De l'ombre à la lumière
par Dinosaura

CHAPITRE 16

RESERVE A UN PUBLIC AVERTI !

Le soleil était à son zénith quand ils ressortirent de l'église. Candy fixa sa main gauche. En l'absence l'alliance, Terry avait passé à son doigt sa lourde chevalière gravée aux armes des Granchester. L'anneau était bien trop grand pour elle et elle serrait le poing pour ne pas le perdre. Le modeste bouquet de fleurs des champs offert par Rachel Dawson lui semblait peser des tonnes, mais il n'y avait personne à l'attendre à qui elle aurait pu le jeter. Avec une prière muette elle le déposa au pied de la statue de la vierge dont les yeux fixes n'exprimaient rien qu'un profond détachement face aux misères du monde. De tout son coeur, Candy espéra que sa prière serait entendue. Elle venait d'engager le reste de sa vie sur un coup de tête, comme toutes les décisions importantes qu'elle avait dû prendre. Comme lorsqu'elle avait quitté la maison des André après la mort d'Anthony ou qu'elle s'était enfuie du collège après le départ de Terry.

Elle sentit la présence du jeune homme derrière elle. Il posa la main sur son épaule pour lui signifier qu'il était temps de partir. Avec un dernier geste pour les Dawson et le père Mathieu, elle le suivit vers la voiture. Leurs regards curieux pesaient sur elle, étonnés par cet étrange couple qui ne ressemblait pas à un couple de jeunes mariés. Ils s'étaient à peine embrassés et se tenaient résolument à bonne distance l'un de l'autre pendant qu'ils regagnaient leur véhicule.

Arrivés à l'hôtel, ils s'installèrent dans la grande salle et Terry commanda un repas. Il n'avait pas ouvert la bouche depuis la cérémonie. Aucun d'eux ne fit honneur au déjeuner, mais la jeune femme fit durer ce moment le plus longtemps possible tant elle redoutait soudain de se retrouver dans leur chambre seule avec son mari.

« Ta collègue de ce matin, t’a-t-elle apporté toutes tes affaires, demanda brusquement Terry.

- Non, le reste doit encore se trouver dans ma chambre à l’hôpital.

- Allons les chercher tout de suite, décida-t-il en se levant. Il est hors de question que tu ailles là-bas toute seule. »

Il était inutile de discuter et Candy le suivit de bonne grâce. Cet intermède retardait d’autant le moment où il réclamerait ses droits d’époux.

Quand il l’aida à descendre de voiture devant l’hôpital, Terry sentit trembler la petite main dans la sienne. Une pâleur soudaine avait envahi le visage de Candy.

« Tu n’as rien à craindre, assura-t-il. Ce type ne tentera rien contre toi en plein jour. Et même s’il essaie, je lui donnerai une seconde correction. Après tout, je dispose maintenant de mon infirmière personnelle pour soigner mes plaies et mes bosses ! »

Candy eut un timide sourire devant sa tentative de plaisanterie et son sourire enjôleur. Elle murmura :

« Je préfère quand même passer par derrière, si tu veux bien. Il y a une entrée menant directement aux quartiers des infirmières. »

Terry la laissa le guider, mais garda sa main dans la sienne. Elle serrait très fort ses doigts, mais ce contact semblait la rassurer. Elle avait confiance en lui comme autrefois, et cela le surprenait toujours. Déjà au collège, malgré sa mauvaise réputation, elle n'avait jamais eu peur de lui, alors que d'autres jeunes filles l'évitaient. Candy n'avait jamais craint de le fréquenter. Parfois même, il avait eu l'impression qu'elle recherchait sa compagnie. Cela l'avait surpris au début, puis il avait fini par accepter sa charmante présence, à la rechercher parfois.

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Candy suspendait dans la penderie ses vêtements entassés à la hâte dans sa valise. Elle avait vraiment quitté New York très rapidement car elle ne disposait que de quelques robes. Le spectacle de ces atours de femme accrochés à côté de ses affaires d'homme lui semblait incongru. Il n'avait jamais partagé son armoire auparavant. Susanna et lui avaient toujours fait chambre à part, et ses rapides passages chez des maîtresses occasionnelles ne nécessitaient pas le dépôt de vêtements de rechange.

La réalité lui apparut soudain : il venait d'épouser cette femme. Il s'était lié pour la vie à la personne qui l'avait fait souffrir au-delà de toute mesure et dont il s'était juré de détruire la vie à son tour. Pourquoi ne l'avait-il pas laissée se débattre avec le scandale qu'il avait provoqué ?

Il s'approcha de la jeune femme qui cherchait un endroit où poser sa valise vide. Depuis leur entrée dans la chambre, elle ne lui avait pas accordé un regard. Il prit le bagage et le glissa sous la table d'un coup de pied. Prit d'un inspiration subite, il retira les épingles qui retenaient la lourde natte nouée en chignon sur la nuque délicate. Candy se tourna vers lui en protestant. Les bras levés, elle tentait de retenir sa coiffure écroulée.

« Arrête, qu’est-ce que tu fais ?

- Je viens de trouver un moyen agréable de passer le temps dans cette triste ville. »

Il écarta sans effort les mains de Candy et entreprit de libérer les mèches rebelles. Les cheveux incroyablement longs de la jeune femme se répandirent en cascade blonde dans son dos. Fasciné, Terry effleura les boucles soyeuses réalisant enfin un rêve longtemps caressé. Fort de ses droits nouvellement acquis d’époux, il pouvait désormais voir se concrétiser d’autres rêves moins innocents. Il glissa les mains dans la chevelure dénouée et inclina la tête de Candy vers l’arrière.

Le souffle court, elle le fixait de ses prunelles vertes aussi insondables que l’océan. La caresse des doigts de Terry dans ses cheveux l’avait paralysée. Jamais elle n’avait imaginé autant d’érotisme dans cette partie de son corps et son cuir chevelu irradiait une douce chaleur sous les doigts de son mari. Il inclina lentement la tête et elle comprit que le moment était venu. Terry avait décidé de faire d’elle sa femme, ici et maintenant. Affolée, elle ne put que balbutier :

« Mais il fait encore jour !

- J’avais remarqué, répondit-il en riant. Alors ferme les yeux et ne pense qu’à moi, Candy. Rien qu’à moi ! »

Elle suivit son conseil à l’instant où ses lèvres se posèrent sur les siennes. Incroyablement tendre, il se contenta d’effleurer sa bouche avant d’embrasser ses paupières closes et ses joues rosies par l’émotion. La caresse suivit la ligne de son cou, lui arrachant un soupir de bonheur. Ses jambes ne la portaient plus et elle s’accrocha aux épaules de Terry pour se retenir. Il revint alors vers ses lèvres entrouvertes qu’il couvrit de petits baisers agaçants jusqu’à ce qu’elles lui répondent. Son baiser se fit alors plus exigeant et plus profond. Il explora avec délices les douceurs que lui offrait cette bouche jusqu’à la laisser sans souffle.

Terry observa le visage bouleversé qu’elle levait vers lui et referma les bras autour de sa taille menue pour la serrer étroitement contre lui. Son corps souple s’adaptait si bien au sien qu’il ne saurait avoir été créé pour un autre. Ses mains habiles coururent le long du dos de la jeune femme avant de s’attaquer aux boutons de sa robe légère. Grisé, il enfouit le visage dans son cou laiteux répandant une pluie de baisers sur sa peau si douce jusqu’à la modeste échancrure de son col. La combinaison de soie que ses doigts rencontrèrent en se glissant par l’ouverture de la robe n’était pas plus douce. Pressé d’en découvrir plus, il fit glisser le corsage ouvert sur les épaules rondes et s’empara des mains accrochées à ses épaules pour obliger la jeune fille à baisser les bras. La robe glissa sans effort et tomba en corolle aux pieds de Candy, la laissant dans sa légère combinaison.

Elle avait bien compris que Terry était en train de la déshabiller mais concentrée sur les sensations délicieuses qu’il faisait naître sur sa peau, elle avait négligé ce détail jusqu’à ce quelle sente le vêtement s’enrouler autour de ses chevilles. Elle ouvrit enfin les yeux pour découvrir le regard brûlant qui la détaillait de la tête aux pieds.

Elle se faisait l'effet d'être un vilain petit canard, pas assez grande, trop mince... Et s'il était déçu par ce qu'il voyait ? Ses craintes de confirmèrent quand il se détourna et s'éloigna. Éperdue, elle tendit les bras vers lui.

Fasciné, Terry contemplait la fine silhouette qui se tenait devant lui. Sa poitrine se soulevait au rythme accéléré de sa respiration et les pointes de ses seins tendaient le fin tissu de son sous-vêtement. Le désir se fit impérieux au creux de ses reins. Le pouvoir qu'elle avait sur lui le surprit. Tout allait trop vite; elle n'était pas prête. Il était conscient qu'il s'agirait pour elle de sa première expérience et qu'il devait être patient, mais l'effet qu'elle lui faisait était dévastateur. Au prix d'un immense effort, il alla fermer les rideaux de la fenêtre, plongeant la chambre dans une semi pénombre plus propice à rassurer Candy. Quand il se retourna et la vit qui lui tendait les bras, son coeur manqua un battement. Il se précipita vers elle tout en déboutonnant sa chemise à la hâte et la reprit dans ses bras. Elle était si petite qu'il pouvait poser son menton sur la masse de ses cheveux bouclés. Sa tête se nicha exactement contre son épaule.

Écrasée contre son torse, Candy savoura la chaleur des bras qui l'entouraient. Elle avait eu si peur qu'il l'abandonne ! Mais il s'était contenté de fermer les rideaux et elle reprenait de l'assurance. Elle murmura son prénom et le mouvement de ses lèvres fit courir un frisson sur la peau de Terry. Il s'empara de ses mains avec autorité et les posa sur son torse. D'abord timide, sa jeune femme n'osa bouger. Puis ses doigts caressèrent maladroitement ses muscles fermes. Il émit un grognement rauque et Candy se figea. Anxieuse, elle leva vers lui des yeux emplit de la crainte d'avoir commis une erreur.

