LE DUC ET LE PROJECTEUR
Par
Dinosaura

PREAMBULE

Ne vous êtes vous jamais demandé ce qui aurait pu arriver si ce maudit projecteur, source de tant de malheurs (et de controverses) était réellement tombé sur Terry ?

Je me suis amusée à imaginer cette petite fic.

Bonnes fêtes de fin d'année à tout le monde.

 

CHAPITRE 1

 

C'était l'effervescence sur le plateau. A l'approche de la première de « Roméo et Juliette », techniciens, costumières et acteurs s’agitaient dans le désordre habituel qui précédait les nouvelles créations de la troupe Hattaway. Chacun redoutait de ne pas être prêt à temps.

Terrence Granchester, le jeune espoir de la troupe observait cet incroyable remue-ménage en essayant de se concentrer sur son personnage. Le rôle de Roméo était son premier grand rôle et il tenait à prouver à tous ses qualités d’acteur. D’abord pour faire taire les mauvaises langues qui insinuaient qu’il n’avait pas obtenu ce rôle pour son talent, mais grâce à sa mère, la célèbre actrice Eléonore Baker dont il était le fils naturel, mais aussi pour Candy.

Sa chère Candy, l’élue de son coeur serait là pour la représentation et il voulait briller pour elle. Il lui avait envoyé une invitation pour assister à la première, ainsi qu’un billet de train pour venir à New York. Un aller simple, parce qu’il voulait qu’elle reste près de lui pour toujours. Elle était infirmière diplômée maintenant, elle pourrait sûrement trouver du travail dans cette ville. Mais s’il voulait la demander en mariage, il fallait être en mesure de subvenir à ses besoins, et pour cela il devait à tout prix asseoir sa carrière.

« Terrence, Susanna, en place tous les deux ! Hurla le metteur en scène.

- J’arrive, M. Hattaway, répondit le jeune homme en entrant en scène.

- Juste un instant, dit la voix de Susanna en provenance des coulisses. Nous avons un petit problème avec mon costume, ce sera réglé dans un instant. »

Susanna ! Elle était sa partenaire dans cette pièce et devait jouer le rôle de Juliette. Terry fronça les sourcils en repensant à la scène pénible qu’il avait eu avec elle quelques jours plus tôt alors qu’ils étaient seuls après les répétitions.

« Je t’aime, Terry ! Avait-elle affirmé. Et je ne te laisserai jamais ni à Candy ni à une autre ! »

Le jeune acteur avait alors compris que les regards énamourés que posait sur lui la jeune première n’étaient pas uniquement dus à son implication dans son personnage. Mais malgré la beauté de Susanna, il ne l’avait jamais regardée autrement que comme une partenaire de scène. Dans la vie, sa Juliette avait des taches de rousseur et un sourire espiègle; loin de l’esprit possessif que manifestait Susanna.

« Très bien, soupira M. Hattaway. Nous allons commencer sans toi, Susanna. Terry mets toi en place et commence ta tirade. Nous en profiterons pour régler les éclairages.

- Oh quelle gracieuse princesse ! Récita Terry. Elle rayonne d’une beauté éblouissante comme un bijou rare... »

L’acteur entendit un grincement en provenance des cintres, mais resta concentré sur sa scène. Du coin de l’oeil il vit sa partenaire sortir enfin des coulisses pour rejoindre sa place.

« Ai-je déjà été amoureux ? Continua-t-il. Non, cette princesse est la première. »

Un nouveau bruit de métal, puis un craquement sinistre retentirent, suivis du cri de la jeune actrice.

« Terry, attention ! »

Instinctivement, le jeune homme recula d’un pas en voyant Susanna se précipiter vers lui. Une ombre sinistre descendit sur lui. Il leva un bras pour se protéger mais trop tard. Un des projecteurs venait de se détacher et tombait inexorablement vers lui. L’image qui s’imposa à lui à cet instant fut celle de la femme qu’il aimait.

« Candy ! » Murmura-t-il avant que l‘objet ne s‘écrase sur lui.

Un silence de mort se mit à régner sur le plateau. Plus personne ne bougea pendant des secondes qui durèrent des heures. Puis ce fut à nouveau l’agitation, les cris, les pleurs, mais Terrence Granchester n’entendit rien de tout cela. Son corps gisait inanimé sous les débris du réflecteur.

 

-----oooOooo-----

 

Arrivée à la gare ce New York, Candy scrutait attentivement les visages qui l’entouraient. Elle souhaitait plus que tout retrouver le sourire de Terry. Depuis qu’elle avait reçu son invitation, il avait occupé toutes ses pensées. Même Albert se moquait d’elle tant elle parlait de lui à chaque instant. Pendant tout le voyage, elle n’avait cessé d’imaginer leurs retrouvailles, sans décider de l’attitude à adopter, et avait fini par conclure que mieux valait laisser les choses suivre leur cours. Terry avait promis de venir la chercher à la gare, mais elle n’apercevait sa haute silhouette nulle part et commençait à s’impatienter.

