Noël sous la neige
Par Héléna

 

Première partie

Mois de l'avent

 

La neige tombe à gros flocons sur l’hôpital militaire…

De leurs lits, les soldats l’observent, en attendant le passage des infirmières, événement très attendu dans leur journées. Le jeune aviateur américain observe la mince silhouette brune qui arrive. Depuis peu, il est sorti du coma, et se souvient de jeunes filles du même âge que celui de l’infirmière : une infirmière blonde, une jeune fille brune à lunettes dans un autre uniforme que celui des femmes en blanc, une troisième douce et timide. Qui sont-elles ? Petit à petit, le brouillard se dissipe, et les souvenirs lui reviennent. Ce sont d’abord ceux de son enfance : deux garçons avec qui il jouait, courait, et riait à perdre haleine. Ce qui le trouble le plus, c’est qu’il se souvient aussi d’un homme avec la tête bandée, comme lui, qui cherchait à rassembler ses souvenirs, comme lui, et qu’il voit cet homme à la fois avec l’infirmière blonde et avec un des garçons, évidemment plus grand, ainsi que la jeune fille à lunettes. Un flash aigu lui vient : un pique-nique ! Et ils étaient tous réunis ! Pour l’heure, la jeune infirmière, sérieuse et concentrée, prend les températures des blessés, et s’assure que les bandages ne sont pas défaits. Arrivée à son lit, son visage s’adoucit.

- Bonjour, vous vous souvenez de moi ?

- Oui, et j’ai de plus en plus d’images qui me reviennent.

- Lesquelles, par exemple ?

- Des jeunes filles qui ont à peu près votre âge… l’une d’elle devait être ma fiancée, une autre une amie d’enfance ou quelque un de ma famille : je la vois à la fois comme une petite fille, puis une adolescente, et enfin comme infirmière. Il y en a aussi une troisième, qui doit être liée à mon frère ou mon cousin, puisqu’ils sont toujours ensemble…

- C’est bien « Monsieur A »-c’est toujours comme ça que vous voulez qu’on vous appelle ?- Vous verrez, petit à petit, tout vous reviendra. Reposez-vous, en attendant.

Doucement, l’infirmière pris de la seule main du blessé un carnet, sur lequel il consignait des croquis et portraits venus du passé. Sur le point de le refermer, elle resta interloquée devant l’un d’eux : un petit groupe d’amis autour d’un avion, filles et garçons, dont l’un d’eux a un visage bien connu des journaux, et se produit en France en ce moment… quel était le lien avec son convalescent ?

La neige tombe à gros flocons sur Chicago…

En gracieux équilibre sur une chaise, Annie achève de décorer le luxueux sapin des André. Deux mains viennent la prendre par la taille.

- Fais attention, Annie, ne vas pas tomber !

- Oh, Archi, tu étais là ? Je ne t’ai pas entendu entrer.

- Tu as fait un magnifique travail avec ce sapin, il est magnifique !

- Je suis bien d’accord avec toi, Archibald, notre petite Annie a un goût exquis.

Ces dernières paroles viennent de la Tante Elroy. Surpris par sa présente, Archibald s’empresse de lâcher la taille d’Annie, et elle de descendre de sa chaise pour saluer comme il se doit la doyenne. Celle-ci a fini par pleinement accepter les fiançailles : Annie lui a toujours d’avantage plus que Candy, moins « frondeuse« , et les liens amicaux sont anciens entre les familles André et Brighton.

- Annie, je suis venue te voir suite à ta conversation avec Albert. Ainsi, tu préfères fêter Noël à ton premier foyer ?

- A la maison de Pony, oui Madame. Vous savez, je n’ai jamais eu l’occasion d’y retourner pour « gâter » les enfants, et ce serait un juste retour après tout ce que Melle Pony et Sœur Maria ont fait pour moi.

- Et ce serait l’occasion de revoir Candy, ne le cache pas !

- C’est vrai. Ce Noël est un peu spécial pour nous tous : nous avons tous eu une année lourde en évènements, heureux ou malheureux, et ce serait bien de nous retrouver. Acceptez-vous qu’Archibald m’accompagne ?

- Exceptionnellement, je vous l’accorde. Mais quand vous serez mariés, n’oublie pas que tu deviendras une Dame de la famille André, que tu auras un rang à tenir, et que ce sera à toi d’organiser les réceptions à ma place. Je serai d’ailleurs bien contente de t’en laisser ce soin, je ne rajeunis pas.

