Roses rouges
Par Mercurio

Traduit de l'espagnol par Fatalzmarion



Note : Après "Retrouvailles dans le tourbillon", "A New York Story" et "La Trampa", j'ai le plaisir de vous faire découvrir pour la première fois en français la fanfic de Mercurio : ROSAS ROJAS (Roses Rouges)

Merci à Gentillefille de m'avoir envoyé le lien ...
Et comme toujours, merci à Mercurio de mettre son immense talent au service de notre plaisir !!

Bonne lecture ... et bonne écoute, la vidéo youtube qui est la chanson choisie par Mercurio pour illustrer cette histoire ... 



PARA VIVIR - Soledad bravo & Pablo Milanes & Silvio Rodriguez


A Yubia

Pour vivre
Souvent je t'ai dit qu'avant de le faire
Il fallait bien y réfléchir,
Qu'à cette union entre nous
Il manquait passion et désir

Qu'il ne suffisait pas que tu me comprennes
Et que tu te meures pour moi,
Qu'il ne suffisait pas que dans mon échec
Je me réfugie auprès de toi,

Et tu vois maintenant ce qu'il s'est passé
Finalement est née, au nombre des années
Cette lassitude énorme que je t'inspire
Et même si cela t'es pénible, il te faut me le dire

Pour ma part, j'attendais
Qu'un beau jour, le temps se charge de la fin
Et s'il n'en est pas ainsi
Je continue à faire semblant de te rendre heureuse

Et malgré les pleurs amères, je pense aux années
Que tu as pour vivre,
Que ma douleur est intacte et le pire
Est que je ne peux plus le sentir

Et maintenant essayer de rattraper
En de vains efforts, ce temps perdu
Qui nous abandonne sans pouvoir connaître
Ce que l'on appelle l'amour,
pour vivre.
Pour vivre.

Pablo Milanés



Le soleil se couchait dans des lumières dorées sur la montagne. La voiture allait arriver à la dernière courbe du chemin et Annie savait qu'elle pourrait bientôt voir la Maison de Pony à distance. Chaque mois, elle faisait le même voyage depuis Chicago pour voir ses deux mères et Candy. Peu lui importait le nombre de problèmes que lui causerait ce geste. Mme Brighton ne parvenait pas à se résigner à l'insistance de sa fille pour continuer à faire ces voyages qui, selon son avis, détruisaient tous ses efforts pour faire d'Annie une dame respectée en société. Cependant, la jeune fille avait appris qu'il n'y avait qu'en étant en relation avec son passé et en contact constant avec celles qu'elle aimait, que son coeur pouvait être en paix avec lui-même.

Bien vite, ces voyages ne seraient plus un problème, parce qu'elle serait mariée avec Archibald Cornwell et serait enfin juge de ses actes, sans devoir rendre des comptes à ses parents adoptifs. Pour cela, il manquait à peine deux mois et bien qu'elle ait travaillé dans les préparatifs durant presqu'une année, elle sentait qu'elle avait encore énormément de choses en suspens à régler avant cette date. Cela avait été précisément un des arguments de sa mère pour tenter qu'elle renonce à rendre visite à la Maison de Pony cette fois :

- Tu te maries dans moins de huit semaines et nous n'avons pas encore terminé ton trousseau. Tu pourrais au moins reporter ce voyage à plus tard, Annie.

Les tentatives de Madame Brighton avaient peu de valeur. Annie était convaincue que plus que jamais, elle devait à présent aller voir Candy. Dans le cas contraire, sa demoiselle d'honneur ne trouverait jamais le temps de voir la couturière et de commander la tenue qu'elle porterait au mariage. Simplement, l'obsession de Candy pour le travail était quelque chose qui exaspérait Annie.

- Elle devra donc prendre le temps de venir avec moi jusque Lakewood et prendre ses mesures – Se dit Annie en jetant un regard au paquet qui reposait innocentement sur le siège arrière de la voiture. C'était la soie de broca la plus belle qu'elle avait trouvée dans son magasin favori. Dans ces jours d'après-guerre c'était un véritable miracle d'obtenir de la soie chinoise et dans des quantités suffisantes pour en faire deux robes. Un paquet égal avait été envoyé en Floride pour Melle Patty O'Brien et l'autre serait pour Candy.
Annie sourit à nouveau. Une seconde plus tard, la Maison de Pony apparut à l'horizon.

Les morceaux de glace tintaient gaiement dans la carafe de thé glacé. Annie savourait la fraîcheur du liquide dans sa gorge en observant avec joie la pièce accueillante dans laquelle tant de fois étant enfant elle avait couru et joué. La salle de séjour de Melle Pony, avec les fenêtres vers l'ouest, était remplie de lumière pendant les dernières heures du jour et le parfum de la compote qui venait de la cuisine terminait de compléter le tableau familial qu'elle gardait dans sa mémoire depuis sa plus tendre enfance.

- Quelles conserves sont-elles en train de faire maintenant ? - Demanda Annie à Candy tandis que cette dernière se resservait à nouveau du thé dans son verre.

Ce sont des pommes et des airelles . Nos préférées – Sourit la jeune blonde en faisant un clin d'oeil - Monsieur Carwrigth nous en a apportées en suffisance pour tout l'hiver.

C'est très généreux de sa part – Observa Annie en parcourant la pièce du regard se rappelant d'une petite Candy jouant à se cacher dans l'armoire. Rapidement, ses yeux rencontrèrent un gros rameau de roses rouges avec le nécessaire de couture de Mademoiselle Pony-. Et ces fleurs ? - Demanda Annie intriguée, ce à quoi Candy répondit en soulevant les épaules.

Elles sont arrivées hier avec le courrier, Chose très étrange - Ajouta Candy sans mystère dans la voix.
Annie se leva de sa chaise et se dirigea vers la table où reposaient les flagrantes roses. Entre les feuillages, elle put distinguer une carte. Elle dirigea instinctivement à son amie un regard inquisiteur.

Elles me sont destinées - Expliqua Candy- tu peux le lire dans la carte.

Sans pouvoir résister, Annie ouvrit l'enveloppe pour y trouver une simple carte qui portait seulement le sceau du fleuriste et le nom de Candy sans expéditeur ni aucun message.

Cela ne dit pas qui les a envoyées - Commenta Annie plus intriguée et Candy en put éviter d'être amusée par l'expression de désillusion de son amie.

En effet. C'est pourquoi je te dis que c'est une chose curieuse – Ajouta la blonde en se mettant debout pour s'approcher de son amie.

Et qu'est-ce que tu penses faire ? - Demanda Annie.

Faire ? Pourquoi devrais-je faire quelque chose ? - Rit Candy.

Pour savoir qui est donc l'admirateur qui te l'a offert, évidemment - Suggéra Annie sans pouvoir croire le manque de curiosité féminine de son amie.

Et qui a dit qu'il s'agit d'un admirateur ? - Plaisanta la blonde

Qui pourrait t'envoyer des roses, Candy ?

Je ne sais pas ...peut-être un certain patient reconnaissant – Répondit simplement Candy. Une fois tous les quinze jours, la jeune femme accompagnait le Dr. Smiths dans ses visites à domicile à toutes les exploitations agricoles proches et la semaine qui suivait était seule sur les lieux où un patient potentiel pouvait solliciter des soins. Candy ne se faisait jamais payer pour ces services.

Si c'était ainsi il t'enverrait des fruits ou quelque chose comme ça, pas des fleurs. Regarde la carte, elles sont du seul fleuriste qu'il y a à Lakewood. Nous y allons, Candy ! Si tes patients ne peuvent pas te payer la visite que tu leur fais, moins encore pourraient t'envoyer un cadeau aussi cher - Répondit Annie en commençant à s'exaspérer du manque de romantisme de son amie.

En tous cas, c'est un admirateur très timide – Se moqua Candy en remettant la carte dans le bouquet – et je n'ai jamais aimé les hommes peu sûrs d'eux-mêmes. Je crains que nous en sachions jamais de quoi il en retourne. Maintenant, si tu veux bien m'excuser, je dois aller voir où en sont les conserves – Ajouta la jeune femme en se dirigeant vers la cuisine.

Demain nous examinerons cela – Insista Annie en suivant Candy vers les marmites frémissant de bouillonnement.

Et comment compte tu t'y prendre ? - Demanda Candy en levant les sourcils.

Tu as accepté que demain, nous allions à Lakewood pour voir la couturière. Non ? - Candy acquiesça sans comprendre le sens de la conversation – Bien, nous prendrons le temps de passer chez le fleuriste et saurons ainsi qui est l'admirateur timide qui t'a envoyé ces fleurs – Répondit Annie avec un geste de triomphe qui fit tourner les yeux de Candy se demandant jusqu'où irait l'imagination romantique de son amie.



- En effet Mademoiselle, je me souviens précisément de la commande que vous mentionnez – Répondit l'employée du fleuriste à la jeune fille. Le fleuriste pensait que sans doute il s'agissait d'une dame très importante. Il suffisait de voir le chapeau Parisien qu'elle portait et la robe de haute couture. La jeune fille blonde qui l'accompagnait devait être sa dame de compagnie sûrement – Elle était destinée à Mademoiselle Candice N. André, je m'en rappelle.

