Noël à l'hôpital
Par Axie

 

Candy était sortie de l’hôpital pendant sa pause déjeuner. Le froid, de plus en plus mordant au fil des jours, incitait les autres infirmières à se restaurer dans leur salle de repos. Mais Candy était prête à braver les basses températures pour mieux retrouver la féerie de Noël. A l’intérieur de l’hôpital, seules de rares décorations rappelaient la proximité de cette fête. En revanche, les rues de Chicago offraient un spectacle dont la jeune fille ne se lassait pas. Tout en dévorant les sandwiches qu’elle s’était préparés, elle admirait les vitrines des magasins de jouets, les couronnes de houx sur les portes des maisons, les guirlandes et les cloches miniatures aux murs de certains bâtiments. A la fin de sa promenade, elle acheta à un marchand ambulant des marrons chauds et songea que bientôt, elle enverrait un colis de friandises à la Maison de Pony. La joie que lui procurait l’approche de Noël disparut dès son retour à l’hôpital. Flanny lui annonça : 

« Vite ! Nous avons besoin de toute l’aide possible ! Un accident de train a eu lieu et les blessés arrivent par dizaines ! »


Aussitôt, Candy se débarrassa de son manteau et se précipita pour aider ses collègues.

Trois jours plus tard, à la fin de son service, Candy décida de passer par le service pédiatrique avant de partir. Elle allait régulièrement voir les enfants, tâchant de leur faire oublier pour un temps leur détresse, et elle-même évacuait en les distrayant la tension accumulée. Il y avait à ce moment-là une petite patiente qu’elle n’avait jamais réussi à dérider. Grace Wells, une fillette de dix ans aussi blonde que Candy, avait été blessée pendant la catastrophe ferroviaire. Sa mère était depuis portée disparue, alors que son père était mort de puis plusieurs années.

A l’arrivée de Candy, Grace, l’air découragé, observait une page de journal. C’était la page où les photos des blessés non encore identifiés s’alignaient.

« Je ne vois maman nulle part, soupira Grace. Il faut dire que certains blessés ont la tête couverte de pansements ou de bandages. Ce n’est pas facile de reconnaître quelqu’un. »

Sentant la fillette sur le point de fondre en larmes, Candy passa un bras autour de ses épaules. Réconfortée, Grace dit, avec une note ténue d’espoir dans la voix : « Moi, je pourrais reconnaître maman si j’allais voir les blessés »

Candy objecta avec le plus de douceur possible : « Ils sont dispersés dans tous les hôpitaux de la ville. De plus, tu es encore trop faible pour sortir »

« Même quand je serai guérie, on me dira que je suis trop petite pour aller voir les autres blessés » prédit Grace en prenant un air boudeur.

« Certains sont tellement blessés que tu aurais peur. Moi, je suis habituée, mais toi… »

« Alors tu pourrais aller les voir ! l’interrompit Grace. S’il te plaît ! Je suis sûre que maman n’est pas morte et si on la retrouve, je te promets de guérir plus vite »

Comment résister face au désarroi d’une enfant qui veut retrouver sa maman ?

« Comment pourrais-je la reconnaître ? Tu l’as dit toi-même, beaucoup sont blessés au visage »

« Alors, il faudra regarder au niveau du poignet droit, déclara Grace en remontant sa manche. Elle a trois grains de beauté alignés là. Candy, est-ce que tu peux faire ça pour moi ? »

Candy accepta de se charger de cette mission, en se disant qu’il lui restait peu de temps pour exaucer le vœu de Grace : Noël aurait lieu dans huit jours.

Elle y pensait encore lorsqu’elle rejoignit Annie, Archibald et Alistair au bord d’un lac gelé pour patiner. Tous chaussèrent leurs patins et s’élancèrent, ravis de glisser sur la surface lisse. Candy déclara :

« Il ne manque plus qu’un peu de neige et mon bonheur serait presque complet »

« Ce n’est pas étonnant que tu souhaites cela ; nous avons été trouvées dans la neige » rappela Annie et Candy se réjouit qu’elle n’ait plus honte d’évoquer leur passé commun.

