Une amitié improbable
par Dinosaura

CHAPITRE 4

« Elisa tu m’embêtes ! S’exclama Daniel Legrand qui finissait de nouer sa cravate. Nous devions passer la soirée chez Stockton. Chez lui on s’amuse, au moins !

- Ta conception de l’amusement se limite à boire et jouer aux cartes, répondit sa soeur d’un ton méprisant.

- Tu oublies les filles ! Et justement sortir avec ma soeur et une infirme ne cadre pas avec ma définition d’une bonne soirée. »

Elisa le leva d’un bond et s’approcha de lui les mains sur les hanches.

« Je te remercie, c’est très aimable de ta part !

- Ce n’est pas de toi que je parlais, tu le sais bien. C’est Susanna. Depuis que tu la fréquentes, j’ai poussé sa carriole dans tous les endroits les plus ennuyeux de cette ville : au musée, au concert, au théâtre... Les gens vont finir par croire que je m’intéresse à elle !

- Eh ! Mais çà pourrait être une idée ! Si tu...

- N’y pense même pas ! L’interrompit Daniel en pointant vers elle un doigt menaçant. Ne vas pas imaginer un autre de tes plans tordus, déjà que celui-ci ne tient pas la route ! J’ai accepté de jouer le jeu pour te faire plaisir, mais je reste persuadé que tu vas te retrouver le bec dans l’eau une nouvelle fois. »

Boudeuse, Elisa se tourna vers le miroir pour vérifier sa coiffure pendant que son frère ajustait ses boutons de manchette. Son plan était pourtant sans faille. Depuis le départ de Terry en tournée, elle avait persuadé Susanna de ne pas rester seule chez elle à se morfondre. A force de cajoleries elle avait réussi à l’emmener dans plusieurs soirées officielles pour se distraire et se changer les idées, disait-elle. La jeune actrice avait accepté, mais refusait toujours de quitter son fauteuil roulant. Pourtant elle prenait goût à l’attention dont elle faisait l’objet, Elisa en était sûre. Elle comptait maintenant attaquer la seconde partie de son plan : Entraîner sa victime dans des soirées moins formelles et plus animées où elle serait bien obligée de porter sa prothèse. Il suffirait ensuite de s’arranger pour que Terry apprenne à quel point sa fiancée s’amusait pendant son absence pour qu’il réalise qu’elle s’était moquée de lui toutes ces années. Il mettrait fin à leur relation et le chemin serait libre pour Elisa. De l’avis de la jeune femme, c’était un plan imparable.

« Remarque, il y a aussi des avantages, reprit Daniel prêt à partir. Ma dernière conquête mourrait d’envie de me faire voir tout ce que pourrait m’apporter une relation avec une femme qui possédait ses deux jambes ! Quelle nuit !

- Épargne-moi les détails, s’il te plait ! »

Elisa jouait les prudes, mais une autre idée venait de germer dans son cerveau inventif. Si un type comme son frère pouvait obtenir les faveurs de femmes qui souhaitaient le consoler d’être attaché à une infirme, un homme aussi séduisant que Terrence Granchester devait crouler sous les propositions du même genre ! Il était difficile d’imaginer qu’il ne cède pas à la tentation. Que penserait Susanna d’une telle situation ? Songeuse, elle suivit Daniel pour quitter la maison.

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Susanna aussi achevait de se préparer sous l’oeil appréciateur de sa mère. Pourtant elle n’était pas sûre d’avoir fait le bon choix en acceptant de se rendre à cette soirée de bienfaisance. Le but de celle-ci était de réunir des fonds afin de fournir des prothèses aux soldats qui revenaient mutilés de la guerre en Europe. Pour cela elle avait été contactée par le comité organisateur qui estimait que sa présence et son exemple pourraient inciter les participants à plus de générosité. Son histoire était largement connue, et la voir remarcher serait une excellente démonstration de la justesse de la cause défendue. Mais cela obligeait Susanna à quitter son fauteuil, ce à quoi elle répugnait. Elle savait que son image d’infirme était la seule raison pour laquelle Terry restait près d’elle. Mais ainsi qu’Elisa l’avait dit, Terry n’était pas là et il ne pourrait que la féliciter d’avoir fait un tel effort pour une cause qui le méritait.

« Tu seras la plus jolie ce soir, s’extasia Mme Marlow. Tu as toujours été la plus jolie. Je suis heureuse que tu acceptes enfin de sortir de temps en temps. Il était dommage de voir toutes ces jolies robes se froisser dans les placards.

- Je préférerais sortir avec Terry !

- Mais il est parti encore une fois. Comment peux-tu être amoureuse d’un tel malotru ! Il n’a pas de bonnes manières et aucune considération pour toi. Ce n’est pas comme ce M. Legrand qui accompagne si gentiment sa soeur...

- Maman arrête ! J’aime Terry et il m’aime aussi. Nous allons bientôt nous marier. Tout le reste n’a pas d’intérêt pour moi. »

Mme Marlow ravala la réflexion qu’elle avait sur le bout de la langue. Plus le temps passait, plus elle se demandait si elle avait eu raison de céder au désir de sa fille de vivre avec cet acteur. Il était évident que la jeune femme se faisait des illusions quand aux sentiments de son prétendu fiancé. Mais Mme Marlow était faible devant les exigences de sa fille. Elle soupira simplement et l’aida à arranger ses cheveux magnifiques.

Susanna songeait à Elisa. Depuis qu’elle l’avait rencontrée, sa vie avait pris un autre visage. Enfant unique, elle n’avait jamais eu d’amie de son âge. Elle ne vivait qu’avec sa mère. Même ensuite, au début de sa carrière d’actrice si prometteuse, elle n’avait pas d’amie parmi les autres comédiennes. Elle mettait cela sur le compte de la rivalité latente qui existait dans la profession, sans songer que son caractère égocentrique y était peut-être pour quelque chose. Rencontrer Elisa Legrand avait été pour Susanna comme une révélation.

D’abord celle-ci lui avait apporté de précieuses informations sur la fille dont Terry avait été amoureux. La jeune actrice ne se doutait pas que tous les renseignements qu’elle avait pu recueillir avaient été arrangés à la sauce Elisa. Le portrait qu’elle se faisait de Candy n’était pas flatteur et cela avait renforcé son illusion : Après avoir fréquenté une fille au passé aussi trouble, Terry ne pouvait que lui préférer une femme qui le comprenait et le soutenait. Il était évident aux yeux de Susanna Marlow qu’elle était cent fois supérieure à cette gourgandine. Son cher Terrence avait été aveuglé dans sa jeunesse par cette aventurière prête à tout, mais elle lui pardonnait de grand coeur puisqu’il avait enfin ouvert les yeux.

Ensuite, Susanna avait été fascinée par la personnalité d’Elisa. Bien qu’elle ne veuille pas le reconnaître, le caractère entier et l’appétit de vivre de sa nouvelle amie l’impressionnaient. Elle avait vite compris que les distractions d’Elisa ne se limitaient pas aux soirées mondaines auxquelles elles avaient assisté ensemble. La jeune femme fréquentait également des cercles plus discrets où elle se livrait à des activités moins convenables. Susanna était effrayée et attirée en même temps par cette capacité à croquer la vie à pleines dents sans se soucier du qu’en dira-t-on.

Si Terry avait pu l’accompagner, sans doute aurait-elle accepté avec joie de vivre de la même manière insouciante. Mais Terry n’était pas là et Susanna s’ennuyait. Elle ne voyait aucun mal à se distraire un peu en l’absence de son fiancé. Il serait toujours temps de reprendre son rôle de femme-enfant quand il rentrerait. Après tout, c’est ainsi qu’il l’aimait.

C’est le coeur léger et bercée d’illusions que Susanna se rendit ce soir-là à la soirée qui allait changer totalement sa vie.

