Le puzzle reconstitué
par Helena

Chapitre 7 - Malentendu et explication forcée

Décidément, l’heure est aux souvenirs… Candy considère la maison Legrand, et raconte à Georges sa première arrivée : l’émerveillement à la vue du palais, l’espoir qu’elle avait de se faire une nouvelle amie comme Annie, et… la douche froide. Elle arrive maintenant à en rire, rapprochant le sens figuré du sens propre.

Stewart, le majordome des Legrand, ouvre la porte et marque un temps d’arrêt face à Candy.

- Melle Candy ? Vous, ici ? Mais je croyais que les fiançailles avec Mr Daniel…

- Elles sont bien rompues, rassurez-vous ! Mais j’ai à rencontrer Mme Legrand, est-elle là ?

- Tu peux monter, Candy, intervient la voix de Mme Legrand, sans doute as-tu vraiment besoin de me voir pour oser revenir ici.

Toujours accompagnée de Georges, Candy pénètre dans le salon. Visiblement, Mme Legrand se méprend sur l’objet de sa visite.

- Entre, ma chère enfant. Je vois que l’assistant de notre cher William t’accompagne dans ta démarche. Sans doute es-tu revenue à la raison, et veux-tu renouer avec Daniel. Je vois avec plaisir que tu as enfin acquis le sens des convenances, et que tu viens te présenter à sa mère en premier… l’éducation que je t’aurai donnée n’aura donc pas été vaine. Veux-tu une tasse de thé ?

- Oui, merci Madame. Mais je ne viens pas pour Daniel. D’ailleurs, je crois qu’il est fiancé avec Judith, la sœur de Mikaël, un « bon parti », n’est-ce pas ?

- Du dépit amoureux, ma chère enfant ! En réalité, il pense toujours à toi. Ce mariage serait idéal, d’ailleurs, comme fille adoptive de William, il n’y aurait pas de consanguinité, et pourtant ça souderait définitivement la famille. Allons, tu peux me parler comme à une mère… Daniel a été un peu brusque, mais il est tellement séduisant ! Tu regrettes ton refus, et tu veux le revoir, n’est-ce pas ?

Georges, toujours observateur, est sidéré par l’audace et l’hypocrisie de cette femme… elle qui a toujours décrié Candy par tous les tons, qui l’a tant fait souffrir ! Là voilà maintenant prête à jouer les mères affectueuses et complices pour récupérer la fortune de William, qui reviendra un jour à Candy et à son époux ! Mais Candy ne se laisse pas faire.

- Que les choses soient claires ! Jamais je n’ai été attirée par votre fils, un bon à rien, gâté, lâche, profondément imbu de sa personne !

- Il a ses petits défauts, mais avec une épouse comme toi…

- Jamais ! Et puisque vous parlez de consanguinité, vous savez très bien que je suis une vraie André, avant même mon adoption !

Mme Legrand blêmi… Et c’est alors que la porte s’ouvre, et que son époux entre dans la pièce.

- Candy, on m’a prévenu de ton arrivée. Me reconnais-tu ?

- Oui, Monsieur Legrand. Comme je suis heureuse de vous revoir ! Vous qui étiez le seul de la famille à ne pas me détester et me faire souffrir 1000 misères…

- J’ai regretté ton exil au Mexique… je n’étais pas là, mais tu sais, je t’aurais fait revenir. Tu as beaucoup souffert, mais tu es maintenant une jeune femme magnifique, qui porte fièrement son identité et a choisi son destin. Que viens-tu faire ici ?

- Chercher la vérité sur mon passé, et celui d’Annie.

- Annie Brighton ? S’écrie Mme Legrand, qui a retrouvé ses esprits. Mais c’est très simple ! C’était une enfant trouvée, comme toi, elle a grandi chez Pony, mais comme elle avait déjà plus d‘élégance, elle avait été choisie par mon amie, Jeanne Brighton à ta place. D’ailleurs, Jeanne se félicite encore de son choix, figure-toi. Quand on voit la vie scandaleuse que tu as choisie… retrouver un garçon de nuit au Collège de St Paul, t’enfuir, devenir infirmière en dépit du rang de la famille André, vivre avec un parfait inconnu, entretenir une relation douteuse avec un acteur raté…

- Je vous défends ! Je vous défends de juger ma vie ! J’ai choisi l’indépendance, et j’en suis fière !

