Le fantôme
par Helena

 

Avant propos

L’histoire de Candy et celle des André est pour moi liée à celle de « Chicago la plus américaine des villes américaines » pour citer Hélène Trocmé, Maître de conférence à l'université de Paris-I. On trouve au long de l’histoire plusieurs allusions, que nous pouvons rapprocher de la présentation que fait cette universitaire de l’histoire de cette ville :

- « Les palais néoclassiques de stuc blanc qui se dressent à Jackson Park, au bord du lac Michigan, font l'admiration des quelque vingt-sept millions de visiteurs qui se précipitent pour voir cette cité de rêve. À l'intérieur des bâtiments, on peut découvrir les incroyables progrès techniques accomplis depuis quatre siècles » : on pense aux demeures de Legrand, des André ;

- une exposition « L'idée centrale de cette nouvelle commémoration est de « montrer à un public international la nature et la signification des progrès scientifiques et techniques réalisés depuis un siècle » : qui ne se souvient pas d’Alistair, « géotrouvetout » ?

- « à l'optimisme de l'Exposition, succède une grave dépression économique qui commence dès l'automne 1893 et ne s'achève qu'en 1896. Reviennent alors au premier plan tous les problèmes sociaux de cette énorme ville ouvrière peuplée aux deux tiers de personnes d'origine étrangère : la misère, l'insalubrité, le vice, les conflits sociaux et ethniques. » : les abandons de Candy et d’Annie laissent supposer un manque de moyens de leurs parents, nous pouvons noter qu’ils surviennent après de dures années pour la ville.

- « Les années vingt sont celles de la prospérité recouvrée, des belles automobiles et des rythmes de jazz » : au moment où Candy (et Albert) sortent des « heures noires », c’est justement à l’aube des années 20 ;

- « La prohibition n'aboutit qu'à encourager la contrebande d'alcool, la corruption et une violence que les gangsters portent à son comble. » : la dépravation suggérée de Daniel, sa fréquentation des bas-fonds laissent anticiper cette période ;

- « Des bâtiments d'un genre nouveau, les gratte-ciel, abritent en centre ville les banques, les hôtels et les grands magasins. Chicago est l'incarnation de l'Amérique moderne. » On voit effectivement Candy admirer la ville pendant une « visite guidée » des ses cousins ;

- « Chicago se présente donc à nous comme le résumé presque parfait de l'expérience américaine : audacieuse, violente, excessive, mais essentiellement libre et moderne » : ce sont là des traits de caractère de l’héroïne de l’histoire : sa violence de petite fille se tempère pendant l’adolescence, mais elle est l’archétype de l’américaine « libre et moderne ».

En lisant un article d’Hélène Trocmé sur cette ville et son histoire tumultueuse, j’ai donc aimé imaginer un épisode houleux lié au grand incendie de Chicago, qui peut apporter un nouvel éclairage… bonne lecture !

JUIN 1910

Candy, pensive, regarde la propriété des André.


Ce soir, c’est « sa » réception, organisée par la Tante Elroy pour la présenter officiellement comme « Candy André » à la famille proche… soit les Legrand, qui l’ont tant fait souffrir pendant des mois. Elle s’est montrée brillante pendant le dîner, répondant avec le sourire aux attaques perfides d’Elisa, et la ridiculisant à son tour. Elle a fait l’admiration des garçons, particulièrement d’Anthony, et a même reçu un signe de tête approbateur de la Tante Elroy.

Pour l’instant, accoudée au balcon, Candy réfléchi… Dorothée vient de refuser son offre d’intervention pour qu’elles restent toujours réunies, expliquant que le bonheur ne vient pas que de la richesse, mais des personnes dont on sait s’entourer. Candy repense donc à tout ce trajet fait depuis la maison de Pony, des amitiés perdues (comme Annie et Tom, dont elle n’a plus de nouvelles), des nouvelles (comme Archibald, Alistair, Anthony, avec encore plus d’affection pour celui-ci, et le mystérieux « Monsieur Albert). Qui croisera-t-elle encore ? Son regard va vers la Tour du Sud, où elle avait été enfermée lors de sa première venue par Daniel, et où elle a eu tellement peur. Et là…

Une ombre ! Une ombre d’un homme dissimulé sous un chapeau et un manteau se déplace ! Il s’arrête en face d’elle, et l’observe !

- Aaaah ! Le fantôme !

