De l'ombre à la lumière
par Dinosaura

CHAPITRE 28

Candy avait toujours été impulsive. Sa vie avait été rythmée par ses coups de coeur et ses coups de tête. Si elle avait suivi son impulsion au moment où elle prit la décision de quitter son mari, son destin aurait pu être tout autre. Mais les événements en décidèrent autrement.

Ce fut pendant leur promenade en voiture avec Elisabeth que Candy réalisa à quel point sa vie de couple était artificielle. Elle observait Terry qui jouait les guides touristiques pour sa jeune soeur. Il multipliait les anecdotes sur cette ville qu'il adorait et se montrait plus charmeur que jamais. Mais elle avait oublié à quel point il était bon comédien. La façade qu'il affichait en cet instant dissimulait la réalité de son caractère. Terry était un homme intransigeant et autoritaire. Manipulateur aussi. Elle s'était laissée éblouir par ses belles paroles et en payait le prix à présent.

Or Candy ne voulait plus souffrir. Si retrouver la paix signifiait s'éloigner de lui, elle était résolue à le faire.

Les ponts étant coupés avec la famille André et Chicago, elle retournerait à la maison de Pony. Mademoiselle Pony et Soeur Maria sauraient la conseiller, comme toujours. Et puis il y avait Patty, la douce Patty qui comprendrait sa peine.

Cela impliquait qu'elle quitte son travail à l'hôpital St John, et elle posa résolument son préavis de quinze jours, car elle tenait à faire les choses dans les règles.

Le plus difficile fut de dissimuler sa décision à Terry. D'autant que celui-ci se montra l'homme le plus attentionné dès leur retour dans leur appartement.

La tête encore pleine des adieux émouvants échangés avec Elisabeth, Candy resta bouche bée en trouvant une femme entre deux âges dans son salon. Celle-ci semblait aussi surprise qu'elle et triturait son tablier sans rien dire.

« Je vois que tu as fait la connaissance de Mme Johnson, dit Terry qui arrivait. »

La femme rougit jusqu’aux oreilles devant le sourire que l’acteur lui décocha et s’éclipsa rapidement.

« Je trouve que tu as bien assez à faire avec ton travail à l’hôpital, expliqua Terry en posant le bagage de Candy dans l’entrée. Alors j’ai engagé Mme Johnson pour s’occuper de l’appartement. Elle viendra trois fois par semaine pour faire le ménage.

- Mais je croyais... balbutia Candy. Tu as dit que nous avions besoin d’argent !

- Cesse de t’inquiéter pour cela, répondit le jeune homme en écartant l’argument avec un geste de grand seigneur. Même si je ne peux pas t’assurer le train de maison des André, je gagne suffisamment bien ma vie pour embaucher une femme de ménage et t’éviter de la fatigue inutile.

- C’est très gentil de ta part, répondit Candy, plus touchée qu’elle ne voulait le reconnaître. »

Terry s’approcha d’elle et la prit par les épaules en souriant.

« Ce n’est qu’un début, je te le promets. Tout va aller de mieux en mieux, maintenant. »

Il déposa un baiser sur son front et s’éclipsa pour se rendre au théâtre, laissant Candy perplexe devant cette manifestation de gentillesse à laquelle il ne l’avait pas habituée.

Pourtant ce soir là encore elle l’attendit en vain et s’endormit seule, le coeur en miette sans se douter que Terry de son côté faisait tout son possible pour sauver la femme qu’il aimait du désastre.

Un entretien avec sa mère l’avait laissé perplexe, car Eléonore n’était plus aussi chaleureuse que quelques semaines plus tôt.

« Mère, avait-il demandé, n’as-tu jamais eu d’ennuis avec les journalistes ?

- Parfois, au début de ma carrière. Mais ils sont un mal nécessaire, Terry. Tant qu’ils parlent de nous, le public s’intéresse à nous, et sans le public, nous ne sommes rien. Oh, sais-tu que j’ai reçu une proposition pour le cinéma ? Cela me tente, je dois l’avouer. Les films touchent un public tellement plus large que le théâtre !

- J’en suis heureux pour toi, répondit son fils sans conviction. Mais que faire quand les journaux risquent de s’en prendre à des personnes qui nous tiennent à coeur ? »

Eléonore posa son poudrier et se tourna vers lui, interrogative.

« Es-tu en train de parler de Candy ?

- D’elle et de sa famille. Que les journaux inventent ce qu’ils veulent sur moi, je m’en fiche. Mais je ne veux pas mêler Candy à cette mascarade. Elle n’a pas à faire les frais de la célébrité douteuse que j’ai acquise après la folie de Susanna.

- Dans ce cas, tu n’as pas beaucoup de solutions. Tu as prouvé ton talent mais sans ce scandale, Bellows se serait-il intéressé à toi ? Il y a du bon et de mauvais en chaque chose, Terry. Tu peux choisir d’avoir une vie irréprochable, et les journalistes ne tarderont pas à se désintéresser de toi. Mais crois-moi, le petit monde du théâtre te semblera vite étriqué. La célébrité est tellement grisante ! J’ai l’impression d’avoir rajeuni de dix ans ! »

Terry regarda sa mère qui virevoltait dans la pièce comme une petite fille. Il découvrait une nouvelle Eléonore Baker, une femme qu’il ne connaissait pas.

« Maman, ce n’est pas sérieux ! Je ne peux pas laisser n’importe quel torchon étaler la vie privée de Candy en première page, juste pour asseoir ma popularité ! Imaginez-vous à quel point elle serait blessée ?

- Candy n’est pas idiote, rétorqua Eléonore. Il suffira de lui expliquer.

- Est-ce un principe que vous appliquez, mère ? »

Le ton sec de Terry surprit l’actrice qui se calma et reprit sa place à sa table de maquillage avec une moue boudeuse. Mais son fils qui commençait à entrevoir la vérité n’était pas disposé à abandonner si vite.

« Je comprend mieux pourquoi vous avez renoué avec moi après le succès de « Roméo et Juliette » !

- Ne sois pas stupide, Terry ! Je suis toujours ta mère. Il était normal que je m’inquiète pour toi après ce que Susanna t’avait fait.

- Pourtant je ne vous ai pas vue à l’hôpital, ni pendant ma convalescence, ni même après !

- J’étais en tournée...

- Ce fut une bien longue tournée, Maman, vraiment très longue... »

Terry était déçu par cet aspect de la personnalité d’Eléonore qu’il n’avait pas soupçonné, mais il n‘était pas à cours de ressources. A force de traîner dans les bars du port, il avait fini par retrouver la personne qu’il cherchait, et Charlie était exactement l’homme de la situation.

Le jeune voyou aurait pu rester une rencontre fortuite pour Terry, mais les deux jeunes gens étaient restés en contact, surtout après que Charlie ait tiré l’acteur d’une situation délicate, à l’époque où il buvait plus que de raison. De nombreuses soirées bien arrosées avaient émaillé leurs relations épisodiques.

Aujourd’hui, Charlie était bien décidé à changer son image et à devenir une personne respectable, surtout depuis qu’il avait eu la chance incroyable de gagner au poker contre le tenancier du bar qu’il fréquentait le plus souvent. Devenu l’heureux propriétaire de « La sirène bleue » il accepta immédiatement de venir en aide à Terry lorsque celui-ci sollicita sa coopération. Comme il avait gardé un excellent souvenir de Candy, il mobilisa toutes ses relations, plus ou moins recommandables et la vie de Mallone, détective privé de son état, n’eut bien tôt plus de secret pour lui. Avec son aide, Terry ne tarda pas à élaborer son plan qui visait à empêcher le maître chanteur de pousser sa chansonnette.

Le jeune acteur était persuadé qu’une fois cette menace écartée, il pourrait renouer avec Candy la relation qu’il souhaitait de tout son coeur. Tout occupé de ses projets, il ne prêta que peu d’attention aux nouvelles des journaux et ne réalisa l’ampleur du drame que lorsqu’il y fut confronté.

Au début du mois d’octobre, la grippe espagnole fit son apparition sur le territoire des États-unis.

Parmi ses premières victimes figura la célèbre actrice Eléonore Baker.

De par sa profession Candy ne perdit rien de l’évolution du phénomène. Les hôpitaux ne désemplissaient pas et tout le personnel médical était effaré par le taux de mortalité du virus. Alors qu’il ne restait que trois jours avant la fin de son préavis, le chef de service de Candy lui demanda de bien vouloir repousser la date de son départ. On avait besoin de toutes les compétences. Bien qu’affolée par l’ampleur de la tâche, la jeune femme accepta.

De plus, elle ne pouvait se résoudre à abandonner Terry dans des circonstances aussi dramatiques. Le jeune homme avait été très affecté par la mort de sa mère. Il avait insisté pour organiser l’enterrement, mais presque personne ne s’était déplacé. Depuis il s’était enfermé dans le silence.

Candy avait essayé de le réconforter, mais il repoussait son aide et continuait à disparaître des soirées entières.

Pourtant, ils n’avaient toujours pas abordé le sujet de son infidélité. Quand elle rentrait, Candy était trop lasse pour entamer une discussion qui se terminerait en dispute. Elle aurait voulu sombrer dans un sommeil sans rêves jusqu’au matin, mais c’était compter sans la force de persuasion de Terry. Les soirs où il rentrait, il lui offrait des nuits de passion d’où elle sortait à la fois comblée et furieuse devant sa propre faiblesse. Le coeur lourd, elle repartait pour une longue journée de travail tandis que le bilan de l’épidémie s’alourdissait de jour en jour.

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Terry regarda une nouvelle fois la pendule du salon. Minuit vingt et Candy n'était toujours pas là. Il reposa le texte de la pièce qu'il s'efforçait en vain de lire depuis plus d'une heure et se dirigea vers la fenêtre. L'orage ne semblait pas vouloir se calmer et des trombes d'eau inondaient la chaussée en contrebas.

Où pouvait-elle être ? Elle s'était rendue à la clinique comme tous les jours en disant qu'elle risquait de rentrer un peu plus tard car une de ses collègues était malade. Il avait répondu que cela n'avait aucune importance, qu'il serait au théâtre à ce moment là et qu'il était inutile qu'elle l'attende puisqu'il souperait avec les autres comédiens après la répétition. Elle avait poussé ce soupir qu'il commençait à connaître et était sortie sans un mot.

Qu'aurait-elle dit si elle avait su qu'il s'était précipité à la fenêtre pour la regarder s'éloigner dans la rue de sa démarche légère. La température avait beaucoup chuté ses derniers jours et elle était chaudement vêtue, mais sa grâce transparaissait dans chacun de ses mouvements, même quand elle se rendait ainsi à son travail, l'esprit déjà occupé des tâches qui l'attendaient.

Il y avait aujourd'hui quatre mois qu'ils étaient mariés et Terry le savait. Mais pour rien au monde il n'aurait avoué que cette date anniversaire lui importait. Il avait de plus en plus de mal à jouer l'indifférence en présence de Candy. En réaction il devenait encore moins loquace et plus taciturne. Mais il avait rapidement quitté le théâtre dès que le rideau était tombé et s'était hâté de rentrer chez lui pour trouver un appartement vide et sombre.

Il avait songé un instant se précipiter vers l'hôpital pour l'accueillir à la sortie, l'emmener dans un restaurant, la surprendre comme autrefois. Son orgueil l'en avait empêché. Il s'était enferré dans ses mensonges au point de ne savoir comment en sortir. Pouvait-il maintenant lui avouer à quel point il tenait à elle ? Le croirait-elle après tout ce qu'il lui avait raconté ?

