LE DUC ET LE PROJECTEUR
Par
Dinosaura

 

CHAPITRE 7

 

Terry n'avait pas desserré les dents pendant le retour, et Candy qui s'apprêtait à lui dire ce qu'elle pensait de son attitude ravala ses reproches devant sa mine renfrognée. Mais à peine furent-ils à la résidence qu'elle laissa éclater sa rancoeur.

« Je peux savoir ce qui t’a pris ? S’exclama-t-elle. Quelle bonne soirée, merci ! Tu m’as promenée comme un petit chien devant tes collègues et ta nouvelle petite amie !

- Et quel besoin avais-tu de te présenter comme mon infirmière ! Répliqua-t-il.

- Oh, sans doute cela ne convient-il pas à Monsieur le futur Duc ! Sortir avec l’héritière des André de Chicago correspondait plus à ton nouveau statut ! Désolée, Terry, mais je n’ai aucune envie de changer pour satisfaire ton ego. J’ai choisi un métier que j’aime et j’en suis fière.

- Mais dans un certain milieu, une femme qui exerce ce genre de profession ne sera jamais considérée comme autre chose qu’une domestique.

- J’ai déjà été domestique, au cas où tu ne le saurais pas. Je peux te dire que beaucoup d’entre eux valent cent fois mieux que ta prétentieuse de Susanna !

- Ne l’appelle pas « ma » Susanna, soupira Terry, ni ma nouvelle petite amie. Ou alors... explique-moi aussi qui selon toi était mon ancienne petite amie... »

Il couvrit Candy d’un regard où brillait une étrange lueur et elle se sentit perdre pied. Comme autrefois quand il se moquait d’elle, elle était partagée entre la colère et le bonheur d’avoir son attention. Mais comme alors, elle refusa de s’attendrir et laissa son caractère emporté prendre le dessus.

« Ne détourne pas la conversation, dit-elle en reculant de quelques pas. Je ne sais pas à quoi tu joues, mais ne compte pas sur moi. Archie te traitait d’aristocrate arrogant, et c’est exactement ce à quoi tu ressembles. Pourquoi veux-tu nous mettre en compétition, elle et moi ? Si c’est toi le prix à remporter, dis-toi que je ne suis plus intéressée ! »

Le jeune homme la fixait, imperturbable. Rien de ce qu’il pensait ne transparaissait sur son visage. Au bout d’un moment de silence qui parut interminable, Candy se détourna pour regagner sa chambre.

Terry la rattrapa avant qu'elle n'atteigne les premières marches et lui prit le bras pour l’obliger à le regarder.

« Ainsi tu étais intéressée, jeune fille ? Je suis flatté ! »

Il était dangereusement proche d’elle et Candy sentit son coeur s’accélérer comme il s’inclinait vers elle avec un sourire en coin. Elle avait tant rêvé de le retrouver et de revivre avec lui les moments si forts qu’ils avaient connus en Écosse pendant leurs vacances d’été. Le baiser qu’il lui avait volé alors lui revint en mémoire et elle se demanda s’il allait l’embrasser encore. Quand elle croisa son regard de braise, elle comprit qu’elle ne s’était pas trompée.

Les lèvres de Terry se posèrent sur les siennes et les effleurèrent lentement, comme hésitantes. Se souvenait-il de la gifle qu’elle lui avait donnée la première fois ? Mais aujourd’hui elle aspirait de tout son être à retrouver cette intimité. Sa bouche répondit à la pression du jeune homme. Encouragé, il se fit plus hardi et explora de la langue les douceurs qu’elle lui offrait. Avec un soupir, Candy céda à ses avances et le laissa prendre pleinement possession de sa bouche. Une délicieuse sensation de bien-être se répandit en elle. Plus il gagnait en audace et plus elle se sentait fondre sous le baiser de plus en plus ardent. Elle glissa la main dans son cou pour le garder près d’elle, mais le sentit trembler sous la caresse. Il se détacha d’elle pour murmurer à son oreille :

« Tu n’imagines pas comme la décision que j’ai prise a été difficile, avoua-t-il. Avoir frôlé la mort d’aussi près m’a fait comprendre ce qui était réellement important pour moi. Je sais ce que je veux et je ferai tout pour l’obtenir, mais mon intention n’a jamais été de te blesser. Tu as mal interprété mes paroles : C’est Susanna qui voulait me mettre en compétition avec ses admirateurs.

- Alors tu as sorti la carte que tu avais dans ta manche : la petite Candy, juste histoire de lui rendre la pareille ! »

Elle le repoussa vivement et lui jeta un regard chargé de reproches. Quelle folle elle avait été de se laisser aller ainsi ! Elle avait oublié que le Terry qu’elle avait en face d’elle n’était plus celui dont elle était tombée amoureuse. Pourtant elle se sentait toujours autant attirée par lui. Rouge comme un coquelicot à l’idée de ce qu’elle aurait pu faire, elle s’enfuit vers sa chambre et ferma la porte à clef.

Bouleversée, elle n’entendit pas une porte s’ouvrir et la voix d’Eléonore qui interpellait son fils :

« Terry, que se passe-t-il ? Vous allez réveiller toute la maisonnée !

- C’est entre Candy et moi, mère. Ne vous en mêlez pas !

- Si tu veux faire de la peine à cette petite comme ton père m’en a fait, je m’y opposerais, tu peux compter sur moi ! Ne te rends-tu pas compte que tu es en train de la perdre ? »

Le jeune homme fixa sa mère sans répondre, les yeux brillants, comme s’il soupesait toutes les implications de ce qu’elle venait de dire. Finalement il sembla prendre une décision. D’un geste de la tête, il lui désigna la porte de la bibliothèque et chuchota d’une voix sourde :

« Je sais qu’il est tard, mais nous avons à parler. »

Le silence retomba sur la maison dès qu’ils eurent refermé la porte.

Candy eut du mal à trouver le sommeil cette nuit-là, et c’est les yeux cernés qu’elle descendit le lendemain pour le petit déjeuner.

La table était dressée et les plats préparés, mais la pièce était vide. Eléonore Baker était pourtant matinale et les deux femmes avaient pris l’habitude de se retrouver au petit déjeuner. Aujourd’hui tout particulièrement, Candy avait grand besoin de parler à l’actrice. Elle se servit une tasse de thé en attendant son arrivée, mais le temps passait et personne ne donnait signe de vie.