« J’espère qu’il n’a pas décidé de me jouer encore un de ses tours, maugréa-t-elle. Il va m’entendre s’il m’a oubliée ! »

Un instant elle crut le reconnaître dans une silhouette à demi dissimulée par un poteau, mais quand l’homme se retourna, elle découvrit un visage inconnu et fort peu engageant. Elle s’éclipsa avec quelque mot d’excuses et se dirigea vers la sortie. Toujours pas de Terry à l’horizon. Candy patienta de longues minutes sur le trottoir pendant que les autres voyageurs rejoignaient leur famille ou leurs amis, mais elle restait désespérément seule. Au bout d’une demi-heure, elle n’en pouvait plus d‘attendre. Après tout, le jeune homme avait peut-être été retenu au théâtre. La première était pour le lendemain, et ce devait être la panique là-bas. Elle était bien capable de se débrouiller toute seule. Elle connaissait l’adresse du théâtre, inscrite sur son invitation, et celle de Terry puisqu‘ils correspondaient depuis plusieurs mois. Contrariée, mais résolue à ne pas se laisser abattre, elle héla un taxi et lui donna l’adresse du jeune homme.

Elle emplit ses yeux de la vie trépidante de la grande ville, en écoutant d’une oreille distraite les commentaires du chauffeur, habitué à véhiculer des visiteurs venus d’un peu partout. Malgré ses bonnes résolutions, une sourde appréhension serrait le coeur de Candy quand la voiture s’arrêta devant un immeuble d’apparence modeste. Le bâtiment lui rappelait celui où elle vivait avec Albert, et cela la rassura un peu. Une femme balayait le perron et regarda avec curiosité cette jeune fille qui débarquait avec une valise. Elle régla sa course et demanda au taxi de l’attendre quelques minutes avant de s’avancer vers l’entrée.

« Vous cherchez quelque chose, mademoiselle ? Demanda la concierge.

- Oui, répondit Candy. C’est bien ici qu’habite Terrence Granchester ? Est-ce qu’il est là ? »

La femme fronça les sourcils, méfiante. Sans doute s’agissait-il encore d’une des nombreuses admiratrices de l’acteur. Elle en avait vu défiler beaucoup depuis qu’il habitait ici, et elle était devenue une sorte de cerbère qui écartait les importuns pour lui.

« Vous le connaissez ?

- Il m’a invitée à venir le voir. Je m’appelle Candice Neige André et...

- Mademoiselle André s’exclama la concierge, soudain tout sourire. Vous êtes la jeune personne qui lui écrit si souvent. Ne m’en veuillez pas, mais c’est moi qui lui monte son courrier, et j‘ai remarqué votre nom en tant qu‘expéditeur. Il était toujours si content quand il recevait une de vos lettres !

- Etait ? »

La voix de Candy se brisa. Pourquoi la femme parlait-elle de Terry au passé ? La contrariété qui l’animait se mua soudain en angoisse.

« Vous n’êtes pas au courant ? Continua la concierge. Il y a eu un accident au théâtre. Monsieur Terrence a été sérieusement blessé. Il a été transporté à l’hôpital dans un état grave.

- Quel hôpital, s’enquit la jeune fille dont l’esprit travaillait à toute vitesse. Je dois aller le voir !

- Je ne sais pas, avoua la femme. Mais vous devriez vous renseigner au théâtre. Ils le savent certainement. »

Candy la remercia brièvement et sans plus réfléchir, partit en courant rejoindre son taxi. Elle donna l’adresse du théâtre au chauffeur d’une voix blanche.

Pourquoi le sort s’acharnait-il ainsi sur eux ? Ils avaient été séparés au collège, elle l’avait raté à la maison de Pony et ils n’avaient pas pu se parler à Chicago quand il était venu pour la représentation de roi Lear. Et maintenant que tout semblait sur le point de s’arranger... Non, il était impossible qu’ils soient de nouveau séparés ! Tout irait bien, elle en était sûre. Terry était blessé, mais il était vivant. Elle saurait prendre soin de lui et ils seraient heureux. Elle était bien décidée à ne plus baisser les bras devant l’adversité.

En ce milieu d’après-midi, l’entrée principale du théâtre était fermée, mais il en fallait plus pour arrêter Candy. Elle demanda une nouvelle fois au chauffeur de l’attendre, contourna le bâtiment pour trouver l’entrée des artistes et se faufila derrière un technicien qui apportait un élément de décor.

