QUAND TOUT FINIT...
par Lachesis

Chapitre 7

Ludivine était une professionnelle écrivait Matthew Jameson. Elle prévoyait tout dans les moindres détails avant une opération délicate comme celle-ci, en laissant le moins possible au hasard, tirant satisfaction de ses occupations. Elle considérait les meurtres comme une nécessité absolue, des obstacles à franchir. Elle était douée pour les armes à feu, très douée. Mais avant tout, elle avait le goût du travail bien fait.

De plus, elle avait l’art du déguisement. Elle était capable de se glisser dans la peau de n’importe quel personnage.

A vrai dire, j’avoue avoir un faible pour elle. Elle avait su nous tromper sur ce bateau. Abattant sa victime d’un coup de feu, elle avait réussi à mener ses affaires à bien. Profitant de la confusion pour s’emparer des plans, elle avait simulé la terreur comme les autres spectateurs massés dans la salle, subi les mêmes interrogatoires menés par Chaumont et le commandant de bord, oui elle était très bonne comédienne.

Suzanne s’arrêta à mi-chemin du bureau de la compagnie de navigation. C’était une bâtisse carrée aussi grise que le ciel au-dessus de sa tête. Les vitres constellées de grains de poussière car personne ne semblait jamais les laver, lui laissaient deviner un comptoir en bois où derrière, un employé myope répondait aux questions d’un client particulièrement agité. En effet, un homme courtaud en bras de chemise paraissait occuper toute la pièce, gesticulant devant un employé pâle.

_ C’est incroyable ! N’est-ce pas ! Souligna la voix nasillarde de Mme Debenan tout en jetant un coup d’œil par la vitre.

La jeune fille se tourna vers la jeune dame américaine, vêtue d’un long manteau à carreau écossais, un chapeau à fleurs posé sur sa tête d’où dépassaient des boucles châtain.

_ Voyez-vous ! Depuis cette effroyable nuit, tout me paraît étrange. Ma vie semble avoir basculé dans un monde d’incertitudes. Tout me paraît mouvant et fuyant comme si j’étais spectatrice d’une pièce théâtre et que je ne pouvais avoir prise sur la situation. Tous ces interrogatoires, ces fouilles…Et puis le meurtrier leur a échappé ! inéluctablement.

Au-dessus de leur tête, les nuages encerclaient Southampton s’amoncelant sur la ville pour y déverser un crachin glacial. Le paquebot Baalder n’était plus qu’une coquille vide abandonné le long des docks sales dans une eau flasque. Avec ses cheminées éteintes, il paraissait un décor de carton pâte.

_ Je n’ai pas arrêté de penser à cette nuit-là. J’ai dû même ingurgiter des calmants moi qui n’en prenais jamais. Je revois ce pauvre homme (oh bien sûr ! Il n’était pas un saint), allongé sur le sol près de son fauteuil, le revolver à ses pieds encore fumants. Je pense à sa veuve victime d’une crise de nerfs.

_ Leur mariage battait de l’aile !

_ Certes mais elle a été touchée tout de même ! Et le meurtrier qui court toujours ! C’est insensé que la police n’ait pu y mettre la main dessus.

_ Oui il court toujours, répéta Suzanne d’une voix rêveuse. Il y avait bien longtemps que tous ces événements semblaient surnaturels et ne l’atteignaient plus.

Mme Debenan renifla bruyamment.

_ Certes c’est quelqu’un de très fort et il nous a fait vivre des jours de terreur enfermés dans nos cabines respectives attendant qu’il frappe de nouveau, ajouta-t-elle malgré le bruit du déchargement des bateaux et les sirènes qui hurlaient dans la tristesse de ce jour gris.

L’homme courtaud, en bras de chemise apparut alors surgissant de la compagnie maritime. Il portait une casquette à carreaux. Ses traits épais et lourdauds lui donnaient l’aspect d’une bête. Dans son dos, il portait un sac en bandoulière. Blond avec des tâches de rousseur, il eut un sourire forcé en saluant les deux dames.

Suzanne en profita pour donner congé à la bavarde américaine qui avec un soupir se dirigea vers sa famille anglaise qui l’attendait le visage angoissé semblables à des milliers de visiteurs.

_ Enfin te voilà ma p’tite Suzie ! C’est pas le moment de vous éloigner ! Souligna Mr Strafford en essuyant son front en sueur avec un mouchoir. Dan, négligemment appuyé contre un mur mâchait un chewing-gum tout en regardant d’un œil intéressé les gens tournant autour de leur groupe attirés par le sensationnel. Parmi eux des reporters vêtus d’un imperméable mastic beige essayaient de tirer des renseignements de la troupe. Le jeune homme devait s’avouer qu’il avait été tenté de répondre à quelques questions.

Ceci eut le don d’agacer le directeur déjà sur les nerfs.

_ Comment on va se rendre à Portsmouth ? Demanda Léona le visage sombre comme ses camarades qui goûtaient peu ce lieu sinistre ayant visiblement oublié qu’un meurtre s’était produit sur le bateau.

_ En train bien sûr ! Après notre représentation de Londres ! Un wagon a été affrété spécialement par nous par lord Mac Dougal ! Mais avant tout, nous restons à la disposition de la police qui n’en a pas fini avec nous.

Les acteurs et leurs accompagnateurs avaient été spécialement placés à part pour y subir de plus longs interrogatoires du fait de leur position sur la scène au moment du meurtre.