- Candy, que fais-tu là, toute seule ? Je te cherchais.

- Anthony… je viens de le voir

- Qui ?

- Le fantôme ! Celui de la tour du Sud !

- Mais je t’ai déjà dit que c’était une plaisanterie, nous voulions juste te taquiner… tu n’y crois pas encore ?

- Je l’ai vu, et il m’a regardée.

- Tu te trompes, Candy, c’est le fruit de ton imagination.

- Anthony, je te promets que je l’ai vu, ce n’était pas un rêve !

- Reviens avec moi… c’est peut-être juste le majordome qui passait éteindre le couloir.

A contre cœur, Candy regagne le salon avec Anthony. Elle doit retrouver le sourire pour faire face à Elisa et Daniel, qui l’attendent visiblement.

- Eh bien, Candy ? Où étais-tu ?

- On pensait que tu étais peut-être retournée chez Pony…

- Oui, c’est la meilleure chose à faire. Même avec une jolie robe, tu seras toujours une fille d’écurie, dont on ne sait rien sur le passé…

- Si ça se trouve, tu étais partie voler des biens de famille. Il va falloir te surveiller !

- Daniel et Elisa, ça suffit ! Nous savons tous que les bijoux avaient été dissimulés par vous deux dans les affaires de Candy, et qu’elle est innocente. Et puisque l’Oncle William a décidé de l’adopter, c’est signe qu’elle mérite d’être parmi nous, elle est maintenant une André, ne l’oubliez pas !

- Anthony, intervient la Tante Elroy, fais donc danser Elisa, elle est notre invitée. C’est le tour d’Alistairde tenir compagnie à Candy.

Elisa sourit, elle pense être arrivée à ses fins. Anthony se rendra bien compte, en vivant sous le même toit qu’elle, du peu d’intérêt que représente une fille comme Candy ! Et la Tante Elroy n’a pas l’air disposée à les laisser tous les deux ensemble éternellement.

Pour l’heure, Alistair raccompagne Candy à sa chaise.


- Candy, tu es toute blanche… ce n’est pas dans tes habitudes de laisser Daniel et Elisa t’attaquer ainsi sans te défendre : que se passe-t-il ?

- Je l’ai vu, Ali…

- Qui ?

- Le fantôme de la tour du sud. Il marchait le long du corridor, et il s’est arrêté à la fenêtre pour me regarder… comme si j’étais une intruse, j’ai peur.

- Tu es sûre de ce que tu dis ? C’était une plaisanterie, il ne fallait pas nous croire ! Tu as du voir un domestique dans l’ombre, qui faisait le tour des lumières à éteindre, et qui s’est arrêté pour t’admirer dans ta belle robe.

- C’est aussi ce qu’Anthony m’a dit. Mais je sais ce que j’ai vu.

Alistair ne veut pas l’inquiéter d’avantage, mais le récit de Candy l’intrigue, lui aussi. Il se promet d’en parler avec Archibald et Anthony quand elle ne sera pas là, mais pour l’heure, il faut surtout ramener son sourire, ne serait-ce que pour ne pas laisser une victoire trop facile à Daniel et Elisa.

- Un gâteau à la crème, ça te dit ?

- Oh oui ! Mais le repas est fini, tu crois que je peux ?

- Ne bouge pas, je reviens.

Alors que Candy attend tranquillement, qu’Anthony et Elisa dansent, Daniel s’approche sournoisement d’elle.


- Alors, Candy, tu te plais dans la famille André ?

- Mais oui, beaucoup, et j’y suis très heureuse. Sauf quand ta sœur et toi êtes là ! (Candy a retrouvé son aplomb)

- Écoute, ma petite : tu ferais mieux de t’habituer à ma présence, tu finiras bien par revenir chez nous.

- Quoi ? Mais tu es fou ?

- Tu es encore une petite fille, mais un jour la Tante te mariera. Ce ne sera pas avec un des garçons, puisque tu deviens presque leur sœur avec ton adoption, alors ce sera moi… j’ai entendu une conversation entre Maman et elle, ce soir, elles parlaient aussi de réunir Elisa et Anthony.

- Je ne me laisserai pas faire ! Tu me dégoûtes !

- Eh bien moi, depuis que tu n’as plus tes haillons, tu vois, je te trouve pas mal… tu me rendras riche, en plus, et je te ferai plier, ma petite !