Enfin elle entendit des voix dans le vestibule et reconnut celle de Terry. Quelques secondes plus tard, le jeune homme faisait irruption dans la pièce, la mine soucieuse.

« Ah Candy tu es là ! S’exclama-t-il soulagé. »

La jeune femme fut aussitôt en alerte. Elle s’était armée pour résister à l’attirance qu’il exerçait sur elle, mais il semblait bien loin de l’homme qui l’avait embrassée la veille. Bien qu’il la couvrit d’un regard insistant, il semblait plus préoccupé que d’humeur au badinage.

« Que ce passe-t-il, demanda-t-elle ? Cela a un rapport avec l’homme qui vient de sortir ?

- C’était un médecin, expliqua Terry. Ma mère a eu un malaise. Pourrais-tu...

- J’y vais ! »

Avant qu’il puisse ajouter quoi que ce soir, Candy s’était précipitée vers l’escalier et courrait vers la chambre d’Eléonore. Elle le frôla en passant la porte et l’aurait renversé s’il ne s’était rapidement écarté.

« Elle est toujours aussi impulsive ! » Songea-t-il en soupirant.

Alors que la chambre de Candy était située juste à côté de celle de Terry, celle d’Eléonore se trouvait au bout du couloir. Allongée dans son lit et le teint plus pâle qu’à l’ordinaire, elle sourit en voyant entrer la jeune fille et lui tendit une main languide.

« Je suis désolée, Candy. Je ne sais pas ce qui m’est arrivé. Le docteur a parlé de surmenage.

- Dans ce cas vous devez l’écouter et vous reposer, conclut Candy. Je vais veiller sur vous. »

L’actrice fronça les sourcils comme son fils pénétrait dans la chambre. Elle lui jeta un regard chargé d’animosité avant de reporter son attention sur la jeune fille et de continuer :

« Je n’ai pas eu le temps de vous le dire, mais j’avais décidé de rentrer chez moi.

- Quoi que vous puissiez penser, mère, intervint Terry, il est hors de question de vous chasser de cette maison. Il serait préjudiciable pour votre santé de quitter la chambre. Vous resterez mon invitée aussi longtemps que nécessaire pour vous rétablir.

- A défaut des liens du sang, tu respectes au moins les lois de l’hospitalité, décréta Eléonore d’un ton acerbe.

- Il est inutile de revenir sur le sujet soupira Terry. Je ne suis pas responsable de l’état actuel de nos relations. Mon père et vous avez pris une décision dans laquelle je n’avais pas mon mot à dire. Il m’a fallu longtemps pour l’admettre, mais vous avez eu raison. Aujourd’hui il est important que l’on oublie le plus rapidement possible que la mère n’était pas l’épouse du duc de Granchester. Personne ne sait que vous vous trouvez ici. Vous ne serez pas importunée par les journalistes ou les admirateurs et pourrez vous remettre rapidement.

- Plus vite j’irai mieux, et plus vite je quitterai les lieux, c’est cela ?

- C’est vous qui l’avez dit, mère, pas moi. »

Candy observait le jeune homme, incrédule. Il était habillé pour sortir et enfilait méthodiquement ses gants sans même lever les yeux vers la femme adossée à ses oreillers. Elle se planta devant lui pour l’obliger à la regarder, folle de colère.

« Terry, cela suffit ! Tu es ici dans la chambre d’une malade. Je ne serais pas étonnée que ton attitude inqualifiable soit pour quelque chose dans son malaise. Ta grandeur va donc me fait le plaisir de sortir en vitesse avant que je ne décroche ce sourire narquois de tes lèvres avec une gifle bien sentie ! »

Offusqué et dubitatif, Terry resta stupéfait devant cette invective. Comment l’avait-elle appelé ? « Ta grandeur » ? Où était-elle allée chercher un surnom aussi ridicule ! Indigné, il répliqua :

«  Tu es en effet très forte pour les gifles. Dois-je te rappeler ce qui a suivi la dernière que tu m’as donnée ?

- Mais le gentleman que tu es devenu n’oserait pas lever la main sur une femme, non ? Voilà qui ferait tache sur le joli blason des Granchester que tu tiens tant à redorer ! Maintenant ouste ! Sors d’ici ! »

Les lèvres pincées, le bel aristocrate observa la jeune furie qui lui faisait face les yeux étincelants. Il retrouvait la fille pleine de vie qui l’avait séduit avec sa langue bien pendue et son caractère bien trempé. Elle avait raison : lui-même n’avait jamais compris comment il avait osé lui rendre sa gifle et il s’en voulait encore. Mais il connaissait bien d’autres façons plus agréables de lui faire payer son insolence. N’en avait-elle pas eu un avant-goût la nuit dernière ? Il tourna les talons sans répliquer pour dissimuler le sourire satisfait qui lui montait aux lèvres.

« Ma chérie, je vous adore ! S’exclama Eléonore dès qu’il fut sorti. Vous n’avez pas votre pareille pour rabattre le caquet de mon garnement de fils ! »

Le coeur battant, Candy sentait ses jours s’empourprer. Il y avait longtemps qu’elle ne s’était pas laissée ainsi aller à la colère. Pourquoi fallait-il toujours que Terry ait cet effet là sur elle ? Elle s’approcha du lit de la malade dont le visage avait repris des couleurs. Ses yeux pétillaient de malice.

« Et si vous me racontiez cette histoire de gifle ? Reprit l’actrice en tapotant le bord de son lit pour signifier à la jeune fille de s’y asseoir. »

 

Fin du chapitre 7

© Dinosaura noël 2008

CHAPITRE 8

Eléonore se révéla une malade très difficile. Femme active, elle ne supportait pas d'être obligée de garder la chambre. Candy avait beau l'exhorter au calme, rien n'y fit. Dès le lendemain matin, elle exigeait de descendre à la salle à manger pour le petit déjeuner. A bout d'arguments, son infirmière accepta à condition qu'elle promette de revenir s'allonger aussitôt après. L'actrice accepta avec un signe négligent de la main qui pouvait signifier tout et n'importe quoi.

