LE DUC ET LE PROJECTEUR
Par
Dinosaura

 

 

CHAPITRE 4

 

Les calmants reçus à l'hôpital avaient cessé leur effet et Terry ne se sentait vraiment pas bien tant ses blessures le faisaient souffrir. La position allongée était celle dans laquelle il se sentait le moins mal, mais son orgueil lui interdisait de paraître faible à l'arrivée de ses visiteuses. C'est donc debout qu'il les attendait, lourdement appuyé sur une vielle canne trouvée dans la maison.

Le vieux Caleb et son épouse Sarah avaient ouvert de grands yeux en le voyant débarquer à l'improviste. Ils étaient employés à demeure par la famille Granchester depuis des années et veillaient à entretenir la maison afin qu'elle soit toujours prête à accueillir son propriétaire si celui-ci désirait y séjourner. Terrence le savait, lui qui l'avait occupée quelques jours, l'année où il était venu voir sa mère avant de repartir en Angleterre sur le Mauritania. C'était l'hiver où il avait rencontré Candy, un moment déterminant dans sa vie. Et voilà que les deux femmes liées à ce souvenir doux-amer se trouvaient là alors qu'il venait de prendre une décision qui allait une nouvelle fois orienter le cours de sa vie.

Eléonore s'avança vers lui, mais Candy resta une fois encore en retrait, impressionnée par le luxe vieillot de la pièce. Sa chevelure lumineuse tranchait avec les boiseries foncées et les lourds brocards qui donnaient au salon une atmosphère pesante.

« Terry ! Peux-tu me dire ce qui t’a pris de quitter l’hôpital. »

L’actrice voulut s’approcher de son fils mais il l’arrêta d’un geste de la main.

« Cet établissement ne me convenait pas, Mère. De plus, j’avais besoin de calme pour réfléchir.

- Que tu ne souhaites plus rester à l’hôpital, soit. Mais tu serais bien mieux chez moi où nous prendrons soin de toi. Pourquoi venir ici ?

- Parce que c’est ma place, Mère, même si vous refusez de l’admettre. »

Le ton froid autant que le vouvoiement surprirent Eléonore qui se figea sur place. Elle fixait son fils comme si elle découvrait une autre personne. Elle croyait pourtant que l’époque où il la battait froid était loin derrière eux. Elle s’apprêtait à répliquer lorsqu’une main apaisante se posa sur son bras.

Pendant ce dialogue acerbe, Candy avait reporté son attention sur Terry. Son visage pâle était marbré de rouge et la sueur perlait à son front. Elle reconnut immédiatement les signes de la souffrance et de la fièvre et intervint aussitôt.

« Nous parlerons plus tard, si vous voulez bien. Il vaut mieux nous occuper de Terry pour le moment. Je vais lui donner ses médicaments. »

Eléonore s’en voulut d’avoir négligé la raison de leur visite. Il est vrai que son fils semblait mal en point. Il s’appuyait lourdement sur sa canne d’une main qui tremblait. Candy se précipita pour le soutenir avant qu’il ne s’effondre. Terry accueillit avec soulagement l’épaule qu’elle lui offrait.

« Où est ta chambre, demanda-t-elle ?

- Au premier, répondit-il en serrant les dents pour ne pas hurler. »

Candy se souvint du monumental escalier qu’elle avait vu en entrant et craignit de ne pas réussir à emmener le jeune homme jusqu’à se chambre. Elle interrogea Eléonore du regard et celle-ci réagit aussitôt.

« Essayez de l’emmener là-haut. Je vais chercher Caleb dit-elle en se précipitant vers l’office. »

Terry n’avait même plus la force de plaisanter tandis que la jeune fille l’entraînait vers sa chambre. Ils gravirent péniblement les marches jusqu’au premier étage et pénétrèrent dans la pièce qu’il lui désigna où il se laissa tomber lourdement sur le lit.

« Je te reconnais bien là, le gronda-t-elle. Quel besoin avais-tu de faire ton malin. Tu es bien avancé maintenant. »

Elle continua à lui faire des reproches en l’aidant à s’installer du mieux possible. Elle commençait à lui enlever ses chaussures lorsque Caleb entra suivi d’Eléonore. Il embrassa la scène du regard, scandalisé.

« Il vaut mieux que je m’occupe de Sa Grâce, Mademoiselle, proposa-t-il rapidement. Ce n’est pas votre place !

- D’accord répondit Candy. Je vais chercher ses médicaments et je reviens. »

Terry eut un faible sourire devant la mine de son majordome et expliqua :

« Mademoiselle André est infirmière, Caleb. Je suis entre de bonnes mains avec elle.

- Plus que tu ne le crois, intervint sa mère. Je viens de l’engager pour veiller sur toi jusqu’à ce que tu ailles mieux. Et puisque les événements en ont décidé ainsi, nous allons toutes les deux nous installer ici pour te soigner. »

Elle darda un regard autoritaire sur le pauvre Caleb dont le monde était en train de s’écrouler à l’idée de voir cette actrice habiter dans la maison du Duc de Granchester. Même à l’époque de sa folle jeunesse, jamais Monsieur le Duc n’avait installé sa maîtresse dans la demeure familiale ! Puisque Monsieur Terrence était mal en point, l’infirmière pouvait s’installer dans une des chambres de bonne, mais la présence de l’autre serait une insulte à tous les Granchester dont les portraits étaient accrochés dans le vestibule ! Il chercha du secours auprès de son jeune maître mais celui-ci lui donna le coup de grâce en capitulant.

