QUAND TOUT FINIT...
par Lachesis

Chapitre UN

Suzanne s’admira une dernière fois dans le miroir de poche richement décoré de perles colorées offert par sa mère et qui la suivait partout. Tant et si bien qu’on disait d’elle, qu’elle n’était qu’une fille coquette, frivole et sans cœur, se préoccupant uniquement de sa beauté.

On en oubliait presque son infirmité : une jambe de bois qu’elle traînait derrière elle. La compassion alors, parfois, se transformait en mépris à cause de son caractère égoïste, d’enfant trop gâtée.

Ce qu’elle soignait le plus, était son visage rond, ses yeux clairs, ses longs cheveux clairs qui retombaient sur ses frêles épaules car c’était tout ce qui lui restait de beau ou du moins d’entier. Son corps, elle le détestait. Il lui rappelait, tous les jours, que quand elle marchait, il lui fallait boiter disgracieusement.

Les toilettes du quai numéro sept étaient emplies de monde. Elle avait dû se frayer un passage entre deux dames pour atteindre un robinet et se rafraîchir le visage empli de sueur.

Il faut dire que la chaleur était intolérable sur le grand hangar du port de New-York.

Un dernier coup d’œil à son miroir la rassura. Sa coiffure, un chignon torsadé attaché à une toque en soie mauve ornée d’une plume n’avait pas trop souffert de la bousculade. Ses joues roses, fait inhabituel chez elle, car son teint se trouvait toujours pâle, ses yeux pétillants démontraient un état d’excitation extrême.

C’est que dans moins d’une heure, elle embarquerait sur le Baalder, un paquebot long de six cents mètres pouvant contenir plus de deux mille passagers qui fendrait l’océan pendant trois semaines en direction de l’Angleterre. La troupe du théâtre Strafford allait donner plusieurs représentations dans la patrie du Shakespeare et jouerait sur les plus grandes scènes‘ : Hamlet, avec Terrence Granshester comme rôle principal.

- Oh ! Terry ! soupira-t-elle à la pensée de ce simple prénom.

Cela faisait déjà cinq ans, à présent, qu’il s’était séparé de Candy, cette jeune femme impétueuse et jolie que Suzanne qualifiait d’aventurière sans qu’elle puisse, à priori, expliquer d’où lui venait ce qualificatif. Peut-être cette idée avait germé dans son esprit à la suite du récit de la vie tumultueuse qu’avait mené cette jeune fille blonde au sourire charmeur, aux yeux verts et pétillants d’intelligence. Tous les malheurs qui avaient frappé sa vie ne lui avait pas ôté sa foi en la nature humaine.

En pensant à elle, son visage prit une expression haineuse qui se refléta sur le miroir posé sur le mur en face d’elle sous un des lavabos flambant neufs. Pendant quelques minutes, elle ne reconnut point cette jeune inconnue dans la glace, à la bouche tordue dans un rictus amer qui déformait son visage aux traits réguliers, au regard froid qui durcissait son regard habituellement si candide.

Cette vision s’effaça aussitôt et Suzanne cligna des yeux. Une dame la bouscula pour se rendre aux lavabos. La jeune fille se secoua comme sortant d’un long rêve. Candy était loin à présent. Elle était sortie de sa vie et jamais elle ne réapparaîtrait sous ses yeux.

Elle quitta la pièce pour se retrouver dans un hall immense, sorte de hangar métallique aux murs gris où des gens de toute nationalité embarquaient docilement sur le paquebot. Ces mêmes gens, ces inconnus, qui pendant, trois semaines, allaient devenir ses compagnons de voyage et dont elle ne savait rien. Londres, Edimbourg, Southampton…Tous ces noms qui la faisaient rêver !

Elle se dirigea vers un groupe disparate de personnes de toute âge qui formait une masse affairée où s’entassaient malles et sacs de diverses formes. Au milieu s’agitait comme une marionnette à fil, un petit homme à moitié chauve, au visage allongé garni d’un nez recourbé comme une aubergine.

- Faites attention ! glapit Mr Strafford, le directeur de la célèbre troupe en invectivant un porteur noir qui vacillait sur le poids d’une malle. Elle contient tous les accessoires de notre spectacle ! précisa-t-il, alors.

Le porteur héla, un de ses collègues et à deux, ils parvinrent à la déplacer sans trop plier les jambes.