Candy fut surprise de trouver Terry déjà attablé quand elles entrèrent. Se lever d'aussi bonne heure n'était pas dans ses habitudes ces derniers temps. Il se leva galamment à leur arrivée et posa le journal qu'il était en train de lire. Il avança une chaise à sa mère, puis à Candy qui se demandait ce que ces manières irréprochables pouvaient bien cacher.

Puis, comme si de rien n'était, il reprit sa place et commença à éplucher le courrier du jour posé sur un petit plateau d'argent à côté de son assiette. La jeune fille remarqua que chaque convive en avait un à côté de son couvert. Sur le sien ne se trouvait que le journal du jour, mais celui d'Eléonore débordait de lettres diverses.

Le regard inquisiteur de Terry se posa sur la masse de courrier. L'actrice s'en aperçut et expliqua :

« Ne crains rien, Terry. Je n’ai pas indiqué ton adresse comme mon nouveau domicile. J’ai simplement demandé à ma gouvernante de me transmettre mon courrier ici. Nellie est une personne de toute confiance.

- Je me souviens de Nellie, répondit Terry attendri. Ainsi elle est toujours à votre service...

- Elle n’est plus très jeune et souffre du coeur, mais oui. Je me demande ce que je ferais sans elle. »

Une lourde enveloppe d’un vélin de prix, agrémentée d’un liseré argenté attira son attention. Eléonore l’ouvrit d’un geste précis et en sortit ce que Candy devina être un carton d’invitation.

« Tiens, on dirait que Gilson remet çà cette année !

- On dirait bien, oui, renchérit Terry avec un sourire. Il a raison de ne pas se décourager, il finira bien par caser l’une ou l’autre ! »

La mère et le fils échangèrent un regard complice et éclatèrent de rire.

Candy les regardait sans comprendre. Toute animosité semblait avoir disparu entre eux. Elle ne pouvait que s’en réjouir. Peut-être Terry était-il en train de revenir à de meilleurs sentiments envers sa mère ?

Eléonore se méprit sur l'expression de Candy et s'excusa de l'avoir laissée en dehors de la conversation.

« Ne nous en veuillez pas chère enfant, mais le tout New York compte bon nombre de figures pittoresques, et Gilson en fait partie. Il est tellement imbu de lui-même, qu’il est impossible de ne pas en rire. »

La jeune femme savait depuis longtemps à quel point Terry aimait épingler les petits travers des personnes qu’il rencontrait. Au moins ce trait de caractère n’avait-il pas changé chez lui.

Encouragée par son sourire, Eléonore poursuivit :

« Gilson est riche à un point que cela en devient indécent ! Et il consacre l’essentiel de sa fortune à satisfaire ses deux passions : les chevaux et les femmes.

- Il a la main plus heureuse avec les premier qu’avec les secondes, intervint Terry, pince-sans-rire.

- Toujours est-il que Gilson organise chaque année une gigantesque réception où il convie le tout New York : Les plus riches représentants de la bonne société comme le monde du spectacle. Officiellement, c’est pour présenter les nouveaux chevaux qu’il a acquis durant l’année.

- Et officieusement pour se débarrasser de deux pouliches encombrantes ! Conclut Terry.

- Enfin, Terry ! En voilà une façon de parler des femmes ! Répondit l’actrice, faussement indignée. Le bonhomme a une fille qu’il aimerait bien marier à un riche parti. Mais depuis trois ans, et malgré ses millions, la pauvre n’a toujours pas trouvé chaussure à son pied. Il est vrai qu’on la dit particulièrement sotte. De l’autre côté, il a pour maîtresse une actrice de second ordre au talent très médiocre. Il est prêt à jouer les mécènes pour n’importe quelle production de Broadway, pourvu qu’on donne un rôle à sa protégée. Pour faire d’une pierre deux coups, il ratisse large en lançant ses invitations. On dit que la couleur de celles-ci varie selon l’invité et que le destinataire sait ainsi s’il a été invité pour son argent ou pour son art.

- C’est la vérité, confirma son fils en sortant un bristol de sa poche. La mienne était bordée d’or. »

Très content de son petit effet, le jeune homme faisait tourner le carton d’invitation entre ses doigts en souriant.

Eléonore le regarda avec de grands yeux. Terry avait réussi sa reconversion ! Sa nouvelle attitude et ses apparitions calculées dans certains cercles avaient porté leurs fruits. Ce bristol au liseré d’or prouvait sans conteste qu’il était désormais admis dans le cercle de la bonne société. C’était le fils du Duc de Granchester qu’on invitait désormais, et plus le jeune acteur au talent prometteur. Pour Eléonore, c’était comme si son fils avait définitivement coupé les ponts avec elle.

« Tu comptes y aller ? Demanda-t-elle.

- C’est la réception la plus importante de l’année, répondit Terry. Et j’ai moi aussi une passion pour les chevaux. Peut-être vais-je me trouver d’autres points communs avec ce M. Gilson ? »

Sur ces mots, il se leva et sortit en riant sous le regard éberlué de Candy. Elle se tourna vers l’actrice pour la découvrir le visage entre les mains et les épaules secouées de curieux tremblements comme si elle sanglotait. Ce n’est qu’en s’approchant qu’elle constata qu’Eléonore riait en murmurant d’une voix hachée :

« Mon Dieu ! On dirait tout à fait son père ! »

A quelques jours de Noël, l’agitation était à son comble dans la vieille demeure des Granchester qui n’avait pas connu autant d’animation depuis bien longtemps.

Terry était passé à l’hôpital où les médecins satisfaits de l’état de son bras lui avaient enlevé son plâtre. Il célébrait sa liberté de mouvement retrouvée ne passant toutes ses journées à l’extérieur et ne faisant que de rares apparitions chez lui.

Malgré les recommandations de Candy, Eléonore elle aussi était très occupée et passait de nombreux coups de téléphone. Elle profita même de l’absence de son fils pour recevoir plusieurs producteurs, ainsi que ce Newton qu’elles avaient rencontré au Country Club.