Terrence, en particulier, dont le trouble n’avait pas échappé à Chaumont juste avant que les lumières ne s’éteignent.

 

_ Pourquoi cette attitude bizarre que vous avez eue un moment donné sur scène ?

_ Cela n’a rien à voir avec ce crime ! Non rien du tout ! c’est juste que…

_ Que quoi ?

_ Juste que j’aie cru que j’avais reconnu quelqu’un. Quelqu’un que j’aimais bien avant !

_ Avant !

_ Pour tout dire, c’était une jeune fille !

_ Ah ! Un amour de jeunesse !

_ Oui ! Mon premier et mon grand amour ! L’unique et merveilleux amour !

_ Comment s’appelait cette jeune fille ?

_ Candy Neige André

_ C’est cette aristocrate qui a disparu dans d’étranges circonstances pendant la guerre :

_ Oui c’est elle

_ Et vous dîtes qu’elle était dans la salle devant vous !

_ Non ! ….J’ai cru que c’était elle ! Mais je me suis trompé !

 

_ Quand est-ce que ce taxi arrive ? J’en ai assez de ce port ! Il me porte sur les nerfs, s’énerva Léona. Ce n’est pas une vie pour une actrice de ma valeur comme moi. Ce voyage était un désastre.

Elle-même songeait à tous ces longs interrogatoires fatigants qu’elle avait dû subir dans cette petite cabine étroite où le détective Chaumont la regardait froidement dans les yeux. A ses côtés, le commandant de bord bouleversé par cet horrible événement. Il semblait avoir vieilli de dix ans d’un seul coup. Sa barbe paraissait plus blanche et ses épaules se voûtaient un peu plus. Il ne pouvait pas se remettre de ce meurtre qui affectait sa carrière jusque là sans tache.

Un jeune homme inconnu à la mine éveillé dont elle ignorait le rôle assistait aux séances.

Nerveuse Léona tripotait un mouchoir en dentelles noires qui ne lui appartenait pas et qu’elle avait ramassé dans les coulisses machinalement. Au moment du meurtre, elle était tapie dans les coulisses prostrée par la peur. Elle avait entendu dans le noir le bruit d’une galopade comme si quelqu’un était passé devant son refuge sans qu’elle puisse savoir qui c’était.

 

_ Vous avez vu quelque chose ?

_ Non ! Répondit-elle. Rien du tout !

_ Racontez-moi ce qui s’est passé ?

_ Oh ! Je ne saurai rien dire si ce n’est que j’attendais d’entrer en scène et je regardais Terrence faire ce jeu étrange mais qui ne manquait pas d’originalité, quand soudain, les lumières se sont toutes éteintes. J’ai senti un froid inexplicable me courir sur l’échine comme si je pressentais le grand malheur qui allait s’abattre sur nous.

_ Explicitez-moi cette sensation ?

_ A vrai dire, j’ai senti comme un courant d’air froid venant derrière le dos. Juste après, il y a eu ces coups de feu. J’ai cru et même qu' ils sortaient de derrière mon dos.

_ Vous dîtes !

_ Je sais que c’est idiot mais il me semble bien que les coups ne venaient pas de la salle mais…

_ Des coulisses ? Vous êtes sûre ?

_ Non bien entendu ! Il faisait noir et peut-être je me laisse abuser par l’obscurité. Puis j’ai entendu des cris de panique montaient de la salle. Tout était confus j’ai même cru entendre courir. En fait, c’était une partie des cordes qui retenaient le rideau qui est retombée sur scène.

Chaumont paraissait intéressé par le récit de la jeune femme. Il se penchait vers elle. Ses petits yeux verts brillaient comme ceux d’un chat.

_ Ensuite, la lumière est réapparue. J’ai vu alors le milliardaire étendu face contre terre sur le sol aux premiers rangs sur une mare de sang.

 

Bertha Simmons et Tony Marsden approuvèrent vivement corroborant le récit de l’actrice vedette. Le directeur lui était affligé par cette nouvelle. Il répétait des mots sans suite choqué par cet événement.

_ Cela va nous faire de la publicité ! Les spectateurs vont s’arracher les billets, répliqua Dan de son ton gouailleur, le seul à être heureux de cette situation n’ayant nul besoin d’être soutenu psychologiquement.

Cette attitude ne manqua pas d’intriguer Chaumont.

 

_ Vous vous appelez Daniel Evans !

_ Oui !

_ acteur depuis …

_ Six mois ! Cela fait six mois à peine que je suis entré dans la troupe ! Oh pour des petits rôles !

_ Avant vous faisiez quoi ?

_ Des petits boulots comme pour tous les engagés volontaires de la guerre !

_ Vous vous trouviez en Europe lors de la guerre ?

_ Oui !

_ Dans les tranchées ?

_ Oui ! Mais qu’est-ce que ça avoir avec cette affaire ?

_ Rien ! Revenons à ce crime ! Connaissiez-vous la victime !

_ Oui de nom comme tout le monde ! Même si j’ai travaillé pour lui il y a un an de ça !

_ Vraiment !

_ Oui ! Mais il ne m’a pas reconnu ! J’étais un coursier ! Je portais des plis pour son cabinet d’affaires.

_ Vous aviez donc rencontré la victime !

_ Oui ! Mais je doute qu’il ait fait attention à moi !

