De
l'ombre à la lumière
Chapitre 4 Terry
serra plus étroitement le porte documents qu'il tenait sous son bras.
Engager ce détective lui avait coûté ses derniers sous mais il ne le
regrettait pas. En quelques jours, l'homme avait obtenu plus de résultats
que lui-même n'avait pu le faire.
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« Candy, tu as de nouveau reçu des fleurs ! »
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Les
mains enfoncées dans les poches de son manteau, Terry observait la
maison. Il avait choisi ce jour pour revenir car il savait que Mme
Marlow se rendait à son bridge hebdomadaire. Il ne tenait pas à sa présence
lors de l'entretien qu'il aurait avec Susanna. Pourtant elle était
partie depuis plus d'une demi-heure et il n'avait toujours pas bougé.
Les rares passants qui profitaient des premiers rayons de soleil après
le long hiver le fixaient d'un regard curieux. Quand il vit bouger un
rideau à une fenêtre du salon, il su que le moment était venu. Sans hâte,
il gravit les quelques marches du perron et ouvrit la porte, avec sa
clef qu'il jeta aussitôt sur la desserte de l'entrée : il n'en aurait
plus besoin désormais.
FIN DU CHAPITRE 4
CHAPITRE
5
Terry venait de retrouver la une des journaux. Pourtant, ses dons d'acteur n'avaient rien à voir avec ce regain de célébrité. Et une nouvelle fois, il ne tenait pas le premier rôle. Pour la dernière fois de sa vie, Susanna Marlow tenait la vedette. Sa photo s'étalait en première page, encadrée par celles, plus petites; de sa mère et de son fiancé; ses deux victimes. Candy avait été très surprise de voir Albert l'attendre à la fin de sa journée de travail. La mine sombre, il l'avait fait monter dans la voiture où Annie était déjà installée, puis avait ordonné à Georges de les conduire à l'appartement de la jeune femme. A voir la malheureuse Annie qui se tordait les mains, sans rien dire, l'inquiétude de Candy avait été à son comble. « Allez-vous me dire ce qui vous arrive, tous les deux ? Un superbe week-end s'annonce et on dirait qu'une catastrophe vient de s'abattre sur vous ! Tout va bien à la maison ? - Tout va bien chez nous, mais nous tenions à être avec toi quand tu apprendrais la nouvelle, dit Albert en sortant un journal plié de sa poche. Ce que nous voulons t'annoncer est assez pénible. » Il gardait le quotidien dans sa main sans trouver la force de le donner à sa fille. Il aurait voulu l'informer des gros titres avec douceur, mais ne trouvait pas les mots qui auraient pu adoucir sa peine. Il connaissait Candy mieux qu'elle ne se connaissait elle même et savait la place que Terry occupait toujours dans son coeur. Le choc allait être rude et il était incapable de l'atténuer, mais peut-être serait-ce salutaire. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était être là pour la soutenir et l'assurer de son affection. Incapable de se contenir, Annie éclata en sanglots : « C'est à cause de Terry ! Je suis tellement désolée ! Je ne sais pas comment te dire... » Candy se tourna vers son père les yeux écarquillés. Avec un soupir résigné il lui tendit le journal dont elle s'empara. Il la regardait pendant qu'elle lisait l'article et vit son visage se décomposer. Toute couleur s'était retirée de ses joues et ses mains tremblaient au point qu'elle fut obligée de poser la gazette sur ses genoux pour finir sa lecture. Les mots dansaient devant ses yeux sans réussir à s'imprimer dans son cerveau engourdi. « Je ne comprends pas, balbutia-t-elle. - Susanna Marlow a été arrêtée pour meurtre, Candy. Elle a tiré sur sa mère et sur Terry expliqua Albert avec douceur. » Le quotidien glissa des mains de Candy et tomba à ses pieds. Incapable du moindre mouvement, elle restait figée comme une statue. Annie pris une main glacée dans la sienne et la serra, essayant de lui communiquer son affection par ce simple geste. La jeune femme leva vers elle un regard empli de larmes. " C'est impossible ! Terry ne peut par mourir, balbutia Candy. - Il n'est pas