Dépassée par toute cette effervescence, la jeune fille s’ennuyait et regrettait de plus en plus d’avoir quitté Chicago. Elle se sentait inutile et songeait à rentrer chez elle pour passer les fêtes avec Albert. Celui-ci lui manquait et elle se faisait du souci à son sujet. Pourtant quelque chose la retenait encore. Au fond de son coeur, elle espérait toujours voir Terry lui accorder un peu d’attention. Mais pour l’instant ses espoirs étaient vains.

La soirée de Gilson était prévue pour le 22 décembre et Candy redoutait autant qu’elle espérait que le jeune homme lui propose de l’accompagner. Elle ne se souvenait que trop bien de ce qui s’était passé au théâtre et appréhendait de se trouver une nouvelle fois en présence de Susanna. Elle s’était longuement demandé ce qu’elle répondrait à Terry s’il l’invitait, mais n’avait pas eu à prendre de décision puisqu’il avait bien l’intention de se rendre seul à la réception.

Eléonore ayant poliment décliné l’invitation en invoquant des ennuis de santé, elles décidèrent de passer une soirée paisible toutes les deux. C’est du moins ce qu’elles prétendirent, car elles avaient dans l’idée de préparer une soirée de Noël spéciale pour Terry.

Ce fut pourtant avec un pincement au coeur que Candy regarda celui qu’elle aimait s’en aller. Le nouveau costume qu’il étrennait pour l’occasion le rendait encore plus séduisant et elle poussa un profond soupir en laissant retomber le rideau. Sa tristesse n’échappa pas à Eléonore qui se mordait les lèvres comme si elle voulait dire quelque chose, mais se retint au dernier moment.

Terry aussi serrait les lèvres, l’air résolu. Il avait entraperçu le visage de Candy à la fenêtre mais ne pouvait dévier de la voie qu’il s’était tracé. Il accrocha un sourire de commande sur son visage et déploya tout son talent pour séduire son hôte.

Il fut évident dès son arrivée que Gilson l’attendait avec impatience. Ravi d’accueillir un représentant de la prestigieuse noblesse anglaise, il l’entraîna partout avec lui, toujours flanqué de sa progéniture. Les flatteuses réflexions de Terry quand il lui présenta ses chevaux le comblèrent d’aise au point qu’il n’hésita pas à lui confier sa fille pendant qu’il s’occupait d’autres invités en compagnie de sa maîtresse.

En effet, tous les représentants du monde du spectacle avaient été conviés deux heures après les autres invités et les deux mondes maintenant rassemblés évitaient de se mélanger plus que nécessaire.

Libérée de la présence paternelle, la jeune fille se révéla plus timide que sotte, bien qu’elle ne répondît que par monosyllabes aux efforts de Terry pour entretenir une conversation inexistante.

Il reconnut Robert Hattaway et quelques uns de ses comédiens vedettes parmi les invités.

Étincelante dans une robe à la dernière mode, Susanna brillait parmi eux comme un diamant et jetait de fréquents regards dans sa direction. La malheureuse demoiselle Gilson ne tarda pas à être mal à l’aise devant l’insistance de cette actrice à la dévisager et elle s’éclipsa pour rejoindre son père.

Enfin seul, Terry se dirigea vers le buffet. Ainsi qu'il s’y attendait, la comédienne l’y rejoignit comme par hasard.

« Terrence ! S’exclama-t-elle l’air faussement étonné. Je suis tellement heureuse de te trouver ici ! Tu me manques terriblement, tu sais ? M’inviteras-tu à danser ? »

Le jeune homme lui désigna l’élégante canne dont il se séparait plus.

« Ce genre d’exercice m’est encore interdit pour l’instant. Il faudra te contenter de ma conversation.

- Comme la fille Gilson ? Que faisais-tu avec elle ?

- Son père a tenu à m’accueillir dans les règles. Sans doute a-t-il été impressionné par le sang bleu qui coule dans mes veines.

- Ainsi tu fais vraiment partie de la noblesse ! Pourquoi ne me l’as-tu jamais dit ?

- Peut-être pour éviter les réactions du genre de celle de Gilson.

- Le vieux cherche à caser sa fille, oui ! Dis-lui que tu n’es pas intéressé.

- Pourquoi ? Gilson est riche à millions et elle est son unique héritière. »

L’air parfaitement dégagé, Terry fit signe à un serveur qui passait à proximité avec un plateau chargé de coupes de champagne. Il en offrit une à son interlocutrice, éberluée par ce qu’elle venait d’entendre. Les mains tremblantes, Susanna avait l’impression de vivre un cauchemar.

« Mais enfin, Terry... Toi et moi... Tu sais que je t’aime et je suis certaine que tu éprouves quelque chose pour moi ! Nous formons un si beau couple !

- N’importe quel homme serait heureux de s’afficher à ton bras, Susanna. Tu es très belle, et tu le sais. Mais le mariage dans mon milieu, doit être considéré comme une alliance profitable aux deux parties. Dans cette optique, les affaires de Gilson représenteraient un apport intéressant à la fortune de ma famille, et lui serait trop heureux de voir ses petits-enfants porter un titre... »

Comment pouvait-il parler avec autant de désinvolture de faire des enfants à une autre femme ? La jeune actrice n’imaginait même pas que Terry puisse ainsi se désintéresser d’elle pour une question d’argent.

« Et ton amie de Chicago ? J’ai entendu dire que son père aussi était très riche. C’est pour cela que tu t’intéresses à elle ?

- Tu peux l’appeler par son nom, cela ne t’écorchera pas la bouche. La famille de Candy est fortunée, c’est vrai, mais elle a été adoptée. Jamais mon père n’accepterait de voir entrer dans la maison Granchester une femme dont les origines sont inconnues, aussi riche soit-elle. »

Le regard dur de Terry se posa sur son ancienne partenaire et elle comprit qu’une actrice de Broadway ne trouverait pas plus grâce aux yeux du Duc qu’une orpheline, lui qui avait renoncé à la grande Eléonore Baker pour ne pas déshonorer son illustre nom. Malgré la réalité qui s’imposait peu à peu à elle, Susanna voulait encore s’accrocher à son rêve. Dans une dernière tentative, elle joua sa dernière carte.

«  Mais, et le théâtre ? Tu es un merveilleux comédien et tu adores ce métier. Tu ne peux pas tout laisser tomber ainsi !