Une intense activité régnait dans les coulisses à l’approche de la première. La jeune fille entendit des exclamations de voix et se dirigea vers l’endroit d’où elles provenaient. Le directeur de la troupe devait être en train de diriger les répétitions et il était le plus à même de la renseigner. Elle devait donc trouver la scène. Une femme sortit en courant et la bouscula.

« Vous ne pouvez pas faire attention ! S’exclama celle-ci. Et qui êtes-vous ? Vous n’avez rien à faire ici ! »

L’agressivité de la jeune actrice surprit Candy. Où étaient le ton posé et les inflexions charmeuses que Susanna avait utilisés autrefois pour la renvoyer de l’hôtel à Chicago ? Aujourd’hui elle ressemblait à une folle furieuse !

« Mademoiselle Marlow ? Je veux savoir dans quel hôpital se trouve Terry. »

Susanna reconnut enfin son interlocutrice. C’était cette fille qu’elle avait éconduite autrefois en la traitant de fan. Cette Candy qui occupait le coeur de son Terry ! Pourquoi était-elle là ? Décidée à se débarrasser de sa rivale, elle fit mine de ne pas la reconnaître.

« Seule la famille proche est autorisée à le voir, répondit-elle méchamment. Lisez les journaux si vous voulez de ses nouvelles ! »

Candy sentit la colère monter en elle. Elle s’apprêtait à répondre vertement quand un homme les rejoignit, visiblement contrarié.

« Susanna ! Cesse tes caprices ou je te remplacerai ! Stephen a besoin de toi pour lui donner la réplique ! »

L’attitude de la jeune actrice se modifia tout à coup. Elle se tourna vers le nouveau venu en affichant une mine contrite.

« Je ne cesse de penser à Terrence, M. Hattaway ! Jouer avec Stephen me fend le coeur ! Terrence et moi nous accordons si bien... ajouta-t-elle avec un regard en coin pour Candy.

- Karen peut te remplacer si tu ne veux pas jouer ! Elle connaît le rôle aussi bien que toi.

- Ne vous inquiétez pas, je vais y arriver affirma Susanna en baissant les yeux, effrayée à l’idée de se voir ôter le premier rôle.

- Alors, retourne immédiatement à la répétition et fais ton travail ! »

La jeune première obéit aussitôt non sans jeter un regard mauvais à Candy avant de s’éclipser.

Le metteur en scène se tourna enfin vers Candy et leva un doigt menaçant :

« Quand à vous jeune fille, je ne sais pas qui vous êtes, mais vous n’avez rien à faire ici.

- Vous êtes M. Hattaway ? Demanda Candy pleine d’espoir. Terry m’a souvent parlé de vous dans ses lettres. Je suis Candice Neige André.

- Ah, la jeune fille pour laquelle il a demandé un billet de faveur ?

- Oui ! C’est moi ! Je vous en prie, je dois absolument le voir !

- Il est à l’hôpital St Jacob, mais je ne crois pas...

- Oh merci ! S’écria la jeune fille. Merci beaucoup ! »

Et elle tourna les talons avant qu’il puisse ajouter quoi que ce soit. Il la regarda s’éloigner en courant et secoua la tête. Il avait de la peine pour elle et pour Terry, mais il avait bien assez de soucis sans se préoccuper des affaires de coeur de ses comédiens.

 

Fin du Chapitre 1

© Dinosaura noël 2008

CHAPITRE 2


Arrivée à l'hôpital St Jacob, Candy se heurta toujours à la même réponse : Seuls les proches étaient autorisés à voir M. Granchester. Abattue, elle se laissa tomber sur une chaise dans la salle d'attente. Elle ne voulait pas provoquer un esclandre car elle savait que le personnel ne faisait que son travail, elle était bien placée pour le savoir. Mais qui aurait pu être plus proche de Terry qu'elle ? Comment expliquer à ces gens indifférents ce qui les liait tous les deux ? Pourtant en pratique ils avaient raison : Elle n'était pas de la famille. Peut-être même la prenait-on pour une groupie avide d'approcher son idole, comme Susanna. Elle se demanda si la jeune actrice avait le droit de rentrer dans la chambre, elle. Si c'était le cas, elle la suivrait et verrait Terry coûte que coûte.

Elle en était là de ses réflexions quand une voix mélodieuse l'interpella :

« Candy ! C’est bien vous ?

- Madame Baker ! S’exclama Candy en reconnaissant la femme qui se tenait devant elle. »

Tout se bousculait dans sa tête. Eléonore Baker devait être très inquiète pour son fils. Voilà pourquoi elle était là ! Mais personne ne devait être au courant de leur lien de parenté, alors comment... Peu importait. Candy s’accrocha aux mains de la célèbre actrice comme à une bouée de sauvetage et supplia :

« Dites-moi comment il va, je vous en prie ! On m’a dit que je n’avais pas le droit de le voir...