Exactement – Répondit Annie soulagée. Nous aimerions connaître l'identité de celui qui a envoyé les fleurs.

Et vous êtes Melle André ? - Demanda l'homme à Annie.

Non, mais ..... - Une pichenette discrète que lui offrit Candy sans que le fleuriste s'en rende compte, lui fit se rappeler qu'elle avait promis à Candy de ne pas révéler son identité. Il s'agit d'une amie à moi. Comme vous comprendrez, elle est très intriguée et m'a envoyée demander - il a dit Annie en pensant qu'elle ne mentait pas du tout.

J'en conviens tout à fait, Mademoiselle, mais je crains de en pas pouvoir satisfaire sa curiosité – Répondit l'employé en niant de la tête.

Voulez-vous dire que vous en pouvez pas révéler l'information à moins que mon amie ne vienne en personne demander ? - S'enquit Annie avec un sourire. Candy laissa seulement échapper un petit soupir d'ennui.

Non, Mademoiselle, il ne s'agit pas de cela. C'est que nous ne connaissons pas non plus le nom de la personne qui a envoyé les fleurs. La commande nous est arrivée de notre succursale en Indiana et ils ne nous ont pas fourni le nom de l'expéditeur.

Candy était assise face à sa coiffeuse se brossant simplement les boucles. Ses lèvres se plissèrent dans un sourire léger en se rappelant les événements du jour. Annie était infatigable quand il s'agissait de sortie d'achats et de visites chez les couturières. Son amie n'était pas satisfaite jusqu'à ce que chaque détail de la tenue de sa demoiselle d'honneur en soit choisi et réglé. Maintenant, il manquait seulement que la robe soit prête pour le premier essayage. Candy aimait les chapeaux de plumes et les colliers de Bruxelles comme toute jeune fille, mais utilisait beaucoup de son temps sans garder de place pour ces futilités. Non, la vie ne lui donnait pas le temps de penser à ces choses.

Avec Melle Pony et Soeur Maria qui faisaient des plans pour étendre les installations de la Maison de Pony, il en lui restait pas beaucoup de temps pour penser à ces frivolités. Les deux dames lui avaient confié plusieurs des responsabilités dont elles se chargeaient auparavant elles-mêmes, tandis qu'elles se consacraient à organiser les plans de leur développement. Candy savait qu'elle ne pouvait pas les décevoir. Donc elle s'occupait des enfants et de ses patients sans pouvoir garder beaucoup de place pour elle-même. Candy se regarda dans le miroir une fois de plus.

Elle devait avoir répété plus de mille fois à Annie qu'elle ne connaissait personne en Indiana qui pourrait lui avoir envoyé les roses. La pauvre Annie dû finalement se résigner à en jamais savoir qui avait envoyé les fleurs et Candy pensait qu'il était mieux de renoncer à toute tentative.

L'amour... - Soupira Candy en laissant la coiffeuse et en regardant par la fenêtre tandis que ses yeux verts se perdaient dans le ciel dégagé du printemps, parsemé d'étoiles. Cela n'a jamais été pour moi, c'est mieux ainsi.

- Candy, Candy ! - Appela Melle Pony.

Le jeune se leva du tabouret où elle était assise pour traire la vache. Elle prit la cuvette de lait et avec une caresse affectueuse au flanc de l'animal, elle s'écarta d'elle en se dirigeant vers l'extérieur de l'écurie.

- J'arrive, Mademoiselle Pony – Cria la jeune fille en marchant avec énergie vers la cuisine de la maison. À mi – chemin, la vieille femme sortit à sa rencontre.

- Est arrivé de nouveau du courrier - dit la femme avec un sourire espiègle dessiné sur son visage ridé que Candy aimait tant.

- Oh non, pas encore - Dit Candy en secouant la tête en commençant à rire intérieurement de l'émotion de Mademoiselle Pony chaque fois qu'il arrivait un nouveau bouquet de roses « On dirait que c'est à elle qu'elles sont envoyées. C'est tellement amusant » Pensa-t-elle, amusée.

- Et si, elles sont arrivées une nouvelle fois. C'est la quatrième semaine qu'elles arrivent sans faute chaque lundi et vendredi. Qu'est-ce que tu penses faire ?

Candy pensa que c'était une question que tout monde lui répétait trop souvent dernièrement.

- Les mettre dans un vase comme toujours - Répondit Candy en laissant le lait sur la table et en enlevant ses gants de travail. Ses yeux se posèrent à nouveau sur l'éternel bouquet de roses rouges.

- Tu ne vas pas voir la carte au moins ? - Demanda Soeur Maria en se mettant à bouillir le lait en feignant l'indifférence, mais pas suffisamment bien pour tromper Candy. « Elles paraissent deux gamines, » Pensa la jeune fille.

- Qui dira la même chose toujours - Répondit Candy avec tranquillité, mais en voyant le regard insistant de la religieuse, elle se dirigea vers le rameau et prit l'enveloppe qui reposait entre les feuilles.

- Bien. Seulement pour que toutes les deux soyez tranquillisées – Dit la jeune fille en souriant tandis qu'elle sortait de l'endroit. Toutefois, cette fois, l'histoire fut différente des semaines précédentes. Les yeux de la jeune fille s'ouvrirent avec surprise en fixant son nom.

- Elle dit quelque chose, Candy ? - Demanda Melle Pony intriguée en voyant l'expression d'étonnement dans le visage de Candy. Les yeux de la jeune femme restèrent cloués à la carte un instant, en silence. Donc, sans dire mot, elle tendit le papier à la vieille dame, qui la lut à haute voix et chargée d'étonnement :

“Seigneur de mon amour auquel en vasselage
ton mérite a fortement soudé mon devoir ;
à toi j'envoie par écrit ce message,
non pour montrer mon esprit
mais pour témoigner mon devoir :

Devoir très grand, qu'un esprit si pauvre que le mien ferait paraître nu,
par défaut de parole afin de l'exprimer;
en espérant que quelque idée heureuse venue de toi
dans la pensée de ton âme aura vêtu sa nudité ;

Jusqu'à ce que l'étoile qui conduit ma route brille sur moi
bienfaisante en bénéfique aspect,
et vête mon amour en loques, de beauté,
que je puisse être digne d'une attention douce :

Puissé-je alors m'enhardir à me glorifier de t'aimer –
jusque-là je cache ma tête là où tu peux me discerner” (1).

La vieille dame se tut et le silence plana entre les trois femmes. Sans dire plus, Candy sortit en courant par la porte arrière de la cuisine et se précipita sur le chemin en direction de la colline.

- La carte en dit un peu plus ? - Demanda finalement Soeur Maria en se remettant de son étonnement.
Non, seulement le poème – Répondit Melle Pony.

Pourquoi Candy est alors sortie en courant comme si elle avait le diable au corps ? - Demanda la religieuse, confondue.

Peut-être que la note lui dit quelque chose.

- Moi, il m'apparaît uniquement que son admirateur a un goût excellent pour la poésie - Répondit la religieuse en prenant les roses pour les mettre dans leur vase habituel.

- Je ne sais pas, ma Soeur, mais je en l'ai pas vue devenir aussi nerveuse depuis longtemps. Il est préférable de ne pas lui demander de parler davantage de lui ...

- C'est seulement une coïncidence - Se répétait Candy en arrivant en courant jusqu'aux pied de son arbre refuge. Non... cela ne peut pas se passer maintenant ... c'est impossible.

La jeune fille se laissa tomber à genoux sur le gazon. Alors elle commença à se sentir énormément fatiguée et la cause de sa fatigue n'était pas physique. Elle regarda ses mains dénuées d'ornementations et se les porta au visage. Elle pouvait encore sentir le parfum des roses entre ses doigts.

- C'est peut-être une plaisanterie de mauvais goût – Pensa la jeune femme en sentant qu'un liquide chaud roulait sur ses joues. Eliza a peut-être voulu s'amuser un peu à mes dépens ... Mais comment peut-elle savoir... ? Ce poème....

(1) Sonnet 26 de Shakespeare




Les jours continuèrent à passer et de nouveau l'inévitable visite d'Annie franchi à nouveau les portes de la Maison de Pony. Il restait seulement trois semaines pour son mariage.

Le jeune a observé depuis le premier moment de son arrivée qu'autre branche de roses rouges, jumelée de de ce qui est précédent, il continuait dans la table, mais la Mademoiselle Pony en lui faisant des signes à des dos de Candy a obtenu que la fille ne dise rien sur l'affaire.

- Je vois que l'admirateur mystérieux a continué à envoyer les mêmes fleurs - dit finalement la jeune fille à la vieille dame quand Candy partit rendre visite à ses patients pendant l'après-midi. Est-ce que Candy Candy à se persuader qu'il s'agit d'une erreur ou d'un simple geste de remerciement d'un quelconque ancien patient ?

Non maintenant, elle ne dit plus rien – Expliqua la vieille dame dans un soupir. Depuis que les cartes ont commencé à arriver avec plus que simplement le nom de Candy dessus.

Vous savez alors qui lui envoit ? - Demanda Annie, intriguée.

