Après la guerre
Par Drusilla Dax

Chapitre 4

Futurs meilleurs



'M'épouser ?' fit Candy.

Terry hocha la tête avec enthousiasme. 'Oui, Candy, je veux t'épouser. Je t'aime toujours et je veux vivre avec toi.'

La porte de la chambre de Candy s'ouvrit d'un seul coup et Terry ne regarda même pas la personne qui venait d'entrer en courant dans la pièce. Il se contenta de tendre la main afin d'interdire à quiconque pourrait essayer d'empêcher Candy de lui répondre de dire ne serait-ce qu'une seule syllabe et il ne quitta pas des yeux son adorable Candy.

'Oui, Terry, la réponse est oui,' murmura-t-elle.

Terry se retourna finalement vers l'intrus et la surprise le fit couiner.

'Mère !' fit-il dans un soupir.

Eléonore Baker se tenait à quelques pas du lit de Candy. Elle avait posé sur sa bouche une élégante main gantée.

'Oui ?' demanda-t-elle finalement à Candy.

La blonde convalescente répéta sa réponse.

Eléonore s'assit sur le lit à côté de son fils et de Candy, et elle les enlaça tous deux avec beaucoup de tendresse. L'actrice caressa la joue de son seul et unique fils et ce dernier rechercha la main de sa mère tel un chaton avide d'affection.

Terry avait l'impression que son coeur était sur le point d'exploser.

Il avait trouvé le moyen de devenir acteur et ce en dépit de son père qui désirait que son fils premier né, celui qu'il avait à peine désiré, mais qui était son héritier, suive la voie qu'il lui avait personnellement tracée dès sa naissance. Le Duc de Granchester avait oublié de prendre en compte le sang d'Eléonore qui coulait dans les veines de Terry.

Il s'était réconcilié avec sa mère après des années de haine à l'état latent, tant qu'il avait cru qu'elle l'avait abandonné au profit égoïste de sa carrière. Il comprenait maintenant que c'était son propre père qu'il devait remercier pour son enfance presque sans mère.

Il était un homme honorable, parce qu'il était resté aux côtés de Suzanne. Elle lui avait pardonné toutes ses erreurs.

Maintenant.

Maintenant Terrence Granchester allait enfin être heureux.

Il n'existait aucune reconnaissance pour son art qui aurait pu résister à la comparaison avec la perspective qui lui était désormais offerte de lier sa vie avec le grand amour de sa vie, la délicieuse et adorable Candice Neige André.

La vie était agréable. Enfin.

'J'ai toujours voulu une fille,' fit Eléonore en reportant toute son attention vers Candy.

'J'ai toujours voulu une mère,' confessa Candy, sur le point de pleurer.

Les yeux étrangement brillants, Eléonore se pencha vers Candy et prit la jeune femme dans ses bras.

Terry essuya une larme sur sa joue et caressa l'impeccable chevelure de sa mère. Il trouva l'épingle de son chapeau et la débarrassa de cet accessoire de mode. Il se demandait quoi en faire lorsque Soeur Maria vint à son secours et le lui prit des mains.

'Vous êtes en train de ruiner votre maquillage, Mère,' murmura doucement Terry.

Eléonore prit un mouchoir brodé dans la poche de son manteau et elle s'essuya les yeux. 'Ce n'est pas important, Terrence. Ce ne sont que de la poudre et du rouge. Cela n'est rien en comparaison de votre bonheur,' déclara-t-elle le plus sérieusement du monde.

'Veuillez m'excuser, mais Patty pourrait bien vous gronder si elle vous voit tous si émus, tandis qu'il a été clairement dit que Candy doit se reposer le plus possible,' leur fit remarquer la nonne.

'N-non, elle ne nous grondera pas,' déclara Candy entre deux sanglots.

À point nommé, Patty entra dans la chambre.

Après le départ de Terry du théâtre où ils répétaient tous deux, Eléonore avait confié la responsabilité du bien-être du chat de son fils à l'actrice qui jouait Ophélie. Ensuite, elle avait suivi Terry jusqu'à l'orphelinat. Evidemment, il lui avait fallu plus de temps afin d'arriver dans le Michigan, mais après tout Eléonore Baker était une dame, pas une aventurière comme son fils.