« Préparez deux chambres d’amis, Caleb. Nous allons avoir des invitées. »

Vaincu le majordome se retira pour avertir sa femme de ce nouveau coup du sort pendant que les deux invitées prenaient leurs quartiers auprès de Terry pour veiller sur sa convalescence.

Les premiers jours furent tendus, mais Terry reprenait rapidement des forces. Candy veillait à ce qu’il prenne les médecines qu’elle lui apportait avec un professionnalisme digne d’éloges. Pourtant les rapports entre les deux jeunes gens étaient tendus. L’acteur était distant et si Candy avait mis son mutisme sur le compte de son état de santé, il était évident qu’elle s’était trompée. Il était tellement froid avec elle, qu’elle avait l’impression de le déranger. Ce matin-là, elle frappa timidement à la porte de sa chambre avant d’entrer pour lui changer le bandage bien serré qui maintenait ses côtes fêlées. Elle le trouva debout près de la fenêtre à observer le jardin couvert de neige. Noël approchait à grands pas.

« Bonjour Terry, dit-elle gentiment. Pourquoi es-tu levé ?

- Je ne suis pas impotent, Candy. De plus j’attends quelqu’un. »

Candy fut surprise mais ne répondit pas. Elle s’approcha de lui pour lui prodiguer ses soins. Obéissant, il leva les bras comme elle le lui demandait pendant qu’elle détachait son ancien bandage. Puis elle examina précautionneusement les hématomes qui marquaient son torse. Ses doigts légers tâtaient les ecchymoses encore visibles en s’efforçant de ne pas lui faire mal. Le souffle de Terry s’accéléra et la jeune fille cessa aussitôt son examen.

« Tu as mal, demanda-t-elle inquiète ?

- Un peu, mentit-il. »

Il ne voulait pas lui avouer que la caresse de ses doigts sur sa peau provoquait en lui bien autre chose que de la douleur. Au contraire, rien n’était plus agréable que la douce chaleur qui se répandait en lui au moindre contact. Mais il ne devait rien laisser paraître de ses sensations. Il devait s’en tenir à ce qu’il avait décidé et ne pas céder à l’inclination qui le poussait à la serrer contre lui.

Quand elle commença à remplacer le bandage, le calvaire de Terry fut encore plus pénible. Elle passait les bras autour de sa taille pour serrer la bande, et à chaque fois, ses cheveux venaient lui caresser la poitrine, le mettant hors de lui. Il avait de plus en plus de mal à garder les bras écartés alors qu’il aurait voulu les refermer sur elle et la serrer sur son coeur. Heureusement, Candy ne soupçonnait rien de tout cela et mettait son souffle court sur le compte de la douleur. Elle termina rapidement son travail et lui tendit un calmant.

« Prends cela, dit-elle. Tu te sentiras mieux après. »

Il avala la mixture sans la quitter des yeux mais elle était trop concentrée sur sa tâche pour prêter attention aux signaux que lui envoyait le regard du jeune homme. Elle allait quitter la pièce quand il la retint :

« Je m’en veux de t’obliger à jouer les gardes-malades, Candy. Tu étais sensée être en vacances...

- Ne t’inquiète pas pour cela. Je prendrai soin de toi tant que tu en auras besoin. Tout est arrangé avec Chicago.

- Et Albert ? N’aurais-tu pas souhaité passer Noël avec lui et tes amis ? »

Candy baissa les yeux sans répondre. En venant à New York elle ne pensait qu’à une chose : Retrouver Terry. Elle avait longuement réfléchi à la raison pour laquelle il lui avait envoyé un aller simple. Elle espérait secrètement qu’il lui demande de rester avec lui, et n’avait pas formé de projets pour les fêtes. Mais les circonstances en avaient décidé autrement. Il y avait eu cet accident, et maintenant Terry semblait si lointain...

« Noël est une fête de famille, répondit-elle tristement. Pour les orphelines comme moi, cela ne veut pas dire grand-chose. »

Et elle sortit avant que Terry puisse ajouter quoi que ce soit.

La jeune fille rejoignit Eléonore Baker pour le petit déjeuner qu’elles avaient l’habitude de prendre ensemble. A la vitesse où Terry se remettait, il ne tarderait pas à ce joindre à elles, du moins c’est ce qu’elles espéraient. Elles discutaient tranquillement de leur programme de la journée quand du bruit se fit entendre dans le vestibule. Elles s’enquirent de l’identité du visiteur auprès de Caleb lorsque celui-ci vint peu de temps après s’assurer qu’elles ne manquaient de rien.

