De l'autre côté du voile
par Fatalzmarion

Note de l'auteur :

Je sais que je vais m'attirer les foudres et hurlements de plus d'une d'entre vous avec cette histoire qui est de loin la plus dramatique que j'ai rédigée ...
Il n'y aura pas de milieu : soit vous allez adorer et la lire d'une traite, soit vous allez détester et décrocher rapidement ...

Cette fic n'est ABSOLUMENT pas humoristique et un peu délicate. Merci de tenir compte de l'avertissement qui la précède.

Enfin, je suis navrée de devoir relater dans cette histoire tout le contenu de la saga que vous connaissez déjà par coeur mais cela s'imposait pour que l'intrigue prenne son sens ... et puis vous constaterez bien vite que c'est ULTRA Résumé !!

Certains passages et descriptions de cette fiction sont susceptibles de heurter la sensibilité de certaines personnes. Cette histoire est la première que je rédige où je touche au drame dans sa majorité. Malheureusement la triste réalité de la vie est une succession d'évènements plus ou moins heureux et d'autres immensément insupportables. Merci de tenir compte de cet avertissement.

*** Nouvelle version octobre 2009 : Certains chapitres que j'avais un peu négligé ont été retravaillés. Vous pouvez bien sûr redécouvrir cette histoire, étant dit que la fin reste inchangée ... et pour celles qui ne l'ont pas encore lue, bonne lecture !!!



« De L’AUTRe CÔTé DU VOiLe »

Chicago 1990

Le « Jardin des Lilas » était une maison de retraite traditionnelle. Située non loin du Parc de Chicago, elle répondait en tous points aux critères habituels de ces établissements avec ses couloirs peints en beige, son jardin fleuri et toutes ses chambres identiques.

Elle comptait quelque 150 pensionnaires, des messieurs qui avaient déjà perdu leur épouse bien souvent à qui il tardait de les rejoindre, des dames veuves ou qui n'avaient jamais été mariées, des couples du troisième âge qui avaient encore la chance de partager le quotidien.
Certains pensionnaires souffraient de leur santé physique, d'autres de leur santé mentale. Un nombre plus restreint était encore suffisamment valides pour se permettre de sortir de l'établissement à l'occasion.

Mais s'il était un point commun à chaque occupant du « Jardin des Lilas », c'était bien une certaine forme de manque ... bien que nuancé chez tel ou tel pensionnaire.
L'un était nostalgique de ses tendres années de jeunesse, l'autre de son compagnon disparu, un autre encore du manque d'intérêt que lui portait la famille qui lui restait.

Ce sentiment de tristesse et de lassitude était combattu tant bien que mal par les jeux et distractions du grand salon, par la télévision et par les conversations entre « personnes d'un autre temps » à qui les quelques années passées enfermés dans ces maisons surnommées pudiquement « de repos » semblaient bien plus longues que leur vie tout entière.

La dernière source de gaieté des pensionnaires des « Lilas », et non la moindre, était une petite infirmière nommée Charlotte Graham. A 23 ans, la jolie jeune femme respirait la fraîcheur, le charisme et la bonté. Non contente d'apporter les soins nécessaires aux différents retraités dont elle avait la charge, elle n'hésitait pas à leur faire la lecture, à participer à leurs jeux et conversations et chanter avec eux les chansons de leur époque.

Outre son métier d'infirmière, Charlotte avait une passion non dissimulée pour l'art dramatique et l'écriture de romans. Ses plus fervents lecteurs étaient évidemment ses chers « vieux » qui attendaient toujours avec impatience la suite de ses nouvelles, fictions et autres de ses compositions. Charlotte leur faisait toujours bénéficier en avant-première de la découverte de ses écritures et il n'était pas rare après son service de la trouver au salon, entourée de ses auditeurs qui accessoirement devenaient ses critiques lors de l'élaboration de certains chapitres.

Mais les plus précieux conseils de rédaction lui venaient toujours de la même personne. Il s'agissait d'une des pensionnaires les plus âgées de l'établissement. A 92 ans, la vieille Candice s'était prise d'amitié pour Charlotte qui égayait sa vie devenue tellement morne car non seulement, la vieille femme n'avait plus la moindre famille, son mari étant décédé depuis longtemps, mais son état de santé général ne lui permettait pas une grande activité. Candice boitait fortement et ces dernières années l'avaient vue courber l'échine davantage au fil des semaines. En ce début de 1990, ses seuls voyages se résumaient à présent entre son fauteuil et son lit. Elle échangeait dès lors de moins en moins de contacts avec ses camarades et sa solitude ne faisait qu'accentuer encore la tristesse de son personnage.

Pour ajouter à son triste état, Candice souffrait d'un complexe au niveau du visage dû à une grave brûlure dont elle fut victime dans sa jeunesse. Personne ne savait exactement ce qui lui était arrivé et la vieille femme prenait grand soin de se cacher le visage et le cou par un châle épais qui ne la quittait jamais été comme hiver. Elle ne parlait pas de cette infirmité, refusait de la montrer à quiconque et nul n'était autorisé à y faire allusion. La seule chose qu'elle permettait, à Charlotte uniquement, était de se laisser brosser les cheveux qui au fil du temps étaient devenus de la couleur du sel.

Charlotte portait une grande affection à la petite vieille qui paraissait tellement minuscule et faible avec ses maigres jambes, son dos courbé et sa vieille canne dont elle ne se séparait jamais. Mais malgré la fragilité de son apparence, le poids des années qui pesait sur ses épaules et cette horrible brûlure qui la faisait encore souffrir après tout ce temps, Candice avait conservé un esprit tenace et ouvert. Elle était la critique la plus sévère et la plus utile des créations de Charlotte. Elle avait son franc parlé, n'y allait jamais par quatre chemins pour confier ses impressions à la jeune fille et ses observations portaient toujours leurs fruits. Charlotte revenait toujours vers elle pour peaufiner une phrase douteuse, ou un passage décrit un peu trop à la légère mais elle n'avait pas encore franchi le cap de faire publier ses ouvrages. Elle ne se sentait pas encore suffisamment mature et se reprochait parfois d'écrire des histoires un peu trop superficielles, ce que Candice, avec sa franchise habituelle, ne démentait pas.

Charlotte n'écrivait que pour son plaisir personnel, celui de ses parents, grands-parents et arrières grands-parents qui avaient la chance d'être encore en vie, et bien sûr pour le bonheur de ses chers pensionnaires des « Lilas ».

Vers la fin de l'hiver, la santé de Candice se dégrada encore un peu et les rares promenades que Charlotte l'emmenait faire au parc en fauteuil roulant se firent de plus en plus rares, sur ordre du médecin, en dépit de l'entêtement de la vieille femme. Son docteur lui promit néanmoins qu'elle pourrait ressortir quand les beaux jours reviendraient et Charlotte tenta de la consoler de son mieux.

« Candice, ne vous en faites pas. Le printemps reviendra vite et je vous emmènerai au bord du lac. Nous irons à la pêche, d'accord ? »

« Ne te donne pas tout ce mal, Charlotte. Je t'ai déjà dit qu'il n'était pas beau de mentir ... surtout à un vieux singe comme moi. J'ai vu mourir suffisamment de gens dans ma vie pour pouvoir deviner que ma fin approche »

« Ne dites pas ça, allons ... »

« Taratata ... Mais avant de m'en aller, car je ne compte pas te quitter demain ni le jour suivant, il y a une dernière chose que je voudrais te demander, Charlotte. »

« Oui ? »

« Quand penses-tu enfin publier ta première œuvre ? J'aimerais assister à ta gloire et tes honneurs avant qu'on me repique ... »

« Oh Candice ... Je ne sais pas ... Je ne vois pas la moindre de mes histoires qui vaille la peine d'être lue ... Pour mon premier roman, j'aurais aimé disons ... frapper un grand coup. Raconter quelque chose qui suscite vraiment un intérêt ... C'est prétentieux, non ? »

« Non ma fille !! Ne dis jamais cela. Il faut de l'ambition pour atteindre son but et ne pas avoir peur de l'admettre. Avant de partir Charlotte, je vais t'offrir un cadeau qui te mènera au plus haut. Tu es capable de la rédiger ... je t'aiderais »

« Mais qu'est-ce que c'est ? »

« La véritable histoire de Candy Neige André ... »

Charlotte fronça les sourcils.

Elle savait bien peu de choses au sujet de la vieille femme qui se trouvait en face d'elle car Candice avait toujours refusé de parler d'elle-même. Elle savait que son nom d'épouse était André, qu'elle était elle-même infirmière à la retraite et que son défunt mari lui avait laissé à sa mort un héritage confortable qui lui permettrait de vivre très à l'aise jusqu'à son propre décès ... mais qu'y avait-il d'autre qui puisse susciter un tel mystère de la nonagénaire ?

« Veux-tu entendre cette histoire ? »

« Bien sûr mais ... Pourquoi moi, Candice ? Vous avez toujours tellement peu parlé de vous »

« Dis toi que c'est ton jour de chance petite ... Bienvenue dans la machine à remonter le temps, Charlotte »

« Hiver 1898, sur les rives du Lac Michigan.

Sous le porche d'un vieil orphelinat dirigé par Mademoiselle Pony et une religieuse, Sœur Maria, sont trouvés deux bébés ... deux petites filles, l'une d'elles s'appellera Candy Neige, comme la poupée qui l'accompagne.
...
Candy et son inséparable amie, Annie, grandissent dans l'affection du foyer Pony jusqu'à l'âge de 10 ans.
...
A cette époque, Annie est adoptée par la famille Brighton suite au refus de Candy de devenir elle-même leur fille. Candy sera désespérée de cette séparation d'autant que son amie ne tarde pas à lui envoyer sa dernière lettre. Dans cette missive, Annie lui explique que sa nouvelle maman exige qu'elle renonce à tout ce qui la retient à ses origines et au foyer Pony ...

En larmes, Candy se réfugie sur la colline au pied du vieux chêne. Son attention sera vite attirée par le son d'une cornemuse ... Candy regarde autour d'elle et aperçoit un jeune homme élégamment vêtu d'un costume écossais ... Celui-ci la console ...

Tu es tellement plus jolie quand tu ris que lorsque tu pleures ...

Candy sèche ses larmes mais le garçon a déjà disparu ... elle trouve à ses pieds un luxueux pendentif au sigle A.

De retour au foyer troublée par cette rencontre et le bijou entre les mains, Candy remarque devant sa maison d'enfance une superbe voiture au blason identique à la médaille ... à une lettre près ... sur ce blason, il s'agit d'un L. Ces armoiries vont donner confiance à Candy mais vont également la tromper ... elle décide de suivre le majordome des Legrand qui proposent de l'adopter ... C'est pour elle le départ vers un pénible enfer ».

Charlotte sentait déjà ses mains trembler à l'écoute de la relation entre Candy et Annie, le départ de celle-ci ... le Prince de la Colline et la proposition du majordome. Candy le suit, espérant retrouver de cette façon le fils de cette famille qu'elle croit être le Prince qu'elle vient de rencontrer ...

«La trahison d'Annie ... » pensa la jeune femme « Mais cette enfant souffrait d'un tel manque affectif. Ce n'est qu'une petite fille d'à peine 10 ans ... Qui était ce joueur de cornemuse ? ... Les Legrand ? ... Que s'est-il passé, Candy ? »

Le récit de la vieille femme qu'elle n'avait jamais entendu autant parler la saisissait jusqu'au cœur. Elle ne pouvait l'interrompre pour lui faire part de ses propres sentiments. Toutes ses questions allaient probablement trouver une réponse.

Et Candice continua son récit ...

« Candy est arrivée dans son nouveau foyer le coeur gonflé d'espoir. Elle pensait y trouver l'amour et l'affection d'une vraie famille mais ira de peines en désillusions ... Elle est accueillie par un seau d'eau glacée sur la tête dès le premier jour ... Les Legrand ont deux enfants, Daniel et Elisa ... Ils ne manqueront jamais d'imagination pour faire subir à Candy les pires cruautés ... Rien ne lui sera épargné, ni les humiliations, ni les punitions, ni les privations ... Jusqu'à la mansarde sale où elle sera logée à la demande d'Elisa pour qui elle était supposée être une dame de compagnie ... De compagne à servante, il n'y a qu'un pas ... Candy subit sans broncher les méchancetés et les caprices des deux jeunes Legrand, soutenus dans leur cruauté par leur mère. La petite fille tient tête, elle résiste avec son fidèle compagnon Capucin ... Elle ne tarde pas à gagner l'affection de tous les domestiques, elle fait également la connaissance de Monsieur Albert ... amoureux de la nature, l'homme est un vagabond barbu qui traîne sur les terres de la richissime famille André ... entouré de ses animaux ... Il promet à Candy de toujours lui venir en aide ...

Si tu as besoin de moi, jette une bouteille à la rivière quand le vent souffle du sud ... »

Pour la première fois, Charlotte osa poser une question : « Candice, puis-je vous demander pourquoi vous n'avez jamais tenté de vous échapper de cette famille pour retourner au foyer Pony ? ».

« Le coeur a ses raisons, Chère Charlotte, et celui d'une petite fille de onze ans est bien complexe ... Suite à une énième bagarre avec les jeunes Legrand, Candy en larmes se sauve dans les bois ... Au détour d'une allée, elle découvre une grille où semblent fleurir un milliers de roses qui rivalisent de beauté ... mais à cet instant, Candy ne voit pas l'éclat des fleurs ... ses yeux sont perdus dans ses larmes. Elle entend alors pour la seconde fois cette phrase.

Tu es tellement plus jolie quand tu ris que lorsque tu pleures ...

Candy lève les yeux et aperçoit un jeune homme qui lui semble tellement identique au Prince qu'elle avait rencontré sur la colline ...

Plus tard, elle rencontrera deux autres garçons ... deux frères ...

Je te trouve très gentille, je m'appelle Archibald

Je suis le frère d'Archie, Alistair Cornwell ... Elisa et Niel t'ont abandonnée ici ?? Je te raccompagne en voiture ...

A la suite de ces rencontres, Candy est invitée à participer au grand bal organisé par la Grand Tante Elroy au nom de la famille André, dont font partie les trois cousins ... Les Legrand sont contrariés d'emmener Candy avec eux mais ne peuvent refuser ... Ils l'emmèneront à la fête vêtue de ses haillons ...

Je savais que tu viendrais Candy
Mais c'est moi qui lui ai envoyé une invitation
Tu pensais la même chose que moi !!!

Anthony oh mon dieu c'est lui Anthony ... mon Prince, c'est le garçon qui aime Elisa ...

Si j'avais su que tu vivais chez les Legrand, Candy, je t'aurais envoyé une carte d'invitation ...

Je m'appelle Anthony Brown ... Tu es très jolie quand tu souris ...

Candy vit ce jour comme un rêve malgré les tentatives des petits Legrand pour lui gâcher le plaisir ... Alistair et Archibald ont même pensé à lui offrir une robe de bal ... Elle dansera jusqu'à la fin du jour aux bras d'Anthony et des deux frères Cornwell ...

Cette petite servante a toutes les audaces, les héritiers n'ont d'yeux que pour elle ...

Elle a l'impression de devenir une princesse pour un soir.
Mais c'est sans compter sur Madame Legrand, furieuse et jalouse de toute l'attention que suscite Candy, elle la relègue à l'étable ... dès le lendemain du merveilleux bal, Candy est contrainte de partager le gîte avec les chevaux mais aussi avec le foin, la poussière et les souris ...

Elle effectue les plus durs labeurs pour satisfaire ses maîtres mais ses journées sont éclairées par les visites régulières d'Archibald et Alistair et surtout Anthony, passionné par la culture des roses, il crée une rose pour elle ...

Elle s'appelle Tendre Candy ... et aujourd'hui sera le jour de ton anniversaire ...

Voilà pourquoi Candy n'a jamais pensé une seconde à quitter la maison des Legrand aussi atroces puissent être les traitements qu'elle subissait chez eux »

« Candice, l'amour que vous éprouviez pour ce garçon, Anthony, était suffisamment fort pour que vous préfériez le bagne à la paisible Maison Pony ? »

« Charlotte, l'amour de ce garçon était le premier sentiment exclusif que je ressentais ...

Les deux mamans de son enfance, Candy a toujours du les partager avec des tas d'autres enfants, chaque pensionnaire du foyer ... mais dès que l'un était finalement adopté, il n'hésitait pas à tourner la page sur cet amour collectif pour se consacrer uniquement à la nouvelle famille qui l'avait accueilli. Candy, elle, ne reçoit pas cet amour tant attendu dans son foyer d'accueil, elle prend cela alors comme une sorte de défi, une volonté personnelle ... Peut-être était-ce de l'orgueil ? Elle désire que Mademoiselle Pony et Soeur Maria puissent être fières d'elle. Elle refusait de les décevoir ...

Quant à l'amour et l'amitié de ces trois garçons, enfin elle possédait quelque chose qu'elle n'était tenue de partager avec personne ...

Elisa Legrand, qui est folle amoureuse d'Anthony, parvient à convaincre sa mère, avec la complicité de son frère Daniel, que Candy a dérobé des bijoux de famille et autres biens de valeur ... Une fois encore Candy est humiliée ... Accusée de vol, elle est envoyée au Mexique, pour aider au travail des champs dans la ferme des Legrand.

Les trois cousins qui parviennent à faire avouer le coup monté à Daniel, écrivent alors à leur Oncle William ... personnage mystérieux qui orchestre dans l'ombre chaque fait et geste des membres de la famille André ... Sans jamais montrer son visage ...

L'Oncle William intervient alors ... Il adopte Candy au travers de son fidèle assistant, Monsieur Georges. C'est la fin du cauchemar pour la petite fille ... Au grand dam de la Tante Elroy qui la déteste et des deux enfants Legrand ... C'est encore pire que tout ce qu'Elisa aurait pu imaginer, car non seulement Candy allait vivre dans la même résidence qu'Anthony mais elle était également élevée à une position sociale supérieure à la sienne ... La monstrueuse fille d'écurie avait gagné »

Candice était fatiguée, elle arrêta son récit là et Charlotte rentra chez elle la tête pleine d'images et de phrases.

Une fois à la maison familiale, elle embrassa son arrière grand-mère. Elle aussi était nonagénaire mais elle était toujours une amie pour Charlotte. En dépit de leur grande différence d'âge et d'idées, Charlotte admirait toujours la joie de vivre et cette certaine forme d'énergie que dégageait la vieille dame qu'elle surnommait affectueusement Grand-ma.

Au contraire de la vieille Candice, Madame Carla Graham avait conservé une grande vivacité physique. Carla avait probablement été bien plus épargnée par la vie que la pauvre Candice, se disait bien souvent Charlotte ... Elle avait la chance d'avoir toujours son mari, Théo Graham, à ses côtés et malgré les innombrables années de vie commune, tout l'amour qu'ils avaient partagé et partageaient encore, était palpable. Leur contact physique quasi permanent et leur affectation mutuelle n’avaient jamais diminué au fil des décennies.

Ils avaient élevés leurs trois enfants, deux fils et une fille, qui eux mêmes s'étaient mariés et avaient quitté la maison familiale dans les années 40 mais l'aîné d'entre eux, Antoine, avait conservé son grand attachement au cocon familial et avait lui-même inculqué à ses propres enfants l'amour et le respect de leurs ancêtres. Son fils, Etienne, le père de Charlotte, n'avait pas failli à la tradition et ayant lui même une très grande complicité avec son grand-père, Théo, il n'avait pas hésité à la naissance de sa fille à accueillir chez lui, ses grands-parents. Carla se faisait une joie de veiller sur Charlotte et celle-ci fit naître un parallèle et un tendre équilibre entre les générations.

Toute la dévotion innée de Charlotte envers les personnes âgées lui venait peut-être de cet osmose familial qu'elle avait toujours connu ...

Ce soir-là, le crâne fourmillant d'idées, elle désirait au plus vite se pencher sur la rédaction de la première partie du récit de Candice André, mais avant de monter dans sa chambre, elle regarda sa chère Grand-ma de l'oeil le plus aimant qu'elle l'ait jamais observée.

« Quelle a été ta vie ? Qui es tu, Candice ? » Pensa-t-elle.

Puis elle demanda à son arrière Grand-mère : « Grand Ma ? Puis-je te poser une question ? »

« Oui ma chérie, je t'écoute » répondit la vieille dame de sa voix usée.

« Est-ce que tu as déjà connu des moments difficiles dans ta vie ? » s'enquit-elle gentiment.

« En voilà une curieuse question ma chérie ... Pourquoi me demandes-tu cela ? »

« Oh ... comme ça »

« Bien sûr que j'ai connu des périodes plus sombres durant ma vie ... Tout le monde reçoit un jour ou l'autre sa part de mauvais temps mais dans l'ensemble, je n'ai pas eu à me plaindre je pense »

« Si tu pouvais changer quelque chose qui t'est arrivé dans ta vie, tu le ferais ? »

« Et bien ... j'ai fait des erreurs comme tout le monde et certainement de mauvais choix de temps à autre ... mais j'ai eu tant de chance dans ma vie, je n'ai le droit de me plaindre de rien ... Un mari et des enfants tellement formidables ... et j'ai toujours été heureuse et entourée de gens qui m'aimaient ... Tu es toute drôle aujourd'hui, Charlotte. Qu'y a-t-il ? »

« Rien, rien du tout. Bonsoir Grand Ma. Je t'aime. Bonsoir Grand-Pa »

« Bonsoir Chérie » Répondit à son tour le vieil homme aux cheveux gris.

Charlotte sortit du salon pour se diriger vers les escaliers qui menaient aux chambres, elle jeta un dernier coup d'oeil à ses arrières grands-parents. Elle observa d'un oeil encore nouveau toute l'affection qu'ils se portaient ...

« Main dans la main devant la cheminée... À votre âge ... comme vous êtes beaux. Pauvre Candice, pourquoi n'as tu pas connu un tel bonheur ? »

Et Charlotte alla se coucher après avoir rédigé une ébauche de la première partie de l'histoire de Candice, mais ses rêves furent remplis de curieuses images, elle ne pouvait se sortir de l'esprit le calvaire de la petite fille.

Des roses, des milliers de roses ... une robe de bal ... et ces haillons ... une étable et la cruauté des Legrand ... L'adoption par la famille André ... Candice, ton cauchemar est peut-être terminé ... Mais cet Anthony, il se nomme Brown, pas André ... Ce n'est donc pas lui ton mari ... Ton nom d'épouse est André. Que s'est-t-il passé, Candice ?




Le lendemain matin, Charlotte alla prendre son service comme d'habitude mais pour la première fois de sa vie, il lui tardait que celui-ci se termine. Elle savait qu'elle allait décevoir certains pensionnaires qui aujourd'hui n'auraient pas de lecture mais il lui fallait connaître la suite ... Elle se demandait ce que Candice allait lui raconter. Que cachait sa vie ? Elle avait toujours pensé que Candice avait eu une vie, certes pénible comme en témoignaient ses blessures physiques, mais néanmoins heureuse dans un certain sens car ... Elle parlait toujours de son défunt mari comme d'un homme bon et aimant ... « Mon Albert ... » disait-elle si souvent quand elle y faisait allusion.

