Le Prince de la colline
par Beth

Je sortais à peine de l'enfance, et je me sentais déjà si seul et abandonné. Les riches habits que je portais, les somptueuses demeures dans lesquelles je résidais au gré des saisons et selon l'humeur de Tante Elroy, les soirées mondaines où les gens rivalisaient d'élégance, tout cela ne fit qu'accroître mon sentiment de solitude.

J'ai connu l'amour d'un père et d'une mère, mais je n'ai pas eu l'occasion d'apprécier cette affection. J'étais devenu orphelin très jeune. Pourtant je ne ressentais pas ce manque d'amour car ma tendre sœur Rosemary y pourvoyait.

Elle eut un petit garçon qu'elle appela Anthony. Elle me disait qu'il était tout à fait mon portrait lorsque j'avais le même âge, et qu'il deviendrait aussi courageux que moi en grandissant.

Le père d'Anthony était marin, de ce fait il était souvent en déplacement de par les mers et les océans, et était souvent absent. Ainsi, dès que je le pus, je passais mes journées en compagnie de ma sœur et de mon petit neveu. Notre bonheur résidait dans la simplicité de nos besoins. La compagnie de chacun nous suffisait. Nous étions l'une des familles les plus riches des Etats-Unis mais nos besoins restaient modestes.

Ma sœur aimait beaucoup la nature et les fleurs, et particulièrement les roses, ces fleurs si belles mais si fragiles et éphémères. Elle me transmit cet amour pour la nature.

Je voyais qu'elle était faible, mais je ne savais pas qu'elle était malade et qu'elle n'en avait plus pour longtemps. Elle ne voulait pas m'inquiéter car nous avions déjà perdu nos parents. Elle savait que cela déchirerait mon cœur d'enfant d'apprendre que la seule personne à laquelle je tenais le plus au monde allait bientôt partir aussi.

Je ne le savais pas mais je pressentais que quelque chose allait se passer.

Elle me dit un jour : "William, tu es un bon garçon, ton cœur est pur et juste. Prends bien soin de mon petit Anthony. Apprends-lui à devenir quelqu'un comme toi. Tu es fort et courageux, et je sais que je peux te faire confiance."

"Pourquoi ne veux-tu pas lui apprendre aussi ? Toi aussi, ton cœur est bon"

"Tu comprendras bientôt, William"

Quelques semaines plus tard, ma sœur s'en alla pour toujours rejoindre nos parents, me laissant seul au monde. Tante Elroy prit Anthony à sa charge en l'absence de son père.

Je restais inconsolable. Lorsque la douleur atteint quelqu'un, elle ne distingue ni l'âge, ni la condition sociale de cette personne. C'est la même souffrance que chacun ressent.

Je passais mes journées parmi la nature. De cette façon, j'avais l'impression que ma sœur était toujours à mes côtés. Je préférais la compagnie tranquille des animaux à celle des domestiques de la maison André. J'avais l'impression qu'ils me comprenaient et m'aidaient à surmonter ma douleur avec leur calme présence.

Les quelques roses que ma sœur avaient plantées s'étaient fanées. Elles semblaient s'être éteintes en même temps que Rosemary, elle qui était aussi fragile que les fleurs qu'elle aimait.

Ce fut dans la tristesse que je quittais l'enfance.

A l'approche de mes 16 ans, Tante Elroy estima que j'étais assez grand pour prendre officiellement en charge la direction de toute la maison André, épaulé par le fidèle Georges. Elle donna à cette occasion une réception en mon honneur et y convia tous les membres de la famille André.

J'aspirais à vivre librement et à être maître de mon destin et des choix que j'aurais à faire, je ne voulais pas qu'on m'enchaînât à des obligations dont je n'avais que faire. Elles étaient beaucoup trop lourdes pour moi.

La veille du jour de la réception, j'avais l'impression de vivre ma dernière journée de liberté. Comme à chaque homme de la famille André, on nous avait appris dès notre plus jeune âge à jouer de la cornemuse, tout en portant le kilt, costume traditionnel de l'Ecosse.

Ce jour-là, Tante Elroy me fit répéter le morceau que j'allais jouer le lendemain devant toute la famille André. Je n'arrivais pas à jouer, mon cœur était accablé par le triste avenir qui se profilait devant mes yeux.

Je demandai à Georges de m'emmener loin de la maison André, dans un endroit qui inspirait la sérénité et la paix, afin que je calmât le tourment de mon cœur. Il me fit découvrir une prairie aux couleurs verdoyantes ; il n'y avait personne aux alentours, et je demandai à Georges de me laisser seul un instant. Il me comprit et m'attendit. Je marchai dans cette merveilleuse prairie, me sentant si chanceux de pouvoir me ressourcer au milieu des papillons, des oiseaux, des arbres et des fleurs. Je pris ma cornemuse que j'avais emportée avec moi et me mis à souffler. C'était comme si avec chaque souffle s'en allait peu à peu le poids que portait mon cœur. C'est alors que je la vis, si petite et si jolie, et pourtant si triste aussi. Elle s'était recroquevillée sur elle-même. Elle entendit le son de la cornemuse et leva les yeux. Ils étaient remplis de larmes mais elle ne pleurait plus. Elle fut intriguée par mon accoutrement et en oublia son chagrin. Elle me posa de drôles de question, ce qui me fit rire. Moi aussi, j'oubliai pendant un instant ce pourquoi j'étais là. Je lui jouai un morceau de ma cornemuse et elle se mit à rire aussi.

Je suis certain que nous étions faits pour nous rencontrer. Ce jour-là, les chemins de nos deux cœurs remplis de tristesse se croisèrent et avaient besoin l'un de l'autre pour nous faire retrouver le sourire.

Les années ont passées et nous nous sommes retrouvés. Aucune femme n'est comparable à elle. Sa gentillesse naturelle, son dynamisme et son courage sont inestimables. Elle mérite d'être heureuse, mais le sort semble s'acharner contre elle. Le bonheur est-il interdit aux personnes qui ont le cœur pur ? Faut-il être un battant doublé d'égoïsme pour gagner ?

Candy, je te promets que je ne te laisserai jamais tomber. Ta volonté à toujours faire passer les autres avant toi t'empêche d'atteindre cette paix et ce bonheur que ton cœur te réclame si fort au fond de toi. Puisque tu sembles négliger ton propre bonheur, quelqu'un d'autre s'en chargera pour toi. Quel plus beau projet pourrais-je avoir ? Candy, quel doux nom…

© Beth octobre 2001