_ Et sa femme !

_ Mme Wallace ! Oh oui ! Je lui ai parlé la veille. Elle paraissait complètement perdue !

_ C’est ce qu’on m’a dit ! C’est bien que vous n’essayiez pas de me cacher cette conversation.

_ Pourquoi ferais-je une chose aussi stupide ?

_ Je ne sais pas ! On pourrait imaginer mille et une raisons pour vous. Mais peu importe ! Où vous trouviez-vous au moment des coups de feu ? .

_ Dans les coulisses ! J’attendais d’entrer en scène.

_ Ensuite ?

_ Les lumières se sont éteintes ! J’ai entendu des coups de feu

_ Le système d’éclairage se trouvait au-dessus de vous. On a retrouvé l’éclairagiste évanoui près de la machinerie.

_ Oui on y accédait par une échelle. J’avoue que j’étais trop abasourdi par le jeu étrange de Terrence qui s’est tourné vers une spectatrice pour déclamer la tirade de Roméo avouant son amour à Juliette pour faire attention à quoi que ce soit. C’était le meilleur moyen pour une personne mal attentionnée de commettre un crime.

_ Vous voulez dire que cela n’es t pas arrivé par hasard ?

_ Je n’ai rien dit de tel, s’énerva Daniel.

_ Quelle était la jeune spectatrice qui l’intéressait tant ?

_ Cette jeune Mexicaine Maria-Dolorés Gonçalvés !

_ Je vois et ensuite ?

_ Les lumières se sont brusquement éteintes. J’imaginais déjà la rage de mon directeur s’agrippant à ses cheveux. Mais, je pensais plutôt à la situation ridicule de mes deux camarades sur scène et je les plaignais sincèrement. J’étais loin de m’imaginer le drame qui allait se dérouler.

_ Vous n’avez rien remarqué juste avant que les lumières ne s’éteignent.

_ Non ! Rien de particulier !

_ Aviez-vous aperçu Mr. Wallace ?

_ Oui bien sûr ! Il se trouvait assis au premier rang à côté du commandant de bord. On arrive à bien distinguer les spectateurs à ce niveau après c’est plus difficile.

_ Aviez-vous noté s’il portait sa veste de smoking ou pas ?

_ Non ! Est-ce important !

_ Peut-être pas ! Continuez !

_ Il y a eu des cris, des bousculades ! Puis deux coups de feu !

_ Aviez-vous une idée de leur provenance ?

_ Je n’en sais rien ! Ils me semblaient proches !

_ Ils vous semblaient plutôt provenir de la salle ou des coulisses !

_ Des coulisses ! Quelle drôle d’idée !

_ Contentez-vous de répondre à ma question ?

_ Non ! Ils venaient de la salle !

_ En êtes-vous sûr ?

_ Bien entendu ! Dans les coulisses, il y avait nous, la troupe et les techniciens ! Aucune autre personne étrangère !

_ Vous savez c’est trop facile d’accuser les acteurs. On est toujours sur les routes à la merci de mauvais coups, voilà ce que pense la plupart des gens. Mais cette fois, vous devriez regarder du côté des voyageurs, ajouta-t-il les yeux brillants.

.

Mr Strafford soupira.

_ Très bien prenons des taxis ! Dan et Tony allez jusqu’à la station ! Nous attendrons ici !

_ Ici ! Mais nous sommes trempés, protesta la brune Carren en s’enveloppant de son manteau d’hermine.

L’homme en bras de chemise s’était appuyé contre un conteneur et s’obstinait à fouiller son sac informe. Face au port, sa silhouette incongrue apparaissait par contraste aux bateaux, sur l’eau stagnante et les bâtisses crêpelées.

_ Nous sommes dix-sept ! Je croyais que le théâtre devait nous envoyer des voitures, s’étonna Léona.

_ C’est exact ! mais avec toutes ses vérifications, ils ont dû se décourager et partir

Le directeur de la troupe lassé d’entendre les plaintes continuelles de ses acteurs s’éloigna pour profiter d’un moment de calme bien mérité..

 

_ Mr Strafford ! Vous êtes le directeur de cette troupe et comme tel vous nous devez de répondre le plus exactement à nos questions.

_ Bien entendu ! J’ai toujours collaboré avec la police ! Bien sûr, je n’ai jamais eu à faire avec vos collègues. Je suis un honnête citoyen. Seigneur ! Quel malheur ! Pourquoi fallait-il que cela m’arrive à moi ? !

_ Où vous trouviez-vous au moment du drame ?

_ Dans les coulisses côté droit ! Avec la troupe !

_ Il y avait tout le monde ?!

_ Non ! Léona se trouvait côté jardin où elle attendait son tour pour entrer C’est elle qui faisait la narratrice et ajoutait un commentaire à chaque scène. Une idée que j’ai eue et que je croyais géniale. J’ai fait jouer cette version à Baltimore et elle a rencontré un certain succès. Bref, je m’énervais contre Terrence qui dédaignait sa partenaire et s’était tourné vers la salle.