L'horloge indiquait minuit vingt-cinq. Un doute terrible s'empara de Terry. Si elle était partie ? Si elle l'avait quitté, lasse de son manque d'attention à son égard ? Il avait tout fait pour la rendre malheureuse et il avait réussi. Candy ne souriait plus, son entrain avait disparu. Parfois même il avait l'impression qu'elle le craignait et qu'elle faisait tout pour l'approcher le moins possible. Dans ses moments là il aimait la provoquer et profitait de toutes les occasions de la toucher, même si cela attisait chez lui le douloureux sentiment de son erreur. Le simple fait de prendre sa main dans la sienne allumait sous sa peau des milliers d'étincelles de désir. Plus elle l'évitait et plus il la serrait de près, jusqu'à ce qu'il finisse par l'entraîner dans leur lit où il lui faisait l'amour avec passion. Dans ces moments là il savait qu'elle était à lui, qu'elle répondait à ses caresses car il savait jouer de son corps en virtuose. Mais son esprit et son coeur étaient ailleurs et cela le désespérait. Il était pourtant le seul responsable. Ne lui avait-il pas dit qu'il ne l'avait épousée que pour son argent ? Que reniée par sa famille elle ne présentait plus aucun intérêt pour lui ?

Il avait dit encore bien d'autres choses dont il n'était pas fier. Mais où aurait-elle pu aller ? Elle ne connaissait personne dans cette ville à part ses collègues de travail. Enfin à minuit et demi il entendit le bruit de la clef dans la serrure. Son inquiétude se mua soudain en colère froide et il se tourna vers l'entrée, une réflexion acerbe sur le bout de la langue.

C'était bien Candy, trempée des pieds à la tête et grelottante de froid. Elle essayait maladroitement d'enlever ses gants mouillés mais ses doigts gourds ne lui obéissaient pas. Avec une rage contenue, Terry s'approcha d'elle à grandes enjambées. Elle leva vers lui un visage ravagé. Des mèches humides étaient collées sur ses joues et son front, et ses lèvres bleues tremblaient.

Quand elle croisa le regard dur de son mari, la jeune femme frissonna. Elle ne connaissait que trop bien cet éclat dans ses yeux. Il était fou de colère.

« Je suis désolée, balbutia-t-elle, mais il n’y avait plus de tramway.

- Tu veux dire que tu es rentrée à pied depuis l’hôpital sous cette pluie battante ? »

Elle hocha la tête. Terry eu soudain envie de la secouer pour la ramener à la raison. Ne savait-elle pas à quel point les rues de New York étaient dangereuses la nuit, surtout pour une femme seule ? La seule idée de ce qui aurait pu lui arriver l’horrifiait, et elle se contentait de hocher la tête comme si tout était normal. Avec une exclamation étouffée, il l’aida à enlever son manteau et son chapeau définitivement ruiné par la pluie. Elle se débarrassa de ses chaussures pendant qu’il cherchait une serviette dans la salle de bains. Elle n’avait pas bougé du vestibule quand il revint, incapable de faire le moindre mouvement. Les vêtements de Candy étaient à ce point trempés qu’ils lui collaient à la peau.

« Va te changer, dit Terry d’une voix bourrue » en lui tendant la serviette.

Elle le regarda comme si elle ne comprenait pas ce qu’il disait et il dut la prendre par le bras et la pousser dans la salle de bains pour qu’elle réagisse. Il songea à la suivre et à l’aider à se dévêtir, mais préféra attendre qu’elle ressorte. Faisant une entorse à ses habitudes, il se servit un verre de whisky qu’il avala d’un trait et en prépara un deuxième pour la jeune femme.

Celle-ci ressortit de la salle de bains en tenue de nuit, emmitouflée dans sa robe de chambre serrée jusqu’au cou. Elle avait dénoué ses cheveux qu’elle séchait vigoureusement avec la serviette. Il l’obligea à s’asseoir sur le divan et lui tendit le verre d’alcool.

« Bois cela, ça te réchauffera. »

Il s’attendait à ce qu’elle proteste, mais elle prit le verre et en avala une gorgée avec une grimace. Sur l’insistance de Terry, elle avala le reste à toute vitesse pour qu’il la laisse enfin en paix. Elle détestait l’alcool mais cela lui donna un coup de fouet bienvenu, même si elle se sentait toujours glacée.

« Pourquoi m’as-tu attendue ? »

Terry aurait été bien en peine de répondre à cette question sans mentir ou sans lui dire des choses désagréables.

« Nous en parlerons plus tard, éluda-t-il. Pour l’instant il vaut mieux que tu ailles te coucher.

Candy voulut se lever mais la fatigue de la journée ou peut-être l’alcool lui avait coupé les jambes. Elle se rattrapa au bras de son mari pour ne pas tomber. Amusé, il la soutint jusqu’à la chambre et l’aida à se glisser sous les couvertures. Il l’observa se pelotonner sur elle-même pour se réchauffer, mais elle grelottait toujours entre les draps froids.

Elle ferma les yeux, consciente de la présence de Terry qui l’observait depuis la porte. Tout ce qu’elle voulait ce soir c’était se reposer et oublier la colère qu’elle avait lue dans son regard quand elle était entrée. Comme s’il lui en voulait d’avoir travaillé aussi tard. Pourquoi aurait-elle dû rentrer, puisque son mari préférait rester avec ses camarades plutôt que de la retrouver ? Elle réalisa soudain qu’elle n’était plus seule dans le grand lit. Terry l’avait rejointe et s’allongeait contre elle. Mais Candy n’était pas d’humeur à partager ses jeux ce soir. Pourtant elle savait que s’il commençait à la caresser, elle ne pourrait pas lui résister. Elle était incapable de repousser ses avances, même quand elle savait qu'il sortait des bras d‘une autre femme.

« Je t’en prie, Terry, protesta-t-elle faiblement. Je suis tellement fatiguée !

- Tais-toi et dors, dit-il simplement »

Et Candy sentit la chaleur de son corps contre son dos tandis que des bras puissants se nouaient autour d’elle. Elle cessa peu à peu de trembler et sombra dans une douce torpeur. Était-il aussi fatigué qu’elle ? Avec qui avait-il passé la soirée ? L’image de Cécilia de Wind passa derrière ses paupières fermées.

Au prix d’un immense effort elle balbutia d’une voix ensommeillée :

« Combien as-tu de maîtresses ? »

Avec un rire de gorge, il répondit : « Une seule. » et il resserra son étreinte tandis que Candy cédait enfin au sommeil.

Quand sa respiration se fit plus régulière et qu’il fut sûr qu’elle était endormie, Terry se redressa sur un coude et observa le délicat profil qui se découpait sur l’oreiller. Ses doigts effleurèrent la courbe douce de son épaule et glissèrent le long de son bras jusqu'à la petite main où ils se mêlèrent à ceux de sa femme.

« Il n'y a que toi, Candy. Tu es la seule !» murmura-t-il à son oreille, certain qu'elle ne pouvait pas l'entendre.

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Comme toujours, Terry se réveilla le premier. Il n’avait jamais eu besoin de beaucoup de sommeil et s’en félicitait depuis son mariage. Il consacrait chaque jour ses premières minutes de lucidité à contempler la femme endormie à ses côtés et à admirer sa beauté sans qu’elle le sache. S’éveiller pour découvrir que le rêve se poursuivait dans la réalité était devenu le meilleur moment de sa journée. Parfois il restait étendu immobile à écouter sa respiration régulière et il prenait conscience que les choses étaient à leur place : Candy était sa femme et dormait près de lui. Chaque matin il songeait à lui ouvrir son coeur, mais la crainte d’être rejeté le retenait encore. Et si elle lui souriait de ce sourire triste qu’elle affichait de plus en plus souvent pour lui dire qu’il était trop tard pour réveiller de vieilles flammes et que l’amour n’était plus d’actualité entre eux ? Leur mariage ne serait alors qu’un mariage de convenance, comme celui qu’avait fait son père, comme celui qu’il avait refusé à Susanna. Terry était incapable de se contenter de cela.

L’inquiétude qu’il avait éprouvée la veille en l’attendant lui revint en mémoire. En égoïste qu’il était, il n’avait pas songé à sa sécurité, mais avait eu peur qu’elle ne l’ait quitté ! Honnêtement, il reconnaissait que les motifs de le faire n’auraient pas manqué à la jeune femme. Au contraire de la majorité des épouses, elle avait un métier et était capable de subvenir seule à ses besoins. Pourtant elle restait avec lui. Se pourrait-il qu’elle ressente quelque chose pour lui ? Même un timide espoir de bonheur lui suffirait; il saurait le faire grandir jusqu’à le transformer en un brasier ardent.

Plus résolu qu’il ne l’avait été depuis longtemps, le jeune homme se redressa sur un coude pour observer son épouse. Ses joues étaient anormalement rouges et sa respiration difficile. Elle devait avoir pris froid, conséquence de sa promenade sous la pluie. Prenant le risque de la réveiller, il posa la main sur son front et le découvrit brûlant. Une sourde appréhension lui serra le coeur. Il se leva en hâte et s’apprêta pour sortir. Avant de partir, il retourna dans la chambre où Candy dormait toujours et la secoua doucement par l’épaule pour la réveiller.

Elle ouvrit les yeux et se redressa, observant son mari déjà habillé.

« Quelle heure est-il ? demanda-t-elle d’un voix sourde.

- Il est tôt. Je dois sortir. Comment te sens-tu ?

- Pas très bien, avoua Candy. Je crois que je me suis enrhumée.

- Je veux que tu restes ici aujourd’hui. Je reviens dès que possible, d’accord ? »

Étonnée, la jeune femme acquiesça. Pourquoi Terry semblait-il si inquiet ? Un terrible mal de tête faisait battre ses tempes, et son esprit refusa d’approfondir la question pour l’instant. Elle se sentait épuisée et ne songeait qu’à se reposer encore. Elle entendit claquer la porte d’entrée et se rallongea sans attendre.

Pris d'un terrible pressentiment, Terry sauta dans sa voiture et se rendit au bureau de poste le plus proche. Il téléphona d'abord au théâtre où on l'attendait pour une répétition et prévint qu'il ne viendrait pas aujourd'hui, puis à l'hôpital où travaillait Candy pour les informer que la jeune femme serait absente durant quelques jours. Enfin il partit en quête d'un médecin.

Doté d'une excellente constitution, il n'avait pas la moindre idée des praticiens établis dans son quartier, mais la femme qui encaissa le prix des communications devait en savoir un peu plus. Il s'enquit sans difficulté auprès d'elle de l'adresse de quelques médecins du quartier, et entreprit de faire le tour de leurs cabinets. Il se heurta chaque fois à des difficulté, le docteur étant sorti pour ses visites, ou absent pour plusieurs jours. Le dernier nom figurant sur sa liste n'avait été donné par l'employée qu'avec réticence.

« C’est un petit jeune, avait dit la femme. Il ne connaît pas bien son métier. »

C’était là une opinion qui devait être communément répandue, car le cabinet du médecin ne payait vraiment par de mine. Sa clientèle ne devait pas être nombreuse. Cela importait peu au jeune homme. Il cherchait un docteur et ne repartirait pas sans lui. Il sonna à la porte mais n’obtint aucune réponse. Il s’installa alors dans sa voiture, décidé à attendre le temps qu’il faudrait.

Il laissa son regard errer sur la rue peu animée. Une sourde inquiétude lui battait les tempes tandis qu'il songeait au spectacle qui s'était offert à ses yeux fatigués en traversant la ville. L'activité semblait réduite comme dans une petite bourgade de province. Les rares tramways à circuler étaient pratiquement vides. Aux carrefours, les policiers portaient tous des masques de toile contre les germes qui évoquaient ceux des chirurgiens, mais inspiraient plus la peur qu'ils ne rassuraient.

Tous les lieux publics où pouvaient se rassembler un grand nombre de personnes avaient été fermés par mesure de prévention contre l'épidémie. Le théâtre n'avait pas fait exception, et ils ne donnaient plus de représentation depuis plus d'une semaine. La troupe ne se réunissait que pour les répétitions de leur prochain spectacle, mais le coeur n'y était pas. Chaque comédien avait une connaissance ou un membre de sa famille qui avait été touché par la terrible grippe espagnole. La plupart déplorait le décès d'un être cher, comme lui.