- Calmez-vous mon enfant. Bien sûr que vous pouvez le voir, je vais m’en occuper. Ne restons pas ici, suivez-moi. »

Le coeur battant, Candy suivit Eléonore Baker au fond du couloir et pénétra derrière elle dans une chambre plongée dans la pénombre. Malgré le peu de lumière, elle reconnut immédiatement la personne étendue sur le lit et se précipita vers Terry. Il était pâle et inconscient mais respirait régulièrement. Elle se tourna vers la mère du jeune homme, interrogative.

« Que vous ont dit les médecins ?

- Un projecteur s’est décroché des cintres pendant une répétition et il a percuté Terry. Il a de nombreuses entailles à la jambe, probablement dues aux éclats de verre, un bras cassé et quelques côtes fêlées, mais ses jours ne sont pas en danger. Cela aurait pu être bien plus grave si c’était arrivé à quelqu’un de moins bien bâti ou de plus faible que lui. Mais ce qui inquiète les médecins c’est qu’il ne reprenne pas connaissance. Il est dans le coma depuis l’accident. Cela va faire huit jours ! »

Candy retrouva soudain ses réflexes professionnels. Elle prit le pouls du jeune homme et posa la main sur son front.

« Il n’a pas de température et le pouls est bon. Il va bientôt se réveiller, j’en suis sûre. Il suffit d’être patiente.

- Vous avez l’air de vous y connaître, constata Eléonore intriguée.

- Je suis infirmière. Terry ne vous l’a pas dit ?

- Non, mais nous ne nous sommes pas beaucoup vu depuis son retour. Et puis, il ne tenait pas à afficher notre lien de parenté, alors... Mais quand j’ai appris qu’il était blessé, j’ai tout envoyé promener pour être près de lui, et tant pis si notre secret est dévoilé ! »

Candy sourit. Eléonore aimait tant son fils. Comme elle aurait voulu avoir une mère comme elle !

L’actrice remarqua qu’elle n’avait pas lâché la main de Terry. Elle avait toujours soupçonné qu’il y avait plus que de l’amitié entre ces deux-là, son instinct de mère le lui disait. Avec tact elle décida de s’éclipser.

« Restez un peu avec lui. Je m’apprêtais à chercher un café quand je vous ai trouvée dans la salle d’attente. Je serai plus tranquille en sachant qu’il n’est pas seul. »

Candy lui lança un regard chargé de gratitude et s’installa sur une chaise près du lit, certainement celle qu’utilisait Eléonore. Seule avec Terry, elle redevint une femme amoureuse et porta la main du jeune homme à sa joue en lui parlant doucement. Si seulement il pouvait se réveiller !

 

-----oooOooo-----

 

Terry émergea lentement de la torpeur. Il se souvenait d’avoir appelé quelqu’un avant de sombrer dans le néant, et elle était venue. Puisqu’elle était là, il devait lui répondre, mais il n’était pas pressé. Il préférait prendre son temps pour revenir à la normalité. Peu à peu d’autres sons s’imprimèrent dans son esprit, d’autres voix aussi. Il en connaissait une depuis longtemps; depuis son enfance : sa mère ! Il se demanda pourquoi elle était là aussi mais cela lui fit plaisir. Les propos échangés par les deux voix restaient confus dans sa tête; mais leur murmure était apaisant et l’attirait. Puis elles se turent et il n’y eu plus que des bruits étrangers. Des pas, des chuchotements, le choc d’un objet qui tombait. Il régnait un tel calme !

« Ce doit être la nuit, conclut-il; satisfait d’avoir réussi à trouver cette explication. »

Mais il n’avait pas sommeil. Au contraire il voulait se réveiller. Il se concentra ensuite sur les odeurs. Elles étaient nombreuses et désagréables et il comprit : Il était dans un hôpital ! Incapable de comprendre ce qu’il faisait là, il décida d’ouvrir les yeux. Il était dans une chambre entièrement blanche, dans des draps blancs et tout son corps lui faisait mal. Une infirmière s’approcha de lui et lui sourit.

« Vous êtes enfin réveillé ! Je vais demander au médecin de venir vous examiner et prévenir votre famille et votre fiancée. »

Sa fiancée ? Cette idée donna pleine satisfaction à Terry et il subit le défilé de médecins et d’infirmières qui suivit avec un calme olympien. Il attendait. Elle allait venir, il suffisait d’être patient.

Les souvenirs revenaient doucement. Il se souvint de l’accident d’abord, puis des événements qui l’avaient précédés, les bons comme les mauvais.

 

Bientôt son attention fut attirée par un brouhaha dans le couloir. Les exclamations et les bruits de pas se rapprochaient de sa chambre. Il fit un effort pour tourner la tête vers la porte et afficher un sourire sur ses lèvres. Pourtant son expression aimable se figea quand il reconnut la personne qui entrait, suivie d’une meute de photographes.

