LES PROMESSES NON TENUES
par Dinosaura




CHAPITRE 5


Etendu sur son lit, les bras repliés derrière la tête, Terry se morfondait. Le sommeil le fuyait, comme d’habitude, et plus encore depuis qu’il avait arrêté de boire. L’essentiel de ses nuits était consacré à la fustigation de ses erreurs et au remord qui le rongeait. Pour la première fois depuis plusieurs jours, il ressentait à nouveau l’envie de boire. Il avait besoin de retrouver non pas l’ivresse mais l’absence de sensations que lui procurait l’alcool. Peut-être alors la honte qui ne le quittait plus s’effacerait-elle. La honte et le dégoût de soi sont des sentiments qu’on éprouve quand on est sobre, pas quand on est ivre. Et il ne supportait plus l’image qu’il avait de lui-même, ni surtout celle qu’il voyait dans les yeux de Candy.

Le regard qu’elle avait eu ce soir après qu’il ait été aussi méchant avec elle le hantait encore. Elle ne s’était plus présentée au dîner et Terry avait quitté la table dès qu’il avait compris qu’elle ne voulait pas se retrouver face à lui. Quelle dérision ! Durant toutes ces années où il s’était noyé dans l’alcool, il aurait tout donné pour la retrouver. Pour vivre avec elle quelques semaines de bonheur. Aujourd’hui cette chance lui avait été donné mais il n’avait plus le droit de la saisir. Il s’était lui même ôté tout espoir de retrouver les tendres sentiments qui les avaient unis autrefois. Il n’était plus digne d’elle ! Il n’était plus qu’un loque humaine, juste un objet de pitié et non d’amour.

Son regard se tourna vers la table de nuit. Il serait si facile d’oublier ! Quand il s’était retiré dans sa chambre, il y avait trouvé Georges qui l’attendait. Sans un mot, celui-ci lui avait tendu un de ces sacs en papier marron que Terry ne connaissait que trop bien. Un de ces sacs où les marchands d’alcool emballent les bouteilles de whisky.

« Pourquoi ? Avait-il demandé.

- C’est ce que vous voulez, non ? Prenez cette bouteille et videz la Monsieur Granchester. Quand vous serez ivre mort, je vous ramènerai dans la ruelle où je vous ai trouvé, et tout ce désagréable épisode n’aura jamais existé.

- C’est pour la protéger, n’est-ce pas ?

- Ma présence ici n’a jamais eu d’autre but. Je savais que cette tentative était vouée à l’échec. Je n’ai accepté d’accompagner Melle Candy que pour la protéger. Il était évident qu’elle n’aurait pas la force physique nécessaire pour vous maîtriser pendant vos crises de manque, surtout maintenant. Mais je n’imaginais pas que vous pourriez la faire souffrir autant. Sortez de sa vie, et elle pourra se tourner vers l’avenir.

- Et si je refuse ? Demanda Terry.

- Comme vous avez refusé la première opportunité que je vous ai laissée ? Alors c’est elle qui vous quittera, un jour où l’autre. Elle ne pourra pas supporter votre cruauté éternellement. Ayez au moins la décence de vous effacer de votre plein gré. C’est ce que vous pourrez faire de mieux pour elle. »

L’homme de confiance des André lui avait jeté un regard plein de dédain et était sorti, laissant l’acteur seul avec ses vieux démons. Pourtant la bouteille était toujours intacte. Terry avait joué un instant avec l’idée de la briser contre la porte qui venait de se refermer, mais le doute avait été plus fort que l’orgueil. Il avait rangé l’alcool dans sa table de nuit où il se trouvait encore.

Tout d’un coup, il n’en pouvait plus. La solution se trouvait là à portée de main. Il lui suffisait d’ouvrir cette bouteille, et tout serait terminé. Il sortit du lit et prit l’alcool dans le tiroir. Il retira le bouchon et huma l’odeur qui s’échappait du goulot. Il ne s’attendait pas à la nausée qui s’empara de lui et releva la tête. Au dehors l’orage qui avait menacé toute la journée faisait rage. Le tonnerre et les éclairs se disputaient le ciel, augmentant la confusion du jeune homme. Il porta le la bouteille à ses lèvres avec hésitation, ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant. Il ferma les yeux comme un nouveau coup de tonnerre éclatait. Dans la maison silencieuse, un bruit inhabituel arrêta son geste. Quelqu’un criait. Il tendit l’oreille et un nouveau cri retentit, dominant celui de l’orage. Candy ! Sans réfléchir, il se précipita de l’autre côté du couloir, laissant tomber la bouteille de whisky dont le contenu se répandit sur le tapis.

