Tentation
par Helena


 

Chapitres 6 - Un piège pour Albert


En entrant dans la chambre de sa sœur, Daniel senti un parfum dans l’air qui n’avait de celui d’Elisa. Lourd, entêtant, un peu… musqué. Il remarque alors, assise dans le fauteuil, une silhouette féminine qui ne lui est pas inconnue.


- On se connaît, non ?

- Oui, bonjour Daniel. Je suis Louisa, une amie de ta sœur. Nous nous sommes croisés au Collège de St Paul.

- Ah oui, je me souviens. C’est toi qui avait des vues sur mon cousin Alistair, Elisa avait organisé une rencontre pour le festival, mais il avait préféré cette bécasse à lunettes. Il a toujours eu des drôles d’idées, enfin, on n’a plus à le supporter maintenant !


Si elle est choquée par l’expression, Louisa ne le montre pas. Elle en a appris beaucoup sur l’art de la dissimulation, pour faire croire à Philip Gold qu’elle était sincèrement attirée par lui, et pour gagner un peu de liberté- elle a réussi à échapper à son attention cet après-midi.


Pour l’heure, Daniel la détaille d’un œil expert


« Elle a bien changé, la petite fille du collège. Je reconnais son visage, ses minauderies, mais quelle drôle de façon de s’habiller ! Maman ne le permettrait pas à Elisa. Elle ne doit pas avoir vu Louisa. Qu’est-ce qu’elle vient faire ici ? »


La porte s’ouvre justement sur celle-ci.


- Ah, Louisa, tu es à l’heure, c’est parfait. Oh, Daniel, tu es là ?

- Comme tu vois. Dis, Elisa, j’aurai quelque chose à te demander.

- Plus tard. Maman et la Tante Elroy viennent de partir rendre une visite à Mme Brighton, sans doute en prévision des fiançailles. J’en ai profité pour inviter Albert à prendre un thé : vous venez ?


Sans leur laisser le temps de répondre, Elisa rebrousse chemin, suivie par Daniel et « sa complice ».

Le frère d’Elisa est agacé de ne pas avoir pu voir sa sœur pour qu’elle lui dise où il pouvait trouver « son jouet », Dorothée, qui avait osé disparaître, mais curieux de savoir ce qu’elle compte faire avec son ancienne complice. Veut-elle lui présenter Albert ? Rien ne semble pas gagné : il n’a l’air préoccupé que de promenades à cheval, de visites dans des parcs animaliers, et d’aller voir sa « fille adoptive ». En repensant à Candy, d’ailleurs, le sang du jeune Legrand se remet à bouillir : de rage qu’elle lui soit refusée, et de désir qui le reprend en pensant à elle.


- Bonjour, mon Oncle. J’espère que vous ne nous avez pas trop attendus

- Mais non, Elisa, je viens d’arriver. Et je peux bien prendre un peu de temps pour vous.

- Laissez-moi vous présenter Louisa, une amie de collège, qui a connu bien des malheurs depuis

- Vraiment ? (Albert détaille la jeune fille : rien dans sa tenue ne laisse présager « les malheurs »)

- Bonjour Monsieur, c’est un honneur de vous rencontrer.


Louisa s’affaire à servir le thé, toute en grâce. Chacun peut deviner son éducation de jeune fille du monde, et Daniel remarque quand à lui qu’elle arrive à faire oublier sa tenue provocante, qu’elle semble porter malgré elle.


- Louisa, je t’assure que tu devrais parler de ton problème à notre Oncle. Il est si bon, il pourrait certainement t’aider.

- Oh mon dieu Elisa, non… je ne peux pas, j’ai tellement honte, je ne peux pas croire que mes parents m’aient fait ça !


Et Louisa rougit, puis éclate en sanglots, cachée dans son mouchoir. Intrigué malgré lui, Albert interroge l’amie d’Elisa, qui s’enfuit en courant, répétant qu’elle ne peut raconter son histoire elle-même. A ce moment-là, Daniel a la certitude que sa sœur a monté un nouveau plan, et admire la mise en scène, surtout quand Elisa reprend la parole.