- C’était une fantaisie de jeunesse, Susanna. Il est temps pour moi de me tourner vers les véritables priorités de la vie. Jouer la comédie n’est pas une activité très sérieuse pour un Granchester ! »

Susanna n’arrivait pas à croire ce qu’elle entendait. Dire qu’elle avait détesté Candy pendant des mois parce qu’elle la prenait pour sa rivale dans le coeur de Terry, et voilà qu’elle se trouvait mise dans le même sac que cette fille ! Toutes les deux écartées de la vie de Terry comme on chasse un insecte gênant.

« Tu es odieux ! S’exclama-t-elle. Comment peux-tu être aussi méprisant ! Tu oublies un peu vite que ta mère est actrice, elle aussi.

- Et la meilleure qui soit. De plus, Eléonore est une femme qui possède beaucoup de classe. Elle savait à quoi s’en tenir dès le début de sa relation avec mon père, et n’a pas tenté de s’accrocher quand il a décidé de mettre fin à leur liaison. »

Les yeux brillants, Terry s’inclina vers la jeune femme pour murmurer à son oreille sans être entendu des autres invités.

« Et toi, Susanna ? Si j’étais sûr que tu es capable d’autant de retenue, je serais heureux de quitter cette réception avec toi tout de suite. Nous pourrions aller dans un endroit plus tranquille... »

Ce fut le coup de grâce pour Susanna. Le jeune acteur talentueux dont elle était tombée amoureuse avait disparu. A un moment donné, quelque part, il lui avait échappé, sans qu’elle sache comment. L’homme prétentieux qui se tenait devant elle et la regardait de haut ne se contentait pas de heurter sa fierté d’américaine. Voilà qu’en plus il lui proposait de devenir sa maîtresse, comme une fille de rien. La jeune femme rassembla toute la dignité dont elle était capable. Sans réfléchir, elle carra les épaules et envoya au visage de Terry le contenu de sa coupe.

Sans se soucier des murmures qui naissaient sur son passage, elle le laissa en train de s’essuyer le visage et rejoignit le groupe de comédien qu’elle venait de quitter. Un homme lui tendit la main et elle remercia le ciel de ce soutient inattendu tant elle se sentait sur le point de s’effondrer. Elle le remercia d’un pauvre sourire et la poigne de l’homme se raffermit. Il l’entraîna vers l’autre côté de la salle sans qu’elle résiste.

Derrière eux, Terry très digne était déjà sorti du grand salon sous les chuchotements et les rires étouffés.

 

Fin du chapitre 8

© Dinosaura noël 2008

CHAPITRE 9

Candy s’était réveillée plus tard que d’habitude ce matin là, après une nuit agitée peuplée de rêves étranges où Terry tenait le premier rôle. Elle se hâtait vers la salle à manger pour rejoindre Eléonore. Terry serait-il présent ce matin ? Après l’avoir attendu jusque très tard dans la nuit, elle avait fini par s’endormir sans l’entendre rentrer.

En passant devant son bureau, elle remarqua que la porte était entrouverte. Des bruits de voix attirèrent son attention : il semblait bien que la mère et le fils aient une nouvelle explication orageuse. Tout en se maudissant pour son indiscrétion, Candy s’approcha pour écouter.

« Comment as-tu pu faire une chose pareille ? Disait Mme Baker. Susanna Marlow ! Ta maîtresse !

- J’ai pensé à vous et à mon père, répondait Terry. Qu'y a-t-il de plus valorisant pour un homme dans ma position que d’afficher sa liaison avec une actrice en vue, belle et talentueuse ?

- Je suis confondue par un tel cynisme !... »

Effarée, Candy s’éloigna rapidement pour ne plus entendre ce qui se disait. Un poids énorme lui oppressait la poitrine et le sang battait à ses tempes. Comment avait-elle pu être aussi stupide ! Ainsi c’était vrai, il y avait quelque chose entre Terry et sa partenaire !

Quand Elisa lui en avait parlé la première fois, elle avait refusé d’y prêter attention, justement parce qu’il s’agissait d’Elisa. Persuadée que sa vieille ennemie ne voulait que lui faire du mal, elle avait négligé ses propos.

Et puis il y avait eu cette représentation du « Roi Lear » à Chicago. Elle les avait vu ensemble et n’avait pas compris ! Pourtant elle avait appelé Terry de toutes ses forces ce soir-là, et il n’avait même pas réagi au son de sa voix, trop occupé à prendre soin de Susanna !

Elle n’était qu’une idiote ! Naïvement elle avait cru tout ce qu’il lui avait écrit. Les mots tendres, les douces promesses, tout n’était que du vent. Pendant qu’elle se berçait d’illusions à Chicago, Terry se payait du bon temps à New York.

Dire qu’elle avait accepté de rester ici, de s’occuper de lui, persuadée qu’il avait besoin d’elle et de ses soins, alors que pendant tout ce temps, il n’avait fait que se servir d’elle pour attiser la jalousie de sa partenaire et obtenir ce qu’il voulait ! L’animosité de Susanna à son égard se comprenait maintenant. Mais tout cela était terminé. La leçon avait été dure, mais Candy ne se laisserait plus manipuler.

Elle remonta dans sa chambre pour prendre son manteau et sortit en courant sans même avaler une tasse de café. Elle devait voir Susanna immédiatement.

Candy ne connaissait pas l’adresse de la jeune actrice aussi décida-t-elle de se rendre au théâtre malgré l’heure matinale. On l’informa que Robert Hattaway était déjà dans son bureau mais elle répugnait à mêler le célèbre metteur en scène à ses problèmes de coeur. Elle était encore dans le couloir, hésitant à frapper à la porte quand celle-ci s’ouvrit brusquement.

La femme qui sortit était si élégante que Candy se sentit ridicule dans son manteau rouge avec ses moufles et son bonnet assortis.

« Tient, dit l’autre méchamment, vous êtes déguisée en lutin du Père Noël ?

- Mademoiselle Marlow... Susanna... Je voulais vous parler.

- Nous n’avons rien à nous dire, mademoiselle André. »

La belle actrice se dirigea vers l’escalier d’un pas décidé sans accorder un regard à Candy qui dût courir derrière elle pour la rattraper.