- Candy, intervient Mr Legrand, et vous, Sarah, calmez-vous. De toute évidence, vous n’étiez sûrement pas faites pour devenir belle-mère et belle fille ! Heureusement que ce mariage ne se fait pas. Mais dis-moi, Candy, qu’est-ce qui t’amenait ?

Candy ne peut répondre… la gorge nouée, elle lutte pour ne pas pleurer après l’attaque pernicieuse de Mme Legrand, qui a touché un point sensible. Pourquoi a-t-il toujours fallu qu’Annie s’en sorte mieux qu’elle ? Aurait-elle du faire plus de concessions ? Non, ce qui lui a fait le plus mal, c’est d’entendre parler de Terry comme d’un acteur raté… Il ne fallait pas penser à lui… Georges juge alors bon d’intervenir :

- Si vous le permettez, Monsieur, Melle Candy et moi-même faisons une enquête, et pensons que votre épouse pourrait nous fournir des éléments utiles.

Georges résume alors les découvertes et rencontres faites depuis les dernières semaines… le papier à en-tête… Mr Nelson… la modiste âgée, sans doute grand-mère d’Annie… le livre de la famille André, avec cette page déchirée… Monsieur Legrand l’écoute attentivement, puis dévisage Candy.

- Je peux t’assurer que j’avais envoyé Alexandre à la Maison de Pony sans autre intention que de trouver une demoiselle de compagnie pour Elisa… c’est vrai que j’avais remarqué des choses surprenantes, après ton arrivée : ta ressemblance, surtout dans les yeux, avec Rosemary, l’aversion inexpliquée de ma femme à ton égard… et aussi cette autre ressemblance avec Brian, dans ton caractère et ton rire.

- Parce que vous avez connu Brian Mac Gregor ?

- Mais oui, c’était un camarade d’université. Un garçon au caractère bien trempé, qui avait des relations terribles avec son père, à la fois très proches dans leurs goûts et réactions, mais chacun très indépendant. Je m’étais associé avec lui pour le projet de la mine, contre l’avis du conseil de la famille. Mais un jour, j’ai été sommé par ce conseil de retirer tous mes fonds… et ai appris sa mort dans les journaux plus tard. J’ai essayé de rencontrer Mr Mac Gregor, mais il s’était enfermé dans sa douleur et n’a jamais voulu me revoir.

- Est-ce qu’il connaissait Mme Rosemary ?, demande Georges

- Oui, puisqu’elle nous avait accompagné lors d’un voyage d’affaires… Sarah, c’est vous qui pouvez en dire le plus. Parlez, je vous prie.

- Je n’ai rien à dire !

- Parlez, ou je déshérite immédiatement vos précieux enfants, dans lesquels je ne me reconnais pas ! S’il le faut, je déclarerai que Candy est ma fille, même si c’est faux. Mais j’aurais voulu avoir une fille comme elle, et ce serait un acte de loyauté envers Brian !

- Vous ne ferez pas ça ! Cette petite mijaurée, avec ses airs de sainte nitouche, comme sa mère !

Mme Legrand porte la main à la bouche. Elle en a trop dit ! Terrifiée à la perspective que ces enfants soient déshérités, et du scandale si Candy passait pour la fille naturelle de son époux, elle se décide à parler. D’abord à regret, puis avec une joie féroce

- Rosemary et Brian se sont aimés dès le premier regard. Elle est apparemment retournée le voir, sous prétexte d’aller retrouver Betty, son ancienne demoiselle de compagnie, ou de voyages d‘affaire. Un jour, elle est arrivée chez moi, hagarde. Brian et Kevin étaient tous les deux morts, laissant betty et Rosemary enceintes… la Tante Elroy avait sommé auparavant Rosemary de mettre fin à sa liaison, William Mac Gregor avait refusé de la recevoir, elle venait me demander de l’aide. J’étais heureuse, ah oui, heureuse de voir la douce, la parfaite Rosemary que tout le monde admirait en défaut. Alors, j’ai fait ce qu’il fallait…

Chapitre 8 - Jalousie Maladive


Le rire de Mme Legrand, au bord de le l’hystérie, glace le sang des personnes présentes.