mort, la rassura Albert. L'article dit qu'il est gravement blessé, mais... » Sa fille se tourna vers lui avec espoir. Elle essuya de sa main libre les larmes qui inondaient ses joues pâles, prise d'une soudaine résolution : « Je dois y aller ! Dans quel hôpital a-t-il été transporté ? - Je ne sais pas, Candy, avoua Albert en secouant la tête. Je vais me renseigner mais tu ne peux pas partir ainsi à l'aventure. Tu es trop bouleversée. - L'oncle William a raison, intervint Annie. Je vais rester avec toi ce soir, ma famille est prévenue. Dès que nous en saurons plus, tu décideras de ce qu'il convient de faire. Pour l'instant nous ne pouvons qu'espérer et prier pour lui. » La voiture s'arrêta devant chez elle, dispensant Candy de répondre. Elle regagna son appartement comme une automate, soutenue par Annie qui rassura Albert d'un signe de tête. Celui-ci croisa le regard de Georges dans le rétroviseur. Ils se connaissaient depuis si longtemps qu'ils se comprenaient souvent sans parler. En cet instant, leurs pensées étaient orientées vers la même personne. « Que pouvons-nous faire, Georges ? Croyez-vous qu'elle réussira un jour à l'oublier ? » De l'avis du chauffeur, la rupture entre Candy et Terry avait toujours été une erreur. Il l'avait compris en observant la jeune fille depuis bientôt quatre ans. Mais il tenait à respecter ses choix aussi pesa-t-il soigneusement sa réponse : « Il semble que le malheur s'acharne sur mademoiselles Candy. Une jeune personne aussi charmante ne devrait pas avoir à subir autant d'épreuves douloureuses. Si nous connaissions le moyen de la voir enfin heureuse, il faudrait tout tenter pour y parvenir. Elle le mérite. » Albert ne répondit pas et s'enfonça dans son siège. Son esprit était déjà à chercher parmi les différents contacts qu'il possédait à New York, qui pourrait lui fournir les renseignements dont il avait besoin. Mais le milieu artistique n'a que peu de liens avec celui des affaires. Dans un premier temps, les relations d'Albert ne purent rien lui apprendre de plus que ce qui paraissait quotidiennement dans les journaux. L'enquête fut rapidement bouclée tant les faits étaient évidents. Susanna elle-même présenta des aveux complets : Elle avait tiré sur son fiancé dans une crise de jalousie. Sa mère avait entendu le coup de feu et s'était précipitée dans le salon au moment où elle retournait l'arme contre elle pour en finir. Déterminée à mettre fin à ses jours, elle avait pointé le revolver sur Mme Marlow pour la tenir à distance. Comme celle-ci s'obstinait à vouloir la désarmer, elle avait tiré une seconde fois. Puis l'arme qui avait appartenu à son père et n'avait plus été entretenue depuis longtemps s'était enrayée. Susanna ne se souvenait même plus de l'arrivée de la police. Elle débita son histoire d'un ton monocorde, comme détachée des événements. La conclusion des enquêteurs ne se fit pas attendre : La jeune femme était parfaitement consciente de ses actes et la préméditation ne faisait aucun doute. La date du procès fut rapidement fixée. Susanna Marlow passerait en justice pour le meurtre de la mère et tentative d’homicide sur la personne de son fiancé. : Terrence G. Granchester avait survécu. La nouvelle s'étalait en première page et Annie se précipita dans la chambre de Candy. « Il est vivant ! Terry est sauvé ! » Les deux jeunes femmes avaient regagné la maison des André. Candy avait pris des congés et n'avait pas quitté sa chambre depuis une semaine. Elle n'était pas restée inactive pour autant. Elle avait écrit à tous ses collègues qui travaillaient dans les différents hôpitaux de New York et qu'elle avait pu rencontrer au cours de sa carrière ou pendant ses études. Peut-être l'un d'eux savait-il où le jeune acteur était soigné. Quand son amie lui tendit le journal elle s'en empara et relut plusieurs fois la manchette pour se persuader qu'elle avait bien compris. Elle fondit en larme dans les bras de la douce Annie qui la berça comme une enfant jusqu'à ce qu'elle