« Sais-tu seulement l’effet que tu me fais, marmonna-t-il en se débarrassant de sa chemise. »

Il saisit ses poignets et embrassa chacun de ses doigts délicats avant de l’obliger à nouer les bras autour de son cou. Il la prit alors dans ses bras et l’emporta jusqu’au lit où il la déposa. La combinaison de soie avait glissé et dévoilait un sein blanc. Terry le prit dans sa main en coupe et le caressa avec de lents mouvements circulaires jusqu’à ce que la pointe durcie vienne titiller sa paume. Aussitôt il saisit le mamelon fièrement érigé entre ses lèvres, arrachant à Candy un gémissement de plaisir. Sa main se posa sur son frère jumeau et entreprit de lui infliger le même traitement à travers la soie du caraco.

Incapable de réagir, la jeune femme se laissait emporter par les ondes de plaisirs qui naissaient sous les caresses expertes de son mari. Elle arqua son corps vers lui avide de ses baisers; offrant le délicieux spectacle de sa poitrine dénudée aux yeux noyés de désir de Terry. Il la débarrassa du reste de ses vêtements, impatient de la contempler dans toute sa beauté. La blancheur de sa peau nacrée le rendit fou et il couvrit chaque parcelle de son corps de baisers brûlants, revenant inlassablement vers sa bouche tendre qui murmurait son prénom comme une litanie.

« Tu es si belle, murmura-t-il à son oreille. Encore plus belle que je ne l’avait rêvé ! »

Noyé dans un océan de sensations nouvelles et délicieuses, Candy voulu le serrer contre elle mais elle sentit qu’il s’éloignait. Elle ouvrit les yeux pour le découvrir au pied du lit en train de se dévêtir à la hâte. Un frisson d’excitation la parcourut à l’idée du contact de leurs peaux nues, de leurs corps enfiévrés. Une nouvelle fois elle tendit les bras vers lui et il s’allongea contre son flanc. Elle sentait la puissance de son désir contre sa cuisse et voulut l’attirer plus près. Mais curieusement, il ne semblait plus aussi pressé de satisfaire son désir. Il prenait son temps pour explorer chaque centimètre carré de son corps tourmenté, éveillant chaque fois de nouveaux frissons au plus profond de son être. Il embrassa à nouveau ses seins, l’un après l’autre, tandis que sa main habile glissait lentement sur son ventre frémissant. Elle eut un sursaut de pudeur quand il glissa ses doigts entre ses cuisses et se tordit pour échapper à la caresse. Mais il la rassura en la couvrant de baisers brûlants et de paroles tendres :

« Laisse-moi t’apprendre l‘amour, petite fille. Est-ce que tu as peur ? »

Candy secoua la tête en signe de dénégation et glissa une main dans ses cheveux. Avec un sourire de triomphe il lui écarta les jambes et entreprit de caresser le coeur de sa féminité tandis que sa bouche revenait vers ses seins magnifiques glorieusement offerts à sa langue insatiable.

Incapable de maîtriser le plaisir qui montait en elle, Candy poussa une exclamation de surprise quand éclata au creux de ses reins une véritable explosion de chaleur. Haletante, ses doigts s’enfoncèrent dans les épaules de son mari qui de dressait au-dessus d’elle, appuyé sur ses bras. Dans le bleu profond de ses yeux elle lut la promesse d’autres délices encore plus étonnantes.

Toujours appuyé sur ses bras, il s’inclina vers la bouche entrouverte qui murmurait son nom. Les seules parties de son corps qui la touchaient étaient ses lèvres tendres et son membre érigé, tendu à l’extrême qui frôlait la douce toison entre ses cuisses. Avec un gémissement elle se tendit vers lui et il sut qu’elle était prête. Découvrant en lui des trésors de patiente insoupçonnés, il s’insinua lentement en elle avant de la clouer sur le lit d’un puissant coup de reins. Elle cria devant la douleur inattendue mais il étouffa ses protestations sous un baiser passionné.

« Je suis désolé, chuchota-t-il en la caressant doucement pour l’apaiser. »

Il resta un moment immobile, la laissant s’habituer à leur nouvelle intimité. Bientôt il la sentit à nouveau frémir sous son corps et entama le lent mouvement de va et vient qui les mènerait tous deux sur les rivages du plaisir. Il lui imposa un rythme de plus en plus rapide auquel elle se plia docilement. Il n’était plus question de patience. L’urgence de son désir lui brûlait le ventre. Même s’il doutait de réussir à la combler la première fois, il aurait été incapable de se retenir plus longtemps. Puis il sentit autour de son membre le spasme de délivrance qui saisit sa jeune femme et il s’abandonna lui aussi dans un cri avant de s’écrouler sur elle pantelant.

Il laissa le plaisir refluer lentement, la tête nichée dans la vallée entre les seins de la jeune femme, puis glissa sur le côté pour la libérer de son poids. Appuyé sur un coude, il scruta le visage d'amante qu'elle lui offrait et comprit pourquoi il avait accepté ce mariage. A aucun prix il n'aurait pu laisser à un autre ce qu'il venait de posséder. Candy était faite pour lui, depuis toujours et à jamais. Il posa la main sur son ventre encore frémissant et elle ouvrit les yeux. Un sourire timide se dessina sur ses lèvres pleines dont il s'empara aussitôt. La faim qu'il avait d'elle n'était pas apaisée.

Languide, elle se serra contre lui. Sa main glissa sur son torse et se posa sur la cicatrice laissée par la balle de Susanna. Un frisson parcourut la peau de Terry quand son épouse le repoussa sur le dos et se redressa légèrement pour embrasser la trace rose qui marquerait sa chair jusqu'à la fin de ses jours.

« Ne fais pas çà, marmonna-t-il en écartant la tête blonde posée sur sa poitrine.

- Pourquoi ? demanda Candy en continuant à le caresser.

- Tu ne sais pas à quoi tu t’exposes en faisant cela.

- Montre-moi, affirma-t-elle, provocante en lui offrant sa bouche. »

Avec un gémissement rauque, Terry la fit rouler sous lui tandis qu’elle découvrait ce nouveau pouvoir qu’elle avait sur lui. Le désir ravivé de son amant pressait contre ses cuisses, promesse de merveilles dont elle ne voulait pas perdre une miette. Il recommença à l’embrasser, mais avec plus de fièvre. Il voulait tout d’elle. Glissant les mains dans ses cheveux elle se cambra vers lui, dans une caresse de tout son corps. La bouche exigeante de son mari parcourait sa peau brûlante, revenait inlassablement vers ses seins fièrement dressés, lui arrachant des gémissements de plaisir. Enivré par le chant d’amour qui emplissait ses oreilles, Il glissa les mains sous ses fesses pour l’amener vers lui et s’insinua en elle sans effort. Aussitôt elle noua les jambes autour de son corps puissant pour le garder au plus profond de son intimité, et se soumis sans résistance au rythme fou qu’il lui imposait. Plus rien de comptait que l’intimité de leurs deux corps enfin réunis. Après tant d’années d’errance, elle avait enfin trouvé sa place dans les bras de l’homme qui était fait pour elle. Avec un cri d’extase elle atteignit le sommet du plaisir en même temps que lui.

Comblée, elle resta immobile, écrasée sous le poids enivrant du corps de Terry, dont le coeur battait à tout rompre. Après ce qui sembla une éternité, il se retira d’elle, lui arrachant un soupir de protestation. Les rayons du crépuscule ne laissaient plus pénétrer qu’une faible clarté à travers les rideaux tirés. Épuisée, Candy restait étendue les bras en croix. A contrecoeur, il ramena le drap sur son corps rompu, dissimulant le délicieux spectacle de son anatomie offerte. Il s’étendit sur le dos, la tête encore pleine du plaisir qu’ils venaient de partager et attendit la réaction de la jeune femme.

Il savait qu’il aurait dû la prendre dans ses bras et lui murmurer les mots d’amour que toute femme attend dans ses moments, mais ne pouvait s’y résoudre. L’intensité de ce qu’il venait de vivre dépassait toutes ses expériences précédentes et l’effrayait presque. Pourquoi fallait-il qu’il éprouve cela maintenant, justement avec elle ?

Il écouta décroître les battements de son coeur et sa respiration s'apaiser peu à peu. La jeune femme bougea à côté de lui et il se raidit, attentif à la sourde douleur qui irradiait de son ventre. Il sentit qu'elle se redressait sur un coude pour l'observer. Avec un grommellement convainquant, il lui tourna résolument le dos et feignit de s'endormir.

« Terry, demanda-t-elle d’une voix émue, tu dors ?

- Humm ? Maugréa-t-il. »

Déçue, Candy s’allongea à nouveau avec un soupir où perçait la déconvenue. Elle sentait la fatigue la gagner, mais restait sur une impression de manque qu’elle ne pouvait expliquer. Tant de choses restaient inexprimées entre eux ! Pourtant, elle était sa femme désormais; Elle aurait tout le temps de lui dire les mots d’amour qui gonflaient son coeur et qu’elle n’avait pas réussi à prononcer au cours de leurs étreintes. Son bonheur était trop frais, trop neuf. Un doux sourire étira ses lèvres et c’est ainsi qu’elle se laissa emporter par le sommeil.