- Ne restez pas là ! cria le directeur tout rouge de colère, en s’adressant à une partie de la troupe qui bavardaient à voix basse, sans se soucier des ordres de leur chef.

Daniel Evans, un jeune homme facétieux, au regard malicieux, blond, les cheveux bouclés, de taille moyenne, inspectait les passagers qui embarquaient sur la passerelle en fer. Il espérait apercevoir une jolie jeune fille à qui il tiendrait compagnie pendant ses trois longues semaines. Le directeur, un homme petit, vêtu avec élégance, sa montre à gousset pendant de son gilet, qui s’arrachait le peu de cheveux qui lui restaient sur le crâne, se dirigea vers le jeune homme.

- Enfin Dany ! Ne t’éloigne pas trop !…Et puis avisant Suzanne qui s’approchait du groupe, Et vous Mlle Marlowe…Son ton s’adoucit comme par enchantement et se fit plus charmeur. Un sourire éclaira même son visage.

- Ma p’tite Suzy ! toujours enchantée de partir !

Il faut dire que la jeune fille vêtue de son long manteau de voyage bleu nuit et noir fabriqué à Paris, et qui lui allait à ravir, était si jolie que le directeur du théâtre réputé tyrannique, devenait tout sucre tout miel devant elle.

- Toujours, Mr Strafford ! C’est un honneur que vous m’avez accordé et je vous serai toujours reconnaissante !

- Allons ! Allons ! Le petit homme rougit, s’embarrassa dans les sacs de voyage qui traînaient encore et aurait manqué de s’étaler si un bras d’homme ne l’avait retenu.

- Ah ! Granshester ! Où traînais-tu encore ? s’exclama le directeur en guise de remerciement. Que ce soit le jeune premier ou la simple habilleuse, tout le monde était traité de la même manière. Seule « la p’tit Suzy », comme il aimait à l’appeler, bénéficiait d’un régime de faveur.

Terrence répondit d’un ton où perçait toute l’amertume qu’il portait en lui.

- Nulle-part, il me semble !

Le bel acteur était devenu très populaire dans tous les Etats-Unis. Depuis cinq ans, sa carrière n’avait jamais cessé de grandir, éclipsant tous ses rivaux. La guerre européenne s’était terminée depuis deux ans. On sentait, de partout, un long frémissement, une revanche de la jeunesse sur la mort.

Terrence, avec son air taciturne et fermé, ses déclamations pleines de passions, reflétait les aspirations, les peines et les joies de cette génération sacrifiée à la cause injuste de la folie des hommes. Il était, comme à son habitude, vêtu d’une longue cape noire que cachait un costume de même couleur. Ses longs cheveux noirs retombaient sur ses épaules. Ses yeux bleus ne reflétaient que tristesse et souffrance. Il ne jeta même pas un regard à Suzanne qui, appuyée sur sa béquille, attendait le moment d’embarquer.

La troupe se composait de dix-sept personnes dont les habilleuses, les accessoiristes et le metteur en scène, un original à cheveux longs et gris, qui était d’une distraction proverbiale.

Comme se vantait Mr Strafford lors des dîners mondains auxquels il était convié, sa troupe représentait ce qui se faisait de mieux dans le monde du théâtre. Les acteurs, issus des quatre coins du monde, avaient tous été formés dans les plus grandes écoles. On y remarquait Bertha Simmons, une dame d’une quarantaine d’années, ancienne cantatrice, reconvertie dans le théâtre. Sa beauté s’était flétrie avec l’âge, mais son air hautain fascinait encore les hommes.

Leona Leatberry, une Irlandaise d’origine, jeune actrice, rousse aux longs cheveux bouclés, aux yeux verts brillants comme ceux d’un chat, bavardait avec Stephen Stevenson, ex-jeune premier, qui avec la maturité, avait gagné de la profondeur dans son jeu. Il servait éventuellement de doublure à Terrence.

Daniel Evans n’étalait encore ses talents que dans des rôles secondaires, mais, sa verve sans pareille, lui permettrait, bientôt, de se hisser vers les sommets.

Torry Marsden, Carren Lockeard une brune ambitieuse aux longs cheveux noirs et qui donnait la réplique à Terrence quand Leona jouait un autre rôle, Lester et Richard se partageaient les seconds rôles. Suzanne faisait de même. Son infirmité lui avait barré la route des plus grands personnages, se contentant de celui de confidente.