Il n’hésita qu’un instant avant de pousser la porte de la chambre de la jeune femme, mais celle-ci n’était pas fermée à clef. Peut-être était-ce le tonnerre qui continuait à se déchaîner qui fit qu’elle ne l’entendit pas. Dans l’embrasure de la porte, Terry l’observa fasciné, qui nouait les pans de sa robe de chambre autour de son corps menu. Elle se dirigea ensuite vers la lampe à pétrole mais elle tremblait au point de pas réussir à l’allumer. Il s’approcha sans bruit et elle sursauta quand il lui prit les allumettes des mains. Une douce lumière inonda bientôt la pièce Mais Candy n’avait toujours pas prononcé un mot.

Elle fixait Terry avec des yeux vides, comme si son intrusion dans ce monde dont elle sortait et qui lui faisait si peur, avait quelque chose d’incongru.

« Candy ? Interrogea-t-il d’une voix douce. Tu vas bien ?

- Oui... Je.... Pourquoi es-tu dans ma chambre ?

- Je t’ai entendu crier. Tu es sûre que çà va ?

- C’était juste... Un mauvais rêve. C’est terminé maintenant. Tu peux retourner te coucher. Merci de t’être inquiété. »

Elle se tourna vers la fenêtre occultée comme un nouvel éclair zébrait le ciel et projetait sa lumière crue à travers les interstices des volets. Candy eut un cri étouffé et fit instinctivement un pas en arrière. Elle posa les mains sur ses oreilles pour assourdir le bruit du tonnerre qui suivit. L’inquiétude de Terry était à son comble. Il la connaissait trop bien pour savoir qu’elle n’était pas le genre de femme à s’effrayer pour un orage, aussi violent soit-il. Elle lui cachait quelque chose, et il était bien déterminé à savoir ce dont il s’agissait.

Il s’approcha et posa les mains sur ses épaules dans un geste qu’il voulait rassurant, mais Candy se dégagea aussitôt comme s’il l’avait brûlée. Ce rejet le blessa au plus profond de l’âme. Malgré leurs différents, malgré tout ce qu’il avait pu lui dire de blessant au cours des derniers jours, il ne supportait pas de la voir dans cet état, perdue et affolée. Il voulu la rattraper par le bras et l’attirer à lui et une grimace de douleur se peignit sur le visage de la jeune fille. Mû par une impulsion, il lui prit le poignet et remonta sur son bras la large manche du peignoir. La lumière était suffisante pour qu’il distingue les boursouflures et les cicatrices qui marquaient sa chair du coude jusqu’à l’épaule.

Effaré, Terry ne réagit pas quand elle se libéra et rajusta sa manche jusqu’au bout de ses doigts délicats. Les bras ballants, il resta immobile à la contempler tandis que la vérité se faisait jour dans l’esprit du jeune homme.

« Tu m’as menti ! Balbutia-t-il enfin la voix éteinte. Tu n’escortais pas un convoi de blessés, tu en faisais partie ! Voilà pourquoi tu as été rapatriée avant la fin de la guerre !

- Je ne t’ai pas menti, protesta faiblement Candy. C’est toi qui as supposé que j’étais l’infirmière qui s’occupait des blessés. Je n’ai juste pas démenti ce que tu croyais. Tu n’étais pas très loin de la vérité, après tout.

- Comment est-ce arrivé ?

- Nous avons pris le train pour transférer des blessés dans un autre hôpital, mais... La voie ferrée a été bombardée... Le train a déraillé.... Il y avait des obus qui éclataient tout autour de nous et le feu s’est déclaré... J’étais coincée sous les débris, je ne pouvais pas bouger... »

La voix de la jeune femme se faisait de plus en plus hachée au fur et à mesure qu’elle parlait et ses yeux sans expression fixaient un point derrière Terry comme s’il n’était pas là. Il comprit que bouleversée par leur dispute de tout à l‘heure, il avait suffit que l’orage se déchaîne pour qu’elle revive les souvenirs du bombardement et toute l’horreur des épreuves traversées.

Le jeune acteur se sentait l’être le plus méprisable de la terre. Tout était de sa faute, encore une fois ! Cette femme qu’il chérissait plus que la vie elle-même et qu’il avait perdue à cause de sa lâcheté, avait bien failli lui être arrachée de la plus cruelle des manières. Confronté à cette terrible réalité, il sut que son instinct ne l’avait pas trompé. Survivre dans un monde où elle n’existerait pas serait au dessus de ses forces. Incapable de supporter plus longtemps la terreur qu’il lisait dans les yeux agrandis d’effroi de Candy, il la prit dans ses bras, la serra contre lui et enfouit son visage dans les boucles blondes. Elle éclata en sanglots bruyants et libéra toutes ses peurs et ses angoisses en se blottissant contre ce corps puissant.

