TOYS IN THE ATTIC*
(*Des jouets dans le grenier)
par Hika le Chat

CHAPITRE 4  
After the storm (Après l'orage)

                Le calme était revenu à l’immeuble de la rue Dante mais les locataires passaient tous avec des regards intrigués devant la chambre 302 . Il avait été si violent la veille et maintenant on ne l’entendait plus . Certains se demandaient s’il était encore là, d’autre voyaient la chose un peu plus sombre ...

Mme Turner écoutait amusée tout ce qui pouvait se dire sur M.Granchester . Personne n’avait jamais vraiment discuté avec lui, la plupart du temps il n’était pas là car il était en tournée ou répétait, de plus il semblait avoir horreur du monde . C’était un solitaire . En plus de son travail il y avait aussi sa fiancée chez qui il passait beaucoup de temps, mais maintenant ces visites n’avaient plus lieu d’être . Mme Turner avait compris la fureur de son locataire en lisant les journaux de ce matin . Melle Marlow, la fiancée de Terrence Granchester, était morte . Selon l’article, cela avait été très pénible pour elle et ses proches . ‘Pauvre jeune homme’ pensa t’elle .

Elle sortit de ses pensées quand on vint frapper à sa porte .

« Entrez ! »

« Mme Turner ... » Terrence venait d’entrer dans la loge de la femme . Il était bien habillé, sentait le savon et avait les cheveux attachés en catogan . Les cernes de fatigue commençaient à se retirer de son doux visage mais ses traits restaient tendus .

« Que puis-je pour vous M.Granchester ? »

« Je venais vous remercier pour hier, c’était vraiment très important que ce télégramme soit envoyé . »

« Tout le plaisir était pour moi . »

« Je sors, auriez-vous besoin de quelque chose ? »

« Non merci . A tout à l’heure . »

« Oui ... à tout à l’heure . »

Et il s’en alla les mains dans les poches s’aérer un peu l’esprit . Le quartier de Broadway grouillait autour de lui mais il n’y prêtait pas attention . Ses pensées étaient loin de là, vers une époque révolue et qu’il aurait par dessus tout voulu retrouver . Que faisait-elle en ce moment sa petite tache de rousseur favorite, comment avait-elle réagit à son message ?  Autant de questions qui venaient hanter l’esprit de Terry . Il avait consacré quatre années de sa vie à Suzanne et il lui aurait donné le reste de sa vie si elle avait été encore de ce monde mais elle n’était plus là . Mme Marlow lui avait clairement annoncé qu’il était libre de ses engagements maintenant et que c’était ce que sa défunte fille aurait souhaité, qu’il retrouve celle de qui Suzanne l’avait éloigné . Sous le coup de sa mort, Terry n’avait rien ressenti, ça avait été un vide, comme si demain il allait la revoir, puis quand la réalité était revenue, il était entré dans une colère noire et violente . Pendant une semaine il s’était enfermé et avait tout brisé . Tous son venin n’avait été libéré que la veille dans ce bout de papier insignifiant mais qui allait le sauver . Maintenant il ne se retrouvait plus qu’avec toute la mélancolie de la perte d’un être cher, car il avait appris à l’aimer d’une certaine façon, et toutes les larmes de son corps qui semblaient couler sans qu’il puisse les freiner . Il n’attendait plus que sa réponse qui semblait mettre des années à arriver alors qu’elle n’avait du recevoir le message qu’aujourd’hui .

‘Quel fou !’ se dit-il, ‘Pourquoi se préoccuperait-elle de toi après tout ce que tu lui as fait .’

                Candy qui avait été choquée par l’annonce de la mort de Suzanne l’était encore plus par le télégramme de Terry, il était excessivement court mais les mots frappaient là où ça faisait mal . Terrence Granchester, le seul homme de sa vie souffrait et avait besoin d’elle, c’en était trop, elle ne pouvait rester inactive . Elle secoua la tête et essuya ses sanglots puis se tourna vers Albert .

« Grand frère je ... » Sa voix s’éteint, il n’était plus là . Elle courut à sa recherche . « Albert ! Albert ! »

« ... je comprends mais réveillez-le quand même ... » C’est sa voix qu’elle entendait dans la cuisine .

« Albert ... »

« Préparez la voiture ... Candy ! Que fais-tu dans cette tenue, va te préparer . »

Elle en resta bouche bée, il avait lu dans ses pensées . Elle ne put parler mais l’embrassa avant de courir jusqu'à sa chambre . Il fallait qu’elle se dépêche mais qu’elle n’oublie pas d’emmener le strict minimum . Elle ne savait pas pour combien de temps elle allait partir mais elle s’en fichait, il fallait qu’elle le voit .

Quand elle eut fini Albert l’attendait dans le hall d’entrée, ses lunettes de soleil teintées et une écharpe autour du cou .