« Candy, pourquoi as-tu dit ‘presque’ ?, releva Archibald. Y a-t-il quelque chose qui te ferait plaisir mais qui te paraît hors de prix ? »

« Ce n’est pas quelque chose qui s’achète. Je voudrais offrir un peu de bonheur aux enfants de l’hôpital. Certes, la collecte de jouets a été un succès et chacun recevra un cadeau. Mais je voudrais tant qu’ils puissent oublier leurs souffrances le temps d’un spectacle »

« C’est vrai que Noël est aussi une période où l’on va beaucoup au spectacle, convint Archibald. Avant-hier, nous sommes allés voir le ballet Casse-Noisette tous les trois. Veux-tu que nous réservions des billets de cirque pour ta prochaine soirée de libre ? »

« Archie, je ne pense pas que Candy ait envie de voir des clowns. Après tout, elle en voit un chaque fois qu’elle se regarde dans un miroir »

« Alistair ! »  s’écria l’infirmière en se lançant à la poursuite du taquin.

Quelques mètres plus loin, tous deux ayant perdu l’équilibre, ils se retrouvèrent affalés sur le lac gelé, et cet entrelacs de bras et de jambes mêlés fit s’esclaffer Annie et Archibald.

Alistair et Candy se relevèrent et la jeune fille reprit la conversation interrompue : 

<< J’aurais voulu monter un spectacle pour les enfants. La directrice de l’hôpital a donné son accord. Mais je vais devoir y renoncer car j’ai accepté de chercher la mère d’une patiente »

Elle leur expliqua le cas de Grace, puis ajouta : 

« Vous, en revanche, vous pourriez vous occuper de ce spectacle que je ne peux pas donner »

Annie accepta d’emblée :

« Autrefois, j’ai tellement souffert de ne pas pouvoir aller au spectacle. C’est normal que je le fasse pour des enfants qui sont la même situation »

Alistair ajouta :  

« Donner de notre temps sera plus efficace que de donner nos vieux jouets »

Archibald était moins sensible qu’Annie et moins chaleureux qu’Alistair; il commença à paniquer à l’idée de se retrouver face à des enfants. Toutefois, les trois autres surent le convaincre de participer. Restait à se mettre d’accord sur le contenu du spectacle.

Les jours suivants, Candy continua ses recherches pendant son temps libre. Elle crut toucher au but lors de sa visite à la clinique Morrison. Lorsqu’elle expliqua le but de sa visite, elle fut conduite au chevet d’une rescapée non identifiée, encore si faible qu’elle ne reprenait conscience que pour de brefs instants et dont les blessures au bras empêchaient de distinguer d’éventuels grains de beauté. Dans son délire, elle avait demandé où était sa fille, sans préciser son prénom.
Malheureusement, les âges ne concordaient pas. Les médecins estimaient que cette femme était âgée d’une cinquantaine d’années. Il n’était pas impossible qu’elle ait eu un enfant à la quarantaine. Mais Grace avait indiqué que sa mère avait précisément trente et un ans. Il ne pouvait s’agir de Mme Wells.

Candy fut un peu plus déprimée lorsque, de retour à l’hôpital, elle apprit que David, un autre enfant blessé dans la catastrophe, avait fini par succomber. Elle eut alors un moment de doute et se demanda à voix haute : 

« Je me demande ce que je fiche ici »

« Tu fais un travail remarquable »

Candy se retourna, mais Flanny s’était déjà éloignée. C’était suffisant pour que le moral de Candy remonte en flèche. Malgré leurs désaccords, Flanny avait reconnu ses mérites. Ce devait être dû à la magie de Noël !

