QUAND TOUT FINIT...
par Lachesis

CHAPITRE IV

_ Annie ! chérie !

_ Oui Archie ! répondit sa femme de la salle de bain tandis qu’assis sur le lit, il ajustait sa cravate de soie tout en se regardant dans la psyché qui lui renvoyait l’image d’un jeune homme soucieux. Sa cabine, luxueusement équipée et décorée de hêtre massif, ressemblait à celle de sa femme qu’il pouvait gagner en passant par la salle de bain en commun.

_Tu sais qui j’ai remarqué hier sur le pont.

_Non …répondit la voix un peu atténuée de sa femme.

_ Une vieille connaissance…Terrence Grandchester !

Annie, de surprise, faillit lâcher la boîte de poudre dont elle se servait pour maquiller son visage et masquer son teint pâle. D’un bond, elle se rejoignit son mari.

_ Terrence ! Non, tu veux dire Terry !

_ En personne ! Décidément, ce voyage est celui des rencontres. Eliza, notre vieille cousine milliardaire et maintenant Terrence.

_ Oui du reste, ajouta-t-il, il ne m’a pas vu. Il semblait rêver.

Annie, ravissante dans sa robe vert bronze, ses cheveux sagement ramenés en bandeaux s’assit sur le bord du lit.

_Terrence, répéta-t-elle n’osant croire à cette nouvelle. Sur ce bateau ! Il recherche Candy comme nous, peut-être !

_Non ! Je ne le crois pas ! Il n’est pas seul ! Sa fiancée est là aussi ! Suzanne !

_Suzanne Marlowe !

_Oui ! elle dînait tous les soirs avec la troupe théâtrale de Stratfford. Tous se rendent en Europe où ils vont donner une série de représentations.

Annie glissa la main dans celle de son mari.

_Faudrait-il le mettre au courant de la disparition de Candy ?

Archibald fronça les sourcils. Sans vraiment s’expliquer ou du moins sans l’avouer ouvertement, il gardait rancune à Terry d’avoir su gagner le cœur de la jeune Candy. Taisant sa jalousie au plus profond de son cœur, l’amour secret qu’il lui vouait s’était transformé en une amitié fraternelle emplie de tendresse. Jouant les protecteurs, Archibald n’avait jamais pardonné à cet acteur d’avoir fait souffrir Candy. De plus, il le tenait pour responsable de la disparition de la jeune fille en annonçant ses fiançailles.

Mais, visiblement, depuis cinq ans, Terrence ne souhaitait pas faire évoluer les choses. Est-ce que cela signifiait qu’il n’arrivait pas oublier Candy ? Archibald en doutait.

_ Il l’aime toujours ! J’en suis persuadée. Ils s’aiment d’un amour puissant qu’aucun obstacle ne peut arrêter. Terrence en souffre. Dans tous les magazines, on dit qu’il aime quelqu’un en secret.

_Il ne la mérite pas ! dit Archibald d’une voix méprisante. Après tout ce qu’elle a subi, elle avait droit au bonheur avec un homme mais pas avec cet aristocrate capricieux ! Elle a tant souffert. Battue par les Legrand, la mort d’Anthony puis Suzanne. C’était trop ! Elle avait beau se montrer forte, la carapace s’est fissurée et toutes les peines sont remontées à la surface. La coupe a été pleine et elle s’est enfuie.

_ Sans songer à nous ! ses amis ! à moi sa sœur ! à Albert qui l’aime tant ! à Tom, à Mme Pony et Sœur Maria qui prient tous les jours, se plaignit Annie les larmes aux yeux.

_ Quand Capucine est née, j’aurais tant désiré qu’elle fut à mes côtés. Cela ne lui ressemble pas qu’elle ne donne plus signe de vie.

Archibald haussa les épaules.

_ Justement ! peut-être s’est-elle dit qu’il serait temps qu’elle vive pour elle-même en recommençant ailleurs.

Annie secoua la tête.

Non, je ne le pense pas. Je veux bien admettre que connaissant sa grande générosité, elle se soit engagée comme infirmière sur le front. Mais la guerre est finie, et s’il ne lui est pas arrivé malheur, elle aurait dû donner de ses nouvelles. Si elle ne l’a pas fait c’est que … c’est que …

Des larmes coulaient sur ses joues d’albâtre et elle n’osait poursuivre sa phrase.

_Non pas ça ! Je t’interdis de le penser. Elle est vivante ! Tu entends vivante !