Non, ma fille. Les fleurs continuent à arriver sans expéditeur, mais – la vieille dame hésita un instant – Un jour, la carte comportait un poème qui a rendu Candy très soucieuse et depuis lors chaque fois qu'arrive un autre bouquet, celui-ci est accompagné d'un message cripté que Candy ne comprend pas et qui la rend triste ou de mauvaise humeur. Elle dit que ce n'est rien, mais elle ne peut pas nous tromper.

Annie se tut. Pendant un moment, son esprit arriva à la même conclusion à laquelle Mademoiselle Pony et Soeur Maria étaient arrivées, mais tout comme elles, elle l'élimina immédiatement. Cela ne pouvait pas être... et s'il en était ainsi, ce serait triste et regrettable.

Peut-être est-ce quelqu'un que Candy a connu autrefois – Osa-t- elle dire d'une faible voix. Peut-être quelqu'un auquel elle ne s'est pas intéressée et lui fait mal ressentir son insistance. L'homme s'en lassera et il la laissera en paix après un moment.

Peut-être, ma fille, peut-être – Répondit la vieille femme mais aucune des deux dames n'étaient satisfaite de l'explication.

La charrette avançait énergiquement sur le chemin de retour à la maison. La nuit chaude tombait déjà sur la campagne et les arômes printaniers peuplaient l'atmosphère silencieuse. Plongée dans ses méditations, Candy rentrait à la maison.

« En vain, j'ai essayé de modifier la direction de mon coeur. Je suis fatigué de cette entreprise qui m'est refusée. Pourrais-je peut-être revenir sur mes pas ? »

L'esprit de la jeune fille avait appris de mémoire chacun des messages reçus, se tourmentant à les répéter durant les heures silencieuses de la nuit. Chaque nouveau message la torturait, il la remplissait d'espoirs oubliés et la plongeait à nouveau dans le désespoir.

« Je n'oublierai jamais les premières particules de lumière illuminant ta silhouette sous le ciel estival »

Chaque mot parlait à son coeur en montrant des coins secrets de sa mémoire. Il n'y avait pas d'expéditeur sur les cartes, mais plus les différents messages arrivaient, plus ce nom étaient à chaque fois moins nécessaire.

« Je me rappelle les tombées du jour que nous avons vécu ensemble. Le souvenir des sons du vol des libellules. Je me souviens encore de l'odeur du romarin. T'en souviens-tu toi aussi ? »

Il y avait plusieurs jours qu'elle avait cessé de penser que cela était seulement un mauvais tour. Toutefois, bien que la certitude soit chaque fois plus forte, l'était aussi l'amertume de savoir que les obstacles d'antan existaient encore. Candy ne pouvait pas comprendre pourquoi ces messages avaient osé violer les distances pactisées.

« La pluie se fond sur la surface de la baie. Toutes les années passées se sont écoulées identiques dans ma mémoire et reviennent au dernier moment où je te t'ai vue... Toi, tout se réduit à toi. »

Et ce même dernier message avait fini un matin par la confondre encore plus :

« Il s'est passé 1216 jours depuis lors. Nous sommes aujourd'hui le 20 avril. Sous peu je cesserai de compter les jours. »

Candy savait que ce message insinuait un délai imprécis, mais un délai finalement. En même temps, elle convoitait et craignait le jour de son accomplissement.




Candy tambourinait la table avec sa main gantée. Elle aimait Chicago mais elle avait perdu l'habitude du pas agité des grandes villes. Elle détestait l'insistance prudente des occupants du café qui la scrutaient depuis son entrée dans l'établissement, pour savoir qu'elle était plaisante et cotée sur son héritage. Elle haïssait la pression du corset, le murmure des tissus amidonnés sous sa poitrine tandis qu'elle marchait et l'impossibilité de passer inaperçue quand elle portait son identité de fille des André.

Mais pour Annie elle était disposée à supporter tout cela avec élégance en sirotant le thé qu'on lui avait servi. Après tout, dans seulement quelques jours ce serait le mariage et ensuite elle pourrait retourner à sa retraite calme de sa vie dans les montagnes.

- Tu sais qu'il est agréable de te voir dans cette couleur – Lui dit Annie, fière de son choix. La mauve rosé est la couleur des blondes.

- C'est vrai ? - Demanda Candy distraitement.

- Et le chapeau que tu as choisi pour l'accompagné te fait ressemblé à un ange. Tu devrais t'habiller plus souvent de manière classique.

- Oui, sûrement je me verrais bien avec chapeau et gants quand je trairai les vaches ou laverai le linge de lit des enfants – Plaisanta la jeune femme avec ironie.

- Tu es impossible ! - Se plaint Annie s'est plaint en reposant la petite cuillère avec laquelle elle s'était servie un morceau de sucre.

Tournant les yeux, signal que la malicieuse Candy était sur le point de tirer la langue à son amie oubliant la tenue qu'elle devait garder en public, le serveur s'approcha d'elle avec un plateau d'argent.

- Melle Candice Neige André ? - Demanda l'homme.

- C'est moi – répondit la blonde simplement.

- Ce message est pour vous - dit discrètement l'homme en laissant sur la table une feuille de papier pliée en deux et en s'éloignant directement.

- Intriguée, Annie regarda son amie en l'interrogeant des yeux. Candy était paralysée.

- Tu ne penses pas lire le message ? - Demanda Annie intriguée.

La jeune femme ne répondit pas. Avec une main incertaine, elle déplia le papier. Les lettres ainsi tracées s'exposèrent à ses yeux. Chaque caractéristique et chaque trait parlaient d'eux mêmes. Les mots du message étaient seulement des détails. Il lui suffisait seulement de voir la lettre et savoir qui l'avait écrite pour comprendre tout avec une certitude totale.

« Je n'ai pas pu tenir la promesse que je t'ai faite. Je ne supporte plus cette distance. »

Candy leva le regard et chercha entre les tables du café. Elle observa la silhouette de chaque homme, elle suivit les lignes de chaque dos masculin et ne trouva pas l'angle particulier qu'elle cherchait. Il n'était pas, mais il avait été là.

- Qu'est-ce que cela dit, Candy ? - Insista Annie plus préoccupée par la pâleur du visage de son amie.

- C'est seulement une note de ... du directeur du restaurant - Répondit Candy en bégayant.

- Mais qu'a pu te dire le directeur pour te rendre aussi nerveuse ? - S'enquit Annie quelque peu sceptique et préoccupée par son amie.

- Il paraît qu'il connaît Albert - Improvisa rapidement Candy – Il veut lui envoyer ses salutations, mais....

- Mais quoi, Candy ?

- Et bien, c'est que je crains de compromettre Albert. Tout le monde s'approche de lui pour lui demander des faveurs - Expliqua Candy satisfaite de pouvoir produire une excuse cohérente. Annie, s'il te plaît. Payons l'addition et allons-y. Je ne veux pas que le directeur s'approche de la table pour solliciter de voir Albert.

- D'accord. On va faire ce que tu dis - Répondit Annie en se dépêchant de laisser un billet sur la table et se mettant debout comme Candy l'avait déjà fait et se dirigeait vers la sortie du restaurant comme si elle fuyait son pire ennemi. Pour la première fois dans sa vie, Annie sentit que Candy lui avait menti.



La robe reposait sur le mannequin, le repassage et l'amidonnage étaient faits à la perfection. Le bustier et ses brides en soie française et taffetas qui reposait sur la taille était le seul contact d'ornement sur la soie verte pâle. Candy savait que Annie avait choisi la couleur seulement pour faire ressortir les yeux de sa demoiselle d'honneur.

C'est curieux - Pensa Candy en s'installant sur le divan de la fenêtre, tandis qu'elle considérait sa tenue au milieu des ombres de sa chambre – J'ai peur de commencer à me sentir enthousiaste de toute cette affaire. - C'est mauvais signe – se dit la jeune fille – Il y a longtemps que je ne me rappelle pas m'être souciée de vouloir me faire aussi jolie. Je ne devrais pas permettre que ces pensées s'installent dans mon esprit. Je ne peux me permettre le luxe de la coquetterie ... Maintenant moins que jamais.

Elle détestait cette sensation inconfortable qui ne l'avait pas quittée durant les deux mois précédents. Alors que trois années sa vie avait passé calmes et tranquilles, pleine de projets quotidiens et de petits objectifs. Elle était parvenue à vivre étrangère aux palpitations et aux inquiétudes d'autres temps ... tout avait été ainsi jusqu'à l'arrivée des roses rouges, des poèmes, des notes et maintenant le message inquiétant qui lui avait livré ce serment.

Maintenant qu'il ne lui restait plus aucun doute de qui était derrière tout cela. Non, pas après avoir lu sa lettre imprimée avec un naturel impudique, avec caractère particulier dans chaque ligne du message. Il restait seulement à savoir pourquoi il avait décidé de rompre le silence pactisé de manière tellement mélodramatique.
La jeune femme ne put éviter qu'un sourire ironique se dessine sur ses lèvres. Il était classique chez lui d'utiliser ces ressources romanesques et si la situation n'était pas tellement triste, elle penserait sûrement que la situation était à la fois comique et flatteuse.