« Susanna ?!

- Terry, mon chéri, je suis si contente que tu sois enfin réveillé ! J’étais morte d’inquiétude ! »

Elle s’installa sur le lit et se serra contre lui pendant que les flashes crépitaient. Terry faillit hurler tant ses côtes lui faisaient mal mais réussit à se dominer.

« Qu’est-ce que tu fais là ? Maugréa-t-il entre ses dents serrées par la douleur.

- Je suis venue m’assurer que tu vas bien, voyons !

- Et tu as besoin de te faire escorter par des photographes pour çà ? »

Susanna gloussa et se tourna vers les reporters avec une moue. Ceux-ci étaient aux anges en entendant la réflexion de Terry. Son caractère difficile était connu de tous et il prouvait par ses paroles qu’il avait retrouvé toutes ses facultés.

« Ton accident a beaucoup ému notre public, chéri. Il fallait les rassurer au plus vite, plaida Susanna. »

L’acteur était sur le point d’exploser. Il repoussa sa partenaire qui se collait toujours contre lui. Il s’apprêtait à chasser les importuns de quelques phrases bien senties mais n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche.

Fendant la masse des journalistes avec une autorité qu’il ne lui avait jamais vue, Eléonore Baker fit son entrée suivie de la minuscule silhouette de Candy, impressionnée.

La mère de Terry avait pris la jeune fille sous son aile et lui avait offert l’hospitalité. Elles avaient passé la majorité de la nuit à parler et à se raconter tous les événements qui avaient marqué leurs vies depuis leur dernière rencontre. Elles se sentaient aussi complices que si elles avaient vraiment été mère et fille. Elles prenaient le petit déjeuner quand l’hôpital avait appelé et prévenu que le patient était sorti du coma. Elles ne s’attendaient guère à trouver un tel remue-ménage dans la chambre de Terry.

« Que se passe-t-il ici ? Demanda Eléonore d’une voix puissante. »

Il y eut des murmures et quelques photos quand les journalistes reconnurent la grande actrice, puis les questions fusèrent. Habituée à manier la presse, Mme Baker eut tôt fait de pousser les curieux vers la sortie. Ceux-ci étaient aux anges. Entre la présence de cette vedette et la résurrection de l’espoir de la troupe Hattaway, ils avaient de quoi faire un magnifique papier. Sans parler de la romance avec la jeune première qui jouait Juliette.

Seule Susanna resta dans la pièce. Elle fixait Eléonore d’un air ébahi sans comprendre la raison de sa présence.

« Vous êtes Eléonore Baker ! Balbutia-t-elle. Mais que faites vous ici ?

- Je pourrais vous retourner la question, jeune fille. Est-ce vous qui avez amené ces rapaces ?

- Merci pour ton intervention, Maman, intervint Terry. Mais j’aurais pu me charger de les faire sortit moi-même/

- Maman ! S’exclama Susanne. Alors c’est vrai, vous êtes la mère de Terry. Je croyais que c’était une rumeur ! »

Pendant que les deux actrices se toisaient, Candy en profita pour s’approcher du lit de Terry. Elle prit sa main dans les siennes et lui dédia un sourire si tendre qu’il sentit son coeur fondre.

« Croire ne suffit pas, mademoiselle. Il vaut toujours mieux savoir, répliqua Eléonore. Par exemple je sais que Terry a besoin de repos et que votre irruption intempestive ne l’aide pas à se remettre.

- C’est vous qui avez interdit qu’on lui rende visite ?

- En effet, et je souhaite rester seule avec mon fils. Je vous demande donc de sortir. »

Susanna se mordit la lèvre et jeta un regard mauvais à Candy qui tenait toujours la main de Terry et semblait étrangère à tout ce qui se passait autour d’elle. Eléonore fit mine de ne rien remarquer et lui désigna la porte sans un mot. La jeune actrice n’osa pas insister et sortit en promettant de revenir le lendemain.

Mme Baker put enfin s’approcher de son fils. Elle aurait voulu le serrer sur son coeur, mais craignait de lui faire mal. Elle se contenta de s’asseoir avec précaution sur le bord du lit et saisit la main pâle qui dépassait du plâtre, puisque Candy n’avait toujours pas lâché l’autre, ce qui semblait convenir à son fils.

« Comment te sens-tu mon chéri ?

- Comme si un camion m’était passé sur le corps, sinon je vais bien, je crois. »

Il se tourna vers la jeune fille à ses côtés pour demander :

« C’est toi qui as pris soin de moi, Candy ?

- Je suis arrivée hier seulement, répondit-elle. Tu m’avais invitée, tu t’en souviens ?