« Je sais que vous ne m’aimez pas, insista Candy, mais je voulais vous dire que Terry et vous...

- Je ne veux plus jamais entendre parler de ce goujat ! S’emporta Susanna en se retournant. J’ai fait la plus grande erreur de ma vie et je n’ai qu’à m’en mordre les doigts ! Je l’ai bien cherché après tout. Il m’a traitée comme une moins de rien ! »

Abasourdie, Candy fixait la jeune femme en colère sans comprendre. Elle s’attendait à trouver Susanna heureuse, mais elle la découvrait aigrie et vindicative. N’avait-elle pas obtenu ce qu’elle voulait en séduisant Terry ?

La comédienne se calma soudain et observa Candy avec une mine compatissante.

« Terrence est une ordure, Candy. Croyez-moi, il ne faut pas lui faire confiance. Savez-vous ce qu’il m’a dit hier soir ? Que vous n’étiez pas digne de sa famille parce que vous aviez été adoptée et qu’on ne connaissait pas vos origines ! Voilà ce que nous sommes pour lui : des traînées juste bonnes à culbuter pour son amusement. Qu’il épouse donc les millions de la fille Gilson comme il en a l’intention. J’espère qu’elle lui donnera de nombreux enfants aussi débiles qu’elle !

- Terry va se marier ? Demanda Candy d’une voix tremblante.

- C’est dans ses projets immédiats, oui. Les miens sont beaucoup plus réjouissants : on m’a proposé un excellent contrat pour faire du cinéma. J’ai décidé de tourner la page, et vous devriez en faire autant. Cet imbécile présomptueux d’est pas digne de notre affection. Rentrez chez vous et oubliez-le, c’est tout ce qu’il mérite. »

Sur ses mots, Susanna tourna les talons et rejoignit la voiture qui l’attendait dans la rue. Un homme dans lequel Candy reconnut Steve Newton, descendit et lui tint la portière, mais elle était trop bouleversée pour s’y intéresser maintenant.

Les paroles de Susanna résonnaient encore dans sa tête. Terry allait se marier avec une fille stupide simplement parce qu’elle était riche ! Avait-il déjà semblable projet en tête quand il était si tendre avec elle ? La famille André était une des plus riches d’Amérique. Mais voilà, Candy était orpheline. Elle avait certes été adoptée, mais personne ne connaissait ses vrais parents. Cela expliquait pourquoi Terry était si distant avec elle. Il voulait l’écarter de sa vie sans pour autant lui en avouer les véritables raisons.

C’est à lui qu’elle en voulait. Lui qui avait séduit Susanna pour la laisser tomber ensuite. Sans doute l’avait-il embrassée elle aussi, comme il avait embrassé Candy. Embrassée, caressée et bien plus encore... La jeune actrice l’avait reconnu implicitement : n’avait-elle pas avoué avoir commis une terrible erreur ? Elle avait succombé au charme ravageur de Terry et Candy avait été bien près de faire de même.

Le rouge au front elle s’engouffra dans son taxi en n’ayant plus qu’une hâte : rentrer chez elle et retrouver la protection et la gentillesse d’Albert.

A peine avait-elle disparu au coin de la rue, que la puissante voiture de sport de Terry s’arrêtait devant le théâtre. La disparition de la jeune fille avait été découverte et il cherchait à la retrouver avant que les choses ne s’enveniment encore plus. Il avait toujours su que le jeu qu’il jouait était risqué et craignait maintenant d’avoir à en payer le prix.

Robert Hattaway ne put rien lui apprendre au sujet de Candy mais il lui annonça la démission de Susanna et son intention de quitter la ville au plus tôt, ce qui mit du baume au coeur de Terry. Mais quand le concierge lui expliqua avoir vu la jeune actrice discuter avec une femme blonde en manteau rouge avant de s’en aller, son humeur s’assombrit à nouveau. Les choses ne se passaient pas tout à fait comme il l’avait imaginé.

De retour à la maison Granchester, Candy traversa le vestibule en courant. Elle eut un pincement de coeur en voyant le gigantesque sapin qui avait été dressé dans le hall et attendait que des mains joyeuses le garnissent de boules et de guirlandes. Elle était loin d’avoir l’esprit à cela pour le moment. Noël dans cette maison devait être aussi sinistre que l’atmosphère qui y régnait.

C’était Eléonore qui avait eu l’idée de commander ce sapin et les décorations traditionnelles à y accrocher afin de faire une surprise à son fils. Elles avaient eu l’intention de le décorer dans l’après-midi mais ces projets semblaient bien loin à Candy.

Elle se souvenait avec émotion des noëls à la maison de Pony. Entourés de l’amour prodigué par Melle Pony et Soeur Maria, les petits orphelins chantaient et décoraient le sapin en se chamaillant. Les yeux brillants, ils mettaient leurs petits souliers devant la cheminée pour y découvrir au matin les modestes cadeaux que les deux femmes avaient réussi à réunir. Malgré la pénurie chronique d’argent, tout le monde était heureux.

Mais ici l’esprit de Noël était absent. On ne trouvait dans cette maison qu’un jeune noble arrogant et cynique, une mère délaissée qui cherchait à reconquérir l’amour de son fils et une jeune fille au coeur brisé par un amour déçu. Mieux valait qu’elle rentre chez elle.

Arrivée dans sa chambre, elle commença à entasser en toute hâte ses affaires dans sa valise, pressée de quitter New York le plus rapidement possible.

C’est là que Terry la trouva à son retour soulagé d’être arrivé à temps.

« Que fais-tu ? Demanda-t-il bien inutilement.

- Cela ne se voit pas ? Répondit-elle, agacée par la valise qu’elle n’arrivait pas à fermer. Je rentre chez moi par le premier train.

- Tu ne peux pas faire çà.

- Détrompe-toi ! Un taxi vient me chercher et je ne veux pas le faire attendre, alors laisse-moi terminer mes bagages.

- Je viens de le renvoyer, dit simplement Terry en s’adossant à la porte. »

Avec toutes les emplettes que Candy avait faites en compagnie d’Eléonore, la valise avec laquelle elle était arrivée était devenue trop petite pour tout contenir, et le jeune homme s’amusait à la regarder se battre avec le couvercle qui refusait de fermer. Elle cessa son combat inutile pour se tourner vers lui, le visage fermé.