« Alors Charlotte, bien dormi ? » lui demanda la vieille dame quand elle entra dans sa chambre.

« Oui, pas trop mal »

« De quoi as-tu rêvé ? Réponds franchement ... Dis moi ce qu'il te passe par la tête en premier ... »

« Des roses, Candice »

« Ce ne sont pas les méchancetés de la famille Legrand qui ont hanté ton esprit ? »

« Qu'est devenu Anthony, Candice ? Pourquoi votre mari s'appelle-t-il Albert ? » Demanda Charlotte, évitant sa dernière question qui la troublait. C'est vrai ? Pourquoi les sévices que les Legrand faisaient subir à une enfant ne furent-ils pas la priorité de son esprit ?

« Toutes tes questions recevront une réponse, Charlotte. Tout vient à point à qui sait attendre ... »

Et Candice continua son récit ...

« Candy a 12 ans, elle est adoptée par le mystérieux Oncle William qui en fait une André, une vraie. Les jeunes Legrand et la Tante Elroy sont furieux mais Candy fait partie de la famille. Elle est vêtue de robes somptueuses et est entourée de ses trois amis si chers, devenus ses cousins ... Elle reste néanmoins charmante avec tous les domestiques et ne cesse jamais d'écrire au foyer Pony ... Elle vit une romance idyllique avec Anthony ... Le rodéo ... le veau ... la fête foraine et la voyante ... »

« La voyante disait vrai? » souffla Charlotte.

« Bien hélas oui ... Une chasse au renard est organisée par la famille André ... c'est la présentation officielle de Candy à toute la famille ... Anthony fait une terrible chute de cheval ... Candy sera effondrée par cette perte ... tout l'équilibre qu'elle avait trouvé en lui vole en éclats ... et elle est blâmée par Elisa qui porte sur elle toute la responsabilité de la mort d'Anthony ... celle-ci tente même de massacrer les fameuses roses ... Malgré la présence d'Archibald et Alistair, Candy ne trouve pas la force de rester à la résidence. Elle repart au foyer Pony pour quelques temps ... Elle reçoit le réconfort auprès de ses deux mères ... Monsieur Albert la soutient une fois encore ... »

« Comment peut-on survivre à un tel malheur ? »

« Tu sais, Charlotte, quelqu'un m'a dit un jour que le seigneur ne nous soumet qu'à des épreuves que nous sommes capables d'endurer et auxquelles nous sommes assez forts pour résister. J'ai cru que j'allais disparaître après la perte d'Anthony mais les jours passent et puis les semaines et un jour, les larmes, même les plus amères finissent par diminuer et puis se tarir ...

Noël 1912,
Candy reçoit la visite de Monsieur Georges au foyer Pony ... Mademoiselle Candy, votre Oncle William a pris la décision de vous envoyer étudier en Angleterre ... Le coeur encore meurti, Candy s'embarque pour Londres sur le Mauritania ...

Arrive le 31 décembre, il est presque minuit ... la fête bat son plein sur le bateau ... Candy a bu un peu de champagne et la tête lui tourne ... elle sort sur le pont prendre l'air ...

Ce garçon ... Anthony ? ... non lui est brun ...

Qui êtes vous ? Que voulez vous ?
Vous avez l'air triste ...
Moi triste ? Vous avez des visions Mademoiselle Tâches de Son !
Mes amis disent que cela me va très bien !
Et votre nez !!! ...
Qu'est-ce qu'il a mon nez ?!

Mademoiselle, retournez à votre cabine s'il vous plait ...
Lui ? Mais c'est Monsieur Grandchester ... le fils du Duc ...

Candy arrive au collège Saint-Paul ... presque une prison ... elle y retrouve ses chers cousins Alistair et Archibald ... elle y fait la connaissance de Patty ... elle reverra aussi les terribles Daniel et Elisa Legrand qui recommenceront leurs manigances ... mais une fois encore, Candy a la chance d'être sous la protection d'un défenseur ... Terry Grandchester, qu'elle a rencontré sur le bateau ...

Leurs relations sont confuses au départ ... Terry fume, il boit, il se bat ... il est arrogant, indiscipliné, rebelle ... mais il est toujours là ... leurs chemins ne cessent de se croiser ... Candy enfreint à plus d'une occasion le despotique règlement de l'intransigeante Mère Supérieure pour sortir du collège sans permission ou pour rendre visite à ses deux cousins en cachette ... Terry est au courant de ses escapades mais jamais il ne la trahit ... Ils se rendent service mutuellement ... l'amitié naît dans le coeur de Candy ... Dans celui de Terry, c'est l'amour qui est ancré depuis leur première rencontre ... Terrence est le fils du Duc de Grandchester ... mais sa mère est actrice ... Eléonore Baker ... Nul ne le sait ... Candy découvre le secret de Terry, par hasard ...

Archibald voit d'un fort mauvais oeil l'attachement de Candy et Terry ... la jalousie, les conflits ... mais Annie qui a renié Candy lors de son adoption, arrive à son tour au collège, folle amoureuse d'Archibald ... Candy le convainc de prendre soin d'Annie ... Archibald s'exécute ... et Annie rouvre son coeur à Candy, elle n'a plus honte de ses origines ... mais subit à son tour les moqueries des Legrand et de leurs amis ... Qu'importe, avec Candy et Patty, aidée de l'affection d'Archibald, elle y fait face ...

Terry devient ami avec Monsieur Albert, de passage à Londres pour y travailler ... le Zoo de Blue River ...

Le festival de mai ... la chambre de méditation ...

Anthony ? Que peut-il être pour elle cet Anthony ?
Un garçon qui aime les roses ne peut être qu'une fillette ...

Princesse Juliette, me feriez-vous l'honneur de m'accorder cette valse ?

Anthony ... Anthony ... Terry ... »





« Terrence Granchester, vous dites ? » demanda alors Charlotte à la vieille dame.

« Oui, Grandchester ... »

« Ce nom me dit quelque chose » se dit Charlotte « Je suis certaine d'en avoir déjà entendu parler ... Peut-être par Grand-Ma ... ou bien j'ai lu un truc sur lui quelque part ... bon sang, je ne me souviens pas mais je connais ce nom ... le fils du Duc de Grandchester ... c'est peut-être en histoire qu'on m'en a parlé ... »

« Je m'arrête là pour aujourd'hui, Charlotte ... c'est épuisant de se souvenir »

Ce soir là, Charlotte fit un saut à la bibliothèque qu'elle avait fréquenté durant ses études secondaires. Elle était persuadée de connaître de nom de Grandchester mais ses années de lycée étaient bien lointaines, les cours d'histoire n'étaient pas vraiment de ses favoris et la noblesse anglaise n'était pas non plus le sujet des cours d'anatomie qu'elle avait reçu à l'école d'infirmières.

« Est-ce bien en histoire que j'ai entendu parler de ce gars là ? » se dit-elle finalement après avoir écumé sans succès tous les manuels susceptibles de faire allusion au jeune aristocrate rebelle qui avait fait chavirer, ça Charlotte l'avait bien compris, le coeur de la jeune Candy, presque 80 ans auparavant ...

Les beaux jours étaient là, Candy a passé un été dans le petit monde du collège royal de Saint-Paul ...

« Aujourd'hui, vous les jeunes partez en Floride visiter Disneyland, ou faire du Jet ski sur la côte ouest, pour vous les vacances ce sont les plages vêtus de votre bikini le plus minuscule à vous demander si la jeunette vautrée sur la serviette voisine de la votre mange bien des céréales allégées ...

Candy avait d'autres destinations en tête et d'autres préoccupations aussi ...

Le Collège Royal de Saint Paul s'est retrouvé transporté à la mode écossaise le temps d'un été. Le temps pour Candy de tondre les moutons avec son nouvel ami, Marc ... un moment pour quitter les uniformes au profit des kilts en tartan ... un moment qui s'échappe de la discipline militaire de Londres pour les grandes promenades dans les prés à cheval avec Terry ... mais une occasion également de faire la connaissance de ce petit bout d'homme ... comment est-il possible d'être si insupportable et tellement attachant ? ... Terry prend, Terry donne mais Terry sera toujours là ... »

Au moment où elle disait ces mots, Candice frappa de sa main droite brûlée la gauche de sa poitrine, à l'endroit où battait son coeur usé.

« Tous les deux avez vécu une romance durant cet été ? » lui demanda Charlotte.

« En fait, la romance avait commencé depuis le jour de notre première rencontre mais, oui, on peut dire cela ... l'Ecosse a été la charnière ... la réconciliation de Terry avec Eléonore Baker ... la victoire de Candy sur sa phobie des chevaux ... Qui sait lequel des deux est celui qui a tendu la main et celui qui l'a saisie ? Lequel a transporté l'autre ? ... Même sur Annie et Patricia, cet été 1912 a eu un effet bénéfique enterrant pour toujours leur timidité excessive et leur sagesse exemplaire ...

Le baiser de Terry ...

Mais le retour à Londres qui augurait une porte ouverte sur un amour qui ne demandait qu'à grandir faisait des envieux ... le piège d'Elisa ... et le pire est qu'Elisa était vraiment amoureuse de Terry ... mais le montrait tellement mal !! La meilleure façon d'attirer les foudres de Terry était de s'en prendre à Candy ... Candy est au cachot ... Terry se sacrifie ... Le coeur en cendres, il quitte l'Angleterre en direction de l'Amérique où il espère suivre les traces de sa mère ... Candy le suivra de quelques jours ... »

« Ca y est !!! » s'écria tout un coup Charlotte interrompant ainsi le récit de la vieille dame « Je me souviens de Terrence Grandchester !!! J'ai étudié ce personnage au lycée !!! Je me disais bien que ce nom me rappelait quelque chose !! »

« Tu l'as étudié au lycée, dis-tu ? Que t'a raconté le professeur exactement ? »

« Et bien, il s'agissait d'un exposé que nous devions faire en littérature sur l'oeuvre de William Shakespeare ... J'avais choisi Roméo & Juliette ... et j'ai illustré mon travail par une étude des différentes adaptations théâtrales et cinématographiques qui en ont été faites ... et Terrence Grandchester en faisait partie ... »

« Et ... ? »

« Il m'avait marqué parce que je le trouvais vraiment ... je sais pas ... tellement Roméo. Je n'avais que très peu de documentation à son sujet ... mais je l'avais trouvé canon !!! »

« Canon !! Rien que ça ! Vous avez de ces expressions vous les jeunes ... De mon temps, on se serait contenté de dire que Terry était plaisant au regard ! Mais je te l'accorde, il était ... canon !!! »

« Carrément canon !!! »

« Pourquoi avais-tu fort peu de documentation sur lui, d'après toi ? »

« Je crois avoir lu qu'il est mort très jeune ... » répondit Charlotte.

« Lorsque Terrence est arrivé aux états unis, il a voulu connaître l'endroit où Candy avait grandi ... La maison de Pony ... Il s'y est rendu ... Il a fait la connaissance de Mademoiselle Pony et Soeur Maria ... puis s'en est aller ... quelques minutes trop tôt car Candy le suivait de très près, ils se sont manqués de quelques instants comme au port de Southampton lorsque Terry a quitté Londres ... Candy n'avait pas pu trouver le courage de rester sans lui au collège.

Candy part pour l'école d'infirmières de Marie Jeanne au printemps 1913 alors que Terrence sillonne les routes à la recherche d'une troupe de théâtre ... Candy reste en contact avec ses amis qui se trouvent encore à Londres ... Annie, Patricia, Alistair et Archibald ... Elisa et Daniel Legrand sont toujours en Angleterre eux aussi mais Elisa a perdu son amie ... Louise ... son père est ruiné ... Elisa la rejette car elle ne fera jamais plus partie de son milieu ... Louise, à son tour, quitte le collège Saint-Paul ...

Candy découvre les joies de la guérison de certains patients ... la perte d'autres ... Monsieur Mac Grégor ... mais 1914 approche et avec cette année nouvelle, le spectre de la première guerre mondiale se profile à l'horizon ... Marie Jeanne transfère ses meilleures élèves à Chicago pour qu'elles y reçoivent une formation plus poussée à l'hôpital Sainte Joanna ... c'est l'époque du retour au pays des amis de Candy mais également de Daniel et Elisa Legrand ...

Candy entend encore la mélodie de l'harmonica de Terry chanter à ses oreilles ... elle fait la connaissance de Michaël ... plus que jamais Elisa tente d'humilier Candy et Annie pour les faire chasser de la résidence des André ... elles seront toujours soutenues par Alistair et Archibald.

Candy est attirée par une photographie sur un journal ... c'est bien lui ... Terry ... Il a réussi, il est devenu acteur et triomphe dans Mac Beth ...

Il décroche le rôle de Richard III dans le Roi Lear ... les André sont conviés au théâtre de Chicago pour la représentation de Terry ... Elisa et la Grand Tante Elroy interdisent l'entrée de la loge à Candy ... Elisa lance au visage de Candy que Terrence l'a oubliée ... Susanna Marlowe ... Candy se cachera au poulailler ce soir là pour assister au triomphe de Terry ...

Les recherches dans la ville ... la réception du maire ... le mouchoir ... Terry bouscule Elisa pour que celle-ci lui dise où est Candy mais elle ne lui dira rien ... l'hôpital ...

Mademoiselle, je voudrais voir Candy Neige André ...
Elle n'est pas ici ...
Sortez Monsieur ...

Susanna et Candy se rencontrent à l'hôtel de la troupe mais Susanna lui ment ...

Monsieur Terrence est fatigué, il se repose ... Je lui dirais qu'une de ses admiratrices voulait le féliciter ...
Oui ... une admiratrice ...

Le lendemain, Candy se précipite à la gare à midi mais il est déjà trop tard ... ils peuvent néanmoins échanger quelques paroles et quelques regards ... Candy poursuit avec toute son énergie et tout son coeur ce train qui s'en va ... Les yeux de Terry en disent long ... Il ne l'a pas oubliée ...

Comme elle est belle et comme son uniforme lui va bien ... Je n'aurai pas besoin de retraverser l'Atlantique pour la revoir ...

Leurs deux coeurs sont alors regonflés d'espoir, ils se sont enfin retrouvés ... Ils vont commencer à s'écrire ... »

Charlotte ne put contenir une larme dans l'émotion du moment. Il y avait dans le récit de Candice tant de force et d'intensité … dans l'amour de ces deux êtres que le sort s'acharnait à séparer.




En rentrant chez elle ce soir-là, elle s'attarda encore à admirer ses arrières grands-parents. Au fond d'elle même, elle pensait fermement que Candice aurait mériter de vivre le même amour avec Terry Grandchester ... Ils étaient tellement amoureux et ils le méritaient ... Charlotte était maintenant à fond dans l'histoire, elle était attachée à la jeune élève infirmière et à l'acteur à l'aurore de sa carrière. Et cet attachement lui faisait d'autant plus mal qu'elle savait qu'à un moment ou l'autre, quelque chose d'irrémédiable allait se passer ... quelque chose de terrible. La destinée allait séparer ces deux jeunes êtres car elle savait que Terrence Grandchester était décédé très jeune ... Roméo serait son premier et dernier grand rôle ...

La beauté de cette histoire la rendait mélancolique. Elle se posait tant de questions.

« Pourquoi as-tu le visage brûlé Candice ? ... De quoi est mort Terrence Grandchester ? Est-ce que la brûlure et la mort seraient liées ? »

Charlotte ne pouvait pas poser les questions à la vieille femme directement car elle lui avait déjà répondu qu'elle saurait tout à temps et Candice pouvait être têtue !! Si elle ne voulait rien dire, Charlotte ne saurait rien ... mais elle pouvait mener sa propre enquête ... ah l'impatience quand tu nous tiens !!

Elle voulu aller interroger sa grand-mère ce soir là ... mais

« Mamie est née en quelle année ? 1925, 1927 ... un truc comme ça ... Si mes souvenirs sont bons, Terrence Grandchester est mort avant ça ... Candice avait l’air de dire pendant la guerre, si je me rappelle bien ... C'est trop tôt, ce n'est pas son époque ... mais bon on peut tenter le coup ... »
*********************



«Tiens Charlotte, quel bon vent t'amène Chouchou ? » lui demanda affectueusement sa grand-mère en la voyant entrer.

« Un renseignement, Grand-mère, est-ce que tu te souviens d'un acteur qui a joué Roméo s'appelant Terrence Grandchester ? »

« Attends voir ... Euh non ça ne me dit trop rien ... c'est un acteur de quelle époque ? Tu sais j'ai connu les premiers moments de la radio dans les années 30 ... alors j'étais plutôt chansons que théâtre. Je me suis seulement intéressée au théâtre quand Edith Piaf est venue à New York pour jouer Bobino »

« Oui je sais mais je me disais que tu t'en rappellerais peut-être ... Je crois qu'il est mort très jeune mais je ne sais pas en quelle année ... Peut-être avant 1920 ... »

« Hou la la ma petite fille, c'est certain que je ne peux pas m'en souvenir ... franchement ça ne me dit rien mais pourquoi n'interroges-tu pas Grand-Ma ? C'est bien son époque. Quand j'ai épousé ton grand père, je me souviens très bien que ses parents étaient de grands amateurs de théâtre et d'opéra ... et je crois qu'ils ont beaucoup voyagé étant jeunes ... Demande lui quand même, on ne sait jamais ».

« Merci Mamie, tu es un ange »

« De rien ma Chérie » lui répondit sa grand-mère sans se poser plus de questions.

Mais il était bien tard quand Charlotte Graham rentra chez elle ce soir-là, Carla et Théo étaient déjà couchés. Il allait falloir qu'elle patiente jusqu'au lendemain soir pour demander à Grand Ma ce qu'elle savait ... dans l'hypothèse où elle savait effectivement quelque chose et rien n'était moins sûr.

De plus, Candice répondrait peut-être elle même à certaines questions lors de leur entrevue quotidienne du lendemain matin ...

Charlotte se remit donc à la rédaction de l'histoire qu'elle connaissait déjà ... la première partie.

Mais en rédigeant lui vint un prénom en tête ...

« Mais suis-je bête, pourquoi ne me suis-je pas posé cette question avant ? Candice parle de toujours d’Albert comme étant son mari ... est-ce le même Albert que celui qui l'a sauvée des chutes d'eau et est devenu l'ami de Terry ensuite ? Cela n'a peut-être rien à voir ... des Albert, il devait y en avoir beaucoup plus encore qu'aujourd'hui, au début du siècle ... ça ne peut pas être le même »
*********************



Et Candice continua son récit le lendemain ...

Candy fait la connaissance de Charly, l'ami de Terry ... Il se fait passer pour Terrence Grandchester, acteur gravement blessé tombé d'un train ... tout le monde n'y voit que du feu à la supercherie ... sauf Candy qui ne reconnaît pas le regard bleu vert de Terry dans les yeux du jeune blessé au visage couvert de pansements.
Néanmoins, elle ne le dénonce pas ... Jusqu'à ce qu'Elisa Legrand devine ... Charly est emmené par la police le jour même ...

La guerre en Europe fait rage ... les infirmières volontaires sont envoyées sur le front français ... beaucoup n'en reviendront pas ...

«Vous avez fait partie de ces dévouées femmes en blancs, Candice ? »

« Non Charlotte ...

Candy hésite ... Oui ... non ... peut-être ... Terry ... Je veux retrouver Terry ... C'est finalement Flanny Hamilton, fille de parents alcooliques, sortant d'une pauvreté faisant froid dans le dos, qui sera envoyée en Europe ... elle n'en reviendra jamais ... »

Charlotte fut saisie par les paroles froides de Candice.

« Votre collègue a été tuée en 14 ? » souffla Charlotte qui craignait la réponse de la vieille dame. Les quelques détails que Candice lui avait donné sur la triste enfance de sa condisciple à lunettes que les malades avaient cruellement surnommée « Le Glaçon », avaient fait naître dans le coeur de Charlotte bien de la sympathie à son égard.

« Non pas en 14 ... Elle a traversé la première guerre mondiale sans une égratignure mais quand les alliés et les allemands ont signé l'armistice le 11 novembre 1918, Flanny ne s'en est pas réjouie de la même manière que ses collègues volontaires. Elle appréciait sa vie entre le front français et les hôpitaux de fortune dans le sens où elle était certaine que là au moins, elle se tenait à sa vraie place. Là, elle était extrêmement utile et efficace, elle se sentait, disons, aimée et respectée par les blessés de guerre et pour elle, la fin de la guerre et le retour à la maison signifiaient le retour à la réalité, à sa triste réalité ... Le retour à cette vie qu'elle avait mise entre parenthèses durant quatre ans et qu'elle ne trépignait pas de retrouver.

Son mari, Alfred, en revanche représentait la douceur incarnée. S’il n’avait su l’adoucir, il était tout du moins parvenu à apprivoiser la biche apeurée qu’était sa femme.

Entre 1914 et 1918, Flanny et Alfred travaillaient côte à côte. Flanny était fort peu bavarde, extrêmement réservée et dénuée de tout sentiment amoureux … il semblait que cet aspect d’une relation entre un homme et une femme lui était définitivement, non seulement inconnu, mais également insupportable. Même les soldats, malgré leur célèbre tempérament de dragueurs invétérés, ne se seraient jamais risqués à faire la moindre avance à Flanny Hamilton.

Alfred en revanche était un garçon travailleur et honnête mais également un indécrottable blagueur. Il amusait la galerie en dépit de la terreur qui faisait rage en France durant ces quatre années.

Alfred, le clown, aurait pu ne jamais éveiller le moindre intérêt chez Flanny tant son caractère enjoué s’était mis immédiatement à l’exaspérer comme l’avait fait celui d’une jeune fille blonde qu’elle avait laissée derrière elle … si loin à Chicago … mais Flanny découvrit bien par hasard la véritable personnalité qui se cachait derrière la façade humoristique d’Alfred Duteuil.

Le jeune médecin fut un beau matin contraint de quitter provisoirement la clinique où il officiait avec Flanny pour se rendre à un hôpital de campagne près duquel une bataille avait fait rage. Trop de blessés étaient à déplorer et des mains compétentes étaient demandées sur place. Plus tard dans la matinée de son départ, une dame vulgaire, visiblement éméchée se présenta à la clinique à la recherche d’Alfred. D’une grossièreté sans pareille, celle-ci apprit à Flanny, qui lui suggérait de rencontrer un autre médecin, qu’Alfred était en fait son fils et qu’elle venait lui demander de l’argent. Sans se soucier d’être vue ou entendue, sans se rendre compte du spectacle ridicule auquel elle se livrait, Madame Duteuil, courroucée par l’absence de son garçon auquel elle ne pourrait donc cette fois pas soutirer un centime, se mit à proférer à l’encontre de son « vaurien de fils » mille et une insultes, quand Flanny Hamilton sortit de la poche de son uniforme quelques pièces qu’elle remit à l’ivrogne … Surprise, celle-ci examina le métal dans sa main et soulagée, elle se retourna pour quitter l’hôpital en titubant.