Tous ont réalisé qu’elle savait qui était Candy quand elle s’était présentée, et qu’elle s’était vengée de la préférence affichée dans sa famille pour Rosemary sur l‘orpheline… avec cruauté, utilisant l’innocence de la petite fille d’alors, poussant ses enfants Elisa et Daniel à encore plus de méchanceté, les félicitant…

La gifle de Mr Legrand fait alors l’effet d’un coup de tonnerre et arrête ce rire discordant.

- Maintenant, vous allez tout me dire. Je savais que vous étiez jalouse de Rosemary, mais jamais je n’aurais cru… qu’avez-vous fait ?

- Mr Brown, le mari de Rosemary était en voyage pour plusieurs mois. Rosemary a prétexté une cure à faire, elle était déjà souffrante, et demandé à ce que je l’accompagne. Elle a confié Anthony à la Tante Elroy, qui s’occupait déjà d’Alistair et Archibald. Et nous sommes parties, dans le Michigan, dans notre résidence secondaire où elle s‘est cachée… La grossesse de Rosemary avançait, tout se déroulait selon mon plan. Et j’étais heureuse ! Oui, heureuse de la tenir à ma merci ! Elle ne pouvait rien faire sans mon approbation, et m’avais alors promis qu’Anthony épouserait Elisa, et que ma chère petite aurait ainsi la place qui aurait dû me revenir dans la famille André.

- Mais ils n’étaient que des bébés ! , s’exclame Candy

- Les mariages royaux se font comme ça, et mon Elisa était digne d’une princesse. Dès sa petite enfance, je l’ai poussée vers Anthony, qui ne s’est d’ailleurs détourné d’elle qu’en te connaissant. Toi, la petite intruse, sans ton arrivée, tout ce serait passé comme je l’avais prévu ! Mais il a fallu que tu le rencontres, et que tu séduise ton propre frère, quelle honte !

- Arrêtez, Sarah, intervient Mr Legrand, vous oubliez trop vite que Candy et Anthony ignoraient tout de leur lien de parenté, et qu‘ils quittaient à peine l‘enfance tous les deux. S’il y avait eu un mariage contre-nature, vous en auriez été la seule responsable.

- Mais cette fille, cette bâtarde ! Mon histoire recommençait avec son adoption : elle grandissait dans la demeure ancestrale, alors qu’Elisa n’avait que cette maison bourgeoise, elle était entourée par des « chevaliers servants », habillée plus luxueusement… Je ne pouvais pas laisser ma fille chérie se faire distancer par une autre Rosemary, aussi calculatrice et perfide que sa mère… un oiseau de mauvaise augure, comme elle, comme cette chipie qui n’a eu que ce qu’elle méritait !

Candy écoute la diatribe de Mme Legrand… subjuguée de retrouver les mêmes accusations et les mêmes injures dans sa bouche que dans celle de sa fille, au Collège de Saint Paul entre autres. L’attitude d’Elisa ne venait-elle que d’elle-même, ou avait-elle été dictée par sa mère ? Celle-ci quitte aujourd’hui son masque de grand dame, et se dévoile… presque comme quelque un de déséquilibré, rendue malade de jalousie, qui ne supportait pas la différence de statut social avec Rosemary. Non, à y réfléchir, la méchanceté d’Elisa et de son frère étaient naturelle chez eux. Tout au plus avait-elle été développée par leur mère à son égard.