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Elisa préparait mentalement le texte de la lettre qu’elle enverrait le lendemain à sa famille à Chicago. Ce genre de réception entrait tout à fait dans le cadre des activités qu’elle pouvait raconter à sa mère et à la Grand Tante Elroy, contrairement à d’autres de ses distractions qu’elle préférait garder secrètes. Elle observait la salle avec attention tout en souriant avec l’aisance que donne une longue habitude. Elle avait découvert que Susanna Marlow jouissait d’une grande popularité parmi la jet-set et s’afficher avec elle lui permettait de rencontrer de nombreuses personnalités intéressantes. Pourtant aujourd’hui sa satisfaction se teintait d’une bonne dose de rancoeur. La jeune actrice attirait tous les regards depuis qu’elle avait quitté son fauteuil, éclipsant la volcanique rouquine et Elisa s’en trouvait dépitée. La beauté lumineuse de Susanna faisait paraître fades toutes les femmes de la soirée. Pour l’instant elle minaudait en compagnie de Jerry Harrigan, un jeune dandy compagnon de beuverie de Daniel. Ce soir il offrait l’image parfaite du jeune homme de bonne famille, mais Elisa aurait pu révéler sur lui des détails qui auraient fait voler en éclat sa réputation d’homme du monde.

Son regard fut attiré par une silhouette qui se faufilait discrètement sur le balcon et elle reconnut son frère. Intriguée elle le suivit en toute hâte et le trouva dissimulé dans un recoin sombre, la mine inquiète.

« Daniel ! Qu’est-ce qui te prend de te cacher ainsi ?

- Elle est là, Elisa ! La fille dont je t’ai parlé tout à l’heure. Celle qui fait des choses incroyable avec ses jambes ! Elle m’en veut terriblement de ne pas avoir repris contact avec elle. Elle est bien capable de provoquer un esclandre devant tout le monde.

- Et il vaut mieux pour le moment que Susanna ne soit pas au courant.

- Au courant de quoi ? »

La jeune actrice venait de les rejoindre sur la terrasse et n’avait entendu que la fin de leur conversation.

- Ce n’est rien, Susanna. Qu’avez-vous fait de votre charmant soupirant ?

- Ne détournez pas la conversation Elisa ! De quoi ne dois-je pas être au courant ? Essaieriez-vous de me cacher quelque chose ? »

Rendue méfiante par le conciliabule des deux complices, Susanna s’approcha d’eux. Elle s’appuyait sur une canne, mais sa démarche était assurée. Daniel sentit venir l’orage et choisit de se retirer discrètement. Il préférait essuyer les foudres de sa fougueuse conquête, plutôt qu’un règlement de compte entre sa soeur et Susanna. Elisa le regarda s’éloigner avec mépris : Le courage n’était pas le point fort de son cher frère. Tant pis pour lui, elle n’allait pas se gêner pour l’enfoncer. Elle entraîna son amie hors de vue de la salle de réception et chuchota avec un air de conspiratrice :

« Nous ne voulions pas vous en parler, mais puisque vous insistez... Voilà : Depuis que Daniel nous accompagne, il fait l’objet de l’attention de nombreuses jeunes femmes. Toutes le plaignent d’être avec une femme en fauteuil roulant.

- Et c’est çà qui vous dérange ! Qu’on prenne Daniel pour mon chevalier servant ?

- Vous ne comprenez pas Susanna. Malgré toute l’affection que je porte à mon frère, je dois reconnaître en toute objectivité qu’il n’a rien d’un Don Juan ! Or si un type comme lui suscite l’intérêt de tant de jeunes personnes, imaginez ce que ce doit être pour quelqu’un d’aussi célèbre et séduisant que Terry. Il ne doit pas manquer de propositions. Ce n’est qu’un homme après tout et...

- Vous insinuez que Terry me trompe ? Vous avez mauvaise opinion de lui à cause de la réputation qu’il avait quand vous étiez au collège.

- Vous m’avez dit qu’il avait changé, je sais. Vous devez le connaître mieux que moi. C’est vous qui savez comment il est avec vous, dans l’intimité, je veux dire. »

Elisa baissa les yeux sur sa dernière phrase, mais pas avant d’avoir noté la mine contrariée de Susanna. Le poison qu’elle venait de lui injecter n’allait pas tarder à faire son chemin dans l’esprit de la jeune actrice.

Celle-ci s’interrogeait déjà. Pour rien au monde elle n’aurait avoué à son amie que ses relations avec Terry étaient platoniques. Après tout ils vivaient dans la même maison depuis plusieurs années, et chacun s’attendait à ce qu’ils aient des relations intimes. Elle avait plusieurs fois essayé d’attirer le jeune homme dans son lit en espérant que cela hâterait la demande en mariage qu’elle attendait toujours, mais elle en avait chaque fois été pour ses frais. Si cela ne la dérangeait pas de rester chaste, elle doutait soudain qu’il en soit de même pour Terry. Elle avait vu nombre d’actrices utiliser leurs charmes pour obtenir un rôle, et savait que le monde du théâtre était propice aux aventures sans lendemain. L’avis de sa mère selon lequel tous les mâles étaient des porcs lui revint en mémoire. Après tout, il était fréquent pour les hommes d’avoir des relations en dehors du mariage. L’habitude était admise et ne portait pas à conséquences, contrairement aux femmes. Connaissant le caractère passionné de son fiancé, son abstinence paraissait soudain suspecte. Ce pourrait-il qu’il refuse de partager son lit parce qu’il trouvait ailleurs le moyen de satisfaire ses instincts ?

Susanna respirait de plus en plus fort comme la jalousie se frayait un chemin dans son coeur. Elle revoyait l’indifférence de Terry à son égard et le nombre incalculable de fois où il avait ignoré ses avances pour aller s’isoler dans ses appartements. Il était jeune et avait un tempérament de feu comme le prouvaient les colères qu’il était capable de piquer. La chasteté n’entrait pas dans son caractère. Le doute n’était plus permis : Le jeune homme la trompait, avant même leur mariage ! Susanna se prit à douter d’elle pour la première fois. Elle se savait belle. Le manque d’intérêt de son fiancé à son égard ne pouvait être dû à son manque de charme. A moins... Se pourrait-il que son handicap soit repoussant au point de lui ôter tout attrait ? Elle en était là de ses réflexions quand la voix empressée de Jerry Harrigan résonna à ses oreilles.

« Je me suis permis de vous apporter un verre de punch, Mademoiselle Marlow. Il fait une telle chaleur ici ! »

Le jeune homme l’avait entourée d’attentions depuis le début de la soirée et son insistance qui l’avait agacée jusqu’ici lui sembla soudain rassurante. Elle savait toujours plaire ! Il était temps que Terry s’en aperçoive. La seule interrogation était de savoir jusqu’où irait la dévotion de son nouvel admirateur. Elle accepta le verre qu’il lui tendait avec un sourire enjôleur.

Daniel était revenu et chuchotait à l’oreille de sa soeur qui rejoignit son amie, contrariée.

« Il se fait tard, Susanna. Il vaudrait mieux rentrer.

- Déjà, s’exclama Jerry. Mais Melle Marlow et l’invitée d’honneur, elle ne peut pas nous abandonner de si bonne heure ! »

L’actrice posa une main légère sur le bras de son chevalier servant dans un geste d’une délicieuse intimité.

« Je suis venue avec Elisa et son frère, expliqua-t-elle la mine contrite. Je vais être obligée de vous laisser...

- Mais je me ferais un plaisir de vous raccompagner, si vous le permettez. Nous pourrons ainsi profiter encore de votre présence. »

Elisa n’en revenait pas et ouvrait de grands yeux. Voilà que cette mijaurée de Susanna se permettait d’avoir plus de succès qu’elle ! Elle tomba des nues en entendant la jeune femme accepter la proposition de son nouveau cavalier d’une voix émue et les regarda s’éloigner bras dessus, bras dessous, comme si elle n’existait pas.