Le 24 décembre arriva. Candy n’étant de service que le matin, elle décida de visiter le dernier hôpital l’après-midi. Avant de partir, elle aida Annie, Archibald et Alistair à aménager la salle qui servirait de cadre à « l’après-midi récréative ».
Les enfants arrivèrent, certains en fauteuil roulant ou portés par des infirmières. Ils se sentirent rassurés après que Candy eut expliqué que ces jeunes gens étaient ses amis et c’est à peine s’ils remarquèrent son départ car, s’improvisant chefs de chœur, Annie et les deux garçons leur firent entonner des chants de Noël. La musique leur mit de la joie au cœur et c’est avec entrain qu’ils passèrent ensuite par chacun des ateliers, différents selon les compétences des animateurs.
Il y eut l’atelier dessin avec Archibald ( pour ceux qui n’avaient pas la force de tenir les crayons, il dessina ce qu’ils voulaient ), l’atelier coiffure avec Annie ( pour ceux qui avaient les cheveux courts, elle avait pris soin d’emmener une boîte pleine de chapeaux ) et les tours de magie d’Alistair qui se servait de ses connaissances scientifiques pour créer des illusions.
Pour finir, ce fut le clou de l’après-midi : le spectacle de marionnettes. Les enfants reconnurent l’humour de leur infirmière préférée. Ce n’était pas pour rien que Candy avait participé à l’écriture de l’histoire !

Pendant ce temps, à l’autre bout de la ville, Candy marquait un temps d’arrêt avant d’entrer dans le dernier établissement qu’il lui restait à visiter. Si Mme Wells ne se trouvait pas là, il y aurait de fortes chances pour qu’elle soit morte et il serait difficile d’annoncer à Grace que les recherches étaient restées vaines. Inspirant un grand coup, elle franchit la porte et expliqua une énième fois sa démarche à l’accueil.

A la fin de l’après-midi, Annie, Archibald et Alistair étaient occupés à ranger la salle qui leur avait été allouée lorsqu’ils virent revenir Candy.

« C’était merveilleux ! s’exclama Annie. Les enfants ont adoré et n’ont cessé de nous remercier pendant le goûter qui a été servi à la fin »

En effet, une table portait les reliefs d’un festin de pain d’épices et de chocolat chaud. Candy se servit une tasse du breuvage pendant qu’Archibald ajoutait :

« J’appréhendais un peu car je n’ai pas l’habitude des enfants. Mais tout s’est bien passé. Je suis encore ému de leurs remerciements »

« Et je vous remercie à mon tour ! » s’écria Candy.

« C’était le moins que l’on puisse faire. Après tout, rappela Alistair, notre famille a perdu deux de ses membres dans un accident ferroviaire de ce genre. C’étaient nos grands-parents maternels »

(Clin d’œil de l’auteure à … elle-même. Voir « La famille André », chapitre « Albert »)

« En tout cas, reprit Candy, je viens d’annoncer une merveilleuse nouvelle à Grace. Sa mère ne figure pas au nombre des tués. J’ai retrouvé la dame aux trois grains de beauté ! Dès demain, je l’emmène la voir »

C’est ainsi que la mère et la fille se retrouvèrent le jour de Noël. Candy expliqua à la fillette que Mme Wells n’avait pas repris connaissance depuis son admission, mais que son état s’améliorait de jour en jour. La femme dut percevoir les encouragements à mi-voix de l’enfant car, après une demi-heure d’attente anxieuse, elle ouvrit les yeux et reconnut sa fille, l’appelant par son prénom. Candy sortit pour leur laisser un peu d’intimité.

Dans le couloir, une fenêtre donnait sur l’extérieur. Candy s’y accouda en souriant de bonheur. Son sourire s’élargit en voyant, dans le crépuscule de décembre, voleter les premiers flocons de neige. Le ciel lui envoyait, telle une récompense, ce qu’elle avait souhaité le jour où elle avait accepté cette mission.

Fin

© Axie 2007