« Pardon Candy, pardon ! Tout est de ma faute. Tu n’aurais jamais dû avoir à affronter toutes ces horreurs. J’aurais dû être là pour te protéger...

- Mais tu l’as fait, avoua-t-elle entre deux sanglots. Tu as toujours été près de moi.

- Qu’est ce que tu racontes, Candy ! Tu as failli mourir à cause de moi. Si je ne t’avais pas fait autant de peine, jamais tu ne te serais engagée...

- J’ai eu tellement peur, reconnut-elle dans un souffle. Des soldats m’avaient raconté qu’au moment d’être blessés, ils avaient vu défiler toute leur vie en un instant devant leurs yeux... Pas moi, Terry ! Tout ce que j’ai vu avant de perdre connaissance c’était toi, seulement toi... »

Le jeune homme prit le petit visage ému entre ses mains et sentit les derniers vestiges de sa raison se perdre dans les yeux noyés de larmes levés vers lui. Au fond de sa poitrine, les morceaux de son coeur brisé frémirent. C’était douloureux car il savait que c’était sans espoir. Pourtant il voulait savoir.

« Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Reprocha-t-il.

- Parce que je ne veux pas de ta pitié ! »

La réponse cingla Terry comme un coup de fouet. Cela faisait mal, mais cela eut aussi un effet salutaire sur les barrières érigées par son orgueil démesuré. Il ne pouvait que comprendre cette réaction. N’avait-il pas ressenti la même chose en découvrant le regard que Candy posait sur lui au plus fort de ses crises de manque ?

La honte ! Ce sentiment terrible qui vous serre la gorge de ne pas être digne de celle qu’on aime. C’était cela qui lui avait fait dresser ce mur entre elle et lui. Mieux valait vivre avec le souvenir de son affection qu’avec la réalité de sa compassion. Et voilà qu’il découvrait chez Candy la même réaction ! Quelle folie ! L’amour qu’il lui portait allait bien au-delà de ses considérations. Elle était le miroir de son âme. Tous ceux qui les connaissaient se demandaient comment deux êtres aussi dissemblables pouvaient s’entendre. Ils étaient dans l’erreur. Candy et lui étaient pareils tous les deux. Seuls leurs caractères opposés les faisaient réagir différemment mais les caractéristiques profondes de leurs âmes étaient identiques, marquées à tout jamais par cette insécurité née aux premiers temps de leur enfance. Le même besoin de trouver un être à aimer, doublé de cette peur irraisonnée d’être rejeté.

Pour la première fois depuis bien longtemps, dans le tunnel sombre au coeur duquel il errait, Terry entrevit une minuscule lueur qui ressemblait à de l’espoir. Il se pencha vers son oreille et murmura :

« Dis-moi ce que tu voulais Candy. Qu’avais-tu derrière la tête en organisant cet enlèvement rocambolesque et en me retenant ici, seul avec toi ? »

Il tenait toujours son visage entre ses mains et s’inclinait vers elle, de plus en plus près. Le souffle de sa voix qui caressait ses lèvres faisait perdre le sens commun à la jeune fille. Elle sortait d’un cauchemar pour vivre un rêve éveillé. Tout cela ne pouvait pas être réel. Elle posa les mains sur le torse de Terry pour le repousser et sentit le coeur du jeune homme qui battait à grands coups sous ses doigts.

« Je voulais savoir... si tu pouvais encore m’aimer ! Folle que je suis ! J’ai eu ma réponse, Terry. Tu as dis que tu aurais préféré me voir morte plutôt que... »

Elle ne put jamais terminer sa phrase car la bouche du jeune homme s’abattit sur la sienne pour la faire taire. C’était un baiser profond, exigeant, presque désespéré et Candy se laissa entraîner dans le tourbillon de sensations qu’il provoqua en elle jusqu’à la laisser à bout de souffle. Les mains de Terry abandonnèrent enfin son visage pour se poser sur celles que la jeune fille avait laissées sur sa poitrine bien qu’elle ait renoncé depuis longtemps à le repousser.

« Pardon... Pardon, murmurait-il en couvrant son visage de baisers fiévreux. C’est à moi que je voulais faire du mal en disant cela. Je t’aime comme un fou, Candy.

- Tu mens pour me faire plaisir, reprocha-t-elle tandis que de grosses larmes roulaient sur ses joues pâles. Comment pourrais-tu encore m’aimer ?

