Chapitre 5
Madame Brighton, tamponnant ses yeux rouges avec un mouchoir, regarda Candy sapprocher du banc où elle était assise. « Je suppose que nous ne pouvons plus reculer, maintenant » dit son mari à lintention de la jeune fille. « Vous en parlez comme daller à labattoir ! Que craignez-vous ? QuAnnie vous aime moins ? Cest comme si on disait que jaime moins Mademoiselle Pony ou Sur Maria, depuis que je sais la vérité sur mes parents ! Et ce nest pas de là où elle est que la pauvre Jane Winter pourra être votre rivale. Mais je vous assure que savoir la vérité, connaître juste un nom et un endroit, cest une des plus grandes joies quune enfant trouvée puisse avoir. - Tu es trop modeste pour le reconnaître, mais ton cas est différent. Tu comprends mieux les choses quAnnie, et tu es plus forte quelle. Nous ne savons pas si elle est prête à apprendre tout cela dun coup. - Quest-ce je devrais apprendre ? » Candy et les Brighton sursautèrent en entendant la voix dAnnie, quils navaient pas sentie arriver pendant leur discussion. « Excusez-moi, bafouilla-t-elle, consciente de son indiscrétion. Jai vu Candy qui parlait avec vous, et maman avait lair davoir pleuré, alors je me suis approchée. » Dune voix de plus en plus étranglée, elle sadressa à son amie, reprenant : « Quest-ce que tu sais, Candy ? Tu as appris quelque chose sur tes parents ? Ou cest moi que ça concerne ? » Candy nhésita quune seconde, mais cela suffit à Annie, dhabitude si paisible, pour lattraper par les deux bras. « Tu sais quelque chose ! » cria-t-elle, au bord des larmes. Se dégageant doucement des mains dAnnie, Candy la fit asseoir sur le banc, entre ses parents. Puis elle sassit auprès delle et lui raconta lhistoire de Jane Winter. « Elle nous voit, nest-ce pas ? sanglota Annie, la tête contre lépaule de Candy. Elle est là, comme Anthony et Alistair ? - Bien sûr quelle est là, et elle est fière de toi. Tu es devenue tout ce quelle aurait pu rêver, et au-delà. Tiens, elle a même un cadeau pour toi. » Fouillant sous le large ruban qui servait de ceinture à sa robe, Candy en sortit une vieille poupée de chiffons quelle glissa entre les mains dAnnie. « Jai demandé à Mademoiselle Pony de lapporter. Il est temps quelle retrouve sa vraie propriétaire. » Déchiffrant le prénom qui était brodé sur la poupée, Annie sourit à travers ses larmes. « Cest vrai : normalement, cest moi qui devrais mappeler Candy, pas toi. Cest à moi que la poupée aurait dû porter bonheur. Mais, ironiquement, jai toujours eu beaucoup plus de chance que toi. » Elle prit les mains de ses parents adoptifs. « Jai retrouvé un père et une mère longtemps avant que ne tu retrouves les tiens. - Cest donc bien à toi que la poupée a porté chance, et cest normal. Si jai bonne mémoire, à la Maison Pony, tu jouais avec elle beaucoup plus souvent que moi. - Bien sûr, tu me la prêtais tout le temps. Toi, tu préférais jouer aux cow-boys ! » Les deux jeunes filles rirent, puis, après avoir embrassé Annie une dernière fois et souri aux Brighton, Candy se dirigea vers un autre coin du parc. Le jeune couple qui sy trouvait constituait pour elle, depuis plusieurs mois, un souci bien plus grave quAnnie. Si Terry et Suzanne occupaient ses pensées, la chose était réciproque. La comédienne, qui sétait assise sur un banc pour reposer sa jambe, regardait son compagnon dun il inquiet. « Cest ridicule, disait Terry. Depuis tout à lheure, nous avons lair denfants qui jouent à cache-cache. Il faut se faire à cette idée : Candy fait encore partie de notre vie, elle en fera toujours partie. - Je le sais, répondit doucement Suzanne. Et elle peut bien faire partie de notre existence : tout ce que nous vivons aujourdhui, cest elle qui nous la offert. Depuis des années, jai envie dêtre à genoux devant elle, de lui dire à quel point je lui suis reconnaissante. Mais cest précisément parce que je lui dois tout que je ne peux pas lui montrer ma gratitude. - Jusquà aujourdhui. Il y a des années que nous