Flanny resta un long moment à la regarder s’éloigner … La mère de son collègue, dont elle pensait tellement de mal en raison de ses blagues stupides, lui renvoyait le reflet de sa propre famille qu’elle avait laissée aux Etats-Unis.

En quittant le continent en direction de l’Europe, elle avait envoyé plusieurs présents à l’attention de ses parents, frère et sœur … notamment toutes ses économies … qu’avait fait sa mère de tout cet argent ? Flanny devait-elle réellement se poser la question ? Et voilà qu’elle venait d’en faire autant pour Madame Duteuil qui de toute évidence allait se rendre au premier bistrot qu’elle verrait pour boire les quelques francs que la brune à lunettes lui avait remis.

A son retour de campagne, elle observa Alfred d’un tout autre regard … Il était évident que le jeune médecin avait connu une enfance identique à la sienne … comme elle, il avait probablement affronter d’innombrables difficultés pour sortir diplômé de la faculté de médecine … mais à la différence d’elle-même, Flanny se rendit compte qu’Alfred avait cependant préféré le rire aux larmes. Même si ses blagues incessantes en devenaient parfois exaspérantes, il était indéniable qu’Alfred amusait chacun de ses collègues, les infirmières (dont il était le chouchou indétrônable) et enfin, surtout, les malades.

Flanny poussa ses réflexions jusqu’à en venir sur sa propre attitude toujours sur la défensive … Elle se découvrait finalement bien des points communs avec le jeune Alfred.

Un beau soir, le voyant quitter la clinique après son service, elle décida de le suivre sans trop savoir quel était le but de ce pistage. Ses pas dans les rues parisiennes la menèrent jusqu’aux quartiers populaires. Elle constata que la misère de Paris ressemblait identiquement à celle de Chicago. L’alcool et la pauvreté se dégageaient de la plupart des foyers. Il lui paraissait presque inconcevable qu’un brillant médecin tel qu’Alfred y demeure réellement. Elle l’avait si longtemps imaginé vivant dans un grand immeuble doté de tout le confort moderne, à se vautrer dans le luxe aux côtés de parents aimants ou d’une fiancée dévouée.

Elle se rendit compte bien vite qu’elle s’était encore trompée … Alfred résidait bien dans les bas fonds au côté de son ivrogne de mère et de ses deux frères devenus, en grandissant, de parfaits petits voyous … Candy … « Et si je m’étais vraiment trompée à ton sujet ? Tu n’étais peut-être pas seulement une écervelée, membre de la famille André … les apparences sont parfois tellement trompeuses … »

Flanny observa Alfred alors que celui-ci faisait sortir sa mère du bistrot où elle était attablée pour la ramener jusque chez elle, sous les yeux indifférents d’une chanteuse de rue douteuse qui déclamait les airs populaires que Flanny entendait depuis son arrivée à Paris.

Les jours suivants, Flanny se surprit à observer encore différemment Alfred. Le jeune médecin cachait derrière ses yeux gris rieurs une blessure secrète et elle se dit que finalement, elle avait choisi la facilité en se murant derrière un caractère froid et distant, méprisant l’espèce humaine, pour échapper aux tourments que lui causait l’alcoolisme de son père à Chicago … Il devait être bien plus pénible pour Alfred de jouer les comiques alors que sa vie en dehors de l’hôpital était dénuée de toute couleur.

Flanny et Alfred se mirent alors à parler … quelques mots d’abord … mais rapidement, leurs échanges de banalités se muèrent en des sentiments bien plus forts … Alfred avait deviné instantanément les blessures de Flanny dès l’arrivée en France de celle-ci mais continuait à croire que le temps lui ouvrirait les portes du cœur de la jeune fille …

Alfred avait choisi la médecine … tout comme Flanny avait répondu à sa vocation d’infirmière …

Alfred aimait sa mère et ses gredins de frères … tout comme Flanny aimait sa famille …

Le salaire de jeune médecin d’Alfred ne lui permettait pas de sortir complètement les siens de la misère tant sa mère buvait et tant ses frères lui coûtaient un empire en dettes de jeu, cigarettes et autres, cependant, il consacrait tous ses moyens à leur rendre la vie la meilleure possible et grâce à ses efforts, la famille Duteuil était logée et ne mourait pas de faim … les maigres économies que Flanny avait envoyées à ses parents en partant pour l’Europe ne pouvaient elles non plus sortir les Hamilton de leur condition, néanmoins … Flanny n’avait pas hésité un instant à leur envoyer …

Alfred et elle étaient décidément bien semblables …

Après la guerre, Flanny décida finalement de rester en France aux côtés de son ami Alfred qui devint son mari en 1922. Ils eurent deux enfants mais en 1939, la seconde guerre éclata en France et une fois encore, Flanny fit de son mieux ... suivant son coeur qui s'avérait bien plus grand que ce qu'elle voulait laisser paraître et c'est ce bon coeur qui la perdit …

En 41, ne supportant plus les tortures que les allemands faisaient subir aux juifs, Flanny et son mari mirent sur pied un centre d'accueil et faisait activement partie de la résistance. Ils recueillaient les orphelins dont les parents avaient été expédiés dans les chambres à gaz, ils soignaient les juifs qui étaient traqués et ne pouvaient plus se présenter dans les hôpitaux et finalement, le plus important, leur fournissait de faux passeports français qui leur permettaient de fuir le pays ... tout aurait pu bien se terminer mais Flanny et son époux ne virent jamais le débarquement ...

Une délation de ce qu'ils appelaient familièrement en français, un collabo, causera leur perte. Celui-ci avait essuyé les foudres de l’infirmière américaine qui avait conservé son caractère bien trempé et en fut très vexé. Tout français qu’il était, il n’hésita pas un instant à dénoncer les cachettes des Duteuil. Grâce aux révélations du traître, il ne faudra que quelques heures à la Gestapo pour démanteler tout le réseau de résistance de Flanny Hamilton et pour mettre la main sur sa famille et tous ses protégés. Flanny, son mari et les juifs sont fusillés sur le champ, ses enfants sont placés dans une famille d'accueil provisoirement ... nous sommes en décembre 1944 ».

Charlotte se sentait mal, très mal. Le personnage de Flanny que Candice avait décrit ne pouvait pas être une mauvaise personne et son dévouement durant les deux guerres ne faisait que corroborer son sentiment envers elle. Flanny méritait une autre reconnaissance de la vie ...

Candice était fortement affectée d'avoir eu à faire allusion à son ancienne condisciple et à son destin sordide. Charlotte lui proposa alors d'en rester là pour aujourd'hui et lui laissa simplement les ébauches qu'elle avait déjà rédigées pour que Candice les lise à tête reposée et y apporte ses remarques habituelles.

La jeune infirmière rentra chez elle. Elle n'avait pas oublié son projet de la veille qui était d'interroger son arrière grand mère au sujet de Terrence Grandchester. Candice n'avait rien dit aujourd'hui à son sujet et la curiosité de Charlotte n'était donc pas satisfaite. Tout ce qu'elle savait était que les deux jeunes gens s'étaient connus au collège londonien où ils étaient tombés amoureux, qu'ils s'étaient retrouvés à Chicago au début de l'année 1914 et qu'ils avaient commencé ensuite à correspondre ... Il aurait pu s'agir d'un amour idyllique et indestructible mais Charlotte savait que quelque part sur leur route, un obstacle infranchissable allait les obliger à se séparer ... puisque Candice était devenue l'épouse d'un certain Albert et que Terry était mort très jeune peu après son unique grand rôle ... Roméo.

Arrivée à la maison, Charlotte trouva Grand Ma à la cuisine. En cet après midi de la chandeleur, la vieille Carla préparait des crêpes pour toute la famille.

Charlotte s'assit sur le bord de la table de cuisine comme elle avait la mauvaise habitude de le faire. Cela avait le don d'horripiler sa mère mais la douce Grand Ma ne se formalisait pas pour si peu. Elle continuait imperturbablement à retourner ses douceurs sucrées observant d'un sourire malicieux son arrière petite fille qui trempait son index dans la pâte à cuire ... elle faisait pareil à son âge, elle avait l'impression que c'était hier. Elle revoyait les yeux aimants de la vieille dame qui veillait sur son éducation et qui faisait la même pâte à crêpes succulente ...

« Ma chérie » dit alors Carla « Comment s'est passée ta journée? »

« Très très bien » dit-elle en se léchant les doigts « Je peux te poser une question, Grand Ma ? »

« Tu en poses des questions pour l'instant, ma jolie ... mais oui, tu peux me demander ce que tu veux ... si je peux répondre »

« Est-il exact que toi et Grand Pa étiez des fervents amateurs de théâtre dans les années 20 ? »

« En effet, nous aimions beaucoup »

« Je cherche à retrouver les circonstances du décès d'un jeune acteur qui est mort avant 1920 ... »

« Ah ... et pourquoi ? L'un des pensionnaires des lilas à la nostalgie des Stratford ? »

« Les Stratford ? Qui est-ce ? »

« C'était une troupe très célèbre du début du siècle ... C'était LA troupe de théâtre par excellence ... Avec Grand Pa, nous avons l'occasion de jouir de leur travail à plusieurs reprises »

« Si je te donne un nom, comme ça ... tu crois que tu peux t'en souvenir ? J'ignore s'il faisait partie des Stratford ... »

« Dis toujours ma Chérie ... »

« Terrence Grandchester »

A l'énoncé de ce nom, Carla cilla de façon quasi imperceptible ... elle ne dit rien, interdite, elle se retourna pour faire face à la poêle où le beurre fondu, prêt à accueillir une crêpe, crépitait lentement.

« Alors Grand Ma, tu le connais ? »

« Il y a plus de 70 ans que je n'ai pas entendu prononcer ce nom ... Pourquoi le mentionnes-tu aujourd'hui ? »

« C'est au sujet de l'un des romans que j'ai en cours ... ce garçon est une énigme pour moi, donc je m'y intéresse ... Tu le connais, n'est-ce pas Grand Ma ?»

« Oui ... euh ... j'ai assisté à deux de ses représentations en 14 ... le Roi Lear puis Roméo & Juliette ... Il s’est suicidé la veille de son mariage ... je l'ai appris par la presse ... Un si jeune garçon ... C'était terrible »

« Un suicide ? Tu es sûre ? Mais il avait tout pour être heureux !!! »

« Je ne sais pas Charlotte ... je ne le connaissais pas intimement non plus ... Je te dis ce qui était indiqué dans le journal ... Cesse de penser à ça et tourne toi vers ton avenir ... Pourquoi veux tu remuer des choses enterrées depuis tant d'années ? »

Carla était énervée ... légèrement, mais énervée quand même ... Charlotte ne voyait jamais sa Grand Ma dans cet état. Elle regrettait de lui avoir posé des questions, elle ne voulait pas contrarier son arrière grand mère. Elle alla l'embrasser sur la joue.

« Pardon Grand Ma, je m'excuse de t'avoir ennuyée »

« C'est moi qui m'excuse ma Chérie, je n'aurais pas dû m'emporter pour si peu ... »

« C'était ton acteur favori, Grand Ma ? Tu avais le béguin pour lui ? »

« As-tu eu l'occasion de voir une photo de ce jeune Roméo, ma Chérie ? »

« Euh oui ... »

« Et bien tu as donc la réponse à ta seconde question ... et pour la première, oui c'était mon acteur favori »

Et Carla fit un clin d'oeil à Charlotte ...

La jeune fille en fut rassurée, elle savait dès lors que sa Grand Ma ne lui en voulait pas mais elle ne pouvait plus lui poser d'autres questions.
Elles dégustèrent leurs crêpes en plaisantant ...

Néanmoins, Charlotte trépignait de connaître la suite des évènements ... qu'allait donc lui confier Candice ?




« Peu après le départ de Flanny, l'attention de Candy est attirée par un blessé ramené d'Italie ... C'est Monsieur Albert, son ami de toujours, il est amnésique et accusé d'espionnage ... A côté de cela, elle correspond avec Terry qui travaille d'arrache pied pour obtenir le rôle qui lancera sa carrière, Roméo ... Candy remporte son diplôme ce qui lui fait gagner le droit de s'occuper de son ami Albert ... Terry, quand à lui, remporte l'audition mais il continue à subir les avances continuelles de sa partenaire, Susanna Marlowe qui a obtenu le rôle de Juliette ... La jeune fille refuse de se rendre à une évidence claire comme de l'eau de roche ... Terry est fou amoureux de Candy, il n'aimera jamais personne d'autre ...

Albert va mieux mais ne se souvient toujours de rien ... Il doit néanmoins quitter l'hôpital ... Candy choisira de risquer sa réputation et l'amour de Terry pour protéger son ami ... Ils s'installent ensemble à Chicago, dans un petit appartement ...

Candy est heureuse entourée de ses éternels amis Annie, Archie, Patty ... mais l'un d'eux l'inquiète ... Alistair ... Il parle de plus en plus de s'engager comme volontaire dans l'armée ... pour rejoindre le front français à son tour ... à l'automne 1914.

Candy reçoit une invitation et un aller simple pour New York ... J'ai très envie de revoir la petite Juliette du collège royal de Saint Paul ... Terry !!! Terry l'invite à Broadway pour assister à la première de Roméo & Juliette.

« La première de Roméo & Juliette !!!?? Mon arrière grand-mère y était !!! »

« Et bien Charlotte, elle a assisté à un très grand moment ...

Avant de partir pour Broadway, Candy est envoyée en Floride par le directeur de l'hôpital où elle travaille ... elle y rencontre l'éternelle rivale de Susanna Marlowe, l'indomptable Karen Kliss ... »

« KAREN KLISS ?????!!! La VRAIE Karen Kliss ? »

« Mais bien sûr voyons !! Tu penses qu'il y en a eu 40 des Karen Kliss ? »

« Non mais je veux dire ... LA Karen de Autant en emporte le vent ... Scarlett »

« En effet, tu comprendras bientôt pourquoi ... la carrière de Karen, jusque là modeste, s'est embrasée peu après Roméo & Juliette. Elle a commencé à recevoir des propositions de rôles de toutes parts et notamment pour le cinéma. C'est dans les années 30 qu'a été adapté le best seller de Margareth Michell au cinéma et après avoir bataillé ferme face à une autre actrice, Karen a obtenu le rôle de Scarlett ... elle a donné la réplique à Clark Gable et toute la reconnaissance du métier a suivi ... Karen avait perdu face à Susanna mais son tempérament de feu ne pouvait que lui assurer le rôle de l'inoubliable Scarlett (*1). »

(*1) Que Vivian Leigh veuille bien me pardonner de lui avoir dérobé, le temps d'une fiction, son inoubliable Scarlett afin de l'offrir à Karen ...

« Vous avez rencontré Karen Kliss !!! »

« Oui Charlotte, j'ai même dîné avec elle ... et elle m'a invitée dans sa loge le soir de la première »

« WAOUW ... »

« Candy remonte le moral à Karen durant son séjour en Floride car la jeune femme est déprimée de n'avoir pas obtenu le rôle de Juliette ... Le matin du départ de Candy, Karen a disparu ... elle est repartie à New York ...

Candy rentre alors à Chicago ... le départ pour Broadway et les retrouvailles tant attendues sont à portée de ses doigts ...

Elle imagine que ce voyage marquera un tournant dans sa vie et tel est le cas ... mais pas de la façon qu'elle aurait espéré ...

Elle ignore que Terry subit alors un véritable drame ... le projecteur ... Susanna ... l'amputation de sa jambe ... le chantage de Madame Marlowe ... elle veut que Terrence offre sa vie entière à Susanna qui est devenue infirme ... C'est l'explication du départ précipité de Karen qui a récupéré le rôle de Juliette ...

Le grand jour est arrivé pour Candy, elle s'apprête à embarquer dans le train à destination de New York ... elle est rejointe par son ami Alistair venu la saluer ... Elle l'ignore mais c'est la dernière fois qu'elle le voit ... Il profitera de l'absence de son amie pour partir pour la France ... comme il l'avait annoncé ... novembre 1914 ».

Charlotte était bouleversée ... Anthony, Flanny, Alistair ...

« Oh Candice, comment un jeune homme aussi gai a-t-il pu se laisser prendre au piège immonde de la guerre ? »

« A cette époque, Alistair jugeait qu'il était de son devoir d'agir ainsi ... qu'il aurait été lâche de rester à l'abri à Chicago alors que des soldats de son âge mouraient par milliers en Europe ... Tu vois, maintenant que cette guerre est terminée depuis des dizaines d'années, il est facile de la regarder sous une vue d'ensemble et on peut se rendre compte de l'absurdité de cette ineptie qui a causé le massacre de milliers et milliers de personnes ... mais en 14, nous n'avions pas vraiment la même conception des choses ... et je pouvais comprendre le sentiment de mon cher cousin, même si je refusais de l'approuver ...

Candy arrive à New York ... émue, elle y retrouve Terry ... mais il parait triste, mélancolique ... son comportement n'échappe pas à Candy ... Il lui cache pourtant la situation ...

J'ai si envie de la serrer dans mes bras mais alors je ne pourrais jamais la laisser repartir

Terry connait l'âme pure de Candy et préfère ne pas lui parler de l'accident de Susanna ... et la grande première arrive ...

Candy surprend la conversation d'un groupe de bourgeoises New-yorkaises ... elle apprend l'accident de Susanna et le chantage qui a suivi ... elle veut voir sa rivale pour lui faire entendre raison ...

Ce n'est pas de l'amour, il faut que je la vois ...

Elle arrive à l'hôpital mais Susanna n'est pas dans sa chambre ... son moral est au plus bas, elle veut en finir avec l’existence ... tentative de suicide ... Candy l'en empêche ... Terry arrive et Candy voit Susanna revenir à la vie à la seule vue de Terry ... Candy prend une décision surhumaine, elle abandonne Terrence, le laissant à ses obligations ...

Je voudrais que le temps suspende son envol

Candy repart le soir même vers Chicago et vers Albert, le coeur brisé ... »

Charlotte ne put contenir ses larmes à cet instant. Elle voyait presque de ses yeux la nuit glaciale à New York ... Terry accroché désespérément à la taille de celle qu'il aimait et qui lui montrait à cet instant la voie à suivre ... Il n'y avait décidément pas que l'amour ici bas et tant de forces pouvaient le surpasser ... Et Charlotte finit par imaginer Candy prête à sauter du train lancé à pleine vitesse ... Elle avait perdu tout ce à quoi elle aspirait, tout ce en quoi elle croyait ...

Mais ce qui impressionnait le plus la jeune infirmière était le stoïcisme avec lequel Candice racontait cette rupture ... il lui sembla que la vieille dame y était presque étrangère ... comme spectatrice de la tragédie de sa propre existence.

« De retour à Chicago, le coeur de Candy saigne ... Elle pleure la perte de Terry ... mais elle doit également apprendre à surmonter l'absence d'Alistair et les larmes de Patty, sa fiancée ... Candy se jette à corps perdu dans son travail ... elle est envoyée à la mine de Grey Town comme infirmière à l'hôpital volant où elle découvre l'enfer des anges ... elle rencontre Monsieur Nelson, Margaux, Belle ... Elle fait la connaissance du Docteur Kelly et son frère, un étudiant vétérinaire accusé injustement d'un meurtre ... Il est en fuite ... Candy lui donnera asile ... mais Elisa par son indiscrétion envers le courrier d'Archibald lance le shérif aux trousses d'Arthur Kelly ... Arthur et sa soeur parviennent à fuir avec la complicité des ouvriers ... Candy repartira vers Chicago en paix ... Pour elle, le séjour à Grey Town est une victoire. »

« Vous parveniez à vous faire aimez partout où vous alliez ... » Dit Charlotte.

« Je pense que je prenais toujours chaque situation avec le sourire, j'essayais de trouver mon bonheur là où il se trouvait ... sans me poser de questions »

« Que s'est-il passé à votre retour à Chicago ? »

« Figure-toi, Chère Charlotte, qu'il m'est arrivé la dernière chose que j'aurais pu imaginer !!!

En rentrant à Chicago, je me promenais en rue lorsque je suis témoin d'un accident de la route ... Daniel Legrand ...

Candy lui porte secours ... Daniel commence alors à courtiser la jeune fille ... Il la répugne évidemment ... Il lui mendie un rendez-vous que Candy refuse

« Tu préfères encore ton acteur raté !!! »

Il lance à la face de Candy un magazine à scandale ... Terry a quitté New York ... Candy est bouleversée par la nouvelle ... Terry est perdu dans le néant ... Peut-être viendra-t-il la voir ?

Elle qui croyait l'avoir oublié ...

Elle est alors chassée sans aucune raison de l'hôpital Sainte Joanna ... Madame Legrand, qui la déteste toujours autant, veut la contraindre à quitter la ville ... le directeur ne peut résister à la pression des Legrand ... Candy est renvoyée.

Elle commence alors à travailler pour le Docteur Martin à la minable Joyeuse Clinique dans les bas quartiers de Chicago ... mais Candy prend l'épreuve avec le sourire ... Un messager arrive un jour ...

« Mademoiselle, quelqu'un veut vous voir ... Terrence Grandchester »

Folle de joie, Candy se précipite ... Terry est là, il l'attend ... elle arrive au lieu du rendez-vous ... Ce n'est pas Terry !! C'est Daniel !! Il la supplie encore de l'épouser ...

Elle s'échappe de la villa où il l'avait enfermée en sautant par la fenêtre ...

Mais où est donc Terry ?

Albert a retrouvé la mémoire mais n'en parle pas à Candy immédiatement ... Dans un bar lugubre de Chicago, il rencontre Terry ... l'acteur prodige est devenu un ivrogne ...

« Je n'ai pas pu cesser de penser à elle ... quand j'ai réalisé que je l'avais perdue ... »

« Candy a pu faire face malgré sa peine ... »

Terry l'observe de la petite colline de Chicago mais n'a pas le courage de lui parler ... Il a honte de ce qu'il est devenu ... Il rentre à New York ... Il espère trouver la force d'y accomplir son devoir.

Candy est constamment harcelée par Daniel ... et Albert disparait brutalement ... elle apprend la mort d'Alistair ... quelques semaines plus tard, toute la famille André assiste aux funérailles de leur cher disparu ... la plus affectée est Patricia ... et Archibald
Candy rentre le coeur en peine à son appartement après l'enterrement ... Ils lui manquent ... Terry, Alistair, Albert ...

Daniel vient la voir ...

« Je t'aime !! Tu te marieras avec moi ! »
« Non, pour moi tu seras toujours un verre vide ... je ne t'aimerai jamais »

Pendant ce temps, Elisa et sa mère parviennent à convaincre la Grand Tante Elroy que le mariage entre Daniel et Candy serait bénéfique à la famille ... elle est l'héritière de l'Oncle William ... La Tante accepte ...

Une voiture vient chercher Candy à la clinique le lendemain ...

« Votre Oncle William veut vous voir, Mademoiselle »

Mais une fois encore, c'est un piège ... Candy est assaillie par les journalistes et photographes à son arrivée à la résidence ... l'Oncle William n'est pas là ... on l'enferme ... la Tante exige qu'elle épouse Daniel.

