Après la guerre
Par Drusilla Dax

Chapitre 5

Un agréable séjour



Tandis qu'Albert aidait Soeur Maria avec le contenu des sacs qu'il avait rapportés afin de célébrer le rétablissement de Candy, ceux qui se trouvaient dans la cuisine commençaient tout doucement à réaliser qu'après toutes ces années de relative tristesse, Candy et Terry allaient enfin vivre ensemble et fonder une famille.

'Candy va bien nous manquer ici,' remarqua Mlle Pony, 'mais son bonheur est le plus important. C'est toujours un réel plaisir de voir un de nos enfants grandir et avoir une vie agréable. J'avais peur que Candy ne finisse par gâcher sa vie ici. Elle avait dépensé bien trop d'énergie afin de nous cacher ce qui lui manquait pour qu'elle ait pu continuer encore longtemps au même rythme. C'est très certainement pour cette raison qu'elle est tombée malade.'

Albert grogna et donna un coup de tête au placard devant lequel il se trouvait.

'M. André !' s'exclama Soeur Maria.

'Je vais bien, ma soeur.'

'Albert !' le gronda Patty en utilisant son ton d'infirmière stricte.

'Je suis un imbécile. J'aurais dû voir que quelque chose n'allait pas avec Candy. Quel ami pitoyable je fais !' répondit-il.

'Vous n'êtes un homme, après tout, M. André,' fit la nonne en lui tapotant le dos.

Il cligna des yeux à plusieurs reprises. La nonne était vraiment une femme étonnante.

'Je suis censé être un ami, presque un grand frère. Je suis son tuteur et j'ai été terriblement égoïste,' ajouta-t-il.

'Peut-être ne peux-tu donner un nom aux sentiments que tu éprouves. Peut-être n'était-ce pas vraiment de l'amour que tu éprouvais pour elle,' déclara Annie dans un murmure.

'Je suis perdu, et ce n'était certainement pas de l'amour, autrement j'aurais jeté Granchester hors d'ici et hors de l'état,' fit Albert en s'asseyant entre Annie et Eléonore.

'Il est bien évident que je ne sais rien de vous, M. André,' intervint Eléonore, 'mais le fait que c'est mon fils qui veille sur le sommeil de Candy en ce moment même peut avoir de nombreuses significations. Peut-être est-elle votre meilleure amie et peut-être avez-vous prit ce sentiment pour quelque chose d'autre. Peut-être l'aimiez-vous, mais peut-être l'aimiez-vous assez pour ne désirer que son bonheur. Le sacrifice peut...'

Elle ne finit pas sa phrase.

'Madame ?' fit-il, soudainement inquiet que le voyage ne l'ait fatiguée plus qu'elle ne le pensait.

Elle le regarda, les yeux étrangement brillants.

'Tous les hommes ne sont pas comme Lord Granchester. Heureusement,' déclara-t-elle énigmatiquement. 'Dites-moi, maintenant que vous savez qu'elle ne va pas mourir et qu'elle est heureuse, votre coeur est-il déchiré à tel point que respirer est une véritable torture ?'

Il la regarda au fond des yeux et analysa ses sentiments.

'Non, Madame. Une partie de moi a honte d'avoir été aussi stupide, une autre veut protéger Candy, et une autre encore veut tout faire pour lui faire plaisir et organiser un magnifique mariage,' fit-il.

'Alors, si vous arrivez à respirer, je pense que ce que vous éprouviez n'était pas de l'amour,' fit Eléonore, presque dans un murmure.

'Comment savez... ? Que... ? Pardonnez-moi. Ce ne sont pas mes affaires,' fit Albert.

'Lorsque j'ai été forcée de quitter mon fils, chaque seconde était une agonie. Il m'est revenu grâce à Candy,' elle s'interrompit et posa le bout de ses doigts sur sa bouche.

'Qu'y a-t-il, Madame ?' demanda Patty.

'J'avais oublié le père de Terry ! Avant qu'il ne se marie et ait un autre fils, la plus grande partie de ses possessions devait revenir à Terry selon ses volontés. J'ignore à quel arrangement Terry et son père sont parvenus. Il se peut qu'il ne cautionne pas son choix,' fit-elle.

'Pourquoi ?' s'étonna Annie.

'Parce que Candy est une orpheline,' répondit Eléonore.

'Peut-être, mais elle est ma parente aujourd'hui,' fit Albert, prêt à défendre le bonheur de Candy.