Georges et elle échangent un regard, se disant mutuellement qu’il fallait profiter de cette « crise » de Mme Legrand pour en savoir un maximum. Une pareille chance ne se présenterait plus…

- Vous avez toujours envié votre cousine, n’est-ce pas ?, demande Candy (elle n’arrive pas encore à prononcer les mots « ma mère »)

- je n’étais pas jalouse, mais lucide. Tout le monde admirait la « beauté » de Rosemary, sans voir la mienne, mais elle était mieux mise en valeur ! On la trouvait « originale », mais c’était un manque de savoir-vivre que de préférer les roses aux réceptions mondaines ! On admirait son côté protecteur vis-à-vis de son jeune frère, mais c’était par intérêt qu’elle agissait ainsi, pour mieux le manipuler ! Tous s’accordaient à dire qu’elle s’était trouvé une demoiselle de compagnie « charmante », mais la Tante Elroy l’y a aidé : jamais elle ne m’a proposé de l’accompagner dans ses achats ! J’avais déjà eu une première victoire en me mariant avant elle, espérant qu’elle resterait vieille fille, mais il a fallu qu’on lui organise un mariage avec un armateur fortuné, et qu’elle me distance encore une fois. Mais le pire, oui, le pire c’est qu’elle m’a pris celui qui aurait pu changer ma vie…

Une fois de plus, Sarah a trop parlé. Son mari est blême, et reprend la parole.

- Taisez-vous, c’est à moi de deviner la suite… que je soupçonnais déjà à l’époque. Vous ne m’avez épousé que pour distancer votre cousine et rivale au moins une fois, alors que j’étais amoureux de vous, je vous trouvais belle et piquante. Combien de fois m’avez-vous reproché ensuite mon manque d’ambition, et poussé à vivre au-delà de nos moyens ! Il vous en fallait toujours plus. Quand j’ai retrouvé Brian, j’ai cru pouvoir vous offrir la vie dont vous rêviez, et j’étais tellement heureux que je vous l’ai présenté immédiatement. Pour une fois, vous vous étiez montrée charmante à l’égard d’un de mes amis…

- Brian était riche, ambitieux, et il avait du caractère, lui. C’était un vrai homme, pas une mauviette, comme vous ! Il faisait des projets, montait à cheval comme personne, c’était un sportif accompli. Vous étiez négligeable à côté de lui, mon pauvre ami !

- Et c’est pour ça que vous m’avez encouragé à investir dans la mine qu’il exploitait, malgré le veto de la Tante Elroy ? Il n’y avait donc pas qu’une question d’argent…

- Je voulais le séduire, divorcer, pouvoir quitter avec mes deux chéris la pauvre vie que vous nous offriez. Vous, pauvre naïf, vous avez accepté que je vous accompagne sur place, mais les convenances voulaient que je ne sois pas la seule dame parmi tous ces hommes.

Georges comprend mieux… il voit la situation… Sarah, n’ayant pas d’autre choix, demande à sa cousine de l’accompagner, chose que celle-ci pouvait difficilement refuser. Elle avait du calculer que Rosemary, fatiguée par la naissance d’Anthony et sa maladie, qui n’avait plus son éclat de jeune fille, ne la gênerait pas dans ses manœuvres de séduction, qu’elle servirait au contraire de faire-valoir. Mais Mme Legrand, tout comme sa fille, n’avait jamais compris que les hommes ne s’arrêtent pas tous aux apparences : Rosemary, comme Candy, dégageait une véritable générosité, chose dont Sarah était dépourvue. La différence s’était retournée contre elle.

- Quand je me suis déclarée, Brian a joué les gentilshommes et amis fidèles. Il m’a dit que j’étais une femme charmante, que vous me méritiez et étiez heureux avec moi, et qu’il ne voulait pas détruire ce bonheur. J’étais furieuse, mais n’ai pas cherché à le revoir. Il a commis une erreur en ne parlant pas de moi à Rosemary… cette idiote qui est venue me trouver pour me demander de l’aide !

- Sans savoir que c’était vous qui m’aviez obligé à retirer les fonds, en me faisant croire que Brian vous avait fait des avances déplacées. Et j’ai été assez fou pour vous croire… ça lui a sans doute coûté la vie, et à toi, Candy, le bonheur.

A la pensée de ces manigances, Candy est à nouveau perdue… elle qui ne cherchait que les origines d’Annie au départ, et qui découvre tant de remouds avant même sa naissance… Mais au fait, pourquoi Annie était-elle arrivée à la maison de Pony, elle qui était de naissance légitime ?

- Et Annie ? Comment avez-vous fait pour la séparer de sa famille ? Et pourquoi ?