« Il ne s’agissait pas d’un visiteur, Madame Baker. C’était le tailleur de M. Terrence. »

Candy et Eléonore se regardèrent avec surprise. Un tailleur ! Sans se concerter, elles se levèrent en même temps et se précipitèrent vers le vestibule. Tout ce qu’elles purent voir, furent deux commis qui gravissaient les escaliers chargés de paquets.

« Qu’est ce que c’est que cette histoire, s’exclama Eléonore. Il faut que j’y aille !

- Laissez-le faire, dit Candy. Finissons plutôt notre petit-déjeuner. Terry nous dira tout bientôt. »

L’actrice se laissa entraîner vers la salle à manger, mais ne semblait pas convaincue. Au bout d’une demi-heure, elle ne tenait plus en place.

« C’en est trop, il faut que je sache ! »

Elle se rendit jusqu’à la chambre de son fils mais se heurta à Caleb qui en sortait.

« Vous ne pouvez pas entrer, Mme Baker. Monsieur Terrence prend son bain. »

Eléonore ouvrit la bouche pour remettre le majordome à sa place, mais se souvint que la dernière fois qu’elle avait vu Terry dans son bain, il ne devait pas avoir plus de deux ans. Les circonstances étaient bien différentes aujourd’hui.

Elle se tourna vers Candy avec un regard implorant mais celle-ci secoua vivement la tête en signe de dénégation. Les mains devant elle comme pour repousser Eléonore elle s’écria :

« N’y pensez même pas !

- Mais vous êtes son infirmière...

- C’est hors de question, je n’irai pas ! »

L’actrice comprit qu’elle devrait prendre son mal en patience et attendre le bon vouloir de Terry pour avoir des explications.

 

Fin du chapitre 4

© Dinosaura noël 2008

CHAPITRE 5

Devant l'impossibilité pour Terry de s'occuper de son invitée, Eléonore avait pris la jeune fille sous son aile et l'emmena faire les boutiques en prévision des fêtes qui approchaient à grands pas. Elles coururent les magasins pour trouver des cadeaux de Noël mais l'actrice avait un rendez-vous pour déjeuner qu'elle ne pouvait reporter. Elles se rendirent donc au Country Club pour rencontrer un dénommé Steve Newton.

Newton travaillait dans une industrie en plein essor, le cinématographe. Cette nouvelle forme de divertissement attirait de plus en plus de spectateurs et les producteurs étaient toujours à la recherche d'acteurs confirmés pour participer à leurs créations. Leurs regards se tournaient naturellement vers le théâtre, vivier de comédiens talentueux. La lumineuse beauté d'Eléonore Baker ajoutée à ses dons d'actrice faisait d'elle une recrue de choix pour le cinéma.

Candy s'intéressa un moment à leur conversation, mais perdit bientôt le fil quand elle comprit que la proposition ne tentait pas vraiment sa compagne. Elle reporta son attention sur ce qui l'entourait. Le restaurant n'était pas complet, loin de là. Peu de femmes étaient présentes et les messieurs jetaient de fréquents coups d'oeil vers leur table, ce qui la mettait mal à l’aise. Elle essayait de se convaincre que c’était parce qu’ils avaient reconnu la célèbre actrice, mais ne se sentait pas plus à l’aise pour autant. Elle avait toujours détesté ce genre d’endroit où tout respirait le luxe et la richesse. Comme le lui avait précisé Eléonore en arrivant, le seul critère retenu par le Country Club pour la sélection de ses membres était le volume de leur compte en banque. Cela transparaissait autant dans la décoration que dans l’apparence des convives, habillés de manière aussi élégante que s’ils s’étaient rendus à une soirée. De plus, la salle était beaucoup trop chauffée et au lieu de cette atmosphère étouffante, Candy aurait préféré respirer l’air glacé du parc couvert de neige qu’elle distinguait par la fenêtre, et se promener dans les allées bien dégagées par le personnel de l’établissement. A la maison de Pony, elle adorait courir dans la neige et confectionner de magnifiques bonhommes de neige avec les autres enfants.

Le son d’une voix familière la ramena à la réalité. Incapable de prononcer un mot tant elle était surprise, elle serra la main d’Eléonore pour attirer son attention. Toutes deux observèrent le directeur du Country Club qui s’inclinait servilement devant un Terrence Granchester vêtu avec une élégance recherchée et qui acceptait d’un air hautain les marques de respect que lui prodiguait le responsable.

« Ce sera un honneur de vous compter parmi nos membres, M. Granchester, disait-il suffisamment fort pour être entendu de toute la salle. Je vais faire le nécessaire dès aujourd’hui. »

Terry se contenta d’un léger signe de tête en guise de réponse et traversa la salle sous les regards curieux de tous les convives.

Il traînait la jambe mais maniait sa canne avec une classe folle qui alluma une lueur intéressée dans les yeux des dames présentes. Il passa près de la table où se trouvaient sa mère et Candy sans les saluer et en leur accordant à peine un regard, même si un léger sourire étira ses lèvres devant leurs mines stupéfaites.

Elle le virent prendre place au volant d’une voiture de sport dernier cri et démarrer dans un crissement de pneus.