- Pour la première de « Roméo et Juliette », oui. Donc je suis resté inconscient plus d’une semaine ! On dirait que je ne suis pas fait pour monter sur les planches. Et je ne pourrai pas non plus te faire visiter New York, Melle André. »

Candy se pencha pour déposer un baiser sur sa joue.

« La seule chose importante, c’est que tu te remettes sur pieds le plus vite possible.

- Elle a raison, intervint Eléonore. Tu auras d’autres rôles. Peut-être même pourrons-nous jouer ensemble. Je suis désolée, mais après la visite de ces journalistes, j’ai bien peur que notre secret ne soit éventé. Ils auront vite découvert ce que je faisais là en interrogeant le personnel de l’hôpital.

- C’est peut-être mieux ainsi, marmonna Terry, les yeux perdus dans le vide. »

Les deux femmes se regardèrent, interloquées. Le jeune homme leur semblait étrange tout à coup.

Un médecin fit irruption dans la pièce, contrarié.

« Mesdames, mon patient a eu assez d’agitation pour aujourd’hui. Je préférerais que vous le laissiez se reposer.

- Mais nous venons juste d’arriver, protesta Candy déçue.

- Il faut nous conformer aux instructions de la faculté, mon enfant, dit Eléonore en se levant. Puisque Terry est immobilisé, c’est moi qui vous ferai les honneurs de la ville. Vous êtes mon invitée.

- Ta mère m’a offert l’hospitalité, précisa Candy au jeune acteur. Ne t’inquiète surtout pas pour moi et guéris vite.

- C’est bien, constata Terry l’air absent. »

Elle déposa un nouveau baiser sur sa joue et suivit l’actrice qui s’en allait.

 

Fin du chapitre 2

© Dinosaura noël 2008

CHAPITRE 3

 

La première chose que fit Terry le lendemain fut de réclamer les journaux. Sa mère ne s'était pas trompée. Des photos de lui s'étalaient dans les rubriques du spectacle. Susanna apparaissait sur chacune d'elle. Les journalistes spéculaient sur la date de son retour à la scène, qui concorderait certainement selon eux avec celle de son mariage avec la ravissante Susanna Marlow, auréolée de son nouveau succès dans « Roméo et Juliette » dont la première avait eu lieu la veille.

Comme le soupçonnait Eléonore Baker, le fait qu’elle soit sa mère avait été découvert et ajoutait du piment à l’article. Le jeune homme sourit en imaginant la réaction de son père, le Duc de Granchester, si un tel article lui tombait entre les mains. Il s’était donné tant de mal pour cacher la vérité sur la naissance de son fils !

Mais aucun journal ne faisait la moindre allusion à Candy qu’on distinguait pourtant sur plusieurs photos, en retrait et comme effacée. Un peu comme si elle n’avait plus sa place dans sa nouvelle vie d’acteur.

Terry n’en pouvait plus de rester couché sans rien faire. Saisi d’un irrésistible besoin de bouger, il décida de se lever. Il réussit à sortir du lit au prix d’un immense effort et se mit debout. Sa jambe droite le faisait souffrir et il ne pouvait s’appuyer dessus. Il cherchait des yeux une canne ou une béquille pour s’aider quand la porte de sa chambre s’ouvrit à la volée sur une nouvelle visiteuse suivie d’une infirmière à la mine renfrognée.

« Je vous ai dit que M. Granchester ne voulait pas recevoir de visites, expliquait-elle.

- Et je vous ai dit que j’étais une de ses meilleures amies ! N’est-ce pas, Terry ? »

Stupéfait, le jeune homme regardait sa visiteuse. Elle était la dernière personne qu’il souhaitait voir aujourd’hui, ou n’importe quel autre jour.

« Elisa ! Tu es à New York ?

- J’étais venue assister à ta première. Je ne savais pas que tu avais été blessé, mais je suis contente de voir que tu vas mieux. »

Elle jeta un regard triomphant à l’infirmière qui s’avançait vers Terry pour le recoucher. Il la congédia d’un geste de la main. Devant son regard furibond, la jeune femme préféra ne pas insister et sortit pour prévenir le médecin.

Satisfaite, Elisa s’installa sur une chaise et arrangea les plis de sa jupe. Elle détailla la haute silhouette de Terry vêtu uniquement d’un pantalon de pyjama fourni par l’hôpital, et s’arrêta sur le bandage autour de sa tête.

« Tu te souviens de moi, Terry ? Demanda-t-elle soudain. »

Elle parlait fort et articulait soigneusement. Croyait-elle qu’il était devenu sourd ou débile ?