- Voulez-vous venir avec nous ?

- Je te remercie, mais je suis invitée chez les Legrand. Espérons simplement qu’ils auront enfin abandonné l’idée déraisonnable de ce mariage entre Daniel et Candy !

Toujours hautaine, la Tante Elroy tourne les talons. Archibald et Annie échangent un sourire soulagé : ils ont un dernier sursis avant leurs obligations mondaines, et auront le plaisir de passer un Noël sans contraintes !



La neige tombe à gros flocons sur le théâtre Parisien…

La répétition de la troupe Strafford est terminée, et, comme d’habitude, Terry s’éloigne à grands pas rapides des autres membres de la troupe pour s’isoler. Nul n’est étonné : depuis son retour, il participe toujours aux répétitions et aux représentations avec le même professionnalisme, mais avec encore plus de froideur et de distance qu’avant « Roméo et Juliette » et toutes les conséquences qui ont suivi.

Karen, cependant, le regarde partir d’un air songeur. Terry est toujours un très brillant interprète, mais jamais il n’a retrouvé le même feu que celui qui l’animait quand tous l’ont connu, et qu’il s’était affirmé comme « étoile montante ». Un bruit de pas et de roues la font se retourner.

- Terry ? Terry, où es-tu ?

- Oh, Suzanne, il est déjà parti. Il doit être sur le toit, comme à son habitude, hors de portée pour toi. Laisse-le donc respirer !

- Oh, Karen, comme tu es dure avec moi… Tu sais, j’aime Terry, et nous devons nous marier en début d’année, c’est normal que je cherche à être avec lui.

- Si tu l’aimais vraiment, tu le laisserais vivre sa vie. Il ne reste avec toi que par devoir moral, et tu le sais très bien ! Mais c’est vrai que tu as toujours été manipulatrice, déjà pour avoir le rôle de Juliette à ma place…

  • Vous n’avez pas à vous adresser à ma fille de cette façon, Mademoiselle, intervient Mme Marlowe. Suzanne a sacrifié sa carrière, et son intégrité physique pour lui, il a une dette éternelle ! Allez plutôt le chercher, je vous prie.

Alors que Karen tourne les talons, sans exécuter l’ordre de la mère de Suzanne, Eléonore Baker s’efface contre un décor, le souffle court. Elle avait découvert que Terry et elle jouaient en même temps en France, et avait voulu venir le retrouver pour renouer les liens avec son fils. Ce qu’elle vient d’entendre la choque, et confirme ses craintes : Terry est prisonnier d’une « dette », ô combien lourde. Que peut-elle faire pour lui venir en aide ? Une voix l’interpelle alors :

- Madame, Madame s‘il vous plaît?

- Oui ?

- Pouvez-vous me dire si je peux rencontrer Mr Grandchester ?

- Que lui voulez-vous ?

La jeune femme s’explique : elle n’est pas une admiratrice, mais infirmière sur le front. Parmi les malades et blessés dont elle s’occupe, un jeune aviateur à l’accent étranger (sans doute américain) n’a plus comme lien avec son passé qu’un carnet de dessins, où il reconstitue ses souvenirs. Elle montre alors à Eléonore Baker l’un de ces dessins, où elle a cru reconnaître « la nouvelle étoile du théâtre ». A la vue du croquis, l’actrice sursaute : oui, c’est bien Terry, sur ce dessin… et à ses côtés, une adolescente aux cheveux bouclés qu’elle n’a jamais oubliée, elle non plus. Sans plus attendre, elle invite la messagère à la suivre dans l’escalier qui mène aux toits, là où elle sait qu’elle peut retrouver son fils.

Deuxième partie

La semaine avant Noël

 

La neige tombe à gros flocons sur la petite gare du Michigan….

Candy et Jimmy font les 100 pas sur le quai. Ils attendent le train qui doit amener Patty, l’amie de collège qui a finalement accepté de se joindre à tous pour Noël. Un retard a été annoncé par le chef de gare, et ils patientent depuis bientôt une heure, ce qui n’est pas dans leurs caractères.

- Dis Chef, les trains sont toujours en retard ?

- Je ne sais pas, Jimmy, pourquoi me demandes-tu ça ?

- Parce que tu as beaucoup voyagé, tu dois bien savoir. Un train sous la neige, c’est toujours aussi lent ?