Jamais la gravité de la situation ne lui était apparue aussi nettement, même après la mort de sa mère. Malgré la profession de Candy, il n'avait jamais imaginé qu'elle puisse tomber malade. Elle était trop forte, trop pleine de vie pour être victime des microbes. Candy était faite pour soigner les autres, leur apporter soutient et réconfort. Elle était la vie. Pourtant il avait tremblé en reconnaissant les signes de la fièvre sur le front adoré qu'il avait caressé ce matin. Il avait entendu la toux qui secouait la jeune femme pendant qu'il s'habillait dans la salle de bains. Il avait entendu la même toux dans la gorge d'Eléonore Baker quand il l'avait déposée à l'hôpital. Mais sa mère avait toujours été une femme fragile. Candy était faite d'une autre trempe. Il ne s'agissait probablement que d'un simple rhume. Quelques jours de repos et elle retrouverait sa vigueur habituelle. Le médecin pourrait le rassurer dès qu'il arriverait. Mais que faisait donc ce docteur ? Chaque instant perdu pouvait être lourd de conséquence pour la jeune malade.

La chance fut avec lui, car au bout de quelques minutes, apparut au coin de la rue un petit homme au costume fatigué qui portait une sacoche de médecin. Terry se précipita vers lui.

« Docteur Merrick ? demanda-t-il plein d’espoir.

- Oui, que puis-je faire pour vous, monsieur ?

Terry observa le jeune homme qui semblait à bout de force. De larges cernes sous ses yeux délavés lui mangeaient la figure et le faisaient paraître plus âgé.

« Entrez dans mon cabinet, voulez-vous, reprit le petit homme. Je vais vous examiner.

- Je ne suis pas malade, docteur, il s’agit de ma femme.

- Je suis désolé jeune homme, mais je ne suis pas en état de faire encore des visites à domicile.

- Je vous en prie, docteur ! Je suis en voiture et nous n’en avons pas pour longtemps. Je vous ramènerais devant chez vous, je vous le promets, mais il faut absolument que vous m’accompagniez. »

Un tel ton d’urgence perçait dans la voix de Terry, que le médecin céda et le suivit d’un pas lent jusqu‘à son automobile. Il se laissa tomber sur le siège du passager avec un soupir de satisfaction. Les lèvres serrées, l’acteur conduisit rapidement à travers les rues peu fréquentées jusque chez lui en jetant des regards en coin au médecin qui dodelinait de la tête. Celui-ci l’accompagna péniblement dans l’escalier. Il semblait prêt à s’effondrer à chaque pas et Terry se maudit de ne pas avoir accordé plus de crédit aux propos méfiants de l’employée des postes. Cet homme ressemblait plus à un malade qu’à un docteur, mais il était trop inquiet pour faire le difficile. Il ouvrit la porte et se précipita dans le salon sans se soucier si le praticien le suivait. Ses pires craintes se réalisèrent lorsqu’il trouva Candy inanimée sur le sol.

Fin du chapitre 28

CHAPITRE 29

Il y avait quelque chose d’indéfinissable dans l’air quand Candy se réveilla ce matin là. Elle referma bien vite les yeux car même la faible lueur de l’aube à travers les persiennes suffisait à l’éblouir. Elle mourait de soif et voulut se lever sans en trouver la force. Une terrible quinte de toux la secoua et lui déchira les poumons. Dieu qu’elle avait mal ! Une main fraîche se posa sur son front brûlant puis quelqu'un passa un linge humide sur son visage et sur son cou. Elle devait être à l’hôpital. Est-ce qu’elle était malade ? Oh non, pas çà ! Elle ne voulait pas mourir de la grippe comme tous ceux qu’elle avait soigné ces derniers jours. Au prix d’un effort surhumain, elle ouvrit les yeux, mais l’homme qui se tenait près du lit ne pouvait pas être là, c’était un rêve. Elle devait délirer.

« Terry ! »

Le nom ne fut qu’un râle, mais l’interpellé laissa tomber la cuvette qu’il tenait. Celle-ci fit un bruit de tonnerre en rebondissant sur le plancher et la jeune femme crut que sa tête allait éclater. Elle ne pouvait garder les yeux ouverts et ne percevait à chaque tentative que des images fugaces comme un kaléidoscope de couleurs et parfois de sons : Terry effondré près de son lit et pleurant à chaudes larmes. Terry lui prenant les mains pour les porter à ses lèvres. Passé, présent, ou délire dû à la fièvre ?

« Mon amour, tu es vivante ! »

Non c’était un rêve. Pourtant il était bien là. Elle sentait sa chaleur contre son dos pendant qu’il la soutenait et introduisait une paille entre ses lèvres gercées. Un liquide frais coula dans sa gorge enflammée.

« Bois doucement. Tout ira bien maintenant. »

Mais ce n’était pas possible, il ne devait pas rester ici ! Il allait tomber malade lui aussi ! Il la recouchait sur ses oreillers et elle tenta de le repousser mais elle n’avait même pas la force de lever le bras. Elle aurait voulu crier, mais sa voix n’était qu’un souffle rauque :

« Va-t-en ! »

Il ne répondit pas mais Candy sentit qu’on remontait les couvertures sur son corps rompu. Puis tout fut à nouveau calme. Il était parti. Tant mieux ! Le virus était trop dangereux. Il valait mieux qu’il ne s’approche pas d’elle. Elle ne voulait pas qu’il meure à cause d’elle, comme Anthony. D’autre images s’imposèrent à son esprit, des visages jeunes et souriants : Anthony, Allistair…Je vais peut-être vous rejoindre bientôt.

Des rêves agités peuplèrent son sommeil. Dans un fauteuil près de la fenêtre, Terry la regardait, partagé entre la joie et le désespoir. Candy était vivante ! Le médecin avait dit que si elle survivait aux cinq premiers jours, tous les espoirs étaient permis. Tout ce temps, il avait veillé sur elle, sans s’accorder le moindre repos. Il lui était arrivé de s’assoupir de courts moments, terrassé par la fatigue. A chacun de ses réveils, bourrelé de remords, il prenait soin d’elle, essayant de faire baisser la fièvre avec des compresses fraîches, épongeant son corps en sueur. Son visage convulsé prenait parfois une teinte violacée quand elle toussait. D’interminables quintes qui prouvaient que les poumons étaient atteints.

Il avait prié. Lui qui avait oublié comment s’adresser à Dieu depuis si longtemps. Il avait pleuré, hurlé. Il se souvenait de l’avoir prise dans ses bras au plus fort de la crise, de l’avoir suppliée de ne pas mourir. Il était seul avec son remord. Le seul médecin qu’il avait pu trouver ne lui avait laissé que peu d’espoir. L’épidémie était partout.

« Non, elle ne pouvait pas rester ici. » « La municipalité avait donné des ordres pour que tous les malades soient regroupés dans des structures d'accueil où on pourrait les soigner, car l’hôpital était déjà surchargé au-delà de ses capacités. » « Y avait-il d’autres malades dans l’immeuble ? » Il allait envoyer une ambulance pour transporter la jeune femme.

Terry ne l’avait pas revu et l'ambulance n'était jamais arrivée. La femme qui venait trois fois par semaine faire le ménage ne s’était pas montrée non plus. La concierge ne montait plus le courrier. La ville entière vivait au ralenti. Il savait qu’il aurait du sortir, trouver de quoi préparer un repas, mais il ne pouvait se résoudre à laisser Candy seule. Elle avait eu un éclair de conscience ce matin. Cela voulait-il dire qu’elle avait passé le plus dur ? Et si c’était le premier signe de la fin ? Un ultime sursaut avant de sombrer dans la mort. Il se levait pour s’approcher du lit puis s’arrêtait. Elle l’avait chassé. Il avait lu les mots sur ses lèvres plus qu’il ne les avait entendu. Que pouvait-il attendre d’autre après tout ce qu’il lui avait fait subir. La respiration sifflante de la jeune femme était le seul bruit perceptible dans la pièce. Non, elle allait s’en sortir. Il fallait qu’elle vive pour qu’il lui présente ses excuses, à genoux s’il le fallait. Le soleil était haut dans le ciel à présent. Une nouvelle fois il changea la compresse sur le front de la jeune femme et elle s'agita en gémissant mais ne semblait pas sur le point de se réveiller. Il sortit de l’appartement et gagna la loge de la concierge. Celle-ci refusa de le laisser entrer mais lui donna un peu de bouillon pour la malade à travers une minuscule fenêtre. Reconnaissant, il la remercia brièvement, trop épuisé pour songer à autre chose qu’à retrouver sa femme au plus vite. Son coeur battait à tout rompre quand il rentra chez lui, pourtant il ne l’avait quittée que cinq minutes. Il posa la casserole sur le coin de la cuisinière et rajouta du bois dans le poêle avant de s’approcher du lit aussi discrètement que possible. Un vertige le saisit en rencontrant les yeux verts qui le regardaient avec reproche. Il s’assit sur le coin du lit, incapable de parler.

Candy le fixait comme si elle ne l’avait jamais vu. Sa petite main se souleva et il la prit dans les siennes pour la porter à ses lèvres. Étonnée, elle caressa la barbe qu’il n’avait pas rasée depuis cinq jours, et il devina la question qu’elle n’arrivait pas à formuler.

« Tu a passé le plus dur. Tout ira bien maintenant, je te le promets. »

De quoi parlait-il exactement ? De la grippe, ou de leur vie à tous les deux ? Cela n’avait aucune importance. Candy n’était pas en état d’entamer une conversation. Elle avait besoin d’être rassurée, ce qu’il n’avait pas su faire durant ces derniers mois. Elle avait peur et il ne voulait plus jamais voir cette lueur d’angoisse dans ses yeux. Le seul problème était qu’il ne savait pas si elle voudrait encore de son réconfort. Il écarta les mèches de cheveux poisseux qui couvraient son visage, mais retira sa main en la voyant trembler.

« Je vais te donner un peu de bouillon. Tu dois reprendre des forces. Ensuite tu te reposeras encore, aussi longtemps que tu en auras besoin. »

Candy le suivit du regard pendant qu’il s’occupait de réchauffer la soupe. Les épaules voûtées, il semblait différent du Terry de ces derniers temps, plus tourmenté. Son esprit avait du mal à rassembler ses idées, mais elle aimait qu’il la dorlote. Elle se laissa donc faire sans protester jusqu’à ce qu’il l’oblige à se rallonger et la borde comme une enfant. Soudain, elle ne voulait plus qu’il s’éloigne, elle craignait trop qu’il ne redevienne comme avant.

« Reste avec moi, s’il te plait ! J’ai peur. Si je ne me réveillais pas ? »

Terry s’allongea sur les draps à côté d’elle et elle se blottit contre sa chaleur. Candy n’était pas dans son état normal pour être aussi tendre, songea Terry sans se douter qu’elle pensait exactement la même chose. Mais il la tenait enfin dans ses bras après tous ces jours d’angoisse, le reste n’avait pas d’importance. Il s’abandonna sur les oreillers et sombra dans un sommeil réparateur.

Le bouillon de la concierge devait être particulièrement réussi car Candy reprit des forces à une vitesse étonnante. Elle dormait encore beaucoup, mais son regard était plus vif et ses idées nettes. Terry se résolut enfin à la laisser pour aller faire des courses et il passa même à l’hôpital où il apprit que le médecin qui l’avait conseillé avait succombé à la grippe espagnole deux jours après être passé chez eux. Nombreuses étaient les victimes parmi les collègues de la jeune femme et il préféra lui taire ces tristes nouvelles. Il avait trouvé des fruits frais pour Candy et de quoi préparer quelques repas légers car son appétit était revenu en même temps que sa santé. Le moment arrivait où il devrait prendre une décision, et cela le tourmentait. Il aurait voulu éloigner Candy de cette ville morbide, mais le journal qu’il avait acheté était plein d’informations alarmantes sur l’épidémie qui s’était répandue sur toute la côte Est des États-Unis et la convalescente n’était pas en état de voyager.