- ça, ma petite, je ne peux pas te répondre. Je t’ai confiée à mon chauffeur, en lui demandant de nous débarrasser de toi, mais jamais je ne lui ai parlé de l’autre enfant… Il est mort il y a 15 ans. Tu n’as qu’à continuer ton enquête, puisque tu es si douée !

- ça suffit, Sarah, taisez-vous. Je découvre que je suis marié avec un monstre, dit son époux. Dès demain, je verrai un avocat pour divorcer. Votre heure est venue. Quand à vous, Candy et Georges, voyez avec Mary, qui est toujours notre servante : son marié était notre lui le chauffeur à l’époque, il lui aura sans doute tout confié.


Chapitre 9 - Pensant bien faire


Candy, toujours accompagnée de Georges retrouve sans peine le chemin de l’office. Elle est à nouveau émue, se demandant quelles seront les personnes, témoins de son passage chez les Legrand et qui l’ont soutenue, qui sont encore présentes…

- Regardez ! Mais ce n’est pas possible !

- Candy ! Notre petite Candy ! Elle est revenue !

Heureuse de se voir reconnue, Candy retrouve le jardinier Mr Desrosier, Jeff le cuisinier, Dorothée et Mary, qui en a les larmes aux yeux.

- Candy… c’est bien toi ? Dorothée nous avait dit que tu étais retournée à la maison Pony, je pensais ne jamais te revoir.

- C’est bien moi, Mary. Comme je suis heureuse de vous retrouver ! Dorothée, crois-moi, je ne t’avais pas oubliée… je m’en suis voulue d’être partie, j’ai eu peur que tu ne sois renvoyée…

- Mais non, Candy. Je suis revenue au service de Mme Legrand, mais son mari a alors pris des mesures… après le scandale de ta fausse accusation de vol, nous, les servantes, avons été protégées des mauvais traitements. J’ai réussi à gagner ma vie, aider ma famille, et puis aussi…

Dorothée rougit, jette un coup d’œil au cuisinier, qui annonce

- Nous venons de nous fiancer !

- Félicitations ! Comme je suis heureuse pour vous !

- Et toi, Candy, que deviens-tu ? Mme Legrand et Melle Elisa nous ont interdit de poser toute question… mais nous avons cru comprendre que tu devais épouser Mr Daniel… tu as abandonné cette idée, n’est-ce pas ?

- Oui, et je suis infirmière, et fière de l’être. C’est un métier qui ne se concilie pas facilement avec le mariage, mais je me sens utile.

- Ne dis pas ça, Candy, intervient Mr Desrosiers. Belle comme tu es, tu trouveras l’âme sœur !

- Oui, elle est belle… au moins autant que…

Cette dernière remarque vient de Mary. Georges et Candy ne veulent pas la brusquer, mais il leur faut aller de l’avant.

- aussi belle que ??? Que voulez-vous dire, Mary ?

- Je n’ai pas le droit d’en dire plus, pour ta sécurité. Surtout dans cette maison !

- J’en sais déjà beaucoup…

- C’était ça les éclats de voix ? Donc tu sais qui étaient tes parents, et le rôle joué par Mme Legrand dans votre séparation ?

- Oui, mais ce n’est pas une enquête que pour moi… à l’origine, je recherchais la famille d’Annie, ma sœur « de berceau », et ce n’est qu’accidentellement que je suis arrivée à l’explication de mon abandon.

- Mais ce n’était pas un abandon ! Mon pauvre Alfred a agit au mieux !

Mary hésite, avant de raconter toute l’histoire… mais Candy hoche la tête : elle a toute confiance dans les personnes présentes, et la vérité devait être connue. Sur cet assentiment, la vieille dame raconte alors :

- Mon mari avait conduit Rosemary et Mme Legrand à la résidence secondaire, et faisait le lien entre Rosemary et le monde extérieur : provisions, médecin, courrier… tout ceci ne lui plaisait pas. Il avait vite vu que Rosemary était enceinte, et se demandait pourquoi elle dissimulait son état… il a alors contacté Betty, l’ancienne demoiselle de compagnie de Rosemary, qui lui a raconté toute l’histoire. A l’insu de Mme Legrand, Betty est venue rejoindre Rosemary, mais elle était malade… ou plutôt fatiguée, épuisée par les conditions de vie qu’elle avait connu dans l’exploitation minière. Elle se sentait partir, et, sentant qu’elle ne serait pas en mesure d’assurer l’éducation du bébé qu’elle attendait, a demandé à mon époux de rechercher la belle sœur qu’elle ne connaissait pas, la sœur aînée de Kevin.