- Non, Jimmy, pas toujours.

Un train sous la neige : l’expression laisse Candy songeuse. Elle vient de se souvenir que son dernier voyage avec ce temps remonte à son retour de New York. Autant l’aller avait été joyeux, autant le retour était lourd : elle avait découvert le sacrifice de Suzanne, l’avait empêchée de se suicider, et pour finir Terry et elle s’étaient séparés. Comme le trajet en train avait été long… elle avait pris un billet « économique », avait laissé sa place à une jeune maman, et été prise d’un malaise sans doute du au froid et au choc de la rupture. D’ailleurs, elle n’avait gardé aucun souvenir de la fin du voyage en train, juste un réveil chez les André.

- Le voilà ! Candy, voilà le train !

La locomotive s’arrête le long du quai, et une porte s’ouvre sur une jeune fille, cherchant visiblement quelque un du regard. Apercevant Candy, son visage s’éclaire, et elle saute, la valise à la main.

- Candy !

- Patty, Patty te voilà enfin !

Elles courent l’une vers l’autre pour se retrouver, riant et pleurant à la fois. Candy observe que Patty a maigri, elle qui se plaignait de ses rondeurs a perdu ses joues d’adolescente, et semble pâle. Sans doute le deuil d’Alistair, qu’elle a tant aimé.

- Mademoiselle, vous faîtes êtes bien envoyée par Melle Pony ?

- Oui, Monsieur (Candy se tourne vers le chef de gare, qui tient par la main une petite fille au visage sombre).

- Alors voici Gracie Adams. La voisine de ses parents nous l’a confiée pour que nous vous la remettions.

- Bonjour Gracie, moi c’est Candy. Je suis infirmière à Chicago, mais j’ai grandi à la Maison de Pony. Tu vas voir, c’est un endroit formidable, et tu y seras très heureuse.

- Pas sans mon Papa et ma Maman, je ne vous aime pas.

Le visage de la petite fille est fermé. Candy échange un regard avec Patty, mais n’insiste pas : Gracie a perdu tragiquement ses parents dans un accident de la route il y a un mois, toute sa vie est bouleversée… il faut lui laisser le temps, comme il avait fallu le laisser à Jimmy avant qu’il ne sorte de sa carapace.

Pour l’heure, tous les quatre s’installent dans la carriole de Mr Cartwright, et prennent le chemin de la maison de Pony. Ils n’ont pas vu le petit groupe de voyageurs dans le dernier compartiment privé de Première Classe, à l’arrière du train.

La neige tombe à gros flocons sur Lakewood….

Tournant le dos à Albert, Terry regarde le jardin sous la neige. Enfin il voit cette demeure où Candy avait rencontré les trois cousins, et où elle avait vécu quelques mois avant le décès d’Anthony.

Grande a été sa surprise d’y trouver Albert, et d’y apprendre sa véritable identité. Jamais il n’aurait imaginé que son ami de Londres, un peu « bohème » aurait pu être le chef de la famille André, ni le père (adoptif) de Candy. Tout à l’heure, en accompagnant celui qu’il avait reconnu comme étant Alistair, il a eu le temps de voir des portraits dans le corridor, et de noter les ressemblances : celle d’Albert et de celui qui devait être Anthony, celle d’Archibald et d’Alistair avec leurs aïeux, et même celle de Candy avec une élégante Lady…

- Terry, je ne te remercierai jamais assez d’avoir ramené Alistair.

- C’est normal, Albert. Je ne me suis pas toujours entendu avec son frère, mais Alistair m’a toujours été sympathique, et je n’allais pas le laisser dans cet hôpital de fortune, loin de vous tous. Il a reconnu mon visage, mais ne sait plus mon nom.

- Qu’as-tu l’intention de faire, maintenant ?

- Retourner à New York, pour début janvier. La troupe sera revenue, et mon mariage avec Suzanne doit être organisé.

- Et tu te laisses faire ?

- Je le lui dois. Tu as bien vu qu’elle m’a accompagné, avec sa mère, nous sommes maintenant liés.

- Tu ne penses donc plus à Candy ?

- Si, comme à un doux souvenir de ma jeunesse. Mais maintenant, je suis adulte, et j’ai des devoirs.

- Terry, je vais avoir un grand service à te demander avant ton départ.

- Lequel ?