En ville, Eléonore avait demandé son chemin, ainsi qu'un moyen de transport afin de se rendre à la Maison de Pony. Ce fut le postier Phillips qui proposa encore son aide. Il lui demanda si elle était une autre amie de Mlle Candy, et un simple hochement de tête fut suffisant pour que le fonctionnaire des postes lui offre de la conduire à l'orphelinat.

Ni Candy, ni Terry n'avaient entendu cette nouvelle arrivée devant l'orphelinat, mais Soeur Maria l'avait entendu. Elle ouvrit la porte et mena l'actrice jusqu'à la chambre de Candy.

Soeur Maria rapporta à ceux qui étaient restés dans la cuisine qui venait tout juste de se joindre à leur petit groupe.

Tandis que les autres se demandaient s'il serait indélicat de les interrompre et de vérifier que Candy allait bien, Patty, qui considérait être l'infirmière particulière de Candy, décida que si Soeur Maria était allée les rejoindre, sa place était également aux côtés de Candy.

À l'instant même où elle pénétra dans la pièce, le sourire serein de Terry lui annonça la bonne nouvelle, et elle leur offrit un large sourire.

La chambre de Candy fut bientôt envahie par l'ensemble des pensionnaires de la Maison de Pony, ainsi que ses invités, et ils versèrent pratiquement tous quelques larmes.

Tout à coup, l'un des jeunes anges dont Mlle Pony avait la charge se mit à pleurer plus que les autres.

Eléonore la regarda. C'était une poupée de porcelaine aux courts cheveux blonds et aux grands yeux bleus. Elle avait l'air jeune, mais Eléonore devina qu'elle devait déjà avoir huit ou neuf ans, et elle avait perdu toute son innocence d'enfant.

Étant une mère tout d'abord, l'actrice prit la petite fille dans ses bras et caressa ses cheveux.

'Il ne faut pas tant pleurer, mon tout petit,' fit-elle chaleureusement.

La petite fille regarda la dame qui la tenait dans ses bras et qui incarnait le rêve de tout orphelin, et elle lui demanda entre deux sanglots, 'On va pas perdre notre Boss ?'

'Boss ?' s'étonna Eléonore.

Toujours dans les bras de Terry, Candy lui fit un petit signe de la main (celle que Terry ne tenait pas serrée dans les siennes), et pour faire bonne mesure elle ajouta un petit sourire d'excuse.

Eléonore ferma les yeux et secoua légèrement la tête, mais elle continua à sourire. Elle acceptait complètement Candy telle qu'elle était.

Elle se concentra à nouveau sur la petite fille et déclara en articulant distinctement, 'Non, vous n'allez pas perdre votre Boss.'

La petite fille fit extrêmement attention aux intonations d'Eléonore, et elle articula minutieusement ces mots en silence.

'Que va-t-il lui arriver ? Pourquoi pleurez-vous ?' demanda-t-elle, imitant la diction d'Eléonore.

Eléonore se tourna vers son fils et Candy, et tous deux lui firent imperceptiblement oui de la tête.

'Nous pleurons parce qu'elle va devenir ma fille,' annonça Eléonore.

Depuis longtemps déjà, Archie avait décidé de dissimuler ses larmes en se cachant derrière la chevelure de sa femme, tandis qu'Annie lui tapotait le dos affectueusement.

Patty avait trouvé refuge dans les bras de Soeur Maria et Mlle Pony était entourée par les autres orphelins et elle n'avait pas assez de bras.

'Allez-vous l'adopter ?' demanda la petite fille.

'Non, Emma, elle a accepté de m'épouser,' lui répondit Terry.

'Oh...' la petite Emma ne finit pas sa phrase.

'Qu'y-a-t-il qui vous dérange ?' Eléonore lui demanda dans un murmure que seule Emma put entendre.

Elle avait senti la petite fille se raidir dans ses bras.

De nouvelles larmes coulèrent sur les joues d'Emma.

'Je savais que les grandes filles ne sont pas adoptées,' répondit la petite dans un murmure. Elle n'osait pas se blottir contre Eléonore, de peur de souiller son coûteux manteau.

Cela brisa le coeur d'Eléonore.

Elle prit le menton d'Emma dans sa main et lui dit doucement, 'Il y a toujours de l'espoir.'