Le réalisateur qui se sentait totalement ignoré, tenta de regagner l’attention de son interlocutrice en demandant :

« N’était-ce pas le jeune Terrence Granchester ? On le dit de grand talent. J’ai même entendu dire qu’il était votre fils ? »

L’intérêt professionnel de Steve Newton était éveillé. Il imaginait déjà les nombreux scénarii qui pourraient mettre en vedette la mère et le fils dans ses futures productions. Il sentait la grande actrice réticente à l’idée de quitter le théâtre, mais si son fils était intéressé, celai l’aiderait peut-être à emporter sa décision.

Mais Eléonore Baker était déjà loin des propositions de son interlocuteur. Après la stupéfaction, l’attitude de Terry avait provoqué en elle une violente colère et elle fit appel à tout son professionnalisme pour dissimuler ses sentiments en public. Seule Candy qui commençait à la connaître soupçonna son état d’esprit en voyant danser une flamme dangereuse dans les yeux bleus de la vedette.

L’actrice mit rapidement fin à l’entretien en promettant de réfléchir à la proposition de Newton, sur un ton qui indiquait qu’elle n’en ferait rien.

Elle fulminait dans la voiture qui les ramenait à la résidence.

« Non mais pour qui se prend-il, ce petit insolent ! »

Candy aurait voulu trouver les mots pour la calmer, mais elle aussi était interloquée par l’attitude de Terry et le regard glacial qu’il leur avait lancé. De plus, elle redoutait que son état de santé ne lui permette pas de sortir seul et craignait de le trouver en piteux état à leur retour. Elle laissa donc sa compagne épancher sa colère en se disant que c’était le meilleur moyen de l’apaiser.

Dès leur arrivée, elles se précipitèrent dans le bureau du Duc où elles trouvèrent le jeune homme en train d’écrire. Il leva les yeux à leur entrée et prit le temps de mettre sa lettre sous enveloppe. Il inscrivit l’adresse du destinataire puis posa son stylo pour les observer calmement. Il ne leur proposa même pas de s’asseoir.

Le sang d’Eléonore ne fit qu’un tour.

« Puis-je savoir ce que cela signifie ? Attaqua-t-elle. Comment as-tu osé nous ignorer de la sorte ! »

Terry s’installa confortablement dans son fauteuil avant de répondre.

« Il est en effet temps de mettre certaines choses au point. Nous aurions dû avoir cette conversation bien avant. Je suis désolé, Mère, mais même si les circonstances ont voulu que notre lien de parenté soit découvert, cela ne change rien à nos relations. Elles ont toujours été distantes et j’entends qu’elles le restent.

- Que veux-tu dire par là, Terry ? Demanda Eléonore abasourdie. J’ai l’impression d’être revenue plusieurs années en arrière, à l’époque où tu me détestais. C’est ton père qui nous a séparés, je croyais que tu l’avais compris.

- Mon père a fait ce qu’il estimait le mieux pour moi. M’emmener en Angleterre était la seule solution raisonnable, voilà ce que j’ai enfin compris. »

La comédienne sentait ses jambes se dérober sous elle. La main secourable de Candy la soutint et la guida jusqu’à un siège sous le regard indifférent de son fils. Puis la jeune fille se tourna vers lui, la mine réprobatrice, mais le visage de Terry était impénétrable.

« Terry, est-ce que tu vas bien ? Je ne te reconnais plus ! Peut-être que ton accident...

- Je vais physiquement aussi bien que possible, Candice. Mais j’ai ouvert les yeux. Avoir frôlé la mort de si près m’a fait réaliser à quel point j’avais été idiot. Mon père a fait de moi son héritier. Il m’a donné la meilleure éducation possible pour que je sois en mesure de tenir mon rang. Je me suis comporté comme un enfant indiscipliné et égoïste. Quelle folie m’a pris de vouloir renier mon nom et mes responsabilités pour jouer les histrions ! Ma place n’est pas dans ce monde d’artifice et de simulacres. J’ai compris où était mon devoir et je viens d’écrire à mon père pour lui faire part de ma décision. J’ai résolu de me comporter désormais en digne fils du duc de Granchester et héritier du titre. »

Candy fixait le jeune homme sans comprendre. Comment pouvait-il parler ainsi, surtout en face de sa mère ! Il était tellement suffisant ! Elle se tourna vers Eléonore qui était blanche comme un linge.

« C’est ton nouveau statut qui t’empêche de saluer ta propre mère ? Ton père, lui, n’était jamais aussi fier que quand il sortait à mon bras !

- S’afficher avec une maîtresse aussi belle que vous comblerait de fierté n’importe quel gentilhomme. Mais ma naissance illégitime reste une tache sur le blason des Granchester. Pour tenir mon rang, il vaut mieux que cette erreur soit très vite oubliée.

- Petit insolent ! S’exclama Eléonore. Tes veines ne charrient pas que du sang bleu, mais également une bonne dose du mien ! Je suis toujours ta mère !

- C’est la raison pour laquelle je vous ai offert l’hospitalité. Mais vous n’êtes qu’une invitée, pas la maîtresse de maison.

- Une invitée que tu méprises et que tu délaisses. Comme cette pauvre Candy que tu as fait venir jusqu’ici et que tu ignores. Crois-tu qu'il soit correct de la traiter ainsi ?