s'apaise. Elle essuya délicatement les yeux de Candy avec son mouchoir. « Tu l'aimes encore. Je le savais mais je n'avais pas compris à quel point ! - Oh Annie, je voudrais tant le voir ! - Albert a envoyé Georges à New York pour le trouver. Ce n'est qu'une question de temps. Mais que vas-tu faire ? As-tu réfléchi à ce que tu diras à Terry quand tu le reverras après toutes ces années ? » Candy se mordit la lèvre, ne sachant que répondre. Annie regarda alors la valise que se trouvait sur le lit prête à être bouclée. « Tu veux partir ? - J'ai reçu hier soir une lettre de mon amie Alice. Elle travaille à Saint Jacob. C’est là que Terry est hospitalisé. Mon train part dans deux heures. » Elle évita de regarder Annie. Qu'aurait-elle pu lui rétorquer ? Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait dire à Terry quand elle le rencontrerait. Tout ce qu'elle savait c'est qu'elle devait le voir, s'assurer qu'il était vivant et bien soigné. La lettre d'Alice datait déjà de trois jours. Celle-ci affirmait que l'état de Terry était grave et qu'on ne savait pas s'il s'en sortirait. Les nouvelles parues dans la presse aujourd'hui mettaient du baume au coeur de la jeune femme. Mais elle serait partie de toute façon : la vie de Terry était en danger et elle devait être près de lui. Elle eut tout le temps de s'interroger pendant le long voyage en train. Comment Terry allait-il réagir ? Ils ne s'étaient pas revus depuis ce soir fatidique à New York où ils s'étaient séparés. Ce jour là, elle avait perdu une partie de son coeur, resté pour toujours auprès de lui. Elle savait combien cela avait été dur pour Terry aussi, mais depuis leurs vies avaient suivi des voies différentes. A force de volonté, elle avait réussi à se reconstruire. Elle avait son travail, ses amis et sa famille. Était-il encore possible de renouer les fragiles liens du passé ? Ils n'étaient plus les adolescents insouciants du Collège Saint Paul, mais des adultes marqués par les épreuves traversées depuis plus de trois ans. Candy se sentait une personne différente. Sans doute Terry aussi avait-il changé. Comment l'homme qu'il était devenu l' accueillerait-il ? « C’est un ami d'école. Il est parfaitement normal que je m'inquiète de sa santé, se persuadait-elle. Je le ferais pour tous les autres. » Le coeur de Candy se serra. Pourrait-elle un jour le considérer juste comme un ami ? C’est ce qu’elle prétendait depuis leur séparation, et c’est la ligne de conduite dont elle ne dévierait pas. Terry devait savoir qu’elle était toujours son amie, et pour cela il fallait réussir à le voir. Puisque leurs chemins étaient désormais séparés, elle garderait pour elle la vérité sur la plaie qui béait encore dans sa poitrine. Forte de cette résolution, elle consacra le reste du voyage à se remémorer ce qu’elle savait des blessures par balles et des soins à leur apporter. Même si son esprit tentait parfois de dévier vers d'autres considérations quand elle évoquait le visage du jeune acteur, elle se reprenait bien vite. Un taxi la déposa devant l’hôpital Saint Jacob. Le hasard avait voulu que ce soit ici que Susanna ait été soignée après son accident au théâtre, quatre ans plus tôt. Il neigeait la dernière fois qu’elle était venue. Aujourd’hui le soleil brillait, mais son angoisse était la même. Elle se dirigea vers la réception et s’enquit d’Alice Cooper. Son amie l’accueillit avec chaleur. « Je suis heureuse de te revoir, lui dit-elle, mais je me doute que tu n’es pas là pour ma petite personne. Quand as-tu reçu ma lettre ? - Hier matin, et je te remercie de m’avoir répondu aussi vite. Comment va-t-il ? Est-ce que je peux le voir ? » L’infirmière présenta une chaise à Candy et afficha une mine contrite. « Je suis désolée, mais il nous a quittés hier soir. » Alice se rendit compte du double sens de ses paroles en voyant le visage de son amie prendre une blancheur de cire, et se reprit aussitôt. « Non, non ! Ce n’est pas ce que tu crois ! Il se remet plutôt bien de sa blessure, mais