes qui lui cachaient le visage. C'est le cœur battant qu'elle lut en légende le nom de Flanny Hamilton, confirmant l'impression première qu'elle avait eu en croyant la reconnaître. C'était bien de Flanny dont parlait l'article ! Elle était donc vivante, sauve de la guerre et avait même suivi des études de médecine puisque c'était le sous titre de Docteur que le journaliste la décrivait. Candy se réjouit d'avoir enfin des nouvelles de son amie et colocataire du temps de l'école d'infirmières. Elle était restée en bon terme avec nombre de ses camarades mais n'était jamais parvenue à savoir ce qu'était devenue Flanny après la guerre. Elle avait cru à un moment qu'elle était morte sur le front, mais renseignement pris, elle ne figurait pas sur la liste du personnel décédé. L'article expliquait que Flanny Hamilton, brillant médecin de l'hôpital Saint Thomas de Détroit, avait claqué la porte après une violente altercation avec son Directeur. "Cela ne m'étonne pas d'elle !" - se dit Candy amusée - "Flanny n'a jamais eu la langue dans sa poche !… Mais pour bien la connaître, il fallait vraiment que cela soit sans issue pour qu'elle décidât de partir. Elle n'est pas du genre à tout laisser tomber sur un coup de tête…" "Le hasard fait bien les choses…" - poursuivit-elle, songeuse - "Si j'accompagnais Annie à Détroit, je pourrais en profiter pour rencontrer Flanny et la convaincre de venir travailler avec moi ! Je suis sûre qu'elle ferait un excellent médecin ! Elle est tout à fait la personne qu'il me faut : sérieuse, volontaire et méticuleuse. Et puis, je serai ravie de travailler avec une ancienne amie !" Sur cette décision, candy referma vivement le journal et se tourna vers son époux. - Te pourrais te libérer pour m'accompagner quelques jours à Détroit, mon aimé ? - s'enquit-elle, l'oeil brillant de malice. Albert émit un petit gloussement de contentement : - J'ai demandé à Georges de faire préparer nos bagages et de réserver notre compartiment pour le prochain train de demain matin. J'étais certain que tu voudrais revoir Flanny ! - Tu lis dans mes pensées ! - s'écria-t-elle en se jetant à son cou, dévorant ses joues de baisers claquants et bruyants, jusqu'à l'en étouffer. Un flot d'air libérateur pénétra dans les poumons du jeune homme quand elle se détourna de lui pour s'emparer du téléphone. - Et d'une pierre, deux coups ! - se dit-elle en collant le combiné à son oreille. L'opératrice mit quelques secondes à répondre. Les doigts de Candy pianotaient d'impatience sur le bureau.
Flanny Hamilton ouvrit sa porte en bougonnant. Qui pouvait donc venir la déranger alors qu'elle était occupée à préparer ses bagages en vue de son prochain départ de Détroit ?! Elle recula de quelques pas, suffoquée par la surprise !
Flanny éclata d'un rire moqueur, sa tête basculant en arrière.
Désorientée par les attaques injustes de la jeune femme, Candy cherchait à capturer le regard fuyant de son ancienne amie.
"Cela tombe mal !!!" - se dit Candy en levant les yeux au plafond.