- Imaginez-vous, mon Oncle, que Louisa est une jeune fille du monde, et que son père a fait des mauvais placements alors que nous étions au Collège. Elle a du le quitter pour aller vivre avec ses parents en campagne. Comme elle ne voulait pas peser sur leur vie, elle s’était résolue à prendre un emploi, et avait trouvé une place de lectrice auprès d’une vieille dame.

- Et c’était tout à son honneur de vouloir gagner sa vie. Mais que fait-elle alors ici, et dans cette tenue ?

- Son père a profité de sa jeunesse pour proposer « ses services » à un homme d’affaires beaucoup plus âgé qu’elle, mais qui payait bien.

- Ses « services » ? (Albert sursaute) tu veux dire…

- Je ne peux pas prononcer ces mots, c’est tellement terrible ! Mais Louisa a été obligée de suivre un homme qui lui répugne, en attendant un hypothétique mariage auquel elle ne croit pas. Elle a perdu toute respectabilité, et quand je l’ai croisée par hasard, j’ai pensé que je devais venir à son secours, mais que puis-je faire toute seule ?

- Va la chercher, je vais lui parler.


Albert est touché par ce récit… à première vue, Louisa est aux antipodes de sa fille adoptive, Candy, mais il se doute que la déchéance doit être encore plus dure pour celle qui n’a connu qu’un univers protégé. Et cette histoire de mariage arrangé le révulse, lui qui a pu l’observer chez une de ses sœurs…


Louisa revient, tamponnant ses yeux, sous le regard narquois de Daniel qui se garde bien d’intervenir.


- Asseyez-vous, Louisa. Je ne vais pas vous laisser dans cette situation. Moi, je me moque des rumeurs, et j’ai quelque chose à vous proposer : je recherche une secrétaire, est-ce que vous croyez…


Albert ne va pas plus loin dans sa phrase… un malaise le prend, sa tête tourne… seraient-ce ses anciens malaises ? Elisa s’affaire.


- Allongez-vous sur le canapé, mon Oncle. Louisa, veux-tu bien rester? Daniel, viens, allons chercher un médecin.


Quelques minutes plus tard, Elisa se retourne vers son frère, triomphante.


- ça a marché, j’en suis sûre ! Tu peux partir, maintenant.


Poussé par la curiosité, Daniel revient vers le petit salon. Par la porte entrebâillée, il voit Louisa guider les mains d’Albert semi inconscient dans son décolleté… elle est visiblement experte.


Chapitre 7 - Interrogations maternelles



Plusieurs mois sont passés… les grossesses de Sandra et de Dorothée avancent, sans complications, et la ruse de Melle Pony a marché à merveille : les villageois ont cru à l’histoire des fiancés « tombés sur le champ d’honneur », et vite adopté les futures mères. Mr Steeve en particulier apprécie la gentillesse et la douceur de Dorothée, et se porte d’autant mieux qu’il a appris le projet de mariage de Tom avec Candy, qu’il a toujours affectionnée. Il a écrit à son « Père », ce mystérieux Albert André, et attend sa réponse… tout comme Candy qui s’interroge sur ce silence inhabituel de celui qui l’a toujours soutenue. Elle est revenue en vacances quelques jours.


- Melle Pony, est-ce que le facteur est passé ?

- Oui, mais il n’y avait rien pour toi. Dis-moi, Candy, es-tu sûre que Mr André approuve ce mariage avec Tom ?

- Je ne vois pas pourquoi il ne serait pas d’accord… Tom et moi avons grandi ensemble, nous nous connaissons bien, j’ai toujours eu envie de vivre dans une ferme et ça me permettrait de rester près de vous.

- Tout ce que tu me dis est vrai- mais tu ne l’aimes pas…

- Oh si, j’aime beaucoup Tom ! Nous pourrons avoir une famille, et aider les orphelins, peut-être même en adopter, nous avons les mêmes projets…

- Tu l’aime beaucoup, là est le problème, ma petite fille. Il était comme ton frère il y a peu de temps… dis-moi, est-ce que tu le désire ?


Candy est choquée par la question posée crûment, presque incongrue chez celle qu’elle voyait comme sa mère… et par le regard perspicace sous les lunettes.