Immobile à ses côtés, son mari écouta la respiration de sa compagne se faire plus régulière. Recroquevillé en chien de fusil, il croisa sur sa poitrine des bras désespérément vides d’elle. Son corps rompu refusait de s’abandonner à un repos bienfaisant. Son esprit tourmenté ne cessait de lui répéter à quel point il avait souffert à cause d’elle. Et voilà qu’elle était devenue sa femme ! Il devait être fou pour s’être embarqué dans une semblable aventure ! Mais son corps le trahissait chaque fois qu’il la serrait contre lui. Il n’était plus maître de ses réactions tant il avait besoin de la toucher, de la caresser. Avec précaution, il se retourna et écouta le bruit apaisant de la respiration de Candy près de lui. Elle souriait dans son sommeil, inconsciente des tourments qui agitaient son amant. Celui ci détailla son fin profil et joua un instant avec la masse de ses cheveux blonds. Puis il repoussa le drap pour admirer son corps de déesse. Un sentiment de pouvoir s’empara de lui en réalisant que ces trésors lui appartenaient dorénavant. Peu importait qu’elle se soit moquée de lui autrefois. Aujourd’hui cette beauté qui avait si souvent hanté ses rêves était à lui et rien qu’à lui. Il laissa retomber sa tête sur l’oreiller et laissa la somnolence le gagner.

La nuit était bien avancée quand Terry s'éveilla pour réaliser qu'inconsciemment durant leur sommeil, leurs deux corps s'étaient rapprochés et que la jeune femme reposait maintenant calmement au creux de ses bras. Contrarié, il s'écarta, non sans effleurer du bout des doigts la peau nacrée de Candy. Elle était fraîche et il voulut tirer le drap sur eux pour éviter qu'elle ne prenne froid. Son mouvement éveilla à moitié la jeune femme qui se serra plus étroitement contre lui. Électrisé, il se demanda comment elle pouvait avoir autant de pouvoir sur lui.

« Ne joue pas avec moi Candy, murmura-t-il pour lui même, plus jamais.

- Froid... répondit-elle d’une voix lourde de sommeil. »

Terry voulut repousser le bras qu’elle avait posé en travers de son torse et ses doigts effleurèrent le galbe d’un sein. Son sang se mit à courir plus vite et il entreprit de caresser chaque parcelle de peau nacrée qui frissonnait sous ses mains. Il la renversa sur le dos pour mieux savourer sa beauté. Les yeux brillants il contemplait ce corps parfait qui réagissait si bien sous ses caresses. Ses lèvres tracèrent un sillon de feu depuis la poitrine dressée jusqu’au bouton de rose entre ses cuisses. Il redressa la tête pour contempler la jeune femme et rencontra son regard vert troublé par le désir.

« Ne t’arrêtes pas supplia-t-elle, en enfonçant ses ongles dans les épaules de son mari, prouvant qu’elle était parfaitement réveillée. »

Avec un rire de gorge, il remonta lentement jusqu’à ses lèvres pulpeuses et l’embrassa avec fougue. Patiemment il recommença à la caresser et s’émerveilla des initiatives de plus en plus audacieuses de sa jeune épouse. Quand il fut à bout de résistance, il se glissa entre ses jambes et la pénétra violemment. Elle l’accueillit avec un cri de bonheur qui le combla. Il aurait voulu savourer cet instant magique mais les hanches de Candy se tendaient vers lui exigeantes, et il s’abandonna au rythme qu’elle lui imposait jusqu’à ce qu’ils atteignent une nouvelle fois les sommets de l’extase.

Éperdu, à bout de souffle, Terry restait étendu sur le corps de son épouse, incapable du moindre mouvement. La tête nichée sur un de ses seins si doux, il écoutait les battements fous de son coeur qui résonnaient comme un écho à ceux qui vibraient dans sa propre poitrine. Les bras de la jeune femme se refermèrent sur lui et il sentit qu'il sombrait dans un abîme de douceur et de tendresse où il risquait de se perdre à jamais. Mais la réalité était ailleurs. Il avait passé l'âge de rêver. La réalité c'était la cicatrice qu'il portait au côté, les critiques qui l'avaient démoli si souvent, les metteurs en scène qui lui avaient refusé les rôles qu'il souhaitait... Plus jamais il ne laisserait qui que ce soit prendre l'ascendant sur sa vie, et surtout pas Candy, fut-elle la femme la plus excitante qu’il ait jamais tenue dans ses bras.

Il se dégagea de la douce étreinte et s'appuya sur un coude pour la regarder. Malgré lui, ses doigts effleurèrent son visage pour écarter quelques mèches blondes collées sur le front de la jeune femme.

Candy le fixait d'un regard qui, espérait-elle, exprimait tout l'amour qui emplissait son coeur. Comment avait-elle pu se croire capable de vivre sans lui ? Au-delà du plaisir qu'il lui avait fait découvrir, elle avait compris que jamais elle n'aurait pu partager avec un autre ce qu'elle venait d'éprouver. Son bonheur était total parce que c'était lui qui se trouvait près d'elle. Terry était le seul à savoir faire vibrer son coeur et maintenant son corps.

« Terry, murmura-t-elle, je voulais te dire... »

Il posa un doigt sur ses lèvres pour la faire taire et afficha ce sourire narquois qu’elle détestait.

« Ravi que la représentation vous ait plu, chère partenaire. Il faut reconnaître que tu es une élève plutôt douée.

- Ce n’est pas ce que je voulais dire, protesta Candy qui sentit le rouge envahir ses joues.

- Vraiment ? Tu serais bien la première à te plaindre de mes performances ! Je doute que ton Texan aurait fait mieux ! »

Bouleversée, Candy ramena le drap sur elle et lui tourna le dos. Alors qu’elle brûlait de lui avouer tout l’amour qu’elle ressentait pour lui, tout ce qu’il trouvait à faire était de se vanter de ses qualités d’amant et d’évoquer ses autres conquêtes ! N’avait-il pas senti comme elle l’alchimie qui unissait leurs corps au point de les emmener si haut ? Sa gorge se noua et elle préféra se taire de peur d’éclater en sanglots. Vaincue par la fatigue, elle se réfugia dans le sommeil sans pouvoir maîtriser les larmes qui perlaient au coin de ses paupières closes.

Fin du chapitre 16

CHAPITRE 17

Debout à côté du lit, Terry observait la femme endormie qui par un coup du sort extraordinaire était devenue la sienne. Étendu sur le dos à côté d’elle, il avait été incapable de trouver le sommeil. Il s’était donc levé sans bruit et avait attendu l’aube dans le fauteuil près de la fenêtre l’esprit agitée de pensées contradictoires.

La plus agaçante était le souvenir du plaisir incroyable qu’il avait pris à lui faire l’amour. Jamais aucune de ses maîtresses ne lui avait apporté une telle sensation de plénitude, même les plus expérimentées. Le simple fait de la contempler, endormie et vulnérable lui procurait un sentiment de puissance inégalé. Il était pourtant certain de ne plus être amoureux d’elle et savait que c’était réciproque. Candy n’avait pas réagi quand il avait évoqué Hugh Stewart, celui qu’elle avait failli épouser. Et au cours de la nuit, si elle avait murmuré et gémit son prénom, elle n’avait pas prononcé le moindre mot d’amour.

Bien que novice aux jeux de l’amour, la jeune femme s’était révélée une maîtresse passionnée et avide d’apprendre. Finalement, ce mariage pourrait être un arrangement plus agréable qu’il n’y paraissait au premier abord. Il était bien décidé à lui dévoiler d’autres délices qu’il ne réserverait qu’à elle. Maintenant qu’il avait goûté à la douceur de son corps de déesse, il était peu disposé à lui accorder la moindre velléité de comparaison, et à la combler physiquement.

Aux premières lueurs de l’aube, Terry s’était préparé au départ. Puis habillé et rasé de frais, il avait ouvert les rideaux avant de revenir près du lit où reposait toujours Candy. Les traces des larmes qu’elle avait versées en s’endormant étaient encore visibles sur ses joues pâles. Pourtant, lui causer de la peine ne procurait pas au jeune homme autant de satisfaction qu’il l’avait espéré.

Il la secoua doucement par l’épaule pour la réveiller. Les yeux encore noyés de sommeil, la jeune femme lui sourit tendrement et le coeur de Terry manqua un battement.

« Réveille-toi, Candy, dit-il d’une voix ferme et le visage impassible. Nous devons partir tôt.

- Partir ? Où veux-tu aller ?

- Nous rentrons à New York, bien sûr. Dépêche-toi de te préparer et de boucler tes valises. Je t’attends en bas pour le petit déjeuner. »

Candy le regarda sortir et soupira. Elle avait espéré un autre réveil pour le lendemain de sa nuit de noces. La chaleur lui monta aux joues au souvenir de la nuit passée et elle s’étira avec bonheur. Maintenant qu’elle était Mme Granchester, il y aurait d’autres nuits et d’autres matins. Ils auraient tout le temps de se dire les mots tendres qu’elle espérait.

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Le voyage du retour fut pénible pour Candy qui n’avait jamais accompli de si long périple en voiture. De plus Terry refusa de s’arrêter plus que nécessaire tant il était pressé d’arriver. Comme il leur était impossible d’avoir une conversation sans hurler pour dominer le bruit de moteur, et que le jeune homme n’était pas très loquace, elle passa l’essentiel du trajet à méditer sur les idées qui lui tournaient dans la tête. Son mariage précipité commençait à lui paraître irréel. Elle ne pouvait se représenter comment sa conduite avait pu provoquer un tel tollé dans la bonne société au point de faire sortir la tante Elroy de se retraite. Malgré tous ses efforts, Candy n’avait jamais pu intégrer totalement de code de conduite des jeunes filles de bonne famille. Elle essayait souvent de comprendre comment Annie avait réussi à le faire. Son amie était pour elle le parfait exemple de la jeune fille du monde. Personne ne faisait jamais le moindre reproche à Annie. Mais Candy était trop indépendante et trop impulsive pour devenir comme Annie un modèle de référence.