il a refusé de rester chez nous, à Saint Jacob. Il a exigé qu’un autre docteur s’occupe de lui, un certain Dr Parker, il me semble. Celui-ci est passé le prendre hier soir avec une ambulance spécialement pour lui. - Où sont-ils allés, demanda Candy d’une voix étouffée ? - On ne le sait pas ! Tout l’hôpital ne parle que de çà ! C’est tellement mystérieux ! Et tu as fait tout ce chemin depuis Chicago pour le voir ? » Abattue Candy ne répondit pas. Une nouvelle fois il semblait que le destin s’acharne contre eux. Combien avaient-ils eu de rendez-vous manqués, tous les deux ? C’était comme si depuis le début, la vie avait tout fait pour les empêcher d’être ensemble. Ils n’étaient pas faits pour être réunis. Avec un soupir résigné, la jeune femme se leva, le coeur lourd. Il n’y aurait pas de retrouvailles, pas d’explications, pas de pardon... Elle remercia son amie Alice et se fit appeler un autre taxi. Elles échangèrent quelques nouvelles sur les personnes qu’elle connaissait, mais l’esprit de Candy était ailleurs. Elle se sentait comme une enveloppe vide en arrivant à l’appartement des André non loin de Wall Street. Elle ne songeait qu’à se jeter sur son lit et pleurer tout son saoul. Pourtant la gouvernante l’avertit à son arrivée qu’un visiteur l’attendait au salon. La mine pincée de la femme dénotait sa réprobation devant de telles manières, mais Candy était trop épuisée pour en avoir cure. Décidée à éconduire rapidement l’importun, elle pénétra dans le salon où Hugh Steward se leva à son arrivée. Soulagée de rencontrer un ami, elle s’appuya contre le chambranle, incapable de faire un pas de plus. Hugh se précipita vers elle pour la soutenir et la conduire jusqu’au canapé. « Candy, ma chère, vous semblez bouleversée. Albert m’a appris que vous connaissiez cet acteur qui fait l’objet d’un tel scandale dans les journaux. Avez-vous reçu de mauvaises nouvelles ? - Il est parti, Hugh ! Il a été transféré dans un autre hôpital juste avant mon arrivée. Il a de nouveau disparu ! » Impuissante à se retenir plus longtemps, elle se jeta contre lui et éclata en sanglots déchirants. Hugh la laissa épancher ses larmes, lui tapotant le dos dans un geste paternel. Un tel désespoir le surprenait pour un simple camarade d’école, mais il n’était pas mécontent de constater que Candy était beaucoup plus sensible que l’image qu’elle voulait donner d’elle. Une femme indépendante et qui travaille heurtait toujours sa conception de la condition féminine. « Vous êtes trop émotive, mon amie. Vous aurez très bientôt des nouvelles, ne vous inquiétez pas. Il devra témoigner au procès, vous pourrez vous enquérir de sa santé à ce moment. » Candy se redressa et essuya ses yeux avec le mouchoir qu’il lui tendait. Il avait raison, comme d’habitude. Quelle sotte elle était ! Et voilà qu’elle se jetait dans les bras de Hugh comme une gamine, au mépris de toute bienséance. « Pourrez vous me pardonner mon attitude puérile, Hugh. Le voyage m’a épuisée, et j’étais si inquiète que... - Ne vous en faites pas ma chère. Les amis ne sont-ils pas là pour cela. Vous savez que je serai toujours là pour vous, répondit-il la voix rauque. » Un peu surprise, Candy observa son visage grave. Il semblait donner à sa phrase un sens qu’elle ne voulait pas y trouver, car pendant qu’il serrait contre lui son corps tremblant, elle avait réalisé que ce qu’il éprouvait pour elle allait au delà de l’amitié. Il prit sa main pour la porter à ses lèvres. « Je vais vous laisser vous reposer. Je suis certain que nous aurons d’autres occasions de discuter. » Candy se détourna pour éviter son regard brûlant. Sans insister, Hugh se leva et prit congé. Il était grand temps d’avoir une conversation avec elle, mais puisqu’elle se trouvait à New York désormais, il aurait bien d’autres occasions pour la persuader de le considérer comme un peu plus qu’un ami de la famille. Il n’eut pourtant pas la chance de voir se réaliser ses projets. Dès le lendemain, Candy reprenait le train pour Chicago.