- Oh… eh bien… j’aime bien quand il m’embrasse…

- C’est lui qui t’embrasse, donc. Mais toi, est-ce que tu as envie d’aller plus loin ? Est-ce que vous vous quittez parfois rapidement de peur d’aller trop vite avant le mariage ?

- Non… c’est toujours moi qui arrête, et Tom n’a pas l’air de comprendre.

- Et avec ce garçon, Terry, c’était pareil ?


Candy ne répond pas. Melle Pony quitte la pièce, la laissant à ses réflexions. Enfin elle a pu avoir cette conversation avec son ancienne pensionnaire, hors de la présence de Sœur Maria qui ne l’aurait pas permise. Elle se doute d’avoir bouleversé Candy, mais il le fallait.


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A Broadway, une autre répétition d’Hamlet se termine. Terry a regagné sa loge en solitaire, et se sert une rasade de Whisky avant de commencer à se démaquiller. La porte s’ouvre derrière lui, il entend un frottement de robe et dit sans se retourner


- Tu devais m’attendre dans mon appartement, tu sais bien que je dois d’abord passer voir Suzanne. Mais ce n’est pas grave, ferme juste à clé pour qu’on ne nous découvre pas.

- Je ne suis pas Karine. Alors c’était donc vrai, cette rumeur ?


Eléonore ! Mère et fils se dévisagent. Terry finit par hausser les épaules.


- Tu es bien mal placée pour me donner des leçons, avec tes amants…

- Je n’ai vraiment eu qu’un homme dans ma vie, c’était ton père. Le reste, ce sont des allégations de personnes jalouses.

- En tout cas, moi, le « bâtard » je rachète ma dette en épousant Suzanne.

- Et que fais-tu avec Karine ?

- J’ai des besoins comme tout homme (Terry éclate d’un rire forcé), elle les satisfait, sans attendre un mariage pour autant, ça m’arrange.

- Un mariage, non, mais tu sais très bien qu’elle espère le rôle d’Ophélie. C’est pour ça qu’elle « satisfait tes besoins ». Terry, regarde-moi, je ne te reconnais plus…

- Tu devrais, pourtant… je suis bien le fils de Richard : j’apprécie autant les belles actrices que mon père, et pourtant je fais un mariage de raison comme lui.

- Tu étais tellement différent avant.

- Avant quoi ?

- En Ecosse, avant ta séparation avec Candy. Parce que tu ne la vois plus, n’est-ce pas ?


Saisissant la bouteille de Whisky, Terry la lance vers Eleonore, qui n’a que le temps de l’éviter.


- Je te laisse, Terry. Mais je reste ta mère, tu peux venir te confier quand tu le veux.

- Va t’en ! Et ne viens plus jamais me parler de Candy !


Le jeune acteur avale d’un coup son verre, puis s’habille rapidement. Deux femmes l’attendent, mais aucune ne remplacera « Miss Tâches de Son ».


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- Elisa, j’ai à te parler.

- Oui Maman ?

- Je t’avais défendu de revoir cette fille, celle du théâtre. Et je viens de croiser sa voiture en arrivant. Tu peux m’expliquer ?

- Ce n’est pas moi qu’elle venait voir, Maman.

- Qui d’autre, alors ?

- Albert. Mais c’est moi qui les ai présentés.


Elisa raconte alors à Mme Legrand la même histoire de pauvre jeune fille trahie par ses parents sur Louisa. Celle-ci, toujours aveuglée par sa fille, s’exclame alors :


- La pauvre petite ! Et pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

- Parce que j’ai pensé que je pourrais faire deux bonnes actions en même temps.

- Lesquelles ?

- Permettre à Louisa de retrouver son rang, et trouver pour Albert une fiancée digne de la famille André, une vraie jeune fille du monde.

- En tout cas, il faudra qu’elle améliore ses vêtements… la Tante Elroy ne l’acceptera pas telle qu’elle est.

- Ne vous inquiétez pas, Maman, je l’aiderai pour ça.