C’était encore une belle journée qui s’annonçait même si les passagers se préoccupaient plus de leur sécurité que du beau temps. De petits nuages blancs légers comme des voiles passaient sans s’attarder dans le ciel bleu azur. Quelques passagers, insouciants, prenaient des bains de soleil. Les conversations allaient bon train sur l’agression de la femme du milliardaire Wallace. Ce dernier offrait une forte récompense sur celui ou celle qui mettrait la main sur les agresseurs ou apporterait le moindre indice sur eux.

Il arpentait la promenade de long en large en compagnie du commissaire du bord spécialement engagé pour assurer sa protection. Pâle, l’air agité, l’homme ruminait de sombres pensées songeant à sa dernière acquisition soigneusement cachée par ses soins. Les agresseurs qui en voulaient probablement à son plan étaient bien naïfs d’avoir attaqué sa femme.

Celle-ci, après deux jours à l’infirmerie du bord en soins intensifs, était suffisamment remise pour prendre le frais sur le pont. Les traits tirés, les yeux ternes, elle cachait l’énorme bosse qui ornait son front d’un large chapeau à plumes assorti à sa tenue.

Aidée de sa femme de chambre, Greta, elle s’installa au bar qui donnait vu sur le pont promenade.

A son apparition, toutes les conversations s’étaient tues. Et, chacun de la dévisager comme un phénomène de foire ! Mary Debenhan n’écoutant que son bon cœur, repoussa la toque qui seyait sur la tête et, rompant le silence pesant qui s’était installé dans la pièce s’approcha de la jeune femme.

_ Mme Wallace, nous sommes ravis de voir que vous allez mieux !

Eliza dévisagea cette grosse dame au visage rond qui disparaissait sous des masses de cheveux châtains et bouclés.

_ Ah ! merci ! lui répondit-elle d’une voix pâteuse.

En émergeant du puits noir dans lequel elle s’était enfoncée, la jeune fille n’avait pas encore compris ce qui s’était passé.

Son mari s’était montré aux petits soins avec elle, pressant le docteur du bord. Ce dernier se voulait rassurant. Sa patiente, de constitution solide, se remettrait assez vite du choc. Quant à sa mémoire, il ne garantissait pas qu’elle recouvrerait toutes ses facultés.

Léo lui avait gentiment tapoté la main de manière familière et rassurante. en lui expliquant qu’elle avait eu un accident mais rien de grave.

Rassurée mais ne sachant guère où elle se trouvait, Eliza avait plongé dans un sommeil réparateur. Elle avait oublié le bateau, son mariage et tous les souvenirs de ses dix dernières années disparaissaient dans le brouillard.

Elle était retournée à Lakewood dans sa petite chambre aux meubles cirés, décorée de poupées de porcelaine qui l’observaient de leur regard fixe. Cela sentait la lavande. Sa mère avait placé un sachet sur la commode de bois blanc et l’odeur s’était répandue dans la pièce. Longtemps, le sommeil l’avait gagné. Même le tic tac de la grande horloge dans le couloir n’arrivait pas à la distraire.

Il régnait un silence inquiétant. On n’entendait aucun son de l’extérieur pas même le pas feutré de la femme de chambre faisant le va-et-vient de sa chambre dans le couloir. Un coup d’œil à sa pendule lui indiqua qu’il était dix heures. Normalement, sa mère aurait dû l’appeler pour prendre le petit déjeuner. Pourquoi personne n’était venu ? Elle se sentit glacé au plus profond d’elle-même. Elle se souleva d’un coude. A travers les volets clos, elle devinait le grand marronnier en face de la fenêtre dont les branches dépouillées de l’automne s’agitaient au vent. Ce silence était vraiment anormal.

Elle s’habilla prestement pressentant un malheur. Le grand escalier qui menait au Grand salon ne lui était jamais paru aussi haut. Elle le dévala quatre à quatre et atterrit dans la pièce rouge, échevelée, les jambes tremblantes d’émotion.

Ils étaient tous là, habillés de noir, un mouchoir enfoui sur le visage. Toute la famille, l’oncle Brown, la grande Tante Elroy, Archibald, Alistair, leurs parents et les siens qui enserraient Daniel. Tous réunis autour du fauteuil où régnait le chef de famille sanglotant de rage et de désespoir.

_ Tout ceci est ma faute ! J’aurai dû m’opposer à l’adoption de cette gueuse ramassée dans le ruisseau. Cette fête n’aurait jamais eu lieu et Anthony…Anthony serait encore parmi nous.