ne lavons pas vue, Suzanne. Telle que je la connais, elle est assez forte pour accepter de nous revoir. » « Le serons-nous aussi ? » se demanda Suzanne. Il était de toute façon trop tard pour se poser la question. Emergeant du parc, Candy venait vers eux. « Terry, Suzanne, vous devriez venir au manoir. Eléonore et Albert ont quelque chose dimportant à vous dire. » « Comment as-tu pu faire ça ? explosa Terry. Je me plaignais davoir grandi loin de toi, mais comparé à Candy je suis lenfant gâté de la famille ! Et il fallait que ce soit elle. Justement elle ! Tu te rends compte que pour un peu, aujourdhui nous serions mariés elle et moi, et tu pourrais être doublement grand-mère ? » Le « un peu », cest-à-dire Suzanne, se tenait dans un coin du bureau dAlbert, laissant passer lorage qui sabattait sur Eléonore. Candy avait préféré rester hors du manoir. Le chef des André intervint. « Justement, rappelle-toi lâge que javais lorsque Candy est née : seize ans. - Je ne te fais pas de reproches. - Mais cest à peu près lâge que tu avais en quittant le collège Saint-Paul, nest-ce pas ? Imagine que Candy, à ce moment-là, ait été enceinte de toi » Terry lui jeta un regard stupéfait. « Doù sors-tu une idée pareille ? - Candy na pas de secrets pour moi. Donc, imaginons : tu viens de disparaître comme un imbécile que jai été, et, même si tu étais là, tu nas que seize ans, et elle est encore plus jeune Comment crois-tu quelle aurait réagi ? Il y a des situations où même une fille comme Candy est dépassée par les évènements. - Je ne sais pas ce quelle aurait fait, mais je peux toujours en parler avec elle. Tu viens, Suzanne ? » Suivi de sa compagne, Terry quitta la pièce à grands pas, laissant à Eléonore plus de soulagement que dinquiétude. Le ressentiment que son fils pouvait avoir ne résisterait pas longtemps face à Candy. La nuit commençait à tomber sur le parc de Lakewood. Les trois jeunes gens se promenaient ensemble dans une des allées. « Je peux te lavouer devant Suzanne, dit Terry, elle le sait : jai toujours espéré quun jour nous pourrions nous promener comme ça, ensemble, sans que ce soit mal. Cest ce que nous faisons, Suzanne est là, et tu es ma sur. Décidément, Candy, tu trouves toujours une solution à tout, même si celle-là était plutôt inattendue. » Il y eut un moment de silence, et Candy sut à quoi Terry pensait : à une époque, de lautre côté de locéan, où ce nétait pas la voix du sang qui les avait rapprochés. Elle serra son épaule contre celle de son frère. « On na jamais rien fait de mal, hein, frangin ? - Non, frangine, on na jamais rien fait de mal intentionnellement. Au fond, cest ce que jaurais voulu avoir quand jétais enfant. - Quest-ce que tu aurais voulu avoir ? - Une petite sur, qui maurait fait des farces et à qui jaurais tiré les cheveux. » Il y eut un cri de douleur, suivi dun deuxième lorsque Terry reçut un coup de pied dans le tibia. Suzanne pouffa de rire. « A vous deux, vous avez huit ans dâge mental. - Nous avons quelques années denfance à rattraper, tu ne trouves pas ? fit remarquer Candy. A propos de temps, je crois quils nous attendent tous pour le repas. Cuisine écossaise au menu. Suzanne, jespère que tu aimes la panse de brebis farcie ? » Le banquet, aussi compassé que pouvait lêtre un repas de cérémonie au manoir des André, réservait néanmoins une surprise de taille aux invités. Alors quils portaient les toasts rituels aux mariés, Terry se leva à son tour : « Euh ! Excusez-moi, mais quand ce nest pas Shakespeare qui a écrit le texte, je suis très mauvais pour parler en public. Je voulais seulement dire que jétais très heureux de voir mon meilleur ami épouser ma mère, et surtout de voir, associé à cette cérémonie, quelquun qui aurait dû lêtre il y a bien longtemps. Je veux parler de leur fille : ma demi-sur Candy Neige André, ici présente. » On put presque entendre la stupéfaction qui sabattait sur la salle. « Terry peut se vanter davoir impressionné son public, pensa