Elisa se garde bien de préciser que c’est justement grâce à son « savoir-faire » de cocotte que Louisa a réussi à compromettre « l’Oncle William »… qui se trouve obligé de revoir celle qui a « succombé » à son charme. Mme Legrand comprend subitement un autre enjeu.


- En tout cas, une chose est parfaite : ton amie aura sûrement une bonne influence sur lui, ça atténuera celle de cette maudite Candy… voir même remettre en question le mariage d’Archibald.


Mère et fille échangent un regard satisfait. Si elles savaient ce que trame Daniel…

Chapitre 8 - Mariages en vue ?


Mme BRIGHTON, invitée à un thé par ses amies, s’étonne de l’ambiance. Visiblement, elles évitent de lui parler, elle est placée au bout de la table. Comme c’est curieux ! Normalement, quand une dame du monde se prépare à marier sa fille, elle est plutôt recherchée, ne serait-ce que dans l’espoir d’une invitation. La porte s’ouvre alors sur la dernière invitée, Mme LEGRAND.


- Jane, je crois que Sarah doit vous entretenir, lui dit la maîtresse de maison, voulez-vous disposer du boudoir ?

- Je vous remercie, chère amie. Vous venez, Jane.


Mme BRIGHTON obtempère, trop surprise, se demandant ce qui se trame.


- Asseyez-vous, il faut que je vous parle, pour le bien de nos deux familles.

- Le bien de nos deux familles ?

- Tout d’abord, je voulais vous dire que je vous ai pardonnée de m’avoir cachée les origines d’Annie lors de sa présentation. Je comprends tout votre embarras, j’étais moi-même tellement gênée d’avoir du amener Candy au bal des André, je comprends. Mais j’étais votre amie, vous auriez du m’en parler…

- Maintenant, tout le monde connaît la vérité, et elle est admise partout, avec les honneurs.

- Vous croyez ? A Chicago, elle s’est récemment fait remarquer en venant à une soirée en tenue ordinaire, on remarque à ces détails qu’elle n’est pas vraiment votre fille.

- C’était du fait de vos enfants, si j’étais vous, je ne parlerais pas de cet épisode. Et c’est Elisa qui a divulgué le secret d’Annie, et qui la persécute depuis le Collège ! Heureusement, avec le mariage avec Archibald, elle sera hors de portée de votre chipie de fille…

- Si il a lieu, ce mariage…


Sur le point de quitter la pièce, Jane BRIGHTON se retourne, horrifiée.


- Que voulez-vous dire ?

- La Tante Elroy tolérait les fiançailles, mais l’Oncle William prend petit à petit connaissance de toutes les vérités, et a conscience de la position de la famille André. Aussi réussie que soit la rééducation d’Annie, elle reste une fille de la maison de Pony, et elle ne peut pas entrer dans notre famille.

- Mais Mr William a bien adopté Candy !

- Il était bien jeune, et presque « naïf ». Maintenant, il devient un homme mûr, et il se dégage de la désastreuse influence de cette fille. Je vous le dis en toute amitié : William Albert a ouvert les yeux, et il devrait avoir une discussion avec Archibald aujourd’hui même. Pour éviter toute honte supplémentaire à votre précieuse Annie, elle ferait mieux de se chercher un fiancé plus en rapport avec… ses origines.


Horrifiée par l’annonce, le souffle court, Mme BRIGHTON quitte l’appartement. Sarah LEGRAND affiche un sourire satisfait- Elisa est parfaite, elle a trouvé le moyen idéal d’avoir à nouveau la main sur la direction de la famille… elle l’en félicitera à son retour.


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Dans la petite chapelle, Tom et son père font les 100 pas. Enfin, un bruit de course se fait entendre.


- Candy ! Enfin, te voilà ! Le prêtre nous attend.

- Excusez-moi, Sandra a eu un malaise, elle était inquiète pour son bébé… je l’ai auscultée.

- Vous voilà donc, mon enfant.

- Bonjour, mon Père.

- Avez-vous reçu l’autorisation de mariage de votre père adoptif ?

- Pas encore, mais j’ai prévu d’aller le voir à Chicago : peut-être mes lettres se sont-elles perdues ?