- Sens-tu ce coeur qui bat dans ma poitrine Candy ? Répondit-il en séchant de ses lèvres les perles salées qui semblaient ne pas vouloir se tarir. Crois-tu vraiment que la pitié pourrait emballer ainsi mon rythme cardiaque ou penses-tu que ces battements désordonnés soient provoqués par l’indifférence ? J’ai tant espéré ce moment Candy, que je risque de perdre l’esprit. Pourtant je préfère cela plutôt que de continuer à souffrir. Alors dis-moi juste une chose avant que le bonheur ne me foudroie sur place. Tu dis avoir pensé à moi quand tu étais sur le front, mais qu’as-tu pensé à ton retour ? Quand tu as vu l’homme que j’étais devenu. Cette pauvre loque alcoolique...

- Cet homme, ce n’est pas toi Terry. Ce n’est pas le Terry que je connais. Celui dont je suis tombée amoureuse est fort et généreux. Sensible et courageux au point de sacrifier son bonheur pour les autres.

- Où as-tu vu autant de qualités en moi ? Cet homme fait partie de moi Candy. Il est toujours là, prêt à ressortir à tout moment.

- Je sais que tu ne le laisseras plus réapparaître.

- Je n’y arriverai pas seul. Toi seule a la force nécessaire pour le garder enfermé. J’ai besoin de ta force, Candy...

- C’est en toi que je puise ma force, Terry. Je suis liée à toi depuis le jour où je t’ai rencontré. Sans toi je n’existe plus vraiment. Je ne peux pas être heureuse sans toi... Les médecins ont sauvé ma vie, mais il n’y a que toi qui puisses lui donner un sens. Un coeur qui bat ne signifie rien s’il ne bat pas pour quelqu’un. »

Sans réfléchir, Candy s’empara d’une main du jeune homme pour la poser sur son sein palpitant et Terry sentit le sol se dérober sous ses pieds. Au-delà des pulsations désordonnées qu’il sentait sous ses doigts et qui résonnaient dans sa tête comme autant de coups de tambour, la rondeur délicieuse de la poitrine de Candy dans sa paume lui laissait entrevoir les portes du paradis. Un rêve qu’il avait longtemps pensé interdit se trouvait enfin à sa portée. Malgré lui, sa paume engloba le sein ferme et vibrant dont il sentit la pointe réagir à la chaleur de sa main à travers la soie du peignoir.

Candy comprit que les réactions de son corps ne lui appartenaient plus. L’homme qui la tenait dans ses bras était désormais le maître de ce jeu qu’elle avait déjà accepté inconsciemment. Quand sa bouche possessive reprit possession de la sienne, elle céda avec délices aux sensations qui naissaient en elle et courraient sous sa peau.

De plus en plus audacieuses, les mains de Terry parcoururent chacune de ses courbes, de sa taille fine qui ployait contre lui au galbe de ses hanches. Ce qu’il vivait allait au delà du rêve. La peau tiède qui frémissait sous ses doigts, les soupirs de plaisir qui résonnaient à ses oreilles, tout cela était réel ! Même au plus fort de ses délires érotiques, il n’avait jamais imaginé un tel abandon de la part de Candy. Elle était toute entière soumise à ses caresses et la seule pensée que c’était lui l’instrument de cette douce reddition ne faisait que renforcer sa ferveur amoureuse.

Toute au vertige qui la faisait trembler, Candy se laissait emporter par les vagues de chaleur qui naissaient sous les doigts de Terry. Il couvrait sa peau de baisers fiévreux, insistait sur la ligne de son cou, glissait le long de sa clavicule... Quand avait-il dénoué la ceinture de sa robe de chambre ? Ses mains chaudes faisaient maintenant glisser le tissu de soie sur ses épaules et sa bouche avide suivait le même chemin dans une caresse encore plus affolante.

Quand le peignoir tomba à ses pieds, la jeune fille prit conscience de la légèreté de sa tenue. Sa fine chemise de nuit de batiste ne cachait pas grand chose des formes pleines de son corps, et si elle descendait jusqu’à ses chevilles, dissimulant les blessures de son côté gauche, son bras nu en revanche était librement exposé au regard brûlant de Terry. Elle tressaillit malgré elle et le jeune homme se méprit sur la cause du frisson qu’il perçut comme un recul. Il resserra l’étreinte de son bras autour de la taille fine et la chaleur de la peau de Candy s’insinua dans chacun de ses pores, augmentant encore son trouble.

« Vas-tu me repousser ? Encore une fois ? Sais-tu seulement à quel point j’ai besoin de toi ?