- Et pourquoi la ferais-tu plier, s’il te plait ?


Alistair est revenu, un gâteau pour Candy à la main, avec Archibald. Tous deux n’ont entendu que la dernière phrase. Daniel, toujours aussi lâche, pâli.

- Vous verrez bien ! On se retrouvera, Candy.

Daniel s’éclipse… Candy, le cœur serré, assiste à la fin de la soirée. Pourquoi se sent-elle tellement angoissée ? L’Oncle William l’a prise sous sa protection, elle ne doit plus s’inquiéter.

AOUT 1910

Un bel été s’est passé pour Candy et ses « cousins », riche d’évènements : Candy a découvert les usages de la famille (parfois avec difficulté !), commence à apprendre l’histoire et l’arbre généalogique, a retrouvé Tom lors d’une rencontre orageuse entre Anthony et ce dernier, la Tante a tenté de « protéger » Anthony en l’envoyant à l’ancienne demeure, où il s’est découvert le goût de la nature et de l’indépendance, et a même participé à un rodéo ! Curieusement, en voyant Anthony vivre au grand air, vêtu simplement, surtout dans ce cadre, Candy s’est dit qu’il lui rappelait Monsieur Albert.. En plus jeune ! Elle en a parlé à Alistaire et Archibald, mais ceux-ci n’ayant jamais rencontré Mr Albert n’ont pas pu lui donner leur avis.


Une petite rivalité s’est installée entre les garçons pour combler Candy de gentilles attentions : Anthony cultive tendrement la « douce Candy », Alistaire crée des inventions pour l’amuser, sachant qu’elle osera les tester à ses risques et périls, Archibald la conseille dans ses tenues vestimentaires et ne manque pas de la taquiner. Oui, tout irait bien s’il n’y avait pas les affreux enfants Legrand qui persistent à venir « saluer la Tante Leroy » : Elisa minaude toujours, attaquant perfidement Candy à chaque rencontre, Daniel se moque ouvertement d’elle, et hors de présence des garçons, lui redit « qu’un jour, elle sera à lui, et qu’il s’amusera bien ». Candy, curieusement, n’ose pas se plaindre de cette attitude auprès de ses chevaliers servants : elle craint une réaction impulsive d’Anthony, et qu’ils soient séparés par la Tante définitivement.

La nuit tombe. Dans sa chambre, Candy se laisse déshabiller par Dorothée.

- Tu sais, Dorothée, ça me fait toujours bizarre de me laisser faire comme un bébé !

- Je sais, mais si tu faisais tout toute seule…

- On n’aurait plus besoin de toi, je sais ! En fait, c’est surtout ton amitié que j’apprécie. C’est drôle, à part toi, on dirait que je fais peur aux autres domestiques… pourtant, je ne pense pas avoir été désagréable ?

- Oh non, Candy… mais tu sais, ton adoption était inattendue, il a fallu qu’ils se fassent à ton arrivée, ce n’est pas comme un bébé qu’on élève, tu es déjà grande !

En refermant les rideaux, Dorothée aperçoit comme tous les soirs la silhouette d’homme dans la tour du sud qui observe la fenêtre de Candy. Elle réprime un frisson, termine sa tâche.

- Bonsoir, Candy, dors bien !

- Bonsoir Dorothée, fais de beaux rêves… encore de tes petits frères et sœurs, n’est-ce pas ?

- Eh oui- comme toi de la Maison de Pony !

Elles se font un clin d’œil. Dorothée est la seule à savoir que Candy se sent parfois seule dans cette maison, et que son plus grand rêve serait d’inviter au moins une fois ses anciens camarades pour une fête, mais ce n’est qu’un doux rêve. Elle referme la porte, et regagne l’office.

- Elle est couchée, Dorothée ?

- Oui, et à l’heure qu’il est, elle doit dormir comme un ange.

- Et tu l’as vu ?

- Oui, le Fantôme des André, tu l’as vu ?

- Eh bien… (Dorothée hésite… ) oui, comme tous les soirs.

- Tous les soirs depuis l’arrivée de cette enfant trouvée ! Avant, on ne le voyait presque jamais !

- Cette petite va nous porter malheur ! C’est une étrangère, ici, et le fantôme n’est pas content !

- Mais il n’a pas l’air agressif, et Candy est trop gentille pour le mettre en colère !