Fin du chapitre 4

CHAPITRE 5

Terry avait été de plus en plus nerveux au fur et à mesure qu'approchait la date de leur représentation à Chicago. Il pensait à Candy sans arrêt et son travail s'en ressentait. Il cherchait mille façons de lui exprimer ce qu'il éprouvait, mais aucune ne le satisfaisait. Que dire à une femme qu'on a laissée sans nouvelles pendant trois longues années ? La dernière image qu'il avait d'elle était son regard si triste quand elle lui avait dit adieu en sortant de la chambre de Susanna à l'hôpital. Plus jamais ensuite elle ne l'avait regardé en face, même quand il l'avait rattrapée dans l'escalier, elle ne s'était pas tournée vers lui. Il sentait encore le parfum de ses cheveux et la chaleur de son corps contre le sien. Comment un souvenir aussi doux pouvait-il lui faire aussi mal ?

Plus pénible encore était l'idée insidieuse qu'elle ne vienne pas. Il ne savait rien de sa vie depuis leur séparation. Et s'il était le seul à se torturer de la sorte ? Il lui avait fait promettre d'être heureuse. Elle pouvait avoir suivi son conseil. La pensée douloureuse d'une jeune femme accompagnée de son mari et venant le féliciter à la sortie de scène lui déchira le coeur. Comment réagirait-il si cela arrivait ? Il secoua la tête pour chasser cette idée importune. Le plus important était de la voir. Il fallait qu'elle vienne ! A ce moment il saurait quoi faire, du moins l'espérait-il.

Terry reporta son attention sur ce qui se passait autour de lui tandis que le train s'arrêtait en gare de Chicago. Il saisit son manteau et se prépara à sortir avec les autres membres de la troupe. Il prit une profonde inspiration en débarquant sur le quai. Des effluves de parfum et de sueur lui remplirent les narines, émanant des voyageurs pressés qui se bousculaient sur le quai. Il sentit aussi une odeur de frites et de hot-dogs, ainsi que de charbon et d'huile chaude. Ce n'était pas ce qu'il avait respiré de plus agréable dans sa vie, mais peu lui importait : Il était à Chicago et il inspirait le même air qu'elle. Quoi qu'il arrive, ce soir il serait fixé. Les doutes qui l'assaillaient depuis plusieurs semaines seraient dissipés. Son désir de revoir Candy était si fort qu'il avait refusé de revenir à New York pour les fêtes de Noël, malgré l'insistance de Susanna. Il n'aurait pu passer cette soirée particulière avec elle tout en ayant l'image de Candy si brûlante au fond de lui. Il était resté dans sa chambre d'hôtel à se morfondre sur sa misérable existence sans amour. Il atténuait son remord d'avoir laissé sa fiancée seule un soir pareil en se disant que si sa tentative de reprendre Candy échouait, il reviendrait vers elle définitivement. Mais cette perspective lointaine ne servait qu'à apaiser sa conscience. Pour l'instant tout son corps était tendu vers un seul objectif : Revoir celle qui hantait ses rêves depuis le jour où il l'avait rencontrée.

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Susanna avait passé la soirée de Noël seule avec sa mère. La décision de Terry ne l'avait pas surprise. Au fond d'elle-même elle sentait que sa vie était à un tournant décisif et bien qu'abattue, elle y avait vu comme un signe du destin. Elle avait écouté les récriminations de sa mère sur le manque de prévenance de son fiancé d'une oreille blasée. Bien sûr, elle avait laissé libre cours à sa colère et à sa rancoeur dans un premier temps. Il n'y avait qu'une raison pour que le jeune acteur refuse de la rejoindre pour les fêtes : Il devait déjà se trouver en agréable compagnie. Auréolé de succès, toutes les femmes lui tournaient autour et il n'avait que l'embarras du choix. L'une d'elles avait remporté le gros lot et se trouvait très certainement dans son lit. Peut-être même cette Candy qu'elle détestait de plus en plus. Elisa était retournée à Chicago pour Noël et elle assurait que la jeune femme, bien que prise par son travail au point de ne pouvoir partager la soirée en famille, était bien en ville. Or la troupe se trouvait encore à Pittsburgh. Mais peu importait à Susanna la femme qui retenait son fiancé loin d'elle. Quand elle serait Mme Granchester, elle saurait faire payer à son mari ses infidélités et son manque d'intérêt à son égard. Elle commençait même à avoir une idée très précise sur la manière de s'y prendre et savourait sa vengeance avec une joie anticipée.

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Candy se regarda une nouvelle fois dans le miroir. Sa tenue était magnifique ! C'était sur les conseils d'Annie qu'elle avait choisi cette toilette et le résultat était au-delà de ses espérances. La robe de soirée de soie crème agrémentée de parements bleus lui donnait l'air d'un ange descendu du ciel. Ses cheveux étaient élégamment relevés en chignon et agrémentés d'épingles à tête de perle pour s'assortir avec ses bijoux.

Depuis le matin elle se sentait oppressée, comme si quelque chose d'irréversible allait arriver sans qu'elle sache quoi. Elle redoutait plus que tout cette soirée au théâtre à laquelle elle avait finalement décidé d'assister. Pour cela elle avait accepté d'échanger son tour de garde avec une de ses collègues. Candy avait travaillé pendant les fêtes de Noël pour pouvoir disposer des soirées du 30 et du 31 décembre, et passer le réveillon avec ses amis.

Non, elle se mentait ! Depuis qu'elle avait appris la venue de Terry à Chicago, elle n'avait pensé qu'à cela. Son coeur n'avait pas hésité une seconde, lui. Il appelait cette rencontre de tous ses voeux. C'était sa conscience qui la retenait. La raison lui disait de ne pas provoquer le destin, de laisser les choses en l'état. Susanna avait besoin de Terry et rien ne pourrait changer cela. Elle avait renoncé à l'homme qu'elle aimait pour qu'il puisse accomplir son devoir et prendre soin de celle qui lui avait sauvé la vie. Susanna aimait Terry d'un amour aussi fort que le sien, elle en était persuadée. La jeune infirme saurait veiller sur lui et le rendre heureux.

Mais elle dans tout cela ? Candy souffrait toujours d'être séparée de celui qu'elle aimait. La grandeur de son sacrifice ne pouvait atténuer sa peine. Alors le revoir quelques heures... Elle voulait juste s'assurer qu'il allait bien, ensuite elle partirait. Elle n'était pas obligée de parler avec lui. Elle le connaissait si bien, qu'elle était sûre de savoir ce qu'il ressentait rien qu'en le voyant interpréter son rôle.

Et si elle se rendait compte que quelque chose n'allait pas ? Si Terry était malheureux, que ferait-elle ? Quand ils s'étaient séparés, il y a trois ans, ils ne s'étaient pas expliqués. Aujourd'hui elle le regrettait. Elle avait cru que la situation se passait de mots, mais elle se trompait. Elle avait toujours sur le coeur ce qu'elle n'avait pas eu la force de dire. Ce soir elle y arriverait peut-être. Si elle sentait que Terry n'était pas heureux, elle saurait lui expliquer la force qui l'avait poussée à le laisser à Susanna. Après tout, celle-ci avait Terry près d'elle pour le reste de son existence. Candy avait bien le droit de grappiller quelques instants de sa vie.

Elle entendit une voiture s'arrêter dans la rue et quelques minutes plus tard, on frappa à sa porte. Elle prit son étole de fourrure et ouvrit à son amie Annie.

Ravissante dans une tenue bleu saphir, celle-ci s'exclama :

« Dieu soit loué, tu es prête ! Désolée pour le retard, mais j’ai une bonne nouvelle. Non seulement Daniel et Elisa sont repartis pour New York, mais la tante Elroy ne se sentait pas assez bien pour nous accompagner. C’est donc un magnifique soirée qui s’annonce : Tu vas revoir Terry, et personne ne sera là pour t’embêter ! »

Candy esquissa un sourire timide, soudain moins résolue.

« Je ne suis plus sûre de rien, Annie. Je crois que je commets une erreur.

- Cesse de dire des bêtises ! Tu es splendide et tu vas assister à une merveilleuse pièce de théâtre. Tu te poseras des questions demain ! Maintenant nous devons filer avant qu’Archie ne s’impatiente. »

Sans plus de cérémonie, la brunette tira son amie par le bras en lui laissant à peine le temps de prendre son sac, et ne la lâcha pas avant qu’elle ne soit installée dans la voiture.