_Anthony !

Sa mère remarqua enfin sa présence.

_Eliza ! c’est affreux ! Ca a été un tel choc que tu t’es évanouie ma chérie !

Quelque chose s’était cassée en elle. Anthony mort ! Mort ! Celui lui parut grotesque. Anthony et mort ces deux mots n’allaient guère ensemble. Pas Anthony ! La pureté incarnée. Sa beauté rare rayonnait dans le cœur de tous ceux qui le croisaient.

_ Vous mentez ! hurla-t-elle repoussant sa mère qui tentait de l’enlacer. Pas Anthony ! pas Anthony !

_ C’est à cause de Candy ! répondit la Grande tante Elroy se redressant de toute sa hauteur. Le Bon Dieu nous a punis d’avoir introduit cette Jézabel dans notre famille. Le châtiment s’est abattu sur nous.

Son visage prit une expression terrible, fermé comme un juge prononçant sa sentence.

Un grand vent s’engouffra dans la pièce fermée et sans qu’elle sut pourquoi Eliza se retrouva dans le parc qui jouxtait Lakewood. Errant sur une allée cavalière, elle portait sa tenue d’amazone rouge et marchait à la recherche de son cheval qui avait dû s’échapper. Un étrange silence régnait rompu par le coassement de quelques corbeaux perchés sur les arbres dénudés. Une légère brume flottait dans les airs épaississant l’atmosphère.

Soudain le bruit familier d’un galop de cheval se fit entendre. L’allée formait un coude, il lui était impossible d’apercevoir le cavalier qui filait à toute allure.

Le cœur battant, elle se prit à espérer. Anthony ! Oui ce ne pouvait être que lui. Il était vivant ! Il venait la rejoindre sur son cheval noir aussi puissant que l’enfer et aussi ténébreux que la nuit. La brume qui noyait le paysage dans une réalité parallèle s’épaissit autour d’elle et les arbres devinrent de grandes ombres noires. Elle courait ivre de joie à sa rencontre.

Brutalement un énorme cheval noir aux naseaux soufflants surgit du brouillard. L’animal à la musculature puissante, au regard mauvais qu’on sentait piaffant d’impatience stoppa net devant la jeune fille.

Interdite, elle leva la tête.

Sa cavalière, une jeune fille au teint pâle, la dévisageait de ses yeux verts. Ses cheveux blonds bouclés retombaient sur ses épaules à peine tenus par la bombe qu’elle portait. Sa tenue était complétait par une amazone verte et beige serrée par des boutons dorés qui montaient à sa poitrine.

_ Candy ! hurla Eliza stupéfaite.

L’interpellée eut un rire moqueur qui fit envoler une nuée de corbeaux aux yeux rouges qui assistaient à la scène perchés sur les hautes branches des arbres.

_ Qu’as-tu fait d’Anthony ? Tu l’as tuée. Tout est ta faute ! Tu entends. Tu savais qu’il m’aimait alors tu as tout manigancé pour qu’on soit séparé, l’accusa-t-elle tendant un doigt vengeur vers la jeune fille blonde au sourire moqueur qui allait en s’accentuant.

Le cheval comme pour défendre sa maîtresse hennit sauvagement ce qui fit reculer Eliza.

Candy ne répondit rien continuant à dévisager son ancienne tortionnaire qui échevelée, les yeux rougis ressemblait à une folle.

_ Sinon, pourquoi l’as-tu tuée ? Pourquoi ?

Alors la jeune fille adoptive de l’oncle William que personne ne connaissait dans cette famille à part la tante Elroy se pencha vers la rousse jeune fille et lui murmura :

" Ira furor brevis est "1

Puis tournant bride à sa monture, elle piqua des éperons et disparut noyée dans la brume.

Eliza en resta bouche bée, ignorant que la jeune fille sut parler latin. Et ce n’était pas tout, son air tranquille, son sourire ironique, elle avait senti sa supériorité rien qu’à la manière dont elle guidait cet animal fougueux à la crinière luisante de sueur.

N’était-elle donc pas affectée par la mort d’Anthony ? Elle n’avait, par conséquent, pas de cœur. Non c’était une ingrate ! un cœur de pierre plus dure qu’elle-même. Il fallait qu’elle le dise à tout le monde.

Elle se mit à rire, sauvagement, heureuse d’avoir trouvé la preuve qu’elle cherchait pour montrer à ces deux nigauds de cousins : Alistair et Archibald quel être machiavélique se cachait derrière leur petite protégée.