Mais telles qu'étaient réellement les choses, elle savait que toute cette charade pourvait seulement se terminer comme l'un des épisodes les plus heureux de sa vie. Quand il se déciderait à se présenter à elle, elle devrait faire ce qui serait indiqué ; renoncer et se laisser aller à nouveau. Finalement, tout serait un détsastre plus pénible que les précédents. Elle détestait cela. Elle le détestait d'être irresponsable et irrévérencieux et elle se haïssait elle-même parce que sa nature propre l'obligeait à ne pas perdre le sens de ce qui est correct.



- T'ai-je déjà dit que tu es une lumière tellement précieuse que mon coeur serait en danger de mort si tu n'étais pas ma fille adoptive ? - Sussura Albert à l'oreille de la jeune femme qui lui offrait son bras pour entrer à l'église.

- Mais si tu n'étais pas mon ami et mon frère, peut-être maintenant serais-je jalouse de toutes ces filles qui t'assiègent et avec lesquelles tu joues à ne pas te laisser cueillir- Lui répondit Candy heureuse d'adresser un sourire à son ami.

- N'en dis pas plus, Mademoiselle - Dit-il en changeant de sujet. Le témoin et la demoiselle d'honneur doivent faire une entrée triomphale en ce moment et je ne voudrais pas que l'un de nous arrive en retard – Répondit-il alors qu'il souriait de fierté à sa chère Candy dans le couloir central de l'enceinte.

La cérémonie fut pleine du charme et de l'émotion auxquels on s'attendait. Le fiancé était nerveux, la fiancée rayonnante ; sa mère pleurait en silence, son père brillait mélancolique et fier en même temps, le témoin fut sur le point d'oublier les alliances et la demoiselle d'honneur était tous sourires dans sa robe verte royale.... des sourires dessinés seulement superficiellement, des sourires même si personne ne pouvait le deviner étaient seulement le déguisement étudié d'une tristesse éternelle.

Il semblait que les promesses d'amour éternelles s'étaient liguées contre Candy.

« Archie et Annie ont voyagé ensemble durant un long chemin, » Pensa Candy en observant les regards de tendresse qu'échangeaient les fiancés face à l'autel. Elle savait que pendant les premières années, le coeur d'Archie n'avait pas disposé à ces fiançailles. Toutefois, la dévotion constante d'Annie avait fini par gagner son affection de la manière la plus ferme possible. Oui, Archie et Annie étaient unis par l'amour le plus pur et réel qui pouvait exister entre un homme et une femme. Son affection était une preuve indubitable que le coeur pouvait changer de direction.

Pourquoi alors cet autre coeur qu'elle croyait, jusqu'il y a quelques mois, étranger et éloigné, s'obstinait-il à se retourner vers des passions qui devraient être déjà mortes ?

Il était véritablement énervant que des considérations semblables lui ruinent le goût de voir consommée sa première grande victoire de “marieuse” ... et c'était un malheur horrible de jouir de ce moment en pensant qu'elle-même ne pourrait jamais occuper la place qu'Annie avait maintenant ...

« Dans une certaine manière cela a toujours été ainsi, » Pensa Candy gênée d'elle même « Elle a toujours fini par avoir tout ce qu'au moins une fois, j'aurais voulu pour moi, mais il est curieux qu'auparavant je ne me sois jamais véritablement sentie jalouse de sa chance....

“Je ne peux pas laisser mon esprit divaguer dans des considérations aussi tristes lors d'une occasion tellement heureuse”, se dit Candy en se remettant de son accès de regrets pendant la cérémonie religieuse, ce pourquoi elle s'engagea à s'amuser pendant la fête en dansant chaque valse et chaque polka de l'après-midi.

Plus d'un gentleman se laissa éblouir par la blonde élancée aux yeux vivaces qui était la demoiselle d'honneur de la nouvelle Madame Cornwell. Les invitations à danser ne se firent pas attendre, bloquant le carnet de la jeune fille.

Si Annie n'en voulait pas à Candy elle se sentit plus d'une fois dérangée en se rendant compte que son amie devenait le centre de l'attention. Toutefois, pour la romantique imagination d'Annie, c'était une occasion splendide pour que Candy rencontre l'homme de sa vie et oublie, une fois pour toutes, sa résolution ferme de se transformer en successeur de Mademoiselle Pony. Peut-être avec un peu de chance, elle serait l'heureuse élue qui attraperait son bouquet comme par magie et les choses se termineraient en beauté cette nuit même.

Toutefois, Eliza fut plus rapide et remporta le trophée floral le moment venu. Annie se retourna en cherchant le visage de Candy comme pour la récriminer de sa lenteur. Candy sourit seulement innocemment en levant les épaules, comme pour faire comprendre à son amie que quand Eliza voulait quelque chose, il n'y avait pas force humaine qui l'arrêterait.

« J'espère qu'elle sera mariée bientôt » Pensa alors Candy en riant de ses considérations, « Peut-être cela adoucira-t-il son tempérament. »

Quelque chose de suprêmement inhabituel, arriva alors qui interrompu les pensées de Candy et attira l'attention de toute l'assemblée. Les jeunes gens étaient encore en train d'admirer le beau bouquet orchidées et fleurs d'oranger qu'Eliza avait gagné, quand quatre des serviteurs de la maison André entrèrent au salon chargés d'un extraordinaire rameau qu'ils placèrent au centre du salon. Les voix coururent en spéculant si c'était un cadeau exubérant du fiancé pour sa jeune épouse, bien qu'il soit étrange que le jeune homme choisisse les roses rouges pour occasion pareille.

Un cinquième homme habillé d'un uniforme se trouvant à côté du bouquet demanda d'une voix haute et nette:

- Mademoiselle Candice N. André ?

« Non ce n'est pas possible! » Se dit Candy en souhaitant en ce moment que la terre s'ouvre sous ses pieds et l'avale complètement.

- Pour vous servir – Parvint-elle à dire, résignée à l'idée que l'affaire était maintenant du domaine public.

- Mademoiselle, ces quatre cent roses sont pour vous, celui qui vous les offre m'a ordonnée de vous dire qu'il attend quelqu'un depuis des mois devenus des années et des années devenues des siècles - dit l'homme en remettant à Candy une enveloppe après quoi il fit une révérence légère et sortit du salon en laissant après lui un sillage de murmures.

- Quel beau geste ! - se risquèrent à dire certains.

- Sûrement un admirateur désespéré - commentait une certaine dame en souriant derrière son éventail.

- Elisa ! Tu dois savoir qui est ce prétendant de ta cousine – Enquêta une jeune fille à côté de Mademoiselle Legrand.

- Je ne le sais pas, et cela ne m'intéresse pas – Répondit Elisa avec dédain - il s'agit sûrement d'un type extravagant et d'un mauvais goût pour faire un tel étalage public... et juste lors du mariage d'Archibald. Quelle vulgarité!

Les murmures continuaient et Candy restait au le centre du salon en serrant entre les mains ce qui venait de lui être livré. Pendant une seconde, elle ne sut pas si elle devait rire, pleurer ou laissez libre cours à toute la colère que ce déploiement public lui avait causée. Toutefois, quelque chose dans le fond de sa raison fit appel à sa tenue en lui rappelant qu'il s'agissait de la fête de mariage d'Annie et d'Archie. La dernière chose qu'elle voulait était qu'elle soit ruinée par cette exhibition mélodramatique.

- Bon, il semblerait que quelqu'un tienne à se faire remarquer ce soir – Dit la jeune femme en s'adressant à l'assemblée avec un semblant de sérénité. Je ne crois pas que nous devions lui donner trop d'importance quand ce qui nous réunit aujourd'hui ici est un motif bien plus significatif - et en disant ceci Candy prit une coupe de champagne du plateau que portait l'un des serveurs - Je propose un toast. Soulevons nos verres et buvons la santé de l'amour véritable et à celle de Monsieur et Madame Cornwell.

Tout monde seconda la suggestion et un moment plus tard, l'assemblée dansait à nouveau en abandonnant l'incident inhabituel qui devint seulement un sujet de conversation sans interrompre la joie de la fête.

- M'accorderais-tu cette danse - dit une voix connue dans le dos de Candy et les épaules de la jeune fille relâchèrent alors leur tension en l'entendant.

- Maintenant plus que jamais – Répondit la jeune fille en se retournant pour prendre la main que Albert lui offrait. Ainsi, avec le plus grand naturel, tous les deux commencèrent à se déplacer au rythme de la musique.

- Je dois te dire que je suis fier de la manière par laquelle tu as manié la situation – commenta le jeune blond.

- Que pouvais-je faire de plus ? Nous n'allions pas rester là à ne rien faire toute la soirée en spéculant sur qui avait eu une telle audace – Lui répondit-elle en essayant d'ôter de l'importance à l'affaire.

- Mais je soupçonne qu'en fait, toi tu sais très bien de qui il s'agit - Affirma Albert avec un sourire léger qui commençait à se dessiner sur la commissure de ses lèvres.

- En effet – Répondit-elle et son expression changea sans passer inaperçue pour le jeune homme.

- C'est quelque chose d'important?

- ça l'est, mais pas dans le sens auquel tu penses – Signala la jeune femme avec un brillant spécial dans les yeux qui fit comprendre à Albert qu'à cette occasion, elle n'était disposée à partager cette histoire avec personne, pas avec celui qui avait toujours été son confident et son conseil.

- Je comprends, je le respecte – Lui répondit-il et le sujet fut clos.