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Si Candy avait espéré passer inaperçue au milieu de la foule, c’était sans compter sur le sens de l’organisation d’Annie. Celle-ci avait réservé les meilleures places, presque au premier rang. De plus, l’absence des enfants Legrand et de la matriarche laissait des places vacantes à côté d’eux, et ce vide faisait ressortir leur petit groupe comme un objet précieux déposé dans un écrin.

L’air devint électrique dès que Terry monta sur scène. Candy ne voyait plus que lui. Il avait changé en trois ans. Il semblait plus grand, plus mûr. Mais sa voix était toujours la même, chaude et sensuelle. Elle faisait trembler la jeune femme plus sûrement que les tourments du prince du Danemark. C’était cette voix qui l’avait séduite en premier lieu, elle qui prononçait des mots moqueurs, pour l’instant suivant la surprendre par des compliments d’une gentillesse inattendue. Les larmes inondèrent les joues de Candy quand elle réalisa que cette voix chérie ne prononcerait jamais pour elle les mots tendres qu’elle rêvait d’entendre. Elle avait renoncé à ce bonheur quand elle l’avait laissé à Susanna. Elle devrait à tout jamais se contenter de ces phrases écrites par un auteur pour des comédiens interchangeables. Pourtant il semblait que chaque mot prononcé par le jeune acteur ne s’adressait qu’à elle et son coeur manquait un battement chaque fois qu’il tournait le regard vers elle.

Elle était là ! Il l’avait vue dès qu’elle était entrée, un peu nerveuse elle ne cessait de regarder autour d’elle. Puis quand elle fut assise à sa place, elle baissa la tête et fixa le sol jusqu’à ce qu’il fasse son entrée en scène. Dès cet instant il sentit une étrange chaleur s’emparer de lui. Candy ne le quittait pas des yeux. Loin d’être désagréable, la sensation lui procurait une étrange euphorie qui le transportait au-delà de son rôle et de ce théâtre. Jamais il n’avait donné autant de profondeur à son personnage. Il brillait de mille feux pour elle et grâce à elle.

Pourtant plus la représentation avançait, plus il sentait un étrange sentiment d’urgence s’emparer de lui. La jeune femme le regardait comme si elle ne devait plus jamais le revoir et Terry refusait d’en rester là. Il avait tant de choses à lui dire ! Il ne pouvait pas laisser échapper la chance qui lui était offerte ce soir.

Elle n’avait pas quitté sa place pendant l’entracte. Seul dans sa loge, il avait espéré qu’elle trouverait le moyen de venir lui parler mais la main délicate qui avait frappé à sa porte n’était pas celle qu’il attendait. Son angoisse n’avait fait que croître en écoutant les propos de sa visiteuse imprévue même si celle-ci avait tenté de le rassurer en lui promettant son concours. Tenaillé par ce pressentiment irrationnel, il se précipita vers sa loge dès le baisser du rideau. Il se changea à une vitesse record et contrairement à ses habitudes, abandonna sans ménagement son costume de scène sur un fauteuil, laissant à la costumière la tâche d’en prendre soin. Il devait atteindre les salons de la réception avant d’être assailli par les admirateurs.

Candy suivait Annie et Archibald comme une automate au milieu des spectateurs qui se dirigeaient vers les salons. Le joyeux brouhaha des conversations ne l’atteignait pas, l’esprit tout occupé encore de la vision de Terry et de son jeu magnifique. Le simple fait de l’avoir revu comblait son coeur de joie, et elle sentait monter en elle le désir puissant de prolonger ce merveilleux moment. Elle savait pourtant que ce serait une erreur. Lui parler, s’approcher de lui, sentir sa chaleur serait au-dessus de ses forces, elle en était sûre. Après l’avoir vu jouer ce soir, elle avait compris qu’il était en pleine possession de ses moyens. Mieux, une telle force et une telle assurance ne pouvaient être insufflées que par l’amour d’une femme, et cette femme était Susanna. Elle avait tenu parole : Elle avait fait le bonheur de Terry. Mieux valait s’en tenir à sa première idée et rentrer chez elle sans assister à la réception.

Pourtant tout semblait se liguer contre elle. Annie avait soudain égaré son sac et lui avait fallu un temps infini pour le retrouver sous son siège où il avait glissé. Ils étaient maintenant coincés dans la foule où ses amis rencontraient nombre de connaissances avec lesquelles ils échangeaient quelques mots polis. Ils avançaient lentement et la sortie paraissait s’éloigner au lieu de se rapprocher. Candy regardait nerveusement autour d’elle. La présence de Terry était presque tangible et le savoir si proche l’empêchait de respirer normalement.

En arrivant devant le vestibule qui conduisait à la réception, Annie se tourna vers son amie avec un air interrogatif :

« Tu n’as pas changé d’avis ? Viens donc t’amuser un peu. »

Candy secoua la tête en signe de dénégation, mais son visage se figea avant qu’elle puisse répondre. La silhouette qui fendait la masse des invités avec aisance pour s’approcher d’eux était reconnaissable entre toutes.

Son éternel sourire au coin des lèvres, Terry salua Archibald d’un signe de tête avant de baiser la main d’Annie avec distinction. Le temps sembla s’arrêter à l’instant où il se tourna vers Candy. Perdu dans le vert profond de ses yeux, il était incapable de prononcer le moindre mot. Maintenant qu’il la voyait de près, il réalisait à quel point sa beauté s’était affirmée. Son visage avait perdu les rondeurs de l’enfance tandis que son corps s’était féminisé. Elle était belle à damner un saint et il souhaita ardemment la prendre dans ses bras pour écraser les courbes douces contre ses muscles tendus à l’extrême. Elle levait vers lui un visage aux lèvres tremblantes, et il ne put s’empêcher de penser à leur douceur qu’il n’avait goûtée qu’une fois.

Le bruissement des conversations, les yeux insistants d’Archibald posés sur lui et le tumulte de son coeur qui battait à tout rompre dans sa poitrine, tout cela empêchait Terry d’aligner deux phrases cohérentes, mais son regard était plus éloquent qu’un long discourt. Les autres invités commençaient à les regarder avec curiosité et il finit par articuler d’une voix blanche :

« Je suis heureux de te revoir, Candy.

- Moi aussi, répondit-elle dans un murmure. Tu as été magnifique ce soir.

- Merci. Ne restons pas là, venez profiter de la fête. »

La réticence de la jeune fille fut immédiatement perceptible et son regard se tourna inconsciemment vers la sortie.

« Je ne peux pas rester, balbutia-t-elle. Je préfère rentrer...

- Oh que non, jeune fille, intervint Terry. Tu ne vas pas obliger nos amis à renoncer à une bonne soirée pour te raccompagner. A moins que tu préfères voir Archibald abandonner sa fiancée entre mes mains pendant qu’il te servira de chauffeur ? »

L’expression d’Archie indiquait clairement que cette dernière éventualité lui déplaisait souverainement, mais Annie entra aussitôt dans le jeu.

« Je serais ravie d’être ta cavalière, Terry !

- Je pensais prendre un taxi, marmonna Candy sans conviction. »

Terry fit comme s’il n’avait pas entendu, et lui prit le bras pour l’entraîner dans la salle. Ce fut comme si une décharge électrique lui traversait le corps dès qu’il la toucha, mais il glissa son bras sous le sien avec naturel pour ne plus la lâcher. Ils se retirèrent tous les quatre dans un coin et échangèrent des souvenirs de leurs années de collège comme de vieux amis. De nombreuses personnes s’approchaient souvent pour présenter leurs félicitations au jeune acteur. Ces fréquentes interruptions ne tardèrent pas à l’agacer. Dans ces conditions, il était impossible d’avoir une conversation sérieuse avec Candy qui de toute façon ne répondait que par monosyllabes et donnait l‘impression de vouloir s‘enfuir à tout moment. Ce fut Annie qui lui offrit la solution en s’accrochant au bras de son fiancé avec un sourire de séductrice qu’il n’avait jamais vu chez la timide jeune fille dont il se souvenait.