_ Vers quelqu’un en particulier ?
_ Il ne m’a pas semblé ! Non il s’adressait à toute la salle. A vrai dire, de là où j’étais je ne m’en rendais pas compte. Puis, j’ai réalisé que c’était un concept tout à fait génial de s’adresser à la salle pour cette déclaration. Toutes les femmes de la salle s’imaginaient être Juliette sur son balcon. J’étais en train de me dire que c’était peut-être une idée à exploiter quand les lumières se sont éteintes. J’ai entendu des cris, une sorte de galopade comme un martèlement derrière mon dos, puis il y a eu des coups de feu. Quelque chose est tombée sur scène. Quand on a apporté des lumières, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’une embrase qui était retombée sur le sol.

_ Cette galopade que vous avez entendue semblait s’approcher ou s’éloigner !

_ Elle s’éloignait plutôt ! Oui c’est ça !

_ Quelqu’un courait dans les coulisses !

_ A vrai dire, cela semblait tellement étrange ! Les bruits résonnaient un peu partout entre les cris de peur, les bousculades dans la salle ! Je ne sais que penser !

 

_ Il n’y a que des taudis ici, constata-t-il en observant les docks sales et les maisons de pêcheurs sagement alignées le long du quai. Des barques se soulevaient au rythme de la houle qui venait mourir sur la ligne de béton. Un jeune homme coiffé d’une casquette peignait une barque en sifflotant un air inconnu. Des pêcheurs assis sur des bancs révisaient leurs filets en bavardant avec un fort accent cockney. Une femme au regard délavé, aux cheveux dépeignés flottant au vent sortit d’une des maisons, s’essuyant les mains sur un tablier crasseux. Elle croisa le regard de Terrence qui lui aussi errait le long du quai. Il n’y lut qu’une vie de labeur sans espoir, ni joie, ni émotion intense. Une vie simple qu’il ignorait et qu’il souhaitait ne pas connaître.

Un homme héla sa femme qui rentra aussitôt dans son taudis.

_ Voilà les taxis ! On va enfin prendre un bon bain chaud ! S’exclama Dan en apercevant les cabs mis à leur disposition et qui s’arrêtèrent à leur hauteur.

 

_ Par ici ! Indiqua le chasseur vêtu de rouge galonné d’or en ouvrant la marche à Suzanne qui de sa démarche claudicante le suivait avec peine. Elle pénétra enfin dans sa chambre.

Elle comprenait une armoire richement décorée. Près de la fenêtre, un broc d’eau sur une table de toilette en acajou ornée du même style que le reste des meubles. Le lit était couvert de tissu rouge bordeaux assorti aux rideaux retenus par des embrases bicolores.

 

Cela lui rappelait quelque chose. Elle prit machinalement un des cordons et le tint dans ses mains d’un air absent.

 

_ Mademoiselle Marlowe ! Suzanne Marlowe

Suzanne impressionnée par cette pièce où Chaumont la dévisageait de derrière une table à ses côtés le commandant de bord et le jeune homme le jeune étudiant qu’elle aimait tant, Mr Jameson. Elle ignorait d’ailleurs ce qu’il faisait là.

_ Mademoiselle Marlowe ! Où étiez-vous au moment où on retentit ces coups de feu ?

_ Sur le faux balcon ! Je n’y ai pas bougé tant qu’on n’est pas venu me chercher ! Du fait de mon infirmité, je peux difficilement descendre seule de l’échelle.

_ Je vois ! Qu’avez-vous à nous dire alors ? Vous étiez bien placée là-haut sur votre plate-forme !

Elle l’écoutait poliment alors que dans sa tête résonnait une petite mélodie qui l’agaçait et dont elle l’ignorait l’origine. Elle voyait dans sa tête toujours la même image d’un couple évoluant sur un air de valse. Lui, Terrence, habillé comme un prince dansait avec dans ses bras une jeune fille blonde aux cheveux bouclés aux yeux verts pénétrants, souriante, heureuse, virevoltant emportée et légère, sa robe blanche s’envolait comme des pétales d’une rose soufflée par le vent. Tous deux ignoraient le décor pourtant tout de dorures, de miroirs et de frises dignes d’une salle de bal à Vienne.

_ Vous n’avez pas l’air de comprendre ! Certes j’étais en haut ! Mais quand les lumières se sont éteintes je me suis écroulée sur mon balcon. Pendant ce laps de temps, je n’ai pas eu le temps de me rendre compte de quoi que ce soit.

Son regard croisa celle du jeune homme qui l’a regardé avec intensité sentant qu’elle était sur le point d’avouer quelque chose.

_ Avez-vous remarqué l’étrange attitude de votre partenaire de scène, Terrence Granshester ?

_ Oh ! Oui ! Bien sûr ! Il s’est détourné pour s’adresser à …

Elle s’interrompit se rendant compte qu’elle était sur le point d’avouer l’évidence. Terrence s’était tourné vers Candy déguisée en Maria-Dolorès Gonçalvès. Il l’avait reconnue et avait décidé de rompre sur scène avec elle pour renouer avec son ancien amour. Mais des années s’étaient écoulées. Tous deux sans se l’avouer avaient changé. Candy avait pris une autre identité se confondant avec un personnage ambigu d’apparence froide et aventurière, une de ces femmes libres qui côtoyaient le monde à la recherche de sensations nouvelles.

Elle était à des années-lumières d’elle la pauvre éclopée qui avait sacrifié sa jambe pour sauver son amour d’une mort certaine. Elle se revoyait à l’hôpital réalisant qu’elle ne serait plus jamais comme avant. Elle revivait la scène où Candy lui avait dit adieu ! Avait-elle le droit de lui en vouloir de l’ignorer ?