Emma scruta son visage afin de déterminer s'il y avait là quelque trace de ces mensonges que les adultes sont si prompts à dire aux enfants, et tout particulièrement aux orphelins. Elle ne trouva nulle trace de cela, et elle accepta qu'Eléonore la serre sur son coeur.

Les larmes de joie séchèrent rapidement et furent remplacés par de grands sourires.

Patty reprit finalement le rôle qu'elle s'était elle-même assigné et elle posa la paume de sa main sur le front de Candy afin de vérifier sa température.

'Candy a encore besoin de sommeil,' annonça Patty. 'Je veux que vous sortiez tous de cette chambre, au moins pour les deux prochaines heures.'

Tandis que Candy était sur le point de protester, Patty lui lança un regard noir et menaça de lui donner quelque chose pour la faire dormir si elle n'était pas raisonnable. Candy se souvint de ne pas glousser juste à temps afin d'éviter une nouvelle quinte de toux.

'Si tu promets de ne pas la déranger tandis qu'elle se repose, tu peux rester,' fit Patty en s'adressant à Terry.

Il lui offrit un joyeux sourire et s'installa confortablement sur le lit en gardant Candy dans ses bras.

Patty n'avait aucun doute qu'avec un tel oreiller son amie allait se reposer magnifiquement.

Ils furent enfin laissés seuls.

Candy regarda Terry et était sur le point de parler quand il plaça ses doigts sur ses lèvres pour l'empêcher de se fatiguer.

'Patty a raison. Tu dois te reposer. Je vais veiller sur ton sommeil et nous pourrons parler quand tu te réveilleras. Maintenant que nous nous sommes retrouvés, nous avons toute la vie devant nous,' fit-il.

Elle hocha imperceptiblement la tête, en ne bougeant pas de sa poitrine et elle laissa la musique des battements du coeur de Terry la bercer tendrement.

La respiration régulière de Candy était le plus doux et merveilleux son qu'il avait jamais entendu.

Mlle Pony raccompagna ses orphelins à leur petit dortoir tandis qu'Eléonore Baker était invitée à se mettre à son aise et qu'on lui offrait une tasse de thé.

De complètes présentations furent faites, puis Soeur Maria demanda à Eléonore pourquoi elle avait suivi son fils.

'Je pourrais prétendre que j'ai fait cela uniquement dans la but d'éviter d'avoir à m'occuper de son insupportable chat, mais je l'ai fait parce que je connais mon fils mieux qu'il ne le croit,' fit Eléonore. Elle but un peu de thé et poursuivit, 'Je n'ai jamais été vraiment enchantée de ses premières fiançailles,' ils remarquèrent tous qu'elle n'avait pas prononcé le nom de Suzanne. 'J'ai respecté son choix. C'est mon fils. Parfois il m'arrivait de voir quelque chose dans son regard, et j'ai compris qu'il avait encore des sentiments pour Candy - même après toutes ces années. Quand il est parti si rapidement, j'ai su qu'il aurait besoin de moi, si quelque malheur avait dû arriver à Candy. Il n'éprouvait que du respect pour... pour Suzanne, et sa mort a pourtant été une terrible épreuve dont il ne s'est remis que lentement et péniblement. Je ne voulais pas imaginer comment il aurait réagi si Candy...' elle n'acheva pas sa phrase et but encore un peu de thé.

Archie décida qu'un sujet plus léger serait sans doute le bienvenu pour eux tous, et il demanda à Mlle Baker s'il pouvait l'inviter, ainsi que Terry à rester chez lui et Annie.

Elle accepta chaleureusement son offre, mais lui fit remarquer qu'il serait maintenant pratiquement impossible de faire quitter la chambre de Candy à Terry.

'Je suis ure qu'il dormirait sur le sol si besoin était !' s'exclama Patty avec affection.

Maintenant que Candy était hors de danger, elle trouvait cette situation des plus romantiques, ce qui fit sourire ses amis.

'Qui va dormir sur le sol ?' demanda Albert, qui se tenait sur le pas de la porte, les bras chargés de paquets.

Soeur Maria se leva pour l'aider avec les sacs remplis de bonnes choses qu'Albert était allé chercher en ville comme promis.

Il y eut un silence embarrassé.