« Oh Archie, tu ne m’as même pas invitée à danser ! Laissons Terry et Candy discuter et emmène moi sur la piste ! »

Avec la courtoisie qui le caractérisait, Cornwell obtempéra et entraîna Annie au milieu des autres couples, tandis que Terry se promettait d’envoyer à son alliée de ce soir le plus gros bouquet de fleurs qu’il pourrait trouver, et tant pis si cela déplaisait à Archibald.

Un doux sourire éclaira le visage de Candy tandis qu’elle suivait le jeune couple des yeux.

« Dieu, comme elle est belle ! » Songea Terry dont le coeur battit un peu plus vite. La courbe de ses lèvres roses l’attirait comme un aimant et il sentit l’urgence d’alimenter la conversation avant de céder à la tentation.

« Ces deux là ne sont toujours pas mariés ? Demanda-t-il.

- Ils ont prévu de le faire ce printemps. Mais Archibald préférerait attendre la fin de la guerre, je ne sais pas pourquoi.

- J’ai appris que son frère était mort là-bas. J’en ai été peiné, c’était un type formidable.

- Il nous manque à tous. Mais son corps n’a jamais été retrouvé. Je crois qu’Archie et Patty n’ont pas abandonné l’espoir de le voir revenir.

- Peut-être est-ce pour cela que Cornwell veut attendre. Il espère voir revenir son frère une fois les hostilités terminées.

- Tu as sans doute raison. »

Candy leva vers son compagnon un regard étonné devant tant de compréhension de sa part. Terry ne l’avait pas habituée à ce genre d’attitude, surtout envers son vieux rival. Elle se sentit aussitôt happée par la profondeur des ses yeux bleus posés sur elle. Une étrange faiblesse s’empara d’elle et elle s’accrocha à son bras pour soutenir ses jambes flageolantes.

Le jeune homme posa la main sur la sienne et s’inclina vers elle. Il souhaitait prolonger ce moment de grâce où ils avaient pu échanger quelques phrases normales. Comme autrefois, elle se tenait près de lui sans crainte et la distance qu’elle avait instaurée entre eux était abolie. Désireux de pousser son avantage il suggéra :

« M’accorderas-tu cette danse ? »

Avant qu’elle puisse refuser, il lui encercla la taille de son bras et l’entraîna sur la piste sans se soucier des commentaires qui fusaient sur leur passage. C’était un précaution inutile car Candy était bien en peine de lui résister. Dès l’instant où elle avait croisé son regard rempli de promesses, elle n’avait plus été maîtresse d’elle-même. Elle flottait sur un nuage de félicité tandis qu’elle tournoyait sur la piste. Ses pieds touchaient à peine le sol. Danser avec Terry, enfermée dans le cercle protecteur de ses bras lui rappelait tant de souvenirs : Le festival de mai, les jours heureux passés en Ecosse... Elle aurait voulu que cette danse ne s’arrête jamais.

Ils n’avaient pas besoin de parler. Le regard chargé d’amour que Candy levait vers lui suffisait au jeune homme pour comprendre tout ce qu’ils ne s’étaient pas dit. Il savait qu’il la serrait un peu plus que ne l’exigeaient les règles de la bienséance, mais pour rien au monde il n’aurait renoncé à la joie de sentir son corps répondre si bien au sien. Ils étaient faits l’un pour l’autre. Il l’avait toujours su et l’absurdité de leur séparation s’imposa à lui comme une évidence.

Il s’arrêta brusquement comme ce jour où ils avaient dansé pour la première fois, et là encore, Candy trébucha et se cogna contre lui. Il raffermit aussitôt sa prise autour de sa taille et se pencha vers elle.

« Sortons d’ici, Candy, murmura-t-il. Oublions tous ces gens, ce soir est à nous seuls. »

Incapable de réfléchir, elle acquiesça sans un mot et se laissa guider vers le hall d’entrée. Le jeune acteur l’entraîna vers les coulisses maintenant désertes. Seuls quelques bruits lointains provenant de la scène indiquaient que les machinistes finissaient de démonter les décors, sinon ils auraient pu se croire complètement seuls. Le souffle leur manquait, mais leur course effrénée dans les couloirs mal éclairés n’en était pas seule responsable. Ne pouvant résister plus longtemps, Terry attira la jeune fille dans ses bras et la serra à l’étouffer.

« Tu m’as tellement manqué, Candy ! Si tu savais ! Murmura-t-il dans ses cheveux.

- Toi aussi tu me manques, tous les jours, avoua-t-elle. »

Durant un court instant de bonheur parfait, elle s’abandonna contre lui. Elle respirait son parfum poivré et laissait la chaleur du corps de Terry se répandre en elle comme si elle voulait l’emmagasiner par chacun de ses pores pour la garder au plus profond de son coeur. Puis elle tenta de se dégager, mais il la tenait toujours fermement.

« Nous ne devons pas céder à notre inclination, Terry. Tu sais que cela ne servirait à rien. Tu es lié à Susanna. Vous devriez être mariés depuis longtemps et nous n’aurions même pas cette conversation !

- Je ne peux pas, Candy ! Je ne l’aime pas ! C’est toi que j’ai toujours voulue !

- Mais elle a besoin de toi, Terry ! Tu le sais. »

Le reproche était perceptible dans sa voix, autant que dans ses yeux d’émeraude. Frustré, le jeune acteur la libéra enfin et se détourna pour frapper de toutes ses forces le mur derrière lui. Puis il resta immobile un long moment, les poings serrés, à essayer de retrouver sa maîtrise. Quand il se tourna vers Candy son visage était aussi impassible qu’un masque.

« J’étais prêt à jeter aux orties ma soi-disant responsabilité et à te demander de revenir près de moi, Candy. Mais ton sens de l’honneur est encore plus développé que le mien. Tu ne voudras jamais vivre avec moi en sachant que j’ai abandonné Susanna, n’est-ce pas ?

- Je voudrais être avec toi plus que tout au monde, reconnut-elle dans un souffle. Mais nous ne serions pas heureux dans ces conditions.

- Sommes-nous plus heureux ainsi ?

- Susanna t’aime. Si tu la quittais nous serions trois à souffrir. Elle en a assez enduré pour mériter un peu de ton affection.

- Ce ne serait qu’une illusion. Je n’éprouve rien d’autre pour elle que de l’amitié et de la reconnaissance.

- Tu es comédien, Terry. C’est l’occasion de le prouver. J’ai passé une merveilleuse soirée, mais je t‘en prie, n’essaie plus jamais de me revoir. C’est trop douloureux de te quitter ! S’il te plait, ferme les yeux et laisse moi partir... »

D’un geste tendre elle caressa sa joue du bout des doigts. Terry savoura la caresse légère et emplit ses yeux de l’image de Candy qui lui souriait. C’était ce visage rayonnant d’amour qu’il voulait emporter dans sa mémoire. Puis comme à regret, il baissa les paupières tout en sachant qu’elle ne serait plus là quand il les rouvrirait. Un bruissement de soie lui indiqua qu’il ne se trompait pas. Il était seul dans le silence de ce théâtre déserté, mais son parfum de rose flottait encore autour de lui et la chaleur de ses doigts était restée sur sa peau.

Fin du chapitre 5

CHAPITRE 6

ATTENTION : CHAPITRE RESERVE A UN PUBLIC AVERTI !

De retour dans sa chambre d'hôtel, Terry abandonna sa veste sur un fauteuil et se jeta tout habillé sur le lit. Il était épuisé : Physiquement, après sa prestation sur scène, mais surtout émotionnellement. Son dernier espoir venait de s'envoler ne laissant derrière lui qu'un délicat parfum de roses. Il ne lui restait plus qu'à retourner à New York et à demander officiellement la main de Susanna. La perspective de ce que serait le reste de sa vie était trop terne pour qu'il accepte maintenant de l'envisager dans tous ses détails. Adossé aux oreillers, il ferma les yeux. Les images d'un passé heureux envahirent sa mémoire, souvenirs d'une époque sans douleur et sans regret. Il serra les paupières un peu plus fort et fit appel à toute sa volonté pour les chasser. S'il les laissait prendre possession de son esprit, il craignait de sombrer dans un gouffre d'amertume dont il ne sortirait plus jamais.