Greta tendit une main glacée sur le front fiévreux de sa maîtresse qui s’était retournée sur le lit. Entre deux crises d’hallucinations, la jeune femme de chambre d’origine suédoise avait bien du mal à prendre quelques repos. Les cris de madame répétant " Anthony ! Anthony ! " ou alors " Candy ! je te hais " la réveillaient sans cesse.

Ses yeux petits et enfoncés dans les orbites n’étaient après deux nuits de veille que deux fentes. Son profil de mouton s’allongeait encore sous l’effet de la fatigue. Le docteur lui avait enjoint de se reposer. Mais, Greta, bien qu’elle n’éprouvât aucune sympathie particulière pour sa maîtresse avait cette fidélité de caniche qui faisait d’elle une domestique modèle. Le patricien s’étonnait d’un tel dévouement de la part de cette jeune fille au visage ingrat soumis aux caprices d’une femme fantasque et sans cœur. Elle ne semblait parler à personne si ce n’est une fois la surprit-il avec ces deux femmes qu’on prenait pour deux mormonnes et qui vêtues de noir déambulaient sur le pont en psalmodiant des phrases indistinctes.

Croisant dans le couloir les trois femmes qui discutaient à voix basse, il saisit une phrase qui l’étonna beaucoup et à laquelle il devait penser à la suite.

_ Ma maîtresse ne sait rien des activités de son mari. Il est inutile de s’intéresser à elle, déclara Greta qui les yeux brillants, les joues rouges ne paraissait plus la petite femme chambre pâlote dont personne ne remarquait la présence.

Le docteur oublia la scène préoccupé par l’état de sa malade.

Après ces deux crises violentes qui plongèrent Eliza dans les événements les plus importants de sa vie mêlées à des scènes sorties de son imagination, la jeune fille était, enfin, sortie de son état comateux au grand soulagement de son mari ; non qu’il s’inquiétât pour elle, outre mesure, mais cela l’aurait ennuyé pour ses affaires de perdre sa femme à ce moment-là.

Les bandits devaient être à l’affût d’un autre coup et il s’agissait d’ouvrir l’œil.

Eliza demanda un whisky au barman basané qui le lui servit aussitôt.

_ Est-ce raisonnable, ma chère, après ce que vous avez vécu ? souligna la grosse Américaine d’un ton maternel. Le meilleur remède est de se confier à une oreille amie. Tenez, ma tante Paula qui vit dans le New-Jersey… Je vous en ai déjà parlé !…

La dame guettait un coup d’œil approbateur d’Eliza qui, au grand dam de celle-ci, ne vient jamais.

_ Ah ! donc je disais donc que ma tante Paula…

_ Ah ! chérie te voilà ! Je t’ai cherché partout !

Eliza glissa un regard morne sur son mari, qui un sourire éclairant sa face de crapaud s’efforçait de se montrer aimable ce qui ne lui allait guère. Son but était d’empêcher sa femme de boire en publique. Il n’avait pas l’intention de laisser s’étendre ces rumeurs traitant Mme Léo Wallace d’ivrognesse.

Cette dernière haussa les épaules dégoutée de voir de si près celui à qui elle devait honneur et richesse.

La glace derrière le comptoir reflétait son pâle visage creusé par la fatigue. Deux cernes creusaient son regard. Ses cheveux avaient perdu de leur éclat. Soulevant le verre à son visage, elle se dit : " Tching ! ma vieille à ta santé ! ".

Léo émit une grimace qui signifiait qu’un divorce prochain s’ajouterait à son palmarès ! Bah ! peu lui importait ! Il ne manquerait pas de jeune femme de la bonne société aussi naïve que celle-ci prête à devenir l’une des femmes les plus riches des Etats-Unis.

Quittant le bar salon, il réintégra sa cabine où l’attendait le détective privé-ex-inspecteur Chaumont.

Le petit homme au crâne d’œuf tortillait sa moustache noire du bout des doigts.

_ Mr Wallace ! s’inclina-t-il à l’entrée du milliardaire.

_ M. Chaumont ! je n’irai pas par quatre chemins, vous savez que ce n’est guère mon habitude, donc voilà !

Là, le célèbre homme d’affaires à la réputation de fermeté, s’interrompit se demandant s’il devait aller jusqu’au bout :

_ M. Wallace ! je crois que vous ne pouvez plus reculer. Vous en avez déjà trop dit !