Pourtant c’est debout qu’il trouva Candy en rentrant dans leur petit appartement. Elle était sortie de son lit et se tenait au mur pour avancer.

« Tu es folle de t’être levée ! »

Terry se mordit les lèvres; il regrettait déjà son ton brusque. Contrarié, il se précipita vers elle pour la soutenir et la ramener vers la chambre. Elle résista en le fixant d’un regard éperdu. Le même regard qu’elle avait quand il la malmenait. Un regard qui exprimait l’incompréhension la plus totale. Candy regardait son mari. Il était redevenu lui même après un passage à la salle de bain, alors qu’elle se sentait laide et sale. Il n’y avait aucune violence dans la façon dont il la tenait mais elle détestait cet homme autoritaire qu’il était devenu. Il était si tendre quand il s’occupait d’elle !

« Je t’en prie, Terry ! Je vais mieux. J’ai besoin d’un bain, de me laver les cheveux...

- Tu n’es pas encore assez forte pour te débrouiller toute seule.

- Quelle différence cela fait-il que je sois couchée dans la baignoire ou dans mon lit !

- D’accord ! Je te fais couler un bain. Mais tu restes assise ici en attendant. »

Il était plus amusé de fâché. Si elle recommençait à se soucier de son apparence, c’est qu’elle allait vraiment mieux. Bientôt elle n’aurait plus besoin de lui. Il faudrait alors lui dire la vérité. En aurait-il le courage ? Il voulait encore profiter de ces instants où elle était faible et douce entre ses bras, mais ils se faisaient de plus en plus rares. Maintenant qu’elle redevenait elle-même, elle ne tarderait pas à le repousser. Les premiers mots qu’elle avait prononcés à son réveil avaient été pour le chasser, il ne l’avait pas oublié. Son coeur se serra dans sa poitrine. Était-il condamné à revivre cette douleur ancienne. Il ne pouvait s’en prendre qu’à lui même. Il se composa un visage impassible pour aller la chercher. Elle ne devait pas savoir combien il souffrait.

Gênée, Candy tenta de le repousser quand il la déposa près de la baignoire. Elle serrait les cordons de sa chemise de nuit d'un air farouche. Les mains sur sa taille fine, Terry sourit :

« Crois-tu avoir encore quelque chose à me cacher chuchota-t-il a son oreille. Je suis ton mari, tu n'as pas oublié ? »

D'un geste preste il fit passer la chemise par dessus la tête de la jeune femme et la jeta dans un coin. Candy tentait de dissimuler sa nudité avec ses bras. Il aurait pu poursuivre ce jeu s'il n'avait craint qu'elle ne prenne froid, mais il ne résista pas à l'envie de serrer contre lui ce corps tremblant. Puis il la déposa dans l'eau chaude où elle s'enfonça avec un soupir de bien-être. L'eau claire de cachait pas grande chose de ses formes; elle avait tellement maigri, songea le jeune homme en lui tendant une éponge.

« Tu m'appelles si tu as le moindre problème, promis ? »

Candy acquiesça sans le regarder. Tout ce qu'elle voulait, c'était qu'il sorte le plus vite possible. Elle fronça les sourcils en constatant qu'il laissait la porte entrouverte, mais renonça à protester. Enfin seule, elle se détendit dans l'eau chaude, lava lentement son corps de la sueur et de la maladie. Ses cheveux lui posèrent plus de problèmes. Lever les bras représentait un effort épuisant. Elle souffrait de courbatures dans tout le corps comme si on l'avait battue, mais se sentir propre et nette méritait bien quelques petits désagréments. Elle entendait Terry s'affairer à côté. Comment avait-il pu changer à ce point ? Jamais au cours des derniers mois il n'avait été aussi tendre, aussi attentionné. Elle avait tant rêvé qu'il la prenne dans ses bras et lui murmure des mots d'amour. Si elle l'appelait maintenant, comment se comporterait-il ? En se moquant d'elle, ou en la caressant de ses mains expertes jusqu'à ce qu'elle avoue son désir pour lui ? Une subite rougeur envahit ses joues et elle s'enfonça sous l'eau comme pour l'effacer. Ses longs cheveux flottaient autour d'elle comme une auréole. Elle se sentait si bien quand une poigne irrésistible la tira de l'eau. Surprise, elle suffoqua et se mit à tousser. Des bras fermes se nouèrent autour de son corps.

« Espèce d'idiote ! Mais qu'est ce qui t'a pris ? Je n'aurais jamais dû te laisser seule; tu aurais pu te noyer ! »

Candy s'accrochait à lui comme à un rocher, sans réussir à retrouver son souffle. Il l'enveloppa dans une immense serviette, la sécha et l'habilla comme une enfant sans qu'elle réagisse. Il avait du la surveiller à travers la porte entrouverte, et veiller sur elle sans qu'elle s'en rende compte. Elle se tourna vers lui et posa les mains sur son torse. Sa chemise trempée collait à sa peau. Sans un mot il s'en débarrassa et la jeta au sol. Puis il prit la jeune femme dans ses bras et la porta jusqu'à la chambre où il la déposa sur le lit. Elle resserra autour de son corps glacé les pans de sa robe de chambre. Elle était seule, elle avait froid soudain.

Terry sortit de la salle de bain : il avait revêtu une chemise sèche. Il s'installa près d'elle et entreprit de lui brosser les cheveux. Alors qu'elle les appelait de tous ses voeux quelques minutes plus tôt, ses gestes tendres troublaient Candy qui sentait monter une douce chaleur au creux de son estomac. Pourquoi ne disait-il rien ?

Les longues boucles blondes glissaient sous les doigts de Terry comme de l'or liquide. Il les brossa jusqu'à ce qu'elles soient sèches et brillantes. Combien de fois avait-il rêvé de caresser la chevelure rebelle sans oser le faire de peur de se trahir ? Qu'avait-il gagné à se priver de toute attitude affectueuse ? Il avait blessé Candy et s'était refusé le bonheur. Ses doigts effleurèrent la ligne douce de son cou. La peau veloutée appelait au baiser. Dans le silence pesant de la pièce sa respiration s'accéléra comme il inclinait la tête.

« J'ai trouvé un journal.»

Les mots de Candy brisèrent la magie de l'instant et Terry se figea avec un soupir.

« Si j'avais su que tu te lèverais, je l'aurais caché.

- Pourquoi ? Je ne suis plus une enfant à laquelle on dissimule les horreurs de ce monde. La situation est-elle vraiment si grave ?

- Pire encore, à mon avis. Imprimer toute la vérité risquerait de provoquer une panique dans la population.

- Terry, chuchota la jeune femme en s'abandonnant contre lui, comment vont-ils à Chicago ?»

" Ainsi nous y sommes ! Songea Terry. Elle veut retourner chez elle !" Il l'encercla de ses bras et enfouit son visage dans la masse de ses cheveux blonds. Pas maintenant, pas encore, jamais ! Si elle le quittait...

« Tu ne peux pas me demander cela » , gémit-il sans réaliser que Candy se méprenait sur le sens de ses paroles.

Dans l'esprit de la jeune femme, il cherchait encore à la protéger. Il devait avoir reçu de mauvaises nouvelles. La grippe espagnole avait emporté Eléonore Baker, sa mère. Elle savait combien Terry en avait souffert, malgré le ressentiment qu'il éprouvait envers elle. C'était peu de temps avant qu'elle ne tombe malade et elle se souvenait de sa dureté à ce moment-là. Mais elle le connaissait trop bien pour ne pas avoir lu la détresse dans ses yeux. Malgré ses réflexions blessantes elle avait reconnu l'adolescent blessé qu'elle avait aimé. Un moment elle avait redouté qu'il ne recommence à boire. Puis elle avait attrapé le virus à son tour... Et si Albert et tous ceux qu'elle aimait étaient tombés malades ? Elle se libéra de ses bras, déchirant le coeur de Terry qui se croyait rejeté. Puis elle se tourna vers lui les yeux pleins de larmes.

« Tu sais quelque chose et tu ne veux pas me le dire ! S'il te plait, Terry, je veux savoir !»

Les larmes roulaient sur ses joues. Elle pleurait encore à cause de lui ! Désespéré, le jeune homme prit le visage qu'il adorait entre ses mains. Ses pouces caressèrent les cernes bleus sous les yeux suppliants; " Imbécile ! C'est comme cela que tu crois la rendre heureuse ?"

« Non Candy. Je n'ai aucune nouvelle de ta famille, mais si tu y tiens, je m'en occuperais dès demain. Ne pleure pas, je t'en supplie, je ferais tout ce que tu voudras mais... »

Il se mordit la lèvre juste avant de finir sa phrase. " Ne me quittes pas ?" A quoi bon prononcer des mots qu'elle ne voulait pas entendre ?

« Tu téléphoneras ? Je te donnerai le numéro du bureau d'Albert. »

Vaincu, Terry comprit que le moment était arrivé où il devrait prendre la décision la plus difficile de sa vie. Il prit les petites mains dans les siennes, presque timidement. Un dernier moment de tendresse avant de la laisser partir. Une véritable tempête se déchaînait sous son crâne et malgré son expérience de comédien, Candy qui le connaissait bien pouvait en lire l'essentiel sur son visage tourmenté. Son coeur battait à tout rompre tant elle espérait qu'il lui avoue enfin son amour. Mais Terry n'était pas prêt. Trop de rancoeur, trop de souffrance bloquaient les mots au fond de sa gorge. Elle avait dépassé ce stade. Son amour pour lui gonflait son coeur d'une nouvelle énergie. Il avait exprimé son attachement de tant de manières différentes. Aurait-il pu s'occuper d'elle avec autant de dévouement s'il ne l'avait pas aimée ? Elle se souvenait de tant de gestes tendres qu'elle n'avait pas su interpréter au bon moment. Aujourd'hui elle ne laisserait pas passer sa chance.

Terry dont l'esprit travaillait à toute vitesse venait lui aussi de prendre une décision. Il se leva et installa Candy plus confortablement sur ses oreillers avant de lui apporter son médicament.

Amusée, la jeune femme l'observa pendant qu'il veillait à ce qu'elle avale la potion jusqu'à la dernière goutte.

« Pourquoi ne suis-je pas à l’hôpital ? » Demanda-t-elle en posant son verre sur la table de nuit.

Terry s’accouda au chevet du lit et soupira.

« Ma mère est allée à l’hôpital. On l’a parquée avec des dizaines d’autres malades dans une salle immense et elle est morte seule. Personne n’était là pour lui tenir la main. Pas même moi, acheva-t-il dans un souffle. »

Malgré le ressentiment qu’il éprouvait envers Eléonore Baker, il portait ce remord en lui comme une brûlure. Il aurait dû être là, lui son fils ! Mais le personnel débordé de l’hôpital refusait que les membres de la famille restent auprès des malades, essentiellement pour limiter les risques de contagion. Persuadé qu’on prenait bien soin d’elle, il l’avait laissée entre les mains du personnel médical. Quand il était revenu prendre de ses nouvelles, il avait appris qu’Eléonore était décédée dans la nuit. Il n’aurait pu supporter de revivre cela avec Candy.

« Je ne voulais pas qu’il t’arrive la même chose, avoua-t-il sans la regarder.

- C’était très imprudent, lui reprocha Candy d’une voix douce. Tu aurais pu tomber malade toi aussi !

- Jamais je ne t’aurais abandonnée ! »

Surpris lui-même qu’un tel aveu ait enfin pu franchir ses lèvres, Terry osa lever les yeux vers sa femme.