- Non... Balbutia-t-elle. Je... »

Terry remarqua alors qu’elle tentait de dissimuler son bras gauche derrière son dos et comprit les raisons de sa gêne. Il se pencha à son oreille pour murmurer :

« Crois-tu les cicatrices qui marquent ton corps plus horribles que celles de mon âme, Candy ? Tu connais tout de moi et de mon côté obscur... Ma faiblesse, ma lâcheté... Si tu peux encore m’aimer malgré cela, pourquoi ne pourrais-je pas chérir ce corps que tu cherches à me cacher ? »

Il plongea son regard dans le sien et Candy put y distinguer l’étincelle du doute qui tremblait au fond de ses iris outremer. Il craignait encore de ne pouvoir croire à la réalité de son amour. Forte des certitudes qui l’animaient, elle sourit tendrement. L’homme qu’elle avait toujours aimé la tenait dans ses bras, plus rien d’autre n’avait d’importance que de le convaincre qu’elle n’appartenait qu’à lui. Abandonnant toute réserve, elle chercha ses lèvres et l’embrassa doucement en le caressant de sa langue, puis vaincue par son audace, elle enfouit son visage contre son épaule pour masquer la rougeur de ses joues.

Les doigts de Terry effleurèrent son bras couturé dans un contact aussi doux qu’une brise.

« Est-ce que tu as mal ? Demanda-t-il anxieux.

- Non, avoua Candy dans un souffle déjà grisée par la caresse.

- Alors... »

Elle fut soudain libérée de l’étreinte qui la tenait et ouvrit les yeux pour découvrir Terry en train de se défaire de ses vêtements. Le souffle lui manqua quand il enleva sa chemise et qu’elle put admirer les muscles puissants de sa poitrine. Intimidée, elle baissa la tête alors qu’il s’attaquait déjà à son pantalon et la bosse qu’elle distinguait dans son caleçon prouvait sans conteste la puissance du désir qu’elle lui inspirait. Gênée, Candy ferma les yeux mais son coeur battait à tout rompre. Elle sentit qu’il lui levait le menton du bout des doigts mais ne trouva pas le courage de le regarder. Un bras puissant se noua autour de sa taille et il l’attira contre son corps nu. La pression de sa virilité contre la cuisse de Candy provoqua dans le corps de la jeune fille une réaction qui la laissa tremblante de la tête aux pieds.

Terry n’était pas en meilleur état. L’érotisme de se savoir nu, séparé de la peau de Candy uniquement par le mince rempart de sa chemise de nuit, faisait courir dans ses veines une passion dévorante. Les courbes douces de sa poitrine qui s’écrasaient contre son torse le transportaient au firmament du désir. Ses doigts tirèrent sur le lien qui fermait le décolleté de la jeune fille et le fin tissu s’ouvrit sur les trésors qu’il convoitait. Sa main effleura la pointe d’un sein qui se dressa aussitôt. Avec un gémissement rauque, ses doigts se refermèrent sur la chair tiède et vibrante.

Déjà Candy se ployait inconsciemment en arrière pour lui offrir la vision céleste de sa poitrine libérée.

« N’ais pas peur de moi, Candy chuchota-t-il dans son cou. Puisque je suis impuissant à trouver les mots pour t’exprimer ce que je ressens pour toi, laisse mon corps te prouver par ses caresses la force de mes sentiments. Sois à moi Candy...

- J’ai toujours été à toi, répondit-elle dans un soupir. Maintenant et à jamais... »

D’un geste décidé, Terry éteignit la lampe. Il n’avait nul besoin de sa lumière pour trouver celle qu’il aimait. Il ressentait sa présence par chaque fibre de son être et sa chaleur l’attirait comme un aimant.

Candy sentit les mains du jeune homme la délester de son dernier vêtement. Puis il la prit dans ses bras et la porta jusqu’au lit.

Ce qui suivit ne fut pour la jeune femme qu'un long voyage sur une mer de plaisir. Dans la semi pénombre qu'elle avait elle-même souhaitée, les traits de Terry restaient indistincts mais ses mains qui exploraient chaque centimètre de sa peau et ses lèvres qui embrassaient le moindre recoin de son corps exprimaient avec ferveur tout l'amour qu'il éprouvait pour elle.

Le moindre effleurement de ses doigts, le moindre souffle de sa bouche la transportait chaque fois plus loin dans un monde de félicité où toute raison avait abdiqué. Bientôt elle ne put plus contenir les gémissements de plaisir qui naissaient au fond de sa gorge et elle les laissa se manifester avec force, entrecoupés de mots confus où revenait sans cesse le prénom de celui qu'elle aimait et qui lui offrait en cet instant plus que tout ce qu'elle avait jamais désiré.

Transportée, elle aurait voulu lui rendre les caresses qu'il déversait sur elle avec constance. Ses mains tremblantes s'aventurèrent sur les flancs de Terry, sur les muscles fermes de sa poitrine mais il l'arrêta avec un rire de gorge.