Elle observa à la dérobée le profil de son mari, concentré sur sa conduite. Non, ce n’est pas Annie qui se serait mariée à la va-vite avec un comédien à la réputation douteuse. Mais il s’agissait de Terry, l’homme qu’elle avait toujours aimé au fond de son coeur. Bien qu’il ait changé, elle sentait toujours son coeur bondir dans sa poitrine dès qu’il posait les yeux sur elle. Elle observa les grandes mains qui tenaient le volant et détourna son visage pour dissimuler la rougeur de ses joues en se remémorant leurs caresses sur sa peau. Elle envisagea de lui demander de s’arrêter dans une auberge pour la nuit, mais sa timidité l’emporta. Elle se laissa bercer pas les cahots de la voiture et s’endormit, la tête sur l’épaule de son mari.

La nuit commençait à tomber quand Terry immobilisa le véhicule devant chez lui. Il n’avait jamais renoncé à son appartement, même après s’être installé chez Susanna. Il s’en servait parfois comme garçonnière, mais le plus souvent pour s’isoler loin de l’atmosphère pesante de la maison Marlow. Candy fut stupéfaite en découvrant qu’il s’agissait de l’appartement où il l’avait reçue peu avant leur dramatique séparation. Elle reconnut chaque détail à jamais gravé dans sa mémoire. Seule la grande affiche sur le mur, celle où elle avait écrit son nom à la place de celui de Karen, avait disparu.

A part cela, rien n'avait changé, comme si le temps s'était arrêté. Elle savait pourtant bien que ce n'était pas le cas. Curieusement, elle n'avait jamais essayé de se représenter l'endroit où pouvait vivre Terry durant les trois dernières années. L'imaginer avec Susanna était trop douloureux. Mais se retrouver dans ce même appartement si longtemps après paraissait incongru.

Elle en était là de ses réflexions quand le jeune homme revint avec le reste des bagages qu'il posa dans l'entrée.

« Il n’est pas encore très tard, que dirais-tu d’aller dîner ? »

Candy appréhendait de se retrouver déjà en public et ne se sentait pas à son avantage après le long voyage en voiture, mais elle mourrait de faim. Indécise, elle ne savait que répondre quand Terry reprit avec un sourire :

« Rassure-toi. Je n’ai pas l’intention de nous jeter dans la fosse aux lions dès ce soir. Je pensais juste à un petit dîner dans un restaurant tranquille. »

C’était comme s’il avait lu dans ses pensées et Candy lui sourit avec gratitude avant de le suivre.

Il l’emmena dans un restaurant situé à quelques pâtés de maisons. L’ambiance y était conviviale et sans apprêt. De plus la cuisine était délicieuse, ce qui ne gâtait rien. L’endroit était fréquenté par de nombreux acteurs qui saluèrent Terry à son arrivée d’un signe de tête, mais personne ne les importuna et ils purent dîner tranquillement.

Terry était peu disposé à entretenir une conversation soutenue et jetait de fréquents regards vers la porte. La jeune femme se résolut donc à manger en silence, inquiète de ce qui pouvait préoccuper son mari. Ils terminaient leur café quand un nouveau convive entra et elle vit le visage de Terry se détendre. Il fit un signe discret au nouvel arrivant. Candy entendit des pas se rapprocher et se mit à martyriser sa serviette entre ses doigts, jusqu’à ce que le jeune homme pose sa main sur la sienne dans un geste rassurant. Une onde de chaleur la parcourut et ce fut comme s’il lui communiquait sa force. Elle reprit confiance en elle aussitôt et accrocha un sourire sur ses lèvres pour accueillir le nouveau venu.

Celui-ci serra chaleureusement la main de Terry avant de se tourner vers elle et de s’incliner pour lui baiser la main avec une parfaite galanterie.

« Mademoiselle André, c’est un plaisir de vous revoir. Nous ne nous sommes rencontrés qu’une fois, mais votre beauté m’a laissé un souvenir impérissable ! »

Candy sourit poliment devant le compliment exagéré et reconnut l’homme qui accompagnait Terry lors de leur courte entrevue au salon de thé. Elle fut surprise de réussir à retrouver son nom alors que tout le reste de cette déplorable rencontre était noyé dans un brouillard confus.

« Monsieur Olliver, c’est bien cela ?

- En effet ! Quel bonheur que vous vous souveniez de moi, mais je vous en prie, appelez-moi James ! »

Il tenait toujours la main de la jeune femme dans la sienne et serra doucement ses doigts fins quand elle essaya de la retirer. Fasciné par les yeux immenses qui lui faisaient face, il ne réagit que lorsque Terry s’empara d’autorité de la petite main délicate et la garda dans la sienne.

« Olliver est un vieil ami à moi, ma chérie, et un incorrigible séducteur, expliqua le jeune homme d’un ton badin tandis que son regard de glace se plantait dans celui de son ami. »

Le malheureux ami saisit aussitôt l’avertissement : Interdiction de chasser sur les terres de Terrence Granchester ! Et cette fois-ci l’anglais avait tiré le gros lot. Maintenant qu’il pouvait la contempler à son aise, la jeune femme lui apparaissait encore plus belle et plus délicieuse que dans son souvenir. La malheureuse ne se doutait pas de ce qu’elle risquait en fréquentant Terry. Elle n’était pas de taille à le dompter. Pourtant la merveilleuse créature lui asséna un second coup qui le ramena à la réalité de la manière la plus brutale.

« Il y a longtemps que vous connaissez mon mari, James ? Et appelez-moi Candy, comme tous mes amis. »

James Olliver se trouva remis à sa place par deux simples phrases et en resta bouche bée. Il lui suffit d’observer le sourire innocent de Candy et le regard de connivence qu’elle échangea avec Terry pour comprendre à quel point il s’était trompé sur ce petit bout de femme. Ces deux-là étaient sur la même longueur d’onde et si quelqu’un était à même de venir à bout de Terry, ce ne pouvait être qu’elle ! Il abandonna son masque de séducteur pour redevenir le charmant compagnon apprécié de tous pour sa gaieté et son sens de l’humour.

« Touché ! Reconnut-il en se laissant tomber sur une chaise libre. Et de quand date cet heureux événement ?

- De hier, répondit Terry, laconique.

- Personne n’est encore au courant ?

- Non, et je compte sur toi pour qu’il en soit ainsi jusqu’à ce que nous ayons vu le père de Candy.

- Tu es un tyran ! Comment veux-tu qu'un bavard tel que moi tienne sa langue devant une nouvelle pareille ! De plus, il paraît que toute la famille André va retourner à Chicago. »

Désemparée, Candy regarda son mari. Si Albert quittait New York, ce serait un désaveu flagrant de sa conduite, malgré son retour et son mariage. Elle avait besoin du soutient de son vieil ami pour affronter les regards venimeux qui ne manqueraient pas de se poser sur elle. Terry tenait toujours sa main dans la sienne. Inconsciemment, son pouce en caressait la paume délicate.

« Nous irons voir William André demain, décida-t-il. »

-----oooOooo-----

Gérald alla répondre au coup de sonnette impérieux qui l’appelait à la porte d’entrée. Le visage du majordome s’éclaira en reconnaissant la jeune Candy. Mais son sourire se transforma en rictus quand il découvrit l’homme qui l’accompagnait. Cet acteur était insupportable. Les individus tels que lui n’avaient rien à faire dans les bonnes familles. Il détestait le sourire narquois qu’affichait cet homme en lui tendant son manteau.

« La fleur que j’apporte aujourd’hui n’a pas besoin de vase Gérald. Annoncez donc notre arrivée à Monsieur André. »

Lèvres pincées, le majordome s’exécuta tandis que les deux jeunes gens le suivaient dans l’escalier. A peine eut-il frappé à la porte du bureau, qu’ils le repoussèrent et entrèrent sans façon dans la pièce.

L’accueil d’Albert fut des plus glacial. Debout derrière son bureau il n’esquissa pas un geste quand Candy se précipita vers lui. Elle s’arrêta au milieu de la pièce, sans comprendre. Elle ne reconnaissait plus son cher Albert dans cet homme en costume sombre qui la fixait d’un regard dur. Elle comprit qu’elle avait devant elle le Grand’ Oncle William, le chef de la famille André, et que c’est en tant que membre de cette famille qu’il la traitait aujourd’hui. Il avait quelque chose à lui reprocher et elle savait quoi, ou croyait le savoir.

Elle sentit la présence rassurante de Terry derrière elle qui posa les mains sur ses épaules.

« Vous ne manquez pas de culot tous les deux ! Si je n’étais pas convaincu d’avoir une part de responsabilité dans ce qui est arrivé, j’aurais du vous jeter dehors ! »

Terry fronça les sourcils. Il ne s’attendait pas à une telle colère de la part d’Albert. Contre lui, Candy tremblait, totalement incrédule.

« Je suis désolée, Albert. Je sais que nous aurions dû t'en parler avant, mais...

- Tu espérais que j’allais te donner ma permission !

- Il est inutile de vous en prendre à elle, intervint Terry. Je suis le seul responsable. Il vaut mieux que nous nous expliquions pendant que Candy attendra en bas.

- Oh que non ! Tu vas rester là, mademoiselle « je-n’en-fait-qu’à-ma-tête-sans-penser-aux-conséquences » ! Nous allons régler le problème une bonne fois pour toute, même si c’est désagréable. »

Terry avança un siège à son épouse mais resta debout près d’elle, l’air résolu.

Albert avait pris place à son bureau et respirait profondément pour se clamer. Ces deux-là avaient le don de provoquer les ennuis, mais cette fois ci ils avaient passé les bornes. De plus, l'honneur de la famille était en jeu.

« Je t’avoue que je suis déçu, Terrence. Je croyais que tu t’étais assagi en vieillissant. Je n’aurais jamais dû te faire confiance. Voilà ce que je me reprocherai toujours. »

Candy leva les yeux vers Terry, surprise.

« Que veut-il dire ?

- C’est Albert qui m’a indiqué où je pourrai te trouver.

- Tu m’avais affirmé vouloir lui parler, Terry ! Lui parler, pas l’enlever ! Te rends-tu compte du déshonneur que cela représente pour la famille, Candy ? »

Soulagé, Terry éclata de rire. Il se pencha pour déposer un baiser sur la tempe de la jeune femme stupéfaite.