« Comment pourrais-je t’oublier, Elisa ! Je me rappelle très bien également que nous ne nous sommes pas quittés en très bons termes. Je suis d’autant plus surpris de ta sollicitude. »

Elisa fronça les sourcils. Elle détestait les hôpitaux et n’aurait pas fait le déplacement si elle n’avait pas lu les journaux du matin. En reconnaissant sur les photos sa rivale de toujours, elle avait piqué une de ses célèbres colères. Candy était à New York, près de Terry ! Elle ne savait pas exactement ce qui s’était passé entre eux, mais la voir ainsi reléguée au second plan lui avait mis du baume au coeur. Espérant en savoir plus, elle s’était précipitée ici pour recueillir des informations à la source et juger elle-même de l’état de Terry. Il semblait en pleine possession de ses moyens et toujours aussi séduisant. Finalement, elle aurait préféré le voir diminué ou défiguré. Son esprit machiavélique travaillait déjà à un nouveau plan pour se venger de lui et de Candy, et Susanna Marlow était un bon point de départ.

« Tu as fait une nouvelle conquête, d’après les journaux. Elle est mignonne. C’est de ton père que tu tiens ce goût pour les actrices ?

- L’aristocratie britannique sait jusqu’où aller trop loin, Elisa, répondit-il. Ce n’est pas ton cas. Évite de parler de ce que tu ne connais pas. Je mène ma vie comme je l’entend et avec qui je veux. Tu restes longtemps à New York ?

- Sans doute jusqu’à Noël, pourquoi ?

- Ma foi, comme tu sembles vouloir te mettre sur les rangs pour faire partie de mes nombreuses conquêtes, je préfère savoir.

- Goujat ! S’exclama Elisa. Pour qui me prends-tu ? Je ne suis ni une bonniche, ni une Marie-couche-toi-là ! J’appartiens à une famille riche et respectée.

- Moi aussi. Nous avons donc des points communs finalement. Je te ferai signe si je désire approfondir la question. Cela pourrait devenir intéressant. »

Vexée, Elisa se leva et sortit la tête haute. Une nouvelle fois elle avait été remise à sa place sans ménagement.

Resté seul, Terry essayait à nouveau de faire quelques pas quand le médecin entra. Agacé par ces constantes interruptions, il dédia au praticien un regard d’une froideur de glace.

« Que faites-vous debout, M. Granchester. Vous êtes loin d’être en état de vous lever. Vous avez encore besoin de repos.

- Comment voulez-vous que je me repose dans cet hôpital où on entre comme dans un moulin ! Je refuse de poursuivre ma convalescence dans ces conditions. J’exige de rentrer chez moi !

- C’est absolument hors de question. Je refuse de prendre cette responsabilité !

- Dans ce cas je vous signerai une décharge ! Je ne passerai pas une journée de plus dans cet hôpital.

- Je ne peux vous en empêcher, dans ce cas, mais vous prenez un gros risque. Votre état nécessite encore des soins et...

- Assez docteur ! Ma décision est prise. Qu’on m’apporte les documents à signer et laissez-moi partir. »

Une telle autorité émanait du jeune homme que le médecin en fut impressionné malgré son habitude des patients difficiles. Moins d’une heure plus tard il regardait s’éloigner l’ambulance qui emmenait un Terrence Granchester plus résolu que jamais.

Quand Eléonore Baker apprit la nouvelle en arrivant pour rendre visite à son fils, elle prouva qu’elle aussi savait faire preuve d’autorité. La merveilleuse actrice admirée de tous se transforma en un dragon crachant le feu.

« Comment avez-vous pu le laisser sortir dans son état ! S’exclama-t-elle en frappant sur le bureau du médecin-chef.

- Il a signé une décharge, Mme Baker et nous a bien fait comprendre qu’il ne souhaitait plus rester parmi nous.

- Un tel comportement est inadmissible ! Je vous préviens que s’il lui arrive quoi que ce soit, je vous en tiendrai personnellement responsable ! Terrence a encore besoin de soins ! »

Candy intervint pour essayer de calmer l’actrice. Jamais elle n’aurait soupçonné une telle fureur dans une personne aussi douce et sensible. Elle avait toujours cru que le caractère emporté de Terry lui venait de son père, mais commençait à en douter.

« Ne vous inquiétez pas, Eléonore. Je connais Terry. Je suis sûre qu’il est chez lui et regrette déjà sa décision prise sur un coup de tête. Mais il est trop fier pour reconnaître qu’il s’est trompé. Nous n’aurons aucun mal à le convaincre de revenir se faire soigner correctement. »

Mme Baker regarda la jeune fille si calme et se reprit. Candy lui apparaissait comme la solution évidente à son problème. Elle respira profondément et se tourna vers le médecin.

« Cette jeune personne est infirmière diplômée, annonça-t-elle en désignant Candy. Elle va veiller sur mon fils pendant sa convalescence. Je vous demande de lui indiquer très précisément les soins à lui prodiguer pour un prompt rétablissement. Pensez également à nous fournir les médecines nécessaires. Je règlerai la facture en sortant.