- Nous sommes le 23 décembre. Je dois rentrer d’urgence à Chicago régler des affaires urgentes, qui ne peuvent pas attendre : Daniel Legrand (dont tu dois te souvenir) s’est livré à des malversations avec la banque que dirige son père. Je dois à tout prix les régulariser avant « la trêve des confiseurs », ou alors plusieurs de nos petits actionnaires seront ruinés.

- Ils n’ont pas changé, ces fichus Legrand ! Et que veux-tu que je fasse ?

- Je ne peux pas laisser Alistair seul, d’autant qu’il n’a pas retrouvé tous ses souvenirs. Il a besoin d’être entouré, je connais sa situation pour y être passé. Archibald et Annie sont à la Maison de Pony, où ils vont passer Noël avec Patty

- Et Candy, je suppose ?

- Oui, et Candy. Je ne te demande pas de la voir, mais simplement d’accompagner Alistair, et de t’assurer de loin qu’il est arrivé à bon port.

- Tu n’as personne d’autre ? Ce « Monsieur Georges » qui avait amené Candy à Londres ?

- Il doit rejoindre notre doyenne, la Tante Elroy. Elle est partie chez les Legrand, et ça m’inquiète… elle a besoin de protection.

- Je vois, je n’ai pas le choix. Eh bien d’accord, Albert, mais c’est juste par amitié pour toi et pour Alistair, ne vas pas te méprendre.

Dans la pièce voisine, Suzanne et sa mère se concertent. Elles ont réussi à espionner la conversation…

- Maman, il ne doit pas revoir Candy, ou il serait perdu pour moi !

- Tu vois, ma chérie, nous avons bien fait de venir avec lui. J’avais trouvé bizarre cette histoire de retrouvailles avec un soi-disant ami de collège blessé de guerre à Paris, c’était un stratagème ! Nous ne quitterons pas Terry, et je saurai bien lui rappeler son devoir.

- Mais Maman, il ne m’aime pas…

- Il apprendra, ma chérie. Tu es toujours aussi belle.

Suzanne tourne son fauteuil vers la fenêtre, ses yeux embués l’empêchent de voir les tourbillons de neige- l’amour peut-il vraiment s’apprendre ?

Troisième et dernière partie

Dans la nuit magique

 

La neige tombe à gros flocons sur la maison de Pony…

Les enfants ont fini d’accrocher leurs chaussettes au sapin, Patty, Annie et Candy ont réussi à les convaincre d’aller se coucher. Elles vont retrouver Melle Pony et Sœur Maria autour d’un bon chocolat chaud, et échangent un sourire complice : elles viennent d’apercevoir la silhouette d’Archibald déguisé en Père Noël, qui se glisse dans la maison avec les sacs de jouets.

- Tu as finalement réussi à le convaincre, Annie ?

- Oui, mais ça n’a pas été chose facile. Il est tellement élégant, l’idée de se grimer en vieil homme bedonnant le révulsait !

- Il n’est pas élégant, il est coquet, voir dandy, et tu le sais très bien.

- Oh, Candy, ce n’est pas vrai, Archibald n’est pas un dandy, et je te défends de dire ça !

Patty s’amuse de voir ses amies reprendre les chamailleries et taquineries d’autrefois. Elle est contente de les revoir, et retrouve le sourire. C’est alors que l’on frappe à la porte…

- Qui peut venir à cette heure-ci ?, se demande Melle Pony

- Allons voir.

Quand Sœur Maria ouvre la porte… les trois amies poussent un cri : Alistair ! Il est là, devant elles, blanc et fatigué, un peu hagard, mais bien vivant !

- Alistair ! Je savais, je savais que tu n’étais pas mort !

- Je vous connais… vous êtes… tu es ma Patty… ça y est, je me souviens…

Les amoureux tombent dans les bras l’un de l’autre. Sur le coup de l’émotion, Candy et Annie s’approchent, touchent respectueusement Alistair, sans vraiment y croire… Candy la première remarque la manche vide.

- Oh mon Dieu, Ali…

- Ce n’est rien, Candy, il est vivant, tu comprends ? Je conduirai une voiture pour lui, mais il est vivant, et c’est l’essentiel.

- Alistair, comment es-tu arrivé ? Qui t’a amené ?

- Je suis accompagné depuis la France par un garçon qui m’a dit qu’il était au Collège avec moi. Il a un drôle de caractère, à première vue, mais finalement il est très gentil.

- Alistair ? Non, ce n’est pas possible ?