« Bien sûr que non, elle ne réalise pas ! Elle ne peut pas comprendre parce qu’elle n’a rien commis de répréhensible, et vous le savez bien.

- Tu devais l’aider à disparaître pour quelques temps !

- Pourquoi la cacher comme si elle avait commis une faute ? Candy et moi avons opté pour une autre solution. »

Une sirène d’alarme se mit à résonner dans la tête d’Albert. La mine rougissante de Candy et l’air satisfait de Terry lui faisaient entrevoir soudain un dénouement bien éloigné de ce qu’il avait imaginé.

Terry prit la main de la jeune femme dans la sienne pour la porter à ses lèvres. Celle-ci ne pouvait voir le regard triomphant qu’il jetait à Albert.

« Il est temps d’annoncer la grande nouvelle à ton père, n’est-ce pas, Candy ?

- Albert, commença-t-elle, avec un sourire radieux, Terry et moi sommes mariés ! »

Ce fut comme si le monde s’écroulait autour de lui. Albert dut faire appel à tout son self control pour ne pas bondir de son fauteuil et sauter à la gorge du jeune homme. Il avait été manipulé par ce gamin qu’il connaissait depuis l’adolescence. Lui, le grand homme d’affaire s’était laissé berner par un acteur à la carrière incertaine.

« Comment as-tu osé ? Balbutia-t-il d’un voix atone. Je vois clair dans ton jeu Terry. Tu te sers de Candy pour arriver à tes fins, mais je ne te laisserai pas faire.

- Et que comptez vous entreprendre, demanda Terry »

Il avait abandonné le dossier du siège de son épouse pour se placer devant Albert, les poings posés sur le bureau.

« Elle est désormais Mme Terrence Granchester. Je lui évite à la fois le déshonneur et Daniel Legrand. Vous trouvez que je n’ai pas rempli ma part du marché ? Vous remercieriez le premier venu qui vous offrirait une telle porte de sortie, mais pas moi, n’est-ce pas Albert ? Pourquoi ?

- Parce que je sais très bien à quoi m’en tenir à ton sujet, s’emporta Albert en ouvrant le tiroir central de son bureau et en jetant au visage de Terry le chèque que celui-ci lui avait remis quelques semaines plus tôt. Tu es à sec Terry, ce chèque est sans provision. Voilà des années que tu te laissais entretenir pas les Marlow. Tu n’as plus un sou et le moyen le plus rapide de te renflouer, c’était de mettre le grappin sur une riche héritière. Tu as choisi Candy parce que tu savais comment la manipuler. J’ai tout fait pour la protéger des coureurs de dot dans ton genre, mais elle ne pouvait pas se méfier de toi. »

Effarée, Candy écoutait la dispute entre les deux hommes sans comprendre. A quel moment les choses avaient-elles basculé ? Elle était venue annoncer son mariage, et voilà que la discussion tournait à nouveau autour de l’argent. L’agent de la famille André, l’argent de sa dot... Albert prétendait que Terry l’avait épousée pour son argent...

« Mais que se passe-t-il, balbutia-t-elle. Arrêtez de vous disputer !

- Oui, que se passe-t-il ici, renchérit la voix ferme de la tante Elroy qui venait d’entrer. On vous entend hurler dans toute la maison. »

Elle observa les deux hommes qui se faisaient face avant de s’intéresser à la femme assise qui lui tournait le dos. La vielle dame eut un hoquet en la reconnaissant.

« Candy, s’exclama-t-elle, bien sûr. Je ne suis pas étonnée que tu sois mêlée à cet esclandre. Cela te ressemble bien. Qu’as-tu encore inventé pour perturber cette famille ? »

C’en était trop pour Candy qui sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle ne distinguait plus Terry qu’à travers un brouillard qui le faisait paraître diffus.

« Dis-lui qu’il se trompe, Terry implora-t-elle. Dis-moi que ce n’est pas vrai. Tu ne m’a pas épousée pour de l’argent, n’est-ce pas ?

- Bien sûr que si, s’emporta Albert. Mais je ne le laisserai pas faire ! Je trouverai le moyen de faire annuler ce mariage ! »

Candy attendit en vain une dénégation de la part de son mari. Celui-ci ne la regardait même pas. Lui et la tante Elroy s’affrontaient du regard comme s’ils étaient seuls au monde. C’était plus que Candy ne pouvait en supporter. Elle sortit en courant et se précipita vers sa chambre.

« Ne compte pas empocher le moindre sou, Terrence, reprit Albert. Tu as fait un mauvais calcul en pensant me manipuler.

- Calmez-vous, William, intervint la Tante Elroy. Allez donc voir ce que fait cette fille, avant qu’elle ne commette une nouvelle bêtise. Je vais m’entretenir avec ce jeune homme. »

Albert aurait voulu empêcher sa tante de se mêler de cette affaire, mais il était trop inquiet pour Candy et trop en colère contre Terry pour raisonner logiquement. Il préféra donc allez retrouver sa fille pour la réconforter. Une fois calmé, il serait plus à même de décider de la conduite à tenir vis à vis de l’acteur.

Celui-ci était tiraillé entre l'envie de courir après sa femme pour la retenir, et le désir d’affronter enfin la matriarche qu’il ne connaissait que par les rapports de Mallone. Malgré son grand âge, celle-ci paraissait être resté une maîtresse femme. Il n’oubliait pas que c’était elle qui avait suggéré le mariage entre Daniel et Candy. Son faible pour cette petite ordure laissait présager qu’elle n’était pas inébranlable, et il avait quelques atouts dans sa manche. Il respira profondément plusieurs fois pour se calmer et se prépara à une joute verbale avec la veille dame. Retrouvant les réflexes d’une éducation oubliée, il avança un siège à la tante Elroy et prit place dans celui que Candy venait de quitter.

« Vous êtes acteur, n’est-ce pas, attaqua la tante Elroy en le fixant d’un regard de glace. Rappelez-moi votre nom ?

- Terrence Granchester, madame.

- Acteur et coureur de dot à vos moments perdus ! Vous avez bien mal choisi votre victime jeune homme. William fera annuler ce mariage.

- Et vous pourrez ainsi la jeter dans le lit de Daniel Legrand, si j’ai bien compris. Ce marché permettrait de garder l’héritage au sein de la famille, c’est cela ? De telles manigances ne sont pas plus élégantes que celles dont on m’accuse. Si vous êtes à ce point désireuse de vous débarrasser de Candy, pourquoi ne soutiendriez-vous pas ma cause auprès d’Albert ?

- William est trop attaché à cette orpheline pour vous laisser lui mettre la main dessus.

- Sauf votre respect, madame, c’est déjà fait. »

Terry réprima un sourire devant le hoquet scandalisé de la vieille dame qui avait parfaitement saisi l’allusion.

« Je songeais juste qu’il est tout à fait possible que le futur héritier soit déjà en route. Seriez-vous encore capable de remédier à une telle situation ? »

La Tante Elroy se mit à triturer son mouchoir de dentelle jusqu’à en faire de la charpie. Ce saltimbanque la fixait sans ciller de ses yeux outremer. Elle comprit qu’il en savait plus qu’il ne voulait en dire pour le moment, mais elle devait tenter d’en apprendre d’avantage.

« Où voulez-vous en venir exactement, jeune homme ?

- Je souhaite obtenir votre soutien, madame. Je trouve qu’un arrangement nous serait profitable à tous les deux.

- Quel genre d’arrangement ?

- Vous souhaitez vous débarrasser de Candy ? C’est fait puisqu’elle est devenue ma femme. Persuadez Albert de ne pas faire annuler ce mariage, même si vous le jugez scandaleux.

- Je n’ai aucune raison d’aller contre la volonté de mon neveu.

- Dans ce cas, je n’aurai aucune raison de lui dissimuler l’histoire du bébé de votre nièce Rosemary, né au printemps 1898, que vous vous êtes chargée de faire disparaître pour l’honneur de la famille André. Votre signature figure au bas de certains documents, elle est très reconnaissable.

- Comment avez-vous su... balbutia la tante Elroy devenue très pâle. C’est du chantage !

- Ce n’est pas très joli en effet, mais moins grave que d’abandonner un enfant, vous ne trouvez pas ? Et moins grave que de laisser Albert arriver à ses fins. Vous l'avez dit vous même, il est très attaché à Candy. Un peu trop il me semble. A voir sa réaction, on pourrait se méprendre sur la nature des sentiments qu'il porte à ma femme. Au fait, la soeur d’Albert ne s’appelait-elle pas Rosemary ? »

Vaincue, la vieille dame baissa la tête. Dans un sursaut de dignité, elle refusa la main que Terry lui offrait pour l’aider à se lever et sortit sur ses jambes tremblantes pour rejoindre son neveu.

Resté seul dans le bureau, Terry put laisser tomber le masque d’impassibilité qu’il avait posé sur son visage durant tout l’entretien. La douairière saurait-elle se montrer convaincante ?

Cette première entrevue avait été suffisante pour qu'il se fasse son opinion sur la tante Elroy. Cette femme froide et autoritaire était prête à tout pour préserver la réputation de la grande famille André. Et son plus cher désir était d'éloigner celle qui par sa présence lui rappelait à chaque instant la faute de sa nièce. Comme sa mère, voilà que Candy attirait la honte sur leur maison. Non, la matriarche ne laisserait pas la fille reproduire les erreurs de sa mère. Le moyen le plus simple de mettre fin à ses ennuis était de laisser les choses en l'état. New York était suffisamment éloigné de Chicago pour que la famille André retrouve une certaine sérénité une fois que la fauteuse de troubles ne serait plus parmi eux. Elle empêcherait Albert de faire annuler leur mariage et elle persuaderait Candy de faire face à ses obligations.