« Pourquoi as-tu fait cela ?

- Parce que je voudrais que tu restes.

- Je n’ai plus rien à faire ici Terry, répondit la jeune fille désabusée. Tu n’as plus besoin de mes soins et ta mère et parfaitement remise de son malaise.

- Ce n’est pas à l’infirmière que je parle mais à toi, Candy. J’ai toujours besoin de toi. »

Gênée par le ton vibrant qu’il avait employé, elle préféra ne plus le regarder et recommença à s’escrimer sur sa valise, sans plus de succès.

«  Tu n’y arriveras pas comme çà, murmura une voix à son oreille. »

Candy se retourna avec un sursaut. Aussitôt deux grandes mains se posèrent sur sa taille et la soulevèrent sans effort pour l’asseoir sur le couvercle récalcitrant. Sourire aux lèvres, Terry enclencha les fermetures de la valise.

Il était trop près d’elle pour que Candy puisse esquisser le moindre mouvement. Si elle essayait de quitter son siège improvisé, elle se retrouverait dans ses bras. Il était dangereusement proche et elle sentait ses pensées s’embrouiller dans sa tête. Elle leva les mains pour le repousser comme il s’inclinait vers elle.

« Ne te moque pas de moi, Terry, balbutia-t-elle. Je n’en ai vraiment plus envie. Il vaut mieux que je parte. Trop de choses ont changé entre nous.

- Et si tout redevenait comme avant, Taches-de-son ? »

Surprise par l’utilisation de ce surnom qu’il n’avait plus employé depuis longtemps, Candy leva les yeux et son coeur bondit dans sa poitrine. Le regard posé sur elle était si tendre qu’elle s’y noya sans pouvoir résister tandis que Terry jouait avec une des boucles blondes qui s’enroulait autour de son doigt.

« Je suis désolé d’avoir été obligé de jouer cette comédie, Candy. Laisse-moi t’expliquer et je ferai tout pour que tu me pardonnes. »

Il souleva son menton du bout des doigts et se pencha vers elle. Son pouce effleura le contour de sa bouche tremblante et le coeur de la jeune femme s’affola dans sa poitrine.

Elle savait qu’elle ne pourrait pas résister longtemps à son charme, aussi serra-t-elle les lèvres pour échapper à la caresse avant de détourner la tête.

« Tu appelles cela une comédie ? S’exclama-t-elle. C’est une farce grotesque, oui ! Tu t’es moqué de moi dans tes lettres pendant des mois en me laissant croire que... Alors que tu avais une aventure avec Susanna Marlow ! Maintenant tu l’as laissée tomber et tu envisages de te marier avec une fille que tu ne connaissais pas il y a deux jours ! Que veux-tu te faire pardonner dans tout cela, à part le fait de m’avoir prise pour une idiote ? Et encore, je ne peux pas t’en vouloir pour çà parce que c’est bien ce que je suis pour n’avoir pas vu qui tu étais vraiment ! »

Sur le point d’éclater en sanglots, Candy tenta de se lever pour échapper à la proximité envoûtante de Terry mais il la prit par les épaules pour l’obliger à rester assise. La déception qu’elle éprouvait se transforma peu à peu en colère quand elle vit qu’il souriait toujours.

« Il semblerait que tu ais rencontré Susanna ce matin, dit-il. Ce sont ses mots que j’entends dans ta bouche. Ce que je voudrais savoir, c’est ce que tu penses au fond de toi. Que te disait ton coeur quand tu lisais mes lettres, Candy ? »

Soudain beaucoup moins sûr de lui, le jeune homme la fixait, une prière au fond des yeux. Et s’il s’était trompé ? Son souffle s’accéléra tandis qu’il attendait une réponse qui tardait à venir. Inconsciemment ses mains se crispèrent sur les épaules de Candy qui sortit enfin de sa torpeur.

« Je croyais que tu m’aimais, Terry. Tu avais dit... »

Avec un soupir de soulagement, Terry l’attira contre lui et couvrit son visage de baisers fiévreux.

« Bien sûr que je t’aime, Miss Taches-de-son ! Ne me fais plus jamais des peurs pareilles ! »

Incapable du moindre mouvement, Candy restait les bras ballants tandis qu’il la serrait à l’étouffer. Les mots qu’il avait prononcés s’imprimaient en lettre de feu dans son esprit bouleversé sans qu’elle arrive à y croire. Avait-il vraiment dit « Je t’aime » ? Pas de sous-entendu, pas d’insinuation à double sens, pas de « J’ai des sentiments pour toi » ! Juste trois mots magiques qu’elle désespérait d’entendre.

Étonné par son manque de réaction, Terry prit son visage entre ses mains et plongea son regard dans celui de la jeune femme. A la surface des deux lacs verts qui le fixaient, il discerna le doute et quelque chose qui ressemblait à de l’espoir, du moins l’espérait-il.

« Viens avec moi, décréta-t-il en lui prenant la main. »

Il l’entraîna au rez-de-chaussée, jusqu’au bureau de son père. Il sortit d’un tiroir les coupures de presses parues dans les journaux après son réveil à l’hôpital et les lui tendit.

Le visage souriant de Susanna sauta aux yeux de Candy dont les lèvres se crispèrent.

« Pourquoi me montres-tu cela ? Demanda-t-elle gênée.

- Parce que ces photos sont un mensonge. J’ai eu un choc quand je les ai vues le matin après mon réveil. C’est toi qui devrais être à la place de Susanna, alors que tu es tout au fond de la pièce, comme effacée. Tu devrais être au premier plan, Candy, c’est là que je te vois au fond de mon coeur. Mon métier d’acteur, la célébrité, tout cela n’a aucun intérêt si je ne peux pas le partager avec toi. Je n’avais pas compris avant à quel point Susanna était obsédée par moi, mais elle vivait dans un rêve, Candy. Je n’ai jamais partagé son obsession et je n’ai jamais rien fait pour l’encourager. Tu étais la seule à occuper mes pensées. Je ne savais pas comment me débarrasser d’elle pour que nous puissions être ensemble. Et puis Elisa Legrand est venue à l’hôpital.