Elle devait le reconnaître. Elle brûlait d'envie d'ouvrir ce qui lui avait été apporté. Mais Candice N. André avait appris à garder la tenue élégante d'une dame quand cela était requis, donc elle attendit jusqu'à ce que la scène embarrassante ait disparu des mémoires entre la musique, le champagne et les félicitations, pour se retirer dans un des salons adjacents de la maison et d'ouvrir la missive :

Comme un veuf torturé de douleur,
mon coeur est abandonné,
car au milieu de la foule indifférente,
Jamais je ne trouve le regard ardent
de la seule femme que je peux aimer
Jamais l'infidèle ne trouve de réconfort
ni dans l'amour, ni dans l'amitié
et moi, proscrit sur un sol étranger,
Ne trouverai pas remède à mon duel
loin de la femme que je peux aimer (2)

1250 jours, plus de quarante mois, quatre cent années.
Je te demande au moins de m'écouter
Ce soir à 10 heures au 123 du Boulevard Rosenberg.

Jointe au message, il y avait une clé.

« Je ne sais pas pourquoi je fais cela » se dit Candy tandis que la voiture avançait par la vaste avenue. Même si tout ceci lui paraissait une folie, elle n'avait pas pu éviter de s’échapper de la fête. Elle avait d'abord sollicité un taxi par téléphone et puis, tandis qu'elle attendait l'arrivée du chauffeur, elle avait rédigé une lettre très brève pour Annie, par laquelle elle espérait expliquer son absence de la manière la plus cohérente possible, bien qu’elle savait clairement qu'après ce qui s'était produit ce soir, Annie probablement ne la croirait pas.

Une minute plus tard, elle se trouvait sur le siège arrière de la voiture en chemin vers une direction inconnue. Elle aurait pu avoir totalement ignoré le message ou même envoyer un domestique avec une note présentant la première excuse qui lui viendrait en tête … elle aurait pu faire beaucoup de choses, mais de toutes elle avait choisi la plus impropre et dangereuse : aller au rendez-vous.

Bientôt le véhicule abandonna dans la zone urbaine et pénétra dans une zone résidentielle aux bords de la ville. Sans doute le lieu avait été choisi à dessein pour une rencontre semblable. Un lieu éloigné, sans témoin ; au milieu des ombres nocturnes disposées à cacher ce qui pouvait se produire. Juste ce qu’il fallait pour un rendez-vous avec des couleurs de l’interdit.

Des images qu’elle n’aurait pu imaginer avant lui virvoletaient dans la tête, la torturant de mille récriminations. Elle voulut demander au chauffeur de rentrer à la maison des Brighton, mais sa voix ne parvint jamais à prononcer l'ordre. La voiture continua donc à avancer le long d’une avenue entourée de saules qui projetaient leurs ombres fragiles sur l'asphalte. La pleine lune et les phares de la voiture paraissaient être la seule source de lumière au milieu du paysage nocturne.

-         Cela semble être le numéro, Mademoiselle - dit le chauffeur en se stationnant finalement face à un chalet, seul logement qui pouvait être aperçu dans les environs.
-         C’est … c’est bien – Répondit la jeune femme sentant que ses mains s’humidifiaient de nervosité. Je dois régler une affaire … mais je ne sais pas combien de temps cela va durer  - Expliqua Candy sans savoir si elle devait demander à l'homme de l'attendre.
-         J’ai terminé ma garde, Mademoiselle - Expliqua l'homme avec une voix fatiguée – Je crains de ne pas pouvoir attendre.
-     Entendu – Répondit la jeune fille en baissant le regard – Ne vous inquiétez pas pour moi … je demanderai un autre taxi pour rentrer.

Candy paya le taxi pour sa course et regarda la voiture qui s’éloignait en la laissant au milieu de cet endroit isolé, abandonné juste aux portes de cette maison inconnue. Avec des mains nerveuses, la jeune femme sortit la clé de sa bourse et l’intriduit dans la serrure de la porte principale. La porte s’ouvrit immédiatement.

-         Est-ce une prérogative du beau sexe de se rendre en retard à un rendez-vous? Il est dix heures trente – Dit une voix depuis l'intérieur du vestibule à peine éclairé par une paire de lampes murales. Candy sut alors qu’elle ne s’était pas trompée quant à l'identité de celui invitée ce soir.  

Le jeune aiguisa son regard pour pouvoir distinguer une figure foncée au milieu de la pénombre du vaste séjour de la maison. Sans dire mot, la jeune femme marcha quelques pas à l’intérieur de la pièce en fermant la porte derrière elle, jusqu'à être face à l'homme qui l'attendait.

-         Il s’est passé tellement de temps – Dit elle quand elle parvint finalement à distinguer les traits de la figure de l'homme qui se tourna pour allumer une lampe supplémentaire et mieux illuminer le lieu.

La lumière vint prendre le pas sur la pénombre en lui permettant enfin d'observer les découpes fermes d'un homme jeune, plus grand et corpulent que ce dont elle se souvenait, mais toujours avec les mêmes courbes sveltes et élégantes. Candy sentit de nouveau un sursaut familier dans sa poitrine qui était restée endormi pendant des années. L'homme finit alors de placer le cache de verre sur la lampe et se retourna pour la regarder. Quand ses yeux se retrouvèrent face aux siens, la jeune femme se détesta alors pour avoir osé jouer un jeu aussi dangereux.  Dieu, il avait encore les yeux plus beaux comme une mer bleue que ce dont elle pouvait se rappeler !

-         Trop longtemps, Candy – Lui répondit-il en se levant. Elle put alors observer qu'elle s’était trompée en remarquant en lui cette expression distante et hautaine qui lui était familière. Je sais seulement que cela a été comme une éternité en enfer – Continua-t-il, sa voix en sonnant plus grave et ses yeux l'observant avec une admiration sincère qui paraissait ne rien craindre.
-         Je regrette beaucoup qu’il en soit ainsi – Lui répondit-elle en déviant les yeux, incapable de soutenir son regard. J'ai toujours voulu que tu sois heureux.
-         Je le sais… comme je suis aussi conscient que je t'ai promis de l'être – Ajouta-t-il en s'approchant d’elle d’à peine un pas, la main de la jeune filel serrant sa bourse légèrement - Mais tu vois déjà, je l'admets ouvertement. J'ai échoué. Je n'ai pas pu remplir mon engagement. As-tu accompli tes promesses ? – Demanda-t-il directement et Candy sentit que sa voix se nouait dans sa gorge avant de répondre.
-         Au moins j’en ai gardé une – Dit-elle finalement en marchant vers un des divans du séjour, le bruit des tissus amidonnés sur sa poitrine remplissant l'atmosphère silencieuse - Et elle était de rester éloignés. Tu devrais respecter cela.

Voilà ! C’était dit. Cela serait sûrement le début de la fin de cette entrevue tellement embarrassante – Pensa la jeune fille, décidée à rappeler à l'homme qu'il y avait des loyautés qu’ils ne pouvaient pas, qu’ils ne devaient pas trahir.

-         Je devrais peut être te dire que je regrette beaucoup d’avoir interrompu ta vie paisible - Répondit l'homme avec un sourire triste. Il n'y avait, toutefois, ni de l'amertume ni de la colère dans son accent - Mais n'est pas ainsi. La croix que j'ai portée a été longue et suffisante pour expier tout péché que je puisse jamais avoir commis. Cela a été cruel… cela a été humiliant.
-        Il y a des douleurs plus grandes que l’orgueil. Pense à ton épouse ... elle ne mérite pas ceci … elle ne mérite pas que tu fasses la cour et envoies des fleurs à une autre femme qui n’est pas elle – se dépêcha de répondre la jeune fille en restant accrochée à l’acoudoir d'un fauteuil.
-         Mon épouse … - Rit l'homme en jetant sa tête vers en arrière – Je suppose que tu te réfères à ma fidèle et dévouée épouse Susanna. N’est-ce pas ? 
-        Ne joue pas, tu sais bien que c’est ainsi – Lui répondit-elle en essayant de parler durement sans beaucoup de succès. Le simple fait que toi et moi soyons ici, seuls et parlant de choses qui doivent être tues, est une offense pour elle. Tu ne dois pas ternir son honneur de cette manière.
-         Même si à la dame en question, pour laquelle tant de sacrifices ont été faits au nom de la morale, il semble que rien n’ait grande importance … ni son honneur ni mon noble nom.
-         De quoi parle-tu ? - Demanda Candy confondue.
-         Je crois qu'une série de confessions sur de nombreux actes compliqués m’est devenue inévitable, desquels presque personne n'est informé… au moins pour le moment. Pourrais-tu prendre un siège et me laisser t’expliquer ? C'est pourquoi je t'ai demandée de venir ici ce soir – Demanda le jeune homme en s’asseyant sur le canapé.