« Pas ce soir, mon amour, chuchota-t-il. Cette nuit est à toi, rien qu’à toi... »

Candy s’abandonna alors à l’ardeur de son amant dont la maîtrise la dépassait. Avec patience il l’amena jusqu’au point culminant de son désir, là où elle ne fut plus qu’attente. Le corps souple de Candy se cambrait vers lui, ondulait sous ses mains tandis que ses soupirs de plaisir devenaient de plus en plus forts. Incapable de résister plus longtemps à son appel, il se positionna au dessus d’elle et s’insinua entre ses cuisses fuselées. Il pénétra lentement la chair tendre de Candy jusqu'à rencontrer la résistance de sa virginité. Un frisson le parcourut devant la gloire de ce moment unique mais aussi face à la responsabilité qui était la sienne alors qu'il allait la marquer de son sceau à tout jamais.

« Dis-le moi maintenant, chuchota-t-il à son oreille. Dis-le moi avant je ne devienne fou... »

Candy ouvrit les yeux pour découvrir le visage bouleversé de Terry qui la dominait. Jamais elle n’avait perçu avec une telle netteté la force et la puissance qui émanaient de cet homme. Jamais non plus elle ne s’était sentie autant en sécurité qu’à cet instant où il allait la faire sienne. Sa présence en elle lui apportait une satisfaction qu’elle présageait déjà incomplète et elle aspirait à la plénitude que lui seul était en mesure de lui apporter. Aux tiraillements désagréables qui naissaient à l’intérieur de son corps elle comprit pourquoi Terry s’était arrêté et elle ne l’en aima que plus.

« Je t’aime. Murmura-t-elle en écartant une mèche brune collée sur le visage de son cher amour. Je t’aime au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer. Ne doute jamais de cela... »

La fin de sa phrase se perdit dans un gémissement quand Terry prit son innocence. Candy se crispa de tout son être et s’agrippa aux solides colonnes des bras qui l’entouraient. Déjà Terry laissait doucement reposer son corps sur celui de sa partenaire tandis que ses lèvres douces caressaient son visage en murmurant des paroles d’apaisement.

« Tout va bien mon amour... Reste avec moi... Jamais je ne te laisserai... Ais confiance en moi... »

La douleur s’estompait et Candy retrouvait chaque frémissement du corps de Terry sur le sien. Elle noua les bras autour de son cou comme il prenait sa bouche et que sa langue caressante se nouait à la sienne. Il se mit à bouger doucement en elle et le plaisir revint la transporter. Lentement puis de plus en plus vite, de plus en plus fort Terry l’emmenait sur les rivages magiques de l’amour physique où ils s’échouèrent le coeur battant et à bout de souffle.

Le corps brisé de plaisir, Candy grimaça quand Terry se retira mais elle n’avait pas la force de faire le moindre mouvement. Elle le laissa l’attirer dans ses bras en soupirant d’aise et se blottit contre lui comme un petit chat. Elle savourait les battements fous du coeur de Terry comme un écho aux siens.

Le jeune homme flottait encore dans les cieux enchantés où l’avait projeté le corps de Candy. Elle avait beau être là, nue contre lui, il n’arrivait pas à croire à la réalité de ce qu’il venait de vivre. S’il n’avait tenu qu’à lui, ses mains auraient déjà été en train de parcourir à nouveau le corps délicat de Candy pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Mais parce qu’il ne voulait surtout pas effrayer son cher trésor avec la violence de sa passion, il se contenta de lui caresser doucement les cheveux en la serrant dans ses bras.

Ce fut Candy qui rompit le silence la première. Comme un écho à ses propres pensées elle chuchota :

« Je n’arrive pas à croire que je suis dans tes bras ! Dis-moi que je ne rêve pas...

- C’est bien réel, mon amour. Nous sommes enfin ensemble... Moi aussi j’ai du mal à réaliser que tu n’es pas une illusion. Tu sais, peu de temps après notre séparation, j’ai quitté New York. J’ai tout laissé tomber : ma carrière, mes responsabilités... Je buvais déjà pas mal à l’époque. Et un jour dans un théâtre minable, j’ai eu une vision de toi. Tu me regardais avec des yeux si tristes... J’ai compris que j’étais en train de trahir tout ce pour quoi tu t’étais sacrifiée. Alors je suis rentré près de Susanna et j’ai repris le cours de ma vie, mais...

- Tu m’as vue ! Il faisait si sombre...

- Tu étais là ? C’était vraiment toi ?

- Oh oui, Terry. Je venais de signer mon engagement pour l’Europe. Je voulais te voir une dernière fois... Je n’ai pas eu le courage de te parler ce jour-là, pardonne-moi !