Archibald, débarrassé de son costume, vient d’entrer. Sur le coup de l’émotion, il défaille… et c’est sa « fragile fiancée », Annie, qui vient le soutenir. Il s’assoit, et écoute, comme les autres, le récit de son frère. Le brouillard petit à petit dissipé… les visages qui lui revenait, et qu’il dessinait, inlassablement… la jeune infirmière qui avait reconnu l’un d’eux, et retrouvé un témoin de son passé.

- Et ce témoin, qui est-ce ?

- Graham Baker, m’a-t-il dit.

- Graham Baker ? Mais nous ne connaissons personne de ce nom…

- Ce n’était pas Graham ! C’était Terry, s’écrie Candy.

- Comment ça, Terry ? Voyons, Candy, oublie-le un peu, marmonne Archibald, un verre de rhum à la main.

- C’est lui : il a donné le prénom de son père, le nom de sa mère, mais je suis sûre que c’est lui, je le sens.

- Remarque, le drôle de caractère, ça lui ressemble (Archibald est toujours d’aussi mauvaise foi).

- Alistair, où est-il ?

- Il m’a déposé devant la porte, et est reparti avec sa femme et sa belle-mère.

Sur le point de se précipiter dehors, Candy interrompt son élan. Sa femme et sa belle-mère… tout espoir est perdu, Terry est marié à Suzanne. En se retournant, elle voit ses amis en couple, Annie et Archibald, Patty et Alistair, et elle se détourne pour cacher ses larmes.



La neige tombe à gros flocons sur le sommet de la colline….

Dans la nuit noire, une petite fille avance, tenant farouchement une valise à la main. Elle sent le froid, mais est déterminée : elle ne retournera pas dans cette maison où tous ces enfants font semblant d’être heureux, elle se sent capable de se trouver de nouveaux parents toute seule. Son Papa lui a toujours dit qu’elle était très forte, très intelligente, elle se sent assez grande pour se passer des adultes.

Une bourrasque plus forte la précipite en avant, et la fait butter contre une racine. C’est alors que la peur lui vient : et si elle se perdait ? Gracie a grandi en ville, elle n’est pas habituée aux bois et à la campagne. Non ! Elle ne retournera pas là-bas, surtout pour fêter Noël sans son Papa et sa Maman. A la pensée du grand sapin, qui a été dressé par Candy et ses amies, une grosse boule lui vient dans la gorge, elle se souvient du dernier Noël, quand Papa et Maman lui avaient offert une poupée…

Une silhouette se détache alors de l’arbre le plus proche.

- Qui es-tu ? Que fais-tu là ?

Terrifiée, Gracie empoigne sa valise et s’enfuit : qui est cet homme au milieu des bois ? Que fait-il là en pleine nuit ? En quelques enjambées, il la rattrape et la ramène à sa voiture, garée en contrebas.

- Oh Terrence, te voilà enfin ! J’étais tellement inquiète

- Vous êtes fou de partir sous la neige, ma pauvre Suzanne a failli se trouver mal. Mais qui est cette enfant ?

- Attendez qu’elle se réchauffe, elle va bien nous le dire.

Gracie claque les dents, mais se réchauffe peu à peu, et accepte la tasse de chocolat tendue par le jeune homme. Finalement, débarrassé de sa casquette et de son écharpe, il n’est plus si effrayant, et même très beau… Son visage change d’expression en quelques secondes : dur face aux deux femmes, tout en douceur devant elle.

- Tu t’es perdue ?

- Non, je partais.

- Tu viens de la Maison de Pony ?

- On m’y a envoyée, mais je n’y resterai pas. Je ne suis pas comme les autres, je saurai bien me débrouiller. Ceux qui restent là-bas sont des « faibles », des « pleurnichards ».

- Ah oui, tu crois ? Pourtant, on m’a dit que justement, dans cette Maison, on aide les enfants à devenir grands, et qu’ils en sortent très forts. Et Melle Pony et Sœur Maria sont très gentilles.

- Vous les connaissez ?

- Je les ai déjà rencontrées, oui. Et j’ai aussi rencontré d’anciennes… d’anciens pensionnaires.

- Ah bon ? Et alors ?

- Alors, elles leur ont appris à mener leur vie selon leur rêve, tout en respectant les autres. Et ça, nous pouvons tous le leur envier.