- On ne te dit pas qu’elle n’est pas gentille, mais elle traîne le malheur derrière elle, et c’est sûrement pour ça que ses parents l’ont abandonnée, et que personne ne l’avait adoptée avant Mr William qui ne l’a d’ailleurs jamais vue !

- Moi, je vous dis que toute cette histoire va mal finir. Ma grand-mère disait déjà que les yeux verts ne portaient pas chance dans la famille André,surtout aux jeunes filles.

Appuyé au mur, caché derrière la porte, Alistaire en a le souffle coupé. Il était descendu en cachette pour tester sa dernière invention, et a entendu la conversation. Il s’éloigne à pas de loup, et vient frapper à la porte de son frère.

- Ali ? Mais que viens-tu faire à cette heure-ci ?

- Chuuut, laisse moi entrer !

Assis sur le lit, Archibald écoute le récit de son frère. Son visage s’assombri.

- Il ne faut pas qu’Anthony apprenne ce qui se dit !

- Oui, les yeux verts, c’était sa mère… ce serait trop douloureux.

- Tu lui as déjà dit, que cette histoire de fantôme, nous l’avions inventée avant son arrivée à partir d’un bruit de cuisine ?

- Non, parce que nous pensions que ce n’était que des élucubrations, et que ça nous amusait.

- En tout cas, Candy avait raison lors de la première réception. Heureusement qu’elle n’a pas revu ce fantôme depuis !

- Archi, il faut qu’on mène l’enquête. Je ne crois pas aux fantômes, scientifiquement, c’est impossible.

- Moi non plus, je n’y crois pas. Mais quelque un espionne Candy, sans doute pour lui faire peur, ou pour nous pousser à la renvoyer.

- Tu penses aux Legrand ?

- Pourquoi pas ? Tu n’as pas remarqué que Daniel a l’air de terroriser Candy depuis plusieurs semaines ? Quand elle était à son service, elle lui répondait, et n’a pas hésiter à se battre avec lui. Il a du trouver quelque chose pour vraiment lui faire peur.

- Il faudra aussi que la Tante nous explique le coup des portraits cachés.

- Les portraits ?

- Ah oui, tu n’étais pas avec moi. J’étais monté au grenier voir si je pouvais trouver des vieux tissus pour les ailes de ma machine aérienne (Archibald lève les yeux au ciel : Ali et ses avions !), tu n’avais pas voulu m’accompagner de peur de te salir…

- Et c’est normal ! Il n’y a rien d’intéressant dans ces vieux recoins.

- Oh si, mon vieux : des portraits cachés sous une couverture : celui de la mère d’Anthony (que j’ai reconnue) avec un garçon dans notre costume écossais qui ressemble beaucoup à Anthony sans être lui, et celui d’une jeune fille dans une robe qui doit dater de la guerre.

- La guerre de sécession ?

- Oui. Point commun entre la Mère d’Anthony et la jeune fille : elles ont toutes les deux des yeux verts. En plus, je jurerais que la jeune fille a des tâches de rousseur comme Candy. Pourquoi est-ce que ces portraits ne sont pas avec les autres, hein ?

- Je ne sais pas… mais demain, nous ferons semblant de nous coucher avant les autres, et irons discrètement à la Tour du Sud. Le plus urgent, c’est de voir cette histoire de fantôme.


SEPTEMBRE 1910

La nuit est tombée… tout est calme dans la demeure des André, mais deux ombres se faufilent dans les couloirs, sans le savoir suivies d’une autre.

- Archi, tu es là ?

- Oui, par ici. Éteins ta chandelle !

- J’espère qu’on arrivera à le coincer ce soir : ça va faire un mois qu’on se lève toutes les nuits pour voir qui joue au fantôme, et il arrive toujours à s’échapper !

- A qui le dis-tu (Archibald baille), j’ai de plus en plus de mal à me lever le matin, et la Tante Elroy commence à nous regarder d’un air soupçonneux.

- Oui, et elle interroge Candy, comme d’habitude elle la suppose coupable ! Mais elle n’y est pour rien.

- Chut, tais-toi, j’ai entendu des pas.

Les deux frères se dissimulent derrière les statues des ancêtres, puis saisissent celui qui le suivait.

- On te tient, Daniel !

- Maintenant, tes petites plaisanteries sont finies !

- Arrêtez, c’est moi !