- En tout cas, le mariage aura lieu, même si la date est décalée, n’est-ce pas Candy ? Demande anxieusement Tom

- Oui, oui, bien sûr…


Et la répétition de cérémonie a lieu… Mr Steeve y assiste, ému de voir réunis son fils et celle qu’il a toujours estimée pour sa force de caractère.


- Comme ils font un beau couple ! Tout sera parfait : Candy pourra travailler avec notre médecin, tout en tenant la ferme et en soutenant Melle Pony. Oui, c’est vraiment l’épouse qu’il fallait à Tom, et ils me feront de beaux petits-enfants.


Il ne ressent pas le malaise éprouvé par Tom et Candy…


- Quand il me tient dans ses bras et que je ferme les yeux, je pourrais me croire avec Terry. Mais je ne pourrai pas toujours garder les yeux fermés, est-ce que je saurai vraiment être sa femme ?

- Candy, regarde moi… pourquoi détournes-tu les yeux ? Que se passe-t-il ? As-tu peur de la réponse d’Albert ?


Aucun d’eux ne voit Dorothée, qui regarde la scène par la fenêtre; les larmes aux yeux….


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Alors qu’il s’apprêtait à frapper, Archibald voit la porte s’ouvrir, et la jeune femme sortir.


- Au revoir, mon chéri. Et n’oublie pas de prendre ton médicament, tu en as besoin. Oh, Archibald, bonjour ! Je vous laisse, tous les deux.


Louisa s’éloigne dans le couloir. Sa tenue vestimentaire s’est améliorée, plus « convenable », mais elle a gardé un balancement de hanches provocateur, contrastant avec l’expression d’innocence de son visage.


- Drôle de fille, Albert. Et c’est une amie d’Elisa ! Tu es sûr de ton choix ?

- C’est aussi la question que je voulais te poser avec Annie. Vous devez vous marier le mois prochain, tu es bien sûr de toi ?

- A cause de sa naissance ? Tu n’as pas à t’inquiéter, c’est elle que j’aime.

- Non, j’ai peur que tu te marie pas dépit. Tu te sens peut-être seul, maintenant qu’Anthony et Alistair sont morts, et tu sais que Candy te voit juste comme un ami.

- J’ai dépassé ça. Mais dis-moi, en parlant de Candy, tu as reçu de ses nouvelles ?

- Pas récemment. J’aurais bien aimé justement lui parler de mes maux de tête… Heureusement, Louisa a des cachets pour la migraine qui me font du bien.


Albert avale justement lesdits cachets. Il se demande comment dire à Archibald, le seul à qui il pourrait se confier, à quel point il est surpris d’avoir « pris la virginité de Louisa », qu’il ne se souvient que très confusément de la scène… juste du réveil, allongé sur le canapé avec cette fille déshabillée dans les bras, qui pleurait en répétant « que vais-je devenir, que vais-je devenir ».


- Non, vraiment, je ne comprends pas… surtout que je n’ai jamais aimé une femme avant…


Archibald quand à lui est perplexe devant la crédulité d’Albert, qui n‘était pas « né de la dernière pluie«  . Il substitue discrètement un des cachets pour le montrer au Dr Martin, le seul en qui il ait confiance.

Chapitre 09 - Charly est revenu


Mme MARLOWE poursuit Terrence dans les coulisses, sans souci des témoins.


- Votre conduite est inqualifiable ! Ma pauvre Suzanne n’ose plus sortir de la maison ! Arrêtez-vous, écoutez-moi ! Vous lui devez la vie, ma fille a sacrifié sa jeunesse, sa carrière, et vous, vous vous conduisez comme un animal en rut !


Le ton monte, quelques rires se font entendre, certains plaignent la mère de Suzanne, d’autres Terry de ne pas être plus libre… Seule Eléonore Baker et le directeur échangent un regard atterré : quel va être l’accueil de la pièce si la liaison de Terry est connue à l’extérieur ? Et quel avenir le jeune acteur aura-t-il après pareil scandale ? C’est finalement Mr Hattaway lui-même qui interpelle son jeune premier.