- Candy reste pour moi une amie très chère, dit Terry en regardant la jeune fille sans sourire. Je suis heureux de bénéficier de sa présence et de son professionnalisme. Elle sera toujours la bienvenue sous mon toit. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, des affaires m’appellent à l’extérieur et je dois faire parvenir ce courrier à mon père... »

Terry se leva souplement et quitta la pièce en laissant les deux femmes abasourdies.

Candy avait l’impression de vivre un cauchemar éveillé. L’homme qui venait de sortir ne pouvait pas être celui dont elle était amoureuse. Même à l’époque où elle l’avait rencontré au collège, il n’avait jamais été aussi arrogant et prétentieux. Bien sûr, elle savait que ces traits de caractère étaient présents chez lui, mais qu’il les affiche à ce point... Où était le Terry tendre et affectueux qui l’avait séduite ? Il était si froid et si distant... A part le premier jour où elle était entrée dans sa chambre à l’hôpital, il ne lui avait pas adressé un sourire. Bien qu’elle s’occupe de lui tous les jours, il n’avait pas eu le moindre mot affectueux, aucun geste tendre... Elle rougit en songeant qu’elle avait imaginé son séjour à New York bien autrement.

« Candy, que se passe-t-il avec lui ? Demanda Eléonore, la tirant de ses réflexions. Il n’est pas dans son état normal.

- Je ne comprends pas non plus, avoua Candy.

- Mais vous êtes infirmière ! Avez-vous déjà vu ou entendu parler d’un cas semblable ?

- Non jamais. Je sais bien qu’un choc à la tête peut provoquer l’amnésie parfois, mais un tel changement de personnalité....

- Un choc à la tête ! Peut-être que ce projecteur est la cause de tout. J’ai passé ma vie sous les projecteurs, je les considérais presque comme des amis. Jamais je n’aurais cru qu’un objet aussi anodin puisse engendrer de tels bouleversements dans la vie des gens. Nous devons parler à son médecin, Candy, et veiller sur Terry. »

La jeune fille secoua la tête, abattue.

« Je ne sais pas, Eléonore. Il n’est pas heureux de nous voir. Nous devrions peut-être partir d’ici.

- Il n’en est pas question, s’exclama l’actrice. Ce petit prétentieux ne le sait pas, mais j’ai informé son père après l’accident. Richard m’a répondu qu’il ne pouvait quitter l’Angleterre en ces temps de guerre, mais il m’a donné toute latitude pour prendre soin de Terry. Nous sommes donc tout à fait à notre place ici, n’en déplaise à monsieur mon fils. Nous resterons tant qu’il ne sera pas parfaitement rétabli. »

Candy ne répondit pas mais elle ne se considérait pas à sa place dans la grande maison austère et elle se sentait mal à l’aise en présence de ce nouveau Terry qui semblait avoir oublié leurs tendres promesses. Avec un soupir, elle suivit une Eléonore Baker qui avait retrouvé toute sa combativité et elles se rendirent à l’hôpital.

 

Fin du chapitre 5

© Dinosaura noël 2008

CHAPITRE 6

Le médecin qui avait soigné Terry ne put malheureusement rien leur apprendre. Pour lui, l'état physique de son patient était satisfaisant, quand à son état psychologique, il ne pouvait se prononcer. Il évoqua lui aussi les possibilités d'amnésie après un choc violent à la tête, mais les changements de personnalité lui étaient étrangers. Il orienta ses interlocutrices vers un de ses confrères plus spécialisé que lui dans l'étude de la psychologie, mais sans leur donner beaucoup d'espoir. A ses yeux, il était possible que le jeune homme ai dit la stricte vérité : Son accident lui avait fait envisager la vie sous un nouveau jour, et il souhaitait désormais lui donner une autre direction. Dans ce cas, toute forme de médecine lui était inutile.

Une telle réponse ne pouvait satisfaire les deux femmes. Elles refusaient d'admettre que le Terry qu'elles connaissaient ait changé à ce point. Elles en discutèrent longuement, et conclurent que même si le médecin avait raison, l'attitude de Terry était le contrecoup du choc dû à son accident. Cela n'était que passager, et il retrouverait sous peu sa vraie personnalité.

Pourtant rien dans les jours qui suivirent ne laissa présager une quelconque amélioration dans l'état de Terry. Eléonore et Candy ne le voyaient pratiquement plus. Les invitations commencèrent à arriver dès le lendemain de la rencontre au Country Club et le jeune homme sortait pratiquement tous les soirs. Il se levait tard, alors qu'elles avaient fini de déjeuner depuis longtemps. Il consacrait ses après-midi à faire des visites dont elles ignoraient tout. Ce n'était qu'au déjeuner qu'elles avaient parfois l'occasion de le voir, et son air contrarié quand il prenait place exprimait le désagrément qu'il éprouvait à les trouver encore chez lui. C'est du moins ainsi qu'elles le ressentaient.

Pourtant les choses changèrent le jour où Robert Hattaway se présenta en personne à la résidence et demanda à voir Terry. En attendant d'être introduit, il discuta un moment avec Eléonore pour laquelle il avait beaucoup d'admiration, et avec Candy qu'il avait pris en affection.