Absorbé par la difficulté de la tâche, il n'entendit pas la porte s'ouvrir et se refermer doucement. Il ne réagit que lorsqu'une main fraîche se posa sur sa joue. La vision de rêve qui s'offrit à lui acheva de le priver du peu de raison qui lui restait. Il essaya de réagir, de se redresser, mais son corps ne lui obéissait plus. Tout ce qu'il était capable de faire était de soutenir sans ciller le regard vert qui se posait sur lui.

Elle avait troqué sa robe de soirée contre son uniforme d'infirmière et attaché ses cheveux sur la nuque en catogan. Quand était-elle arrivée ? Comment était-elle entrée ? Plus rien n'avait d'importance. Sa seule présence faisait se craqueler les murs de la forteresse au fond de laquelle il avait enfoui son coeur brisé. Encore incertain quand à la réalité du moment, il leva la main pour caresser l'or de sa chevelure. Elle s'en empara pour en embrasser la paume et le bout de ses doigts, l'un après l'autre.

Se rendait-elle compte de ce qu'elle était en train de lui faire ?

« Candy ! Gémit-il. Tu étais partie...

- Je n’ai pas pu, murmura-t-elle en se penchant vers lui. Pas sans cela... »

Quand les lèvres douces de la jeune femme se posèrent sur les siennes, Terry comprit qu’il était au bord de la folie. Comment la jeune fille espiègle de son adolescence s’était-elle transformée en cette sirène dont la bouche tendre frôlait son visage avec audace ? Son souffle tiède lui brûla la peau quand elle demanda :

« Qu’est-ce que dois faire pour que tu acceptes de m’embrasser ? »

Toute raison envolée, Terry l’attira contre lui. Encore incrédule, il couvrit ses traits délicats de baisers timides, depuis ses tempes translucides jusqu’à la ligne de son menton sans qu’elle oppose la moindre résistance.

Quand il explora de sa langue les replis ourlés de son oreille, la jeune femme pousse un léger cri de surprise noyé dans un soupir de plaisir qu’il vint cueillir sur ses lèvres entrouvertes. Terry eut l’impression de reprendre vie. Il se laissa aller contre les oreillers et Candy s’abandonna contre lui. La douce pression de sa bouche exprimait déjà son consentement. Exigeant, il l’investit totalement pour redécouvrir avec délice les saveurs oubliées de ce trésor qui lui avait tant manqué.

Candy ne tarda pas à répondre à son baiser. C’était délicieux et terrifiant tout à la fois. Un flot de sensations nouvelles l’entraînait vers un monde inconnu dont Terry avait la clef. Tout à l’ivresse de la découverte, elle laissa parler son instinct et noua sa langue autour de la sienne. Les mains du jeune homme glissèrent sur sa nuque et dénouèrent le ruban qui retenait ses cheveux. Aussitôt les boucles d’or se répandirent autour de leurs visages et les isolèrent du monde extérieur derrière leur rideau de soie.

Enivré par le parfum de fleurs qui l’entourait, Terry abandonna sa bouche pour enfouir son visage dans la chevelure odorante et Candy à bout de souffle posa sa tête au creux de son épaule. A coup sûr, le paradis ne pouvait pas être plus agréable que l’endroit où elle se trouvait à l’instant.

« Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? Demanda-t-il d’une voix étouffée.

- Je n’arrêtais pas de penser à toi, avoua la jeune femme. Imaginer que c’était la dernière fois que je te voyais était tellement dur ! J’ai décidé de me rendre à l’hôpital en espérant que le travail m’aiderait à te sortir de ma tête. Mais te savoir si proche... Je n’arrivais pas à réfléchir. Mes pas m’ont conduite ici sans que je m’en rende compte, et j’ai compris que c’était un signe. Je me suis souvenue de ce que tu avais dit ce soir. C’est toi qui avais raison ! »

Terry se laissait bercer par le son mélodieux de sa voix. Il la tenait dans ses bras alors que quelques instants plus tôt il désespérait de connaître un tel bonheur. Son coeur bondit à l’idée de l’avenir radieux qui s’annonçait avec Candy à ses côtés. Il posa son front sur celui de la jeune femme avec un sourire mutin.

« Moi qui pensais avoir été lamentable, ce soir ! Qu’ai-je donc dit de si intelligent pour t’ouvrir les yeux ?

- Cette nuit est à nous seuls, Terry. J’ai accepté que tu vives avec Susanna pour le reste de tes jours. J’ai bien le droit de lui prendre quelques heures de ta vie. Une seule nuit de bonheur, ce n’est pas trop cher demandé ! »

Ce fut comme si une douche glacée s’abattait sur Terry. Un froid polaire envahit sa poitrine comme il réalisait la portée des paroles qu’elle avait prononcées. Il rompit leur étreinte et la prit par les épaules pour l’éloigner doucement de lui et observer l’expression de son visage. Une légère rougeur avait envahi ses joues mais elle ne se déroba pas à son regard.

« Qu’est-ce que tu as dit ? Je croyais que tu avais renoncé à nous faire souffrir ! Je n’en peux plus de vivre sans toi et tu as avoué m’aimer aussi ! Je te promets de veiller à ce que Susanna ne manque de rien, mais j’ai trop besoin de toi pour te laisser partir maintenant. Reste avec moi, je t’en prie !

- Je ne peux pas, Terry ! Je me le reprocherais toute ma vie. Tout ce que je peux t’offrir, c’est cette nuit. Pour que le dernier souvenir que nous ayons ne soit pas celui d’une rupture. Donne-moi quelques heures de bonheur, que je puisse me les rappeler même quand tu seras loin de moi. »

Elle noua les bras autour de son cou et glissa les doigts dans les longs cheveux châtaigne qu’elle aimait tant.

Le jeune acteur sentait sa résolution faiblir et s’inclinait déjà vers elle pour un nouveau baiser passionné. Toute son éducation puritaine lui disait de la repousser, qu’il s’apprêtait à commettre un acte indigne d’un gentleman ! Mais son corps était d’un autre avis. Il avait enfin la possibilité de réaliser un de ses rêves les plus fous. Le sang qui battait à ses tempes annihilait sa raison. S’il ne la repoussait pas maintenant, il serait incapable de lui résister. Il la renversa sur le lit et se perdit un instant dans le spectacle de ses cheveux étalés sur l’oreiller. Il avait souvent imaginé contempler cette scène, mais les scénarii qu’il envisageait étaient différents.

Du bout des doigts il suivit le contour de ses lèvres et glissa jusqu’à la peau délicate de son cou. Terry arrêta la caresse en arrivant au premier bouton de son uniforme immaculé. La jeune femme gémit et voulut l’attirer plus près, mais il résista.

« Ne me demande pas de faire çà, Candy.

- Pourquoi ? Tu ne m’aimes plus ?

- Je t’aime plus que tout, Taches-de-Son ! Mais tu ne sais pas à quoi tu t’exposes. Parce que je suis fou de toi, je te désire comme jamais je n’ai désiré une femme. Le rêve de te faire l’amour hante mes nuits depuis des années, mais pas comme cela ! Je veux t’épouser, Candy, pas te déshonorer en faisant de toi ma maîtresse. Tu serais perdue de réputation par ma faute.