Anthony ! Que fait-il dans le couloir ? Alistaire et Archibald sont plus qu’ennuyés, eux qui voulaient rester discrets.


- Je vous ai suivis pour savoir ce qui se passait. Depuis l’arrivée de Candy, les domestiques ont l’air de la fuir, je sens qu’elle a peur de quelque chose, Daniel est de plus en plus arrogant avec elle, et maintenant, même vous deux vous faîtes des mystères ! Que vous arrive-t-il ?

- Je vais t’expliquer.

Et Alistaire reprend le même récit qu’avec Archibald, ajoutant que depuis un mois, ils essayaient vainement de  coincer  le « fantôme », qui arrivait toujours à leur échapper. Comme il s’y attendait, Anthony est surtout troublé par l’histoire des portraits cachés.

- Tu penses qu’il y a un lien ? Demande-il à Alistaire

- C’est bien possible. J’ai fait parler Dorothée (qui avait l’air soulagée) sur ces rumeurs : elle m’a raconté la « légende » qui court sur notre famille depuis la guerre de sécession : une jeune André aux yeux verts serait enfuie avec un simple soldat, ils auraient vécu ensemble à Chicago contre l’avis de la famille. Profitant de l’incendie de 71, ses parents l’auraient enlevée avec son enfant, et séquestrée dans la Tour du Sud. Elle se serait suicidée par désespoir, et le fantôme qu’on voit serait son mari qui recherche toujours sa femme depuis bientôt 40 ans, et qui avait aussi mystérieusement disparu. Quand à l’enfant, un garçon, personne ne l’a revu.

- Mais c’est une légende, Anthony ! Tu sais bien que beaucoup ont circulé après l’incendie, comme l’histoire de la vache de Mrs O'Leary !

- Oui… Anthony est pensif… mais je me souviens que quand Maman est revenue vivre ici avec moi la dernière année, la nuit, j’entendais des pas qui allaient vers sa chambre. Et Maman, comme Candy, avait les yeux verts. Peut-être que cet homme n’est pas mort, il pourrait avoir à peu près l’âge de la Tante Elroy, maintenant, et juste chercher à savoir ce qui est arrivé à sa femme et à son enfant. Il faut le trouver !

Les trois cousins conviennent alors de se poster à l’embranchement du corridor, là où il n’y a que trois voies possibles : l’aile nord, la tour du sud, l’escalier. Ils patientent depuis une heure quand un panneau du mur coulisse… une silhouette d’homme caché sous une cape et un chapeau apparaît.

- C’est lui !

- Eh vous ! Ne bougez pas !

D’abord surpris, le « fantôme » bouscule Archibald et s’enfui. Il fait basculer une statue le long de l’escalier, se débarrassant ainsi d’Alistair, puis reprend sa course le long du couloir.

- Halte-là !

Anthony a saisi la cape de l’homme, puis son chapeau, libérant ainsi de longs cheveux blonds… le « fantôme » se retourne… Anthony reste saisi

- Oncle Willy ? Vous… tu es bien Oncle Willy ?

- Tu me reconnais donc , Anthony? Pourtant tu étais tout petit.

- Je ne t’ai pas revu depuis la mort de Maman, où étais-tu ? Et pourquoi portes-tu une barbe ?

- Je vais tout te raconter.

« Willy »  s’explique : son vrai prénom est William Albert, et, au décès de ses parents puis de sa sœur, il a du se cacher pour être mieux protéger des convoitises de certains membres de la famille : en effet, l’Oncle William, c’est lui ! Il vient de temps en temps à Lakewood voir (de loin) ses neveux, « faire un point » avec la Tante Elroy en attendant d’être « mûr » pour reprendre officiellement et ouvertement la tête de la famille André et de ses biens. Bien sûr, il doit être discret : pour cela, il s’est « vieilli » avec une barbe et des lunettes fumées, aussi pour que personne ne fasse le rapprochement avec Anthony qui lui ressemble tant.

- Et c’est toi qui as adopté Candy, alors ?

- Oui, suite à vos lettres. Et aussi parce que je l’avais déjà rencontrée, et qu’elle me fait beaucoup penser à Rosemary, ta Maman.

- Tu as remarqué, toi aussi ? Ses yeux…

- Sont ceux de ta mère. Mais elle peut les tenir de quelque un d’autre : as-tu vu les portraits du grenier ?

- Alistaire m’en a parlé.