Candy ! Terry fronça les sourcils en se souvenant de ses larmes lorsqu'elle s'était précipitée hors du bureau. Finalement, qu'elle n'ai pas songé à lui comme un coureur de dot était plutôt flatteur, mais comment alors avait-elle interprété son étrange proposition ? Lui même n'arrivait pas à appeler cela une demande en mariage. C'était un arrangement, ainsi qu'il l'avait dit, et un arrangement doit être profitable à chacune des parties.

La colère d'Albert l'avait surpris mais dans cette optique, elle était compréhensible. Puisque les sentiments n'étaient plus de mise entre les deux jeunes gens, Albert en avait conclu que l'intérêt de Terry était ailleurs, et il avait immédiatement pensé à l'aspect financier. Il avait bien changé depuis qu'il avait pris la direction des affaires de la famille André ! Autrefois, l'argent avait été le cadet de ses soucis.

Le jeune acteur en était encore à se demander ce qui avait pu motiver une telle colère chez Albert quand l'objet de ses réflexions revint dans le bureau.

« Où est Candy, demanda aussitôt Terry.

- Avec la tante Elroy. Je ne comprends pas comment celle-ci a réussi à convaincre Candy, mais elles sont toutes deux opposées à l’annulation de ce mariage. La question se règlera donc entre toi et moi.

- Que voulez-vous dire ?

- Je suis toujours le chef de cette famille et je ne reviendrai pas sur ma décision. Tu peux partir d’ici avec Candy si tu le souhaites, mais aussi pauvre qu’en entrant. Je ne verserai pas un cent en guise de dot ! »

Albert prit place derrière son bureau et ouvrit un tiroir dont il sortit un carnet de chèque et un stylo avant de reprendre :

« Par contre, je suis disposé à te remettre une grosse somme d’argent à condition que tu acceptes l’annulation et que tu disparaisse de notre vie. Définitivement. »

Terry avait déjà encaissé pas mal d’insultes au cours de son existence, mais la proposition d’Albert lui apparut comme la pire des injures qui ne lui ait jamais été faite. Il blêmit devant l’offense et se leva, mâchoires serrées.

« Le sang des Granchester coule toujours dans mes veines, monsieur William André, et nous n’avons pas pour habitude de tolérer de tels affronts.

- Épargne-moi le numéro de la noblesse outragée ! Tu es incapable de rendre Candy heureuse. Prend l’argent et laisse-la. »

Un sourire d’une incroyable cruauté se dessina sur les lèvres de Terry. Inquiet, Albert le regarda se diriger vers la porte et l’ouvrir calmement. Puis il se retourna pour lâcher d’un ton cinglant :

« Dites adieu à votre fille, Albert. Maintenant elle est à moi ! »

Fin du chapitre 17

CHAPITRE 18

De retour dans leur appartement, Candy enleva son chapeau et le posa sans ménagement sur la table avant de se tourner vers son mari.

« Mais qu’est-ce qui t’a pris de partir aussi vite ! S’emporta-t-elle. Je n’ai même pas eu le temps de prendre mes affaires !

- Tu n’as plus besoin de quoi que ce soit qui vienne de chez les André, répondit-il sur le même ton. Tu as entendu ton cher père ? Puisque tu as fait la folie de m’épouser en cachette, il ne te donnera rien ! J’ai voulu lui prendre sa fille ? Pour me punir il me la laisse, mais nue comme un ver ! »

L’image alluma une lueur égrillarde dans ses yeux bleus et il se rapprocha de la jeune femme. Rougissante, celle-ci tourna autour de la table pour la mettre entre eux deux.

« L’idée est assez séduisante pour que je l’examine de plus près, reprit Terry.

- Ne détourne pas la conversation, intervint Candy espérant couper court à ses avances. Tu as vraiment des problèmes d’argent ?

- Ce n’est pas le genre de sujet qu’un gentleman aborde avec une dame, répondit Terry, contrarié. Mais pour être tout à fait précis, à partir de maintenant, NOUS avons des problèmes d’argent.

- Alors c’est vrai, balbutia la jeune femme d’une voix tremblante. Tu m’as épousée pour de l’argent ! »

Il la fixait d’un regard inexpressif, et le coeur de Candy se serra. Une nouvelle fois, il n’émettait aucune protestation. Ce devait donc être la vérité ! A quoi avait-elle pensé en acceptant ce mariage ? Une nouvelle fois, il avait été là quand elle avait eu besoin de lui. C’était comme autrefois quand Daniel et ses copains voulaient s’en prendre à elle. Les sentiments de son adolescence avaient refleuris dans sa poitrine et elle avait trouvé cela si naturel. Il lui avait pourtant bien dit qu’ils n’étaient plus des enfants, que rien n’était comme avant, mais elle n’avait rien écouté. Il avait suffit qu’il la prenne dans ses bras pour qu’elle tire un trait sur les trois dernières années, sur la souffrance et sur les regrets. Mais Terry n’était pas comme elle. Il pouvait être si dur, et capable de tout pour arriver à ses fins. Les paroles de la tante Elroy lui revinrent en mémoire : « Il est temps que tu grandisse, Candy et que tu assumes tes responsabilités. »

Blessé par la conclusion de la jeune femme, son mari serrait les dents pour ne pas s’emporter. Dieu sait qu’il avait pensé à bien des choses ce jour là, mais pas à l’argent de sa dot. Il l’avait imaginée heureuse dans les bras d’Hugh Stewart, en larmes dans ceux de Daniel Legrand, et l’une comme l’autre possibilité lui avait parue inacceptable. La solution s’était imposée d’elle-même, l’épouser pour éviter qu’un autre ne le fasse.

« Tu aurais dû me poser la question avant, intervint Terry, la tirant de ses réflexions. Mais cela ne t’est pas venu à l’esprit. Une nouvelle fois tu n’as pensé qu’à toi ! Tu t’es servi de moi comme d’une planche de salut pour sortir du bourbier dans lequel tu étais en train de t’enfoncer. Mon opinion n’a pas beaucoup d’importance pour toi, n’est-ce pas Candy ?

- Pourquoi dis-tu une chose pareille ?

- Parce que c’est ce que je ressens. Mais cette fois tu vas m’écouter. Même si j’ai commis une erreur en t’épousant, il est trop tard pour revenir en arrière et je ne laisserais pas Albert et ta famille me ridiculiser. Nous allons toi et moi faire contre mauvaise fortune bon coeur et sortir en public dès ce soir. Je t’ai promis que tu rentrerais à New York la tête haute et tu le feras. A toi de remplir ta part du marché en jouant le rôle de l’épouse parfaite. Si Albert cherche à faire annuler notre union, il provoquera un scandale encore plus grand que celui de ta prétendue fugue.

- Tu as l’habitude de jouer la comédie, pas moi.

- Alors apprends très vite si tu ne veux pas retomber sous la coupe de ta chère famille. Je n’imaginais pas ton père aussi possessif. Il t’étouffe plus qu’il ne te protège, Candy, ne t’en es-tu pas rendu compte ? »

La jeune femme baissa les yeux, trop bouleversée pour répondre. Terry avait dit qu’il avait commis une erreur en l’épousant. Bien qu’elle ne soit pas loin de penser la même chose, la douleur qu’elle ressentait au fond du coeur lui donnait envie de crier. Sa fierté lui donna la force de relever la tête mais Terry se dirigeait vers la porte.

Lassé de son silence, il préférait quitter les lieux avant de la prendre par les épaules pour la secouer et lui arracher enfin un mot.

« Où vas-tu, demanda Candy, surprise qu’il l’abandonna ainsi sans façon.

- J’ai un rendez-vous pour discuter de ma prochaine pièce. Il m’incombe de subvenir aux besoins de mon épouse, non ? A ce propos, si tu veux faire des courses, tu trouveras de l’argent dans le tiroir du buffet mais ne prévois rien pour moi, je ne rentrerai pas avant ce soir. Sois prête à huit heures. »

Restée seule, la jeune femme se laissa tomber sur une chaise et enfouit la tête au creux de ses bras. Elle aurait voulu pleurer pour soulager sa douleur mais ses yeux restaient étrangement secs. Jamais elle ne s'était sentie aussi abandonnée qu'à ce moment. Son mari l'avait laissée seule deux jours après leur mariage et celui qu'elle aimait comme un père avait été odieux avec elle. Terry l'avait bien senti, lui qui avait accusé Albert de l'étouffer. Mais celui-ci avait toujours été son protecteur. Chaque fois qu'elle avait eu besoin de réconfort, Albert avait été là comme par miracle. Pourquoi aujourd'hui s'était-il montré aussi dur ? Une petite voix au fond de son coeur lui disait que c'était aussi la première fois qu'elle s'affirmait en tant que femme, une femme mariée de surcroît, donc libérée de l'influence paternelle. Jamais auparavant elle ne s'était vraiment détachée d'Albert. Le fait qu'il ait toujours veillé sur elle impliquait qu'elle soit toujours restée proche de lui. C'est vrai qu'il était parfois un peu possessif, mais c'était parce qu'il tenait à veiller sur elle.

Aujourd'hui les choses étaient différentes. A tord ou à raison, elle avait accepté d'épouser Terry. La Grand tante Elroy avait insisté sur les responsabilités qu'impliquait le statut de femme mariée. Elle se devait d'assumer son rôle, même si son mariage n'était pas aussi heureux qu'elle l'aurait souhaité. Et puis elle n'arrivait pas imaginer Terry aussi méchant qu'il essayait de le paraître. Une fois déjà elle avait réussi à toucher son coeur. Elle était sûre de réussir une nouvelle fois. Il suffisait d'être patiente.

L'image de Susanna s'imposa malgré elle à son esprit. Est-ce que la pauvre avait pensé la même chose ? Susanna aussi aimait Terry, pourtant leur histoire s'était terminée en drame. Le jeune homme pouvait être tellement intransigeant. Il y avait tant d'espoir et d'ambition en lui ! Susanna n'avait pas su répondre à ses attentes, mais Candy ne désespérait pas d'y arriver.