_ Oui vous avez sans doute raison !

Se grattant la tête, M. Wallace s’assit sur le lit et commença en ses termes.

_ M. Chaumont, j’ai un ennemi !

_ Un seul !

_ Comment ça un seul !

_ Un homme de votre envergure doit en avoir une bonne dizaine !

_ Ah oui ! sans doute ! quoi qu’il en soit, celui auquel je fais référence est le plus redoutable. Il n’en veut pas seulement à mon argent mais aussi à ma vie.

_ Hum ! cela est sérieux !

_ Très !

Sortant une liasse de papiers de son secrétaire, il les tendit au détective qui les feuilleta avec attention. C’étaient des lettres de menace écrites avec des lettres découpées dans un journal.

"  CREVE ! CHIEN DE WALLACE "

" ON AURA TA PEAU FILS DE P… "

" FAIS TON TESTAMENT ! VIEILLE CANAILLE ! "

_ Le style est enfantin ! Pas de quoi vous effrayer !

_ Hum d’accord ! sauf que … mon secrétaire Johnston, un homme émérite a été renversé par une voiture en sortant de chez lui. On a jamais retrouvé le chauffard.

_ Oui ! c’étaient dans les journaux !

_ Alors je ne vous apprends rien ! De plus, j’ai engagé un détective pour me protéger. On l’a retrouvé pendu chez lui et…maintenant ma femme !

_ Je dois admettre que c’est troublant ! Mais avez-vous une idée du mobile ?

_ Non ! oh disons !…Une vague idée mais je ne peux…enfin, il s’agit peut-être d’une vengeance…une affaire que j’ai réussie à emporter …peut-être un concurrent jaloux de mon succès

_ Mr Wallace ! vous n’êtes pas très honnête avec ce brave Chaumont !Et si vous n’avouez pas ce que vous me cachez je crains de ne pas vous être d’une grande utilité.

Wallace, les mains dans le dos, arpentait la cabine.

_ Oui bon ! Rien ne vous échappe ! Votre réputation n’est pas surfaite ! Je possède un plan !

_ Un plan !

_ Oui ! mais pas n’importe quel plan ! Une mine d’or au sud du fleuve Zambèse à la frontière de la Rhodésie. M. Chaumont ! bien plus d’or que vous ne pourrez l’imaginer !

_ Vraiment ! s’exclama le petit homme, les sourcils dressés en accent circonflexe en signe de perplexité.

Le milliardaire cessa d’arpenter la pièce et s’approchant du petit homme :

" Comment, à votre avis, me vient ma prodigieuse et colossale fortune ? "

Le détective ne sut que répondre.

_ L’or est le moteur de ce monde. Le progrès a beau s’étendre. C’est l’or qui fait tourner le monde, dresse les hommes contre les autres, monte les usines là, où ne poussaient que des champs incultes. C’est l’or qui transforme les Etats-Unis en un grand pays florissant.

Tout jeune déjà, je ne rêvais que de cette matière brillante et dans mes nuits de veille fiévreuse passaient et repassaient quelques lingots voisinants avec des louis.

Je n’avais qu’une idée en déchargeant les colis des bateaux arrimés sur les quais de New-York : partir à bord d’un d’entre eux faire fortune.

C’est ce que je fis comme mousse puis comme quartier-maître. Le hasard de la vie ou peut-être ma bonne étoile me fit faire la connaissance d’un vieux marin au visage cuit et recuit, la barbe poivre et sel, ayant beaucoup voyagé et connaissant toutes sortes d’histoires me narra, un soir, pris de vin l’aventure d’un de ses amis égaré en Afrique du Sud, à la frontière rhodésienne. Egaré au milieu de nulle-part, dans un pays tourmenté, peuplé d’animaux sauvages.

Je le crus à moitié tant il était imbibé d’alcool et je mettais son récit sur le compte d’un délire d’ivrogne. Mon esprit divaguait au loin, je m’attardais sur la description d’une grotte dans laquelle avait atterri son ami.

C’était là dans les entrailles de la terre à l’endroit exact où soufflait un vent de tous les diables qu’il découvrit les pépites scintillantes ; Celles-ci ne lui profitèrent guère car il finit, peu de temps après, assassiné par des voyous à Zanzibar. "

Avant de mourir, il confia à son ami un plan rudimentaire qui indiquait ce lieu.

M. Chaumont l’écoutait sans trop montrer son speticisme naturel. Ex-inspecteur français, il avait entendu des histoires incroyables et qui ressemblaient à celle qu’il entendait en ce moment-même.