- Il n’y a rien à pardonner, Candy. C’est moi seul qui me suis mis dans cet état, tu n’y es pour rien. Je croyais que j’avais eu une vision. De retour à New York, j’ai appris par Albert que tu étais partie sur le front ! J’ai cru mourir d’angoisse... Et curieusement, au lieu de rester sobre, je buvais de plus en plus en espérant retrouver cette apparition que j’avais eue. J’y suis arrivé, quelques fois, mais tu étais de plus en plus lointaine et je désespérais chaque jour un peu plus de te retrouver...

- Je pensais à toi tous les jours, à chaque instant... Je m’étais jurée de te dire combien je regrettais ma décision de ce soir-là, mais plus que tout, je craignais que tu ne m’aimes plus. Et quand j’ai été blessée... J’ai eu peur que tu... Il y a tant de jolies femmes autour de toi...

- Le monde est plein de jolies femmes, répondit Terry. Mais il n’y en qu’une dans mon coeur... Toi : Depuis longtemps et pour toujours... »

Candy se redressa sur un coude pour lui dédier le plus beau sourire qu’il ait jamais vu.

« Je t’aime Terrence Granchester. Depuis longtemps et pour toujours... Chuchota-t-elle contre sa bouche. »

Leurs lèvres se cherchèrent, se caressèrent... Chaudes, tendres, puis de plus en plus exigeantes.

Émerveillé du pouvoir qu’elle avait sur lui, Terry la laissa explorer son corps de ses doigts timides, attentif aux vagues de plaisir qui montaient en lui.

Toute réticence envolée, Candy laissait libre cours à son désir de caresser le corps de son amant. Sa peau était chaude et douce et frémissait parfois sous ses mains. Ce corps abandonné était celui de l’homme qu’elle aimait, celui qui lui avait procuré un plaisir sans égal un peu plus tôt. Elle voulait lui rendre au centuple ce qu’il lui avait donné et retrouver l’ivresse du plaisir physique.

La jeune fille qui rougissait en évoquant les relations intimes entre époux avec ses patientes n’existait plus. Si le devoir conjugal ressemblait à ce que Terry lui avait fait éprouver, elle voulait apprendre à le remplir parfaitement et elle savait qu’elle ne pourrait trouver meilleur professeur.

Stupéfaite par les pensées qui lui venaient à l’esprit, Candy redressa brusquement la tête.

« Mon Dieu ! S’exclama-t-elle. Qu’est-ce que j’ai fait ! Est-ce que je suis folle ? »

Surpris, Terry prit le petit visage bouleversé entre ses mains. Malgré tout ce qu’elle lui avait donné, le démon du doute s’agitait encore au fond de lui.

« Candy ! Implora-t-il. Que t’arrive-t-il ?

- Comment ai-je pu me comporter ainsi ! Se lamenta la jeune femme.

- Ce que nous venons de vivre est la concrétisation de notre amour, Candy. Est-ce que... Tu regrettes de t’être donnée à moi ?

- Non ! Bien sûr que non ! »

Un tel accent de sincérité transparaissait dans sa réponse que Terry en fut soulagé.

« Tant mieux ! Affirma-t-il en la renversant sous lui. Parce que tu n’es pas prête de te débarrasser de moi, Taches-De-Son ! Je ne veux plus jamais être séparé de toi, mon amour. Ni physiquement, ni par autre chose. Ouvre-moi ton coeur, Candy. Partage tes tourments avec moi...

- Je ne me reconnais plus, Terry ! Avoua-t-elle. Je t’ai enlevé. Je t’ai retenu ici contre ta volonté. Je t’ai ouvert mon lit... Tout ça pour voler le fiancé d’une autre femme ! Comment ai-je pu devenir aussi égoïste ! »

Le jeune homme ne s’était jamais senti aussi heureux et insouciant qu’en ce moment. Il éclata d’un rire franc et sincère comme il n’en avait plus connu depuis des années. Il déposa un tendre baiser sur les lèvres de Candy qui le regardait sans comprendre.

« Quitte ce front soucieux, ma chérie. J’aime beaucoup cette nouvelle Candy, moi ! Et tu n’as rien volé du tout, parce que je n’ai jamais été à Susanna. C’est à toi que j’appartiens depuis toujours et tu peux bien faire tout ce que tu veux de moi ! »

Il sortit du lit et lui tendit la main pour l’inviter à se lever.

« Viens ! J’ai quelque chose à te montrer. »

Le corps parfait de Terry avait la beauté insolente des statues grecques. Candy obéit sans réfléchir. Le jeune homme constata avec satisfaction qu’elle ne songeait même plus à dissimuler les traces laissées par ses blessures. Il se garda bien de laisser son regard errer dans leur direction pour préserver la timide assurance de la jeune femme. Il n’avait nul besoin de les regarder. Ses lèvres et ses mains connaissaient déjà par coeur le tracé de chaque cicatrice. Mais il était encore trop tôt pour révéler cela à Candy. Il aurait d’autres nuits pour lui apprendre tout ce que l’amour physique peut faire découvrir sur l’autre. Il la poussa gentiment vers le cabinet de toilette.