« Dépêche toi, le train pour Broadway part à 10h ! »

« C’est bon je suis prête ! » Lui lança t’elle en attrapant au passage un manteau sur le râtelier et en courant rejoindre Albert déjà installé au volant dans la cour, elle lança littéralement sa valise sur la plage arrière et sauta par dessus la porte pour se retrouver à côté d’Albert qui démarra en trombe . La route ne fut pas longue à l’allure où ils allaient mais le temps semblait traîner aux yeux de Candy inquiète et désemparée, elle n’avait même pas réfléchi à la manière dont elle allait prendre la chose face à Terry ou à ce qu’il pensait et ressentait quand il lui avait écrit ce télégramme . Ils arrivèrent à la gare à 9h45 et Albert fit jouer l’influence de la famille André pour obtenir un billet à sa petite protégée . Une fois le billet en main Candy se précipita dans le train qui était sur le point de partir mais se tendit néanmoins à la fenêtre pour embrasser Albert sur les lèvres et lui dire au revoir .

« Je ne sais pas combien de temps je vais passer là bas mais je te tiendrai au courant ne t’en fais pas . Et surtout dis bien à Annie et Archi de nous compter parmi les invités du mariage . Je t’aime grand frère . »

« Moi aussi, faites attention . » Le bruit de la locomotive masqua à moitié ses dernières paroles et il vit le wagon s’éloigner, une tête aux cheveux blonds comme les blés et bouclés dépassant de l’une des fenêtres et agitant frénétiquement une main . D’où il était il ne pouvait voir les larmes de Candy, larmes de tristesse à l’idée de quitter cet homme qui la rassurait tant pour se jeter sur une voie obscure et incertaine, larmes pour la mort de Suzanne toute récente pour elle, l’armes d’angoisse trop contenue, larme de joie à l’idée de revoir Terry après un si long silence . Quand elle ne vit plus le quai de la gare et que le paysage se contentait de champs et de collines verdoyantes, Candy rentra la tête et referma la fenêtre, elle se trouva seule dans la cabine avec une femme d’à peu près 30 ans et son jeune fils qui ne devait pas avoir plus de 6 ans, l’enfant était calme et souriant, de jolies cheveux blonds et des yeux bleus perçants qui lui rappelait son 1e amour perdu : Anthony . La femme quand à elle était aussi brune que l’enfant était blond, elle somnolait sur son siège et dégageait la même impression de calme que l’enfant . Candy se rassura un peu et essuya les traînées de larmes sur ses joues et entreprit de faire l’inventaire de ce qu’elle avait emporté . Le voyage allait être long mais elle sombra dans un sommeil réparateur auquel elle n’avait pas eu le droit cette nuit une fois son inventaire terminé . Elle ne se réveilla que bien plus tard sous la pression de la main du jeune garçon blond sur son bras .

« Réveillez-vous madame, le train il arrive à Broadway . Regardez c’est joli non ? » Lui dit-il en souriant et en pointant du doigt la ville de Broadway qui se profilait à la fenêtre . Broadway, elle y avait tellement de mauvais souvenirs mais qu’y pouvait-elle, il fallait qu’elle l’affronte de nouveau .

« C’est la 1e fois que tu viens ici jeune homme ? » Lui demanda t’elle, il fallait qu’elle parle, elle avait absolument besoin de se changer les esprits .

« Oui ! Avec maman on vient retrouver papa . Pas vrai maman ? »

« Soit sage Arthur, oui nous venons retrouver mon mari qui est venu s’installer à Broadway pour son travail il y a 1 mois . »

« Que fait-il ? Oh, sans vouloir paraître indiscrète ... » S’excusa Candy .

« Pas du tout mademoiselle, il est éclairagiste pour la troupe de Strattford . »

« Strattford ! ? » S’exclama Candy .

« Vous connaissez ? Oh, c’est une troupe prestigieuse, vous connaissez Terrence Granchester, il joue dans cette troupe, un très grand acteur . Suzanne Marlow, sa fiancée, était aussi une des vedette de la troupe mais elle est morte il y a peu quel dommage ... Vous vous sentez bien ? » Demanda la femme en se penchant vers Candy . A l’évocation de la mort de Suzanne les larmes étaient de nouveau montée sans qu’elle puisse se contrôler .

« Veuillez m’excuser . Suzanne était quelqu’un de très important, une amie chère, et je viens seulement d’apprendre sa mort dans le journal, c’est pour ça que ... » Elle ne put finir sa phrase, les sanglots étranglaient sa gorge . La femme la regarda avec une expression triste et de compassion .

« Tenez madame, faut pas pleurer Broadway c’est si joli . » Candy accepta le mouchoir qu’Arthur lui tendait, essuya ses larmes et lui offrit un grand sourire .

« Tu as raison . En plus ce n’est pas mon rôle de pleurer, je suis ici pour consoler quelqu’un . Merci . »

Tous 3 se quittèrent sur le quai et Candy repartit avec le mouchoir d’Arthur qu’il n’avait pas voulu reprendre . Qui sait, peut-être qu’ils se croiseraient un jour .

En attendant Candy devait se mettre en quête d’un taxi qui pourrait la conduire à l’immeuble de la rue Dante où résidait Terry, il était déjà 17h .