Candy parvient à s'échapper in extremis de la maison où elle retenue prisonnière ... elle fonce droit à la Banque de Chicago où elle trouve Monsieur Georges ... Il la conduit à la maison des roses de Lakewood ...

« L'Oncle William ... c'est vous ... ALBERT ! »

Il est aussi le prince de la colline ...

Toutes les pièces du puzzle rentrent en ordre ...

Albert, son ami de toujours, la libère de son prétendu engagement vis à vis du jeune Legrand ... Candy rentre chez Mademoiselle Pony se ressourcer ...

C'est la fête ... Annie remet une revue de presse à Candy ... Terry est rentré à New York ... près de Susanna.

La petite fête au foyer Pony se termina en début de soirée. Tom et la plupart des invités étaient rentrés chez eux.
Mademoiselle Pony et Sœur Maria qui avaient terminé de mettre les enfants au lit proposèrent alors à Annie, Archibald et Albert de passer eux aussi la nuit au foyer car il n'était pas prudent de se mettre en route alors qu'il faisait presque nuit et qu'ils avaient une fort longue route à faire.

« Nous serions très heureuses et très honorées de vous offrir l'hospitalité dans notre modeste demeure », insista Melle Pony.

« Je ne sais comment vous remercier Melle Pony, ce serait pour moi un plaisir de passer plus de temps ici. Vous vivez si proches de la nature, l'air ici est si vivifiant, et le paysage est un véritable don de Dieu » dit Albert « Mais les passionnantes obligations de la famille dont j'ai repris le contrôle depuis peu m'appelleront à elles dès demain matin et je ne peux postposer mes premiers rendez-vous prévus aux aurores demain. Néanmoins, j'espère venir très vite revoir ma petite Candy que je vous confie pendant quelques jours et j'espère alors pouvoir me joindre plus longuement à la vie au foyer ».

« Bien sûr, Monsieur André, notre porte vous sera grande ouverte » répondit Sœur Maria.

« Je vous en prie ma Sœur, appelez moi Albert, je suis un grand partisan de la simplicité ! »

« D'accord, alors va pour Albert »

« A très bientôt. Annie, Archie, vous êtes prêts ? En voiture ... »

Alors qu'Archibald s'exécutait et montait dans le véhicule, Annie eut une hésitation.

« Archie, vois-tu un inconvénient à ce que je ne rentre pas ce soit avec vous et si je passe quelques jours ici auprès de Candy ? Nous ne nous sommes jamais retrouvées ensemble dans notre premier foyer depuis notre enfance et cela me ferait très plaisir » demanda Annie à son fiancé, qui elle le savait ne s'y opposerait aucunement.

A cette proposition, le visage de Candy, qui malgré le sourire qu'elle avait affiché durant toute la journée, reflétait comme une sorte de mélancolie inhabituelle et incompréhensible, s'illumina.

Comme Annie s'en était doutée, Archibald ne donna pas la moindre objection à ce qu'Annie prenne un peu de bon temps en ce lieu où elle avait grandit et comme lui aussi s'inquiétait de la vague tristesse de Candy, il s'empressa d'accepter, embrassa Annie et salua tout le reste de l'assemblée.

Albert et Archibald montèrent ensuite en voiture direction Lakewood où leurs obligations professionnelles les attendaient de pied ferme.



La journée en plein air avait drôlement fatigué tout le monde et Candy et Annie ne tardèrent pas à aller se coucher. En réalité, c'était moins le besoin de sommeil que l'excitation de se retrouver ensemble à papoter de tout et de rien comme au bon vieux temps qui les avait attirées toutes les deux vers leurs couettes.

« Tu te souviens Annie, quand on étaient petites et qu'on restaient comme ça à bavarder pendant que les petits dormaient ? »

« Oui, c'était le bon temps. Je me rappelle aussi que parfois Melle Pony et Sœur Maria nous entendaient et venaient nous dire qu'il était temps de dormir ... »

« Oh oui je me souviens. Surtout la fois où Tom s'entraînait au lasso et que j'étais sortie dans la neige en pleine nuit pour le taquiner. Sœur Maria m'avait drôlement disputée quand j'avais essayé de regagner le dortoir sans me faire repérer ».

« Tant de choses se sont passées depuis : Je suis partie chez les Brighton, j'ai rencontré Archibald, mes parents m'ont envoyée étudier à Londres là où je t'ai retrouvée. Et une fois de plus, je te dois mon bonheur. C'est toi que je dois remercier d'être si heureuse avec Archibald aujourd'hui. Je voudrais que tu me pardonnes de n'avoir pas toujours été très présente à tes côtés lorsque tu en as eu besoin. Je t'avais promis un jour de tenter d'être plus courageuse mais je ne sais pas si j'y suis parvenue.
Et puis je ne crois pas t'avoir été d'un grand secours dans les périodes les plus douloureuses de ta vie. »

« Ne dis pas ça Annie, tu sais cela me comblait de te voir si bien avec Archibald et tu as toujours été ma meilleure amie, ma petite sœur éternelle et je ne veux pas que tu changes. Tu sais ma vie n'a quand même pas été le bagne !! Que vas-tu imaginer là !! Que pourrais je souhaiter de mieux : j'exerce un métier que j'ai choisi et qui me passionne, je suis ici avec toi dans MA maison et j'ai la chance d'avoir toujours été entourée d'amis extraordinaires. Comment pourrais-je être plus heureuse ? »

« Arrête Candy !! Pas à moi ! Ecoute, ne prends pas mal ce que je vais te dire mais il y a quelque chose qui me perturbe depuis un petit temps chez toi. On dirait que tu as perdu de ton naturel, de ta spontanéité ... »

« Mais Annie, j'ai grandi c'est tout ! » la coupa Candy.

« Non, ce n'est pas ça que je veux dire. Il est clair que nous devenons des adultes, que tes manières de petite fille se sont estompées à l'adolescence au Collège et que j'avais remarqué chez toi des changements. Lorsque tu es devenue infirmière, ton comportement a changé à nouveau car tu grandissais encore, tu devenais une femme. Mais tu restais quand même notre Candy, toujours de bonne humeur, celle qui nous faisait rire, qui avait ce petit rien en plus de naturel et de bonne humeur. Souviens toi du jour où tu es montée en avion avec Alistair pour fêter ton diplôme : même si tu n'étais pas à l'aise, tu voulais profiter du moment présent, partager cela avec Alistair, tu débordais de joie de vivre ... Puis tu es partie à New York rejoindre ... »

« Annie, je t'en prie ne dis pas son nom ... J'y ai déjà trop pensé aujourd'hui après avoir lu l'article sur son retour sur les planches ».

« C'est donc ça ... » insista Annie « Tu n'en veux rien dire mais ton comportement depuis ton retour de New York ce matin là n'a plus jamais été le même. Je l'ai toujours su tu sais, Candy, mais je me disais que cela te passerait avec le temps, tu semblais n'avoir aucune envie d'en parler et je ne voulais pas te brusquer. Je me disais que tu reprendrais vite le dessus et qu'il te fallait cicatriser. Mais aujourd'hui, je t'ai observée dès que je t'ai mis ce journal entre les mains ... c'était peut-être de la torture de ma part, c'était sans doute méchant, mais il fallait que je sache. Ne m'en veux pas s'il te plait Candy ... »

« Non Annie, tu n'es pas responsable de quoi que ce soit. C'est moi, uniquement moi ... Je ne sais pas pourquoi je fais une obsession sur lui alors que je sais qu'il me faut l'oublier pour toujours. Tu sais Annie, moi aussi je peux être méchante et je vais te le prouver : j'ai eu plus facile de m'habituer au décès d'Anthony et à présent à celui d'Alistair qu'à cette séparation. Je ne devrais pas pourtant, il est bien vivant, il est heureux et je devrais m'en réjouir et pourtant ... »

« Ce n'est pas de la méchanceté ... C'est peut-être pire pour vous deux d'être vivants mais loin l'un de l'autre ... Je n'ai jamais compris que vous vous soyez séparés après tout ce temps, tous les moments que vous avez partagés au Collège et en Ecosse, le sacrifice qu'il a fait en quittant le Collège, tous ces efforts pour enfin vous retrouver et finalement vous quitter ... cela ne rimait à rien, Candy. »

Les larmes coulaient sur les joues de Candy mais Annie tenait à percer complètement le secret du cœur de son amie afin de mieux comprendre ce qu'elle ressentait vraiment et ainsi pouvoir l'aider.

« Dis moi Candy, qu'est-ce qu'il s'est vraiment passé cette nuit là ? Qu'est-ce qu'il t'a prit de reprendre un train pour Chicago en plein milieu de la nuit et de nous revenir avec une pneumonie et un cœur brisé ? Il avait vraiment une relation avec la petite blonde que l'on voyait dans les journaux à ses côtés ? Cela n'aurait pas été son genre de te faire venir à tout prix au point de t'offrir un aller simple pour New York et une place de choix pour la première d'une pièce telle que Roméo & Juliette si ses intentions envers toi n'avaient été les meilleures du monde ... Pas lui ...
Je ne le connaissais pas très bien mais déjà à l'époque du Collège, il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir qu'il te mettait sur un piédestal et qu'il n'y avait que toi qui comptais sur la terre entière, puis quand nous l'avions croisé en rue avec Archibald et Alistair le soir de sa représentation à Chicago, il te cherchait comme un fou et aurait remué le ciel et la terre pour te revoir ... et ce n'est pas la première pimbêche qui passe qui aurait pu faire changer ses sentiments envers toi ... Dis moi vraiment ce qui s'est passé !!! »

Candy était vaincue. Le couteau qu'Annie avait remué dans la plaie de ses souvenirs l'empêchait de lutter et elle se décida à tout raconter à Annie : leur rencontre ratée à Chicago et elle courant derrière le train, les lettres de Terry qui ont suivi, leurs retrouvailles à New – York, l'attitude curieuse de Terry à ce moment et la découverte de l'accident de Susanna.

Candy raconta ensuite la tentative de suicide de Susanna, l'amour pour Terry qu'elle avait lu dans ses yeux lorsqu'elle l'avait appelée à son chevet et finalement la fameuse séparation de l'escalier et les larmes de Terry.

Elle avait ensuite repris le train et la suite, Annie la connaissait : Candy n'avait plus reçu de nouvelles de lui jusqu'à ce magazine que Daniel Legrand lui avait envoyé à la figure et qui expliquait que Terrence Grandchester avait quitté la troupe de théâtre pour une destination inconnue.

« Tu sais, Annie, je me déteste quand je dis ça mais tout au fond de moi, j'étais presque contente que Terry ait quitté New-York. C'était très égoïste de ma part mais je ne me faisais pas à l'idée de notre séparation au profit de Susanna. J'étais très inquiète pour lui ne sachant pas où il était parti et le jour où cet imbécile de Daniel s'est fait passer pour Terry pour m'attirer dans une villa isolée, j'ai marché comme une idiote. Tu aurais du me voir ce jour là, excitée comme une petite folle, nous allions enfin nous retrouver comme nous l'avions toujours voulu. Mais ce n'était pas lui, c'était Daniel qui m'attendait. Ce jour là, j'ai réalisé que je n'étais pas guérie du tout. Et aujourd'hui, en voyant le journal, bien sûr je suis contente de savoir qu'il va bien et qu'il rejoue ces pièces qu'il aime tant mais je ne peux me faire à l'idée qu'il est de retour auprès d'elle. Oh Annie, je l'ai perdu, elle me l'a enlevé pour toujours car pendant cette absence, il n'est pas venu me voir ... et finalement, c'est auprès d'elle qu'il est retourné. Je suis sûre que c'est une gentille fille et qu'elle mérite d'être heureuse mais ... Terry, c'était mon Terry ... »

Candy ne pouvait plus parler et Annie la prit dans ses bras pour l'encourager à pleurer, pleurer, pleurer, jusqu'à ce que peut-être toute cette peine la quitte enfin. Elle ne parvenait pas à comprendre que la grandeur d'âme de son amie avait pu la pousser, pour le bien être d'une autre, le bonheur d'une personne qu'elle ne connaissait pas, jusqu'à renoncer à cet homme qui resterait toujours envers et contre tout son grand amour. Annie pouvait comprendre que l'on se dévoue pour les autres mais à ce point !! C'était un assassinat.

Mais elle ne pouvait rien ajouter, elle devait seulement être l'épaule sur laquelle Candy pourrait trouver un véritable appui.



Noyées dans leurs souvenirs, les filles ne tardèrent pas à plonger dans un sommeil sans rêve.

Aux alentours de 3 heures du matin, Candy se réveilla.
Elle avait dormi profondément mais quelque chose l'avait tirée de son sommeil et il lui semblait entendre comme des crépitements ...
Elle ouvrit les rideaux de la chambre et c'est là qu'elle le vit ... Un mur rouge orange qui venait de la grange de Mademoiselle Pony ... le feu ! Il y avait le feu.

« Annie », cria Candy « Vite lève toi, il y a le feu !!! »

Annie s'assit sur son lit comme si elle avait été réveillée par un boulet de canon.

« Quoi ?? Le feu ? Mais où ? »

« Dans la grange. Vite habille toi, il faut réveiller Melle Pony »

Tous les habitants du foyer, hormis les enfants à qui Sœur Maria avait ordonné de rester à l'intérieur de la maison, furent vite dehors à tenter de maîtriser l'incendie avec des baquets d'eau mais Candy se rendit vite compte qu'ils n'étaient pas suffisamment nombreux pour dominer la catastrophe.

« Je cours chez Tom chercher de l'aide » : lâcha Candy « sinon l'incendie va se propager à toute la maison !!! »

« Et moi chez les Cartwright » : dit Annie.

Et malgré sa crainte innée des chevaux, Annie, à la surprise de tous en enfourcha un et se précipita chez Jimmy.

Les secours ne tardèrent pas à accourir, tous paniqués à l'idée du danger qui régnait pour leur cher foyer.

Avec les différents cow-boys que Jimmy et Tom avaient réquisitionnés pour les aider, le feu ne tarda pas à baisser les bras et quelques heures plus tard, tous purent constater que la grange était complètement détruite mais que le foyer et ses habitants étaient hors de danger.

« Je viendrai avec mes hommes vous construire une autre grange, Melle Pony, rassurez-vous » dit immédiatement Tom.

« Je te remercie Tom, que ferais-je sans vous mes enfants ? »

Tom appela alors Jimmy à l'écart lorsque les esprits commencèrent à se calmer et à accepter les boissons chaudes que Melle Pony et Sœur Maria leur proposaient.

« Jimmy, il y a quelque chose qui m’intrigue, as-tu la moindre idée de comment cet incendie a pu démarrer ? »

« Non, vraiment. Et figure toi que j'ai eu la même idée que toi. C'est bizarre tout ça »

Comme la grange était entièrement dévastée, les deux garçons ne trouvèrent aucun indice concernant l'origine du feu.

« Ne disons rien pour ne pas inquiéter tout le monde mais nous allons surveiller le foyer de près ... »

Ce qu'ils ignoraient, c'est que Melle Pony, de par son âge et son expérience, était sceptique elle aussi quant à la raison de ce feu si subit.
Toutes ces interrogations ne lui quittaient pas l'esprit le lendemain alors que les cow-boys travaillaient d'arrache pied à la construction de la nouvelle grange. Elles furent bientôt accentuées par une inattendue bizarrerie, cette fois nettement plus glauque.

Avec son courrier, Melle Pony reçu le matin un petit colis.
Elle pu découvrir en l'ouvrant, un minuscule cercueil sur lequel était indiqué : CANDY.
Un petit mot dactylographié à la machine à écrire était glissé dans le cercueil et disait ceci :
1er avertissement : Fichez-la dehors ou la prochaine fois, on brûle tout.

Choquée, Melle Pony préféra ne rien dire pour ne pas effrayer ses pensionnaires. Elle jeta le cercueil dans la cheminée et continua à ouvrir son courrier mais avec des confusions plein la tête : Comment sa petite Candy, si bonne et si adorable, pouvait-elle être détestée autant par quelqu'un, qui que ce soit, capable de lui vouloir autant de mal ?

Candy, elle aussi, fut dans la journée envahie par d’étranges intuitions …

Se rendant au village, elle remarqua une automobile qui suivait sa carriole. Plus tard, celle-ci disparut au détour d’un sentier pour réapparaître une fois arrivée sur la place du village.

La jeune fille reconnut sans mal la berline noire qui s’était tenue derrière elle à distance durant plusieurs kilomètres.

Candy effectua ses quelques commissions puis rejoint la charrette qui l’attendait sur la place. Sur le siège, elle y découvrit deux bouquets de fleurs … Des asphodèles pour le premier et un énorme d’Ancolies Pourpres pour le second …

Son amitié avec Anthony avait quelque peu éveillé chez elle une curiosité pour les roses en particulier mais aussi pour les fleurs en général … Arrivée au collège, elle avait étudié la botanique à ses heures perdues, pendant qu’Annie et Patricia se consacraient au crochet et à la peinture, et notamment la signification de chaque fleur. Elle avait ainsi appris que la Rose Blanche, telle que la Tendre Candy qui lui avait été consacrée, était le message d’un amour pur, de l’innocence et du charme alors que l’orchidée, toujours présente dans la chambre de Terrence Grandchester représentait un hommage à un amour raffiné et mystérieux …

Cependant, les plantes qu’elle avait découvertes sur l’assise de sa charrette en ce jour de printemps 1915, n’auguraient pas d’un aussi bon présage … Candy ne pensait pas se tromper en interprétant les Asphodèles comme « Un regret du passé », les grecs de la mythologie garnissant en effet la tombe de leurs défunts de ces plantes vivaces … les Ancolies pourpres quant à elles, marquaient la « Résolution à gagner » … l’addition de ces deux interprétations, ajoutée à l’incendie de la veille, ne lui disait rien qui vaille. Un étrange pressentiment l’envahit immédiatement.

Elle voulut alors protéger son foyer d'enfance et rentra à Chicago le lendemain même car elle savait qu'elle était visée par le ou les criminels qui s'étaient attaqués à la paisible maisonnée.

Monsieur Albert était à présent l'Oncle William et aussi l'un des hommes les plus influents des Etats-Unis. Grâce à lui, Candy put réintégrer l'hôpital Sainte Joanna d'où elle avait été chassée mais elle refusa néanmoins d'abandonner le Docteur Martin qui avait été là pour elle lorsqu'elle en avait eu besoin. Candy cumula donc les deux emplois pendant quelques mois.

A cette époque, Elisa Legrand rencontra un nouveau tournant dans sa vie, auquel elle s'attendait le moins.

Elle et son frère évitaient soigneusement la fréquentation à outrance de la branche André de leur famille depuis que l'Oncle William s'était révélé au grand public. La rouquine avait toujours été à mille lieues d'imaginer le patriarche en un fringuant gaillard de trente ans et qui plus est, l'ami de toujours de Candy. A la moindre réunion de famille, William Albert plaçait toujours en exergue le courage et le charisme de Candy, le raffinement et la délicatesse d'Annie et la volonté d'Archibald qui faisait face à la disparition de son frère de manière exemplaire sans songer un instant à sombrer dans la dépression ou dans l'alcool.

Mais s'il chantait les honneurs des trois jeunes gens, Albert était nettement moins expansif à l'égard d'Elisa et son frère. Son indifférence à leur encontre en était déstabilisante pour eux et ils prirent dès lors bien soin d'éviter au mieux chaque rencontre familiale.

Ils s'estimaient déjà suffisamment chanceux que le Grand Oncle ait pardonné leur attitude à l'égard de Candy depuis toujours, ainsi que les prétendues fiançailles de Daniel et sa protégée qu'ils avaient tenté de mettre sur pieds en son nom.

Prenant donc bien soin de se tenir à l'écart de la famille, Daniel avait pris l'habitude de se rendre à la très en vogue « Loundge Taverne », en plein centre de Chicago, afin d'égayer ses jours et très vite ses nuits.

Le « Loundge » était le repère de la fausse racaille en tout genre. S'y retrouvaient tous les jeunes gens avoisinant la vingtaine qui n'avait pas été volontaires pour se rendre en France et qui dès lors, occupaient leur temps à d'autres exploits. La conversation générale tournait autour des frasques sexuelles, du Whisky et dernières petites bagarres de rue.

L'un exposait avec moult détails, à qui voulait l'entendre, ses exploits accomplis avec telle ou telle jeune fille, sans se soucier que le frère ou le cousin de la demoiselle écoutait soigneusement la conversation et attendait le moment propice pour défendre l'honneur de la Dame ; un autre se vantait de représenter la pègre et la terreur à Chicago ; un troisième allait quitter incessamment le pays pour la France où il comptait exterminer à lui seul la race allemande. Tout se terminait généralement par une splendide bagarre générale ou une gigantesque beuverie.

Daniel Legrand était devenu un pilier assidu du comptoir du « Loundge », où il avait réservé son tabouret, mais ne prenait jamais part à ces démonstrations de force. Trop poltron pour intervenir, il observait le pugilat et s'arrangeait toujours pour filer à l'anglaise au moment venu. Cependant, à force de fréquenter ces voyous de tous horizons, il avait presque l'impression d'en faire partie et d'être enfin devenu « quelqu'un ».

La relative discrétion de Niel n'avait cependant pas échappé à une paire d'yeux bleus iridescents qui l'observaient depuis l'autre côté de la taverne. Le solide jeune homme aux yeux bleu vert et cheveux châtains, qu'il portait longs dans le cou, était connu des tenanciers de l'établissement pour être l'un des rares vraiment à craindre de leur clientèle. Même ivre mort, Jerry Havisho était pourvu d'une force exceptionnelle mais ne prenait jamais part, lui non plus, à une bagarre inutilement. Il n'avait reçu que peu d'instruction mais n'en était pas moins malin comme un singe et rusé comme un renard. Tel un maître de harem, il observait l'assemblée afin de s'y choisir une proie potentielle, féminine généralement.

Mais depuis l'arrivée de Daniel parmi eux, c'est le jeune rouquin qui avait retenu l'attention de Jerry. Ses luxueux costumes anglais qui lui seyaient si mal, sa piètre résistance au Whisky, dont au bout de deux verres il neutralisait l'effet par un café fort et tout l'argent qui lui brûlait les doigts, incitaient plutôt Jerry à s'en faire un ami.

Quelques jours suffirent pour que les deux hommes soient copains comme cochons et partagent le comptoir sur deux tabourets voisins. Boissons coûteuses, femmes et jeux … ils ne se refusaient rien, le tout bien évidemment sur le compte de Daniel Legrand qui dépensait sans compter les largesses de son père et de sa tante pour satisfaire le moindre désir de son nouvel ami.

La poitrine de Niel se gonflait d'orgueil à chaque inspiration devant toute l'importance que lui accordait le redoutable Jerry Havisho.

Mais Jerry n'en resta pas là …

Une nouvelle fantaisie était devenue depuis peu très à la mode auprès de la jeunesse de Chicago : les fumeries d'Opium … résultant directement du désordre régnant en Europe pour le moment. Ainsi ce genre d'importation orientale n'en était devenu que plus simple …

Cette nouveauté n'était évidemment pas à la portée de la bourse habituelle de Jerry mais bien à celle de Niel Legrand qui se fit un plaisir de découvrir les joies des plantes avec son nouveau compère à qui il ne voulait rien refuser.