- Cesse de te tourmenter pour ma réputation, elle m’importe peu. Tu as pris mon coeur il y a longtemps. Je veux que tu prennes aussi mon corps parce que c’est la seule chose que je puisse t’offrir. Aujourd’hui et aujourd’hui seulement, oublions tout ce qui s’acharne à nous séparer. »

Elle dénoua son éteinte et laissa ses bras retomber le long de son corps. Terry se sentit aussitôt vide et abandonné. Attiré par les lèvres tremblantes de la jeune femme, il se pencha pour l’embrasser à nouveau mais elle l’arrêta en posant une main légère sur sa bouche avant de reprendre :

« Le marché est entre tes mains, Terry. Ne m’embrasse plus si tu ne veux pas le respecter. »

Ne plus l’embrasser, alors quelle était là, dans ses bras et que le parfum de sa peau emplissait ses narines ! Il s’empara de la main déliée toujours posée sur sa bouche et son pouce caressa doucement la peau si fine de son poignet. Les ombres qui traversaient le miroir bleu de ses yeux traduisaient le combat que se livraient sa raison et son désir. Mais la petite voix de la conscience ne faisait pas le poids face au tumulte de ses émotions. Comme un cancre relégué au dernier rang, elle n’était pas assez puissante pour se faire entendre. Elle finit pas se taire et reconnut sa défaite quand Terry embrassa les doigts délicats offerts à ses lèvres avides.

Toute à l’anticipation de ce qui allait se passer, la respiration de la jeune femme s’accéléra. Fasciné, l’acteur observa cette poitrine qui se soulevait à un rythme saccadé. Quand il réalisa que les trésors dissimulés par l’uniforme sage seraient bientôt à lui, un sourire carnassier se dessina sur son visage. Il plongea tel un oiseau de proie vers le cou de cygne qui l’attirait comme un aimant. Il pouvait sentir le sang de Candy pulser sous les lèvres et il suivit le chemin qu’il lui indiquait jusqu’au lobe de son oreille qu’il saisit entre ses dents. Il couvrit ses joues et son front de baisers fiévreux avant de reprendre sa bouche avec toute la passion qu’il avait réfrénée si longtemps.

Bien que Candy soit sûre de sa décision, elle comprit que la passion qu’elle venait de déchaîner dépasserait tout ce qu’elle avait pu imaginer. Une légère appréhension la saisit et son corps se crispa dans les bras de son aimé. Sa réaction n’échappa pas à Terry qui cessa ses assauts enfiévrés et s’écarta d’elle à regret. Il laissa ses doigts glisser du visage empourpré jusqu’à la taille fine, pour suivre ensuite la ligne de ses hanches et de sa cuisse fuselée. La caresse légère comme un souffle d’été fit naître sur son passage une étrange chaleur dans le corps de Candy, même à travers ses vêtements. Cette main subtile dessina la ligne de chacune de ses courbes, ralentit un instant sur sa poitrine palpitante avant de s’attaquer aux boutons de son corsage qui cédèrent l’un après l’autre. La bouche gourmande de Terry suivit le chemin de ses doigts et goûta avec délices cette peau au parfum de fleurs aussi douce que la soie.

Chaque centimètre de peau offert à ses lèvres le plongeait dans un vertige auquel il s’efforçait de résister pour le pas effaroucher le précieux trésor qu’il tenait entre ses bras. Il savait qu’il devait avancer pas à pas pour l’emmener au bout de ce voyage nouveau pour elle.

Candy gémit quand il couvrit de baisers la naissance de ses seins, le long de la dentelle de son sous-vêtement. Elle sentait que ses mains habiles avaient raison de tous les crochets et fermetures de ses vêtements, mais n’en avait cure. Seul comptait le délicieux délire qui s’emparait d’elle et faisait monter en elle des vagues de chaleur de plus en plus enivrantes. Ses bras frottèrent les flancs de Terry et elle le sentit frissonner sous la caresse puis s’écarter d’elle. Elle ouvrit les yeux pour le découvrir à genoux au-dessus d’elle.

Il lui ôta ses bottes puis l’obligea à soulever les hanches pour la débarrasser de sa jupe et de ses jupons. Le regard de l’acteur s’attarda sur les jambes gainées de soie avant que ses mains en dessinent la ligne parfaite. Quand ses doigts arrivèrent à la peau sensible de ses cuisses, juste au-dessus de la jarretière, le corps de Candy réagit et se contracta malgré elle. Il était si près de son intimité, là où naissaient les ondes de plaisir qui embrasaient sa peau. Avec des gestes d’un infinie lenteur, Terry se mit à lui enlever ses bas. Il caressait et embrassait chaque centimètre de peau qu’il dénudait et elle soupirait de bonheur, stupéfaite de l’extraordinaire sensation qu’il provoquait en elle. Il entreprit ensuite le chemin en sens inverse et elle gémit plus fort quand il s’attarda sur la peau plus sensible de l’intérieur de ses cuisses. Elle ne s’étonna même pas de son attitude impudique, les jambes ouvertes, tout ce qu’elle voulait était qu’il n’arrête surtout pas !

Terry lui saisit la main pour la redresser et elle se laissa faire sans résister. Quand elle fut à genoux devant lui elle remarqua à quel point il avait le souffle court et elle comprit ce qu’était le désir en contemplant le feu qui brûlait au fond de ses iris bleu outremer. Il prit son visage entre ses mains et se pencha vers elle pour murmurer :

« Je veux te donner plus que des souvenirs, mon amour. Ni toi ni moi n’oublierons jamais cette nuit, je te le jure. »

Il s’empara de sa bouche pour un baiser profond auquel Candy répondit avec bonheur tandis que ses mains habiles faisaient glisser son chemisier le long de ses bras qu’il caressa longuement. Son exploration minutieuse du corps de la jeune femme lui avait déjà révélé qu’elle ne portait pas de corset. Quand la caresse arriva à hauteur de sa taille fine, il fit passer le caraco par dessus sa tête d’un geste preste.

Terry retint sa respiration en découvrant les globes laiteux de sa poitrine pleine que Candy tentait de dissimuler avec ses mains. Il déboutonna sa chemise et s’en débarrassa avec rapidité. Il la voulait contre sa peau, maintenant. Il s’empara des mains de la jeune femme pour les poser sur son torse et entreprit de répéter sur le corps de son aimée tous les gestes qu’elle esquissait sur le sien en dessinant la forme de ses muscles. Les doigts tremblants, il effleura la pointe durcie de ses seins avec un gémissement rauque. Il avait tant rêvé de la toucher ainsi ! Oubliant qu’il s’était promis d’être patient, il enfouit sa tête dans la poitrine de Candy qui s’arqua contre lui avec un cri. La bouche insatiable de Terry semblait être partout à la fois. Il embrassait, léchait, mordait les seins magnifiques qui prenaient vie sous ses caresses furieuses. Enfin il glissa les mains dans la culotte de la jeune femme, pour pétrir ses fesses rondes avant de la défaire de ce dernier vêtement en l’allongeant sur le lit.

Essoufflée, elle le regarda ôter son pantalon et son caleçon. Le spectacle de sa virilité triomphante lui coupa le souffle, mais déjà il se couchait contre elle, une jambe en travers des siennes, comme s’il craignait qu’elle lui échappe.

Elle était nue près de lui, et Terry ne pouvait se lasser de contempler ce corps dont il avait si souvent rêvé. Mais l’image imprimée sur sa rétine n’était pas suffisante. Dans un émerveillement de tous les sens, il savourait son parfum et le goût de sa peau. Même les gémissements qu’elle ne pouvait plus retenir ravissaient son ouïe pendant qu’il explorait les secrets de son anatomie dans des caresses de plus en plus audacieuses.

Submergée sous ce flot de sensations nouvelles; Candy soupirait et gémissait sans retenue. Son corps qui se tendait vers son amant parlait un langage universel qui se passait de mot. Avide d’être touché, embrassé, chaque effleurement sur sa peau était plus délicieux que le précédent. Alors qu’elle croyait avoir atteint le sommet du plaisir, Terry trouvait de ses doigts un endroit encore plus sensible qui la faisait grimper toujours plus haut sur l’échelle de la volupté. Quand la main du jeune homme se glissa entre ses cuisses, elle s’ouvrit d’elle-même pour le laisser explorer à loisir les replis les plus secrets de sa féminité. Elle était au bord de l’implosion pendant que les longs doigts de l’acteur prenaient possession de son intimité.

