Le puzzle reconstitué
par Helena

Recherches espistolières

 

Ce matin-là, Albert se présenta à la demeure des Mac Grégor.

En arrivant sur le perron, il entendit un grand fracas venant d’une pièce du fonds. Un bruits de course se fit aussitôt entendre : dévalant l’escalier 4 à 4, Terry apparu et ils échangèrent un regard.

- Candy ! Candy ! Où es-tu ?

- Là (elle apparut, couverte de poussière), regarde, Terry, je l’ai trouvée ! La boîte avec les lettres que mon père avait reçu de ma mère, et d’autres personnes.

- Et bien sûr, tu as fait tomber la bibliothèque ? Tu es incorrigible !

- Terry a raison, tu aurais pu te blesser.

- Oh, Albert ? Mais que viens-tu faire là ?

- Puisque tu recherches des lettres, je crois que je tombe bien : j’ai retrouvé de mon côté celles que Rosemary recevait (certaines cachées dans le double fond de son coffret à bijoux), et Annie m’a donné celle que sa grand-mère avait conservée.

Sans prendre le temps de revoir sa tenue vestimentaire, Candy commence la lecture…

1896 - Lettre d’ Emily Conwell à sa sœur Rosemary

 

Ma chère Rosemary,

Ton dernier courrier m’a beaucoup surprise. Ainsi, tu te plies aux volontés de la Tante Elroy, en acceptant ce mariage avec John Brown ?

J’espère que tu as bien réfléchi, et aussi que ce mariage te rendra heureuse. Je sais que depuis le décès de nos parents, et mon départ pour suivre mon cher Jack en Arabie, Albert et toi vous sentiez esseulés et sans protection… oui, j’ai bien deviné que Sarah (pour ne parler que d’elle) est toujours aussi jalouse de toi, et qu’elle doit triompher avec son mariage qui lui a permis de bénéficier de la position d‘une femme mariée vis-à-vis de toi qui devenait « vieille fille« en comparaison. J’imagine aussi que la Tante Elroy doit te parler de devoir, et te répéter que les roses ne sont pas un avenir en soi… J’ose espérer qu’elle n’a pas trouvé de moyen de pression par votre situation d’orphelins, à Albert et à Toi.

Mais j’espère surtout que tu trouveras un vrai bonheur dans ce mariage, pas que des convenances. Je te souhaite tout le bonheur que je connais, et suis heureuse de t’annoncer avant tout le monde que j’attends un bébé. Je commençais à désespérer, au bout de 5 ans de mariage… C’est drôle ! Le médecin a calculé que je pourrais bien avoir été enceinte pendant cette semaine où nous avons rencontré les Frères Wright, tu sais, ceux qu’on traitait de « fous » avec leurs expériences en aviation, et je me plais à imaginer que ce sera un petit garçon qui sera très attiré par ces machines- mais ça, l’avenir nous le dira.

Ma chère Rosemary, je te souhaite tout le bonheur du monde avec ton mariage. Puisse-tu trouver le même bonheur que moi, et rester toi-même, « l’ange des roses » comme t’appellent les enfants quand ils te voient. Affectueusement,

Emily

1897 - Lettre d’ Emily Conwell à sa sœur Rosemary

Ma Chère Rosemary,

Comme le temps passe vite ! Alistaire marche déjà depuis plusieurs semaines, et Archibald gazouille gracieusement dans son berceau. Il me semble déjà si différent de son frère, très élégant… si on peut dire qu’un nourrisson soit élégant ! Je te remercie aussi pour la photographie des bébés de la famille que tu m’as envoyé : tu sais, Anthony ressemble beaucoup à Albert, et est vraiment adorable.

Est-ce que ton mari part toujours aussi souvent pour ses affrètements ? Tu me parles très peu de lui, je me demande parfois si tu es aussi heureuse que le dit Tante Elroy. Heureusement que Betty est toujours près de toi, vous êtes tellement complices ! J’espère simplement pour elle qu’elle ne se sentira pas obligée de rester pour te sortir de ton isolement. Oui, je pense l’avoir deviné, comme je me représente bien la présence lourde de Sarah, dont Tante Elroy dit qu’elle a eu « deux magnifiques enfants, surtout la petite fille ». Elle en fait visiblement une « princesse Elisa », puisqu’elle est la seule fille de cette génération. A elle toutes les attentions, les plus jolies poupées, on voit même sur le portrait qu’elle porte déjà des anglaises : c’est ridicule !