Terry se tait… se souvenant d’une visite qu’il avait fait à son arrivée en Amérique, d’où il était parti sous la neige, comme aujourd’hui, à la fois heureux d’avoir vu le foyer de Candy, et déçu de ne pas l’y avoir trouvé, contre toute raison.



La neige tombe à gros flocons sur le Foyer de Pony, de plus en plus fort…

Melle Pony ouvre brutalement la porte de la salle, affolée.

- Elle a disparu ! Gracie a disparu !

- Est-ce que vous l’avez cherchée partout, demande Sœur Maria

- Oui, oui, et elle a pris ses affaires.

- Elle se serait enfuie ? Par ce froid ? S’inquiète Annie

- Il faut la retrouver, j’y vais.

Joignant le geste à la parole, Candy enfile son manteau, prend son écharpe, et part en courant. D’abord interloqués, ses amis se concertent et décident en un moment d’en faire autant, sauf pour Alistair qui est encore convalescent. Chacun s’habille, quand Sœur Maria les arrête.

- Écoutez, on dirait un bruit de moteur.

Effectivement… quelques secondes plus tard, la porte s’ouvre sur Gracie, un peu piteuse, accompagnée par deux femmes et un homme.

- Nous vous la ramenons, rassurez-vous, elle n’a pas eu le temps de prendre froid.

- Terry ? C’était donc bien toi ? Candy ne s’est pas trompée, alors…

- En voilà assez, décide Mme Marlowe, nous vous laissons à votre œuvre de bienfaisance. Au revoir, venez, Terrence.

Archibald, toujours impulsif, réagit au ton sarcastique, et l’arrête.

- « Œuvre de bienfaisance » ? Que voulez-vous dire par là, Madame ?

- C’est évident, s’emporte-t-elle. Terrence est d’origine noble, il avait gardé une liaison avec une demoiselle de son rang… Il est tout prêt à abandonner ma pauvre Suzanne, qui n’a pas cette chance d’être de votre milieu, et qui est maintenant estropiée, pour retrouver cette rivale capricieuse, sous couvert d’une pseudo-œuvre de charité. J’ai tout compris, et Suzanne avec moi !

- Une pseudo-œuvre de charité ? Que voulez-vous dire ?

- Oh, arrêtez… Melle André fait semblant de venir distribuer des jouets pour Noël à de malheureux orphelins, elle fait venir Terrence, qui la retrouve par miracle, et ils disparaissent ! Tout était manigancé !

- Comment osez-vous ! Comment osez-vous parler ainsi de Candy, et des orphelins !

C’est Annie, sous le coup de l’émotion, qui a interpellé Mme Marlowe. Plus personne ne la reconnaît…

- Candy et moi avons grandi ici, moi j’ai eu la chance d’être adoptée par des parents aimants, mais elle, elle a souffert pendant des années. On l’a trompée pour la faire venir, elle a été domestique, dormi dans une écurie, a été humiliée, et ne doit son adoption qu’à ses propres mérites ! Et même après, elle a encore connu la séparation, la mort d’une personne chère, et a toujours lutté !

- Je ne vous crois pas, c’est une André. Suzanne a bien reconnu le portrait dans la galerie…

- Je sais de quel portrait vous parlez, Madame, dit Archibald, mais ce n’est qu’une coïncidence. C’était ma Tante, mais rien ne laisse croire à un lien de sang entre Candy et elle.

Assise dans son fauteuil roulant, Suzanne voit tous les arguments de sa mère démontés… Est-il possible qu’elle se soit trompée à ce point sur sa rivale ? Que celle-ci ait elle aussi connu la souffrance, et qu’elle ait trouvé la force de se relever ? Comme elle l’envie…

- Terry, pourquoi ne m’as-tu jamais dit tout ça, je l’ignorais.

- Parce que tu ne m’as jamais posé de question sur Candy et notre relation. Tu n’as jamais essayé de savoir ce qui nous avait rapproché, comment je l’ai connue. Pas plus que tu n’as jamais essayé de mieux me connaître. Alors que Candy, elle, dès le début s’est inquiétée, était attentive.

Terry revoit la scène de la rencontre sur le bateau. Les larmes qu’il versait en cachette, après s’être senti rejeté par sa mère, l’arrivée de cette adolescente à la fois belle, touchante et maladroite, sa première réaction « à rebrousse-poil » et la première dispute qui s’ensuivit… tout ceci par un temps aussi froid que aujourd’hui. Il réagit alors à l’absence de celle qu’il ne voulait plus revoir

- Mais où est-elle ? Avec des enfants ? Des malades ?