Candy, furieuse quil ne lui ait pas demandé son avis. Mais il nest pas sur une scène, nous sommes dans la vie réelle ! » Quant à Eléonore, en tant que comédienne, elle ne pouvait être vraiment mécontente de leffet produit par Terry. Après lavoir fusillé dun regard qui cachait mal son sourire, elle fit signe à Candy de venir auprès delle. Ses parents lembrassèrent. « Jajouterai, acheva Terry pour dissiper la tension, que Candy et moi nous comptons bien avoir un frère ou une sur. Albert et ma mère ont bien mérité de voir grandir un enfant. - Et pas dans une écurie, cette fois. » grommela une voix dans lassistance. Avant que Terry ait pu répliquer, grand-tante Elroy posait un regard fatigué sur linsolent. « Daniel, il sagit de ton oncle, de ta tante et de leurs enfants. Jaimerais que tu parles deux avec politesse, ou, si cela test trop difficile, que tu nen parles pas du tout. » Le jeune Legrand disparut derrière son assiette. « On dirait que grand-tante Elroy a fini par maccepter, commenta intérieurement Candy. Cest dommage quil ait fallu, pour cela, quelle connaisse le secret de ma naissance. Si jétais restée une enfant trouvée, elle maurait méprisée toute sa vie. » Mais, alors que les invités se levaient pour gagner la terrasse où aurait lieu le bal, elle sentit une main peser sur son épaule. « Jaurais dû men douter depuis longtemps, Candy. Il ny a que dans la famille André que lon fabrique de pareilles têtes de mule ! » Candy suivit du regard la vieille dame qui séloignait, appuyée sur sa canne. « Je me trompe, ou grand-tante Elroy ma fait un compliment ? » Quelques invités lui adressèrent des félicitations banales en passant près delle. Candy savait quelle avait acquis leur respect en tant quhéritière des André, mais quils étaient loin de lui accorder leur affection. Elle sen moquait : sa vraie famille - Eléonore, Albert, Annie, Archibald, et maintenant Terry et Suzanne était constituée depuis longtemps. Candy laissa son frère et Suzanne se diriger vers la salle de bal. La jambe raide de la comédienne lui permettrait néanmoins de faire un ou deux tours de valse. Elle-même, éprouvant le besoin de rester seule un instant, sortit dans le parc. De lallée où elle était descendue, elle aperçut, au milieu des danseurs, Annie, ses parents et Archibald. « Avec Annie, nous avons souvent pensé être surs jumelles, songea-t-elle. A la Maison Pony, on faisait tellement de choses ensemble Capucin, par exemple ! » Les deux fillettes devaient avoir cinq ou six ans lorsquelles sétaient inventé ce compagnon, un raton-laveur quelles avaient baptisé Capucin. Il nexistait pas réellement, mais, en y pensant suffisamment fort, elles arrivaient à le voir et à lentendre. Longtemps après quelle ait quitté la maison Pony, il suffisait que Candy se sente triste et Capucin apparaissait pour la consoler. Et ça marchait encore ! Elle sentit les petites pattes de Capucin trotter sous un bosquet, puis le raton-laveur sauta sur son épaule, comme chaque fois où Candy avait besoin quil lui remonte le moral. « Tu vois, lui expliqua-t-elle, il y a encore quelques semaines, javais plein de rêves. Jespérais quavec Annie on saurait qui étaient nos parents, que Terry et moi on pourrait se revoir sans faire souffrir Suzanne, quAlbert et tout le monde seraient heureux Maintenant, tout est arrivé ensemble, et je nai plus rien à rêver. Soudain, elle éclata de rire, pour elle toute seule, et se précipita vers un grand arbre tout proche. « Hé, Capucin, je suis libre ! Plus libre que je ne lai jamais été ! Le dernier en haut de larbre fait la vaisselle, et je te préviens quil y a trois cents couverts ! » FIN Zi inde ! Curieusement, lorsque jai parlé à Sophie, voici plusieurs mois, de la fanfiction que je préparais, javais déjà lintention décrire une histoire où Candy retrouverait ses deux parents, et assisterait à leur réconciliation au milieu de la joie générale Ho hum © Gérald Juin 2000
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