"Candy… Je regrette…" - se dit-elle en allant à la fenêtre, cherchant à apercevoir dans la rue la jeune femme qu'elle venait de chasser - "Je t'ai repoussée alors que je te dois tant, mon amie. Je n'ai pas su te remercier alors que grâce à toi, j'ai retrouvé ma famille. J'aurais dû me douter, connaissant ton âme généreuse, que c'était toi qui étais allée rendre visite à mes parents, et que par ce geste, tu avais renoué ce lien qui s'était brisé depuis si longtemps. Tout le long de cette maudite guerre, les lettres que j'ai reçues de leur part sont devenues ma petite lumière, ma raison de vivre puis de survivre, dans ces tranchées jonchées de morts et d'estropiés. Plus d'une fois j'ai souhaité qu'une bombe vienne tomber à mes côtés et me libère de ce cauchemar. Et puis, comme par enchantement, alors que le courage m'abandonnait, je recevais une tendre lettre de ma mère accompagnée d'un colis de victuailles ou de petits cadeaux de mes frères et sœurs, et je retrouvais le goût de vivre, sachant que par delà l'océan, quelqu'un pensait à moi et m'aimait… Comment ai-je pu être aussi dure avec toi ? Pourquoi chacune de tes apparitions me bouleverse au point de ne plus être moi-même ? Pourquoi faut-il que je te rejette alors que mon plus grand désir est de te remercier ! Je n'ai pas pu… Je n'ai pas voulu, Candy, te montrer mon amitié… Peut-être ta joie de vivre, ta spontanéité, ta capacité à te faire aimer de tout le monde, me rappelle ma propre disposition à me faire détester… Comme si je n'étais pas faite pour ce bonheur que tu m'as si souvent proposé. Pardon Candy, mais c'est au-dessus de mes forces… - murmura-t-elle les yeux humides en retournant à son rangement…
De l'angle du couloir, une vision de rêve se détacha soudain en contre-jour. Elle était là, divine, merveilleusement belle, les cheveux noués sur la tête négligemment mais avec élégance, laissant échapper quelques boucles rebelles sur sa nuque, soulignant la perfection des lignes de son cou. Un homme très distingué, aux longs cheveux blonds lui tenait le bras...
"Comme tu es belle !!!" - se dit Terry, tentant de cacher l'émoi qui le possédait -"Tu es là si proche et je ne peux te toucher, ni te serrer contre moi, alors que j'en meurs d'envie !… Oh Candy, comme tu m'as manqué !" Ses yeux s'écartèrent une seconde de la jeune femme et vinrent toiser celui qui se tenait à ses côtés. Une ombre passa sur son visage dont les traits se durcirent instantanément et c'est péniblement qu'il parvint à le saluer : - Albert!... - fit-il, la mâchoire
serrée. Une tension extrême avait envahi le couloir en quelques secondes. Mal à l'aise, Candy, chancelante entre les deux hommes qui s'affrontaient sans un mot, se sentait sur le point de défaillir. Comme par miracle, une voix nasillarde, reconnaissable entre toutes, vint involontairement à sa rescousse.
Il tournait autour d'eux comme une hyène sur sa proie ...
Horrifiée, Candy se précipita sur les deux bagarreurs, s'efforçant de s'interposer avec toute l'énergie qu'il lui restait.
"Candy !" - pensa-t-il, remarquant les larmes qui ondoyaient au bord des yeux émeraude de la jeune femme - "Ta douce main sur la mienne est comme une brûlure sur mon cœur ! Dieu que j'aimerais te serrer contre moi et te dire combien je t'aime ! Comme je voudrais pouvoir essuyer ces larmes que je vois poindre au bord de tes jolis yeux !… Tu n'as pas changé Candy… Tu es encore plus belle que lorsque je t'ai aperçue dans la roseraie de Lakewood… Tu es si douce… Comment ai-je pu un jour renoncer à toi ?…"
Stoïque, Albert restait à l'écart, redoutablement silencieux, observant ce qui se déroulait sous ses yeux comme s'il s'agissait d'un mauvais cauchemar. La voix stridente d'Elisa lui confirma la désastreuse réalité dont il était témoin.
La jeune femme, tirant son frère boitillant par le bras, disparut telle une tornade, ses cris de colère vrombissant au loin, tel le tonnerre. Il y avait à craindre des représailles à la hauteur de sa fureur. Annie en était encore toute tremblante.
Un des membres de l'équipe de course les interrompit pour les avertir que la course allait commencer et qu'ils devaient se hâter.
Le ton employé se voulait indifférent, mais Terry dissimulait difficilement son orgueil blessé : devoir demander l'autorisation à Albert de pouvoir discuter avec son ancienne fiancée le rendait fou ! La réponse de ce dernier finit de l'achever !... - Je regrette, Terry, mais nous devons repartir juste après la course. Des affaires urgentes m'attendent à Chicago. Une autre fois, peut-être ?... Vexé, Terry lui lança un regard furibond. - Une autre fois...