La voir aussi réceptive à ses caresses exaltait Terry au delà de tout ce qu’il avait imaginé. Impatient de la combler, il retira sa main et sourit quand elle poussa un soupir de dépit. Il s’allongea aussitôt sur elle et Candy répondit à son attente en se tendant vers lui sans attendre.

« Regarde-moi, Candy, exigea-t-il tandis qu’il la pénétrait lentement. »

Il accrocha son regard vert et ne le lâcha pas comme il passait la barrière de sa virginité d’un puissant coup de rein. La douleur la transperça et il put lire un reproche dans ses yeux. Il l’embrassa doucement, la laissant s’habituer à lui. Bientôt elle répondit à son baiser et son corps se détendit. Il commença alors à bouger en elle, marquant de plus en plus vite le tempo dans la danse éternelle de l’amour. Malgré la frénésie qui s’emparait de lui, il resta attentif aux réactions de Candy, surveillant le moment où elle atteindrait l’extase. Quand elle cria son nom et s’accrocha à ses épaules, il cessa de résister et la rejoignit au sommet du plaisir avant de s’abattre sur elle, essoufflé et le coeur battant la chamade. Il lui fallut longtemps pour reprendre pied dans la réalité tant il se sentait comblé. Jamais il n’avait connu une telle plénitude avec aucune autre femme. Quand les battements de son coeur retrouvèrent un rythme plus raisonnable, il de détacha d’elle à regret et la libéra de son poids. Anxieux, il scruta son visage bouleversé.

Ébranlée par ce qu’elle venait d’expérimenter, la jeune femme se laissait porter par les délicieuses sensations qui refluaient lentement. Elle contempla le visage de son amant et lut dans son regard les doutes et les questions qui assaillaient le jeune acteur. D’un geste tendre elle repoussa quelques mèches brunes collées sur son front et lui sourit timidement, incapable de trouver les mots justes pour lui exprimer ce qu’elle ressentait. Cela fut pourtant suffisant pour Terry qui la serra contre lui à l’étouffer pendant qu’elle se blottissait dans ses bras avec bonheur.

« Oh Candy, murmura-t-il dans ses cheveux ! Pardonne-moi ma folie, mais c’est toi qui me mets dans un tel état !

- Ne regrette rien, Terry. Tu m’as fait découvrir beaucoup plus que je ne t’en demandais. C’était... magique, avoua-t-elle en cachant son visage empourpré. »

Terry était bien du même avis, à la différence que, plus expérimenté qu’elle, il avait pu apprécier à quel point la communion d’âmes et de corps qu’ils avaient partagée était unique. Il venait de comprendre la différence entre avoir des relations sexuelles et faire l’amour : En quelque sorte, pour lui aussi c’était une première fois !

« Tu es douce comme un ange. Faire l’amour avec toi est au-delà de tout ce que j’avais pu imaginer. C’est comme toucher au paradis.

- Ne blasphème pas ! S’exclama Candy en lui donnant un petit coup sur le bras. Soeur Maria nous parlait souvent des anges à l’orphelinat, et l’image que je m’en fais n’a rien à voir avec moi, surtout en ce moment ! »

Terry se redressa sur un coude pour la contempler avec tendresse.

« Mais je suis un mécréant, tu ne le savais pas ? Je maintiens que tu es mon paradis, assura-t-il tandis que sa main libre caressait la courbe de ses hanches et s’aventurait sur sa cuisse. Je voudrais rester ainsi jusqu’à la fin des temps, nu contre ta peau nue... »

La jeune femme s’écarta un peu pour le regarder avec reproche. La lueur de désir qu’elle découvrit dans ses yeux bleus la fit frissonner de plaisir. Le regard de Terry sur elle était aussi agréable que ses mains.

« Tu dois respecter ta part du marché, tu as promis...

- Si tu respectes la tienne, marmonna-t-il, perdu dans la contemplation de la poitrine pleine, offerte à sa vue.

- Qu’est-ce que tu veux dire ? Demanda Candy déjà troublée.

- Tu m’as offert une nuit, Taches-de-Sons, et elle est loin d’être finie, répondit-il en l’immobilisant sous son corps puissant. »

Ses lèvres gourmandes se posèrent sur les seins blancs qui l’attiraient irrésistiblement. Ils ne tardèrent pas à se dresser sous les taquineries de sa langue et la jeune femme gémit de plaisir, surprise des réactions de son propre corps. Rien de ce qu’elle avait lu ou entendu ne l’avait préparée à ce nouvel affolement de sens, et elle avait imaginé naïvement que l’acte d’amour se résumait à une seule étreinte suivie d’un sommeil réparateur. Elle avait même envisagé profiter du repos de Terry pour s’éclipser sans lui dire adieu. Mais le jeune homme ne l’entendait pas de cette oreille. Comme s’il avait deviné les intentions de Candy, il était bien décidé à ne pas la laisser lui échapper si facilement.

Il reprit sa bouche pour un baiser tendre et profond. Tout son corps fut secoué d’un tremblement de plaisir quand elle noua une de ses jambes autour des siennes et le caressa avec la plante de ses pieds. Il était clair qu’elle le désirait avec autant de force que lui et il reprit espoir. Avec une naïveté toute masculine, il s’imagina lui donner tant de plaisir, qu’elle ne pourrait plus envisager de se passer de ses caresses. Une nouvelle résolution au fond de ses yeux outremer, il entreprit de lui faire découvrir de nouvelles extases, décidé à marquer de son empreinte ce corps adoré qui réagissait si bien sous ses doigts.

Transportée dans un monde d’éblouissement, Candy se laissa guider avec docilité encore et encore vers ce qu’elle aussi considérait somme un paradis, mais un paradis qui n’appartiendrait qu’à eux. Elle décela bientôt les endroits du corps de Terry où il aimait être touché et embrassé. Son plaisir atteignit son paroxysme quand lui aussi fut incapable de retenir les gémissement de satisfaction qui naissaient dans sa gorge devant les audaces de la jeune femme. Fière de partager le même pouvoir, elle se soumit sans retenue aux désirs fous de son amant jusqu’aux premières lueurs de l’aube.

En ce matin du 31 décembre 1917, un pâle rayon de soleil les trouva dans les bras l’un de l’autre, épuisés et le corps rompu par leur dernière étreinte.

Comblé, mais faible comme un enfant, Terry savourait le poids de la tête de Candy sur son torse et le parfum de ses cheveux. Il trouva la force de resserrer la prise de son bras autour de son corps en la sentant bouger contre lui. Il se tourna vers elle et suivit la ligne de son nez du bout de son index.

« Mon ange aux taches de son, murmura-t-il dans un souffle. Je te promets... »

Vive comme l’éclair, la jeune femme le fit taire d’un baiser.

« Ne dis rien, implora-t-elle. Pas de promesses que nous ne pourrons tenir, pas de regrets qui viendraient ternir cette nuit que nous avons partagée. C’est notre anniversaire aujourd'hui. Nous nous sommes rencontrés un 31 décembre et nous sommes ensemble à la même date. Nous le serons toujours, chaque fois que tu y penseras. Je serai toujours près de toi, Terry, maintenant et à jamais, au fond de ton coeur. »

Désemparé, le jeune acteur la regarda se lever et prendre ses vêtements avant de disparaître dans la salle de bains. Il posa son avant bras sur ses yeux que blessait la faible lumière de ce matin d’hiver. Les larmes qu’il ne pouvait contenir roulèrent sur ses tempes. Il avait échoué ! Candy ne reviendrait pas sur sa décision. Après lui avoir offert le plus merveilleux des cadeaux, elle allait sortir de sa vie. Lui faire un scène ou la supplier ne servirait à rien, il le savait. Incapable de croiser une nouvelle fois son regard d’émeraude, il sortit du lit et s’habilla en toute hâte.

La chambre était vide quand la jeune femme quitta la salle de bains. Sur la table à côté de la porte se trouvait une enveloppe à son nom, posée en évidence. Elle trouva à l’intérieur deux alliances gravées à ses initiales et à celles de Terry ainsi qu’une carte où il avait écrit ce simple mot : Toujours.

Fin du chapitre 6

© Dinosaura mars 2009