Le directeur de la troupe frappa dans ses mains pour annoncer l’embarquement. En effet, la colonne des passagers s’ébranlait. Grands et petits, jeunes et moins jeunes s’acheminèrent vers le paquebot dont on apercevait les superstructures à travers les portes du hangar, grandes ouvertes vers le large et l’aventure.

Suzanne s’efforçait de suivre la troupe aidée de sa béquille. Bertha Simmons soulageait la jeune fille en la soutenant de temps en temps.

L’énorme bateau impressionnait par ses dimensions. Face à lui, les humains se sentaient insignifiant. Trois cheminées rouge vif se dressaient vers le ciel immaculé. Le pont supérieur entouré d’une barrière métallique peinte en blanche était couvert de monde. Ceux d’en dessous réservés à une clientèle plus modeste voyait s’entasser un nombre incalculable de familles qui s’efforçaient de se frayer un passage au milieu des caisses et des malles qui s’entassaient sur le passage.

Les acteurs se dirigèrent sans hésiter vers le pont supérieur.

La sirène du bateau résonna lugubrement au milieu des rires et des cris : signe d’une excitation extrême. Les dockers, sur le quai, empli de monde, couraient d’un bout à l’autre du quai, au milieu des badauds qui, le nez en l’air, admiraient la ligne effilée du paquebot, sa structure élégante surchargée de décorations art-déco, composées de feuilles et de fleurs sculptées et peintes.

Certains adressaient des signes aux voyageurs qui agitaient des mouchoirs blancs.

Suzanne, non sans mal, put atteindre une place libre sur le garde-fou du pont supérieur. Les voyageurs s’y accoudaient en masse pour envoyer des adieux et des baisers et parfois des paroles rassurantes à ceux restés en bas.

- Embrasse bien Mary !

- Dites au revoir, Georges enfin ! Tante Eliza s’est déplacée exprès pour ça !

Des paroles fusaient de toutes parts, bribes de vie …

- Au revoir chérie ! Je reviendrai le plus tôt possible !

Suzanne imaginait des histoires, des drames dans ses phrases courtes arrachées par l’émotion du départ.

De toutes les structures du bateau montaient des voix inconnues adressant un ultime message à la terre. Cela formait un brouhaha infernal !

- Tiens ! On dirait Candy ! s’exclama une voix d’homme nasillarde toute proche.

La jeune fille sentit son cœur se fendre en deux, eut un semblant de vertige et dut s’accrocher à la rambarde de métal.

- Ouais tu as raison ! C’est bien cette petite garce ! Que fait-elle ici ?demanda une voix grave avec un léger accent que la jeune fille n’arriva pas à identifier.

- A ton avis ! Pour la même chose que nous !

Les deux hommes se trouvaient à côté de la jeune actrice mais ne lui prêtaient pas la moindre attention, très occupés à observer la passerelle d’embarquement où les retardataires s’entassaient dans le désordre le plus complet. L’un des deux hommes, plutôt grand, portait une gabardine jaune pâle, une écharpe verte lui entourait le bas du visage. L’autre petit et trapu affichait sur sa figure ronde, une bouche tordue dans un rictus sinistre. Tous deux arboraient sur leurs cheveux coupés courts, des casquettes grises à carreaux.

Ils n’inspiraient guère confiance. Suzanne leur trouvait même une tête de bandits. Se désintéressant d’eux, elle se pencha à son tour vers la passerelle. Plusieurs femmes montaient à présent. La première, une petite Américaine, boulotte n’arrêtait pas de bavarder. Elle portait un ridicule chapeau à plumes violettes qui menaçait à tout instant de choir de sa tête. La jeune fille de cette hauteur, ne pouvait saisir ce qu’elle disait mais à voir la figure congestionnée du steward, elle se douta qu’il était pressé de se débarrasser de cette passagère encombrante. Excédé, il remit celle-ci entre les mains d’un collègue malchanceux qui la fit monter sur le pont ménagement.

Puis la deuxième était accompagnée de son mari. Lui, mince, blond, petite moustache surmontant ses lèvres fines, elle brune, les cheveux impeccablement coiffés, et qui reposaient sous une toque de velours petite et seyante.