Ainsi, tu as accompagné notre chère cousine pour visiter l’exploitation minière où son mari a investi ? Quelle drôle d’idée, ce voyage. Connaissant Sarah, j’imagine qu’elle ne l’a pas fait de façon innocente, elle doit encore avoir une idée derrière la tête. Au fait, as-tu rencontré ce mystérieux associé dont Sarah et son mari ne veulent pas dire le nom ? Je me dis parfois qu’il y a beaucoup de secrets, dans cette famille. Par exemple, j’aimerais savoir où est Albert : la Tante Elroy nous a dit que Georges l’avait conduit dans une école « pour gentlemen », où il recevra l’éducation digne d’un André, pourquoi ? Pourquoi n’est-il pas resté près de toi, avec un précepteur ? Et qui est cet « Oncle William » dont nos parents n’avaient jamais parlé ? Même toi, tu n’en dis rien.

Archibald pleure, je vais donc terminer là ma lettre. Je pense très fort à Anthony et à toi, et vous embrasse.

Affectueusement

Emily

1897 - Lettre de Brian Mac Gregor à son père

Père,

J’espère que ce courrier vous trouvera en bonne santé, et que vous avez pardonné ce que vous appelez « une folie ».

Je tenais d’abord à vous remercier pour la confiance que vous avez finalement accordée. La mine tourne bien, et nous venons de trouver un nouveau gisement qui semble prometteur. J’ai engagé un chef de chantier qui s’appelle Peter Nelson, et donne toutes satisfactions : il est jeune, mais a su s’imposer auprès de hommes très rapidement. Il a un contremaître, Kevin Baker, qui semble plus réservé, mais très soucieux de la sécurité du chantier. Les investissements pour exploiter le nouveau gisement sont importants, mais j’ai reçu la visite de mon associé, avec son épouse et une cousine de celle-ci, et il m’a assuré qu’il me suivrait dans toutes mes initiatives.

J’aimerais vous prouver que je suis capable de réussir dans cette entreprise, et enfin trouver votre approbation après tous les différents que nous avons eu. Si j’en ai le temps, je tâcherai de vous rendre visite pour Noël.

Respectueusement,

Votre fils,

Brian.

1898 - Lettre de Brian Mac Gregor à son père

Père,

Je me résous aujourd’hui à vous écrire, malgré notre dispute.

Je ne souhaite pas répondre à vos questions sur ma vie privée, parce qu’il y a des sujets qui me semblent difficiles à aborder. Le temps n’est pas encore venu pour que je vous parle de celle que mon cœur a choisi, pour différentes raisons.

Je vous demanderai donc de ne plus me questionner à ce sujet. J’ai par ailleurs quelques soucis avec mon associé, mais j’espère qu’ils ne seront que temporaires et n’entraveront pas le bon développement de la mine.

Il faut que je vous dise que la seule dame de l’exploitation, Betty Baker, nous a annoncé attendre un heureux évènement. Ceci soulève la question de la présence, sinon d’un médecin, d’au moins une infirmière sur le chantier. Et ceci, cette évocation d’infirmière, m’a amené à penser à ma mère, dont vous refusez de parler. Elle avait pourtant un beau métier, pouvait en être fière, pensez-vous qu’elle aurait approuvé mes choix ?

J’espère qu’un jour enfin, vous viendrez à la mine, et ferez enfin un premier pas.

Respectueusement,

Votre fils,

Brian

1898 - Lettre de Brian Mac Gregor à Rosemary Brown

Mon amour,

Ton absence me pèse chaque jour d’avantage. Depuis notre première rencontre, je n’ai cessé de penser à toi, à ta douceur, à ta simplicité, si différente de toutes les « jeunes filles et dames du monde » que j’avais pu rencontrer.

Je voudrais crier mon amour à tous, mais il a malheureusement fallu que nous nous rencontrions alors que tu étais déjà mariée, et mère. Je comprends toutes tes interrogations et tes doutes, mais je brûle de plus en plus à l’idée de vivre avec toi, et me demande si nous ne devrions pas oser affronter nos familles.

J’ai en effet enfin compris d’où venait ce conflit entre elles : mon Père, pour la première fois, m’a parlé de ma mère. J’avais déjà remarqué qu’il n’y avait aucun portrait d’elle parmi tous ceux de la famille, et que personne n’en parlait dans notre milieu. A ma dernière visite, mon père m’a expliqué qu’elle était une simple immigrante irlandaise, infirmière de profession (je l’avais déjà appris par ma nourrice), et qu’il avait brisé, pour elle, ses fiançailles avec… une jeune fille de la famille André. Ceci lui avait aussi valu d’être rejeté de ses parents, mais ils ont osé vivre leur rêve, et pour cela, je les admire.