La bouche tremblante, elle posait sur lui un regard si tendre que toutes les digues de son coeur cédèrent en même temps sous la pression de l’amour qu’il éprouvait pour elle.

« Rien ne pouvait m’arriver tant que je n’aurais pas expié tout le mal que je t’ai fait. Appelle cela punition divine si tu veux, mais je sais que c’est la vérité. Jusqu’à la fin de mes jours je n’aurai d’autre ambition que d’obtenir ton pardon. »

Il tomba à genoux sur la descente de lit et prit les mains de la jeune femme dans les siennes pour les porter à ses lèvres.

« Je sais que tu veux partir ! Mais je t’en supplie à genoux mon amour, donne moi encore une chance. Quand j’ai cru te perdre, j’ai maudit chaque jour de ses six derniers mois au cours desquels je ne t’avais pas dit combien je t’aime. J’aurais donné ma vie pour sauver la tienne et maintenant que tu vas mieux, j’ai peur d’avoir perdu ton coeur à jamais. Je ferais ce que tu voudras, mais je t’en prie, ne me quitte pas ! »

Éperdue, Candy ne put que murmurer son prénom mais il ne l’entendit pas. Elle sentit une larme couler sur le dos de sa main. Terry pleurait ! L’homme arrogant et autoritaire qu’était son mari pleurait sur son amour perdu ! Elle se pencha vers lui pour chuchoter à son oreille :

« Terry, regarde-moi s’il te plait. »

Il redressa la tête et posa sur elle un regard plein de tant de détresse qu’elle ne put que l’attirer vers elle. Il se releva lentement et s’assit au bord du lit sans la quitter des yeux. Le seul fait qu’elle ne l’ait pas renvoyé représentait une immense victoire, pourtant il n’osait encore espérer plus.

Soudain elle repoussa les draps et vint s’agenouiller à côté de lui. D’un geste incertain elle repoussa une mèche brune qui tombait sur les yeux si bleus de son mari et noua les bras autour de son cou avant de murmurer d’une voix tremblante :

« Prends-moi dans tes bras et dis-moi que je ne rêve pas. »

N’osant croire à son bonheur, Terry l’attira sur ses genoux et referma les bras autour de son corps menu tandis qu’elle se blottissait tendrement contre lui. Son coeur battait si fort qu’il avait l’impression qu’il allait éclater dans l’instant.

La tête contre sa poitrine, Candy écoutait cette musique enivrante tandis que son propre coeur battait à l’unisson. Enfermée dans le cercle protecteur des bras de celui qu’elle avait tant espéré, elle respirait le parfum de sa peau qui évoquait tant de souvenirs, certains lointains. Tout l’amour qu’elle avait enfoui en elle si longtemps la submergea et les mots qu’elle avait retenus pendant des mois trouvèrent naturellement le chemin de sa bouche.

« Je t’aime, Terry. Pourquoi voudrais-je m’en aller, alors que je suis enfin là où j’ai toujours rêvé d’être : dans les bras de l’homme que j’aime. »

L’étreinte du jeune homme se raffermit et il la serra contre lui à l’étouffer en balbutiant des mots sans suite dans ses cheveux. Leurs coeurs se réchauffaient à la chaleur de leurs corps enlacés, enivrés par la douce musique de leurs tendres aveux.

Terry laissa ses lèvres errer sur le visage de la femme abandonnée contre lui dont les mains se perdaient dans ses cheveux. Les courbes douces de sa poitrine écrasée contre son torse allumaient dans son sang un feu d’artifice de sensations délicieuses.

« Un idiot tel que moi ne mérite pas tant de bonheur, murmura-t-il contre ses lèvres.

- Qu’importe, puisque tu es l’idiot que j’ai choisi ! Depuis que je t’ai rencontré, tu es le seul à faire battre mon coeur comme cela, répondit-elle en s’emparant d’une main de Terry pour la poser sur son sein palpitant. Pendant toutes ces années, il n’y a pas eu un jour où je n’ai pas pensé à toi, rêvé de toi. Je croyais t’avoir perdu, pourtant j’aurais tout donné pour t’entendre me dire...

- Je t’aime, l’interrompit-il dans un souffle. Je crois que je t’ai toujours aimée, même avant d’en être réellement conscient. Et pourtant je n’ai jamais réussi à te le dire.

- Dis-le moi maintenant, chuchota-t-elle à son oreille. Montre-le moi... »

Avec un gémissement rauque, il lui renversa la tête en arrière et posa ses lèvres sur les siennes. Incrédule, il commença par les caresser avec douceur, incapable d’exprimer toute la passion qu’il ressentait. Il buvait son souffle en même temps que les mots d’amour qu’elle balbutiait, laissant son coeur se persuader de la réalité du moment. Puis il se fit plus pressant et la jeune femme répondit aussitôt à son baiser. Plus rien n’exista alors que la douceur de ses lèvres et les tendres gémissements qui résonnaient à ses oreilles.

Il l’allongea sur le lit et s’étendit contre elle. Ses mains parcoururent le corps abandonné tandis que ses lèvres traçaient un sillon de feu jusqu’à la vallée entre ses seins où il posa la tête le souffle court. Il l’entraînait vers un abîme où elle n’était pas en état de plonger avec lui. Au prix d’un immense effort il redressa la tête et lui sourit.

« Il est trop tôt, mon amour. Tu es encore convalescente. Et puis je ne veux plus d’ombre entre nous. Tu dois tout savoir, même mes plus mauvais côtés. »

A regret, il se détacha d’elle et s’adossa contre les oreillers. Il s’attendait à ce que Candy fasse de même, mais elle se lova contre lui, la tête sur son épaule. Avec un soupir résigné, Terry rassembla ses pensées pour le difficile aveu qu’il avait à faire.

« Quand nous nous sommes séparés, j’ai perdu pied. Je me suis mis à boire. En quelques semaines je n’étais plus qu’une épave. Je voulais m’en sortir, mais je n’y arrivais pas. Dans ma folie, le seul moyen que j’ai trouvé de ne pas sombrer complètement, ce fut de me persuader que tu ne m’avais jamais aimé et que c’était pour cela que tu m’avais quitté. »

La jeune femme se redressa et posa sur lui un regard chargé de reproches.

« Je n’avais pas le choix, Terry. Tu étais déchiré entre Susanna et moi, incapable de prendre une décision qui nous blesserait de toute façon...

- Alors tu as choisi pour moi, pour m’éviter le poids du remord, comme tu l’as fait avec mon père quand tu lui as dit que l’opération d’Elisabeth serait un échec.

- Oh ! Tu as compris çà aussi, murmura Candy en baissant les yeux.

- J’y vois clair maintenant, mais je suis resté aveugle à cette époque. C’est la première chose que je dois me faire pardonner : avoir douté de toi. »

Terry joua un instant avec une boucle blonde qui tombait sur le visage de sa femme, puis resserra la prise de son bras autour de sa taille pour qu’elle reprenne sa position contre son épaule avant de reprendre.

« Quand je suis sorti de l’hôpital après que Susanna m’ait tiré dessus, je ne pensais qu’à une chose : me venger de toi que je rendais responsable de tout ce qui m’était arrivé. J’ai engagé un détective privé pour enquêter sur toi et je me suis rapproché d’Elisa pour avoir mes entrées dans la famille André. Mais quand je t’ai revue... Oh Candy ! Ce fut encore pire ! Après notre rencontre dans le jardin, tu occupais toutes mes pensées, le jour, la nuit, c’était plus fort que moi. Tu avais l’air heureuse, tu ne voulais plus me voir, j’ai cru perdre l’esprit. La seule idée que tu puisses accorder à un autre ce que tu me refusais m’a rendu fou. C’est vrai que j’ai tout fait pour te séparer de ce Stewart, mais c’est parce que je te voulais pour moi, Candy. Je ne t’ai pas épousée pour ton argent, je l’ai fait parce que je n’aurais pas supporté que tu appartiennes à un autre ! »

Candy voulut se redresser mais il raffermit son étreinte pour la garder contre lui.

« Cesse de te faire des reproches, répondit-elle. J’ai été aussi idiote que toi !

- Çà c’est impossible ! Laisse-moi terminer, je t’en prie. Ensuite tout s’est accéléré. Albert m’a accusé d’être un coureur de dot, il nous a chassés, et quelque part j’étais heureux. Parce que séparée de ta famille, j’étais sûr de te garder. J’ai cru que j’avais tout le temps devant moi. Alors que mon stupide orgueil m’empêchait de t’avouer ce que je ressentais, j’aurais voulu que toi, tu reconnaisses tenir à moi. J’ai même essayé de te rendre jalouse. »

Terry sentit la jeune femme se raidir entre ses bras, mais elle ne bougea pas.

« Je sais que tu es au courant de cet article au sujet de Cécilia et moi, et je n’ai rien dit. J’aurais voulu que tu en parles la première, que tu piques une crise, que tu me jettes quelque chose à la figure... Parce que si tu étais jalouse, cela m’aurait prouvé que tu tenais à moi. Ce ne sont que des ragots de journaliste en mal de copie, Candy. Il n’y a rien de vrai dans cet article. »

Avec une vivacité étonnante, la jeune femme lui asséna dans l’estomac un coup de poing qui lui coupa le souffle et en profita pour se libérer de ses bras. Il la rattrapa sans grande difficulté et l’immobilisa sous son poids, haletant.

« Terrence Granchester, tu n’es qu’un sale type !

- Ainsi tu es vraiment jalouse, s’exclama-t-il, un sourire d’enfant ravi sur le visage.

- Ce n’est pas drôle !

- Non, c’est merveilleux, répondit-il en couvrant son visage de baisers. »

Candy ne résista pas longtemps aux lèvres tendres qui se posaient sur les siennes. Sa colère fondit comme neige au soleil et elle noua les bras autour du cou de son époux.

« Tu es la seule femme dans mon coeur, Candy avoua-t-il en relevant la tête. La seule que je veuille dans ma vie et dans mon lit.

- Mais tu as eu une aventure avec elle, se souvint Candy.

- C’était avant que je te retrouve. Désormais il n’y a que toi, il faut me croire. »

Il s’allongea contre elle et posa la tête sur sa poitrine, là où battait son coeur généreux.

« Ne recommence jamais, Terry. Tu n’imagines pas à quel point cela fait mal, avoua-t-elle.

- Pardon mon amour. Je m’en veux d’autant plus que je sais ce que tu as du éprouver parce que c’est ce que j’ai ressenti le soir de la première. Je t’ai vue parler avec un homme, mais il faisait trop sombre. Je n’ai pas reconnu mon père. Et puis tu es arrivée dans cette robe qui te ressemblait si peu ! Le genre de robe qu’on porte pour séduire un homme. Comme je n’imaginais pas que cela puisse être moi, j’ai cru que tu en avais assez de vivre avec moi et que tu allais me quitter. Je me suis comporté comme un mufle, Candy. Mais à l’idée que tu en préfères en autre... J’ai perdu tout contrôle; j’aurais pu te blesser. »

Candy caressa doucement les cheveux de son mari.

« Je venais de croiser Cécilia dans le couloir. J’étais persuadée que tu venais de lui faire la même chose.

- Je lui avais dit qu’il n’y aurait plus jamais rien entre nous. Au moins j’ai compris une chose cette nuit là : que je ne pouvais pas vivre sans toi. Quand je ne t’ai pas trouvée à l’appartement, je suis devenu fou.

- Qu’est ce que tu as fait ?

- Comme d’habitude quand j’ai besoin de passer ma rage sur quelqu’un : je suis allé casser la figure à Cornwell.

- Archibald ?

- Ne te fâche pas, c’est lui qui a gagné. Rappelle-toi la bosse que j’avais sur le crâne ! »

Elle pouffa et palpa le crâne de Terry qui savourait le contact délicat de ses doigts.

« Tu ne risquais pas grand-chose, dit-elle. Tu as la tête bien trop dure !