'Et les André ne sont pas exactement pauvres,' ajouta Soeur Maria.

Eléonore prit une profonde respiration et dit, 'Cela conviendra peut-être à son altesse.'

Albert sourit et retourna à ses fourneaux.

Ils discutèrent de petits riens, et de ce qui pourrait faire plaisir à Candy pour son mariage.

Soeur Maria s'occupa du goûter et apporta un plateau aux enfants. Emma trouva cependant le moyen de se faufiler dans la cuisine et elle finit sur les genoux d'Eléonore, grignotant son gâteau.

Quand Mlle Pony renvoya finalement la petite fille à son petit dortoir, elle vola un baiser à l'actrice. Cette fois-ci, seul Albert vit la tristesse passer dans les yeux d'Eléonore, et il hocha simplement la tête.

Patty alla vérifier que Candy allait bien et elle revint en rougissant très légèrement. Tandis qu'Albert faisait revenir des légumes, elle dit aux autres dans un murmure qu'elle les avait tous deux trouvés endormis dans les bras l'un de l'autre. Elle avait enveloppé Terry dans une couverture. Cela lui avait semblé si naturel de les voir ensemble qu'elle avait décidé de les laisser dormir tranquillement.



'Terry ?'

Il bougea légèrement.

Soudain il se souvint où il était et qui il tenait dans ses bras.

Il réagit un peu trop vite et trop violemment et il manqua tomber du petit lit.

Candy fit extrêmement attention de se contenter d'un tout petit rire, afin de ne pas se remettre à tousser.

Elle le serra tout contre elle avec le bras qui n'était pas immobilisé entre elle et lui.

'Soif,' murmura-t-elle.

Il manoeuvra jusqu'à atteindre le verre d'eau qui se trouvait sur la table de chevet, et il le porta aux lèvres de Candy.

'Je me sens beaucoup mieux,' fit Candy.

Terry reposa le verre sur la table, et posa sa main sur le front de Candy.

'Presque plus de fièvre... Bien,' murmura-t-il.

Il baisa son front, et elle l'étreint.

'Patty me tuerait si elle nous voyait,' dit Terry.

'Mais, non. Tu me tiens chaud, et tu es le meilleur remède que j'ai jamais eu.'

Terry rougit.

'Je me sens vraiment mieux, et je crois que j'ai plutôt faim,' fit Candy.

'Veux-tu que j'aille à la cuisine et que je te ramène un peu de soupe ?'

'Non, je crois que j'aimerais que tu m'aides à aller jusqu'à la cuisine,' dit-elle.

'D'accord, Tache de son,' répondit Terry.

Il se leva et trouva la robe de chambre et les chaussons de Candy. Il l'aida à les passer et il l'enveloppa dans la plus chaude couverture qu'il put trouver.

Lorsqu'elle fut convenablement emmaillotée, Terry la prit dans ses bras et alla à la porte avec elle dans ses bras.

'Je pourrais marcher, Terry !' protesta-t-elle.

'Ne me gâche pas mon plaisir, Tache de son !'

Elle sourit et l'aida en ouvrant la porte.

Le couple entra dans la cuisine au moment où Albert annonçait que tout était prêt pour leur petite fête.

'À point nommé. Excellent, Terry !' dit Eléonore.

Terry sourit et s'assit sur la chaise qu'Archie avait amenée pour lui avec Candy sur ses genoux.

'Il semblerait que notre dîner afin de célébrer ton rétablissement va se transformer en une double célébration,' dit Albert.

Candy rougit tout en souriant.

Son bonheur rendait tous ses amis heureux.

'Je veux que tu saches que tout ce que tu pourrais désirer pour ton mariage t'est accordé d'avance,' dit Albert.

'Cela va tuer Elisa,' ricana Archie.

'Nous n'aurions pas cette chance,' fit Annie sans la moindre trace de charité.

'Les démons ont la peau dure,' ajouta Patty, avec encore moins de charité.

Candy était sur le point de rire, lorsque Terry la serra contre lui et dit, 'Attention, ou tu vas encore tousser.'

Elle hocha la tête.

'Merci, Albert,' fit Candy.

'Je ne veux que ton bonheur, et jusqu'à ce que tu deviennes Mme Granchester, c'est mon devoir,' ajouta-t-il, un large sourire éclairant son visage.

Candy rougit encore.