Si Monsieur et Madame Legrand, de même que la Tante Elroy, étaient peu attentifs aux occupations de Daniel, à ses sorties nocturnes et à son teint grisâtre, ces récents changements de comportement chez le rouquin n'avaient pas échappé à sa sœur Elisa. Depuis que Daniel avait versé dans la sottise jusqu'à tomber amoureux de cette idiote de Candy, Elisa se disait qu'il était capable de repousser les bornes de la stupidité jusqu'à l'infini. Sa nouvelle attitude ne lui inspirant rien qui vaille, elle préféra garder un œil sur son frère et avait bien l'intention de découvrir où il passait tout ce temps.

Une brève filature la mena jusqu'à la « Loundge Taverne ». De la fenêtre de celle-ci, Elisa put voir Daniel accoudé au comptoir, un verre de Scotch se balançant au bout de ses doigts, aux côtés d'une silhouette bien connue … lui … c'était lui !!

Peu importait ce qu'il fabriquait dans cet endroit douteux en compagnie de son nigaud de frère ni comment celui-ci l'avait retrouvé … tout ce qui comptait était qu'il était là, à sa portée et surtout loin d'Elle !!

Sans se soucier de ruiner sa réputation si une langue malveillante rapportait à la famille André que l'on avait vu Elisa pénétrer en début de soirée à la « Loundge », elle franchit la porte de l'établissement pour se retrouver dans la salle embuée de fumée et se dirigea sans plus attendre vers son frère et surtout vers le compagnon de comptoir de celui-ci qu'elle avait reconnu.

« Je savais que l'on finirait par se retrouver, Terry » Dit elle sans préambule, arrivée derrière les deux hommes.

Daniel s'étrangla avec sa gorgée de Whisky lorsqu'il se rendit compte que sa sœur avait découvert son nouveau repère, qu'elle était probablement au courant de son nouveau penchant pour les plantes et qu'elle ne manquerait pas d'en aviser ses parents si elle-même ne trouvait pas un quelconque profit dans la situation. Daniel pensait qu'il allait devoir acheter d'une façon ou d'une autre le silence de sa sœur.

Jerry aussi se retourna … mais alors quelle ne fut pas la surprise de la rouquine en s'apercevant que l'élégant ténébreux qui lui faisait face n'était pas Terrence Grandchester, comme elle y aurait mis sa main au feu, mais que celui-ci y ressemblait étrangement.

Jerry saisit la main gantée d'Elisa et la baisa délicatement.

« Jerry Havisho, pour vous servir, Mademoiselle » Se présenta le jeune homme.

« Elisa Legrand … Je suis la sœur de Daniel » Bredouilla Elisa d'une voix de petite fille. La perfide rousse, toujours si audacieuse et pleine de répartie, perdait pieds devant le regard bleu marine de Jerry.

« Niel m'avait caché qu'il avait une sœur aussi charmante » Ajouta l'homme sans lâcher la main dont il caressait déjà le dos avec son pouce.

Elisa ne pouvait en détacher le regard. Elle sentait son cœur battre dans sa poitrine à une telle vitesse qu'elle crut un instant que l'assemblée allait l'entendre malgré le bruit de fond qui régnait dans le bistrot. Cette sensation était nouvelle pour Elisa et qui plus est, c'était la première fois que d'aussi beaux yeux accordaient un regard à sa personne. Jerry la regardait elle et seulement elle.

Loin était le temps où il lui fallait mendier à Anthony une promenade à cheval ou une brève valse, révolue était l'époque du festival de mai ou de l'humiliante fête blanche qu'elle avait organisé en l'honneur de Terry Grandchester, lequel ne s'était jamais présenté … préférant la compagnie de Candy …

Jerry balaya tous ces mauvais souvenirs de l'esprit d'Elisa instantanément et alors qu'il lui lâcha enfin la main, Elisa se surprit à laisser celle-ci avancée vers le jeune homme comme pour qu'il la lui saisisse à nouveau. Plusieurs secondes s'écoulèrent, durant lesquelles Elisa ne détacha pas les yeux du visage de Jerry, lequel la regardait en déployant tout son charme le plus raffiné.

Daniel finit par tousser afin de sortir sa sœur de sa léthargie. Celle-ci remit enfin sa main en place et détourna le regard en rougissant, visiblement gênée de son trouble mais Jerry ne perdit rien de son regard transperçant ni de sa belle assurance.

« Puis-je vous offrir un verre, Elisa ? » Demanda-t-il.

« Euh … et bien … nous devrions rentrer … hein Daniel … » Balbutia-t-elle, alors que le minuscule coin de son cerveau qui n'était pas embrouillé par l'apparition de Jerry la maudissait d'avoir l'air aussi cruche devant le garçon qui lui faisait embraser ses tempes. Elle sentait tout son corps comme en sueur et ses mains moites en dépit des gants dentelés qui les enrobaient.

« Allons Elisa … il est encore si tôt » Continua Jerry sans perdre son sourire ravageur « Permettez moi encore de profiter quelques instants de votre présence. Je vous offre un porto. Ce vin ne peut être apprécié que par une dame de votre qualité ».

« Du … vin ?? Mais … c'est de l'al … cool !! Je n'en bois jamais … » Répondit Elisa, sur le même bégayement « Je vais m'enivrer »

« Sous ma protection, vous ne craignez rien, ma Chère … faites découvrir à votre langue ce plaisir sucré » Dit Jerry « Vous n'aurez rien à regretter … » Ajouta-t-il presque dans un chuchotement, alors qu'il reprenait la main d'Elisa, puis son coude, jusqu'à la saisir par sa taille fine pour l'attirer à son côté en oubliant presque la présence de Daniel.




Au bout d'à peine dix minutes de conversation, Daniel perdit patience. Jerry n'avait plus d'yeux que pour Elisa et lui tournait le dos. Il était évident qu'il était à présent de trop … sa sœur s'était une fois de plus immiscée où il ne l'attendait pas et accaparait maintenant son ami, le reléguant lui à la qualité de chaperon.

D'un autre côté, cette entrevue n'était pas pour lui déplaire car si Elisa sympathisait avec Jerry et devenait elle aussi une adepte du « Loundge », il n'aurait plus à craindre qu'elle le dénonce à ses parents.

La rouquine, quant à elle, était un tout petit peu plus à l'aise qu'à son arrivée. Elle sirotait son porto qui commençait lentement à lui procurer l'effet escompté par Jerry : Si Elisa était loin d'être saoule, elle entrait pas à pas dans l'état de relaxation que procure les tout premiers verres d'alcool que l'on goutte.

Ceci n'échappa pas à Daniel qui remarqua que pendant qu'il commandait un second verre du nectar sucré à l'attention d'Elisa, Jerry avait placé sa main audacieuse sur le bas du dos de la jeune fille qui n'émit pas une protestation.

« Nous allons partir, Elisa ! » Dit-il sur un ton autoritaire qui était loin de ses habitudes.

« Pourquoi donc ?? » Fanfaronna Elisa sans détacher ni son regard ni son attention du visage de Jerry qui la complimentait sur la douceur du tissu de sa robe.

« Nous partons !! » Répéta-t-il.

Mais alors qu'il tendait la main vers Elisa pour lui saisir le bras et l'emmener hors du bistrot, il se heurta à mi-chemin à celui de Jerry. Le regard de celui-ci changea en une fraction de seconde, il se fit dur et glacial.

« Qu'y a-t-il, Niel ? Tu ne t'amuses plus parmi nous ? Déjà fatigué ? » L'interrogea-t-il sans utiliser le ton de la question.

Daniel bredouilla à son tour … jamais Jerry ne l'avait regardé ainsi … il prit peur …

« Heu … juste que … il se fait tard … ma sœur doit rentrer … et puis il est vrai que je suis épuisé aujourd'hui … j'ai fait pas mal d'excès ces derniers temps … »

« Mais c'est tout à fait normal, Niel » Continua Jerry sur le même ton monocorde « Je comprends ta fatigue mais ta sœur est loin d'être aussi lasse que toi. Rentre donc ! Je veille sur elle »

« Mais c'est que … nos parents vont s'inquiéter de son absence … » Osa insister Daniel « Je vais rester encore un peu alors … »

Jerry conserva encore son regard dur.

« Niel, tu as tout à fait raison !! Vas te reposer, rassure tes parents au sujet de ta sœur, dis leur qu'elle est entre de très bonnes mains … »

« Mais … » Le coupa Daniel.

« Je ne te retiens pas, Niel ! » Trancha Jerry, son regard glacial sur durcissant encore.

Ces yeux, Daniel en avait déjà croisés d'identiques en d'autre temps … si lointains … à l'époque du collège … ceux de Terry Grandchester. Daniel se dit à cet instant que les intentions de son copain Jerry envers sa sœur étaient visiblement les mêmes que celles que lui-même avait eues à l'égard de Candy ce jour là dans le parc du collège … et qui lui avaient valu une bonne correction de la part de Terrence. Il se souvenait encore de la brûlure de son fouet …

Cependant, le tempérament froussard de Daniel finit par prendre le dessus … il allait se tourner pour quitter les lieux lorsqu'il sentit une main le retenir et s'introduire dans la poche intérieure de son veston.

Jerry en ressortit un trousseau de clés …

« Tu peux rentrer à pieds, Niel, ça ne te fera pas de mal ! Je raccompagnerai ta sœur avec ton automobile »

Et sans attendre une réponse, Jerry pivota sur son tabouret, reportant à nouveau sa concentration sur Elisa, qui avait gardé toute son attention sur le délicieux contenu de son verre durant la brève discussion des deux hommes. Elle termina de le siroter alors que Jerry lui en commandait un troisième et que son frère quittait la taverne …

La nuit était bien avancée lorsque Jerry et Elisa ressortirent du « Loundge ». La jeune rousse avait apprécié le goût délicieux du Porto et présentait manifestement un état euphorique considérable.

Jerry, par contre restait totalement sain d'esprit, soucieux d'atteindre son but sans se dérouter. Toujours aussi galant qu'en début de soirée, il ouvrit la portière de la voiture de Daniel pour aider Elisa à y monter, s'installa ensuite à la place du chauffeur et démarra immédiatement en direction de l'adresse du manoir des Legrand indiquée par la jeune fille.

Très vite la résidence se profila à l'horizon et Jerry, stoppant la voiture devant le grand escalier, se dit que décidément le poisson qu'il avait ferré aujourd'hui en la personne d'Elisa Legrand était encore plus gros que ce qu'il avait espéré.

Tout l'argent dépensé par Daniel et la tenue raffinée d'Elisa n'étaient pas illusoire … les Legrand provenaient réellement d'une illustre et fortunée famille ainsi qu'en témoignait leur habitation.

« Je vous remercie de m'avoir raccompagnée, Jerry » Commença la jeune fille « Et merci pour cette merveilleuse soirée … je crois ne m'être jamais autant amusée »

« Je vous en prie, Elisa » Lui répondit-il en affichant toujours ce même sourire qui aurait fait fondre un iceberg « Je ne peux qu'agir en gentleman auprès d'une dame telle que vous … mon cœur solitaire croit avoir enfin trouver son âme sœur ».

« Oh Jerry … vous me faites rougir … à combien de demoiselles avez-vous déjà conté cette fable ? »

« Elisa … je … »

Jerry s'interrompit et saisissant de ses deux mains le visage d'Elisa, il déposa un baiser chaud et humide sur les lèvres vierges de la jeune femme.

Elisa en fut si surprise qu'elle ne réfléchissait plus … elle garda un moment ses doigts cramponnés à son sac à mains … incapable du moindre geste …

Le baiser de Jerry se fit plus profond … sa langue brûlante s'entremêlant à celle d'Elisa …

Mais quand il s'interrompit, elle en ressentit immédiatement un manque cruel. Rouge d'embarras, timidement, Elisa se surprit pourtant à tendre immédiatement ses bras vers la nuque du jeune homme … lui ordonnant intimement de reprendre l'embrassement.

Sans nul doute, elle avait apprécié l'expérience et le second baiser de Jerry se fit plus audacieux encore que le précédent.

Elisa appréciait réellement ce second échange amoureux, le premier ayant été quelque peu entaché par l'effet de surprise. Mais déjà, la main du jeune homme s'appliquait à dégrafer les quelques boutons du col de la jeune fille.

Malgré son ivresse, Elisa sursauta en se rendant compte de ce qu'elle était en train de faire … dans la voiture de son frère … juste devant la maison familiale !

Elle se retira de l'assaut de Jerry … tâchant sans succès de reboutonner son col et posa sa main sur le mécanisme d'ouverture de la portière.

« Je vais vous laisser, Jerry … ce n'est pas convenable … » Bégaya-t-elle lamentablement, sachant parfaitement qu'elle serait vaincue par la moindre insistance de Jerry.

« Chuuut … » Murmura celui-ci « Laisse moi faire … laisse moi te faire découvrir les plaisirs de l'amour physique, ma Douce ».

Douce … c'est le surnom qu'Anthony avait donné à Candy … et que c'était bon à entendre …

Elisa ne pouvait plus réfléchir … de ses mains expertes, Jerry était déjà venu à bout de son corsage. La poitrine blanche d'Elisa qui se soulevait en hoquets allait lui être dévoilée dès qu'il se serait débarrassé de quelques dernières dentelles encombrantes …

Elle regarda au dehors la lune pleine, seul témoin de leurs ébats, alors que Jerry lui couvrait de baisers les lèvres, les tempes, le cou, la gorge …

La jeune fille sentit venir une douce chaleur au bas de son ventre alors qu'il commençait à lui caresser un sein qu'il embrassait simultanément avec une infinie douceur. Elle savait qu'elle en voulait plus … qu'elle recevrait plus … mais ses gestes timides se cantonnaient à l'exploration des cheveux du garçon et à la palpation des muscles de son dos au travers de sa chemise rêche.

Jerry comprit qu'elle était disposée à poursuivre plus loin leurs jeux amoureux alors il se débarrassa lui-même grossièrement de ses vêtements pour permettre à Elisa d'accéder à la majeure partie de son corps. Il déboutonna sa chemise et défit sa ceinture, jusqu'à descendre son pantalon sur ses genoux.

Pour la première fois, Elisa découvrit la virilité d'un homme. Elle ignorait ce qu'il allait advenir mais elle savait qu'elle n'émettrait aucune protestation et suivrait Jerry jusqu'au bout du monde.

Pour finir, il lui retroussa les jupons et lui écarta doucement les cuisses afin de s'introduire entre elles …




Lorsque Elisa regarda à nouveau la lune, une larme solitaire glissa le long de sa joue …

Ce n'était pas de la tristesse mais mille et un sentiments mélangés … Elle venait de hurler le prénom de cet homme qui lui avait fait connaître l'extase et qui maintenant reprenait son souffle la tête enfouie dans son giron alors qu'elle gardait ses jambes fermées comme un écrin autour de la taille fine du garçon … Tout ce qu'elle avait pu connaître auparavant n'existait plus … Elisa avait tout oublié …

« Mon amour … mon amour … » Chuchotait-t-elle




Ils restèrent un temps qu'Elisa ne pouvait estimer enlacés de la sorte jusqu'à ce que la jeune fille soit ramenée à la réalité par la lumière du grand salon de la résidence qui venait de s'éclairer …

« Je dois partir, Jerry » Dit-elle rapidement, joignant le geste à la parole pour reprendre une position convenable afin de reboutonner sa robe et de tenter remettre ordre brièvement dans ses cheveux.

Jerry sortit en même temps qu'elle du véhicule de Daniel qu'il devait laisser devant chez les Legrand pour rentrer à pieds vers le centre de Chicago. Assis insolemment sur le rebord de l'immense fontaine qui laissait jaillir imperturbablement ses flots, parfaitement indifférente à la scène érotique qui venait de s'offrir à sa vue, Jerry observait Elisa qui gravissait déjà précipitamment les marches du grand escalier de pierre, une cigarette à la bouche.

Arrivée sur l'immense terrasse, elle se retourna pour observer une dernière fois son fougueux amant, l'esprit encore trop embrouillé par ce qu'elle venait de vivre pour réfléchir ni à ce qu'elle avait fait ni si elle reverrait ou non l'homme à qui elle venait d'offrir sa virginité. Elle ne pouvait que songer à la chance qui lui avait été enfin offerte d'être aimée d'un homme tel que Jerry après toutes ses années de solitude à rivaliser inutilement avec la séduisante Candy, son ennemie de toujours.

L'envie de connaître une dernière fois le goût des lèvres de Jerry l'envahit alors irrésistiblement … et elle redescendit en trombe l'escalier pour se jeter à son cou.

Mais alors qu'elle voulut s'en éloigner, définitivement cette fois, Jerry à son tour la retint du bout des doigts.

« Sois à moi Elisa … complètement … sois ma femme »

Les pensées d'Elisa revinrent presque trois ans en arrière, à l'époque où elle avait été le témoin jaloux de l'amour naissant entre Terrence Grandchester et Candy Neige André … Jerry la regardait avec les mêmes yeux que Terry réservait à la jeune blonde au collège …

« Oh oui Jerry … oui je le veux »

Et elle remonta les marches pour rentrer chez elle, alors que Jerry, heureux du résultat global de sa soirée, reprenait en sifflotant le chemin du centre de Chicago.

Le plus discrètement du monde, Elisa pénétra dans le grand hall et se rendit au premier étage, impatiente de se retrouver dans la sécurité de sa chambre où elle aurait tout loisir de rêver à Jerry, à leurs ébats et à leur échange de promesse …

Son cœur battait la chamade tant elle craignait de rencontrer un membre de sa famille ou un domestique … comment pourrait-elle justifier le fait de se trouver en dehors de sa chambre, la tenue et les cheveux en désordre, à cette heure avancée de la nuit ?

La rouquine retint sa respiration jusqu’à ce qu’elle arrive devant la porte tant attendue qu’elle franchit à la dérobée …

Elle s’apprêtait à pousser un soupir de soulagement lorsqu’elle s’aperçut qu’elle n’était pas seule … débout au milieu de l’immense pièce, bras croisés, se tenait sa mère qui la toisait sévèrement.

Elisa resta pétrifiée, tremblant de ce qui allait suivre. Elle se cramponnait à son petit sac et au mouchoir qu’elle avait utilisé pour essuyer ses larmes d’émotions.

Sarah fut la première à bouger. Elle marcha d’un pas félin vers sa fille acculée à la porte de la chambre et qui ne pouvait plus reculer.

Quelque soient les raisons qu’Elisa pouvait invoquer pour justifier son escapade nocturne, sa mère les jugeaient mauvaises à l’avance ! La conduite de la jeune fille était inqualifiable et elle comptait bien le lui faire payer en dépit de son indulgence chronique vis-à-vis de sa fille depuis la plus tendre enfance de celle-ci …

Sarah avait toujours fermé les yeux sur les nombreux écarts de ses enfants, leur si piètre esprit, leurs nullissimes résultats scolaires et leurs innombrables caprices, en particulier ceux d’Elisa qui était une éternelle insatisfaite, mais cette fois s’en était trop ! Elle avait dépassé la mesure … car si une chose pouvait inquiéter réellement Sarah Legrand, plus encore que le fait de découvrir que ses enfants étaient décidément loin d’être l’incarnation de la sagesse, c’était bien que quiconque à Chicago soit en mesure de critiquer la conduite de ceux-ci jusqu’à entacher leur réputation et plus particulièrement celle d’Elisa.

Ce que Sarah avait surpris en observant la touchante scène d’adieu entre Elisa et le voyou qu’elle embrassait à pleine bouche devant leur demeure, était bien suffisant pour discréditer à jamais la jeune Legrand auprès de la gente masculine de la haute société de Chicago si quelqu’un d’autre avait été témoin de la scène … et Sarah n’était pas vraiment persuadée que tel n’était pas le cas.

Entendant déjà siffler à ses oreilles les commentaires qui risquaient de circuler dès le lendemain dans les salons au sujet d’Elisa, Sarah sentit, presque malgré elle, son bras se lever.

Une seconde plus tard, Elisa portait sa main gauche à sa joue brûlante … elle sentait la gifle de sa mère crépiter sur son visage …

Mais il n’était pas l’instant des réflexions, Sarah ne voulait pas abandonner l’affaire !

« Qu’as-tu à me dire Elisa ? » Demanda-t-elle hargneusement « Tu dois avoir complètement perdu la tête !! La première règle des jeunes filles bien nées est de ne jamais sortir seule, qui plus est le soir !! Tu oses t’échapper de la maison, des heures durant, pour réapparaître au milieu de la nuit … flanquée de je ne sais quel gredin !! Je n’ai aucun mal à imaginer d’où il vient, à en juger par son allure !!! Même les pires attitudes de cette maudite Candy ne m’ont jamais embarrassées à ce point !! Tu me fais honte, Elisa !! »

En criant, Sarah avait saisi sa fille par les épaules et la secouait comme un prunier.

« Mais parle, Elisa !!! » Hurla ensuite Sarah, exaspérée par le mutisme de sa fille, quand une seconde gifle partit.

« Mais Mère … » Pleurnicha Elisa, déstabilisée devant la fureur de sa mère « Jerry n’est pas … il n’a rien d’un voyou … Je l’aime »

« Petite sotte !! Il saute aux yeux qu’il s’agit d’un délinquant ! C’est écrit sur son visage !! Tu es devenue folle ma parole … tu ne vas pas me dire … »

Sarah s’interrompit lorsqu’elle remarqua pour la première fois le désordre de la tenue d’Elisa, habituellement tirée à quatre épingles.

« Elisa … tu n’as pas osé quand même ?? … Il n’a pu profiter de ta personne, dis moi !!! »

Elisa baissa les yeux comme un aveu de sa conduite inqualifiable.

« Jerry m’a demandé de l’épouser … et … j’ai accepté » Finit par dire la jeune fille d’une voix presque inaudible.

« QUOI ?? Toi … avec ça ??? Ah ça non ma fille !! Moi vivante, il ne peut en être question ! De plus, je suis certaine qu’il n’y a que ta dot qui porte ses motivations !! Ouvre les yeux ma parole, que pense-tu obtenir de gens pareils ?? Des gens comme lui, comme Candy … Il n’y a jamais que l’argent qui guide leurs pas !!! »

« Maman !! » Supplia Elisa « Rappelez vous … vous avez été jeune avant moi … n’avez-vous jamais connu pareil amour ? »

« Elisa, ma fille, sache que je n’ai jamais laissé divaguer mon esprit à toutes ces idioties … Cette discipline était réservée à ma sotte de sœur Rosemary qui a sacrifié sa santé à la culture de ses fleurs, et aux pesticides dangereux que celles-ci exigeaient, au lieu d’en laisser le soin aux jardiniers !! Rosemary avait la tête dans les nuages, elle croyait donc à l’amour et à ses inepties !! Regarde où ça l’a menée … NON Elisa, même jeune, j’ai toujours suivi docilement la conduite que me dictaient mes parents sans m’en dérouter et j’ai épousé ton père dans la digne position des jeunes filles … en l’état selon lequel je devais être offerte à mon époux … ce qui n’a plus l’air d’être ton cas, semble-t-il !!! Ose le nier !! »

« Maman … » Implora une dernière fois la jeune femme … en désespoir de cause car elle se rendait compte que sa mère resterait de marbre et inébranlable face aux sentiments qui envahissaient Elisa depuis qu’elle avait rencontré Jerry.