- Mais elle avait disparu !

- Pas tout à fait… son frère et elle ont entretenu une correspondance pendant plusieurs années. Katie est entrée dans un couvent, d’abord comme novice, puis comme religieuse. Elle ne l’a quitté qu’au bout de plusieurs années, pour aider des enfants.

- Aider des enfants ? Comment ça ?

- Après le décès de leurs parents, Kevin et Katie ont grandi dans un orphelinat en ville, dans des conditions très sévères… persuadée que les orphelins méritaient eux aussi de l’affection, Katie est allée aider une dame qui venait d’ouvrir un foyer. Et tu la connais : Melle Pony.

- Ce n’est pas possible, dit Candy… la personne qui nous a élevé avec Melle Pony était sœur Maria, pas Katie!

- C’est au contraire tout à fait possible, Mademoiselle, rétorque Georges. Les religieux, hommes ou femmes, changent très souvent de prénom, et beaucoup de religieuse prennent le nom de la Vierge…

Mary continue l’histoire. Alfred, le chauffeur, venait de retrouver la belle-sœur de Betty quand celle-ci, se sentant partir, après la naissance d’Annie, a voulu revoir sa mère. Et en revenant avec le bébé dans la voiture, pour informer Rosemary du décès de son amie, il avait trouvé Mme Legrand.

- Mme Rosemary avait réussi a cacher ta naissance quelques temps… mais il a fallu que sa cousine vienne inopinément et te trouve. Elle t’a arraché à ta mère et enjoint Alfred de te conduire précisément à une de ces « institutions » pour orphelins, comme celle où Kevin et sa soeur avaient grandi, loin de toute affection, en butte parfois à de mauvais traitements. Mon mari a fait semblant d’obéir, mais en fait, il vous a conduit toutes les deux à la Maison Pony. Il vous a alors déposées, mais à distance, avec discrétion… Annie avec la lettre de sa mère, et toi avec une poupée qui avait appartenu à Rosemary quand elle était enfant. Crois-moi, Candy, il pensait bien faire : nous étions allés au foyer Pony, le jour des parents adoptifs…

- le troisième dimanche de chaque mois ?

- oui, c’est ça. Nous avions vu des enfants orphelins, certes, mais qui semblaient épanouis, aimés et protégés. Nous pensions que tu grandirais heureuse, et que peut-être il y aurait autant d’amitié entre la petite Annie et toi qu’entre vos pauvres mères.

- et ça a été le cas, Mary. Avez-vous dit la vérité à ma mère, ensuite ?

- Oui, et elle s’est rangée à notre avis. Elle pensait aussi qu’ainsi, tu serais à l’abri des obligations qui lui avaient toujours pesé, et contre lesquelles elle n’avait pas eu la force de résister. Mais cette histoire était bien triste… et après le décès de mon mari, moi seule la connaissais. Je ne t’ai rien dit à ton arrivée, d’une part pour ne pas te faire de la peine, d’autre part pour te protéger : jamais Mme Elroy n’aurait accepté d’accueillir une enfant illégitime, et qui sait ce qu’aurait alors fait Mme Legrand ! Elle avait déjà, m’a dit ta mère, arraché ta page du livre familial des André avant que quelque un ne la lise !

Le silence est lourd, dans l’office. Chacun est frappé par la lourdeur du secret qu’ont porté Mary et son époux pendant des années… et imagine la stupeur de celle-ci quand Candy est arrivée sous le toit des Legrand, à la demande de Mr qui ignorait tout de l’histoire.