Forte de sa nouvelle résolution, elle remis son chapeau et sortit dans ce quartier inconnu. Livrée à elle même elle réalisa à quel point New York pouvait être immense. Autrefois, il suffisait de demander au chauffeur de la maison André de la conduire quelque part pour s'y rendre. Obligée de se repérer toute seule, elle était perdue. Elle commença par s'enquérir d'un bureau de poste auprès des passants. Là elle se servit d'un bottin pour relever la liste de tous les hôpitaux de la ville. Son poignet lui faisait mal à force d'écrire quand elle eut terminé. Leur nombre était impressionnant ! Ce serait bien le diable si elle ne réussissait pas à trouver du travail dans l'un d'entre eux. N'importe quel établissement hospitalier avait besoin d'infirmières compétentes, et elle se considérait comme telle. Puisque l'argent semblait être un tel problème pour Terry, elle allait travailler pour contribuer à l'entretien de leur ménage.

Elle trouva rapidement une boutique où se procurer un plan de la ville, ainsi qu'un horaire des tramways. Elle avait tout l'après midi pour commencer ses démarches. La chance lui sourit dès sa troisième tentative. L'hôpital St John se révéla intéressé par sa candidature et surtout par la formation d'infirmière de chirurgie qu'elle avait suivie à Chicago. L'établissement était réputé pour son travail de pointe dans le domaine des maladies cardio-vasculaires et lui proposait de prendre son poste dès le lendemain matin. Candy ne put s'empêcher d'y voir un signe du destin. Son avenir n'était pas aussi noir qu'elle avait pu le redouter et une nouvelle vie s'ouvrait devant elle.

Terry la trouva en train de ranger dans les placards les provisions qu'elle avait achetées sur le chemin du retour. Elle fredonnait et la voir de si bonne humeur l'irrita sans qu'il s'explique pourquoi, mais il se garda du moindre commentaire. Sous le regard étonné de Candy, il déposa sur le lit un énorme carton.

« Je veux que tu fasses sensation ce soir, Candy, alors je suis passé au théâtre pour nous trouver des déguisements appropriés.

- Tu veux aller à un bal costumé ? »

La jeune femme fronça les sourcils. Dans sa joie d’avoir trouvé du travail, elle avait oublié les projets de Terry pour la soirée. Or, sortir ne l’enchantait guère, puisqu’elle devait prendre son travail tôt le lendemain matin. Il est vrai que son mari n’était pas au courant de l’évolution de la situation puisqu’elle n’avait pas eu l’occasion de lui en parler.

Sa mine désapprobatrice agaça le jeune homme qui en conclut qu’elle n’avait pas envie de se montrer en public avec lui. Son entrevue avec Bellows s’était bien passée et le projet de sa nouvelle pièce s’annonçait prometteur pour chacun d’eux. Enchanté de la tournure que prenait sa carrière, il avait décidé de se montrer plus conciliant envers Candy et de lui offrir une soirée agréable. Et voilà qu’elle faisait la fine bouche alors qu’il se réjouissait d’afficher leur couple aux yeux de tous. Ce bal costumé pour lequel il avait pu obtenir des invitations grâce à Olliver, était l’occasion rêvée pour le retour de Candy. Moins guindé qu’une réception officielle, il présentait en outre l’avantage qu’il y ait peu de risque d’y rencontrer le moindre membre de la famille André.

« Quitte cette mine renfrognée, Candy, dit-il d’un ton brusque. Tu ne vas pas restée cachée dans le fond de ton trou comme une petite souris. Tu as toujours une place à tenir, ne l’oublie pas, même si tu n’es plus une riche héritière.

- Cesses de me comparer à des animaux, répondit la jeune femme vexée. Et un bal costumé pour apparaître pour la première fois en tant que ta femme, je trouve cela un peu déplacé.

- Même si tu ressembles à un oiseau de paradis ? »

Il sortit du carton une longue tunique de soie blanche dont la coupe évoquait la vêture des statues grecques. Le drapé s’attachait sur l’épaule droite à l’aide d’une grosse épingle dorée et laissait l’autre libre. Avec un sourire d’enfant heureux, Terry poussa sa femme dans le cabinet de toilette.

« Dépêche-toi de l’enfiler, tu n’es pas au bout de tes surprises ! »

Candy obéit en priant pour que la soirée ne se termine pas en tragédie. Le fin tissu tombait sur sa peau comme une caresse et épousait le moindre de ses mouvements. Elle avait un peu l’impression d’entrer dans le monde de Terry en passant ce costume de scène. Elle avait vu un miroir en pied dans la chambre et sortit de la salle de bain impatiente de vérifier son allure.

L’expression qui se peignit sur le visage de son mari à son arrivée lui redonna toute sa confiance. Il ne pouvait détacher ses yeux de la silhouette parfaite révélée par le fin tissu qui moulait son corps à chaque pas. Soucieux de ne pas lui laisser voir son admiration, il se précipita dans le cabinet de toilette avec son propre costume tandis que Candy s’asseyait devant la coiffeuse et entreprenait de brosser ses longs cheveux. Dorothée aurait su lui composer une coiffure en accord avec le style de la robe, mais elle se sentait incapable de discipliner la masse de ses boucles blondes. Elle opta pour une simple natte qu’elle laissa reposer sur son épaule dénudée.

Terry sortit à son tour du cabinet de toilette et elle ne put retenir une exclamation de surprise en le voyant vêtu de noir des pieds à la tête à l’exception de la chemise rouge sang. Il était drapé dans une grande cape noire à la doublure rouge et affichait une grimace diabolique qui cadrait tout à fait avec son personnage.

Satisfait de son effet, il s’avança vers elle en imitant un rire démoniaque. Puis il s’arrêta en secouant la tête.

« Non Candy, cette natte ne va pas du tout avec ton costume. Tu n’as pas regardé au fond du carton ? Laisse-moi faire. »

D’un geste preste, il démêla les lourdes mèches pour que la chevelure de sa femme tombe en cascade dans son dos, puis il posa sur son front un cercle doré auquel était attaché une auréole. Pour finir il fixa sur ses épaules une paire de petites ailes blanches. Pour croiser le ruban qui fixait cet accessoire, il dut nouer les bras autour de sa taille et la jeune femme sentit son pouls s’accélérer, comme chaque fois qu’il la touchait. Elle ferma les yeux pour mieux savourer cet instant et ne put voir l’ombre qui obscurcit un instant les yeux de Terry. Puis il la prit par le bras pour l’emmener devant le miroir en pied.

« Regarde, murmura-t-il à son oreille. L’ange et le démon ! Tu vas être la reine de la soirée ma belle, fais-moi confiance. »

Candy regardait l’image que lui renvoyait le miroir sans réussir à y croire. Elle ne se reconnaissait pas dans cette incarnation d’un ange du paradis tel qu’elle en avait vu sur les peintures classiques des maîtres italiens. A côté d’elle, la silhouette sombre de Terry formait un contraste étonnant avec la blancheur éthérée de son costume. Le goût de la farce et du rire se réveilla soudain en elle et Candy redevint la petite fille qui aimait se déguiser en fouillant dans les malles du grenier à la maison de Pony. Il y avait si longtemps qu’elle ne s’était pas vraiment amusée. Un sourire se dessina sur ses lèvres et l’image de son mari dans la glace lui sourit en retour.

« Viens Candy, il est l’heure d’entrer en scène. »

Terry ne s'était pas trompé. A peine avaient-ils pénétré dans la salle que leur couple fut le point de mire de tous les regards. Rougissante derrière son loup orné de plumes blanches, Candy laissa son mari l'entraîner vers le buffet au milieu des murmures qui naissaient sur leur passage. La main possessive du jeune homme posée sur sa taille irradiait une douce chaleur à travers le fin tissu de la robe et indiquait clairement à tous les observateurs l'intimité qui les liait. Terry lui dédia ce sourire charmeur qui la faisait toujours fondre et lui tendis une coupe.

« Tout le monde nous regarde, murmura Candy gênée.

- C’est normal, répondit son mari en la couvant du regard. C’est parce que tu es magnifique ce soir. Tous les hommes présents vont être jaloux de moi.

- Et toutes les femmes vont me détester !

- Elles te détestent déjà. Viens, allons danser. Ce soir, toutes tes valses sont pour moi. »

Candy se laissa emporter par le rythme de la musique et par la proximité du corps de Terry qui la serrait dans ses bras bien plus étroitement que nécessaire. Mais peu lui importait. Ce soir il ressemblait au Terry tendre et attentionné dont elle se souvenait. Elle l’aurait suivi jusqu’en enfer s’il le lui avait demandé. Ils virevoltèrent sur la piste les yeux dans les yeux, ignorant les commentaires et les regards incendiaires que suscitait leur évidente complicité.

Quand l’orchestre termina sa série de valses, il enchaîna sur un quadrille. Les jeunes gens s’apprêtaient à quitter la piste mais un homme déguisé en pirate s’approcha d’eux pour inviter Candy. Terry eut un court instant d’hésitation, puis accepta d’un signe de tête de lui abandonner sa cavalière. Elle continua à danser et à s’amuser, changeant chaque fois de partenaire jusqu’à ce que le souffle finisse par lui manquer. La soirée était bien avancée quand elle réussit à s’éclipser sur la terrasse, les joues en feu et les yeux brillants.

Retiré près du bar, Terry surveillait du coin de l’oeil la beauté blanche qui tournoyait sur la piste. Il refusa sans ménagement deux invitations de femmes au regard énamouré tout en prenant soin de se faire reconnaître de quelques habitués. Toute la salle fut bientôt au courrant de l’identité de celui qui se dissimulait sous le costume de ce diable si séduisant. En revanche, celle de sa cavalière restait un mystère pour tous et l’acteur se garda bien de donner la moindre indication.