« C’est une joie de vous rencontrer ici, Eléonore. J’espère cependant que cela ne signifie pas que l’état de Terrence est plus grave que ce que l’on m’a dit.

- Ne vous inquiétez pas Robert, répondit l’actrice avec un sourire. Son état de santé s’améliore de jour en jour.

- Sans doute la présence de cette jeune personne n’y est-elle pas étrangère, suggéra le metteur en scène en se tournant vers Candy qui rougit. Mais ce qui m’amène est moins agréable. Il commence à circuler de curieuses rumeurs dans le milieu du spectacle, Eléonore. On dit que Terrence voudrait abandonner la scène. Qu’y a-t-il de vrai là-dedans ? »

Le regard qu’échangèrent les deux femmes n’échappa pas à Robert Hattaway. Elles semblaient mal à l’aise, surtout la jeune fille qui se tordait les mains.

« Pour l’amour du ciel, dites moi ce qu’il en est ! Cette pièce menace de tourner au fiasco ! Je misais beaucoup sur Terrence. Stephen le remplace, certes, mais il n’a pas sa présence en scène. Je comptais bien que mon acteur principal reprenne son rôle dès qu’il serait remis. Si j’ajoute à cela les caprices de la vedette féminine qui devient chaque jour plus caractérielle, je vais droit dans le mur !

- Je ne sais que vous répondre, avoua l’actrice. Terry n’est pas encore tout à fait remis, c’est tout ce dont je suis sûre. Pour le reste, il vaudrait mieux que vous en discutiez avec lui. »

Le metteur en scène allait tenter d’en savoir plus quand le majordome impassible qui lui avait ouvert la porte se présenta et annonça que M. Terrence allait le recevoir. Tant de formalisme étonna Hattaway, mais il ne fit aucune remarque et salua les dames avant de suivre le domestique.

« Susanna Marlow est plus que caractérielle, soupira Eléonore après son départ. Elle est tout simplement folle à lier. Il est temps qu’il s’en rende compte !

- Je crois qu’elle est amoureuse de Terry, souligna Candy d’une voix éteinte.

- Mais mon fils ne la regarde pas autrement que comme une partenaire de scène, s’exclama Mme Baker en prenant les mains de la jeune fille dans les siennes. Il ne faut pas vous inquiéter. Celle qui fait battre son coeur, c’est vous !

- Je ne suis plus sûre de rien, Eléonore, soupira Candy. Il est devenu tellement... indifférent. J’ai l’impression que je n’existe plus pour lui. »

La comédienne aurait voulu trouver les mots justes pour la rassurer, mais elle se sentait aussi dépassée qu’elle. Elle se contenta de la serrer dans ses bras sans rien dire.

L’entretien entre les deux hommes dura un bon moment. Candy et Eléonore entendirent le visiteur quitter la demeure. Elles étaient dévorées de curiosité mais n’osaient aller demander à Terry la teneur de leur discussion. Elles furent d’autant plus surprises en voyant le jeune homme entrer dans le salon. Il les regarda un instant avant de s’installer près de Candy sur le sofa. La jeune fille fit aussitôt mine de se plonger dans sa lecture mais l’actrice abandonna tout subterfuge et le fixa d’un air interrogateur.

« Que voulait Robert ? Demanda-t-elle sans ambages.

- Toujours droit au but, n’est-ce pas Mère, répondit Terry en souriant. Vous ne changerez jamais. »

Il fixait Candy assise près de lui avec attention. Elle avait le visage fatigué et les yeux cernés, et il savait pourquoi. Il se sentait un peu coupable de lui imposer pareille situation, mais il n’y en avait plus pour très longtemps. En prenant quelques jours de vacances pour venir à New York, elle n’avait sans doute pas imaginé que les choses tourneraient de cette façon. Plus il y réfléchissait, plus Terry aurait payé cher pour connaître l’état d’esprit de la jeune fille quand elle avait accepté son invitation.

« Ma décision a eu des conséquences sur lesquelles M. Hattaway a attiré mon attention, reprit-il. En choisissant d’abandonner le théâtre, je ne voulais en aucun cas les mettre lui et sa troupe dans l’embarras. Il semblerait pourtant que cela ait fait naître des rumeurs sur la qualité de son travail. Il a suggéré que pour fait taire ces insinuations, il serait bon que j’assiste à une de leur représentation et que j’apporte mon soutien à celui qui m’a remplacé. Comme j’éprouve beaucoup de respect pour lui et pour son art, je ne vois pas pourquoi je lui refuserais cette faveur. »

Candy qui sentait peser sur elle le regard de Terry se décida enfin à abandonner le livre qu’elle faisait semblant de lire pour lever les yeux vers lui. Il avait au coin des lèvres ce sourire qu’il lui dédiait autrefois et elle fut happée par les souvenirs qui lui revinrent en mémoire.