_ Oui mademoiselle ! Pour s’adresser à qui ? Demanda Chaumont en approchant son curieux visage vers la jeune femme.

_ A la salle, reprit-elle en s’efforçant de calmer ses émotions.

Jameson lui lança un regard dans lequel se lisait tous les mystères du monde et la certitude qu’elle savait quelque chose.

_ Mlle Marlowe, vous savez qu’il y a eu un meurtre. Mr Wallace a été froidement assassiné en pleine représentation théâtrale. Ce n’est pas tout. Le meurtrier aurait pu toucher n’importe qui d’autre dans le noir. Alors si vous savez quelque chose, il faut nous le dire ! Ajouta le détective en plongeant ses yeux verts dans le regard apeuré de la jeune femme qui se recroquevilla un peu plus sur sa chaise.

Avait-elle le droit de dénoncer Candy ? Il était facile de raconter qu’une des passagères sur le bateau voyageait sous une fausse identité. D’abord, cela ne la regardait pas. De plus, cette révélation n’apporterait rien de bon, des ennuis sans fin pour la jeune femme et du même coup, le moral de Terrence s’en ressentirait.

Alors elle s’était tue sachant que Jameson paraissait contrarié.

 

Elle ouvrit la porte quand quelqu’un frappa discrètement.

C’était un jeune commissionnaire à la mine éveillée, les cheveux en bataille porteur d’un bouquet de rose blanche.

Dessus, il y avait une carte accrochée.

" Venez me rejoindre au café du coin de la rue"

signé J….

Elle paya le jeune garçon qui remercia tout heureux et repartit en sifflotant. La jeune fille intriguée huma le délicat parfum des fleurs et les glissa dans un vase sur la commode.

Elle lissa ses longs cheveux blonds qui retombaient sans une mèche de travers sur ses fines épaules.

J ne pouvait que correspondre à Jameson, le compatriote probablement faux étudiant.

Devait-elle se rendre au lieu fixé à ce qui lui semblait être un rendez-vous ?

 

Dans le couloir, c’était la guerre au sujet de la répartition des chambres. La voix haut perchée de Carren se fit entendre :

Ses yeux sombres lançaient des éclairs paraissant aussi furieuse que la rousse Irlandaise.

_ C’est injuste ! C’est toujours Léona qui a les meilleures chambres ! De plus, elle donne sur la cour donc elle est plus calme.

La voix rauque de sa collègue protesta véhémentement.

_ J’en ai assez de tes caprices de diva ! Pour qui tu te prends ? Tu crois être la seule ici dans cette troupe à réclamer du confort ?

Les vieilles rivalités mises en sommeil sur le bateau n’avaient pas disparu pour autant. Le directeur de l’hôtel grand amateur de pièces intervint et trouva une suite presque aussi confortable que celle attribuée à l’actrice vedette. Mr Strafford le remercia chaudement en lui offrant des places pour la prochaine représentation.

Suzanne en profita pour s’éclipser par l’escalier de service et d’un pas léger quoique entravé par son handicap. Cependant, elle eut tôt fait de dénicher un petit café aux vitres dépolis qui faisait angle à un carrefour.

A l’intérieur, quelques clients attablés au bar buvaient de la bière en écoutant les exploits sportifs commentés par la radio de leur équipe de football favorite. Quelques-uns autres étaient dispersés dans des boxes aménagés de telle sorte que la discrétion était de mise.

Matthew Jameson, à l’entrée de la jeune femme s’était levé pour lui faire signe. Un autre homme était assis à ses côtés, un beau jeune homme du reste aux cheveux mi-longs et châtains lui retombant sur les épaules habillé de manière élégante. Une moustache ornait son visage.

_ Mlle Marlowe ! Permettez moi de vous présenter Mr Richmond Archibald.

Suzanne salua sans comprendre ce que signifiait la présence de ce jeune homme.

_ Je suis ravie mais j’ignore ce que je fais là ! Dit-elle en s’asseyant auprès d’eux près de la vitrine qui lui permettait de voir la rue emplie de monde.

_ Ce jeune homme est le cousin de Mlle André Candy Neige ! Je suppose que vous avez entendu parler d’elle.

Suzanne regarda surprise cet homme guère plus âgé qu’elle marqué déjà par le malheur. Quelques rides autour de ses yeux lui conféraient un charme certain mais rappelaient sans conteste à quel point il avait souffert.

_ Je cherche ma cousine depuis trop longtemps. Ma famille a engagé des détectives du monde entier sans succès. Elle semble avoir disparu de la surface de la terre sans laisser de traces. Tout ce que nous savons ou du moins nous supposons c’est qu’elle s’est engagée sur le front en tant qu’infirmière. C’est affreux de penser aux horreurs qu’elle a vécues.

_ Tout ça à cause de moi…ajouta rêveusement Suzanne en remuant la cuillère machinalement dans sa tasse de thé tout juste servi par un serveur rondouillard et tout rouge.

_ Peu importe les causes ! Le passé est terminé ! A présent, il faut qu’elle rentre à la maison. Oncle William la réclame à corps et à cris ! Il ne supporte plus de la savoir loin de lui. Il a remonté une piste en Afrique car d’après une source, elle serait allée jusqu’en Afrique du Sud et même à Zanzibar.

_ Tiens comme Wallace ! Souligna Matthew Jameson en regardant le jeune homme d’un air rêveur.