- Elisa ? »

C’était un nouveau coup pour Candy qui se décomposa un peu plus.

« Oui, mais pour une fois tu peux lui dire merci. Elle s’est mise à me parler comme à un arriéré mental et j’ai compris qu’elle pensait que le coup que j’avais pris sur la tête avait amoindri mes facultés. C’est alors que l’idée a germé dans mon esprit. J’ai conçu ce personnage du futur duc de Granchester pour pouvoir manipuler Susanna et l’amener à me détester. Voilà pourquoi j’étais odieux. Et cela a marché ! Elle est complètement dégoûtée de moi et va quitter la ville.

- Tu m’as menti ! Constata Candy sur un ton de reproche. »

Pourtant au fond de sa poitrine son coeur chantait. Terry tenait à elle ! Il avait monté cette comédie pour éloigner sa partenaire envahissante. Elle reconnaissait bien là le goût du jeune homme pour le théâtre. Cette mise en scène lui ressemblait bien.

« Je ne pouvais pas te mettre dans la confidence, Candy. Tu es tellement honnête et sincère, que tu n’aurais pas pu jouer ton rôle. Tu aurais été capable de plaindre Susanna et de la mettre au courant du subterfuge, ce qui aurait tout flanqué par terre ! Crois-moi, elle était prête à tout pour t’écarter. Dieu seul sait ce dont elle aurait été capable pour me mettre le grappin dessus !

- Et tu as préféré monter ton petit stratagème tout seul en me laissant me morfondre dans mon coin !

- Pas tout à fait seul, reconnut Terry. Ma mère était dans la confidence depuis la soirée au théâtre...

- Quoi ! Mais son malaise...

- Elle n’a jamais été malade, Candy. Tu vois à quel point elle est bonne comédienne ! C’était une ruse pour te retenir à New York.

- Vous vous êtes moqués de moi tous les deux ! C’est cruel de votre part ! Sais-tu seulement à quel point j’ai été malheureuse quand tu me battais froid ? »

Terry s’approcha d’elle avec l’air contrit d’un petit enfant qui vient de faire une bêtise.

« C’était dur pour moi aussi, ma chérie. Mais je t’évitais parce que quand je suis près de toi, j’ai trop envie de te serrer dans mes bras, de t’embrasser... »

Joignant le geste à la parole, il noua les bras autour de sa taille et l’attira contre lui malgré sa résistance. Très lentement, il se pencha vers elle pour l’embrasser. Ses mouvements étaient si lents, que la jeune femme aurait eu tout le temps de lui échapper, mais sa réticence n’était que symbolique. Serrée contre le corps de Terry, la chaleur qui s’insinuait en elle avait déjà fait fondre ses derniers reproches et ses derniers doutes. Quand les lèvres fermes se posèrent sur les siennes, elle répondit aussitôt à leur pression et s’abandonna au baiser passionné qui suivit.

« Je m’en veux de t’avoir causé de la peine, murmura Terry le souffle court quand il se détacha de sa bouche. Mais je saurai me faire pardonner, je te le promets.

- Tu n’es pas au bout de tes peines; répondit la jeune femme, taquine. Cela risque de te prendre très longtemps...

- Toute la vie si tu veux ! »

Avec un sourire, Terry sortit de sa poche une boîte en velours qu’il ouvrit pour lui montrer la bague ornée d’un diamant qu’elle contenait.

« Je voulais te la donner pour Noël, mais je ne peux plus attendre, affirma-t-il. Candice Neige André, veux-tu m’épouser ? »

Incrédule, Candy regardait la pierre étincelante sans pouvoir prononcer un mot. Elle leva les yeux vers le visage souriant qui la dominait et glissa une mèche rebelle derrière l’oreille du jeune homme qui la serra plus fort.

« Tout ce que tu as deviné dans mes lettres était vrai Candy. Pourquoi crois-tu que je ne t’ai envoyé qu’un aller simple ? Je t’aime et je veux te garder près de moi. Si ce que j’ai lu entre les lignes quand tu répondais à mon courrier est la vérité, je suis sûr que tu diras oui ! S’il te plait mon amour... »

La jeune femme posa un doigt sur ses lèvres pour le faire taire et lui sourit avec tendresse. Elle se dressa sur la pointe des pieds pour atteindre son oreille où elle chuchota ce simple mot :

« Oui ! »

Terry la souleva par la taille pour la faire tournoyer en riant. Les dernières secondes qu’il venait de vivre avaient été les plus longues de sa vie !

Quand il la reposa au sol, elle noua les bras autour de son cou, un peu essoufflée.

« Tu es complètement fou, murmura-t-elle en se serrant contre lui, mais je te préfère comme cela.

- Tu es sûre ? Parce que je vais reprendre le théâtre. M. Hattaway est d’accord pour me rendre mon rôle de Roméo dès la reprise de janvier. Tu seras la femme d’un acteur en devenir, Candy. Je ne serai sans doute jamais duc de Granchester, mais je suis persuadé que tu ferais la plus jolie duchesse qu’on ait vue depuis longtemps.

- Je n’ai aucune envie d’être duchesse, je veux juste être avec toi. Et puis... »

Candy baissa les yeux et avoua un peu embarrassée :

« Je n’aime pas beaucoup cette maison, Terry.

- Moi non plus, reconnut-il en caressant sa joue. Puisque ta valise est bouclée, que dirais-tu de venir t’installer dans mon appartement ? Mais je te préviens, il est tout petit. Il n’y a qu’une chambre... »

La jeune fille rougit mais une lueur espiègle brillait au fond de ses yeux quand elle répondit :

« Dans ce cas... Ce n’est peut-être pas prudent vu ton état de santé...

- Je prends le risque, affirma-t-il en s’emparant de ses lèvres. »

Perdus dans leur étreinte, aucun d’eux n’entendit la porte du bureau s’ouvrir puis se refermer discrètement. Un sourire ravi sur le visage, Eléonore Baker se tourna vers le majordome qui observait l’immense sapin l’air dubitatif. Elle avait envie d’être aimable avec la terre entière, aujourd’hui.

« Cela va être un merveilleux Noël, Caleb. Le plus beau que j’ai connu depuis bien longtemps. »

 

FIN

Dinosaura, 30 novembre 2008