- Non, elle venait de partir chercher Gracie quand vous êtes arrivés… oh, mon Dieu, s’alarme Melle Pony, elle devrait déjà être revenue !

- Il faut la retrouver, j’y vais.

Joignant le geste à la parole, Terry remet son écharpe et part en courant, en claquant la porte. Le silence se fait dans la pièce : personne ne le suit, ou n‘essaye de le retenir. Il a eu exactement la même réaction que Candy une heure plus tôt, l’heure de vérité est sans doute arrivée et leur appartient.



La neige tombe à gros flocons sur le grand chêne, près de la colline.

Épuisée d’avoir couru contre les bourrasques, appelé Gracie vainement, Candy s’adosse au grand chêne pour reprendre son souffle. Que doit-elle faire ? Continuer ? Ses amis sont-ils eux aussi à leur recherche, à toutes les deux ? Son instinct lui souffle alors qu’il va se passer quelque chose d’important.

- C’est vrai, songe-t-elle, il s’est toujours passé quelque chose d’important dans ma vie quand il neige… Sœur Maria et Melle Pony m’ont trouvée en même temps qu’Annie un soir comme celui-ci, j’ai sauvé le foyer en jouant les Anges pour Mr Cartwright pour Noël, je suis revenue au Foyer également sous des flocons, ce fameux jour où j’avais raté Terry qui m’avait devancé d’une ½ heure à peine. Je me souviens, je l’avais appelé de toutes mes forces, et lui ne m’entendait pas.

Affolé de ne pas retrouver Candy, aveuglé par la neige, Terry décide de rejoindre l’arbre qui est visible, immense et bizarrement rassurant. Où peut-être Candy ? Quand il l’a sentie en danger, plus rien n’a compté à par la sauver. Il vient de mesurer que son amour est toujours là, sans commune mesure avec l’attachement, qui est plutôt de la pitié que lui inspire Suzanne. Doit-il repartir à sa recherche ? Il ne s’est même pas muni d’une lanterne ! Soudain, il réalise la curieuse ironie de chercher Candy Neige sous la neige… alors qu’il vient de réaliser que nombre d’évènements décisifs de sa vie se sont faits des jours d’hiver : les retrouvailles ratées avec Eléonore Baker quand il avait 15 ans, sa rencontre avec Candy, sa visite à la Maison où elle avait grandi, sa présentation à la Troupe de Strafford à Broadway, et finalement, le plus douloureux : sa séparation avec celle qui lui est destinée.

Manquant de trébucher, il atteint enfin l’arbre, qu’il veut agripper… mais c’est une épaule qu’il trouve sous sa main, quelque un a cherché abri au même endroit. Au bout de sa main…

- Candy !

- Terry ! Tu es là ! Je le savais !

Sans hésitation, ils se jettent dans les bras l’un de l’autre. Terry savoure cet instant, la sentir vivante contre lui… Candy tremble d’émotion, se sent revivre après de longs mois où elle avait tenté de l’oublier. Au bout d’un moment, elle tente de se dégager et lui dit :

- Terry, une petite fille s’est échappée de la Maison de Pony, je dois la retrouver. Est-ce que tu veux bien m’aider ?

- Je l’ai déjà retrouvée, elle est au chaud, avec tes amis. Veux tu que nous rentrions ?

- Non… non… garde-moi contre toi. Tu m’as tellement manqué…

Blottis l’un contre l’autre, plus rien ne compte pour les amoureux réunis. Leur lèvres se joignent, ils en oublient le froid et la neige qui tombe toujours. Combien de temps peuvent-ils échapper au présent, aux réalités ?


La neige a fini de tomber sur la colline de Pony, tout est calme…

Arrivé depuis à peine une 1/2 heure, précédant Annie, Archibald, Patty et Alistair, Albert arpente les abords de l’orphelinat. En contournant le vieux chêne, il trouve, assis et paisiblement endormis l’un contre l’autre, miraculeusement rescapés de la nuit… Candy et Terry, aussi beaux que Roméo et Juliette devaient l’être, mais bien vivants et porteurs d’avenir.

Il se tourne avec un grand sourire vers le petit groupe, leur adresse des signes rassurants. Au loin, une voiture emporte Suzanne Marlowe et sa mère.

Fin

© Héléna 2007