« Que dirais-tu de m’accompagner, Candy ? Annonça le jeune homme de but en blanc. Après tout, c’est pour voir cette pièce que tu es venue à New York, et tu n’en as pas encore eu l’occasion. »

Le coeur de la jeune fille fit un bond dans sa poitrine. C’est lui qu’elle aurait voulu voir dans le rôle de Roméo, mais passer une soirée avec Terry, sortir avec lui ! Elle en rêvait depuis des mois. Un grand sourire illumina son visage mais elle se tourna quand même vers Eléonore pour obtenir son approbation.

« C’est une excellente idée, approuva celle-ci. Vous avez bien besoin de vous distraire, mon enfant.

- Alors s’est entendu, conclut Terry en se levant. Nous irons ce soir. Sois prête à huit heures.

- Elle sera prête, fais moi confiance, renchérit l’actrice tandis qu’il quittait la pièce. »

Robert Hattaway leur avait réservé une loge et le couple qu’ils formaient était l’objet de tous les regards.

Candy avait enfin pu mettre la robe de soirée qu’elle avait emportée pour l’occasion. Eléonore l’avait aidée à se coiffer et lui avait prêté une magnifique cape de fourrure pour aller avec sa tenue. Bien qu’elle se sente très en beauté, elle avait frémi en descendant l’escalier pour rejoindre Terry dans le hall. Il était tellement élégant que sa robe lui semblait soudain terne. Il était en train de parler avec sa mère et lui avait à peine accordé un sourire.

Il ne ressemblait plus à l’adolescent espiègle dont elle se souvenait avec tendresse. Elle avait face à elle un homme d’une courtoisie irréprochable mais artificielle qui observait le monde autour de lui avec un profond dédain, comme détaché de tout.

Pendant la représentation, Candy fut plus sensible à la présence de Terry à ses côtés qu‘à la pièce elle-même. Nonchalamment installé les jambes croisées, il ne manifesta aucune émotion en regardant un autre interpréter le rôle qui aurait dû lui revenir. Tout au plus fronça-t-il de temps en temps les sourcils à certaines répliques.

La jeune fille connaissait déjà « Roméo et Juliette » depuis le merveilleux été qu’ils avaient passé en Écosse au cours duquel Terry lui en avait lu de nombreux passages. Elle comprit qu’il exprimait ainsi son désaccord sur l’interprétation de son confrère, mais ne fit aucune réflexion.

Plus la fin de la représentation approchait, et plus Candy se sentait mal à l’aise. Toute à la joie de passer une soirée avec Terry, elle avait occulté de son esprit l’inévitable présence de Susanna.

Celle-ci n’avait cessé de fixer le jeune acteur dans sa loge, lui adressant toutes ses répliques et ignorant totalement son malheureux partenaire de scène. Il était convenu que Terry aille féliciter dans sa loge après le baisser de rideau, celui qui l’avait remplacé au pied levé. Mais aller dans les coulisses signifiait également rencontrer Susanna Marlow. Or le regard incendiaire qu’elle avait jeté à Candy n’augurait rien de bon pour celle-ci.

Quand le rideau tomba, Candy se leva et applaudit à tout rompre, mais elle fut la seule. Parmi le public, les bravos furent polis, mais sans plus. Amusé par l’attitude de sa compagne, Terry se leva à son tour pour se joindre à ses applaudissements. Puis il lui prit le bras et l’entraîna vers les coulisses sous les regards intéressés de spectateurs qu’ils croisaient.

Lorsqu’ils arrivèrent devant les loges des artistes, Candy remarqua que plusieurs jeunes gens attendaient devant la porte de Susanna, des bouquets dans les mains, que la jeune femme se soit changée et accepte de les recevoir. La contrariété se peignit sur leur visage en découvrant la présence de Terry. Après tout, n’était-il pas le fiancé de la jeune actrice ? Et dans ce cas, qui était la jeune beauté pendue à son bras ? Mais Terry ne leur accorda pas un regard et se dirigea vers la loge voisine.

Stephen Polson s’y trouvait seul et ne décolérait pas. L’attitude irresponsable de Susanna avait fait de sa prestation une pantalonnade ! Il se sentait ridiculisé, à juste raison. Il savait par Hattaway que Terry passerait le voir, mais il ne s’attendait pas à le voir entouré de tant de monde. Poussés par la curiosité, des spectateurs avaient suivi le jeune acteur, désireux de savoir ce que les deux interprètes de Roméo allaient se dire. Stephen fit aussitôt bonne figure et accueillit Terry à bras ouverts, comme s’ils étaient les meilleurs amis du monde.

« Terrence ! S’exclama-t-il. Je suis heureux de voir que tu vas mieux.

- Mercie Stephen. Je tenais à te féliciter. Reprendre ce rôle en si peu de temps n’a pas dû être facile. »

Polson écoutait son ami, un sourire aux lèvres, mais ses yeux restaient fixés sur la jeune femme qui l’accompagnait. Ce pourrait-il qu’elle soit la cause de l’humeur exécrable de Susanna ?

« Laisse-moi te présenter Mademoiselle Candice Neige André. Elle est de passage à New York et mon invitée.