_ Je l’ignorais ! Bref, Mr Jameson, ici présent, que j’ai rencontré à l’enquête m’a gentiment indiqué que vous pourriez savoir quelque chose au sujet de la disparition de ma cousine. Je vous en supplie Mlle dites-nous tout !

Suzanne dévisagea tour à tour les jeunes gens intriguée lisant de la supplication dans les yeux clairs d’Archibald visiblement inquiet et déchiffrant de l’intérêt et quelque chose d’autre un sentiment indéfinissable dans les yeux clairs de Jameson, quelque chose qui lui fit battre son cœur.

En même temps, elle hésitait à avouer le peu qu’elle savait. Les intentions de ce Mr Richmond était sans doute pure mais qu’en était-il de ce Jameson ?

 

Elle opérait en Afrique, continua Jameson. Avec tous les risques que cela comporte. Elle a fricoté avec la filière des trafiquants d’art tout cela pour remonter à la source des pilleurs de tombes égyptiennes. Elle a réussi cet exploit quasiment toute seule. Et puis, il y a l’épisode Zanzibar. Une ombre de plus dans sa vie. Qu’est-elle allé faire dans ce port ? Vivre un amour secret paraît-elle. Elle s’était entichée d’un jeune Américain, un acteur raté qui s’était embarqué pour une série de représentations dans les tranchées. Il distrayait les soldats mais a été touché à la tête. Il a été évacué avec un régiment de zouaves. Comment la destinée a-t-elle pu faire croiser le chemin tortueux de Ludivine ? Cela me dépasse.

Elle a voyagé beaucoup. Elle a trois passeports : un français, un mexicain et un allemand.

Ceci lui permet de disparaître facilement.

 

Elle jeta un coup d’œil vague par la vitrine. Et soudain aussi inattendu et aussi étonnant que la foudre, elle reconnut une silhouette familière, mince élancée vêtue de noir, d’une démarche aussi légère qu’un papillon. Le même rayonnement que sur le Baalder l’entourait. Une voilette dépassant d’un bibi lui cachait son visage maquillé mais il n’y avait aucun doute, c’était elle : Maria-Dolorès Gonçalvès ! Suzanne la contempla avec une sorte d’ébahissement fascinée par sa démarche de reine.

Il lui vient une idée folle en tête mais qu’elle n’eut guère le temps d’y réfléchir. Sous le regard stupéfait des deux hommes, elle abandonna les lieux pour suivre la jeune Mexicaine qui marchait d’un bon pas. La jeune femme devait fournir des efforts inexplicables pour ne la perdre de vue au milieu de la foule animée qui hantait la rue vaquant à des occupations diverses et inconnues. Elle supposait qu’elle se dirigeait vers le centre ville alors qu’elles abordaient toutes deux les quais de la Tamise traversant Towerbridge sans admirer Big ben qui sonnait la demie. L’attitude de la jeune femme était détachée comme si elle se promenait le long du fleuve n’ayant d’autres soucis que de jeter de vagues coups d’œil dans l’eau. En descendant du pont, elle ralentit l’allure ce qui permit à la jeune actrice de souffler un peu.

 

Les deux hommes décontenancés par l’attitude de la jeune femme se levèrent d’un même élan et ayant payé l’addition s’empressèrent de suivre Suzanne sans se faire remarquer ce qui était assez délicat attendu qu’ils étaient deux et que la jeune femme marchait lentement en claudicant péniblement. Jameson eut tôt fait de repérer l’objet de la poursuite : Maria-Dolorès !

Il expliqua en peu de mots qu’il tenait suspecte cette jeune femme voyageant avec un passeport mexicain seule de surcroît.

Il avait câblé à l’ambassade du Mexique pour savoir si une compatriote appelée Maria-Dolorès Gonçalvès existait bel et bien et avait obtenu une réponse positive. Mais cela ne signifiait rien. La vraie jeune femme pouvait très bien être confinée au Mexique tandis qu’une aventurière usurpait son identité pour commettre toutes sortes d’exploits malhonnêtes.

_ Vous ne suggérez pas que cette femme qui a une allure si vulgaire pouvait être ma cousine ! Se récria Archibald en tournant un regard courroucé vers le jeune agent du M15.

Le jeune homme le tranquillisa. Cette femme était suspecte au plus haut point et impliquée sans aucun doute dans le meurtre de Wallace. De là à penser qu’il s’agissait de Candy Neige André.

_ Ma cousine ne commettrait jamais du tort à personne. Elle a toujours contribué à faire le bien autour d’elle.

Il la revoyait encore avec ses grands yeux verts fixaient sur lui. Ses grands yeux reflétant une tristesse infinie ! Assise sur la haute branche d’un arbre, il revivait sans cesse la veille de sa disparition. Elle pensait sans doute à Terrence ne pouvant se guérir de cette maladie d’amour qui lui empoisonnait l’existence et chassait sa joie de vivre.