- Eh ! S’exclama l’acteur en se redressant sur un coude. Ce n’est pas très gentil !

- Tu n’as que ce que tu mérites ! Mais alors, où étais-tu pendant toutes ces soirées où tu disparaissais mystérieusement, si ce n’était pas avec une femme ? »

Terry soupira et roula sur le dos. Le moment le plus difficile était arrivé. Ses anciens doutes le reprirent et il préférait ne pas prendre Candy dans ses bras, de peur qu’elle ne le repousse quand elle saurait la vérité.

« Ta famille te manque, n’est-ce pas Candy ?

- Oui, un peu, reconnut-elle en se tournant vers lui.

- Je le sais. Et je connais un moyen pour te permettre de renouer avec eux. Je veux t’offrir cela en gage de mon amour pour toi : la possibilité de choisir. Tu ne seras pas obligée de rester avec moi si tu ne le souhaites pas. Tu pourras rentrer chez toi, dans ta famille.

- Ma place est avec toi, Terry. Je n’en changerais pour rien au monde. Et puis... Moi non plus je ne t’ai pas tout dit mais... Albert a beaucoup changé, il...

- Il est tombé amoureux de toi. Il faudra que je m’habitue à ce que tous les hommes qui approchent la femme que j’aime tombent sous son charme. Mais je connais le moyen de ramener Albert à la raison, et çà depuis des mois. En égoïste que je suis, je ne t’ai rien dit parce que je voulais te garder près de moi. Je t’ai dit que j’avais engagé un détective pour enquêter sur toi. Et bien, il a découvert bien plus de choses que je ne m’y attendais, et maintenant il essaye de me faire chanter en menaçant de révéler ces informations à la presse. J’ai un ami qui me donne un coup de main pour essayer de l’empêcher de nuire. C’est lui que je rencontre tard le soir.

- Quel genre d’informations ?

- Des révélations sur toi, ma chérie. Sur la famille André et sur tes origines... »

La jeune femme était devenue très pâle. Ce fut d’une toute petite voix qu’elle demanda :

« Des choses sur mes vrais parents ?

- Oui, Candy. Sur ta mère en tout cas.

- Tu sais qui est ma mère ? Dis-le moi !

- Elle s’appelait Rosemary Brown. C’était la soeur d’Albert. »

Candy était abasourdie. Incapable de trouver ses mots, elle restait sans voix, tandis que des images de son enfance défilaient devant ses yeux. Elle était la soeur d’Anthony ! Voilà pourquoi l’alchimie avait été si parfaite entre eux : ils partageaient le même sang. Et Albert était réellement son oncle !

Étonné par son long silence, Terry se tourna vers elle pour découvrir les larmes qui roulaient de ses paupières closes. Mû par un irrépressible besoin de la réconforter, il couvrit son visage de baisers fiévreux pour étancher ces larmes qui ne s’arrêtaient pas.

« Ne pleure pas, je t’en supplie ! N’es-tu pas heureuse de connaître la vérité ? Tu es vraiment une André, ma chérie. Dès qu’Albert le saura, il reviendra à la raison. Tu pourras rentrer chez toi.

- Et mon père ?

- Je ne sais pas, Candy, mentit-il. Les seules preuves que Mallone a pu trouver concernaient ta mère.

- Pourquoi m’a-t-elle abandonnée ?

- Elle ne pouvait pas te garder, à cause du scandale. Elle était déjà mariée. Mais peut-être l’a-t-on obligée à le faire ? »

Elle restait sans réaction et sentait l’angoisse lui serrer le coeur.

« Je suis un bâtarde, c’est çà ? Une erreur, un accident...

- Ne dis pas cela, s’exclama-t-il. Tu es une femme merveilleuse. Quiconque te connait ne peut que t’aimer. »

A la grande surprise du jeune homme, Candy noua les bras autour de son cou et l’attira vers elle pour murmurer :

« Tu le savais et tu as quand même voulu de moi ?

- Oh mon amour s’écria-t-il en la serrant contre lui. Je ne veux personne d’autre. Çà m’est bien égal que tu sois une orpheline ou une riche héritière, une bâtarde ou la plus adorable des têtes de mules ! Tout ce que je veux c’est toi, pour te dire tous les jours à quel point je t’aime et pour te rendre heureuse, si tu es d’accord.

- Je ne demande rien d’autre, Terry. Tant que tu m’aimeras, je serais la femme la plus heureuse du monde. Je suis à toi Terry, depuis toujours et à jamais. Tu dois me promettre de ne plus douter de mon amour. »

Leurs lèvres se joignirent presque timidement. Le jeune homme embrassa les paupières humides, la ligne de sa joue, avant de revenir sur sa bouche entrouverte. Elle répondait si bien à ses caresses qu’il craignit de l’entraîner trop loin. Il enfouit son visage dans ses cheveux et la serra contre lui.

« Je suis fou de toi, Candy, mais c’est une si douce folie ! J’ai eu tellement peur de te perdre.

- Personne n’aurait pu s’occuper de moi comme tu l’as fait.

- Je ne parle pas seulement de la grippe, précisa-t-il en déposant un baiser sur son front. Quand tu t’es réveillée, tes premiers mots ont été pour me chasser. J’ai cru que tu ne voulais plus me voir. Je t’ai fait tant de mal, ma Candy. »

La jeune femme posa une main sur ses lèvres pour le faire taire.

« Je suis une idiote, ou toi un trop bon comédien, sinon j’aurais compris bien avant que tu tenais à moi. Il y a des moments où tu ne pouvais pas dissimuler tes sentiments, et j’ai refusé de le voir.

- J’ai pourtant été odieux avec toi.

- Pas toujours, avoua Candy, rouge comme un coquelicot au souvenir des nuits d’extase qu’il lui avait fait découvrir. »

Terry comprit à quoi elle faisait allusion et éclata de rire en la renversant sur le lit.

« Dépêche-toi d’aller mieux, ma chérie, parce que j’ai encore beaucoup à t’apprendre sur la signification des mots « faire l’amour ». »

Il étouffa ses protestations sous ses baisers, mais mit rapidement fin au jeu avant de se laisser emporter par la passion. Il se leva et la borda comme une enfant.

« Pour commencer, je veux que tu te reposes. Pendant ce temps je vais essayer d’avoir des nouvelles de Chicago.

- Le numéro d’Albert est dans le premier tiroir de la cuisine. Mais Terry... »

Elle se mordit la lèvre et leva vers lui un regard implorant.

« Ne lui dit rien au sujet de ma mère, s’il te plait. Pas encore.

- C’est à toi de décider, ma chérie. Je n’en parlerai pas, promis. Maintenant donne-moi juste encore un baiser avant que je sorte. »

Espiègle, Candy lui ouvrit les bras, mais se contenta de l’embrasser sur la joue.

« File tout de suite, immonde séducteur ! Plus vite tu seras parti, et plus vite tu reviendras. »

Terry s’éclipsa en riant. Le ciel de New York était gris et couvert, mais jamais il ne s’était senti aussi léger. Le soleil qu’il abritait au fond de son coeur le réchauffait mieux que l’été le plus torride.

Fin du chapitre 29

CHAPITRE 30

Les doigts nerveux de Terry pianotaient contre la paroi de la cabine téléphonique. L'employée de la poste à laquelle il avait donné le numéro confié par Candy lui avait indiqué d'un geste las qu'il devait attendre la communication à l'appareil le plus proche de son comptoir. Elle devait manquer de distractions en ces temps troublés, et le jeune homme avait soigneusement fermé la porte en accordéon pour être certains qu'elle n'écouterait pas sa conversation.

Il y eu un cliquetis dans l'écouteur et une voix flûtée annonça :

« Bureau de M. André, bonjour.

- Je voudrais parler à William André dit Terry après s’être éclairci la voix.

- Qui puis-je annoncer ? »

Professionnelle et impersonnelle, la secrétaire agaçait le jeune homme au plus haut point. Il donna son nom à contre coeur et l’attente recommença. Puis la même voix reprit, moins assurée.

« Je suis désolée, M. Granchester. M. André vient de sortir. »

En bon comédien, Terry avait reconnut le mensonge de politesse dans le ton de la jeune personne. Albert refusait de lui parler. Visiblement, il n’était pas disposé à lui pardonner. Il devait pourtant obtenir des nouvelles pour Candy, il le lui avait promis. Pris d’une inspiration subite, il demanda :

« Passez-moi son homme de confiance. C’est très important.

- Monsieur Georges n’est pas à Chicago pour le moment. Il n’y a que M. Cornwell.

- Dans ce cas passez-moi Archibald Cornwell. Et débrouillez-vous pour qu’il prenne la communication. Dites-lui qu’il s’agit de Candy et que c’est une question de vie ou de mort, s’il le faut. »

Ce fut le silence, puis un nouveau cliquetis dans le téléphone avant qu’il n’entende la voix de son ancien condisciple.

« Allo Terry ? Tu ne crois pas que tu en fais un peu trop ?

- Archibald, s’exclama l’acteur soulagé. Je n’aurais jamais pensé être aussi heureux d’entendre ta voix !

- Décidément, tu m’inquiètes. Que ce passe-t-il ? Est-ce que c’est Candy ?

- Elle a attrapé la grippe, Archie. »

La respiration de Cornwell s’accéléra et il resta un moment sans voix avant de poser la question qui le taraudait.

« Est-elle...? »

Une réelle inquiétude transparaissait dans son ton, et l’acteur s’en voulu de lui infliger une telle angoisse. Si les rôles avaient été inversés, il serait sans doute devenu fou d’inquiétude, aussi rassura-t-il rapidement son correspondant.

« Elle s’en est sortie, Archie. Elle est encore faible, mais çà ira.

- Merci mon Dieu ! »

Terry eu la très nette impression qu’Archibald s’était laissé tomber sur une chaise et sourit.

« Tu pourras passer l’information à Albert... Quand il rentrera bien sûr, reprit l’acteur sarcastique. Tu connais Candy, maintenant qu’elle est tirée d’affaire, c’est pour vous qu’elle se fait du souci. Bien que je ne pense pas que vous méritiez autant d’attention après ce que vous lui avez fait, j’ai promis de lui apporter des nouvelles.

- Nous avons de la chance, ici. Personne n’a été malade pour le moment. A la maison de Pony non plus, pour autant que je le sache.

- Merci Archibald. Candy sera heureuse de l’apprendre. Elle pourra bientôt vous appeler elle-même. Peut-être qu’Albert acceptera de lui parler.

- Que lui as-tu fais, Terry ? Demanda Cornwell intrigué. Depuis quelques jours, il est encore pire que ces derniers mois. Je ne le reconnais plus.

- Tu veux dire à part épouser sa fille ? »

Terry eut un rire sans joie et coupa la communication. Les états d’âme d’Albert ne l’intéressaient pas. Il avait hâte de rentrer chez lui pour retrouver Candy, heureux de pouvoir lui annoncer qu’elle n’avait pas à s’inquiéter pour sa famille.

Une sourde angoisse lui serra le coeur en arrivant devant chez lui. La puissante voiture qui était garée à l’endroit où il parquait habituellement la sienne n’aurait pas dû se trouver là. Il gravit quatre à quatre les escaliers pour se précipiter chez lui et resta bouche bée devant la scène tranquille qui s’offrit à lui.

Un homme était tranquillement installé au salon, et Candy en robe de chambre, préparait du thé dans la cuisine. Elle se tourna vers lui, rayonnante.

« Terry ! Tu es déjà rentré ! »

Son expression radieuse n’échappa pas au visiteur qui posa ensuite les yeux sur le nouvel arrivant.

Avec les réflexes protecteurs qu’il avait acquis depuis quelques jours, Terry s’empara du plateau de la jeune femme pour le poser sur la table basse.

