LES PROMESSES NON TENUES
par Dinosaura






CHAPITRE 1




L'homme blond se pencha vers la jeune femme assise près de la fenêtre et déposa un baiser sur son front.

« Tu es sûre que c’est ce que tu veux ?

- Oui. »

La femme n’en dit pas plus, c’était inutile. Au ton de sa voix il était évident que sa décision était prise depuis longtemps. Son compagnon eut un triste sourire. L’idée lui déplaisait car il sentait que la douleur reviendrait frapper la jolie blonde en face de lui. Pourquoi tenait-elle tant à souffrir encore ? Tant de choses avaient changé en quatre ans, et pas toujours en bien. Il jeta sur la table le journal qu’il tenait.

Le gros titre s’étalait sur une demi page. La nouvelle que tous attendaient depuis quatre ans : LA GUERRE EST FINIE ! Lorsque l’information était tombée, toutes les cloches s’étaient mises à sonner en même temps. Dans toutes les villes du pays, même dans les plus petits villages, les gens étaient sortis dans la rue, abandonnant ce qu’ils étaient en train de faire. Chacun se congratulait, s’embrassait, ou simplement serrait la main de son voisin. Puis la vie avait repris son cours et déjà plus rien ne transparaissait de cette joie spontanée, si ce n’était cette lueur de bonheur au fond des yeux de tous ceux qui se croisaient. Le temps était à nouveau à l’attente. Attente du retour de ceux qui se trouvaient encore en Europe. Attente d’informations sur ceux dont on était sans nouvelles...

L’homme hocha la tête.

« Très bien. Je m’étais promis de t’offrir tout ce qui te ferait plaisir lorsque tu reviendrais. Si c’est ce que tu veux, tu l’auras. Je vais prendre quelques dispositions et je reviendrai te chercher demain pour t’emmener chez nous, d’accord ?

- D’accord. Je suis heureuse de sortir d’ici. Je n’en peux plus de rester enfermée. »

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Il avait plu toute la journée. Une de ces petites pluie fine et insistante contre lesquelles rien ne peut vous protéger, ni les parapluies ni les imperméables et qui vous glace jusqu’aux os. La nuit était maintenant bien avancée et la pluie qui tombait toujours rendait encore plus sinistre la scène qui se déroulait au fond d’une ruelle sombre.

Un homme en extirpait un autre d’un taxi en soufflant et en jurant.

« Espèce de salopard ! C’est la deuxième fois que tu régurgites ton alcool dans mon taxi ! La dernière fois il m’a fallu toute la journée pour nettoyer, et encore une semaine pour élimer l’odeur. Tu imagines ce que j’ai perdu comme clients ? Qui a envie de monter dans un taxi qui empeste le vomi ! »

Il traîna le grand corps inerte jusqu’au fond de l’allée en le prenant sous les aisselles, puis l‘abandonna sur le sol au milieu des ordures. Il fouilla les poches de sa victime jusqu’à trouver son portefeuille. Un sifflement admiratif lui échappa quand il découvrit la somme qu’il contenait.

« Mais tu es plein aux as ma parole ! Alors çà doit être vrai que tu es un acteur célèbre. Pour moi tu n’es rien d’autre qu’un ivrogne et cet argent va me dédommager pour les courses que je ne pourrai pas faire à cause de toi. Ne t’inquiète pas pour les voleurs, ils ne pourront plus rien te prendre. »

Avec un rire mauvais, l’homme remonta dans son taxi et quitta les lieux.

Le malheureux alcoolique étendu sur le sol n’entendit rien de ce discourt. La respiration lourde et difficile, il ne réagit pas non plus quand un individu vêtu de noir surgit de l’ombre et s’approcha de lui. L'inconnu examina les alentours mais les rues étaient désertes. Quoi qu'il fasse, son méfait n'aurait aucun témoin. Il s'approcha de l'homme inconscient et sortit de sa poche un flacon de chloroforme dont il imbiba son mouchoir avant de l'appliquer sur le visage de l'ivrogne. Puis il le hissa sur son épaule comme s'il s'agissait d'un simple sac de sable, et disparut dans la nuit avec son fardeau.

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La première chose qui vint à l'esprit de Terrence Granchester quand il s'éveilla ce matin-là fut qu'il ne s'était jamais senti aussi mal de toute sa vie. Il avait connu bon nombre de gueules de bois au cours des années, mais celle-ci était sans conteste la pire de toutes.

La seconde chose qu'il réalisa au moment de sortir du lit fut qu'il était complètement nu, chose déjà plus étonnante. Il lui arrivait fréquemment de s'écrouler sur son lit tout habillé après ses soirées de beuverie, mais là...

Intrigué il examina la chambre où il se trouvait et constata que décidément rien n'était normal ce matin. Il n'était pas dans sa chambre ! La pièce dans laquelle il venait de se réveiller lui était totalement inconnue. Un regard circulaire aux alentours lui permit de constater que la chambre était confortable mais sans aucune chaleur. On aurait dit qu'elle n'avait jamais été habitée. D'ailleurs tous les meubles avaient l'air neufs comme s'ils venaient d'être livrés. A l'opposé du lit, une porte entrouverte devait donner sur le cabinet de toilette.

La tête lourde et la bouche pâteuse, Terry se leva en costume d'Adam pour vérifier son hypothèse mais s'arrêta net en passant devant la fenêtre. Des barreaux ! L'ouverture était protégée par de solides barres de fer disposées en croisillons. Il se précipita vers la porte qu'il secoua sans succès. Elle était solidement verrouillée et il était enfermé.