Elle avait si faim que son estomac leur rappela bruyamment qu'elle n'avait pas fait un vrai repas depuis longtemps.

Ils aidèrent tous à dresser la table et les enfants envahirent la cuisine.

Eléonore s'assit à côté de son fils, qui avait finalement installé Candy sur une chaise à côté de lui pour qu'elle puisse dîner tranquillement. Emma se faufila encore à côté d'Eléonore.

Albert se retrouva à côté d'Emma.

Eléonore entendait ses amis l'appeler Albert, pour les enfants il était William, tandis qu'il était M. André pour Soeur Maria et Mlle Pony.

L'actrice décida d'imiter les deux aînées.

'Vous pourriez m'appeler par mon prénom. Après tout, nous allons devenir parents,' dit-il.

'Lequel de vos prénoms ?' murmura-t-elle par-dessus la tête d'Emma.

Il cligna des yeux.

'Hé bien, pour Candy et Terry, je suis "Albert", si cela vous convient, Madame,' suggéra-t-il.

'Mais ce n'est pas votre véritable prénom.'

'Non, Madame.'

'Alors je vous appellerai William. J'aimerais que vous cessiez de m'appeler "Madame", cela me donne l'impression d'être une douairière,' ajouta-t-elle.

'Comme vous voudrez, Mlle Baker.'

Eléonore soupira et Emma gloussa.

'Elle voulait dire que vous pouvez l'appeler par son prénom aussi,' dit la petite fille.

Albert cligna encore des yeux.

Il rougit la première fois qu'il l'appela "Eléonore".

'Qu'est-ce que c'est une dou... douai... ?' demanda Emma.

'Douairière,' répéta Eléonore lentement. 'D'habitude, c'est une dame plutôt âgée.'

'Ce n'est pas vous du tout !' s'exclama Emma.

Eléonore lui sourit.

Les enfants adorèrent leur petite fête et leur joie réchauffa le coeur d'Albert.

Annie et Patty essayèrent de demander à Candy ce qu'elle aimerait pour son mariage, mais leur amie était bien trop occupée par son assiette et elle ajouta qu'elle avait besoin d'un peu de temps pour y penser.

Pour une fois, Candy fut la première à aller se coucher et, comme prévu, Terry resta avec elle.

Les enfants étaient épuisés après toutes les émotions qu'ils avaient connues dans la journée et le festin qu'ils venaient d'avaler, aussi furent-ils envoyés au lit peu de temps après.

À l'heure convenue, Watson revint à la Maison de Pony chercher Archie et Annie. Les hommes furent surpris lorsque Annie ordonna à Archie de rentrer à la maison avec Albert.

Les dames entendirent Albert commenter le fait que la voiture des Cornwell n'était pas si petite que ça et elles virent Archie hausser les épaules.

Watson rit le plus discrètement qu'il put.

Pendant le trajet, Annie dit à Eléonore qu'elle pouvait compter sur elle pour tout. Elle avait l'impression d'avoir été une mauvaise amie parce qu'elle n'avait pas remarqué que Candy avait encore des sentiments pour Terry, et elle était bien décidée à aider Candy et Terry.

Eléonore lui dit qu'il faudrait qu'elle téléphone à New York afin de dire à leur régisseur ce qui se passait. Annie lui dit qu'elle pourrait faire ça immédiatement après le petit déjeuner et elle ordonna à Watson obéir à leur invitée.

Annie dit également à Eléonore qu'elle espérait qu'elle ne lui tiendrait pas rigueur d'avoir invité Albert d'une façon aussi étrange. Annie avait le sentiment que son parent était un peu trop perdu et qu'un peu de compagnie lui ferait du bien. Elle ajouta qu'il pourrait également se retrouver seul à faire face au reste de la famille si elle le laissait rentrer chez lui, et elle pensait que ce serait une trop grande épreuve après avoir eu peur de perdre Candy.

Eléonore eut droit à une présentation complète de toute la famille André. À son tour, elle fit le portrait de Lord Granchester, et Annie découvrit à quel point le père de Terry pouvait être détestable.


Cette nuit-là, lorsque Candy se réveilla, elle vit un nombre incroyable de couvertures sur son lit. Terry dormait à côté d'elle, mais au-dessus de la plupart des couvertures.

Le mince rai de lumière lunaire qui perçait au travers des rideaux illuminait le visage de Terry et elle sentit son coeur battre plus vite.