Georges est surtout consterné à l’idée de cette coïncidence qui a fait vivre Candy sous l’emprise de celle qui avait détesté sa mère, et trop désiré son père. Il se demande quelle sera la réaction de son véritable oncle William Albert au récit de cette histoire… puisqu’il faudra bien la lui raconter.


Chapitre 10 - un choc pour Annie


Aujourd’hui est une journée magnifique pour Annie et Mme Brighton… elles vont dans la meilleure bijouterie avec Archibald pour l’achat des alliances, et ensuite retrouver Candy pour l’essayage de la robe de mariée et le choix de celle de demoiselle d’honneur. Annie a eu gain de cause auprès de sa mère : sa meilleure amie, sa « sœur de berceau » était toute désignée pour accompagner son bonheur. Mme Brighton s’est finalement rangée à ses arguments : Elisa n’avait jamais été très proche d’Annie, plutôt malfaisante au final puisque c’était elle qui avait colporté la « vérité sur cette enfant trouvée », et Candy avait une place au moins aussi importante dans la bonne société du fait de son adoption dans la famille André.

- Annie ! Mme Brighton !

- Archibald, bonjour… voyons, appelles-moi « mère », comme je te l’ai déjà demandé.

- Je vais m’y faire, mais c’est un peu difficile. Allons, entrons dans le magasin, ils nous attendent.

Annie et Archibald échangent un regard : ils se comprennent… Archibald a grandi loin de ses parents, qui devraient en principe revenir pour son mariage ; il lui est donc difficile de dire « mère » à Mme Brighton, qui ne remplacera jamais sa véritable mère. Annie quand à elle, malgré toutes ces années passées avec elle, et l’appréciation trouvée, souffre de jouer un rôle… celui de la fille de substitution.

Madame Brighton est ravie : l’alliance choisie par Archibald pour sa fille est magnifique, sans pour autant faire dans l’ostentatoire. Oui, Annie s’est trouvé le mari idéal pour elle : élégant, de bonne naissance, attentionné, en un mot « bien né », ce qui compense largement ses origines à elle. Pourtant, elle ne peut retenir un mouvement de surprise à la vue de Candy… devenue posée, belle, d’une élégante simplicité malgré cette coupe à la garçonne que toute la bonne société désapprouve. Pour un peu, elle en éclipserait Annie, malgré les vêtements de bonne coupe, la coiffure recherchée, les leçons de maintien ! Et l’éclat admiratif perçu dans le regard d’Archibald ne lui plaît pas.

Du coup, quand celui-ci prend congé (le marié ne doit pas voir la robe, ça porterait malheur !)…

- Archibald, aurais-tu l’obligeance de me raccompagner ?

- Comment, Maman, vous ne restez pas ? Et pour le choix de la robe de la demoiselle d’honneur ?

- Je te fais confiance, ma chérie. Du reste, Candy et toi avez sûrement beaucoup de confidences à vous faire… je vous laisse entre jeunes filles. A bientôt, Candy !

Georges, posté plus loin, a remarqué la surprise, puis la gène de Mme Brighton. Il se souvient que Mme Legrand avait parlé d’elle comme une amie… serait-elle au courant de quelque chose ? Où est-elle simplement contrariée de retrouver celle dont elle n’a pas voulu comme fille adoptive ? Quand à Annie, tout à sa joie, elle n’a rien remarqué. Dans le magasin, elle revêt sa robe de mariée, tourne devant Candy, puis s’interrompt, remarquant le manque de spontanéité de son amie d’enfance, inhabituel.

- Candy, que se passe-t-il ?

- Rien, rien… que tu es belle !

- Oh mon dieu, je comprends. Je t’ai demandé d’être ma demoiselle d’honneur, sans même penser que ta rupture avec Terry est encore proche, et douloureuse. Quelle maladroite je suis !

- Non, répond Candy (qui a pourtant effectivement le cœur gros à l’idée que l’aller simple pour New York aurait pu se terminer en mariage), mais il faudra que je te parle en privé, et au plus vite.