- Terry, rendez-vous dans ma loge à 13h00. Je te demande de venir avec Karen. Et vous, Madame, veuillez quittez les lieux : la répétition doit commencer.


Juste avant d’entrer en scène, Terry est arrêté par Karen :


- Tu as vu la réaction de la mère Marlowe ! Franchement, Terry, c’est presque gagné, Suzanne va enfin comprendre qu’il te faut une vraie femme, et nous pourrons vivre au grand jour !

- Au grand jour ? Mais enfin, Karen, je ne veux pas m’engager.

- Qui te parle d’engagement ? C’est juste que chacun de nous a un compte à régler avec Melle Sainte Nitouche : elle m’a pris un rôle, et toi ta liberté. C’est un juste retour. Mais réfléchis, mon cher Terry : nous ferions un couple parfait pour une belle carrière au Théâtre, à faire rêver beaucoup de personnes… et j’avoue que nos moments passés ensemble sont loin d’être désagréables.


Terry recule d’un pas face à la « belle actrice » qui se rapproche, et s’apprête à reprendre son rôle. Mais il était dit que cette répétition serait chaotique…


- Laissez-moi ! Laissez-moi rentrer puisque je vous dis que je le connais ! Terry, eh, Terry, tu me vois ?

- Charly ?

- Mais oui, c’est bien lui, murmure Eléonore, je reconnais son ami d’enfance…

- On n’arrivera pas à travailler aujourd’hui, lance Mr Strafford. Tant pis, répétition cet après-midi. Terry et Karen, je vous rappelle qu’on se voit à 13h00.


- Terry, vieux frère, enfin je te retrouve !

- Charly, comme je suis content de te voir ! Mais qu’est-ce que c’est que cet uniforme ?

- Je me suis engagé dans l’armée, pour aller combattre en Europe. Et du coup, je ne suis plus poursuivi par la police. Mais tu dois bien le savoir avec Candy ? Elle m’a soigné quand j’étais tombé du train…

- Je savais qu’elle t’avais soigné, et je l’ai aidée à payer tes frais d’hôpital, mais nous ne nous voyons plus.

- Ah bon ? Pourtant c’est une très chic fille, tu n’en trouveras pas d’autres comme ça, et elle t’aimait vraiment.


Charly remarque alors que Terry est devenu livide, et préfère ne pas insister.


- Je t’offre une bière, tu connais un pub pas loin d’ici ?

Quelques minutes plus tard, ils sont tous les deux accoudés au bar, retrouvant leur complicité de « garnements bagarreurs » qui les avaient unis dans les rues de New York avant le départ de Terry en Angleterre.


- Terry, excuse-moi, mais il faut que je te reparle de Candy. Sais-tu où je peux la trouver ?

- Pourquoi ?

- J’avais une petite amie, Sandra, à New York, et on a fait quelques « bêtises » à mon dernier passage… tu vois ce que je veux dire (Charly cligne de l’oeil )

- Quel rapport avec Candy ?

- Apparemment, elle a du partir pour plusieurs mois… je me doute pourquoi. J’ai interrogé son entourage, et un des matelots de son père m’a dit qu’elle était sans doute allée retrouver Candy dans je-ne-sais-quel-foyer, il n’a pas su me dire où !

- C’est sans doute à la Maison de Pony. Je vais t’expliquer où c’est… ou plutôt non, te donner l’adresse.


Terry note alors les indications sur un papier, qu’il tend à Charly. Celui-ci jette un œil, se trouble, et le dévisage.


- Candy Neige André ? C’est son nom ?

- Tu connais ?

- Est-ce qu’elle a un lien avec un William André ?

- C’est son père adoptif, pourquoi ?

- Écoute, Terry, je ne peux pas trop t’en parler en public, mais à mon avis, elle va se retrouver à nouveau orpheline d’ici peu… j’ai été contacté par le milieu de Chicago, cet homme aurait piqué la maîtresse d’un commanditaire bien placé. Et c’est le genre de choses qui ne passent pas. Moi, j’ai refusé la « mission », mais ils ont l’intention de lui faire passer un sale quart d’heure, voir même de le faire disparaître.