Candy ne savait que penser. Toutefois, ayant confiance en l'honnêteté de son interlocuteur elle se disposa à écouter ce qu'il devait lui dire. « Cela durera seulement un moment » Se dit-elle, « un moment et ensuite je m'en irai même si je dois partir à pieds. »

-         Susanna était amoureuse de moi – Commença le jeune homme avec un soupir de tristesse mais ce que nous croyons de l'amour est parfois seulement une illusion que l'égoïsme finit par dissiper avec le temps. Je t'ai fait des promesses que pendant un moment j'ai été sur le point de briser, mais finalement il a plu à ma volonté de te complaire et je me suis marié avec elle. Notre union n'a pas été, toutefois, la cristallisation des promesses que je t'ai faites ce jour-là. Je… simplement – Il hésita avant de poursuivre et Candy remarqua quelque chose qu’elle ne lui avait encore jamais vu avant. Une rougeur légère montait sur ses joues - Simplement je ne supportais pas être avec elle ... à la veiller, à l'accompagner, il y avaient des choses que je pouvais faire ... mais partager l'intimité … m’était … désagréable.

-        S'il te plaît, modère-toi. Je ne vois pas pourquoi tu dois me raconter quelque chose d’aussi privé – L’interrompit-elle sentant trop émotions contradictoires en écoutant ses mots. Elle ne pouvait pas continuer à écouter.
-         Tu as à m’écouter car tu es impliquée dans tout ceci.

Sa voix était tellement déterminée que Candy n’osa pas bouger.

-         Ne me comprends pas mal – Continua-t-il – J’accomplissais ce qu’elle attendait de moi. Je ne suis pas un timoré qui renie ses obligations ; mais il s'agissait seulement cela, des obligations, du devoir. Un devoir qui me suivait comme une malédiction même dans mon lit. Comprends-tu ?

  Candy ne dit rien.

-         Il n'y a pas de femme trompée qui résiste à cela fort longtemps. Pas même Susanna. Elle a supporté notre frigidité pendant une année ou deux. Par son incapacité pour marcher elle menait une vie recluse et calme ; mais aussi isolée. Toutefois, enfin elle a décidé d’utiliser une prothèse, sa vie a changé significativement. Elle recevait des visites, sortait davantage et s’inséra à nouveau dans différentes causes et événements. Je me plngeais toujours plus dans le théâtre et elle dans diverses activités de bienfaisance. Nous avons créé entre nous de plus grandes distances jusqu'à ce qu’elle ait cessé de se soucier de ma présence. Peut-être aurions nous continué ainsi toute notre vie, si n’avaient pas surgi les ressentiments qu'elle commença à loger dans son coeur contre moi.
-         Contre toi ? – demanda la jeune femme en osant enfin rompre son silence.
-         Oui, Candy. La fierté blessée de Susanna s'est transformée en dédain. Quand nous nous sommes mariés, je lui avais dit que mon cœur se trouverait ailleurs – Dit-il intensément en regardant Candy, faisant qu’un frisson inévitable parcouru la jeune femme des pieds à la tête mais j'ai aussi promis que je mettrais tout en oeuvre pour la prendre soin d’elle. Je te jure que j’ai fait du mieux que j’ai pu mais pour elle ce n'était pas suffisant. Elle voulait tout, mon coeur et ma passion complète. J’ai essayé sans succès. Quand je n'ai pas pu lui accorder ce qu’elle demandait, elle a commencé à me haïr en silence. De là à projeter une vengeance il y avait seulement un pas.
-          Une vengeance !
-         C’est ainsi. Elle a d'abord essayé de se venger en se livrant à d’autres hommes dans mon dos. Si elle m'avait demandé sa liberté je la lui aurait immédiatement donnée, mais cela ne l'aurait pas laissée satisfaite. Elle voulait m'humilier publiquement en souillant mon nom avec chaque nouvel amant pendant mes absences au travail. Elle me voulait ignorant de ses écarts pour que je ne puisse pas lui exiger le divorce, mais soit publiquement déshonnoré aux yeux des autres.
-          C’est horrible ! - gémit Candy en portant une main à sa bouche, incapable de croire que Susanna, cette jeune femme douce et triste qu’elle avait connue autrefois, soit arrivée à la perte totale du respect d’elle-même.
-         Je sais que c’est difficile à croire. Moi-même suis resté aveugle à la situation pendant dieu sait combien de temps et c'est pourquoi sa vengeance a cessé peut-être de la satisfaire au fil des mois. Elle a alors cherché une nouvelle sorte de revanche et s'est enfuie avec un de ses amants en pillant mes comptes bancaires il y a environ six mois.
-         Je ne peux pas le croire … je ne savais rien de ceci ... les périodiques ne … - balbutia Candy sans parvenir à terminer ses phrases par l'étonnement et la nervosité.
-         Je n'ai pas encore rendu cela public - Expliqua le jeune homme. Elle a profité d'une de mes tournées pour s'enfuir avec son amant en me laissant une lettre en m'expliquant tout avec luxe de détails, dans lesquels je préfère ne pas abonder. Toutefois, quand je suis rentré de mon voyage et que je me suis rendu compte de ce qui s’était passé, j'ai dit à toutes mes connaissances qu'elle était partie rendre visite à sa mère qui, depuis un moment, vivait avec des parents à elle dans un autre état. J’ai ordonné à mes domestiques de pas divulguer la vérité qu’ils connaissaient évidemment et j'ai consulté un avocat pour obtenir le divorce discrètement.
-         Mais pourquoi ? – Interrogea Candy sans comprendre la réaction du jeune homme.
-         Parce que je ne voulais pas que le scandale arrive à tes oreilles de cette manière. Je voulait être celui qui te dirais tout. Entre toi et moi, il y a des liens indéniables. Si je souffre, tu souffres aussi. C'est pourquoi elle avait la certitude qu'il t’attristerait de me croire déshonnoré. Je souhaitais que tu saches que tout ce qui s’est passé ne pas blessé, pas même l’orgueil, la seule chose qui me soit endommagée est l'âme en ton absence, et que si jamais avant je ne suis venu te chercher, c’est seulement parce que toi le voulais ainsi. C'est pourquoi je ne me suis même pas présenté devant toi directement, je redoutais que tu me rejettes et que tu ne me laisses même pas t’expliquer tout. C'est pourquoi je joue cette charade depuis deux mois… pour m'ouvrir le chemin vers ton coeur.

Le jeune avait laissé divan face à Candy et s'était agenouillé devant à elle. La jeune fille, accablée par les informations confuses, ne réussissait même pas à remuer un cil.

-         Pourrais-tu m’avoir écrit une lettre – Dit-elle finalement, en sentant les yeux du jeune homme lui brûler les joues.
-         Je t’ai envoyé beaucoup de messages – Répondit-il en souriant légèrement pour la première fois.
-         Anonymement et toujours vagues – L’allégua-t-elle en répondant au sourire de la même manière.
-         Mais tu les as tous compris, depuis le premier poème, n’est-ce pas ? – Demanda-t-il avec le ton le plus doux qu’elle ait jamais entendu tandis qu'il osait, pour la première fois, caresser légèrement le dos de sa main qui reposait sur l’accoudoir du fauteuil. Ce fut un contact délicat, à peine effleuré du bout de son index, mais Candy sentit comme un choc électrique lui parcourant le corps.
-         « Je t’envoie cette ambassade écrite de ma main, ma dévotion prouvant et non mon talent » - Sussura-t-elle en déviant le regard. Comment oublier que c’était le sonnet préféré de ta mère. Il m’a seulement suffit de lire la première ligne pour sentir que c’était toi.
-         Qu'est-ce que tu as pensé alors? – Demanda-t-il, soucieux de tout savoir, tandis qu’il s’autorisait à tenir complètement sa main entre les siennes.
-         J'ai pensé … j'ai pensé tant de choses – Dit-elle en levant son visage, en combattant pour arrêter les larmes qui commençaient à se rassembler dans ses yeux - Inclusivement j’ai cru pendant une seconde que quelqu'un me faisait une plaisanterie de mauvais goût, mais ensuite j’ai changé d’avis … personne ne pouvait connaître ce sonnet. Seulement toi et moi. Alors je me suis haïe avec toi.
-         J'ai imaginé que ce serait ainsi – Répondit-il naturellement. Je savais que tu me détesterais pour être revenu sur le passé et rompre la promesse du silence.
-         Mais ma haine pour toi est toujours tellement douteuse – Admit-elle en osant le regarder en face. Là dans le fonds bleu profond, illuminé à peine par la lumière ambre de la lampe, on voyait briller des veines de jade iridescent en suspens de chacun de ses mots - Passaient les jours et je me trouvais secrètement à attendre la livraison suivante, en gardant des roses sèches dans mes livres et en lisant tes cartes des milliers de fois. Comment as-tu su ? Comment as-tu su que je … encore... ? – S’encouragea-t-elle à demander en sachant que tous les deux tombaient dans un abîme d'espoirs nouveaux.
-         Je l'ai toujours su parce que bien que j'aie maintenu le silence pactisé, je n'ai jamais perdu ta trace. Je m'informais de chaque chose qui passait dans ta vie ; je savais bien que tu vivais consacrée aux autres, comme toujours ; que tu continuais à déstester la cuisine mais que tu la faisais par amour pour d'autres, que tu n’abandonnais pas tes patients, que les dimanches tu ne manquais jamais la messe et que tu es belle même avec un pantalon de paysanne sous la ceinture … j'ai aussi su que personne n'avait encore pu toucher ton coeur - Comme il vit alors qu'elle l'interrogeait du regard, il admit ouvertement - Par Albert, évidemment.
-         Tu lui demandais de mes nouvelles ? – L’interrogea-t-elle sans savoir si elle devait se sentir alarmée ou heureuse.
-         Dans chaque lettre et lui jamais ne refusait de m’informer. Cependant, je n’ai jamais demandé si tu m'aimais encore. Je n’avais pas le droit, mais ta vie recluse et mon coeur me disaient que c’était ainsi. En ce qui me concerne, j’ai seulement vécu par toi et pour toi, pour aucune autre – Dit-il en estampillant son serment avec un baiser chaste sur ses doigts blancs et minces.