Suzanne trouvait qu’il formait un couple charmant. Elle négligea ceux qui suivaient : un vieux monsieur élégamment habillé qui donnait le bras à une jeune femme rousse à l’allure vulgaire dont les toilettes de prix n’arrivaient pas à l’embellir. Une jeune demoiselle, une dame de compagnie, vraisemblablement leur emboîtait le pas, l’air terrorisé. Une vieille dame et sa fille âgée d’une vingtaine d’année montèrent à leur tour. Elles portaient toutes deux la même tenue, col rond et chemise et jupe noire.

- Des mormons ! murmura Suzanne qui avait lu un article sur cette secte dans la semaine.

Puis, d’un pas nerveux et vif, dénotant la grande dame, que tous envient et admirent, apparut une jeune dame brune aux longs cheveux noirs. Portant un long manteau rouge assorti à une toque de même couleur posée artistiquement sur le côté droit de la tête, on ne pouvait se douter une seule seconde que cette jeune fille énergique n’appartint au monde snob et mondain que compte toute grande ville Une mantille noire lui cachait le visage. Deux porteurs s’empressaient en courant pour suivre le rythme de la jeune fille qui marchait d’un bon pas. Elle paraissait jeune et pleine de vitalité. Même à travers la violette, on devinait deux yeux verts brillants qui transperçaient du regard ceux qui tombaient dans son champ de vision.

Le steward qui avait expédié la grosse Américaine bavarde lui adressa quelques mots aimables et se hasarda même jusqu’à lui baiser la main droite gantée de noir et couverte de bagues. Puis il s’écarta pour la laisser passer sous le regard admiratif des jeunes gens.

Daniel pas plus que les autres ne la quittait du regard

- Une Espagnole ou une Mexicaine à en juger par ses vêtements ! Ces gens-là ont le sang chaud ! pensa-t-il.

En bas, on criait des ordres pour enlever la lourde passerelle de fer. La sirène sonna une nouvelle fois annonçant le départ.

Daniel s’empressa auprès de l’inconnue. Il lui tendit la main pour éviter qu’elle ne bascule avec le tangage du bateau qui commençait à s’ébranler.

- Gracias, Señor. Mais je n’ai pas besoin d’aide dit celle-ci d’une voix musicale teintée d’un fort accent espagnol. Elle passa sans même daigner lui jeter un regard en laissant derrière elle un parfum acidulé.

- Mazette ! elle ne va pas être simple à séduire ! Daniel se reporta contre la rambarde de fer comme pour trouver un appui solide. L’inconnue s’éloigna rapidement nullement gênée par le roulis du bateau.

Tout dénotait chez elle la richesse et le raffinement. Le long manteau rouge décoré d’hermine, la mantille qui recouvrait le visage, brodée de dentelles fines. Quand elle marchait, la pointe de sa robe se soulevait laissant apercevoir des bottines fines en cuir et rehaussées de boutons dorés. Bientôt, elle se perdit dans la foule suivie de ses deux porteurs malheureux qui accéléraient le pas pour ne pas la perdre des yeux.

Elle croisa Terrence Granshester, qui assis sur un transat, assistait au départ d’un œil indifférent. Toujours taciturne, une partie de ses longs cheveux lui retombaient sur le nez. Il songeait à un autre voyage où sur le pont supérieur d’un paquebot semblable à celui-ci, il avait rencontré une belle jeune fille blonde aux cheveux bouclés, au regard malicieux qui avait bouleversé sa vie.

Le parfum acidulé de la Señora lui fit bien dresser la tête mais il ne vit qu’une mince silhouette passer comme une ombre. Cette dernière ignora l’acteur qui depuis cinq ans, faisait pâmer les jeunes Américaines qui rêvaient au prince charmant. Elle enfila la promenade se frayant un passage entre les voyageurs.

- Mais ! Señora ! C’est bientôt le départ ! lui signala un des porteurs petit qui courait presque en rejoignant la jeune dame.

Elle daigna enfin écouter les supplications de l’employé du translatlantique en le toisant du regard. L’homme devina à travers la voilette, deux yeux verts et brillants qui le transperçaient du regard.

- Précisémentt ! je veux rejoindre ma cabine avant que le couloir ne soit encombré, prononça-t-elle en roulant les « r ».

- Ah ! oui je comprends ! répondit l’employé en se grattant la tête.

Et la course reprit à travers le pont, ralentie par les passagers, qui groupés sur le bastingage, saluaient les Terriens une dernière fois.