Oui... Bien sur ! - fit-il, un sourire ironique se dessinant sur ses lèvres
parfaites. Réprimant difficilement un sanglot, Candy lui offrit une main tremblante qu'il serra tendrement. L'espace d'un instant, le regard qu'ils échangèrent les isolèrent du reste du monde. Le doux contact de leur peau l'une contre l'autre, cette chaleur intense qui se diffusait dans leur corps, cette sensation étrange de plénitude, instauraient un dialogue muet qu'eux seuls pouvaient comprendre. - Il m'aime toujours ! - se dit Candy, maîtrisant péniblement ses larmes - Oh Terry ! Comme j'aurais voulu qu'il en soit autrement ! Comme je m'en veux de te faire souffrir ainsi ! Dans quelles ignobles circonstances le destin se joue de nous : se rencontrer ainsi, comme des étrangers, sous les yeux d'Albert!... Dieu qu'il doit me haïr !... - Alors, à bientôt, Candy!... - parvint-il à prononcer, réunissant toutes ses forces pour se séparer de ce doux contact qui l'ensorcelait. Il adressa un signe de tête à Albert en guise de salut puis tourna les talons, pressant le pas pour disparaître au plus vite. Émergeant sur le tarmac, insensible à la chaleur torride qui s'abattait sur lui comme une chape de plomb, il emplit ses poumons d'un air chaud chargé d'effluves de gaz d'échappement un air libérateur et rafraîchissant après la suffocation dont il avait été l'objet durant quelques minutes. Faisant fi des cris de la foule qui l'acclamait, il revêtit sa capuche et ses lunettes de protection et prit place dans le cockpit de la voiture de course...
Candy s'entendait prononcer ces paroles comme s'il s'agissait d'une autre personne. Comment pouvait-elle se mentir autant, même à elle-même? Elle savait néanmoins qu'il n'y avait aucune échappatoire. Elle était mariée à un autre homme, et malgré les sentiments qui la liaient à un autre, elle se devait de chasser ces pensées troublantes au plus vite !!! Le trio se dirigea vers le stand des VIP pour assister au départ de la course. Confortablement installés, ils pouvaient apercevoir parfaitement la trentaine de voitures alignées en rangées de six. Celles de Terry et d'Archibald se trouvaient en deuxième ligne, l'odieux Daniel, qui manifestement s'était rapidement rétabli, était positionné en troisième. Les moteurs commencèrent à vrombir. On baissa le drapeau à damiers. Au coup de feu du départ, les trente voitures s'élancèrent sur le circuit. Candy s'empara des jumelles d'Annie pour mieux suivre le trajet de Terry. Elle comprenait maintenant la crainte de son amie, réalisant le danger qu'encourrait l'être qu'elle aimait. Elle voulut soudain s'enfuir et échapper à ce sentiment oppressant qui prenait tout son sens à présent, mais une force irrésistible l'en empêcha. Oui, elle aimait Terry de toute son âme mais devait s'en détacher car cet amour lui était interdit. "Dès la fin de la course, nous partirons… Au plus vite !!!" - se répéta-t-elle, le cœur douloureux mais convaincue que c'était la meilleure chose à faire. Juchée sur la pointe des pieds, elle chercha une nouvelle fois du regard la voiture de Terry qui passa à toute allure devant leur stand. D'un geste tendre mais ferme, Albert lui intima de s'asseoir. Elle remarqua cet étrange regard dans ses yeux, où se mêlaient à la fois crainte et jalousie. Un frisson d'effroi lui parcourut l'échine. C'était la première fois qu'il la regardait de cette façon et son embarras s'accentua. "Candy…" - se disait au même instant Terry, les yeux perdus dans le vide, tenant machinalement son volant - "Quelle tristesse et quel bonheur à la fois de te revoir ainsi… Nous nous sommes comportés comme deux étrangers alors que nous avons vécu de si merveilleux moments ensemble. Nous n'avions rien à nous dire.. Et tout cela par ma faute, pour n'avoir pas su te retenir ce soir là et te dire combien je t'aimais, combien je t'aime encore !!!