Annie et Archie avaient le regard fixé sur leurs genoux.

Soeur Maria et Mlle Pony étaient bien trop attachées au jeune homme et ne savaient comment aborder le sujet.

Patty se racla la gorge et fit, 'Terry va veiller sur Candy.'

'Pourquoi serait-il le seul à avoir cette responsabilité, je vous prie ?' demanda Albert.

Il était à la fois perdu et en colère.

La réponse à sa question lui fut froidement donnée par Eléonore, qui se leva et déclara, 'Parce que Candy a accepté de l'épouser. Cette raison est-elle suffisante pour vous, jeune homme ?'

Albert regarda l'apparition angélique qui venait de parler.

Il rougit et la regarda la bouche ouverte.

Albert finalement bougea les lèvres, mais sans parvenir à produire le moindre petit son.

'Plus fort, mon petit !' lui ordonna Eléonore.

'L'épouser ?' couina Albert, sa voix ressemblant à celle d'un mulot qui venait d'être piétiné.

'Oui, mon garçon. Cela vous pose-t-il un problème ?' poursuivit Eléonore, prête à défendre le bonheur de son fils.

Albert fit non de la tête, mais il pâlit et s'appuya contre le mur.

'Je suis simplement surpris,' parvint-il à dire. Eléonore le fusilla du regard, et il ajouta en toute hâte, 'Madame.'

'C'est bien, mon petit !' fit-elle, assez satisfaite de cette démonstration de pouvoir. 'Me serait-il maintenant possible de savoir qui vous êtes ?'

Patty dit "Albert", Annie "William" et Mlle Pony "M. André".

La porte était restée entr'ouverte et ils entendirent tous un joyeux petit rire. Emma était ressortie pour savoir ce qui se passait dans la cuisine en dépit des instructions de Mlle Pony.

Son intervention permit aux adultes d'oublier quelques-unes de leurs tensions. Eléonore fit un clin d'oeil à la petite fille et lui fit signe de les rejoindre.

Quelques explications plus tard, Eléonore avait officiellement obtenu la main de Candy pour son fils.

Albert n'arrivait pas à croire qu'il venait d'accepter les fiançailles de sa jeune charge, de plus ses sentiments pour Candy étaient encore trop troubles pour lui permettre de pleinement comprendre ce qui était en train de lui arriver.

Soeur Maria finalement dit à Emma qu'elle devait se reposer avant le goûter, et elle quitta avec regret les genoux d'Eléonore.

'Espoir et foi, petite,' murmura l'actrice dans l'oreille d'Emma.

Le sourire plein d'espoir que lui valurent ces simples mots brisa le coeur d'Eléonore, sans qu'elle en sache la raison.

Ce fut Albert qui résolut ce mystère à sa place.

Le chef de la famille André l'avait observée avec attention et il déclara, 'Au contraire de Terry, qui doit certainement ressembler à Lord Granchester, elle pourrait être le portrait de la fille que vous n'avez jamais eue.'

Eléonore fut surprise, mais elle savait qu'Albert avait exactement mis le doigt sur ce qui la dérangeait.

La petite fille aurait pu passer pour sa fille, si ce n'était qu'elle était trop maigre et trop triste.

Eléonore se demanda si elle était aussi émue parce que son voyage l'avait fatiguée, parce que son unique enfant avait enfin trouvé le bonheur et qu'elle se sentait seule, ou bien encore pour une autre raison.

Pourtant, la poupée blonde qui avait un tel besoin d'amour l'émouvait plus qu'elle ne l'avait été en plus d'une décennie.

Elle ne remarqua pas vraiment qu'elle avait presque hypnotisé Albert, mais c'était peut-être parce qu'elle avait l'habitude d'être entourée d'une foule d'admirateurs.

Leurs réactions à tous deux n'échappa cependant pas aux autres.

Annie, Archie et Patty savaient qu'Eléonore avait réussi à impressionner grandement Albert. Elle était une femme très forte, mais - c'est le moins qu'on puisse dire - sans comparaison aucune avec la tante Elroy.

Mlle Pony et Soeur Maria commençaient à espérer que Mlle Baker puisse retourner à New York avec deux blondes au lieu d'une seule.

À suivre...

© Drusilla novembre 2005