_ Elle si optimiste ! Elle était devenue mélancolique et si triste. Je ne m’arrive pas à imaginer un seul instant qu’elle ait disparu comme ça, qu’elle ait délibérément choisi de s’engager dans l’armée, elle qui aimait tant la vie. Si cette piste est bonne, je n’ose imaginer ce qu’elle a vécu, les tranchées, l’enfer, les éclopés…

Il s’interrompit quand Suzanne sans doute fatiguée heurta un homme courtaud tiré à quatre épingles moustachu et qui jouait avec sa canne à pommeau d’or. Elle eut la présence d’esprit de se raccrocher à son plastron pour ne pas tomber. L’homme s’en offusqua gêné par ce geste qui lui paraissait bien familier de la part d’une inconnue. Sa mauvaise humeur bien visible lui masquait le fait qu’elle soit handicapée. Il avait frôlé le coup de sang et non sans lui jeter quelques paroles bien senties, lui fit remarquer de faire preuve d’un peu plus d’attention.

Suzanne accusa le coup devenue aussi pâle qu’un fantôme préférant ignorer la semonce pour se concentrer sur son but.

Elle s’en trouva bien car la mince silhouette vêtue de noir descendait les escaliers de pierre qui menaient au bord de la Tamise. La jeune femme tourna de manière impolie le dos au passant encore rougeaud lui-même dépassé par deux hommes en costume qui pressaient le pas pour ne perdre de vue la jeune actrice. Mais elle se contenta de la suivre des yeux préférant longer le pont tout en se penchant sur le parapet.

A présent Maria-Dolorès pressait le pas guidée par un désir impérieux de se débarrasser d’éventuels poursuivants. Suzanne souffrait de plus en plus de sa jambe valide qui supportait tout le poids de son corps et elle s’agrippa à la rugosité des pierres du parapet pour continuer sa course.

Un pêcheur assis sur un pliant sifflotait un air inconnu en attendant qu’un poisson mordît sur le quai. La Mexicaine s’arrêta pour observer la scène stoppant nette sa marche effrénée elle qui jusqu’à présent se montrait indifférente au paysage prenait son temps pour admirer les lieux, suivant le rapide passage du courant charriant une eau sale et verdâtre.

Fascinée par les lentes oscillations du flotteur, elle le suivait du regard.

L’homme était silencieux ignorant la nouvelle venue.

_ Beau temps ! N’est-ce pas ! Dit-elle sans l’ombre d’un accent.

_ Pas plus qu’hier ! Lui répondit l’homme sans se retourner.

_ Les feuilles vont bientôt tomber, ajouta-t-elle d’une voix claire aux intonations bien américaines.

Puis d’un geste anodin, elle sortit sa main droite de sa poche et elle jeta un cylindre de caoutchouc dans le fleuve.

Enfin, elle se détourna du cours d’eau, et remonta prestement les escaliers tandis que le pêcheur avec son épuisette récupérait le cylindre de caoutchouc pour le placer dans sa poche.

Suzanne hésita reconnaissant à s’y méprendre la silhouette courtaude du marin de Southampton ayant fait scandale dans le bureau maritime. Elle se demandait ce qui elle devait suivre. Mais elle était bien décidée à comprendre le fin mot de l’histoire et elle continua à emprunter le pas à la belle Mexicaine d’abord pour se persuader que ce ne pouvait être la jeune fille généreuse et bonne qui avait sacrifié son amour pour elle ensuite pour comprendre ce qu’elle manigançait.

Quelques minutes plus tard, toutes les deux pénétraient dans le quartier populaire de Soho. Ici point de regard chaleureux, ni de sourire radieux d’enfants dévalant les rues comme des moineaux mais des mines renfrognées de quelques passants vêtues de couleurs sombres la dévisageant de sous leurs casquettes.

Suzanne trouvait cet endroit sordide avec ses maisons borgnes aux façades noircies dues aux cheminées de charbon qui crachaient leur fumée épaisse et noire. Par les fenêtres, des regards hostiles sur des faces racornies observaient la pauvre handicapée avec des grands yeux. Des enfants sur le pas de la porte, les sourcils froncés, visages noircis aussi noirs que leurs vêtements rapiécés qu’ils portaient grimaçaient à la vue des deux jeunes filles.

Une odeur de choux bouilli mêlée à celle plus acide des déchets en décomposition dans les égouts montait au nez de la jeune actrice lui piquant les yeux.

Maria-Dolorés nullement affectée par ce décor sale et puant continuait sa marche vers un but déterminé. Sa suiveuse commençait à se fatiguer de marcher sur des pavés glissants.

Brusquement, comme surgissant de l’enfer, une voiture noire s’avança à la hauteur de la noble mexicaine ralentissant jusqu’à rouler au pas à hauteur de la jeune femme. De sa main droite gantée, elle glissa par la fenêtre entrouverte dont on devinait un intérieur capitonné de noir et un individu indéterminé, un deuxième cylindre de caoutchouc.

Suzanne resta bouche-bée quelques mètres en arrière. Tout ceci ressemblait à un deuxième rendez-vous secret. Alors que contenaient ces deux cylindres ? A qui étaient-ils destinés ?

Quand ce fut chose faite, la voiture noire disparut dans le brouillard qui montait à présent par nappes.

La jeune actrice frappée par un trop plein d’émotion le cœur comprimé dans un étau dut se rattraper à un des murs extérieurs couverts de moisissures. Ca ne pouvait être Candy ! Pourtant sur le bateau, elle était sûre de l’avoir reconnue, et Terrence aussi puisqu’il avait pris le risque de déclamer la tirade de Roméo vers elle. Elle ne savait plus où elle en était. Si c’était le cas, la jeune infirmière au cœur généreux avait bien changé fréquentant des gens douteux, menant une vie aventureuse et plutôt dangereuse. Elle se rappela les deux individus suspects sur le Baalder sur le pont supérieur qui avaient aussi reconnu Candy en regardant les retardaires embarqués. Ils parlaient sans aucun doute de Maria-Dolorès.