Accepterais-tu de partir avec moi ? Ce chantier ne sera pas éternel, j’ai déjà envie de découvrir d’autres régions, et j’ai entendu parler du Canal de Panama. Rosemary, accepterais-tu de quitter ton confort de lady, de partir à l’aventure ? Je suis persuadé que tu pourrais le faire aussi avec ton fils, que j’aimerai, je te l’assure, autant que s’il était le mien.

J’attends avec impatience sinon ta visite, du moins ta réponse.

Brian

1898 -Lettre de Rosemary Brown à Brian Mac Gregor

Mon Chéri,

Ta dernière lettre m’a laissée très émue, et je ne sais plus quoi faire.

Si je m’écoutais, demain je prendrais le train, et irais tout de suite te retrouver. Malheureusement, je suis loin d’être libre : comme je te l’ai déjà dit, et comme tu le sais, je suis mariée avec John Brown, un homme profondément bon, et patient. Bien sûr, je n’ai jamais ressenti le même élan pour lui que pour toi, mais j’ai beaucoup de scrupules à le quitter, après avoir accepté le mariage, et encore plus à le priver d’Anthony, qu’il adore.

L’histoire de tes parents m’inquiète : qui pouvait être cette jeune fille de ma famille, avec qui ton père a rompu ? Je ne peux pas imaginer ma Tante Elroy, qui est tellement fière, et ne parle jamais en bien des Mac Gregor… si c’était elle, hélas, je ne vois vraiment pas comment lui annoncer que j’envisage de briser le mariage qu’elle a organisé pour rejoindre quelque un du « clan ennemi » (comme elle le dit). Je t’ai déjà dit qu’elle nous a séparés, Albert et moi, que je ne le vois presque jamais : j’ai grand peur, si jamais je partais avec toi, qu’elle ne me prenne Anthony également… j’aurais alors perdu mon petit frère et mon fils, et eux, n’auraient plus personne pour les aimer et les protéger. Je me dis parfois que ça doit être horrible de grandir en orphelin, sans soutien, sans le regard d’une mère. Albert n’a aucun souvenir de la nôtre, qui est morte à sa naissance, je me suis efforcée de la remplacer, mais je n’avais jamais que quelques années de plus que lui…

 

J’ai très peur que notre relation soit découverte. Il me devient de plus en plus difficile de trouver des raisons pour mes voyages, Sarah par exemple m’a fait remarquer que c’était « curieux d’abandonner son fils pour aller voir une ancienne domestique ». Elle parlait de Betty, bien sûr ! Elle me fait peur… elle m’a aussi demandé si je t’avais revu depuis notre voyage (sans raison, normalement), et la Tante Elroy m’a sommée de rester « dans mon rôle de mère, d’épouse, et de dame de la bonne société ». Elle ne voit pas ces déplacements d’un bon œil.

 

Pour toutes ces raisons, je préfère rester prudente. Ma soeur Emily devrait rentrer d’ici l’été prochain, si j’en ai le courage, je lui parlerai de notre situation… peut-être qu’elle m’écoutera sans trop me juger, et me donnera de bons conseils, et son appui. Je me sens souvent seule, loin d’elle, d’Albert, de toi, heureusement que j’ai Anthony, qui commence à m’aider dans la roseraie.

J’espère enfin que tu es prudent, dans la mine. Sarah a convaincu son mari (je ne sais pas comment, ni pourquoi, personne ne veut me le dire) de retirer ses fonds pour votre affaire, j’espère que ça ne compromet pas ta sécurité, ni celles de tes hommes. Quand tu verras Kevin et Betty, transmets-leur mes amitiés, surtout à Betty. Dis-lui aussi de se reposer : je l’ai trouvée de plus en plus fatiguée à chaque visite, et elle porte maintenant un bien précieux.

Je t’embrasse, et pense à toi tous les jours

Rosemary

1898 - Lettre anonyme reçue par Elroy André

Madame,

Il est de mon devoir d’honnête citoyen de vous avertir qu’une femme de votre famille apporte le déshonneur sur vous tous par son attitude immorale et ses dissimulations.

Rosemary Brown vient régulièrement à la mine de Brokenheart, au moins tous les mois. Vous avez connaissances de certaines de ces visites, mais le prétexte est faux : ce n’est nullement pour voir son ancienne domestique, Betty Gordon, elle a en fait une liaison avec l’ingénieur de la mine.

Tout le personnel est au courant, et la rumeur va bientôt gagner la région et entacher le nom de votre noble famille. J’estime qu’une femme mariée doit fidélité à son époux, et j’ai entendu dire que vous avez aussi fait beaucoup pour l’éducation et la situation de Mme Brown. Je voulais donc vous mettre au courant de cette tromperie.