" Je ne le crus qu’à moitié. Je le soupçonnais fort d’avoir assassiné son ami pour s’emparer de la carte. Mais caprice du destin ou ironie du sort, le vieux marin ne put jamais voir de ses yeux la grotte tant convoitée.

Ce dernier sentant venir sa fin ou pris de remords, me confia la carte à son tour. Un mois après, je débarquais à Zanzibar, le cœur plein d’espoir mais les poches vides. De fil en aiguilles ou d’aventures en aventures, mes pas me menèrent au bord du Zambèse proche du lieu indiqué sur la carte. Je passe sur les multiples péripéties qui m’emmenèrent à la fameuse grotte. Assoiffé et mort de faim, j’oubliais ces inconvénients car je tenais entre mes doigts la première pierre de ma fortune. "

_ Et c’est cette fameuse carte qui indique l’or …

_ Oui ! les poches pleines d’or, je retournais dans mon pays des projets pleins la tête. Il me fut facile d’acheter usines, chevaux ou mines.

Cette carte, je la conservais précieusement et n’en parlais à personne.

_ Il y a encore de l’or ?

_ Suffisamment pour faire vivre des générations entières sans se soucier du lendemain.

_ Impressionnant ! Mais je ne comprends pas quelqu’un est donc au courant ? Il me semble avoir entendu dire que vous avez tu votre découverte !

_ Je ne sais comment ni d’où est venue la fuite ! mais telle est la terrible vérité ?

_ Quelles preuves avez-vous qu’il s’agit bien de la carte dont votre ennemi veut s’emparer ?

Sans répondre, le terrible Wallace tendit une autre lettre anonyme.

" TON OR RHODESIEN TU NE L’EMBARQUERAS PAS AU PARADIS "

_ Aucun doute là-dessus ! cette lettre indique que votre or est l’objet des attaques de ces derniers mois !

Chaumont dressa les sourcils et tout en tortillant ses moustaches répliqua :

" Mais vous n’avez donc pris aucune précaution ?

_ Si bien sûr ! j’ai engagé un jeune détective Bartlet qui voyage sous le nom de Lorensen négociant en tableaux et objets d’art. Il a pris une cabine à quelques mètres de la mienne. Mais, à l’évidence, il s’est avéré inefficace.

_ Tout à l’heure, vous avez évoqué un ennemi ! comme si vous étiez persuadé qu’il n’y en avait qu’un seul ! D’où vient cette certitude ?

Le milliardaire haussa les épaules.

_ Vous pensiez bien que je ne me suis pas vanté de ma découverte. La carte était bien cachée. Mais, j’eus un jour la désagréable surprise de trouver celle-ci bien en vue sur mon bureau. Celui qui l’avait placé là voulait la dérober. Je pense que dérangé par un bruit quelconque, il a préféré s’éclipser en laissant sa trouvaille derrière lui.

_ Vous soupçonnez quelqu’un en particulier.

Wallace hésita visiblement désireux de ne pas se confier à lui.

_ Hum ! peu lui importe ! Lorensen est à l’évidence débordé. Voulez-vous le seconder ?

Chaumont cligna des paupières furtivement.

_ Dites-moi votre prix ?

_ Vous savez que je suis à la retraite et que si, je m’occupe des affaires c’est par pure distraction . Le danger et l’aventure sont pour moi étrangers.

_ Je vous offre 5 000 dollars.

_ Mais, vous ne comprenez pas, ce n’est pas une question d’argent.

Wallace, surpris, resta un long moment silencieux.

_ Hum ! murmura-t-il Vous allez me laisser tomber après ma confession.

_ Non ! il est évident que l’on vous en veut.

_ Exact !

_ Donc…j’accepte cette mission ! Et permettez-moi d’interroger le détective privé pour discuter avec lui de cette affaire, demanda l’ex-inspecteur.

Après avoir enfoui le chèque de 2 500 $ versés à titre d’acompte, le Français prit congé du milliardaire. Tout en longeant le couloir, il souriait dans sa moustache.

_ Quel idiot ! S’il croit me berner avec son histoire d’or ! Une grotte en Rhodésie n’importe quoi !

Puis prit d’un rire inextinguible, il dut s’arrêter contre le mur pour laisser libre cours à son hilarité.

 

FIN DU CHAPITRE IV

© Lachesis juillet 2001

1 La colère est une courte folie

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