Le silence régnait alors dans la chambre. Candy, qui croyait encore vivre dans une espèce de rêve bizarre, libéra finalement les larmes humidifiant ses joues. Derrière le voile aqueux, la jeune fille observa chaque ligne du visage qui la regardait avec véhémence. En étendant la main qui lui restait libre, la jeune fille traça avec des doigts tremblants la mâchoire ferme de l'homme, elle lui caressa timidement sa joue et dégagea son front des mèches rebelles qui le couvraient. Où avait existé un adolescent, il y avait maintenant un homme.

-          Terry ! – Murmura-t-elle en osant pour la première fois dire son nom. Tu as changé, mais tes yeux … tes yeux ont encore des épées vertes sur un fonds bleu. Ils sont comme la mer.

Le jeune homme sentit que son coeur bondissait d’un endroit à l’autre dans sa poitrine tandis tandis que la main de son aimée lui prodiguait des caresses sur le visage. Même s'il avait souhaité ne pas établir de comparaisons qui pour lui-même étaient inadéquates, il ne pouvait pas s’empâcher d’admirer l'effet profond de ce contact qui avait le pouvoir de lui atteindre l'âme rien qu’en l’effleurant. Comme pâlissaient devant ce simple geste, trois années de vie maritale insipides.

-         As-tu du froid ? – Demanda la jeune femme étonné sentant dans sa paume qu'il était légèrement tremblant.
-         C'est seulement la tristesse qui commence à m’abandonner – Répondit-il en se mettant debout et en aidant Candy pour qu’elle aussi se lève du fauteuil dans lequel elle était assise.

Le jeune homme dirigea la fille jusqu'à la fenêtre. On pouvait dehors voir la seule lumière allumée illuminer le jardin avant de la maison et la route bordée d'arbres.
Le sentiment qui flottait dans l'air était profondément mystérieux. Ils étaient là. Deux personnes qui ne s’étaient pas vues pendant presque quatre ans ; qui avaient juré ne jamais se voir à nouveau ; qui avaient imaginé le reste de ses vies suivant des chemins divergents et dès le départ, ils s’étaient sentis comme s'ils n'avaient été jamais séparés. Comme si elle était simplement rentrée à la maison après un jour de travail. C'était la chose la plus étrange. Un sentiment de familiarité s’imposant au milieu d'un événement extraordinaire.

-         Qu'est-ce qui va se passer maintenant ? – Osa-t-elle alors demander en rompant le silence prolongé, en regardant les bosquets à travers la fenêtre.
-         Cela seulement toi qui peux le savoir – Lui répondit-il en libérant sa main qu’il avait maintenue prisonnière de la sienne tout ce temps.
Le divorce a fait de moi un homme libre devant les lois seulement … mais pas de la manière selon laquelle je voudrais t'offrir - Expliqua Terry en baissant le regard. J'ignore encore si l'abandon de Susanna sera suffisant pour obtenir une annulation. Dans mon égoïsme j'ai voulu, toutefois, venir te dire tout et t’offrir ma vie, aussi peu est-ce, pour que tu décides que faire avec elle.
-         Non, s'il te plaît, ne dis pas des choses comme ça - Répondit Candy en fronçant les sourcils, dans un mélangede  tristesse et de préoccupation. Ta vie est ma vie elle-même. Dieu est témoin que je suis venue ici ce soir - ignorant tout ce qu’il c’était passé – et que tu avais l’intention de tout me raconter ; mais je ne pourrais plus te laisser maintenant, jamais. Il suffit de tous ces sacrifices inutiles.

La voix de la jeune femme sonnait tellement ferme et son regard avait ce brillant de résolution inexorable qu'il connaissait bien. Les années où il avait lu dans ses yeux que sa décision de renoncer à lui était irrévocable avaient disparu, maintenant il pouvait y comprendre tout le contraire. 

-          Dieu seul sait que je n'ai pas vécu jusqu'à ce moment ! – S’exclama-t-il alors en la prenant dans ses bras.

Ah ! Le pouvoir du langage ne suffit pas pour décrire le mystère indéchiffrable du baiser qui s'ensuivit. Ce fut un baiser de droiture totale, de livraison honnête, de générosité et de confiance ; en somme, un baiser d'amour.

« Tes lèvres sont graves et sombres dans la colère, sur la distance que tu marques avec le monde ; mais sur les miennes, ta bouche est douce et de soie humide, » Parvint-elle à penser en sentant la caresse intime. Il y a longtemps, Candy avait consacré une certaine réflexion aux liens incompréhensibles qui arrivent à unir un homme et une femme, mais ces considérations s’étaient endormies, perdues dans auto-négation. Maintenant, en un seul geste physique, s’ouvrait à nouveau la porte vers ce monde inconnu et elle se sentait disposée à y entrer.
-         Je nous croyais perdus… l’un pour l'autre – Dit-elle finalement quand il la libéra de son baiser.
-         Oui, je l'ai pensé aussi …. Ne plus jamais nous voir … jamais est parfois un mot insupportable – Dit-il et elle put remarquer que quelques rides étaient dessinées dans son visage au rythme des expressions les plus profondes de sa figure, symboles muets des tristesses vécues.
-         N’y pensons plus - Demanda Candy en fermant de nouveau les yeux, dans une nouvelle invitation au baiser.

« J'ai rêvé souvent que tu fermais les yeux de cette manière, Candy. J'ai rêvé que je t’invitais dans mon embrassade comme maintenant et tu ne me rejetais pas. » Dit Terry perdu dans le parfum de la jeune fille. La même eau de roses de toujours, la même bouche petite et douce s’ouvrait maintenant sans réserve.
« Ta bouche est de vin et de cerises, ta peau palpite sous ma main et tout toi tremble contre mon corps. Je n’en peux plus ... je ne dois pas. »
De l'embrasser ainsi, avec l'humidité de la bouche partagée et du soupir dans la surface chaude de la langue, Terry commença à tenir avec force la taille minuscule de la jeune femme et perçut dans une embrassade suffoquée les formes lisses et harmonieuses de son corps. Oh Dieu ! Sa poitrine contre la mienne, ses bras qui m'entourent. C’est un délire »

Un son noyé et doux sortit de la gorge de Candy. Elle comprit que c’était son propre gémissement en sentant les lèvres de Terry, tièdes, très tièdes laisser une trace mouillée de sa mâchoire et jusqu'au cou. Les sensations devinrent alors plus violentes et la force de ses doigts courant sur son dos rechargèrent encore le feu fébrile du moment.

-         Aie pitié de moi – Demanda-t-il avec la voix affaiblie, en demandant qu'elle comprenne son dilemme, mais la jeune fille n'écoutait pas et pour réponse unique se rompit encore plus dans l'embrassade. Les lèvres de Terry arrivèrent en une seconde, encore plus agitée à son décolleté.

La peau qui couvrait la poitrine blanche que le vêtement révélait subtilement était ferme et douce en même temps et palpitait sous l'impulsion d'un coeur chaque fois plus agité. Bientôt tout, des mains, de la bouche et de l'esprit, était versées dans l'adoration physique du corps de la jeune femme.

Les mains de Terry voulurent alors enfermer dans leur paume la voluptuosité entière, mais la dureté du corset sous le vêtement l’en empêchait. Cela ne l’arrêta pas.
Avec une anxiété nerveuse, les boutons de la robe verte firent place à la main de l’homme. Il ne réfléchissait plus, si ce n’est à la nécessité absolue d’ouvrir un passage, de délier les rubans du corset, et en sentant que le tissu perdait à peine sa force, il descendit entre les liens pas encore totalement ouverts.

Sous le corset, régnait la légère douceur de la chemise de coton et sous elle, la certitude tiède de la peau de Candy. Sa bouche chercha à nouveau la sienne, les joues, la gorge ; la gloire des épaules qu'avec les mêmes lèvres il avait lentement dévêtues.

Encore debout, agitée et sans oser ouvrir les yeux, Candy sentait la bouche de Terry sur ses épaules, ses bras lui entourant le dos et elle-même descendant ses doigts dans sa nuque, là même où le duvet le plus lisse et fin grandissait.

Lui, par contre, se débatit davantage de temps entre les fils endiablés, faisant preuve d'un auto-contrôle remarquable et la force naturelle du sentiment. Toutefois, le moment arriva où il put jouir d’avoir finalement gagné la bataille. Rapidement, il découvrit davantage la douce peau blanche, nerveuse, qui palpitait sous ses mains avides de ce contact chaud.