William André, menacé ? Terry est surpris- la famille adoptive de Candy est connue pour son honorabilité, il est surprenant qu’il ait des liens avec une maîtresse d’un mafioso… il est loin d’imaginer que ce William et son ami Albert ne font qu’un, ni qu’il a connu ladite maîtresse au Collège.


- Va la voir, Charly. Tu sauras si elle peut t’aider à retrouver ta … euh… fiancée ?

- Tu peux le dire, j’ai bien l’intention de l’épouser. Et tu seras mon témoin, d’accord ?

- Préviens-la aussi pour les menaces sur son père… elle lui doit beaucoup.

- Pourquoi ne viendrais-tu pas avec moi ?


Terry est surpris par la proposition- bien tentante…


- Ah… laisser derrière moi Suzanne et Karen, et leurs rivalités… Ma mère et ses questions… non, je ne peux pas, je suis en pleine répétition… et pourtant, comme je voudrais repartir à zéro.


- Je ne peux pas, Charly, toute la troupe compte sur moi.

- Tu as un message pour Candy ?

- Dis-lui… non, rien. Elle a bien du refaire sa vie, et elle le mérite. Si ça se trouve, elle est mariée.


Charly regarde Terry finir son verre, avidement.


- Terry, tu as perdu de ta lumière… qu’est-ce qui t’est arrivé, mon vieux ?



Chapitre 10 - Au cœur de la tempête


En descendant sur le quai de la gare de Chicago, Candy chercha du regard une personne de connaissance. Quelques instants plus tard, elle entend la voix de Mr Brighton


- Candy ! Nous sommes là !

- Annie, Mr Brighton : comme je suis heureuse de vous revoir !


Mr Brighton regarde en souriant les amies courir l’une vers l’autre pour se retrouver. Elles ont beau être différentes, comme elles s’entendent bien ! Et comme elles se complètent… Il est particulièrement soulagé de revoir le sourire d’Annie, qui l’avait perdu ses dernières semaines.


Sur sa suggestion, ils sont passés à la demeure des Brighton pour que Candy se « rafraîchisse » après ce long voyage. Celle-ci a choisi de venir prendre « son tuteur par surprise », puisqu’elle n’a pas reçu de réponse à ses lettres.


- Et Archi ? Il vient nous retrouver ?

- Je… eh bien je ne sais pas… il est parti la semaine dernière en me laissant juste ce mot.


« Ma chère Annie,


Pardonne-moi d’être parti sans te dire au revoir; mais j’espère revenir bientôt. J’ai eu une grave révélation suite à ma dernière entrevue avec Albert, et je dois faire des vérifications d’urgence. Je ne peux pas t’en dire plus, mais je te demande de garder courage, et j’espère revenir au plus vite. Je t’ embrasse,


Archibald »


- De graves révélations ? Qu’est-ce que ça pourrait être ?

- Nous sommes inquiets, Maman a rencontré Mme Legrand qui lui a fait des menaces sur nos fiançailles, en raison de mes origines.

- Quel lien avec Archibald et son absence ?

- Elle aurait pu trouver des traces des parents biologiques d’Annie, nous ne savons rien sur eux… et alors exagéré leur situation, ce qui aurait fait partir ton cousin pour vérifier la vérité.

- Mais Albert ? Pourquoi parle-t-il de lui ?

- Candy, tu sais qu’il est reconnu chef de la famille André. Peut-être a-t-il fait une sommation sur le mariage.

- Vous voulez dire qu’il s’y opposerait ? C’est invraisemblable : Albert ne s’est jamais soucié de « conventions sociales » comme la Tante Elroy, par exemple, sinon il ne m’aurait pas adoptée…

- Albert seul, non. Mais il y a l’influence de Louisa.

- Louisa ? Celle du Collège ? Elle est arrivée en Amérique ? Mais que vient-elle faire dans cette histoire ?

- Oh, mon Dieu, Candy, tu n’es au courant de rien ? Louisa est en bonne voie de devenir ta future belle-mère.