« Habille-toi. On sort !

- Sortir ? Mais...

- Et dépêche-toi, sinon je viendrais te chercher ! »

Il s’habilla à la hâte, très tenté par l’idée de surprendre Candy à sa toilette. Même s’il préférait l’idée de la déshabiller plutôt que le contraire ! Il jeta un coup d’oeil au lit en bataille théâtre de leurs premiers ébats et son coeur se gonfla d’amour pour cette femme que le destin lui avait rendue. Pour elle, il était prêt à tous les sacrifices, il le lui prouverait.

Déjà Candy revenait dans la chambre en finissant d’attacher sa jupe. Elle ouvrit la bouche mais il lui posa un doigt sur les lèvres pour la faire taire avant de l’entraîner au rez-de-chaussée avec des airs de conspirateur. Leurs manteaux étaient accrochés dans l’entrée et ils les enfilèrent en pouffant comme des gamins qui s’apprêtent à faire un bêtise. Ils étaient heureux et c’était si bon ! Candy glissa sa main dans celle de Terry et se laissa guider à travers le parc. L’orage avait cessé sans qu’elle s’en rende compte et s’il faisait encore nuit, une pâle aurore commençait à se dessiner à l’Est.

Derrière le bâtiment principal, une haie de thuyas taillés à hauteur d’homme dissimulait une petite porte de métal aménagée dans le mur d’enceinte.

Le regard chargé d’amour, Terry se tourna vers sa compagne.

« Nous sommes à vingt minutes de marche de la gare la plus proche. Un train pour New York s’y arrête tous les jours à midi. Deux heures de voyage suffisent...

- Comment le sais-tu ? Balbutia Candy, stupéfaite. »

Avec précautions, le jeune homme dégagea du mur une pierre descellée. Il plongea sa main dans l’orifice et en ressortit un grosse clef de fer.

« Elle est rouillée, mais je t’assure qu’elle fonctionne très bien en forçant un peu.

-Mais... Quand as-tu découvert cette...

- Dès la première semaine, Candy. Te souviens-tu de cette journée où j’avais disparu jusqu’au soir ? J’ai trouvé cette porte... Je suis allé à pied jusqu’au village. A la gare, le guichetier était disposé à accepter ma montre en échange du prix du billet... J’ai essayé de partir, mais je n’ai pas pu m’y résoudre. Je voulais profiter de chaque minute auprès de toi parce que je pensais que c’était les dernières que le Ciel m’accorderait. Après avoir vu ce que j’étais devenu, j’étais sûr que tu ne m’aimerais plus...

- Ne dis plus jamais cela ! S’écria Candy en se jetant dans ses bras. Je t’aime et rien au monde ne pourra changer ça ! »

Terry la serra contre lui avec ferveur en adressant une prière muette au ciel pour que leur calvaire soit terminé et que la vie leur accorde enfin le bonheur. En réponse à ses voeux, le disque orangé du soleil pointa au dessus des collines. Candy le vit elle aussi et l’accepta comme un heureux présage.

« Il faut rentrer, mon amour, dit Terry en la sentant frissonner. Tu vas prendre froid...

- Dis-moi d’abord ce que nous allons faire à présent.

- Nous sommes ensemble ! Nous aurons à faire face à bon nombre de difficultés, je le sais, mais nous les affronterons ensemble.

- Rien ne saurait être pire que de vivre sans toi, assura la jeune femme avec force.

- Nous ne sommes pas au bout de nos peines, pourtant, répondit Terry en s’inclinant vers les lèvres qu’elle lui offrait. Pour commencer je dois annuler mes préparatifs de mariage avec Susanna; énuméra-t-il en déposant une pluie de petits baisers sur sa boucher tendre. Ensuite je vais devoir demander ta main à ton père et je sais qu’il est loin d’avoir bonne opinion de moi en ce moment ! Enfin je veux t’épouser et... »

Terry ne finit pas sa phrase parce que Candy s’était jetée à son cou avec un cri de joie et l’embrassait avec fougue. Trop heureux de lui rendre son baiser, il s’écoula un long moment avant qu’il ne reprenne le fil de sa pensée.

Candy avait raison : Rien ne saurait être pire que de vivre sans elle ! Pour la garder, il affronterait tous ceux qui se dresseraient sur son chemin, quels qu’ils soient. Tendrement enlacés, il regagnèrent la maison à pas lents, prêts à se lancer dans la nouvelle vie qui les attendait.

FIN

© Dinosaura janvier 2010