« Ta taille est brève et agitée à mon contact, petit oiseau. Est-ce tes hanches suaves et sinueuses qui volontairement viennent à ma rencontre, elles sont ouvertes, généreuses et me reçoivent. »

Candy put percevoir que les draps de lit étaient de coton très doux. Elle le sut parce que son dos qui reposait dessus le lui dit. Le reste était la sensation du corps nu de l'homme à côté d'elle, ses mains la découvrant intégralement, lui faisant perdre la notion du temps et de l’espace. S'il l'avait prise juste violentement, elle l’aurait sûrement rejeté, mais la séduction de quelqu’un qui aime a un pouvoir irrésistible.

« Je ne peux plus penser à autre chose qui n'est pas toi … toi dans mon coeur, je suis entre tes bras, toi dans ma bouche et toute ta force en moi »
Les mains de Candy descendirent dans le vaste dos du jeune homme et il n’avait plus d’autre pensée que la possession. À la seconde suivante, il n'y avait plus distance entre les deux et elle n'était plus une pucelle.

Ensuite il y eut le silence, les baisers prolongés et finalement un voyage d'intensité progressive jusqu'au point d'unité totale.

-         Oui – Dit-elle en suivant un instinct inconnu.
•    Je le sais – Lui répondit-il et tous les deux perdirent ensuite le dernier contact avec la réalité.

L’oiseau est un oiseau soucieux. Il chante brièvement et vole à la branche suivante. Parfois, il ose se poser sur le bord d'une fenêtre et reste là, comme hypnotisé par le brillant des vitraux polis. Sa tête bleue et distinguée fut la première chose que perçurent les yeux de Candy lorsqu’ils s’ouvrirent le matin suivant. Sur sa poitrine reposait Terry en silence.

-         Il y a un oiseau bleu à la fenêtre – Dit elle en sachant qu'il était déjà éveillé. Savais-tu que les oiseaux bleus sont magiques ?

Terry se souleva sur son coude droit. Candy entreprit de l’observer calmement avec son plus beau sourire. Passée l'ardeur qui avait obscurci tout autre considération au-delà du lien inévitable qui les unissait, avec la lumière du matin, le retour du jour réveilla en Terry les réalités amères qui obscurcissaient le résultat de s’être laissés porter par leurs élans.  En un instant, poids angoissant de ce qui était arrivé la nuit précédente tomba de toute sa force sur ses épaules.

-          Grand Dieu ! Qu'est-ce que j’ai fait ? – S’exclama-t-il avec l'amertume que donne seulement la honte et le repentir. Quand je voulais t’offrir honneur et protection, j'ai seulement réussi à te déshonorer.
-          Non !  Ne dis pas cela ! Je l'ai voulu tout comme toi – Répondit-elle immédiatement avec fermeté en comprenant de quoi il parlait.
-         Mais tu étais en ma possession. Je… je savais ce que je faisais – Se récrimina-t-il en déviant le regard.
-         Et moi je ne savais rien, alors ? – L’interpella la jeune fille - Terry, je ne suis plus une enfant.
-         Ce n’est pas une excuse. La responsabilité est la mienne. Je ne vais jamais me le pardonner - Allégua le jeune en s’asseyant sur le lit tandis qu’il se couvrait le visage avec les mains, incapable de la regarder dans les yeux.
-         Parce que je ne voudrais pas qu’il en soit autrement – Lui répondit-elle avec énergie ; comme si l'expérience de la nuit précédente lui avait donné une sécurité inconnue.

Terry sentit alors comment elle était reposée sur son dos, son contact doux et naturel.  Le petit nez était descendu et caressait la ligne de son épine dorsale. « Je ne suis pas digne d'elle, je ne suis pas digne d'une dévotion semblable » Pensa-t-il.

-         Ne te tourmente pas parce que le sentiment peut parfois vaincre la raison. Ce qu'il s’est passé, la vie nous le devait – Continua-t-elle en embrassant la courbe de son dos. Penses-tu que maintenant tu pourrais me laisser ?
-          Jamais ! Autant m’enlever la vie. Comment peux-tu dire cela ? - lui répondit-il immédiatement en se retournant pour voir son visage, avec anxiété et tristesse dans son regard. Si tu m'acceptes malgré mon manque d’égard impardonnable, tu seras ma femme même si je ne peux t’épouser devant un prêtre.
-         Je crois que tout cela avait déjà été décidé, avant, mon amour. C’est pourquoi tu es déjà mon mari, mais c’est avec joie que je signerai cet acte. Tu en es heureux ?

Le jeune homme resta silencieux. Incapable de se réconcilier encore avec le bonheur, blessé par son incapacité de démontrer devant Candy qu'il était digne d'elle. Il voulait que tous la voient comme lui la voyait, admirable, noble et bonne et qu'elle ne doive baisser le regard devant personne.

-         Je ne sais pas… Es-tu sûre ? Ne t’en repentirais-tu pas ? – Demanda-t-il encore douteux et Candy au l'âme peinée de son expression affligée
-          Même pas une seconde ! Hier soir, j’ai su ce que c’est d’être adorée avec l'âme et avec le corps. Je ne peux pas avoir honte de cela.
-     C’est ce que tu as senti ?
-      En effet – Sourit-elle alors en montrant encore la tolérance dans son sourire -. Je n'ai jamais imaginé que c’était ainsi. Tu savais que ce serait ainsi … entre nous ?
- Je le devinais – Admit-il alors que, sans s’en rendre compte, il commençait à savourer le tableau du torse nu de la jeune femme. Mais jamais … je n’aurais pu le savoir.

Candy le regarda incertaine pendant un moment. Elle n'était pas sûre si elle devait donner foi à son doute.

- Je veux dire… ce n'est pas un mystère que avant hier soir je n’avais jamais … jamais avant je n'avais été avec quelqu'un, de cette manière – S’encouragea-t-elle à expliquer mais toi … tu es un homme et comme tel tu dois l’avoir vécu. Tu dois avoir senti la même chose d'autres fois … avant hier soir.
- Tu te trompes – Nia-t-il avec la tête. Les choses que j'ai connu avant, à un âge inadéquat, quand je cherchais erronément partout ce que mes parents ne m’avaient pas donné.  J’ai seulement obtenu uniquement un plus grand dégoût de la vie elle-même et je peux m’en rappeler avec honte. Puis, avec Susanna, je te l'ai dit hier soir, je n'ai jamais pu trouver rien d’autre que le plus profond des dégoûts. Malgré cela, je ne lui ai jamais été physiquement infidèle parce que pour moi cela aurait été comme te trahir. Ma seule infidélité a été du coeur, et même dans cela je lui ai été sincère. Rien n’a été pour moi-même vaguement proche de ce qu'il s’est passé entre nous. Non, Candy, j'ai seulement fait l'amour avec toi et si mon corps t'a fait sentir heureuse, le tien m'a faite sentir que je peux être un homme bon.  C'est pourquoi je ne voudrais pas que quelque chose de tellement pur soit vu comme indigne de toi par les autres.
- Ils ne doivent pas le voir ainsi. Ce qu'il est passé est seulement à nous et personne ne doit en être informé.
- Mais nous devrons maintenant accélérer les choses … nous ne devons pas risquer d'attendre jusqu’à ce que le scandale éclate quand on saura ce qu’il en est de mon divorce… parce que ce que nous avons vécu hier soir peut avoir des conséquences. Y as-tu pensé ?
- Ce sera scandale après scandale alors – Dit-elle en souriant. N’est-ce pas ce qui a toujours été notre sport favori ?
-  Je te l’accorde ! – Admit-il en reflétant dans son visage le sourire de Candy. Il est décidé que rien n’importe. C’est bien, qui en soit ainsi.


La presse des spectacles en eut à son goût.  Tromperie, trahison et infidélité sont des sujets qui augmentent leurs tirages aux mille merveilles. Toutefois, plus d’un journaliste aurait voulu publier une entrevue dans laquelle le conjoint offensé se plaindrait amèrement de son sort, mais ils trouvèrent seulement un homme qui refusa de récriminer en public celle qui avait été son épouse. Les faits étaient là, mais Terry n'allait pas chercher un lynchage public de Susanna. Après tout, il ne pouvait pas la blâmer de s’être fatiguée d’être celle qui récoltait les miettes. Tout avait été seulement une erreur grave de tous les deux. 

Arrivèrent ensuite les nouvelles du nouveau mariage. Cela fut en effet la sensation de premier plan. Avoir gardé un divorce secret pour ensuite se remarier avec une autre, c’était un véritable pain béni d’article scandaleux.

Les commentaires ne cessèrent pas avant longtemps, si bien que la tante Elroy fut sur le point de l'effondrement nerveux quand les revues hebdomadaires s’étalèrent sur le sujet pendant plusieurs mois. Comme il arrive souvent avec toutes les histoires heureuses mais dérangeantes, bien difficilement oubliables. 

Chaque année, toutefois, le jour même de l'anniversaire des Cornwell, arrivait toujours un bouquet de quatre cent roses comme présent de Terrence G. Granchester pour la seule épouse que son coeur avait jamais eu.

FIN

1. Le premier poème est le sonnet 26 de Shakespeare
2. Le second est un extrait de « Strofes pour une dame laissée en Angleterre » Lord Byron.
3. Musique de la chanson Para Vivir, du compositeur cubain Pablo Milanés.




 © Mercurio 


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