… J'ai lutté chaque jour contre cet amour, me dévouant à Suzanne, en croyant ainsi pouvoir t'oublier. Malheureusement, le visage radieux qu'elle me renvoyait ne faisait que me rappeler que je t'avais perdue, que je t'ai perdue, pour toujours, puisque tu es à un autre désormais, à Albert !!!…" - enragea-t-il - "Mon meilleur ami est devenu mon rival et ennemi… Celui qui m'a pris l'être que j'aime par-dessus tout… et à laquelle il a fait un enfant… Alors que j'aurais dû être ce père, si j'avais eu le courage de dire à non à Suzanne et à sa mère !… Pourras-tu un jour me pardonner, mon amour ? Pourrais-je un jour me le pardonner ?…" Plongé dans ses pensées, Terry ne réalisa pas qu'il se trouvait en tête, le manque de concentration ayant paradoxalement renforcé la maîtrise de son véhicule. Néanmoins, lancé à toute vitesse, il ne put aborder correctement le virage suivant. Dans une manœuvre désespérée, il tenta d'éviter l'obstacle, freina, pied au plancher. Sa voiture, déséquilibrée, fit une embardée, pivota sur elle-même comme une toupie emballée, et alla s'écraser contre les barrières de sécurité dans un fracas de tôles et de pneus mâchés.
Un frisson glacial parcourut l'échine de la jeune femme. Terry!!!!
Albert saisit la poignée de la portière, mais la lâcha instantanément en poussant un cri de douleur, les doigts rougis par la brûlure. Instinctivement, il ôta sa veste et sa chemise qu'il appliqua sur la portière en guise de protection, puis tira le plus fort possible. Peu à peu, la portière céda et il l'arracha dans un cri de rage. Candy se précipita alors pour détacher les liens qui enserraient Terry. Doucement, précautionneusement, ils le sortirent du véhicule, Candy soutenant sa tête pour éviter tout dommage. Ils s'éloignèrent le plus vite possible de la voiture en flammes et le déposèrent sur le sol. Les secours arrivèrent au même moment.
Au même instant, une main ferme s'empara de son bras. - N'y va pas ! - s'écria
Albert, bouleversé - Je t'en supplie ! Candy lut dans son regard qu'il ne plaisantait pas. Pourtant, comme sous l'effet d'un pouvoir incontrôlable, elle s'engouffra dans l'ambulance, sans un mot pour son époux qui regarda, impuissant, le véhicule partir en trombe sous les cris stridents de sa sirène. "Mon Dieu ! Sauvez-le !" - implorait Candy, les yeux au ciel - "Je vous en prie !!! Ne me l'arrachez pas ! Je ne pourrai jamais vivre sans lui !!!" - s'écria-t-elle en éclatant en sanglot tandis qu'elle caressait la tête du jeune blessé toujours inconscient. "Ne me laisse pas !!! Ne me quitte pas !!!" - murmurait-elle entre deux sanglots - "Oh ! Terryyy !!!…" Albert, resté sur le bord du talus, tétanisé, ne remarqua pas Annie qui accourait. Archibald, qui avait cessé de poursuivre la course, venait à leur rencontre. Déjà, une horde de journalistes mitraillaient de photos les lieux, ignorant les pompiers occupés à éteindre l'incendie. Un soldat du feu, excédé pat leur comportement, les rabroua d'un jet de pompe à eau, ce qui les fit reculer un instant pour revenir tout aussi nombreux quelques minutes plus tard, tels des vautours sur leur proie.
Sourd à leurs commentaires maladroits, Albert, une main balayant avec consternation sa chevelure blonde, fixait, l'esprit vidé de toute substance, la route qu'avait pris quelques instants plus tôt le véhicule de secours qui transportait Candy et Terry, convaincu que le bonheur qu'il avait connu durant toutes ces années allait à tout jamais être bouleversé... Fin du Chapitre 4 © Leia juillet 2007 |