Les deux hommes qui n’avaient pas assisté au premier rendez-vous restèrent cloués par la surprise à la vue de la courte scène de la voiture noire. Au départ de celle-ci, Jameson avait poussé le jeune homme riche dans une encoignure pour ne pas être remarqué par la jeune Mexicaine qui devait sans doute faire partie d’une bande.

_ Elle est bel et bien suspecte ! Souffla le jeune agent du service secret anglais.

_ Incroyable ! Mais elle ne peut être Candy ! Jamais elle ne commettrait un acte malhonnête.

_ Je me demande ce que pouvait contenir le cylindre ? Murmura son compagnon en ne perdant pas de vue les deux femmes sentant l’hostilité grandir chez les passants considérant celles-ci comme des intruses.

Maria-Dolorés se dirigea droit vers une porte entrouverte ouvrant dans un long couloir qui menait vers une arrière-cour cernée par des hauts murs soulevant le bas de sa robe de soie noire.

Soudain elle se sentit appelée par une voix douce presque timide comme celle d’une Ophélie sous le point de se noyer.

_ Candy ! Vous êtes bien Candy ? N’est-ce pas ? L’interpella Suzanne boitillant jusqu’à sa hauteur.

La jeune femme interdite se retourna d’un coup brusque, le regard étincelant dans ses yeux verts, une haine fiévreuse passa en un éclair. Un mauvais rictus déformait sa physionomie parfaite.

_ Espionne ! Lâcha-t-elle avant de s’engouffrer par la porte entrouverte et de disparaître dans l’obscurité de cette maison borgne surveillée par deux grands gaillards à la mine renfrognée croisant les bras en signe d’hostilité et dévisageant la nouvelle venue le visage fermé.

Des jeunes gens sortis de tous les endroits engloutis dans le brouillard se massèrent autour de la jeune femme alléchés par la perspective d’une bagarre.

Jameson, sentant le danger, surgit de la porte cochère en compagnie d’Archibald.

_ Excusez-moi Messieurs ! Je voudrais entrer, demanda-t-elle d’une voix timide.

_ Vous n’avez rien à y faire ici ! Déguerpissez ! Menaça un des deux hommes d’une voix sifflante.

_ Cette demoiselle désire pénétrer dans ce magnifique endroit pourquoi ne lui obéissez-vous pas ? Demanda la voix gouailleuse du jeune agent en défiant du regard le malabar bavard.

La jeune femme poussa un soupir de soulagement à la vue de ses deux sauveurs venus en renfort. Telle quelle au milieu de ce décor sombre, elle ressemblait plus que jamais à une Ophélie.

Pour Matthew, elle était l’incarnation de la femme à la fois belle et fragile, discrète mais courageuse prête à affronter mille et un dangers pour arriver à ses fins.

Il jouait à ses yeux le rôle du chevalier servant et cela n’était pas pour le déplaire. Une idée un peu folle lui vint, l’idée de l’épouser une fois cette affaire résolue, lui offrir la vie d’une jeune femme calme et bourgeoise bien à l’abri dans un appartement douillet à Londres. Mais serait-elle prête à abandonner le métier d’actrice pour accepter cette vie tranquille mais monotone ?

Il appréciait qu’elle se tînt en retrait lui laissant le soin de régler cette histoire.

_ De quel droit vous voulez entrer ? l’interpella celui qui semblait être le chef.

_ Nous souhaiterions parler à une amie Maria-Dolorès Gonçalvès ! Continua Jameson sous le même ton joyeux mais insidieusement il se rapprochait des deux gardiens.

_ Il n’y a personne de ce nom là ici ? Cassez-vous on vous a assez vus !

Des ricanements se firent entendre de la foule. La jeune actrice lançait des regards effrayés aux passants groupés autour des trois proies faciles.

_ Vous vous trompez ! Je viens tout juste de la voir entrer !

_ Puisque on vous dit qu’il n’y a personne de ce nom-là ! Répéta le malabar en fronçant les sourcils et montrant légèrement ses dents cariées en soulevant sa lèvre supérieure comme pour mordre.

Mais Jameson fit comprendre clairement qu’il était prêt à aller jusqu’au bout et s’avança encore plus jusqu’à se trouver à hauteur du gorille gardien de l’immeuble avec un de ses semblables.

_ Vas-y Tony ! Fais-lui la leçon à ce bourge ! Cria une des voix anonymes et des quolibets suivirent à l'encontre du jeune agent. Archibald peu partisan de la bagarre contrairement à son frère défunt n’entendait pas rester inactif et retira sa veste prêt à cogner.

Soudain un coup de sifflet venant de la rue fit disperser les passants à une vitesse phénoménale. En un instant, il ne resta plus que tous les trois abasourdis heureux de s’en sortir indemne. Mais la porte s’était définitivement refermée sur eux.

Surgissant du brouillard avec cet air malicieux qui lui semblait propre à lui, M. Chaumont détective de son état arborait une mine réjouie tout en faisant mine de souffler dans un sifflet qu’il tenait à la main.

 

A suivre...

 

FIN DU CHAPITRE 7

© Lachesis - novembre 2003