« Bien !! » Trancha Sarah « Je sais ce qu’il me reste à faire ! Tu partiras dès demain !! »

Elisa blêmit.

« Que … Partir ?? Où ? »

« Et bien je ne puis te renvoyer en Europe en raison de la guerre, mais il me reste la solution du cloître religieux !! Ton père et la Grand Tante seront d’accord avec moi lorsqu’ils auront vent de ta conduite éhontée !! L’ordre Sainte Catherine de Houston est très réputé auprès des jeunes filles de bonne famille qui ne peuvent se marier, tu pourras y rester quelques années afin de laisser tasser toute cette histoire et quand tu reviendras, il sera toujours temps de te chercher un mari auprès des ... »

« Mais je refuse d’aller dans un couvent, mère !! Je ne veux pas quitter Chicago !! J’aime Jerry … »

« Ça suffit !!! » Hurla à nouveau sa mère « Tu feras ce que je t’ordonne ! Et estime toi heureuse que j’accepte de si bon gré de te pardonner !! Comme s’il ne suffisait pas de nous être vu imposé Candy dans la famille par l’Oncle William, voilà que tu voudrais nous infliger un gendre de la même espèce !! »

« Me pardonner ?? Mais vous me condamnez à perpétuité !!! Vous voulez me séparer de l’amour que j’ai enfin trouvé et m’enchaîner dans un institution lugubre comme l’était le collège Saint Paul … Et puis cessez de comparer Jerry à Candy !!! Il n’a aucun point commun avec cette orpheline crasseuse !! Jamais il ne volerait ou n’aurait des accès de colère comme elle !! Il est aimable, raffiné, plein de charme, si … » Plaida Elisa, qui s’était mise à crier et devenait impertinente.

« ASSEZ !! » S’égosilla Sarah « Si tu veux t’entêter et jouer la fine bouche avec moi, soit … » Sarah retrouva en une seconde le calme olympien qui la caractérisait habituellement … Elisa prit peur du si subit renoncement de sa mère …

« Tu en paieras le prix fort » Continua celle-ci « Je t’ai offert une alternative que tu n’as pas su saisir … »

« Que voulez vous dire, mère ? »

« Tu as jusqu’à l’aube pour rassembler le strict minimum de tes effets personnels et disparaître de la maison ! Je ne veux plus te voir … j’exige de ne pas te rencontrer au petit déjeuner ! Tu as compris ? »

« Mais … Où voulez vous que j’aille ? » Pleura Elisa.

Et sa mère lui répondit de son intonation la plus froide : « Mais chez ton Jerry, voyons, ma chère … en admettant qu’il veuille encore de toi en état de dénuement le plus total ! »

Sans un commentaire de plus, Sarah écarta Elisa par l’épaule et refranchit la porte de la chambre, laissant sa fille, désespérée qui tombait au sol, en larmes.




Deux heures plus tard, une valise bien remplie à la main, Elisa Legrand quittait la maison familiale, à pieds, à son tour en direction du centre de Chicago.




Contre toute attente, Jerry, bien que contrarié de voir sa fiancée démunie de la moindre dot, tint sa promesse. Le 10 juin 1915, contre l’avis de ses parents et de la Grand Tante Elroy, amoureuse folle, Elisa Legrand devint Madame Jerry Havisho ...
Seul son frère Daniel assista à ses noces ... »

« Il semblerait qu'Elisa avait finalement un cœur » commenta Charlotte, ramenant l’esprit de Candice en 1990.

« En effet ... mais elle allait payer très cher de l'avoir écouté ...

Arriva novembre 1915 ...

Par une soirée glaciale et lugubre, Candy était de garde à la Joyeuse Clinique, dans le quartier sombre de Chicago. Vers minuit, elle entendit tambouriner à la porte ...

« Au secours ... ouvrez !! » cria une voix de femme.

Candy abandonna le recueil qu'elle lisait pour s'occuper durant les heures si calmes de la nuit et tourna la clé de la porte d'entrée, recevant alors dans ses bras, s'écroulant de tout son long, tuméfiée, une silhouette bien connue.

« ELISA !!! » s'écria Candy « Que t'est-il arrivé ? »

« Mon mari ... » répondit faiblement la jeune femme « Jerry ... il m'a battue »

« Oh mon Dieu » Souffla Candy en se signant.

Candy installa son éternelle ennemie dans la salle de consultation et réveilla immédiatement le docteur Martin, qui à son tour, fut saisi de dégoût face à l'état pitoyable de la jeune femme. Sorti de son alcoolisme grâce à la vigilance de Candy, le vieux médecin administra à Elisa tout le soin nécessaire mais celle-ci était mal en point ...

Elle présentait des côtes, un bras et le nez cassés, des hématomes sur tout son corps qui la faisaient souffrir atrocement, ses yeux étaient pochés mais le pire restait à venir ... Au cours de cette longue nuit, Elisa, tordue de douleur, fit une hémorragie ... elle attendait un enfant.

Au petit matin, alors que la lueur de l'espoir quant à la survie d'Elisa apparaissait au même rythme lent que le levé du soleil, Candy la détailla attentivement pour la première fois car jusqu'alors, le docteur et elle s'étaient exclusivement concentrés sur la gravité de son état général …

Candy nota que la jeune dame qui lui faisait face ce jour là n'avait plus rien de comparable à l'Elisa de son souvenir qui lui en avait tellement fait voir durant son enfance. Celle-ci avait définitivement perdu son arrogance, son air hautain, son égoïsme … Sa tenue avait évidemment changé elle aussi car si Candy reconnaissait bien la jolie robe dont Elisa était vêtue, pour la lui avoir déjà vue porter auparavant, elle ne pouvait nier que celle-ci avait vécu depuis lors.

Elisa, pourtant toujours aussi jolie, voire même encore davantage aux yeux de la jeune infirmière, avait beaucoup maigri et ses cheveux, simplement noués d'un tissu de lavandière, avaient poussé jusqu'à lui atteindre presque le bas du dos. Ils ondulaient naturellement pour avoir été si longtemps coiffés en anglaises mais il était évident que la dernière mise en pli de la tignasse rousse remontait à des temps immémoriaux.

Candy conserva son attention portée sur les soins à prodiguer à la jeune femme durant toute la matinée mais lorsque Elisa fut enfin en mesure de prononcer quelques mots, vers midi, ce ne fut que pour confier sa terreur.

Elle expliqua à Candy qu'elle s'était échappée du logement conjugal à un bref moment d'inattention de Jerry qui venait de lui infliger une marginale correction suite à un potage qui n'était pas à son goût.

« Je suis une si mauvaise cuisinière … Tu sais Candy, personne ne m'a jamais appris … » Commenta-t-elle.

Mais elle connaissait suffisamment le tempérament de son époux, pour en avoir subi les assauts depuis presque six mois, pour pouvoir affirmer sans se tromper qu'il n'abandonnerait pas aussi facilement … à ce moment même, Jerry était en train de la chercher dans toute la ville et Elisa le savait.

« Ce n'est pas la première fois qu'il est brutal, n'est-ce pas Elisa ? » Lui demanda Candy, déjà presque sûre de la réponse.

« Non ... » Râla péniblement la jeune femme meurtrie « Cela arrive très souvent ... d'habitude, il frappe ... mon dos ... avec sa ceinture ... mais hier, il était très ... très saoul ... alors il est devenu fou »

« Tu dois le quitter ... il va te tuer un jour » répondit Candy.

Mais avant qu'Elisa n'objecte quoi que ce soit, un homme taillé comme dans du roc, fracassa la porte du minable hôpital et fit face aux deux femmes.
Elisa était terrorisée et incapable de faire un geste ...

« Jerry ... » Souffla-t-elle.

« Qu'est-ce que tu fous ici ? T'es venue te plaindre de moi à l'infirmière ? Qu'est-ce que t'as été raconter, charogne !!! » Lança le gaillard furieux.

L'homme qui se trouvait dans la pièce face à Candy et à la blessée n'avait plus rien en commun avec le superbe jeune homme dont Elisa était tombée amoureuse quelques mois plus tôt … plus aucune galanterie, ni l'once d'un égard … plus la moindre élégance.

« Mais rien, Jerry » le supplia Elisa « Elle a juste désinfecté mes plaies »

« Tu mens, saloperie !! Tu vas rentrer à la maison et au galop !! »

Et joignant le geste à la parole, le sale type se jeta sur sa femme qu'il saisit par les cheveux et traîna hors du lit.

Candy ne put s'empêcher d'intervenir. A son tour, elle s'agrippa à l'armoire à glace qui entraînait la fragile blessée vers la rue, complètement sourd à ses gémissements plaintifs.

« Lâchez la !!! Vous m'entendez ??!! Lâchez la !!! » Hurla la jeune blonde qui tapait sur le dos de Jerry avec toute la force de ses petits poings.

Mais le rustre déchaîné eut vite fait de se débarrasser de la frêle Candy. D'un geste du bras bien placé, il envoya valser la jolie blonde dans la barrière de la clinique qui se brisa sous la violence du choc ...

Alors que Candy cru le combat perdu, obligée de plier l'échine face à l'homme qui emmenait sa protégée, un autre intervint.

Celui-ci, Candy le connaissait bien ... il était venu la chercher pour déjeuner ...

« Albert !! » dit-elle les larmes aux yeux.

Albert se rua à son tour sur Jerry tel un lion bondissant. Il ne lui laissa aucune chance, l'état d'ébriété du lâche aidant, il ne tarda pas à libérer Elisa et à s'échapper.

Candy était endolorie et choquée mais elle n'avait rien. Avec Albert, elle transporta la blessée, trop faible pour se relever, à l'intérieur où Candy put l'aider à se remettre de sa frayeur.

« Oh Albert, qu'aurions nous fait si vous n'étiez pas intervenu ? »

« Je t'en prie Candy, j'ai vu ce maudit te faire violence ... alors ... »

« Oncle William ... » Murmura alors Elisa, la voix presque inaudible « Merci … moi qui pensais que vous me détestiez »

« De rien, ma petite. Mais il nous faut trouver une solution pour toi ... ce type va revenir à la moindre occasion pour te massacrer »

« J'ai peur ... Oncle William ... Candy » pleurait Elisa. C'était la première fois de sa vie que Candy voyait pleurer Elisa Legrand.

« Maman et Tante Elroy avaient raison, Candy. Jerry n'était pas ... un bon garçon. Mais j'ai voulu écouter mon cœur ... »

« Tu n'as rien à te reprocher Elisa » répondit Albert « Sous un visage d'ange se cache parfois le diable en personne ... et si tu m'avais consulté avant de te marier, je t'aurais certainement encouragée à écouter ton cœur. J'en ai beaucoup voulu à ma sœur de t'avoir si mal traitée uniquement parce que tu voulais faire un mariage d'amour et que tu semblais enfin prête à ouvrir ton cœur ... Tu ne dois pas te le reprocher à présent »

« De toute façon … je ... n'ai que ce que je mérite ... Jerry est ma juste punition »

« Ne dis pas cela, Elisa » trancha Candy « Aucun homme n'est autorisé à lever la main sur une femme ... quelque soit la faute qu'elle ait commise ».

« Candy ... Je te demande pardon ... pour tout ... mais c'est un peu tard ... pardon Candy »

Candy pouvait à peine croire ce qu'elle entendait mais à l'encontre à cette femme battue, visiblement au bout du rouleau, qui vivait dans la terreur depuis d'interminables mois, elle ne ressentit plus aucune rancœur ... Tout ce qu'Elisa avait pu lui faire subir, elle l'oublia à cet instant ... Elle ne voyait plus que ses souffrances et une seule chose la préoccupait ... la protéger.

Albert et le docteur Martin se relayèrent pour monter la garde à la joyeuse clinique durant le séjour d’Elisa. Jerry se risqua plus d’une fois à s’y introduire pour récupérer son épouse mais se heurta toujours à l’un des deux efficaces gardiens de celle-ci. A chaque tentative infructueuse, Elisa essuyait mille et unes menaces, le bougre proférait à son encontre les pires insultes possibles et la certitude d’un sort cruel attendait la jeune femme lors de son hypothétique retour à la maison.

Bien que soucieux du devenir de leur protégée, Albert et le docteur Martin étaient d’accord sur le fait qu’elle ne pouvait se terrer éternellement à la Joyeuse Clinique mais qu’il fallait lui trouver un lieu sûr où se rendre.

Prenant très à cœur son rôle de Grand Oncle William, Albert tenta bien de plaider la cause de sa nièce auprès des parents de celle-ci mais en dépit de l’insistance d’Albert, le couple s’était montré inflexible.

Selon eux, Elisa leur avait témoigné le plus grand irrespect en s’affichant avec un homme tel que Jerry et en déshonorant sa qualité de jeune fille avec lui au su de tous. Non contente de ces actions, elle avait enchaîné sur un mariage honteux et par une vie crasseuse dans les plus bas fonds de la ville. Toute la haute société était au courant et les regards moqueurs lancés à Sarah, lorsqu’elle pénétrait dans une boutique ou dans un salon, témoignaient de l’opinion publique quant à l’attitude d’Elisa Legrand. Sa fille avait ridiculisé sa lignée et sa famille était la risée de tout Chicago, à commencer par sa mère qui avait complètement échoué dans la mission d’éducation de ses enfants.

La cerise sur la gâteau avait été l’arrestation d’un important trafiquant d’Opium de Chicago suite au démantèlement d’un réseau portant sur toute la côte est américaine. Le procureur en charge de l’affaire fut désigné en la personne de Raymond Cornwell, le père d’Archibald, qui en examinant le dossier fit une découverte ô combien intéressante. Parmi la liste de clients, dénoncés lâchement par le prévenu, figurait les noms de Messieurs Daniel Legrand et Jerry Havisho, bien connus des services de police pour être, depuis peu, beaux-frères et complices de magouilles en tous genres. L’influence de Raymond avait pu réduire les accusations contre Daniel au strict minimum et celui-ci ne devrait faire qu’une brève apparition au tribunal au moment du procès en temps que témoin à charge, à la condition bien entendu, que Niel prenne dès lors la résolution de se tenir tranquille à l’avenir.

Avec tact et diplomatie, Raymond Cornwell avait fait part de cet arrangement à Sarah et à son mari, pensant naïvement qu’il subsisterait ainsi un espoir pour eux de ramener au moins leur fils sur le droit chemin. Mais Sarah était une fois encore entrée dans une colère noire et avait fait subir à Daniel le même sort qu’à sa sœur, quelques semaines plus tôt. En moins d’une heure, le jeune homme s’était retrouvé sur le bord de la route, ses bagages à la main.

Si bien que lorsque Albert arriva chez les Legrand un dimanche après midi de la fin novembre avec ses revendications concernant Elisa, celui-ci fut congédié le plus impoliment du monde par son beau-frère qui envisageait de quitter la ville avec sa femme pour se rendre définitivement dans une de leurs propriétés à l’autre bout du pays. Sarah n’avait même pas consenti à voir Albert ce jour là. Elle se terrait dans sa chambre ou dans son salon privé avec pour seule compagnie la honte qui lui oppressait la poitrine, en attendant le grand départ pour une nouvelle ville où elle pourrait à nouveau sortir de chez elle la tête haute. Toute la force de persuasion et le calme communicatif de son frère n’avaient pas suffi à la ramener à la raison.

La Tante Elroy refusa elle aussi d’héberger Elisa sous son toit car cette nièce, demeurant la seule et unique demoiselle hormis Candy, avait attiré à elle la préférence de l’aïeule par rapport à son frère ou à ses cousins au fil de ses années d’enfance et d’adolescence. Elroy prévoyait de grandes choses pour la jeune fille et la vieille dame n’en avait été que plus déçue par son comportement. Dès lors, elle était tout aussi arrêtée que Sarah quant au sort à lui réserver. Pour elle, Elisa n’existait plus et chacun savait comme la Grand Tante pouvait être têtue.

Il fallut donc trouver une autre solution.

Sans hésiter plus d’une minute, Candy accueillit donc chez elle durant plusieurs jours son ennemie de toujours.
La jeune rousse découvrit, bien qu’il lui faille un temps pour se l’avouer, comme il était agréable de vivre auprès de Candy. Au fil des soirées, elles se surprirent à veiller de plus en plus tard.

Des heures durant, elles se confiaient leurs vies … l’adoption ratée de Candy, Anthony, le collège, Terry dont Elisa fit la connaissance réellement à ce moment là au travers des récits de Candy sur le caractère hors norme mais si attachant de leur ancien condisciple … s’apercevant peu à peu combien elles se connaissaient finalement bien mal tout en ayant partagé la majeure partie de leurs années de jeunesse.

Si l’une regrettait de plus en plus tout le mal qu’elle avait causé, l’autre s’en voulait de n’avoir pas pu remarquer la personnalité qui pouvait se cacher derrière la noirceur de son ennemie. La vie commune qu’elle avait connue avec Jerry avait transformé Elisa, mais l’aigreur et le désir de rendre les coups qu’elle avait reçus étaient bien loin de l’envahir.

Non, seule la crainte qu’il ne la retrouve empêchait Elisa de trouver le sommeil ailleurs que dans les bras de Candy.



Tout était calme depuis son arrivée chez Candy mais la jeune fille n'était pas tranquille, elle savait que Jerry ne s'avouerait pas vaincu aussi facilement. Il la cherchait dans toute la ville.

Albert avait promis de trouver une solution pour la faire disparaître et que son mari ne puisse plus jamais la trouver ... mais comment faire ?

Un soir, Elisa était au salon. Elle attendait le retour de celle qui était devenue son amie. Elle se sentait toujours tellement plus rassurée lorsque Candy était avec elle. Elle redoutait être seule. Elle se sentait sans défense et préférait se terrer dans le noir.

Candy finit par revenir ce jour-là mais ses yeux verts montraient une sorte d'inquiétude qu'Elisa comprit instantanément ... Jerry !! Il l'avait retrouvée ... elle le lisait dans les émeraudes de Candy.

« Jerry ... ? »

« Je pense qu'il m'a suivie ... s'il arrive, tu te caches et tu ne sors sous aucun prétexte ... Echappe toi par la fenêtre s'il le faut ... Je m'occupe de lui. Tu m'entends ? »

« Mais Candy ... s'il te fait quelque chose ... »

« Ne t'en fais pas, je ... »

Mais avant que Candy puisse finir sa phrase, on frappa à la porte ...

« C'est lui ! Je le sais, je le sens !! »

« Cache toi ... J'y vais »

Et courageusement, Candy se dirigea vers la porte de l'appartement. Sans l'ouvrir, elle cria ...

« Vas-t-en !! »

« Ouvre Candy !! C'est un ordre ! »

Cette voix ... ce n'était pas celle de Jerry !! Candy ne l'avait entendue qu'une seule fois ... cette élocution rauque brisée par l'alcool ... mais jamais elle n'aurait pu l'oublier. L'homme derrière la porte n'était pas Jerry ... c'était Daniel ... ce maudit prétendant qu'elle avait rabroué un nombre incalculable de fois et qu'elle soupçonnait fortement d'être à l'origine de l'incendie du foyer Pony, utilisé comme intimidation pour faire revenir Candy en ville ... auprès de lui.

Candy ouvrit finalement la porte au frère d'Elisa. Elle n'était pas enchantée de voir ce misérable qui avait voulu la forcer à l'épouser, qui l'avait entraînée dans un piège et qui était responsable de la plupart des souffrances de son enfance ...

Si elle était désespérée d'avoir perdu Terry, Candy était cependant loin d'accepter la proposition de son ennemi de toujours.

Néanmoins, en dépit de sa répugnance pour l'individu, elle savait qu'il ne ferait aucun mal à Elisa ... elle le laissa donc entrer.

Mais Daniel n'était pas dans son état normal ... Avait-il encore fumé l’Opium ? Rien n’était moins sûr … ses yeux exorbités ne présageait rien qui vaille …

« Candy ... Je te le demande une dernière fois » Marmonna-t-il sans la saluer « Tu te marieras avec moi !! »

« Daniel, je t'ai déjà dit NON !! » Le toisa la jeune femme.

« Tu seras ma femme !!! » dit il en l'empoignant par le bras et la jetant sur le sol.

« JAMAIS !! » hurla-t-elle.

« Alors si tu n'es pas à moi, tu ne seras à personne !!! Je vais te rendre si laide que personne ne voudra jamais de toi !! »

Et d'un geste rapide, il sortit de sa poche une fiole de vitriol qu’il lança au visage de Candy »





« Oh mon Dieu !! » dit Charlotte dans un souffle en portant ses doigts à ses lèvres « Ce Daniel n'avait aucune mesure de l'horreur »

« Je pense qu'il avait franchi le seuil de la folie ... l'opium aidant. Je ne peux pas décrire la sensation que cette brûlure m'a faite sur la peau. Il n'y a pas de mots pour la définir. »

« Daniel a été arrêté après cela ? »

« Non, il n'est jamais ressorti de l'appartement ... »

« Comment ?? »

Cette histoire devenait insoutenable ... Charlotte perdait pieds.

« Il avait toujours un révolver avec lui depuis qu'il fréquentait les milieux glauques des bas fonds de Chicago et s'est tiré une balle dans la bouche après son terrible geste »

« Seigneur Dieu ... » souffla Charlotte.

Candice continua …

« Bien avant cette terrible journée de novembre, à l'époque de la fête et de l'incendie chez Pony, Terrence Grandchester avait regagné New York et avait promis le mariage à Susanna Marlowe. Celle-ci était aux anges, la date de la cérémonie était retenue mais Terry ne pouvait s'y résigner ... Candy hantait toujours ses pensées les plus intimes en dépit de la conversation qu'il avait eue avec Albert. Il était envahi par d'affreux cauchemars et était au bord de replonger dans la décadence qu'il avait connue quelques mois auparavant ...

Un article qu'il découvrit dans le journal peu après son retour à New York acheva de lui briser le coeur à jamais ...

Robert Hathaway l'avait appelé dans son bureau afin de mettre au point certains détails de leur prochaine mise en scène : Hamlet.

Au fil de leur discussion, Terry remarqua la pagaille du bureau et le nombre incalculable de journaux et illustrés qui jonchaient la pièce.

« Dis moi Robert » osa-t-il « Tu es un fervent lecteur de potins ! »

« Oh Terry, excuse moi de te recevoir dans un bureau si mal rangé, mais il est vrai que l'ordre et la méthode n'ont jamais été mes points forts. Figure-toi que je me fais fort de lire tous ces journaux pour ne pas manquer une ligne de ce qui se dit dans la presse concernant mes pièces et mes comédiens, alors forcément, cela fait pas mal de papiers qui traînent. La plupart de ces piles datent maintenant de plusieurs jours voire plusieurs semaines et il me faudrait les jeter. Ils n'ont aucun intérêt. Je ne conserve que ceux qui concernent la troupe et ceux-là sont déjà rangés ».