Avec mes respects, je vous conseille d’interroger votre nièce.

(la lettre n’est pas signée)

1898 - Lettre d’ Emily Conwell à sa sœur Rosemary

 

Ma chère Rosemary,

Je dois repartir avec Jack sans t’avoir revue. Où es-tu ? La Tante Elroy m’a dit que tu étais partie « en cure, accompagnée par Sarah », mais qu’elle ne savait pas jusqu’à quand, et que le médecin avait recommandé beaucoup de repos, et d’éviter toute « fatigue inutile », avec de l’isolement.

Même ton mari ne sait pas où te trouver… je l’ai rencontré hier soir, avant d’embarquer pour l’Europe, et il m’a dit qu’il était venu vous embrasser, Anthony et toi, et que tu étais déjà partie… en lui laissant juste une lettre où tu disais que tu serais absente « au moins plusieurs mois« . Je ne te cache pas qu’Anthony te réclame beaucoup, heureusement, il a maintenant de la compagnie : je t’avais dit qu’Alistaire et Archibald supportaient mal le climat des pays où nous vivons, je me suis finalement rendue aux raisons de Jack et de notre Tante, et lui ai confié les garçons. Ainsi, ils grandiront au sein de la demeure de Lakewood, que j’ai tant aimé, apprendront à jouer de la cornemuse comme tous les garçons de notre famille, et seront en sécurité. Cette décision m’a déchiré le cœur, mais j’espère obtenir de Jack que nous rentrions au moins une fois par an en Amérique- mais je ne te cache pas que l’absence des enfants ne le gène pas. Mon mari est un pur « homme d’affaires », et entend que je tienne bien les dîners et réceptions ; je pense que les garçons l’intéresseront d’avantage quand ils seront grands.

Mais toi, que deviens-tu ? Mr Desrosiers, notre jardinier, m’a dit que les dernières semaines avant ton départ précipité, tu paraissait préoccupée, pas seulement malade. Est-ce que ta maladie s’est aggravée ? Est-ce qu’il se passe autre chose ? As-tu rejoint Albert là où il est caché ? J’ai croisé Georges, qui n’a pas voulu me dire non plus où est notre petit frère, seulement que c’était « une décision de l’Oncle William » (que je n’ai toujours pas vu). Et la Tante Elroy est toujours aussi inabordable.

Je reprends donc le bateau demain, le cœur lourd. Écris-moi rapidement, et n’hésite pas à câliner mes deux petits Ali et Archi quand tu rentreras, fais le pour moi.

Je t’embrasse,

Emily

1899 - Lettre de Rosemary Brown à Mme Gordon

Chère Madame Gordon

J’ai appris avec beaucoup de douleur le décès de Betty, et voulais vous assurer de toute ma sympathie.

Betty était véritablement une sœur pour moi : grâce à votre accord, nous avons pu grandir ensemble, jusqu’à devenir des femmes. Elle était une seconde sœur pour moi, et je crois qu’elle voyait les choses de la même façon.

Je sais que ces dernières années ont été difficile, surtout avec son séjour à la mine de Brokenheart. Je sais également qu’elle a vécu des moments très heureux avec Kevin, et j’espère qu’ils se sont retrouvés maintenant. Je n’ai eu l’occasion de voir leur petite fille que très brièvement, mais j’ai trouvé qu’elle était très mignonne, et leur ressemblait beaucoup…

 

Je puis vous assurer que l’institution où elle va grandir est très bien, et qu’elle y trouvera amour et réconfort. Je tâcherai d’aller la voir de temps en temps, et peut-être un jour, si ma santé et ma situation me le permettent, j’aurai la possibilité d’adopter votre petite fille, que je considère déjà comme ma nièce. Je pense aussi que je ferai de même pour celle qui a été trouvée le même jour, si elles deviennent amies.

Chère Madame Gordon, je n’aurai malheureusement pas l’occasion de venir vous voir, puisque ma santé ne me le permets pas, et que je suis très prise avec mon fils et ses cousins. Je vous demanderai s’il vous plaît de ne pas répondre à cette lettre, puisque ma correspondance est surveillée, et que je ne peux pas vous en dire plus.

En espérant venir vous voir un jour avec Anthony et ses « petites soeurs »,

Respectueusement

Rosemary Brown

Candy a terminé sa lecture, Albert et Terry la regardent…

 

- Tu peux pleurer, Candy, si ça te fait du bien

- Tu me dis ça, Albert ! Toi qui a été le premier à me dire…

- « Tu es beaucoup plus jolie quand tu ris que quand tu pleures », complète Terry. C’est vrai, mais là, tu en as besoin, c’est autre chose.