Et Annie et Mr Brighton révèlent à Candy le retour inattendu de Louisa dans le cercle des relations de la famille André, et « le coup de foudre » supposé entre la meilleure amie d’Elisa et Albert, dont la publicité est largement faite par Elisa et Sarah Legrand.


- Je n’arrive pas à y croire… Je connais bien Albert, il est en totale opposition avec cette fille.

- Tu ne sais pas tout. Nous avons cru comprendre qu’il l’aurait compromise…

- Albert ? Ce n’est pas possible !

- Candy, nous sommes entre nous. Tu peux me parler comme si j’étais ton père : pendant les longs mois où vous avez cohabité, Albert et toi, est-ce qu’il avait déjà tenté des gestes « amoureux » ?

- Oh non, jamais ! Il a été comme un grand frère pour moi depuis que je le connais, il m’a toujours respectée, quoique aient pu penser des personnes malintentionnées ou simplement ignorantes…

- C’est-ce que je vous disais, Papa. Je ne me souviens pas avoir vu Albert même regarder une jeune fille ou une femme d’un air intéressé…

- Toute cette histoire est bizarre. Il faudra que nous la tirions au clair.


Quelques heures plus tard, Albert s’apprête à recevoir sa « fille », qui lui a été annoncée par Georges. Celui-ci accompagne Candy dans les longs couloirs de la résidence André, et lui glisse :


- Il était temps que vous arriviez, Melle Candy ! Il se passe des choses bizarres, je ne reconnais plus Mr William, et pourtant je le cotois depuis tellement d’années… il a beaucoup changé depuis qu’il a rencontré Melle Louisa.


En se retrouvant face à lui, Candy remarque en effet son regard fuyant, un air fatigué.


- Où est passé l’Albert que je connais, avec un teint halé, le regard franc ? Celui qui respire le goût de la nature, la force ?


- Bonjour, Candy. C’est une surprise de te voir.

- Bonjour Albert. Il fallait bien que je vienne, puisque vous n’avez pas répondu à mes lettres.

- Tes lettres ? Quelles lettres ?

- Celles que je vous ai envoyé pour vous annoncer la demande en mariage de Tom, et demander votre accord… je vous ai écris 3 fois.

- Je t’assure que je n’ai rien reçu. Tom, c’est cet ami d’enfance que j’avais vu aux « retrouvailles » à la Maison de Pony ? Celui qui tient un Ranch avec son père ?

- Oui, c’est lui. Nous devons nous marier dans un mois, la date se rapproche.

- Eh bien… je ne sais pas quoi te dire. Tu pense que c’est une bonne idée ? Tu l’aime ?

- Je le connais depuis longtemps, et je sais que ça me plairait beaucoup de vivre dans une ferme. Nous avons été orphelins tous les deux, nous voulons fonder une famille- Albert, qu’est-ce que vous avez ?


Albert est blanc, pris de nausées et se prend la tête entre les mains… Les réflexes de l’infirmière reviennent, mêlés à l’inquiétude de l’amie.


- Albert, qu’avez-vous ? Asseyez-vous, je vais prendre votre pouls…

- C’est inutile, Candy, nous nous occupons de lui. Tu peux partir, nous appellerons notre médecin.


Louisa et Elisa, avec le même air de triomphe que pendant cette fameuse nuit, aux écuries de St Paul ! Candy se sent impuissante et angoissée, ses protestations ne sont pas écoutées, elle est raccompagnée courtoisement mais fermement par un majordome. La tête entre les mains, Albert se sent aussi impuissant : quels sont ses malaises qui lui rappellent son amnésie, mais avec des nausées en plus ? Pourquoi a-t-on éconduit Candy, qui l’avait déjà secouru auparavant ? Si seulement il trouvait la force de résister…


Il ne sait pas que la jeune infirmière a noté l’ensemble des symptômes avec professionnalisme, et qu’elle a un doute… toute à ses réflexions, Candy repart de la demeure André sans remarquer la traction noire garée discrètement à proximité, et des hommes qui la regardent partir. Elle ne voit pas non plus Daniel qui sert les poings de rage en la fixant à travers la fenêtre.


« Je t’aurai ! Tu me reviendras, petite garce ! »



© Héléna 2008-2009