FIN DU CHAPITRE 5
CHAPITRE
6
AURORA - avril 1898
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Terry reposa le rapport qu’il venait de lire et s‘adossa à ses oreillers. Voilà qui ouvrait de nouvelles perspectives. « Je suis très satisfait des informations que vous m’apportez, M. Mallone, dit il en levant les yeux vers l‘homme qui se tenait assis à la table en face de son lit. Vous avez fait de l’excellent travail. - Je vous remercie, M. Granchester. - Comment avez-vous réussi à réunir tous ses renseignements après si longtemps ? - Ce ne fut pas très difficile, répondit l’homme avec un sourire sardonique. Ces petites villes sont tellement ennuyeuses que le moindre événement inhabituel marque les esprits pour longtemps. Pour peu qu’il flotte autour un léger parfum de scandale, et les protagonistes en font encore leurs choux gras dans les veillées, même vingt ans après. » Le détective décroisa les jambes et se pencha en avant pour observer son client. Celui-ci fixait le coin de ciel bleu visible par la fenêtre, perdu dans sa pensée. Pour un grand blessé, Granchester semblait en bonne forme. Il était d'autant plus étonnant qu'il se trouve ici, alors que le procès de Susanna Marlow venait de s'ouvrir à New York. Un petit parfum de scandale ne déplaisait pas non plus à Mallone, surtout s'il y voyait un moyen de ramasser un peu plus d'argent. S'il s'y prenait bien, ce jeune acteur pouvait devenir sa poule aux oeufs d'or. Pour prendre des renseignements sur un enfant illégitime né il y a vingt ans, il devait avoir une idée derrière la tête, à lui de découvrir quoi, et comment le monnayer. « Un point n’a pas été éclairci, M. Mallone reprit Terry. Comment pouvez vous être sûr que cet enfant né dans le plus grand secret est bien la petite fille qui fut confiée à la maison de Pony ? - J’ai retrouvé l’homme qui était chargé d’emmener l’enfant. Au départ il avait été convenu qu’il le conduise dans le Minnesota, mais il décida de confier l’enfant à sa soeur qui désespérait de devenir mère. Comme il ne connaissait pas la femme qui l’avait engagé et ne savait pas d’où elle venait, il ne vit aucun mal à partir pour l’Illinois avec le bébé. Un état en valait bien un autre, n’est-ce pas ? Mais la soeur mourut peu de temps après. Il confia donc la petite à l’orphelinat le plus proche. J’ai sa confession écrite si vous le désirez. » Le regard de Terry se fit dur et il se leva, menaçant. Sa condition physique était décidément excellente, songea Mallone. « Et quand comptiez-vous me faire part de cet élément ? Je suppose qu’il s’agissait d’une tentative pour me soutirer plus d’argent ? » Le détective sortit prestement de sa poche intérieure une lettre pliée qu’il tendit à son client. Terry la parcourut assez vite pour vérifier qu’il s’agissait bien de ce qu’il attendait. « Bien sûr que non, M. Granchester, assura Mallone. C’est un simple oubli de ma part. Vous m’avez grassement payé pour mes services, je le reconnais. - Encore heureux, marmonna Terry entre ses dents. » Les honoraires de ce détective avaient vidé les dernières réserves du jeune homme. Quand il aurait réglé les frais d’hôpital, il ne lui resterait plus qu’à vivre à crédit en attendant de reprendre le travail. Les perspectives en ce domaine n’étaient pas des plus réjouissantes. Il avait envoyé plusieurs messages à Robert Hattaway qui ne lui avait pas répondu. S’il n’obtenait pas rapidement un rôle, il finirait sur la paille. « Je pourrai encore vous être utile, vous savez ! » L’acteur se tourna vers l’homme dont le regard brillait de cupidité. Il était satisfait de son travail mais l’individu lui déplaisait plus que jamais. « Je n’ai pas encore découvert l’identité du père de l’enfant, reprit le détective. Mais je sais où chercher. Cela