- Les André de Chicago ? C’est un plaisir de vous rencontrer mademoiselle ! »

Quelques murmures se firent entendre derrière eux tandis que le jeune acteur s’inclinait pour baiser la main de Candy qu’il garda dans la sienne un peu plus longtemps que nécessaire. La jeune fille s’apprêtait à le féliciter à son tour quand elle fut bousculée sans ménagement. Elle perdit l’équilibre et serait tombée si les deux hommes ne lui avaient pas tendu en même temps un bras secourable pour la soutenir. Stephen croisa le regard noir de Terry et s’empressa de lâcher la jeune fille. Confuse, Candy sentit que Terry l’attirait plus près de lui et elle leva les yeux pour se trouver face à une Susanna au sourire narquois.

L’actrice ne souhaitait pas faire une scène en présence de ses admirateurs et opta pour une autre tactique.

« Je me demandais quand tu viendrais, Terry, dit-elle de sa voix la plus sensuelle. Tu m’as manqué ! »

Le jeune aristocrate s’inclina galamment et porta la main qu’elle lui tendait à ses lèvres en souriant.

« Allons, Susanna ! Je suis certain que n’importe lequel de ces messieurs ici présents se ferait un plaisir de combler le vide causé par mon absence. »

En disant cela, il parcourut avec dédain l’assemblée des jeunes dandies venus présenter leurs hommages à l’actrice.

« Ne me dis pas que tu es jaloux ! Minauda Susanna.

- Je n’ai aucune raison de l’être. Nous savons tous les deux pourquoi, n’est-ce pas ? »

Les admirateurs de Susanna faisaient grise mine en écoutant ce dialogue lourd de sous entendus. Celui qu’ils avaient pris pour un simple acteur les écrasait de sa prestance. Les plus objectifs devaient bien reconnaître que sa distinction et son élégance n’avaient rien à leur envier, eux qui se considéraient comme la fine fleur de la bonne société New Yorkaise.

L’actrice se tourna vers eux et leur dédia son plus charmant sourire avant de reprendre.

« Le public est tellement gentil avec moi, tandis que tu semblais m’ignorer.

- J’avais des affaires à régler, cela ne signifie pas que je ne suis pas intéressé. De plus, un peu de compétition n’est peut-être pas pour me déplaire. »

Il ne quittait pas son ancienne partenaire des yeux. Toujours serrée contre lui, Candy commençait à s’agacer de ce jeu de cache-cache auquel elle ne comprenait rien. Se pouvait-il que Terry et Susanna soient plus que des partenaires ? Leurs insinuations le laissaient à penser. D’ailleurs Susanna paraissait plus sereine tout à coup.

« Je ne crois pas avoir eu l’occasion de te présenter officiellement Mademoiselle Candice André, reprit Terry en la poussant en avant. »

Le sang de Candy ne fit qu’un tour. A quoi jouait-il ? C’était donc cela qu’il entendait en parlant de compétition ! Il voulait les mettre en concurrence, Susanna et elle ! S’il s’imaginait les voir se crêper le chignon pour obtenir son attention, il allait en être pour ses frais ! Elle allait lui dire sa façon de penser, et peu importe qu’ils aient des spectateurs, mais Susanna fut plus rapide.

« Enchantée de vous connaître, Mademoiselle André. J’ai eu peur un instant que Terry ne sorte avec les domestiques.

- Je ne suis pas sa domestique, se récria Candy, vexée par le mépris avec lequel Susanna avait prononcé sa phrase. Je suis... »

Elle se tut brusquement, accablée. Que pouvait-elle dire ? Après tout, qu’était-elle pour Terry ? Elle avait été son amie, c’était certain, et dans son coeur elle aurait voulu être beaucoup plus. Mais aujourd’hui ? Ils n’avaient échangé aucune promesse, aucun serment. Tout entre eux était toujours chargé de sous-entendus et de non-dits. A voir Terry aujourd’hui, elle se demandait si elle n’avait pas mal interprété ses propos. Peut-être avait-elle pris ses désirs pour des réalités ? Dans les faits, Susanna n’avait pas tord : Elle avait été engagée par Eléonore Baker pour veiller sur la santé de son fils. Elle était donc bien à son service.

« Je suis son infirmière, conclut-elle dans un souffle. »

Susanna afficha un sourire triomphant tandis que la poigne de Terry se resserrait sur le bras de Candy à lui faire mal. Elle se tourna vers lui pour protester et croisa son regard dur. Il était visiblement en colère. Il s’adressa à nouveau à Susanna d’une voix qu’il essayait de faire paraître posée.

« Nous devons rentrer Susanna. Nous nous reverrons bientôt.

- Bien sûr Terry. Tu vas déjà beaucoup mieux ; tu n’auras plus besoin d’une infirmière très longtemps. »

La jeune actrice les regarda s’éloigner avec satisfaction. Elle avait été bien bête de s’inquiéter au sujet de cette Candy. Cette fille était vraiment sans intérêt, et Terry commençait à s’en rendre compte. Il reviendrait bientôt vers elle et vers la scène. Contente de sa prestation, elle s’intéressa enfin à ses admirateurs pendant que Terry entraînait rapidement sa compagne vers la sortie.

 

Fin du chapitre 6

© Dinosaura noël 2008