« Et bien je vais t'aider à les regrouper et à les évacuer, comme je suis là »

« Volontiers Terry, mais je ne voudrais pas abuser ... »

« Penses-tu ... » Et joignant le geste à la parole, Terry s'accroupit au sol et commença à regrouper les vieux journaux.

L'un d'eux attira tout à coup son attention et l'expression de son visage devint livide.

« Pas possible !! Pas elle ... Oh non pas ça. Tu ne peux pas me faire ça !!! » Dit il en froissant les pages du quotidien sous ses doigts rageurs qui s'étaient crispés.

« Terry, qu'est-ce que tu racontes ? » Demanda Hathaway.

Mais Terry ne l'entendait pas, il était trop absorbé par la photographie à la une du quotidien qui datait de quatre jours. C'était elle, sa douce Candy, son ange qu'il aimait tant, celle qu'il était parti rechercher à Chicago et qu'il n'avait pas trouvé le courage d'affronter. Cette même Candy allait lui échapper pour toujours, elle se fiançait ... mais avec qui ??

Affrontant sa propre douleur, Terry se hâta de lire l'article.

« Un membre de la famille Legrand ?? Mais qui est-ce ? De la famille Legrand, je ne connais que Elisa et ... Oh mon Dieu, Daniel !!! Ce n'est pas possible !! Pas lui, Candy ne peut pas être tombée amoureuse de lui. Et Candy ne pourrait pas se marier sans amour. Mais Daniel ... »

« Terry ? »

« Excuse-moi Robert, il faut que je parte ... »

Et Terry quitta en courant le bureau laissant derrière lui un Hathaway éberlué qui ne pouvait comprendre ce qui était passé encore une fois par la tête du lunatique comédien.

Il prit en mains le journal que Terry avait rejeté sur le sol.

« DES FIANCAILLES EN OR » disait le gros titre.

« Candice Neige André, la charmante héritière de Monsieur William ANDRE, richissime patriarche de Chicago, annoncera tout prochainement ses fiançailles avec un membre de la famille Legrand dont le prénom est encore tenu secret à ce jour ... »

« Quelle jolie fille ... » se dit Hathaway.




Terrence plongé dans l'abîme de ses souvenirs et de ses regrets, ne parvint alors plus à sortir de son esprit l'image celle qu'il croyait la future Madame Legrand ... Il retournait le problème dans tous les sens, se demandant s'il était encore possible d'inverser le cours des choses … Mais il était fiancé à Susanna … Candy était prête à tourner définitivement la page leur histoire … elle allait s'appeler tout prochainement Madame Candy Legrand … Rien que cette appellation donnait la nausée à Terry … Il ne pouvait y croire : Candy devenir une Legrand … Il y avait forcément une explication … Ses nuits étaient envahies de cauchemars où Candy octroyait ses caresses les plus intimes et ses baisers les plus passionnés à un homme qui n'était pas lui … et quand le visage de l'homme en question se tournait vers lui, il reconnaissait le repoussant Niel Legrand … Il entendait Elisa rire de son désespoir … Et le rêve se terminait toujours par l'apparition de Susanna qui avançait vers lui dans son fauteuil roulant … mains tendues … toujours empreinte de son regard doux et serein …

Terry se réveillait toujours en sursaut, complètement en nage.

« Je ne peux pas épouser Susanna ... À l'autel, je dirai non et partirai rejoindre Candy ... mais la pauvre Susanna, comment pourra-t-elle supporter ce rejet ? Elle qui a déjà voulu mettre fin à ses jours ... »

Le couple de fiancés Grandchester – Marlowe se disputait fréquemment avant même d'avoir connu la vie commune, à cause de Candy, à cause de l'accident, à cause de tout un tas de bonnes ou mauvaises raisons.

Susanna se heurtait chaque jour un peu plus au mutisme de Terry. Elle lui arrivait fréquemment de l'observer très longtemps alors qu'il ne se rendait même pas compte du poids de ses yeux. Le regard perdu dans le vague, il restait immobile et muet des heures durant lorsqu'il était en compagnie de celle qui allait partager sa vie entière prochainement.

La jeune infirme avait l'impression de voir l'incarnation du dégoût envahir Terrence à chaque fois qu'elle faisait allusion à leur futur mariage, à leur vie commune, aux enfants qu'ils auraient ensemble et plus encore lorsqu'elle parvenait par miracle à provoquer un soupçon d'intimité entre eux par l'effleurement de leurs mains ou par le bref baiser sur le front qu'elle lui mendiait à chaque fois qu'il lui rendait visite. Terrence s'était d'ailleurs demandé à plusieurs reprises de quelle manière il parviendrait à honorer son devoir d'homme marié dans ces conditions, tant sa future épouse n'inspirait chez lui absolument et définitivement aucun désir ! Plus Susanna se voulait enjouée et aimante, se disant que son optimisme finirait par déteindre sur son fiancé, plus Terry ressentait le besoin de s'enfuir en courant. Il se sentait pris au piège d'une cage imaginaire dont il ne pouvait s'échapper.

Susanna savait que ce mariage serait voué à l'échec mais elle ne pouvait se résoudre à y renoncer. Elle était obsédée par Terrence.

Lors de l'une de leurs disputes, Susanna lui lança à la tête qu'il n'était pas question qu'elle le libère de son devoir alors que Terry lui suggérait de remettre une nouvelle fois la date du mariage.

« Je préfèrerais te savoir mort plutôt que de te croire avec une autre ! »

Terry la prit alors au mot ...

Susanna tenait à se marier le 1er janvier 1916 pour célébrer la venue de l'an nouveau et le commencement de SA nouvelle vie.

Le 30 décembre 1915, aux lueurs du soir, Terrence Grandchester se saisit de sa plume … Il avait à écrire une pénible missive avant de dire un adieu ferme et définitif à son geôlier …

« Ma Chère Susanna,

Je n'ignore pas la peine que te causera le geste que je m'apprête à faire mais cette vie m'est devenue insupportable.

Le sort a voulu que nos destins se croisent et a permis que ton si doux regard se pose définitivement sur le personnage indigne que je suis.

Je ne peux nier que si je suis en vie aujourd'hui et en bonne santé, c'est à toi et à ton réflexe héroïque que je le dois. Je n'aurais jamais eu assez de mon existence pour te prouver ma gratitude éternelle. Ce cadeau que tu m'as offert sans que je le mérite me prouve toute la dévotion que tu me portes, bien que je ne sois qu'un ingrat incapable de te rendre pareil amour.

Je sais, Ma Chère Susanna, que j'ai fait couler maintes et maintes fois tes larmes depuis que nous nous sommes rencontrés. Sache que je n'ai jamais voulu toute cette tristesse pour toi et encore moins faire ton malheur. Je me déteste … mais une force en moi m'obligeant toujours à rester de marbre devant tes touchantes attentions et démonstrations d'affection, je ne peux qu'être chaque jour être le spectateur indifférent de la déception que je lis dans ton regard au fil du temps.

Devais-tu me sauver la vie ? Devais-je te consacrer la mienne en retour ? Y a-t-il un fautif ou un responsable dans toute cette histoire ? Quoiqu'il arrive, Susanna, ne te charge pas du fardeau de répondre à ces interrogations car s'il y a faute, c'est la mienne uniquement. Je fus sans doute lâche à une époque de ma vie de n'avoir affronté mes problèmes de manière différente et si aujourd'hui, je constate que nous nous insupportons mutuellement, il n'y a qu'à moi-même que je puisse le reprocher.

Le lâche que je continue d'être va t'abandonner aujourd'hui mais il exige que tu sois heureuse. Tu mérites tellement plus d'amour que ce que je peux te donner. Je ne peux continuer à vivre cette existence misérable alors que j'ai causé tant de chagrin à ces cœurs qui m'ont sincèrement aimé … ma mère … Candy … et toi, Ma Chère Susanna … vous êtes en droit de tellement me haïr …

Susanna, j'adresse à toi seule ces quelques mots d'adieu et me plais à croire que tu pourras oublier toute la peine que le maudit que je suis a pu te causer. Oserais-je te demander de bien vouloir me pardonner ?

Adieu, Ma Chère Susanna,
Eternellement à toi.
Terrence »

Terry roula ensuite jusqu'à Lakewood ... il découvrit la demeure où la femme qu'il aimait avait vécu durant son enfance.

Le lendemain, un paysan découvrit une carcasse de voiture calcinée. Les policiers arrivèrent sur les lieux ...

Susanna Marlowe, qui venait à peine de lire la lettre de Terry, fut prévenue immédiatement par télégramme, elle se précipita sur les lieux mais bien trop tard ... Terrence Grandchester est mort dans l'incendie de sa voiture. Un semblant de corps humain fut extrait des restes du véhicule ... sous le choc, Susanna s'évanouit. Nous sommes le 31 décembre 1915 ...
William Albert André avait toujours fuit les principes désuets de la haute société et les apparences étaient la dernière de ses préoccupations.

Il épousa Candy Neige le 04 janvier 1916. » Termina Candice.

« Votre sauveur de toujours, Albert, est donc bien devenu votre époux ... » commenta Charlotte.

« Oh oui ... et j'ai vécu à ses côtés des années de pure merveille. Mon Albert m'a rendue heureuse, il était le meilleur des hommes ... je regretterai toujours que nous n'ayons pas eu d'enfants ... » continua la vieille dame, une larme coulant sur sa joue ridée que Charlotte ne pouvait voir.

« Excusez moi de vous poser cette question mais ... vous avez pu oublier Terry ? Vous avez aimé votre mari aussi fort que vous l'aimiez lui ? ... Après tout l'amour que vous aviez éprouvé l'un envers l'autre, vous deveniez presque Roméo & Juliette. Vous aviez un tel besoin l'un de l'autre ... »

« Et oui Charlotte ... je comprends ta question mais je peux te répondre sans hésitation ... j'ai aimé mon mari et je l'aimerai jusqu'à mon dernier souffle. Il a été le grand amour de ma vie. »

La certitude imprégnait les paroles de Candice et Charlotte ne put donc mettre en doute ce qu'elle lui disait. Loin des yeux, loin du cœur et Candy avait fini par oublier l'amour que le destin lui avait arraché ... Comment avait-elle pu y parvenir ?

« Qu'est devenue votre amie Elisa après votre mariage ? Votre mari a-t-il pu trouver une solution pour la protéger de Jerry ? »

« Jerry était le moment d'expiation de ses fautes pour Elisa. Aurait-elle assez de toute sa vie pour réparer le mal qu'elle avait causé ? Je n'en étais pas sûre ... Tu devrais aller lui rendre visite, Charlotte ... cela lui ferait grandement plaisir »

« Elle vit toujours ? »

« Bien sûr, elle a le même âge que moi !! »

« Où est-elle ? »

« Rends toi sur les bords du Lac Michigan, à Lakewood. A l'ancienne demeure de la famille Legrand ... et tu la verras »

Intriguée, Charlotte partit le lendemain pour la vieille résidence des Legrand. Elle était abandonnée. Sarah et son mari étaient bien entendu décédés depuis très longtemps. Bien des décennies auparavant, la déchéance de leurs enfants avait provoqué leur départ vers l’autre bout du pays mais les avait tous les deux plongés définitivement dans la honte. Leur santé générale en avait été fragilisée et ils décédèrent relativement jeunes.

Comme elle s'y attendait, personne ne vint répondre à Charlotte quand elle sonna à la cloche rouillée du vieux portail. Il n'y avait pas âme qui vive aux alentours ... Peut-être Candice s'était-elle trompée ?

Cependant Charlotte tenait vraiment à vérifier. Elle n'avait pas fait un si long trajet pour ne pas explorer la piste jusqu'au bout. Elle escalada l'immense grille et se hasarda dans la propriété.

Elle ne tarda pas à apercevoir une grange. Etait-ce celle où logeait Candy enfant ? Elle entra dans l'étable ... Celle-ci était abandonnée, elle aussi, comme le reste du domaine qui était mangé d'orties et de chardons. Charlotte pensa soudain à Monsieur Durosier, l'aimable jardinier auquel Candice avait si souvent fait allusion.

« Le pauvre ... il ne doit plus être en vie depuis tout ce temps ... Que dirait-il en voyant le domaine ainsi ? »

L'étable était envahie par la poussière et les toiles d'araignée, la plupart des planches des anciennes stalles à chevaux étaient cassées et plus aucun animal n'y séjournait. Néanmoins, Charlotte s'y avança ... tout au fond, dans le coin le plus sombre, elle découvrit un lit ancien tout rouillé ...

« Candy ... » murmura-t-elle

Des larmes jaillirent de ses yeux en pensant quelle avait été l'existence de la jeune orpheline, plus de 80 ans auparavant ...

Elle entendit alors un bruit venant du parc. Elle ressortit de la grange et aperçut une dame d'une quarantaine d'années qui approchait en voiture pour se garer devant la maison.

Elle vit Charlotte ...

« Que faites vous là, Mademoiselle ? Qui êtes vous ? »

« Je voudrais voir Madame Legrand ... je suis l'infirmière de l'une de ses amies »

« Madame Legrand ? Une de ses amies ? Bon suivez moi »

Charlotte entra dans l'immense maison délabrée où il semblait que depuis des années, le temps s'était arrêté.

Elle suivit son guide au travers des couloirs et escaliers jusqu'à atteindre, au grenier, une mansarde sombre.

« Madame, une visite pour vous ... »

Charlotte pénétra dans la pièce et y découvrit une très vieille dame en fauteuil roulant, les jambes recouvertes d'une étoffe de tartan.

« Madame, je m'appelle Charlotte Graham. Vous êtes Elisa Legrand ? »

« Depuis de longues années, ma jolie » lui répondit la vieille dame sans la regarder.

« Votre amie Candice m'a parlé de vous alors je suis venue vous rendre visite »

« Cette chère Candy est toujours aussi charitable »

« Madame Legrand, pourquoi restez-vous seule ici ? Vous pourriez être accueillie à la même institution que Candy. Le temps vous paraîtrait moins long, voyons. Pourquoi restez-vous cloîtrée entre ces murs ? »

« Car c'est ici qu'il repose ... » répondit la vieille femme d’un ton mort.

« Qui donc ? » s'enquit Charlotte.

Elle attendit un instant, ne détachant pas les yeux de la fenêtre.

« Terry ... »

Et elle tourna la tête vers la jeune fille pour la première fois.

Charlotte aperçut alors ses yeux ... elle ne regarda que leur couleur en oubliant les rides de ses paupières.

« Ses yeux ... ils sont bleus ... Candice disait que ceux d'Elisa étaient marrons ... »

Charlotte se mit à observer la triste pièce où la vieille dame se terrait. Sur le mur à côté de son lit, elle la remarqua ... une très ancienne affiche de spectacle ... LUI ... c'est LUI ... Terrence Grandchester... C'est l'affiche de Roméo et Juliette – 1914 ...

« Vous dites que Terry repose ici, Madame ? »

« Là-bas ... » répondit-elle en désignant la fenêtre.

Charlotte regarda à travers la vieille vitre. Elle aperçut le Lac Michigan qu'une falaise et un arbre mort dominaient.

« C'est ici qu'il s'en est allé ... Terry ... Je ne le quitterai jamais »

Et la vieille dame fondit en larmes. Charlote mit ses mains sur les épaules usées de la nonagénaire ... son désespoir lui faisait peine.
Elle heurta à cet instant la jambe droite de la vieille femme et sous le tissu de la vieille couverture, elle distingua une texture curieuse ... Ce n'est pas sa jambe !! C'est ... une prothèse !!!

Charlotte n'hésite pas ... elle souleva la couverture pour vérifier sa pensée et fixa le regard azur qui lui faisait face.

« Vous n'êtes pas Elisa !!! »

« Qu'y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s'appellerait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu'il possède ... » récita l'aïeule.

Charlotte ouvrit des yeux immenses ... elle ne pouvait détacher le regard de cette ombre du passé qui lui faisait face ...

« Susanna Marlowe !!! »

« Partez Charlotte !!! Nous ne sommes que les fantômes d'une lointaine époque ... nous sommes tous morts ... partez vite !! Maintenant que vous savez où se trouve la frontière vers le monde de la folie ... »

Charlotte ne pouvait pas y croire. Il fallait qu'elle sorte ... elle se précipita vers la porte butant au passage contre un vieux meuble renversant une pile de vieilles feuilles de papier ressemblant davantage à des parchemins. Elle courut, courut ... vite, vite ... pour sortir de cet endroit.
Elle reprit sa voiture et fonça jusqu'à Chicago.
*************


« Candice !! » dit-elle, affolée, en entrant dans la chambre « Ce n'était pas Elisa à Lakewood !!! ... C'était Susanna Marlowe ... »

« Qu'y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s'appellerait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu'il possède ... »

Charlotte en était muette ... Susanna avait récité la même chose ...

« Mais qu'est-ce que ... Qui a cloîtré Susanna à Lakewood ? »

« Une fois remise de mes brûlures, j'ai rendu visite à Susanna qui ne se remettait pas du suicide de son fiancé la veille de leur mariage. Elle collectionnait les séjours hospitaliers. Mon visage était déjà caché mais la vue de mon bras brûlé et de mon échine courbée l'horrifia ...
Quand je lui ai confié les circonstances de mon accident, elle a été envahie par le repentir. Elle regrettait d'avoir enlevé Terry à mon affection car sans cela, rien ne serait arrivé. Ni le suicide de celui-ci, ni mon visage ...

J'ai compris qu'elle projetait de rejoindre Terry alors je lui ai remis un trousseau de clés. Elle devait se rendre à Lakewood, à la demeure des Legrand, qui à l'époque était déjà abandonnée. Suite à la disparition d'Anthony et celle d'Alistair, la Tante Elroy avait souhaité ne plus jamais entendre parler de Lakewood, quant aux parents Legrand … tu connais déjà les raisons pour lesquelles ils n’étaient pas près de réapparaître dans la région. Susanna pouvait se faire connaître sous le nom d'Elisa Legrand et nul ne lui poserait jamais de questions. De la fenêtre de ma vieille mansarde, elle pouvait observer l'endroit où Terry avait choisi de dire adieu à la vie ... Susanna n'a jamais quitté Lakewood depuis ce jour »

« Mais ... personne ne s'est jamais soucié de sa disparition ? »

« Sa mère était sa seule famille et elle a accepté de cautionner la perte d'esprit de sa fille. Je me dis bien souvent qu'elle aussi devait être fortement déphasée de la réalité. Elle l'a accompagnée pour veiller sur elle et à sa mort, Susanna a engagé la gouvernante que tu as dû rencontrer là-bas pour s'occuper d'elle »

« Mais alors ... qu'est-il advenu d'Elisa ? »


Candice retira à cet instant son éternel châle et Charlotte put découvrir pour la première fois le visage brûlé de son interlocutrice qui la regarda droit dans les yeux.

« Des yeux marron ... Vos yeux !!! »

« La vérité te ferait-elle peur, Charlotte ? Est-ce la laideur de mon physique ou la noirceur de mon âme qui t'effraie le plus ? M'imagines-tu avec des anglaises ? »

« ELISA !!! »

Charlotte se sentait défaillir ... Où était la vérité ? Où se cachait le mensonge ? L'invisible seuil de la folie la guettait-elle, elle aussi ? Elle se retrouvait aux prises avec une supercherie vieille de 75 ans ... Personne ne s'en était jamais rendu compte ...

Peut-être la vieille Candice, ou Elisa, elle n'était plus sûre de rien, avait-elle perdu l'esprit tout simplement et cette histoire était inventée de toutes pièces ...

Mais non ... Susanna ... Susanna était bien réelle ... et elle se cachait bien à Lakewood sous une fausse identité.

Elisa ... Susanna ... Pour percer le mystère, Charlotte devait découvrir ce qu'il était réellement advenu de Candy ...

« Me crois-tu maintenant lorsque je te dis que tu écriras un best seller ? L'histoire de Candy en vaut la peine, n'est-ce pas ? »

« Où est Candy, Elisa ? »

« Peut-être bien plus près que tu le penses ... regarde les yeux »

« Mais ... Co ... Que ... Qui a été brûlée par le vitriol apporté par Daniel ? »

« J'étais cachée dans l'unes des pièces de l'appartement, persuadée que Jerry y était entré. J'étais terrorisée et prête à m'échapper par la fenêtre. J'ai entendu des éclats de voix mais c'est celle de mon frère que j'ai reconnue ... alors j'ai ouvert la porte pour voir ce qui se passait. Candy savait que mon frère ne me ferait aucun mal, contrairement à Jerry, et c'est pour cela qu'elle lui avait ouvert la porte. Lui et moi avions une relation complice, presque incestueuse ...

Mais ce n'était pas pour me voir qu'il venait, il ignorait même que je me cachais chez Candy ... ma pire rivale de toujours ... J'étais prête à intervenir lorsqu'il s'en est pris à elle et quand il a sorti la fiole de vitriol, Candy était tombée sur le sol ... sans défense ... J'ai bondi hors de ma cachette pour arrêté Daniel dans son élan ... Surpris de me voir surgir, sans doute, il n'a pu stopper son geste à temps ... il m'a touchée et non Candy.

Je me souviens m'être mise à hurler, hurler ...

« Mon visage ... ça brûle ... Candy !!! Ça brûle »

J'ai ainsi hurlé pendant des secondes, des minutes ou des heures ... Je ne sais plus ... pour moi ça a duré des siècles ... Je me cachais le visage avec mes mains ...

Je crois que pour la première fois de sa vie, Candy se sentait complètement impuissante ... Elle ne savait que faire pour me secourir ... elle était encore assise sur le plancher du hall d'entrée ... moi étendue contre elle ... Je hurlais toujours ... Et elle ne pouvait qu'observer l'acide crépiter sur ma peau ... sans savoir ce que ce dément était encore capable de lui faire à elle ...

Mon frère ne bougeait plus ... Il regardait son œuvre ... J'étais la personne qu'il aimait le plus au monde. Je crois que je l'avais toujours dominé et je pense qu'en quelque sorte, il me vénérait ...

Il s'est passé quelques minutes, interminables pour moi ... quand mon frère réalisa la gravité de son acte et ce qu'il avait fait de moi ... Il a sortit un révolver de sa poche.
J'ai entendu crier Candy ...

« Niel !!!!! NON !!!! »

Il l'a mis en bouche et il a tiré ... J'entends encore la détonation raisonner à mes oreilles ... Elle vient toujours me réveiller la nuit …

Candy m'a alors mis la peau sous l'eau froide en attendant les secours que le voisin était parti chercher ... Elle m'a fait une injection pour que je perde connaissance tant ma douleur était insupportable ...
Quand je me suis réveillée à l'hôpital, j'avais ce visage que tu observes en ce moment ... Mais à partir de ce jour, je me suis sentie bien plus belle qu'auparavant. »

Et Elisa remit son châle sur son visage, redevenant pour toujours et aux yeux de tous, Madame Candice André.

Charlotte savait qu'elle ne lui raconterait plus rien. Il lui fallait trouver elle-même ce qu'était réellement devenue Candy Neige.