Le couple que Suzanne avait remarqué et qu’elle trouvait charmant, se tenait un peu à l’écart de cette ambiance festive. Comme Terrence, ils songeaient tous les deux à des jours meilleurs. Archibald que l’on aurait sans doute du mal à reconnaître en ce riche homme d’affaires spécialisé dans l’importation de vins français avait coupé ses cheveux en brosse à la mode de cette année. Son costume de bonne coupe lui allait à ravir. Un gilet de soie grise rayé et une chemise blanche en dentelles ajoutaient une touche de raffinement dont il n’était jamais arrivé à se débarrasser. Sa femme, Annie, menait une vie tranquille, seule soutien féminin de la grande tante Elroy, après le mariage d’Elisa avec le millardaire Wallace. dispensait mille et un compliments dont la tendre Annie n’était point dupe. La naissance de leur fille, Capucine, l’avait heureusement éloignée de l’emprise de l’ancien chef de famille reléguée au rang de simple douairière après la passation des pouvoirs à William. Ce dernier vivait à Lakewood s’ingéniait à prospérer les biens de la famille André.

Depuis la disparition de Candy, la demeure semblait s’être repliée sur elle-même et ses souvenirs. L’oncle William battait la campagne en proie à une inquiétude qui lui rongeait le cœur. Bien sûr il avait engagé les meilleurs détectives des Etats-Unis pour la retrouver ! Sans succès.

Annie et Archibald avaient célébré leur mariage en songeant aux disparus : Anthony, Alistair, Candy. Ce jour-là, la tante Elroy paraissait plus vieille. Eliza rêvait d’une belle cérémonie pour son mariage. Neels était revenu de Californie où son père l’avait envoyé pour une banale affaire d’escroquerie. Et, puis, le père d’Antony était là aussi. Lui qui avait tant espéré serrer, encore une fois, Candy dans ses bras.

Les parents d’Alistair et Pattia pleuraient le disparu dont le corps reposait parmi les langueurs océanes, quelque part en Europe.

Non ce ne fut pas le moment de réjouissance tant attendues. William le souligna dans un discours plein de lyrisme qui reflétait tout de même l’espoir de Candy.

- Où peut-elle être ? murmura Annie pendant que le bateau s’éloignait du quai.

Si léger que fut le son de sa voix, Archibald la comprit et la serra dans ses bras.

- La piste européenne est la meilleure. Candy a dû se porter infirmière volontaire pour le front en Europe. C’est la seule explication possible.

- Mais pourquoi ? Pourquoi n’a-t-elle rien dit ? Ne nous a-t-elle jamais écrit ?Nous sommes ses amis.

A ce moment-là, la belle Sud-Américaine croisa le couple laissant derrière elle le même sillage acidulé. Annie lui jeta un vague coup d’œil .

- Oh ! Archie ! soupira-t-elle.

Le long bâtiment glissait lentement le long du quai sous les yeux indifférents des dockers. La ville de New-York ne le retenait plus. Il s’élançait à l’assaut de la haute mer. Bientôt, elle disparaîtrait de la vue derrière une ligne d’horizon immuable.

Une angoisse latente étreignit Suzanne toujours appuyée sur la rambarde. Elle eut une dernière vision de la terre, des hangars sales rongés par la houille, des vitres brisées dans lequel le soleil se reflétait.

New-York s’éloignait de plus en plus. Déjà, l’odeur salée montait des profondeurs.

- Suzanne

Une voix lointaine l’appela.

Les passagers avaient tous regagné leur cabine se désintéressant du spectacle de la mer d’huile qui entourait le bateau. La jeune fille était restée seule accoudée à la rambarde désertée.

Elle se retourna enfin, s’arrachant difficilement à l’immense paysage vide de tout obstacle qui serait présent pendant trois semaines.

La Señora, débarrassée de son manteau de voyage exhibait une ravissante robe de cocktail violette. Un col en v laissait deviner ses épaules minces et bronzées. Ses longs cheveux noirs étaient dressés en un chignon gracieux. Un collier de perles blanches et nacrées mettait en valeur son cou gracile.

Déjà, des admirateurs batifolaient autour d’elle. Elle se tenait près du bar et faisait tinter les glaçons de son bourbon tout en les écoutant d’une oreille distraite. Quand Suzanne passa près d'elle, les deux jeunes femmes se dévisagèrent, et la jeune actrice en plongeant dans les yeux vert clair de l’inconnue crut y lire du mépris.

FIN DU CHAPITRE UN

© Lachesis janvier 2001