- Si M. Granchester peut bénéficier de soins à domicile, il n’y aura pas de complications. Mais il faudra revenir pour un contrôle régulièrement. Venez Mademoiselle, dit le docteur en se levant, je vous vous fournir toutes les indications indispensables. »

Avant que Candy ait pu protester, elle se trouva entraînée vers la pharmacie de l’hôpital sous le regard satisfait d’Eléonore.

Une fois dans la voiture, son paquet de médicaments sur les genoux, la jeune fille essaya une nouvelle fois de s’exprimer.

« Je ne peux pas m’occuper de Terry, Mme Baker. Je n’ai que cinq jours de vacances. Je dois retourner à Chicago. Mon ami Albert a besoin de moi.

- Je sais, mon enfant, vous m’avez expliqué qu’il avait perdu la mémoire. Mais son état de santé est satisfaisant, tandis que Terry n’est pas remis de ses blessures. Qui mieux que vous saurait prendre soin de lui ? De plus, je dois reconnaître qu’il n’a pas un caractère facile. Avec vous il n’osera pas refuser de se soigner. Il suffit de prévenir votre ami Albert, il comprendra. Je me charge d’arranger les choses avec l’hôpital où vous travaillez et je vous engage officiellement comme infirmière à domicile. »

Candy réfléchissait à toute vitesse. Passer plusieurs semaines auprès de Terry ! Elle en rêvait depuis longtemps. Pouvait-elle laisser échapper une occasion pareille de vivre près de celui qu’elle aimait ? Albert savait combien elle tenait à Terry, il pourrait certainement se débrouiller seul. Elle croisa le regard suppliant d’Eléonore et sourit : C’était le même que celui de Terry quand il voulait se faire pardonner. Décidément, ces deux-là se ressemblaient plus qu’ils ne voulaient l’admettre.

«  Vous avez gagné, Eléonore. Je reste.

- Vous êtes un ange, répondit l’actrice en la serrant dans ses bras, la perle rare qu’il faut à mon fils ! »

Gênée par le compliment, Candy détourna la tête et fit mine de s’intéresser aux rues animées qu’ils parcouraient. Bien qu’elle soit à New York pour la première fois, elle voyait bien que les quartiers qu’ils traversaient ne ressemblaient pas à celui où vivait Terry.

« Où allons-nous, demanda-t-elle.

- A Granchester House. D’après le planton de l’hôpital, c’est là qu’est allé Terry.

- Qu’est-ce que c’est ?

- C’est la demeure que possède la famille Granchester à New York. Une bâtisse immense qui doit avoir plus de deux siècles, et sinistre comme une prison ! C’est là que vivait Richard quand nous nous sommes rencontrés. »

Candy aurait aimé en savoir plus, mais l’évocation du père de Terry avait plongé sa compagne dans ses souvenirs et elle ne semblait pas vouloir s’étendre sur le sujet. La jeune fille garda donc le silence jusqu’à leur arrivée.

La maison se situait dans un des quartiers les plus cossus de la ville et était impressionnante. Elle lui rappelait un peu la demeure des André à Chicago, mais en plus sombre et plus inquiétant. Les volets ouverts et un filet de fumée s’échappant de la cheminée prouvaient que la maison était bien habitée. Les deux femmes descendirent de voiture et Eléonore actionna sans hésitation le lourd marteau d’argent qui ornait la porte d’entrée. Elles attendirent un bon moment dans le froid avant qu’un majordome entre deux âges ne vienne leur ouvrir. Il les regarda avec surprise et un profond dédain se peignit sur son visage quand il reconnut l’actrice.

« Mme Baker ! C’est une surprise de vous revoir.

- Pour moi aussi, Caleb. Je viens voir mon fils.

- Nous avons été heureux de l’arrivée de M. Terrence, mais il ne nous a pas prévenus de votre visite. »

L’homme leur barrait le passage avec autant de courtoisie que possible. Décidée à ne pas se laisser faire, Eléonore le repoussa gentiment de bout de sa main gantée et pénétra dans le vestibule suivie de Candy qui serrait toujours son sac de médicaments.

« Monsieur est dans le grand salon, précisa le majordome, mais je ne sais pas si...

- Moi je sais, Caleb. Alors quittez cet air pincé que vous aviez déjà il y a vingt ans et allez nous préparer quelque chose de chaud. »

Le majordome pinça le nez comme s’il venait de découvrir une mouche dans son assiette et se retira vers l’office pendant qu’Eléonore faisait signe à Candy de la suivre.

« Caleb était déjà au service de Richard quand je l’ai connu, expliqua-t-elle. Il ne m’a jamais beaucoup aimée, et je le lui rends bien. Venez, Candy. Allons tirer les oreilles de mon fils. »

 

Fin du chapitre 3

© Dinosaura noël 2008