                Sortir lui avait fait du bien, cela lui avait rafraîchi l’esprit . A son retour Mme Turner l’avait invité à déjeuner et il avait accepté . Il avait mangé de bon cœur, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas mangé un repas digne de ce nom, de plus la compagnie de la femme était agréable, quelqu’un de simple sans prétention et qui ne passait pas son temps à lui demander des détails sur sa vie de comédien où tout ce qui touchait au théâtre . Quand il la quitta il était plus de 14h et quand il se retrouva dans son appartement sans dessus dessous à cause de sa crise de colère, il se sentit las et s’allongea sur le lit et s’endormit .

De son côté Mme Turner s’affairait à ranger son appartement . Elle avait été ravie de revoir son locataire de meilleure humeur et qui reprenait un peu les couleur de la vie, la mort de sa fiancée avait du être un grand choc mais elle savait qu’il s’en remettrait, en sa mémoire et pour son propre bien . Ce qu’elle ne savait pas c’était que la perspective d’être libre de vivre sa vie, loin des obligations qui le liaient à Suzanne, était aussi une des conséquences de son regain d’humeur .

A 17h45, alors qu’elle reprisait un napperon face à sa fenêtre assise dans un fauteuil profond, elle vit dans la rue une jeune femme très élégante aux cheveux blonds extraordinaires qui déambulait dans la rue d’immeubles en immeubles, un bout de papier dans la main et un sac sur l’épaule . Elle semblait un peu perdue cette jolie jeune femme dans son manteau noir et ses bottines à lacets assorties . Mme Turner posa son napperon et ouvrit sa fenêtre .

« Mademoiselle, mademoiselle ... Je peux vous aider ? »

Le jeune femme finit par la remarquer et s’avança jusqu'à la fenêtre l’air penaud, une jolie moue sur son visage blanc au nez retroussé et aux taches de rousseurs illuminé par de magnifiques yeux verts profonds .

« Désolée de vous déranger . » Elle avait une voix clair et joyeuse .

« Ce n’est rien, vous sembliez perdue Mademoiselle . »

« On peut le dire, je cherche quelqu’un . Je sais qu’il habite dans un immeuble de la rue Dante mais il a omis de me préciser le nom ou l’adresse exacte . »

« Je peux sûrement vous renseigner, je suis concierge dans cette immeuble et entre concierge on connaît tout le monde . »

« Vous êtes vraiment très gentille, merci . »

« Mais qui cherchez-vous donc Mademoiselle . »

« Je cherches Terrence Granchester . »

Mme Turner eut un petit hoquet de surprise suivit d’un grand sourire .

« Vous tombez bien, j’ai déjeuné avec lui ce midi . Entrez donc . »

« C’est un de vos locataires ? » Interrogea Candy qui n’en revenait pas .

« Oh que oui, venez vous dis-je, ne restez pas dehors, en plus vous avez l’air chargée . »

Candy entra par derrière comme le lui indiqua Mme Turner et se retrouva bientôt dans la loge .

« Alors vous venez voir mon perturbant locataire ? » Candy avait posé son sac et en enlevant son manteau révélant la robe gris foncée à la coupe fine qu’elle portait elle regarda interrogative Mme Turner .

« Perturbant ? »

« Oh, c’est que ces derniers jours avec la mort de Miss Marlow, il a fait un peu de bruit ici . »

« Je vois . » Candy se rappelait ses accès de fureur à propos de sa mère ou d’Anthony et l’imaginait très bien . « Il est comme ça vous savez, quand il est triste il devient violent . »

« Vous le connaissez bien semble t’il . »

« Oui . Une très vieille amitié . » Le ton sur lequel elle avait dit cela laissait entrevoir à Mme Turner qu’il y avait plus que de l’amitié mais elle ne voulait pas forcer la jeune femme .

« A qui ai-je donc l’honneur, sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas . »

« Pensez-vous, pas du tout . Je m’appelle Candy Neige André . »

« Peut commun . Bien Miss André je vais vous montrer la chambre du fauve . »

Candy éclata de rire et Mme Turner en fit de même . Elle pensa au pauvre jeune homme malheureux et épuisé et ce disait que pas de meilleur remède que cette jeune femme angélique n’aurait pu lui être donné .

« Appelez moi Candy, Mme ... »

« Mme Turner . Venez Miss Candy . » Candy s’engagea avec la femme dans un escalier en bois vernis qui lui en rappelait un autre dans cette même ville qu’elle ne préférerait jamais revoir et elle s’arrêtèrent au 3e étage devant la porte 302 .

« Je vous laisse Miss Candy . M Granchester est chez lui frappez donc . »

Candy regarda la femme s’éloigner et frappa à la porte . Pas de réponse . Elle recommença plus fort cette fois, toujours rien . Sa hardiesse prit le dessus et elle entra pour se trouver au milieu du capharnaüm de vaisselle cassée et de meubles renversés de la cuisine .

 

© Hika février 2002