Pourtant l’irritation ne tarda pas à le gagner devant l’attention dont la jeune femme faisait l’objet. Il lui apparut soudain que certains de ses partenaires la serraient de trop près. Le dernier d’entre eux lui serra la taille d’une manière fort déplaisante et il s’apprêtait à intervenir quand Candy se dégagea avec grâce et se retira sur la terrasse. L’homme se préparait à la suivre quand il fut retenu par le bras par un démon noir au regard meurtrier, et il comprit que mieux valait ne pas insister.

Candy respirait à pleins poumons l’air de la nuit. Il y avait si longtemps qu’elle ne s’était pas amusée. Tout aurait été parfait si Terry était resté auprès d’elle. Si seulement ils pouvaient retrouver les moments de complicité qu’ils avaient connus autrefois. Deux mains fermes se posèrent sur ses épaules tandis qu’une voix enjôleuse murmurait à son oreille :

« Ange de miséricorde, crois-tu pouvoir sauver mon âme de la damnation éternelle ?

- Je ferai tout pour cela, répondit-elle en se laissant aller contre lui.

- Tu n’imagines pas l’ampleur de la tâche !

- J’ai toute la vie pour y arriver. »

Candy sentit le jeune homme se raidir et se maudit d’avoir laissé parler son coeur. Un instant elle avait oublié que ses sentiments n’étaient pas partagés. Terry la prit par la taille et l’obligea à se tourner vers la salle tout en la gardant contre lui.

« Regarde, dit-il d’une voix hachée. Les masques tomberont à minuit et les journalistes commencent à arriver. Demain matin tu seras aussi célèbre que ton illustre cavalier. Peut-être plus, qui sait ? Je me demande où l'on parlera le plus de nous : dans la rubrique mondaine ou dans les journaux à scandale ? »

Candy se renfrogna et se dégagea de l’étreinte de son mari. De plus en plus de regards se tournaient vers eux et être ainsi enlacée en public la gênait. Sans rien ajouter, Terry l’entraîna à nouveau dans le salon. Avec un sourire carnassier, il la reprit dans ses bras pour la faire valser, certain qu’elle n’oserait pas le repousser au milieu de tant d’invités. Les yeux dans les yeux, ils n’accomplirent que quelques tours de piste avant que la musique ne s’arrête brusquement car les douze coups de minuit se mirent à retentir.

Les messieurs retirèrent leur masque les premiers. A peine Terry eut-il enlevé le sien, que les flashes crépitèrent. D’un geste étudié, il ôta le loup qui couvrait le visage de Candy et sourit en constatant que la rougeur envahissait ses joues. Ils furent bientôt cernés par une meute de journalistes et de photographes qui se bousculaient et parlaient tous en même temps. Effrayée, Candy se rapprocha de lui et il la maintint fermement pas la taille. Les questions fusaient de toute part.

« Comment s’est déroulée votre tournée, M. Granchester ?

- Préparez-vous une nouvelle pièce pour bientôt ?

- Votre cavalière sera-t-elle votre prochaine partenaire sur scène ? »

Terry attendait avec un sourire que les questions cessent d’affluer quand l’une d’entre elle attira son attention, posée par un journaliste un peu plus documenté que ses confrères :

« Depuis quand connaissez-vous Melle André ? »

Terry se tourna vers l’homme qui avait posé cette question et ne s’adressa qu’à lui, au grand dam de tous les autres.

« Vous pourrez désormais l’appeler Mme Granchester, car cette jeune personne m’a fait l’honneur d’accepter de m’épouser il y a peu de temps. Vous voudrez bien nous excuser, messieurs, mais le rôle de jeune marié est le seul qui m’intéresse pour l’instant. »

Une pression de son bras sur la taille de Candy fit comprendre à la jeune femme qu’il était temps de quitter la scène. Il se dégagea avec habileté de la masse de journalistes et elle n’eut qu’à le suivre sans effort pour se retrouver dans le hall puis dans la rue.

Terry était enchanté de son petit effet. Il imaginait sans peine les réflexions que son commentaire succinct avait pu susciter. La nouvelle allait se répandre à la vitesse de l’éclair. Il souriait encore en arrivant dans leur appartement. Il regarda la jeune femme qui se débarrassait à la hâte de ses accessoires pour les ranger dans le carton.

Ce costume lui allait vraiment à ravir. Rien d'étonnant à ce que tous le hommes de la soirée n'aient eu d'yeux que pour elle. Pourtant il détestait cette idée. Certes, il était flatteur d'être l'époux d'une femme aussi belle, à condition de veiller à ne pas dépasser certaines limites. Candy avait l'habitude des attentions masculines, et sa fortune n'en était pas la seule raison. Mais le temps où elle pouvait accorder sa sollicitude à chacun était révolu. Il était l'heure de lui rappeler son nouveau rôle. Elle avait accepté de l'épouser et cela impliquait qu'elle renonce à exercer son charme sur le reste de la gent masculine. Jamais Terrence Granchester n'accepterait d'être ridiculisé par une femme, et surtout pas par la sienne. Il lui barra la route alors qu'elle se dirigeait vers la salle de bains.

« Comment as-tu trouvé notre première sortie, Candy ? »

La jeune femme soupira. Le ton acerbe de Terry indiquait qu’il cherchait la querelle. Elle était accablée de fatigue et ne souhaitait qu’une chose, se coucher. Une douce chaleur se répandit dans ses veines en songeant aux bras de son mari se refermant autour de son corps avant de s’endormir, même si cela n’était qu’un rêve.

« Très agréable, répondit-elle. Mais je crois que je n’aime pas beaucoup les journalistes. Sont-il toujours ainsi avec toi ?

- La plupart du temps, oui. Mais tu n’auras pas à les affronter souvent. Dès que la nouvelle de notre mariage aura été digérée, tu ne présenteras plus d'intérêt pour eux. »

Candy acquiesça, soulagée. Le moment était venu d’avouer à Terry de qu’elle avait fait de son après-midi et le succès de ses recherches.

« Je préfère cela, avoua-t-elle. D’autant que je vais être très occupée à partir de demain. »

Terry fut aussitôt en alerte. Loin d’imaginer ce qu’elle avait pu faire dans la journée, il ne songeait qu’à la soirée qui venait de s’écouler et au succès que sa femme avait remporté auprès des messieurs. Qu’avait-elle pu manigancer pendant qu’elle discutait avec eux ? Son imagination fertile s’emballa, et il envisagea en un instant dix scénarios différents qui se terminaient tous par le départ de la jeune femme.

« Que veux-tu dire, demanda-t-il d’une voix blanche.

- Je n’ai pas encore pu t’en parler, je suis désolée, mais... J’ai trouvé du travail à l’hôpital St John. Je dois commencer demain matin. »

Tout ce que Terry pu retenir par la suite de ces quelques mot, fut l’impression d’avoir reçu une gifle en pleine figure. Bien qu’il s’en défende, le carcan des préjugés dans lequel il avait été élevé, lui interdisait d’imaginer sa femme en train de travailler. La colère s’empara de lui comme lorsqu’ Albert l’avait accusé d’en vouloir à son argent. Celui-ci et Candy étaient bien du même sang. Elle le croyait incapable de subvenir à leurs besoins, ainsi que son père l’avait insinué.

« Qu’est ce qui t’a pris, hurla-t-il. Jamais on a vu une Granchester travailler ! »

Fatiguée, Candy n’avait pas la force de prendre sur elle pour essuyer l’orage. Son caractère entier prit le dessus sur sa bonne volonté et elle répliqua vertement.

« Tu peux parler, toi qui es le premier Granchester à devenir comédien ! J’ai choisi d’être infirmière, et je n’ai pas l’intention de renoncer à mon métier simplement parce que je suis mariée. Je ne te croyais pas si rétrograde, Terry. Puisque nous avons besoin d’argent, ainsi que tu l’as dit toi-même, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas apporter ma part, au même titre que toi !

- Ne joue pas les féministes avec moi, Candy. Tu t’es bien gardée de faire état de semblables convictions quand tu dansais dans les bras de tous les types qui t’ont invitée ce soir ! Ils t’auraient ri au nez, et tu le sais. C’est de moi qu’ils riront quand on apprendra ta dernière lubie ! Je ne suis pas disposé à me laisser ridiculiser, Candy.

- Et je ne suis pas disposée à me laisser traiter comme une incompétente incapable de s’assumer sans l’aide d’un homme ! S’emporta Candy. Si cela ne te convient pas, tu n’avais qu’à reporter ton choix sur une autre héritière ! »

Terry blêmit sous l’insulte et Candy se mordit les lèvres. Ses paroles avaient dépassé sa pensée, mais la colère avait dicté ses mots. En prononçant cette phrase, elle s’était rangée du côté de son père adoptif, et avait écarté tout espoir de rapprochement avec son mari. Elle venait d’admettre l’idée qu’il n’était qu’un coureur de dot ! Elle ouvrit la bouche pour lui expliquer que telle n’était pas son intention, mais aucun mot ne sortit. Le regard glacial que Terry posait sur elle la paralysa.

« Tu n’imagines pas à quel point je suis d’accord avec toi, proféra-t-il d’un voix blanche. Je vais être obligé de traîner cette erreur derrière moi comme un boulet. Fais ce que tu veux ! Tu ne m’as jamais apporté que des ennuis, Candy. J’aurais dû le comprendre avant. »

Candy retrouva l’usage de la parole en le voyant se diriger vers l’entrée. Dans un sursaut de fierté elle essaya de le retenir.

« Où vas-tu ? s’exclama-t-elle, désespéré de le voir s’éloigner.

- Chercher ailleurs ce que tu ne peux pas me donner, Candy : la paix. »

La porte claqua derrière lui et la jeune femme se retrouva seule face à la réalité qui s’imposait à elle : Elle venait d’être abandonnée par son mari deux jours après leur mariage.

Fin du chapitre 18

© Dinosaura juillet  2008