« Il faut croire que les grands esprits se rencontrent, pouffa Candy, visiblement ravie. Je te présente Georges, le bras droit d’Albert. Il s’inquiétait pour nous, lui aussi. Alors que je te demandais de prendre des nouvelles de Chicago, Georges est arrivé avec le même souci. »

Terry tendit la main à l’homme qui se levait avec une lenteur étudiée. La poignée de main qu’ils échangèrent était tout sauf chaleureuse.

Le jeune homme se désintéressa de leur invité pour prendre sa femme par les épaules et l’obliger à s’asseoir sur le canapé. Ses yeux brillaient, mais les larges cernes qui lui mangeaient les joues étaient inquiétants. Il alla aussitôt chercher une couverture qu’il lui posa sur les genoux avant de servir le thé, sans se soucier du regard froid que l’homme posait sur lui. Il prit ensuite place près de Candy qui se rapprocha de lui dans un geste tout naturel.

« Je viens juste de parler à Archibald, annonça Terry. D’après lui, tout le monde va bien à Chicago.

- Et Albert ?

- Il n’était pas là, mentit Terry. »

Il fixa Georges sans un mot, mais l’expression de celui-ci en disait long. Il avait parfaitement compris ce qui s’était réellement passé et le refus de son patron à parler au jeune acteur. Le bras droit de William André reporta son attention sur Candy qui semblait parfaitement heureuse.

« Georges vient de me dire la même chose, mais il est parti il y a deux jours ! »

L’acteur mourrait d’envie de prendre Candy par la taille et de la serrer contre lui, mais quelque chose dans le regard de leur visiteur le retenait. Celui-ci n’avait pas encore prononcé un mot.

« Je savais bien qu’Albert ne pouvait pas être fâché à ce point là, reprit la jeune femme. Il s’inquiète pour nous !

- Cesse de te faire des illusions ma chérie, précisa Terry. C’est uniquement de toi dont il est question. Ou je me trompe fort, ou ce monsieur avait l’ordre de te ramener manu militari à Chicago. »

Candy ouvrit de grands yeux tandis que Georges posait sa tasse sur la table sans quitter Terry des yeux.

« C’est exact, reconnut-il. »

C’était la première fois que Terry entendait sa voix. Elle était profonde et chaude et inspirait confiance.

« J’étais loin de me douter que vous aviez été malade, mademois... madame Candy. »

La jeune femme se redressa, une soudaine résolution sur son visage fatigué. Elle posa elle aussi son thé et se tint bien droite sur le bord du sofa. Sa voix ne trembla pas quand elle répondit :

« Je vais beaucoup mieux, grâce à Terry. Je serais très heureuse de revoir tout le monde à la maison. Nous irons dès que je serai en état de voyager... Tous les deux ! »

Épuisée par cette manifestation de volonté, elle vacilla et le bras de son mari vint se nouer autour de ses épaules pour la soutenir. Reconnaissante, elle leva vers lui un regard chargé d’amour qui fit tout oublier à Terry.

« Je comprends, dit Georges en se levant. Je ferai part de votre décision à M. William.

- Je voudrais savoir ce qui a motivé le brusque changement d’attitude d’Albert, demanda Terry qui n’était pas disposé à en rester là. »

Les yeux de l’homme de confiance étaient froids comme le marbre, mais le jeune acteur y vit briller un avertissement très net. Georges ne voulait pas parler en présence de Candy. Terry en était encore à chercher désespérément un moyen d’en apprendre plus, quand la jeune femme intervint à la surprise générale.

« Rasseyez-vous Georges. Nous nous connaissons depuis trop longtemps pour que vous continuiez à me faire des cachotteries. Je ne suis plus la petite fille que vous deviez protéger autrefois. C’est valable pour toi aussi, précisa-t-elle en frappant son mari sur le bras. Dis-moi ce qui c’est vraiment passé quand tu as téléphoné à Albert ! »

Terry sourit et avoua, l’air faussement contrit :

« Il était là, mais il a refusé de me parler. Selon Cornwell, il est encore plus en colère que quand nous nous sommes mariés. »

Candy se tourna vers leur invité, les sourcils froncés. Son expression évoquait une institutrice en train de gronder deux galopins, et Georges ne put résister. En retenant un sourire il expliqua :

« Monsieur William a reçu une lettre anonyme. Des nouvelles très désagréables.

- Désagréables pour qui ? Demanda Terry. »

Il ne quittait pas l’homme de confiance des yeux et vit très nettement la contrariété se peindre sur ses traits habituellement impassibles. Tout occupés à leur joute silencieuse, les deux hommes sursautèrent quand Candy reprit la parole. La maladie l’avait fatiguée, mais si son corps était encore faible, son esprit vif avait retrouvé toute sa lucidité.

« Mallone ! S’exclama-t-elle. C’est bien le nom que tu m’as dit, n’est-ce pas Terry ? Celui du maître chanteur... »

Les pièces du puzzle se mirent aussitôt en place dans l’esprit du jeune homme. Bien sûr ! Elle avait raison ! Il ne pouvait s’agir que de Mallone. Las d’attendre des nouvelles de Terry, le détective avait décidé de passer lui même à l’offensive.

« Qui est ce Mallone ? Demanda Georges la voix blanche. Nous étions persuadés que la lettre émanait de vous, M. Granchester.

- Pourquoi Terry enverrait-il des lettres anonymes ? S’emporta la jeune femme avec fougue. Je l’aime et j’ai confiance en lui ! Tant pis si Albert n’accepte pas cela. »

Ne pouvant résister plus longtemps, l’acteur serra sa femme contre lui et elle s’abandonna contre son épaule, visiblement éreintée. Une telle aura de bonheur semblait les entourer que malgré sa réticence, Georges lui-même sentit son coeur battre un peu plus vite.

« Tu avais promis de te reposer, ma chérie, reprocha Terry d’une voix douce. Je sais que tu es forte, mais pour le moment il vaut mieux que nous réglions cela entre hommes.

- Tu vas encore faire des bêtises, protesta-t-elle.

- Je te jure que non, répondit Terry en riant. Et puis ton ami Georges est là pour veiller à ce que je reste sage, n’est-ce pas Georges ? »

La jeune femme tourna vers son vieil ami un regard interrogateur. Celui-ci acquiesça en souriant.

« Si Georges veille sur toi, c’est d’accord. Et à condition que tu me racontes tout dès ton retour. »

Terry promit tout ce qu’elle voulut puis il la souleva dans ses bras pour la porter jusqu’à la chambre tandis que leur invité se détournait avec tact.

Dans l'arrière salle de « La sirène bleue » un groupe improbable discutait à voix basse. Une vedette de Broadway et un voyou en quête de respectabilité entouraient un homme plus âgé à l’allure inclassable, compassé comme un majordome, bâti comme un garde du corps, le regard plus froid que l’hiver le plus glacial.

D’un oeil exercé il parcourait les rapports que Terry lui avait confiés, ceux-là même que Mallone avaient établis pour lui.

« Pourquoi avez-vous fait cela, M; Granchester, remuer toute cette boue... »

Le jeune homme resta un moment sans répondre. Il cherchait les mots qui pourraient convaincre son interlocuteur.

« Imaginez-vous qu’un homme puisse devenir fou d’amour, Georges ? Être obsédé par une femme au point d’en perdre le sens commun ? Je voulais tout savoir d’elle. Je ne supportais pas de la voir heureuse parce que c’était sans moi. Mais j’étais persuadé qu’elle ne me laisserait pas faire partie de sa vie. J’avais besoin d’un moyen de pression pour qu’elle s’intéresse à moi et j’étais prêt à faire feu de tout bois.

- C’était mal la connaître.

- Mais elle m’a pardonné ! Dès l’instant où elle m’a souri, les ombres qui obscurcissaient mon jugement ont disparu. J’avais complètement oublié ce détective.

- Vous étiez au courant depuis des mois, et vous n’avez rien dit... »

L’acteur fixa son vis à vis dans les yeux en souriant.

« Vous réagissez comme elle ! Je ne peux que vous répéter ce que j’ai déjà dit à Candy. Tout ce que je veux, c’est elle. Je me fiche complètement de ses origines. »

L’homme de confiance fut le premier à baisser les yeux. Il rassembla les documents épars devant lui et les glissa dans leur pochette, un léger sourire au coin des lèvres.

« J’ai mis cartes sur table avec vous Georges, reprit Terry. A votre tour : Dites moi ce que contenait la lette reçue par Albert.

- Qu’est-ce qui vous fait penser que M. William m’en a parlé ?

- Parce que vous êtes le seul avec qui il aurait pu le faire. Je sais que vous le connaissez depuis son enfance. Vous étiez déjà au service de son père.

- C’est le père de M. William qui m’a formé. Il m’a tout appris. J’étais à peine plus âgé que sa fille quand je suis arrivé chez lui.

- Mais Albert n’était qu’un enfant ! Il ne peut se souvenir des événements de cette époque. Vous, oui.

- Entendu, admit Georges. La lettre disait en substance la même chose que les documents que vous venez de me monter, mais avec moins de détails. L’auteur insinuait qu’il détenait d’autres informations et qu’il était prêt à les monnayer. Ce sont ses allusions sur une possible révélation à la presse en cas de refus qui nous ont conduit à penser que vous en étiez l’auteur. »

Terry secoua la tête. Il commençait à prendre les journalistes en aversion et résolut de mettre un frein à leur curiosité dévorante. Il exerçait un métier public, mais allait tout faire pour protéger sa vie privée et celle des siens.

« Je vous accorde que ma réputation ne plaidait pas en ma faveur, reconnut-il. Mais si je n’en suis pas l’auteur, il ne peut s’agir que de Mallone. De plus, il m’a bien fait comprendre qu’il préférait rester dans l’ombre. Voilà pourquoi il souhaitait que je fasse son sale boulot à sa place ! »

Le jeune homme serrait les poings. Penser au détective suffisait à faire monter sa colère. Ce fut Charlie qui posa une main apaisante sur son bras.

« Tout est prêt, Terry. Nous n’attendons que ton signal pour couper le sifflet à cet oiseau de malheur. »

Georges se leva d’un bond. De quoi les deux hommes étaient-ils en train de parler ? Il convenait d’agir, mais de là à...

« Vous n’allez quand même pas... »

Les deux amis se regardèrent sans comprendre. Puis Terry eut un éclair de lucidité et il éclata de rire.

« Rassurez-vous, Georges. Nous n’envisageons pas le meurtre ! Cette ordure ne mérite pas que nous nous salissions les mains. Il y a une meilleure façon de faire taire un maître chanteur : Lui ôter son moyen de pression. »

Soulagé, le bras droit d’Albert se rassit. Un instant il avait cru... Connaissant le caractère emporté de l’acteur, il n’aurait pas été surpris de le voir recourir à des mesures extrêmes. Dieu merci, celui-ci était plus raisonnable qu’il n’y paraissait. Il ne s’était pas trompé quand il avait su déceler dans l’adolescent révolté un homme digne de confiance. Il saurait veiller sur Candy comme elle le méritait. L’esprit agité de sentiments contradictoires, il écouta le plan élaboré par les deux compères.

Il ne fallut que quelques heures pour réduire tous les plans de Mallone à zéro. Grâce aux espions de Charlie, tous ses faits et gestes étaient connus. En plein jour et sans souci des risques, son appartement et son bureau furent dévalisés. Même le domicile de sa maîtresse fut visité. A la tombée du jour, un amoncellement d’objets hétéroclites trônait dans l’arrière cour de « La sirène bleue ». Meubles, dossiers, vêtements, vaisselle et linge de maison, rien n’avait échappé aux hommes de main recrutés par Charlie. Le tout fut copieusement arrosé de pétrole et Terry souriant tendit à Georges un brandon enflammé.

« Cet honneur vous revient, dit-il. Vous pourrez rapporter à Albert que la menace est écartée. Plus de preuves, plus de chantage ! »

Plus ému qu’il ne voulait le laisser paraître, Georges fixait la petite flamme qui dansait au bout de son bâton.