représenterait des frais supplémentaires, bien sûr. - Je ne crois pas avoir encore besoin de vos services. Cette affaire ne vous concerne plus. - Vous semblez avoir des relations étroites avec cette famille, M. Granchester. Vous ne pouvez pas vous mettre à les interroger sur un scandale vieux de vingt ans ! Vous n’obtiendriez rien. En revanche un étranger tel que moi... » Terry se mordit la lèvre. Le bougre avait raison. Il était trop connu pour se mettre à poser des questions sur la mère de Candy et ses proches. On le reconnaîtrait immédiatement et toutes les portes se fermeraient. De plus, cela risquait d’attirer l’attention de la jeune femme et d’Albert, ce qui contrarierait ses plans. Il était coincé ! Mallone était déjà au courrant d’une bonne partie de l’affaire. C’était sans doute un escroc, mais rien ne disait qu’un de ses confrères serait plus honnête. Autant le laisser continuer, en veillant à ce qu’il ne dépasse pas les limites qu’il lui fixerait. « Entendons nous bien, Mallone, j’exige de vous la plus grande discrétion dans vos recherches. Nul ne doit se douter de ce que vous cherchez, et surtout pour qui vous le cherchez. Me suis-je bien fait comprendre ? - C’est très clair, M. Granchester affirma le détective en se frottant les mains. Pourrions-nous envisager une petite avance ? - Certainement pas, répondit Terry. De plus, si dans trois semaines vous n’avez rien trouvé, vous laisserez tomber. Vous viendrez me faire votre rapport et vous serez réglé à ce moment. Voilà les conditions. - OK, OK concéda Mallone désappointé. Mais je ne peux rien vous garantir. » Sur ces mots qui sonnaient comme une menace, le détective quitta la chambre, laissant Terry à ses réflexions. Ainsi Candy était une enfant illégitime ! « Aurions-nous quelque chose en commun, Miss Taches de Son. » Terry secoua la tête. Non, ils n’avaient rien en commun. Ils s’étaient croisés par hasard, à un moment où tous deux se sentaient attirés par les premiers émois de l’adolescence. Ils avaient vécu un flirt de gamins que ne les aurait mené nulle part. Ils étaient trop différents, tant par leurs origines que par leur éducation. Il aurait dû le comprendre tout de suite. Candy avait été plus réaliste que lui. Elle avait eu besoin de lui dans une période difficile. Leur relation l’avait aidée à reprendre confiance en elle. Quand elle n’avait plus rien eu à attendre de lui, elle l’avait quitté pour vivre sa propre vie. Rien de ce qui était arrivé par la suite ne se serait produit si elle n’avait pas agi ainsi. Il était temps pour lui de réagir et de lui montrer qu’on ne le manipulait pas si facilement. Susanna était la première à découvrir le nouveau Terrence Granchester. Un avocat avait proposé de le représenter, et il avait accepté. Son isolement dans cet hôpital devait accréditer la thèse selon laquelle il peinait à se remettre de sa blessure. Cela éviterait sa présence à la barre, car son conseil redoutait que l’avocat de la jeune femme ne l’interroge sur des sujets sensibles, comme son infidélité, et ne présente Susanna comme une malheureuse victime. Terry ne craignait pas ce genre d’attaque, car il n’avait touché mot à personne des manoeuvres de sa fiancée pour le rendre dépendant à l’opium. Il aurait pu dévoiler la vérité lors du procès et charger encore plus la jeune femme. Au fond de lui, il ne tenait pas à enfoncer d’avantage Susanna. En agissant comme elle l'avait fait, elle lui avait rendu sa liberté, et il ne se sentait plus d‘obligation envers celle qu’il avait failli épouser. Elle passerait de nombreuses années en prison pour le meurtre de sa mère. La page de sa vie sur Susanna était tournée définitivement.
FIN DU CHAPITRE 6
© Dinosaura juillet 2008
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