- Il y a celui qui a été fait alors que Rosemary avait 18 ans, juste avant son mariage, avec moi (j’avais 10 ans), et celui de la « Tante Becky ».

- Tante Becky ?

- L’aînée de la fratrie, dont faisaient partie votre grand-père, ainsi que la Tante Elroy et la grand mère de Daniel et Elisa. Elle était infirmière bénévole pendant la guerre de sécession, et a rencontré un jeune ouvrier. Ils se sont enfui, ont vécu à Chicago, ont eu un fils. Lors de l’incendie de 1871, ils ont été gravement blessés, surtout elle. Becky avait été « recueillie » par ses parents, mais aussi séparée de son mari et de son fils. Elle n’a pas survécu, et son mari a disparu avec leur enfant.

- C’est ça, l’origine du « fantôme » du mari qui recherche une André aux yeux verts ?

- Oui… la ressemblance entre Becky et Rosemary, et mes allées venues en cachette depuis plusieurs années. Je pense que Candy pourrait bien être une petite fille de cette « tante rebelle », mais c’est dur à prouver, je ne retrouve aucune trace.

- Est-ce que tu sais que tu fais peur à Candy et à toutes les servantes avec tes « visites » ? Pourquoi ne reviens-tu pas simplement parmi nous ? Tu pourrais profiter de la chasse au renard ?

- Parce que le temps n’est pas tout à fait venu. Je te demanderai donc de garder le secret, même avec Alistaire et Archibald, d’accord ?

- Ce sera dur, mais d’accord.

JUIN 1916

Candy vient de fêter ses 18 ans à la Maison de Pony. A la fin du repas, Albert apparaît, un paquet rectangulaire sous le bras.

- C’est un cadeau pour toi, joyeux anniversaire !

- Ouvre, ouvre vite Candy, s’écrient les orphelins.

A la vue des tableaux, un silence se fait… tous regardent un portrait d’une jeune fille ressemblant à Candy avec un « jeune Albert », et celui d’une autre jeune fille d’un autre temps, chez qui on retrouve encore plus de ressemblance avec la reine de la fête : le même éclat espiègle dans le regard, les tâches de rousseur…

Archibald est blême.

- Ce sont les portraits du greniers ? Ceux qu’Alistaire avait trouvé, et qui ont disparu après le décès d’Anthony ? N’est-ce pas ? Nous les avons cherchés pendant des jours… j’ai fini par dire à mon frère qu’il avait du avoir des hallucinations.

- Ce sont bien eux. Votre Tante ne supportait plus de les avoir sous son toit, elle pensait qu’ils portaient malheur. Alors, Georges les a déposés dans un coffre de la banque, moi, je ne voulais pas m’en séparer définitivement.

- Mais qui sont ces personnes ? Demande Melle Pony

- Ma sœur et moi-même sur celui-ci, et ma Tante Becky que je n’ai pas connue. La sœur aînée de mon père et de ses jeunes sœurs, qui a rompu les ponts avec sa famille d’abord en s’engageant comme infirmière bénévole pendant la guerre de sécession, puis en s’enfuyant avec un garçon « du peuple ». Je t’en dirai plus sur elle, Candy, bizarrement, j’ai l’impression que tu pourrais bien être une de ses descendantes… c’est pour ça que je faisais des recherches dans le grenier après t’avoir rencontrée.

- Je comprends mieux, maintenant, dit Candy… c’était vous, le fantôme ? Et personne ne s’en doutait ?

- Si, Anthony l’avait découvert quelques jours avant la chasse à courre qui s’est tragiquement terminée, mais je lui avais demandé le secret.

- C’était le soir où vous nous aviez presque assommés, Ali et moi ? Et Anthony qui nous avait dit avoir juste mis en fuite un cambrioleur ! S’écrie Archibald.

- Que d’histoires, ces mésalliances, ces secrets, ces fantômes ! Et moi qui croyait qu’on ne pouvait trouver ça que dans les châteaux d’Angleterre et d’Écosse !

Reconnaissant l’intonation ironique, Candy se retourne : Terry est là !

Peu lui importe, alors de savoir qui est le Prince de la Colline, qui est le « Grand Oncle William », qui est le fantôme, et même qui étaient ses parents : une seule chose compte, Terry est là, Terry qui lui revient après tant d’épreuves.

FIN

© Helena 2008