« Seigneur ... Elisa est devenue Candice il y a 75 ans ... Comment pourrais-je retrouver la trace de la vraie Candy ? En imaginant qu'elle soit toujours vivante ... »

Charlotte se lança dans la rédaction définitive de l'histoire que lui avait confiée la véritable Elisa Legrand.

Comme elle fut trouvée dans la neige, elle s'appela Candy Neige ...

Les Legrand étaient une illustre et ancienne famille, disposés à adopter la petite fille ...

Je m'appelle Anthony Brown ... Anthony ... Ne meurs pas Anthony ...

Tâches de Son ... Dites moi aussi que je suis jaloux de votre nez ...

La jeune Candy parvint à dompter le cœur de l'aristocrate rebelle ...

Terry ... Candy ... Terry, quand nous reverrons nous ?

Terrence dit adieu à son adolescence ... adieu ma Tâches de Son

C'est bien elle ... elle n'a pas changé et comme son uniforme lui va bien
Je n'aurai pas besoin de retraverser l'Atlantique pour la revoir

Laisse moi savourer cet instant ... Je voudrais que le temps suspende son envol

Candy, je t'aime, tu seras ma femme !

Jamais, Daniel !! Oh Terry, tu me manques ...

ELISA !! ...

C'est Jerry, il m'a battue ...

Daniel !! NON !!
Charlotte rédigeait ... elle ne pouvait cesser d'écrire mais l'épilogue de cette histoire lui échappait toujours ... Qu'était devenue Candy ?

Celle-ci avait offert son identité à sa pire ennemie, Elisa ... C'est Elisa qui épousa Albert sous le nom de Candice Neige. C'est elle aussi qui rendit visite à Susanna Marlowe après le suicide de Terry. Elle voulait que Susanna puisse contempler de ses propres yeux les résultats de son égoïste comportement. Son attitude possessive envers Terrence Grandchester avait entraîné une succession en chaîne d'évènements tragiques. Peut-être était-ce les dernières bribes d'Elisa qui restaient en elle, qui lui disaient de cracher ce qu'elle appelait « La Vérité » au visage de la jeune infirme désespérée ...

Mais peut-être, finalement, lui offrait-elle une échappatoire ? Susanna aussi avait besoin de devenir quelqu'un d'autre ... elle avait perdu Terry et ses agissements lui avaient attiré la honte et un sentiment de culpabilité qui la rongeraient jusqu'à son dernier souffle. Il lui devenait pour toujours impossible de supporter être Susanna Marlowe ... Elle devint donc Elisa Legrand.

Albert était au courant bien sûr de la supercherie.

Il avait promis de protéger Elisa de Jerry, son mari brutal, qui voulait la tuer. La meilleure solution était qu'elle disparaisse ... pour toujours.

Même si la piste de Jerry le conduisait un jour sur les traces de l'officielle Elisa Legrand, jusqu'à Lakewood, il n'y trouverait que Susanna Marlowe ... et Albert avait fait garder la propriété durant de nombreuses années afin d'apporter la dernière touche de crédibilité à cette mascarade ...

Jerry tenta plusieurs fois sans succès de pénétrer dans la vieille demeure des Legrand mais son alcoolisme finit par prendre le dessus sur sa volonté de récupérer sa femme ... son obsession pour Elisa était toujours présente en lui mais il ne tarda pas à sombrer ... définitivement.

Après les mauvais traitements infligés par Jerry, Elisa ne put jamais concevoir d'autres enfants. Elle resta marquée à vie par les souffrances physiques et morales dont l'avait accablée pendant des mois son rustre mari ... mais également par la perte de son frère. En quelque sorte, sa propre moitié lui avait été amputée et même s'il était responsable de la brûlure de son visage, il lui manqua pendant toute sa vie.

Devenue Madame Candice André, elle vécut aimée du meilleur des hommes et elle le rendit heureux. Elle fut une épouse exemplaire, remerciant chaque jour le ciel de le lui avoir fait rencontrer.

Le couple n'eut pas d'enfants mais ... en 1944, leur furent confié deux jeunes adolescents qui avaient perdus leurs parents et qui les comblèrent de bonheur pendant de nombreuses années.

« Je soussignée Flanny Hamilton, saine de corps et d'esprit, déclare établir mes dernières volontés comme suit :
...
Si mes deux enfants devaient se retrouver orphelins, je désire qu'ils soient confiés aux bons soins de mon ancienne condisciple de l'Hôpital Sainte Joanna (Chicago – Illinois USA), Candice Neige André.
...
Contrairement à ce qu'elle pourrait penser, elle m'a appris énormément de mon métier et de la vie ... elle sera digne d'élever mes enfants ... elle est la seule véritable amie que j'ai eue ... »

Elisa décida de prendre comme un cadeau de la vie l'arrivée des deux enfants de Flanny. Elle était devenue Candice, elle agirait en tant que telle. Elle et Albert saisirent leurs responsabilités à bras le corps. Ces enfants feront leur fierté ... Ils quitteront plus tard les Etats-Unis pour rejoindre l'Afrique et Médecins Sans Frontières.

Charlotte finit d'écrire la dernière phrase de son roman ... sans fin. Jamais elle ne pourrait le publier ainsi. Il manquait une pièce à ce puzzle. Celle qu'elle croyait depuis le départ la véritable héroïne de cette histoire avait brutalement disparu. Elle avait perdu sa trace le 04 janvier 1916 ...

« Mon Dieu, il y a 74 ans ... qu'est-ce qu'elle aurait pu devenir ? Son amour mort, Elisa heureuse avec Albert ... Elle ne pouvait plus fréquenter sa meilleure amie Annie, qui était devenue Madame Cornwell au début de l'année 1916, car elle aussi devait croire que Candy était bien la dame défigurée qui tenait le bras de William Albert André ... Où es-tu allée Candy ? »

« Candy et Terry n'ont jamais quitté mon esprit un instant pendant toutes ces années » lui avait dit Elisa pour terminer son récit.

Candy ET Terry ... ?




Les semaines passèrent et Charlotte tournait en rond. Elle était incapable de finir son bouquin. L'état d'Elisa se détériorait, après tout elle approchait des 93 ans.

Charlotte devait faire vite. Il lui fallait trouver la réponse à l'énigme car il lui était indispensable qu'Elisa voit le livre terminé, édité, publié.

Elle lui avait offert cette histoire même si elle ne lui appartenait pas complètement. Charlotte refusait de se résoudre à ce qu'Elisa ne lise jamais le résultat définitif ...




Arrivèrent les beaux jours et les Graham s'apprêtaient à fêter l'anniversaire de leur aînée, Carla.

Charlotte et sa mère s'activaient à rendre la maison impeccable, elles briquèrent le moindre recoin, de la cave au grenier.

Charlotte avait regroupé dans plusieurs caisses toute une série d'objets de décoration que sa mère ne souhaitait plus garder à la salle de séjour et à la cuisine. Elle entreprit de les monter au grenier où des tas de vieilleries, dont les Graham refusaient de se séparer définitivement, étaient déjà entassées.

Elle arriva dans la sombre pièce éclairée par une ampoule qui pendait lamentablement à un fil électrique.

Dans la pénombre, Charlotte heurta un énorme carton, déposé sur le coin d'un vieux bureau, qui se retourna sur le sol poussiéreux. Elle remarqua plusieurs objets qui devaient avoir appartenus à ses grands parents ou arrières grands parents. Elle en reconnaissait certains, d'autres pas.

Mais l'un d'eux attira plus particulièrement son attention ... Une poupée.

Un prénom y était inscrit ...

« L'une d'elle s'appellera Candy ... comme la poupée qui l'accompagne »

« Seigneur ... » Souffla Charlotte.

Elle serra la poupée contre son cœur ... la terre lui sembla tourner autour d'elle comme une folle ... ses idées se mettaient en place.

« Cette poupée ... Grand Ma !! » Se dit-elle.

Les paroles d'Elisa lui revinrent en mémoire.

« Candy est peut-être bien plus proche que tu le penses. Regarde les yeux »

« Des yeux verts !!! Grand Ma a les yeux verts !!! »

Elle se précipita hors du grenier, descendant les escaliers quatre à quatre, la poupée à la main. Sans un regard derrière elle, Charlotte bondit dans sa voiture et fonça droit au « Jardin des Lilas ».




Elle entra dans la chambre d'Elisa qui était installée dans son vieux fauteuil. Sans tourner la tête vers elle, la vieille dame lui demanda :

« Alors Charlotte Graham, tu as retrouvé Candy ? »

« Candy est mon arrière grand-mère, n'est-ce pas Elisa ? Elle a les yeux verts comme elle ... J'ai retrouvé sa poupée d'enfance »

« Je t'avais dit qu'elle était bien plus proche de toi que tu ne voulais le voir. Il te suffisait d'observer. Dis moi, elle a été heureuse ... comme elle le méritait ... n'est-ce pas »

« J'ai toujours vu Grand Ma sourire ... chaque jour de sa vie depuis que je la connais ... elle est comme la Candy de votre histoire ... toujours pleine de vie et aimée partout où elle va ... je n'arrive pas à croire qu'elle ait eu un jour le cœur brisé par un amour perdu. Elle aime tellement mon arrière grand père ... même à leurs âges, on dirait deux collégiens par moments ... »

« Quelle est la première lettre du prénom de ta Grand Ma, Charlotte ? C ... je ne me trompe pas ? C comme Carla ... C comme Candy »

« En effet, mais où voulez-vous en venir ? »

« Et quelle est le prénom de ton arrière grand père ? »

« Théo ... Oh mon dieu !!! T !!! Comme Terry !! »

« Les initiales du Terry de mon souvenir étaient T.G.G. »

Charlotte était suspendue aux lèvres de la vieille Elisa.

« Terrence Graham Grandchester » termina Elisa.

« Graham ... »




Cet après-midi là, la jeune infirmière Charlotte Graham tint sa promesse envers sa protégée.

« Quand les beaux jours seront là, je vous emmènerai en promenade » lui avait-elle juré quelques mois plus tôt.

Charlotte, poussant le fauteuil roulant de Madame Candice André, demanda au médecin chef l'autorisation d'emmener la patiente en dehors de l'établissement.

Il faisait très beau en ce mois de mai et le médecin accorda la promenade à la vieille dame. Après tout, il savait en lui-même qu'elle descendait la dernière pente de sa vie et que son plus pénible combat était toute cette solitude accumulée que Charlotte était parvenue à égayer.





« Qu'est-ce qui te ferait plaisir mon aimée pour ton anniversaire ? » demandait à cet instant Théo Graham à son épouse qu'il aimait comme au premier jour.

« Plus rien ne pourrait davantage me combler de bonheur que la vie que tu m'as offerte » lui répondit-elle « J'ai eu l'existence et la famille dont j'ai toujours rêvé ... avec toi ... grâce à toi et je n'ai plus besoin de rien.
Nous avons tenu notre promesse de devenir ensemble deux vieux croulants qui compareraient leurs petits maux et regretteraient l'époque révolue où ils se poursuivaient à travers les prés »

« Nous ne sommes pas encore tellement croulants, après tout. On est encore bon pied bon œil, Tâches de Son, enfin surtout moi ... » La taquina-t-il.

« Dis donc toi !!! Tu veux que je te montre que tu n'es plus aussi vaillant qu'autrefois » Lui dit-elle en le menaçant de sa canne en ivoire « Ecoutez moi le jeune premier ici !! »

Elle posa sa tête sur l'épaule droite de son mari qui était assis à côté d'elle sur le canapé et il lui encercla les épaules de son bras.

« Je t'aime, Monsieur Graham » dit-elle.

« Je t'aime aussi » lui répondit-il en lui soulevant le menton de sa main gauche ridée pour la regarder dans les yeux « Tes yeux ont toujours la couleur de l'émeraude et tu es aussi belle que quand tu avais 14 ans ... même si tes tâches de son ont disparu »

Et il la serra contre lui. Ils ne disaient rien, comme cela leur arrivait très fréquemment. Ils restaient comme ça, seuls, l'un près de l'autre ... ensemble tout simplement, au calme de leur chaleureuse demeure.

Elle interrompit leur silencieuse étreinte.

« Je me demande toujours où elle est, si elle vit toujours ... et ce qu'elle a pu devenir »

« Elisa ... »

« Non ... Candice »

« Tu sais ma chérie, le monde entier est un théâtre et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Durant notre vie nous jouons plusieurs rôles ... » Récita-t-il.

Une voix s'éleva de l'entrée du salon.

« Comme il vous plaira – William Shakespeare ... Candice a été le meilleur rôle de ma vie »

Le couple sursauta ... Charlotte se tenait dans l'embrase de la porte du salon, devant elle, il y avait une vieille dame assise dans un fauteuil roulant.

« Seigneur ... » souffla Carla en se levant, suivie dans son élan par son mari « Après tout ce temps ... »

« 74 ans, Candy » répondit Elisa.

Carla se pencha vers le fauteuil ... vers son ancienne amie ... ennemie ... de quelle époque devait-elle se souvenir ?

Elle ôta le châle qui recouvrait le visage de ce fantôme de son passé.

« Grand Ma ... » voulu l'interrompre Charlotte d'un ton doux « Elle déteste qu'on lui enlève son voile »

Mais Charlotte comprit que cette remarque, quoique bienveillante de sa part, était superflue. Elle devina sans un mot qu'un seul être sur cette terre était autorisé à regarder de l'autre côté du voile, ce voile qui interdisait à quiconque de pénétrer à l'intérieur de ses plus anciens démons.

Cet être privilégié était son arrière grand-mère, Carla.

Les deux vieilles femmes se regardèrent intensément ... de la haine à l'amour ... le poids des années n'avait en rien détruit ce qu'elles avaient construits entre elles sur quelques jours seulement ... à l'hiver 1915.

« J'ai toujours voulu savoir ce que tu étais devenue ... si tu avais trouvé ton bonheur avec Albert ... » Dit Candy à Elisa.

« Albert a continué à veiller sur vous » répondit-elle au vieux couple qui lui faisait face « De très loin ... mais il se tenait informé de votre santé, votre bonheur ... nous avons appris la naissance de chacun de vos enfants ... ce qu'ils sont devenus ... vos petits enfants ... et puis votre arrière petite fille. Puis mon Albert m'a quittée, il y a une quinzaine d'années ...

Tu sais, Charlotte, je n'ai pas été surprise lorsque j'ai appris que tu étais devenue infirmière et je n'ai pas choisi de résider au Jardin des Lilas par hasard ... »

« Comment ? Vous saviez que j'étais infirmière là-bas ? Vous êtes venue pour moi ? »

« Tu sais les petites enquêtes discrètes mais permanentes de mon Albert sur ses deux protégés favoris, Candy & Terry, m'ont laissé des petites manies ... de tout savoir et tout connaître.
Mais crois moi, ma petite fille, quand je t'ai vue pour la première fois, je n'ai eu aucun mal à te reconnaître ... Tu es tout le portrait de ton arrière grand-mère ».

La voix d'Elisa se brisait, s'affaiblissait. Charlotte savait qu'elle était gagnée par l'émotion. Elle aussi laissa couler ses larmes.

Elisa regarda le vieil homme au regard iridescent qui lui faisait face. Ses yeux bleu vert n'avaient pas changé mais ses cheveux avaient blanchis.

« Je ne vais pas te dire que tu n'as pas pris une ride ... ce serait te mentir ... mais je croyais que tu étais mort dans l'incendie de ta voiture, Terry Grandchester » Lui demanda malicieusement la vieille dame, qui connaissait déjà l'explication qu'allait lui donner son ami de jeunesse.

« Disons que j'avais un ami qui avait d'excellentes relations, un ancien employé du Zoo de Blue River que j'avais connu à Londres ... Il s'avérait finalement qu'il était un tout puissant patriarche de Chicago. Il me fallait disparaître et renoncer à mon existence pour être libre de vivre avec la femme que j'aimais. J'ai offert mon identité à un homme déjà mort dont le cadavre a brûlé dans l'incendie de ma voiture le 31 décembre 1915. Pour l'année nouvelle, je devenais Théo Graham, grâce aux papiers que m’avait fournis ce même ami, et partais avec Carla, ma jeune épouse, à la découverte du monde. Nous avons voyagé pendant de nombreuses années avant de nous poser à nouveau sur la terre ferme »

« Mais Grand Pa ... Comment as-tu franchi le cap d'entreprendre toute cette supercherie ? »

« Ma Chérie, je pense que chacun y trouvait son compte d'une certaine manière ... La menace de Jerry planait sur Elisa et il aurait suffit de la moindre négligence d'Albert pour que cette brute lui remette la main dessus.

Quant à Susanna, elle avait déjà perdu l'esprit à cette époque. J'avais compris que son obsession pour moi était basée non pas sur le simple fait de m'avoir à elle mais plutôt sur celui de me savoir à jamais séparé de Candy ... Si je l'avais quittée pour revenir auprès de celle que j'aimais, je suis certain qu'elle aurait mis fin à ses jours ou nous aurait empoisonné l’existence ... la meilleure solution si je voulais la garder en vie était de lui laisser croire à ma mort. Dans son esprit malade, elle devenait la dernière femme de ma vie pour l'éternité et cela lui suffisait. J'espérais qu'avec le temps, elle reprendrait le dessus et une existence plus normale ... »

« Tu te trompais, Grand Pa. Elle a continué à chérir le culte de ton souvenir ... Je l'ai vue »

« Elle est toujours à Lakewood ? » S'inquiéta Terry.

« Elle y était jusqu'il y a quelques semaines ... elle est décédée peu de temps après ma visite »

« La pauvre » dit Candy en se signant « Paix à son âme. Je regrette d'avoir eu à lui faire tellement de mal ... Elle méritait autre chose »

« Tu as fait le bon choix, Candy » lui certifia Elisa « Il aurait été plus pénible pour elle de vous savoir heureux ... loin d'elle »

« Pauvre Susanna » répéta Candy en séchant une larme au coin de son œil « C'est elle qui a eu à jouer le plus triste rôle. Je n'ai cessé de prier pour son bonheur ... mais mes vœux n'ont pas été entendus »

« Ne te reproche rien, ce rôle c'est elle-même qui se l'était choisi ... celui de rester prisonnière d'un fantôme. La vie n'épargne pas tout le monde, Candy et tu ne peux rien y changer ... »



Charlotte put terminer enfin la rédaction de son premier grand roman.

« Telle est la véritable histoire de mon arrière grand-mère, Candy Neige André ... Mais je n'ai pas l'impression de la découvrir car elle est telle qu'elle était et qu'elle sera toujours, pétillante de joie et de bonheur ... son rire répandant la gaieté sur son passage.

Grand Ma s'était appelée dans une autre vie Candy Neige ... elle est maintenant Carla Graham. Mais comme le disait si justement la Juliette de Shakespeare : « Ce que nous appelons la Rose embaumerait tout autant sous un autre nom ».

Candy Neige était une rose et jamais le poids des années ne l'avait vue se flétrir. Elle resterait pour toujours la petite Juliette aux tâches de son du Collège Royal de Saint Paul.

Terrence Grandchester ne regretta jamais un jour d'avoir offert sa vie entière à Théo Graham, celui-ci serait sans nul doute le plus Grand Rôle de toute sa carrière.




Les éditeurs s'arrachèrent la publication de cette épopée ...

Un matin de septembre, Charlotte se précipita au Jardin des Lilas pour en offrir le tout premier exemplaire à celle avait été, selon elle, le véritable maître du jeu.

Elisa regarda un long moment la couverture cartonnée de l'épais bouquin ... Il contenait le scénario de toute sa vie.

« De l'autre côté du voile, par Charlotte GRAHAM. Félicitations ma petite fille ... Tu es la bien digne héritière de ton arrière grand-mère. Tu as atteint ton but sans te détourner de la route que tu t'étais tracée »

« C'est bien grâce à vous, Elisa »

Elisa ouvrit le livre pour en lire la dédicace de l'auteur.

« A Candy, Elisa et Susanna ... Trois femmes, Trois cœurs, Trois destins liés »

Elisa le referma.

Charlotte préféra la laisser seule.

« Candice ? »

« Oui ... »

« Je me souviens d'une phrase que vous m'avez dite ... »

« Hum ... » murmura la vieille dame distraitement.

« Elisa aurait-elle assez de toute sa vie pour expier le mal qu'elle avait causé ? ... »

« Et ? »

« Je pense qu'elle y est parvenue ... »




Le livre de Charlotte s'arracha aux quatre coins du pays ... Certains pensaient qu'il tenait bien plus de la fiction que de la réalité, mais qu'importe ... Après tout, sur quel principe repose donc la notion de vérité ou celle de folie ? Charlotte l'ignorait et jamais, jamais, elle ne chercherait la réponse. Elle en savait déjà bien assez.

Le destin s'était acharné sur Terry, Candy, Susanna et Elisa. Chacun avait commis des fautes mais le bonheur était à la portée de leurs doigts ... Certains d'entre eux étaient parvenus à le saisir.




Charlotte entra comme une folle cet après-midi là dans le hall d'entrée du Jardin des Lilas. Son roman lui avait valu les plus élogieuses critiques et elle venait de recevoir la plus heureuses des nouvelles qu'elle tenait à partager avec celle qui lui avait promis gloire et honneurs et qui avait tenu parole. Elle l'appelait « Mon Egérie » lorsqu'elle en parlait aux journalistes désireux de connaître la source d'inspiration du chef d'œuvre littéraire de la jeune Charlotte.

« Candice !! Candice !!! Je l'ai eu !! » Scanda-t-elle en entrant dans la chambre.

Mais elle trouva la vieille dame couchée sur son lit. Elle avait retiré son châle et sa peau abîmée était moite malgré la fraîcheur ambiante du mois de novembre. Elle était fiévreuse et ses yeux étaient fermés.

Charlotte s'assit sur le bord du lit étroit et prit la main de sa vieille amie.

Celle-ci ouvrit les yeux.

« Charlotte ... » dit-elle faiblement, d'une voix presque inaudible.

« Oh Candice ... ça ne va pas ? »

« Je vais rejoindre mon Albert, ma petite fille. Mais je t'attendais ... ma jolie ... car je voulais te voir ... »

Charlotte comprit que son amie allait la quitter très bientôt. Elle serra ses doigts au creux des siens.

« Je l'ai eu, vous savez Candice. Vous aviez raison ... »

« Tu vois ... Tu en étais capable. »

« Merci Candice ... merci pour tout »

« C'est moi qui te dit merci, Charlotte ... Sache que tu as été la meilleure amie de Candice André ... mais ... garde toujours une petite prière pour Elisa Legrand, elle en aura besoin à son heure dernière, tu comprends ... elle fait encore partie de moi »

« C'était elle votre plus Grand Rôle ... »

La vieille femme ferma les yeux et sa respiration s'interrompit.

Bien qu'elle s'y préparait, Charlotte ne put retenir un cri ... elle dit adieu à Madame Candice André dont elle recouvrit le visage de son inséparable voile.

« Adieu, Elisa Legrand, et merci ... merci pour ce Pulitzer »


FIN

 


© Fatalzmarion 2008