« Il peut toujours parler, remarqua-t-il d’un ton dur.

- C’est pourquoi nous allons lui rendre encore une petite visite, conclut Terry. Ensuite tout sera terminé. »

Charlie resta un long moment à contempler l’immense feu de joie qui illuminait sa cour tandis que ses compagnons s’éloignaient.

Quand Mallone regagna son bureau ce soir-là, il ne songeait qu’à retrouver son bon vieux fauteuil et à boire un verre. La surprise le cloua sur place quand il poussa la porte. Les locaux étaient aussi nus que le dos de sa main. Tout avait disparu ! La seule chose qui rappelait que ces lieux avaient été les bureaux de son agence était l’habituelle odeur de tabac et de renfermé qui y flottait. Deux hommes assis sur des caisses se levèrent à son entrée et le détective fut aussitôt sur ses gardes. Il songea à l’arme qu’il portait sous l’aisselle et se rasséréna un peu.

Il n’eut aucun mal à reconnaître Granchester. Cet acteur était décidément plus coriace qu’il n’y paraissait. L’autre homme ne lui était pas inconnu non plus, mais les voir ensemble était surprenant. Le plus âgé repoussa négligemment du pied la caisse sur laquelle il était installé quelques instants plus tôt. Le trou béant dans le plancher fit comprendre à Mallone que sa cachette secrète avait été découverte.

« Notre famille n’aime pas beaucoup qu’on essaie de la faire chanter, Monsieur Mallone, dit le plus âgé.

- C’est vous qui avez saccagé mon bureau ! »

Les deux visiteurs regardèrent autour d’eux d’un air innocent.

« Je ne vois aucun dégât, remarqua Georges. Votre agence a simplement déménagé.

- Il vous faudra prendre une chambre à l’hôtel ce soir, précisa Terry. Votre propriétaire a été surprise que vous libériez votre appartement aussi précipitamment, mais comme elle a été dédommagée... Ah ! Vous devrez sans doute aussi vous trouver une autre bonne amie. La jeune personne a été très claire à ce sujet après la visite qu’elle a reçue. »

S’il l’avait pu, Mallone se serait laissé tomber sur un siège, mais ce n’était plus possible. Fou de rage, il voulut s’emparer de son arme. Plus rapide, Georges l’immobilisa d’une clef au bras et le désarma avec une facilité déconcertante. Il donna un coup de pied dans le revolver qui glissa aux pieds de Terry. Celui-ci le ramassa avec dégoût et le glissa dans sa poche. Georges accentua sa prise et l’épaule de l’homme produisit un désagréable craquement qui indiqua qu’elle s’était démise. Le bras ballant et souffrant le martyre, il vit Granchester s’approcher de lui.

« Ne tentez plus jamais rien contre ma femme ou sa famille, Mallone. C’est un conseil. Je ne serai peut-être pas toujours aussi conciliant. »

Il fixait attentivement le visage rouge et les yeux injectés de sang qui lui faisaient face. Vaincu, le maître chanteur baissa la tête et grommela quelques mots indistincts. Peu satisfait de cette réaction, l’homme de confiance s’empara de son bras valide, lui arrachant un cri de protestation. Un signe de tête de Terry le convainquit de ne pas insister et ils abandonnèrent le blessé à son sort.

Terry arrêta sa voiture devant chez lui. Son passager n’avait pas desserré les dents pendant tout le trajet, mais pour une fois la conduite sportive du jeune homme n’était pas en cause.

« Nous voici arrivés, Georges. Cette affaire est terminée.

- J’aimerais en être certain. Etes-vous sûr que cet homme se tiendra tranquille ?

- Je l’ai observé. J’ai vu certains signes sur son visage. J’ai déjà vu les même chez ma mère et chez Candy : Il a attrapé le virus de la grippe.

- Croyez-vous qu’il...

- Seul l’avenir nous le dira. »

Le silence retomba. Georges ne bougeait toujours pas. Il leva les yeux vers les fenêtres obscures du domicile où vivait le couple. Candy devait dormir à cette heure tardive. La petite fille volait de ses propres ailes à présent. Elle n’avait plus besoin de sa protection. Même en cas de difficultés, ce ne serait plus vers lui qu’elle se tournerait, mais vers l’homme assis à ses côtés. Terrence Granchester était impulsif, coléreux et d’une intelligence redoutable, mais il était sûr de l’amour qu’il portait à Candy. Il pouvait repartir l’esprit tranquille.

« Comment Albert va-t-il réagir, demanda l’acteur.

- Il lui faudra un peu de temps, je pense, mais il finira par revenir à des sentiments plus paternels. Il adorait sa soeur Rosemary.

- Je pensais à la Grand-tante Elroy.

- Le lettre que M. William a reçue ne mentionnait pas son rôle dans cette histoire. Cela faisait sans doute partie des informations que Mallone voulait vendre.

- Mais vous le saviez, n’est-ce pas Georges ? Vous n’avez pas eu l’air surpris quand vous avez lui le rapport que je vous ai montré tout à l’heure. La pauvre Rosemary avait dû vous en parler. Vous avez vécu tant d’années avec ce secret ! »

Le regard pénétrant de Terry se posa sur son voisin qui ne cilla pas.

« Comment avez-vous deviné ? Demanda-t-il. »

Le jeune homme sortit de sa poche une grosse enveloppe.

« Ce n’est pas moi, mais Mallone. Vous aviez presque le même âge que Rosemary. Vous l’avez vue devenir une femme. Même après son mariage, vous étiez le seul homme à pouvoir l’approcher sans éveiller les soupçons, le seul en qui elle avait confiance. Elle était belle, elle était malheureuse et vous deviez l’aimer profondément.

- A la folie, reconnut Georges dont la voix se brisa.

- Alors vous me comprendrez quand je vous dis que j’éprouve pour Candy un amour au-delà de toute raison !

- Vous n’avez pas besoin de me le dire, répondit l’autre en souriant. J’ai vu comment vous vous occupiez d’elle, tout à l’heure. C’est tout ce dont elle a besoin : votre amour. En cela elle est différente de sa mère. Rosemary n’aurait jamais accepté de quitter la sécurité de la maison André. »

Sans hésiter, Terry lui tendit l’enveloppe.

« Ce sont les dernières conclusions de cette ordure de Mallone. Elles vous reviennent de droit. Faites-en ce que vous voulez. De toute façon vous savez que c’est vers vous qu’Albert et Candy se tourneront quand ils voudront en savoir plus sur l’homme qu’aimait Rosemary. A vous de choisir ce que vous leur direz. Je ne vous trahirais pas.

- J’ai fait mon choix il y a de nombreuses années. Il vaut mieux que les choses restent comme elles sont.

- Je prendrai soin d’elle, vous pourrez le dire à Albert. Le père de Candy pourra être fier de moi.

- Il l’est déjà, Monsieur. »

Georges serra sans hésiter la main que Terry lui tendait et regagna sa voiture. Il disparut dans la nuit après un dernier signe de la main.

Quand Terry pénétra dans l’appartement, les braises rougeoyantes du poêle lui permirent de distinguer la silhouette endormie sur le sofa. Elle souriait dans son sommeil et il resta un moment à la contempler, puis n’y tenant plus, il déposa sur ses lèvres un baiser aussi léger qu’une brise d’été. Candy ouvrit les yeux et lui dédia ce sourire qui n’appartenait qu’à elle.

« Pourquoi n’es-tu pas couchée ? Reprocha-t-il tendrement en la soulevant dans ses bras. Tu aurais plus chaud.

- C’est maintenant que je suis au chaud, répondit-elle en s’accrochant à ses épaules. »

Le jeune homme resserra sa prise et s’empara des lèvres tendres qui s’offraient à lui. Puis il la déposa près du lit et la débarrassa de sa robe de chambre avant de la border comme une petite fille. Elle le retint par le bras comme il se redressait.

« Tu n’as pas encore l’intention de t’en aller !

- Bien sûr que non, répondit-il en enlevant ses chaussures et s’allongeant près d’elle. Je suis tout à toi, ma douce. Tu ne dois pas t’inquiéter. Rien ni personne ne se mettra plus jamais entre nous.

- Et cet homme, le maître chanteur ?

- Il ne peut plus rien nous faire. Nous l’avons convaincu de quitter la ville et toutes ses preuves ont été détruites. »

Songeuse, Candy posa la tête sur la poitrine de son mari. Il savait qu’elle était encore sous le choc de la révélation sur sa naissance. Dès qu’elle se serait reprise, viendraient les questions et les doutes. Mais pour l’instant seuls comptaient le parfum de ses cheveux et la main posée sur son ventre dont la chaleur se répandait à travers tout son corps. Son souffle s’accéléra malgré lui. Attentive, la jeune femme savoura la brusque accélération du coeur qui battait sous sa joue. Sa main glissa jusqu’aux premiers boutons de la chemise de Terry et entreprit de les défaire un à un jusqu’à ce qu’il s’empare de ses doigts pour les porter à ses lèvres.

« Tu es sensée te reposer, chuchota-t-il sans conviction.

- Mais je suis en vie, grâce à toi. Aide-moi à me sentir vivante, insista-t-elle en se serrant contre lui. »

Terry qui avait bien du mal à contenir son désir ne put résister à la douce prière de la sirène qui se trouvait à ses côtés et qui le caressait avec insistance pour faire tomber ses dernières défenses. Abandonnant toute résistance, il se débarrassa de ses vêtements et la fine chemise de nuit de sa femme ne tarda pas à rendre les armes sous ses doigts experts.

Transportés dans un monde qui n’appartenait qu’à eux, ils se redécouvrirent longuement. Chaque caresse, chaque mot d’amour transportait le jeune homme vers un univers de félicité qu’il n’avait jamais exploré. Il découvrait en lui des trésors de patiente insoupçonnés pour la déesse qui gémissait entre ses bras. Il lui fit l’amour avec tendresse, aussi simplement que peuvent le faire deux êtres sincèrement épris. Attentif à la moindre de ses réactions, il cueillit sur ses lèvres son dernier cri de plaisir avant de s’abandonner lui aussi à la jouissance suprême.

Il laissa lentement refluer les vagues du plaisir avant de se retirer d’elle. Vaincue par la fatigue, elle poussa un soupir tandis qu’il ramenait le drap sur son corps rompu. Elle ouvrit les yeux et lui sourit tandis qu’il s’allongeait contre elle. En le voyant lui ouvrir enfin les bras, elle se blottit contre lui sans pouvoir retenir ses larmes.

« Ne pleure pas, je t’en supplie, murmura-t-il en essuyant doucement de ses doigts les joues humides. Je ne veux plus jamais que tu sois malheureuse à cause de moi.

- Je suis si bien dans tes bras, avoua Candy dans un souffle. Laisse-moi juste savourer ce moment. J'en avait tellement envie, mais tu semblais si loin de partager mes sentiments ! Pourtant, la nuit, je rêvais que je m'endormais comme cela.

- Ce n'était pas un rêve, répondit-il en resserrant son étreinte. J'avais si peur que tu me repousses, que j'attendais que tu sois endormie pour te prendre dans mes bras. Je ne veux plus jamais vivre de tels tourments, ma chérie.

- Oh Terry, que se serait-il passé si j'avais osé te dire avant...

- Cesse de te lamenter sur le passé. Nous aurons tout le temps de remédier à nos erreurs. La seule chose qui importe est que nous sommes ensemble et que je t'aime plus que tout, même si je ne sais pas toujours comment le monter, mais j'apprendrai, je te le promets. »

La jeune femme soupira de bonheur et son souffle caressa la peau de son mari comme une brise légère. Enveloppé dans la chaleur de leur amour, elle sombra rapidement dans un sommeil réparateur tandis que Terry s'émerveillait du simple bonheur de tenir contre lui son trésor endormi.

FIN

© Dinosaura 20 août 2008