La réalité s'imposa peu à peu au jeune homme. Il était prisonnier. Quelqu'un l'avait enlevé et le retenait ici, mais pourquoi ? Si ses ravisseurs avaient l'intention de demander une rançon, ils seraient déçus. Son compte en banque n'était pas au beau fixe en ce moment ! D'autres histoires lui revinrent en mémoire. Des récits d'admiratrices s'en prenant à des célébrités, prêtes à tout pour s'approprier l'objet de leur fixation maladive. Comme s'il n'était pas suffisamment servi de ce côté là avec sa fiancée !

Il essaya de rassembler ses idées malgré son esprit embrouillé. Pour l'instant il ne pouvait pas faire grand chose. Le plus simple était d'attendre d'en savoir plus avant d'envisager quoi que ce soit. Revenant à sa première idée, il se dirigeait vers ce qu'il supposait être les commodités quand il entendit une clef tourner dans la serrure. Sans réfléchir, il se précipita vers le lit afin de dissimuler sa nudité sous les draps. Pas assez rapidement toutefois pour échapper au regard acéré de l'homme qui entra.

Celui-ci ne portait pas une livrée de domestique mais un costume noir bien coupé et affichait la mine imperturbable d'un majordome. Il sembla pourtant bien à Terry voir frémir la commissure de ses lèvres comme s'il réprimait un sourire et la mauvaise humeur du jeune acteur grimpa d'un cran tandis que l'homme posait une pile de vêtements sur la commode.

« Je suis heureux de voir que vous êtes réveillé, Monsieur Granchester. Je vous ai apporté de quoi vous habiller, dit l’inconnu.

- Ce qui n’aurait pas été nécessaire si vous n’aviez pas subtilisé les habits que je portais en arrivant ! Répondit Terry.

- Je les ai fait porter à nettoyer, Monsieur. Vous aviez vraiment beaucoup bu, ajouta-t-il d’un air entendu. »

Terry eut immédiatement l’impression d’être un petit chat auquel on met le nez dans ses excréments, et détesta cela.

« Quand j’aurais besoin de votre opinion, je vous la demanderai, décréta-t-il avec morgue. Pourquoi m’avez-vous enlevé ?

- Je vous ai amené ici, en effet, mais c’était parce qu’on me l’avait demandé.

- Qui ? S’emporta Terry. Où sommes-nous et pourquoi suis-je enfermé ? »

L’homme ne répondit pas, et l’acteur, las de jouer les vierges effarouchées, se décida à s’asseoir au bord du lit. Une nouvelle fois la joue de l’inconnu tressauta et il s’approcha pour tendre la pile de vêtements.

« Je vous crois tout à fait capable d’explorer la maison dans le plus simple appareil. Cela aurait pu être gênant, tant pour vous que pour les dames présentes. C’est l’unique raison pour laquelle la porte était verrouillée. Quand à vos autres questions, ce n’est pas à moi de vous répondre, mais à Mademoiselle. Je vous suggère de vous préparer et de descendre pour le déjeuner. La salle à manger se trouve à droite en bas de l’escalier. Avez-vous besoin d’autre chose ?

- Non maugréa Terry qui faisait de son mieux pour réunir les pièces du puzzle de son esprit douloureux. Ou plutôt si : Commencez donc par m’apporter un verre.

- Je crains que ce ne soit pas possible, Monsieur. Croyez-moi, il vaut mieux que vous entendiez ce que Mademoiselle souhaite vous dire. »

Terry se retrouva seul, profondément contrarié. Il songea un instant à rester dans sa chambre pour manifester son mécontentement, mais sa curiosité fut la plus forte. Il n’allait pas se comporter comme un enfant boudeur alors qu’il avait la possibilité d’obtenir le fin mot de cette affaire. S’il voulait sortir d’ici au plus vite, mieux valait mettre les choses au point avec cette femme que l’homme appelait Mademoiselle. Sans doute une vieille fille riche qui satisfaisait un phantasme en enlevant un homme jeune. Il ne se sentait pas l’âme d’un gigolo mais savait jouer de son charme sur ce genre de femmes pour obtenir ce qu’il voulait. Et pour l’instant, la seule chose qu’il désirait était de sortir d’ici et de retrouver sa vie.

Çà et un bon verre d’alcool pour se remettre les idées en place !

Terry n’eut aucun mal à trouver la salle à manger. Il découvrit une table dressée pour deux, mais pas âme qui vive. Les plats attendaient au chaud sur une desserte voisine. Il commença par explorer les placards à la recherche d’une bouteille d’alcool, sans succès. Il n’y avait même pas de vin pour accompagner le repas. Contrarié, il s’assit à table et attendit. Où pouvait bien être son hôtesse ? Quel genre de femme pouvait faire enlever ses invités pour les attirer chez elle, et ne prévoir aucune boisson à leur offrir ? Il ne se gênerait pas pour lui dire sa façon de penser !

« Bonjour Terry. »

La voix qui résonna dans son dos le fit sursauter. Ces intonations si douces, cette manière de prononcer son prénom... C’était impossible ! Il resta figé un instant avant d’oser se retourner. La vision qui s’imposa à lui le laissa pantois. D’habitude il lui fallait ingurgiter une bonne dose de whisky avant d’avoir ce genre d’ apparition. Pourtant il sut immédiatement qu’il ne rêvait pas. D’abord parce qu’il n’avait rien bu, et ensuite parce que celle qu’il voyait était différente de l’illusion qu’il s’efforçait de retrouver dans les brumes de l’alcool. Elle semblait plus mûre, plus mince aussi, et avait l’air fatigué. Il remarqua aussitôt ses joues creuses et les grands cernes qui marquaient ses yeux. Seul son regard était resté le même, intense, brillant et d’un vert hypnotique.

« Candy ! »

A suivre

© Dinosaura janvier 2010