- Ainsi, ma mère avait l’intention de venir nous chercher, Annie et moi… qu’est-ce qui l’en a empêchée ?

- Elle a appris 3 ans après ta naissance qu’elle était condamnée. Il faut aussi dire que t’adopter, toi, c’était un gros risque : tu lui ressemblais déjà beaucoup, les gens auraient pu faire le rapprochement avec sa longue absence, et Sarah aurait sûrement parlé.

- Comment savait-elle que je lui ressemblais ?

- Elle est venue, un « dimanche des parents », avec un chapeau voilé. C’est Alfred, le chauffeur des Legrand, qui l’a conduite, et il en a parlé à sa femme. Ma soeur a porté ce lourd secret encore pendant sa maladie, et n’en a parlé que dans ces derniers jours à John, mon beau-frère. Moi, j’étais trop jeune, elle m’avait juste demandé d’aller vers cette colline « où je pourrais voir sa plus jolie création ». C’est comme ça que je t’ai rencontrée, quelques années plus tard.

- Et Emily, c’était quand même ma tante ?

- Elle n’est revenue que pour l’enterrement de Rosemary. Il était trop tard, elle ne savait rien, et je pense qu’elle n’aurait pas pu faire grand-chose : le père d’Alistaire et d’Archibald est très ambitieux, il n’aurait pas laissé sa femme toucher à la réputation de la famille.

- Ce que je trouve curieux, c’est que mon père n’ait pas prévenu ma mère… il connaissait Mme Legrand, et elle lui avait déjà fait du mal.

- Regarde, intervient Terry, on dirait un brouillon

1898 - Lettre inachevée de Brian Mac Gregor

Mon amour,

Je viens de lire ta lettre, et hésite entre t’envoyer celle-ci ou venir te trouver.

La situation devenant pressante, il faut que je te dise que ta cousine, Sarah, est venue il y a quelques semaines me voir.

Elle a d’abord minaudé (comme d’habitude), puis m’a dit « n’avoir jamais rencontré d’homme de ma valeur, et être tombée sous mon charme ». Elle s’est approchée de moi, et déclaré qu’elle avait bien vu que je n’étais « pas insensible » et « qu’elle était prête à tout quitter pour moi ». Imagine ma surprise ! J’ai du la repousser alors qu’elle tentait de m’embrasser, et lui ai rappelé que son mari était un ami de longue date, et que je ne m’autoriserais sûrement pas à briser son bonheur. Cette fausse « dame » s’est montrée alors encore plus « aguichante », et je l’ai à nouveau repoussée, plus fermement. Sarah a alors changé d’attitude : elle m’a dit que « je n’avais pas été toujours aussi regardant pour les femmes mariées », et qu’elle « pourrait parler et faire payer la sainte nitouche» si je n’acceptais pas au moins une « relation discrète ».

J’ai bien sûr joué l’incompréhension, et l’ai reconduite « manu militari » à sa voiture. Je n’arrive pas à oublier son regard, ni ses mots : « Je te le ferai payer, Brian ! Et Rosemary encore plus ! ». Si tu me dis aujourd’hui qu’elle fait des insinuations auprès de ta Tante, je crains le pire… son mari a déjà retiré ses fonds, j’ai tous les jours des craintes quand je vois que les tunnels ne sont pas assez consolidés faute de moyens. Il faut que je te dise aussi que Betty ne se porte pas bien, et que son état m’inquiète, je me demande même si elle arrivera à avoir son bébé. Et je me sens responsable : sans notre liaison, elle ne serait pas soumises aux conditions de la mine, qui sont trop dures pour elles.

Pour toutes ces raisons, je pense que l’heure est venue pour nous de clarifier la situation : je suis prêt à m’expliquer avec ton mari, ta Tante, mon Père, rien ne me fait peur.

Écris-moi pour me dire… 

- La lettre s’arrête là. Elle est datée du jour de l’accident, constate Terry. Ce qui est fou, c’est qu’Elisa a utilisé le même stratagème de lettre anonyme pour nous séparer au Collège

- Heureusement, elle n’y est pas arrivée, et nous nous sommes retrouvés.

Candy pose la main de Terry sur son ventre. Devant leur sourire complice, avant même l’annonce, Albert comprend : le cycle infernal n’est pas reproduit, Candy et Terry auront leur enfant ensemble, et l’élèveront avec amour, peut-être encore plus fort grâce à la volonté d’éviter les séparations involontaires qu’ont connu leurs parents. Et cet enfant ne sera jamais orphelin, ni « victime de sa naissance».

© Helena 2007