Après toutes ces années, après des séries tragédies et de drames, il allait être à elle. Enfin.

Elle se sentait stupide de ne pas être restée en contact, ou de ne pas avoir lu les journaux. Pourtant, elle allait maintenant être heureuse avec l'homme qu'elle aimait.

Terry enfoui son visage dans son cou et sa barbe naissante la chatouilla.

'Dors, Tache de son, nous avons tout le temps de penser aux erreurs passées,' fit-il à moitié endormi.

Pour une fois, elle obéit.

Quand Eléonore téléphona à New York, elle dit à leur régisseur ce qui se passait. Puisqu'il avait besoin d'Eléonore et de Terry dans leurs répétitions, il ne protesta pas trop malgré le retard que leur absence allait entraîner.

Avant de raccrocher, Eléonore insista sur le fait que les fiançailles de Terry devaient être gardées secrètes, et le régisseur donna sa promesse.

Deux jours plus tard, la nouvelle se trouvait déjà dans le journal local qu'Archie tendit à son invitée au petit déjeuner.

'Quelqu'un va mourir,' déclara Eléonore, ce qui les fit tous trembler.

Ils savaient qu'elle était simplement en colère et qu'elle voulait protéger son fils unique, mais ils étaient heureux à l'idée qu'ils ne seraient pas présents lorsqu'elle découvrirait qui avait vendu cette information à la presse.

Terry ne fut pas très content quand Eléonore lui apprit ce qui s'était passé. En rougissant légèrement, il dut expliquer à Candy qu'il avait un certain nombre d'admiratrices et qu'elles allaient très certainement réagir plus ou moins violemment. Terry était certain que ces femmes n'allaient pas beaucoup aimer Candy.

Candy rit doucement et déclara que maintenant que Terry était tout à elle, personne ne les séparerait.

Eléonore leur offrit un large sourire tandis que Terry cligna des yeux à plusieurs reprises. Archie tapota l'épaule de Terry et murmura quelque chose au sujet du mariage.

Il fallut moins d'une semaine pour que Candy se rétablisse, et lorsqu'ils commencèrent à planifier leur retour à New York, Terry remarqua qu'Emma commençait à dépérir.

Il invita sa mère à faire une petite promenade pendant laquelle il l'encouragea à suivre son coeur et à adopter Emma.

'Que diraient les gens ?' demanda-t-elle.

'Nous préoccuper de ce que les autres pourraient dire a gâché nos vies pendant des années. Pourquoi devriez-vous rentrer dans une maison vide ?'

'Comment pourrais-je m'occuper d'elle ?' déclara Eléonore dans un soupir.

Terry lui dit un seul mot.

'Candy.'

Eléonore courut presque jusqu'à la Maison de Pony afin de demander à sa future belle-fille si elle accepterait de l'aider avec Emma.

Candy se contenta se sourire largement, et elle appela Albert, qui proposa immédiatement toute l'aide légale qui pourrait être apportée par les nombreux avocats qui travaillaient pour lui.

Albert quitta discrètement la Maison de Pony afin d'aller téléphoner en ville.

Les adultes avaient convenu de ne rien dire à Emma avant qu'ils ne soient certains que tout irait bien.

'M'aiderez-vous pendant que je travaillerai avec Terry ?' demanda Eléonore. 'Un jour, vous aurez votre propre famille et je ne travaillerai certainement pas toujours avec lui.'

'Si ce que nous sommes en train de préparer arrive, à ce moment-là elle deviendra votre fille, ce qui fera d'elle ma soeur. Je serai ravie de vous aider. De plus, la vie à la Maison de Pony m'a appris à me sortir de toutes sortes de situations,' précisa Candy.

Eléonore comprit que Candy avait raison et elle commença à rêver avoir une fille.

Albert ne revint que le soir et annonça que la garde serait accordée à Eléonore d'ici quelques semaines.

'À ce moment-là, je pourrais revenir la chercher,' proposa Candy.

'Ou je pourrais l'accompagner à New York,' intervint Annie.

'Certainement pas !' s'exclama Archie.

Ils se tournèrent tous vers lui, et il ajouta avec un large sourire, 'Pas sans moi !'

Mlle Pony avait les yeux brillants de larmes, et Soeur Maria faisait face à l'évier où elle ne faisait pas la vaisselle.

À suivre...

© Drusilla novembre 2005