Une fois de plus, Candy se ressaisi. Annie et elle, sur le conseil de la vendeuse, choisissent une robe verte, pour mettre en valeur la carnation et surtout les yeux de la première demoiselle d’honneur. En se voyant dans la glace, Candy a un flash, et se souvient de cette réception, à son arrivée dans la famille André, quand elle avait eu pour la seule et unique fois de sa vie une robe de gala de grand couturier. Si elle était restée dans la famille…non ! L’heure n’est pas aux regrets, elle est fière de son diplôme d’infirmière, et d’avoir pu aider son bienfaiteur à son tour, quand il en avait besoin.

Un peu plus tard dans la journée, elles sont de retour à l’hôtel des Brighton, où les attendent Mr Brighton et Archibald. Chaleureusement reçue, Candy se sent mal à l’aise à l’idée de peut-être briser le bonheur de ses amis… la tante Elroy acceptera-t-elle le mariage de son seul neveu rescapé avec la fille de Betty, qui était au service de la famille ? Un signe discret de Georges la convint qu’il faut parler. Elle repose donc sa tasse de thé, et annonce

- Annie, je t’ai dit que je devais te parler… pouvons-nous nous voir ?

- C’est à propos de Terry, tu l’as revu ? S’écrièrent Annie et Archibald

- Non, c’est au sujet de notre histoire, à toutes les deux… depuis le début. La Tante Elroy m’a chargée de faire des recherches, et j’ai découvert beaucoup de choses.

- Dans ce cas Candy, parles : je n’ai rien à cacher ni à mon père, ni à Archi. Mais vas-y, qu’attends-tu ?

- Si vous le souhaitez, Mademoiselle, je peux le faire.

- Merci Georges… vous serez plus objectif que moi.

A nouveau, comme chez les Legrand, Georges retrace l’enquête menée maintenant depuis plusieurs mois, depuis la lettre à la maison Pony jusqu’aux aveux de Mme Legrand et de Marie, veuve d’Alfred, le chauffeur. Le récit dure… l’après midi passe, personne ne fait attention à l’heure… le silence est lourd; on voit de la gravité sur les visages de Mr Brighton et d’Archibald, cependant que celui d’Annie reflète de l’effroi, puis de l’horreur.

- Vous êtes surs de ce que vous avancez ? Demande-t-elle à Georges

- Nous avons juste à vérifier que Sœur Maria est bien ta tante, mais nous sommes déjà passé au couvent où elle avait prononcé ses vœux, et ils nous ont confirmé le changement d’identité.

- Tais-toi Candy ! Je ne t’ai rien demandé ! Tais-toi !

Annie réagit avec violence, Archibald l’arrête alors qu’elle est prête à se jeter sur son amie, hors d’elle.

- J’aurais du écouter Elisa depuis des années ! Tu es mauvaise, tu m’as toujours porté malheur ! On m’a abandonnée à cause de toi, pour cacher ta naissance ! Mes parents se sont sacrifiés pour les tiens ! Et maintenant, tu veux empêcher mon mariage en venant raconter cette vieille histoire !

- Annie, voyons, reprends-toi, ma petite fille, dit Mr Brighton

- Vous la défendez, comme toujours ! C’est elle que vous auriez voulu comme fille, mais regardez-la ! Elle a toujours voulu m’utiliser, et se venger de la préférence de Maman ! Va-t-en Candy, va-t-en, et ne reviens plus jamais !

Candy sort en courant de la pièce, bouleversée.. Annie court s’enfermer dans sa chambre… Archibald, est d’abord désorienté, mais fini par courir après Annie. Georges et Mr Brighton restent seuls dans le salon, et se concertent du regard.

- Vous auriez dû venir me voir avant, Georges. Ma femme a toujours monté Annie contre la Maison Pony, en lui faisant croire que la naissance faisait la qualité d’une personne. Annie est très sensible, elle nous a dit un jour en plus qu’au début, Archibald préférait Candy…

- C’est vrai, Monsieur, nous aurions mieux fait de venir vous voir en premier. Que devons-nous faire, maintenant ?

- Laissez moi l’adresse de la grand-mère d’Annie. Si quelque un peut lui donner la fierté de ses origines, ce sera sans doute elle. Et allez voir Elroy avec Candy, il faut que ce mariage soit maintenu à tout prix, pour le bonheur de tous.

A suivre...

© Helena 2007