Retrouvailles dans le tourbillon
Par Mercurio

CHAPITRE 7

(gentiment traduit de l'anglais par Nancia)

 

Plus fidèle que j'aurais voulu l'être

Une silhouette, recouverte par les ombres de la nuit, sortit de l'hôpital. Même dans l'épais brouillard et malgré la distance, il était clair pour quiconque que c'était un homme qui marchait d'un pas décidé bien que pressé et nerveux. Au fur et à mesure que l'image se précisait, on pouvait voir que l'homme était grand et que sa démarche avait une allure arrogante. Chacun de ces grands pas laissait transparaître sa contrariété. Une meilleure observation aurait pu faire remarquer que le visage de l'homme était empreint d'un profond chagrin, qui plus est, de la colère au plus profond de son regard.

Cet homme était nul autre que Terry lui-même, se déplaçant énergiquement vers le camion stationné à quelques mètres de là, puis d'un mouvement brusque, il ouvrit la porte du camion, sauta à la place du conducteur et démarra la machine, roulant aussi vite qu'il le pouvait, comme si le vent glacial qui soufflait sur son visage ne pouvait effacer l'agitation de son âme.

Le camion dévorait les rue à vive allure tandis que le conducteur marmonnait une impressionnante liste d'insultes directement dédiée à toute la race française, laquelle, en ce moment, lui paraissait comme étant la plus méprisable de toutes. Le visage de l'homme qu'il venait de rencontrer lui apparut, égratignant sa fierté britannique au plus haut point. À ce moment précis, il était absolument certain que la rivalité entre la France et l'Angleterre était ce qu'il y avait de plus logique sur terre, puisque personne n'aurait jamais pu être ami avec des voisins aussi détestables, qui osaient regarder une femme anglo-saxonne avec un tant d'affection.

"Un français!" répétait-il, "Parmi tous! Ne pouvait-elle trouver n'importe quel autre homme en Amérique?"

Malgré ses mouvements enragés, les traces de souffrance et de colère gagnaient du terrain sur son coeur à mesure que le camion roulait à travers la ville et qui finalement le fit s'arrêter sur le Quai Célestin tout juste devant le Pont Marie, (Le Quai Célestin est une section du boulevard au dessus de la Seine. De là, on peut facilement apercevoir la très célèbre Cathédrale Notre-Dame).

Le jeune homme se laissa tomber sur le volant du camion, démontrant ainsi tout son épuisement. Il blottit son visage dans ses bras et resta en silence un moment. Lorsqu'il se releva, d'épaisses traces de larmes étaient visibles sur ses joues hâlées.

Il s'abattit sur son siège en soupirant de frustration, et finit par ouvrir la porte et affronter la brise glaciale qui balayait l'ancienne rivière. Il sortit et d'un air fatigué se dirigea vers le pont, fixant à l'horizon la Cathédrale Notre-Dame. Ses pensées allaient et revenaient dans sa tête, resserrant leurs serres sur de vieilles blessures qui n'avaient jamais guéri.

Comment puis-je continuer à vivre cette pitoyable existence? Pourquoi est-ce que mon coeur n'arrête-t-il pas de battre puisqu'il qu'il doit supporter tant d'amertume? Tout n'est qu'une immense nuit noire... depuis cette nuit. Combien misérable une simple décision peut rendre un homme! Je pourrais vivre éternellement mais cela ne serait pas suffisant pour faire disparaître ma culpabilité.

Même en revoyant, encore et encore, la séquence des évènements et mes pensées de cette nuit, je ne peux toujours pas comprendre ce qui s'est passé. Pourquoi ai-je perdu courage? Pourquoi suis-je resté là, totalement paralysé, alors que mon bonheur s'en allait pour toujours? Pourquoi me suis-je condamné pour le reste de ma vie?

Après cela, ce fut l'enfer. Je suis resté avec Suzanne un bref moment, je ne sais combien de temps exactement, mes pensées étaient tellement troubles. Je me souviens que lorsque je suis finalement rentré à la maison il était minuit passé. Je n'ai pas allumé la lumière car de toute façon même si toutes les lumière du monde s'étaient allumées, mon coeur lui serait resté dans le noir. Je me suis assis sur une chaise, celle même où elle s'était assise précédemment, m'imaginant qu'elle était toujours là avec moi... Si tout s'était déroulé comme je l'avais prévu des mois auparavant , elle aurait été là à mes côté... Mais il semble que ces choses ne peuvent jamais se produirent pour un homme comme moi. Je suis condamné, depuis le jour de ma naissance, à être seul.

Je me souviens de la chaleur de mes larmes qui avaient coulé sur mes joues alors, m'envahissant de leur goût salé. J'ai pleuré, sangloté, frappé et détruit des objets. J'ai même essayé de brûler ses lettres, mais lorsque j'ai enflammé la première, je me suis empressé de la sauver des flammes affamées. J'avais laissé tomber son amour, mais je n'allais pas renoncer à mes souvenirs d'elle. Au moins ces derniers m'appartenaient toujours.

Cette obstination de mon coeur, totalement opposée à la mesure la plus raisonnable que mon être me dictait, avait sûrement fait que les choses furent plus difficiles avec Suzanne au cours des jours qui suivirent. Chaque fois que j'étais avec elle, je ne pensais qu'à la personne que j'avais aimée... celle que j'aime et que j'aimerai toujours.

Tout en Suzanne me semblait sans éclat comparé aux souvenirs éblouissants que j'avais tant chéris. Les sourires de Suzanne étaient timides, tandis que les siens étaient toujours étincelants et sincères; Les conversations de Suzanne étaient douces et calmes, les siennes vivantes et éclatantes; La beauté de Suzanne était douce et tranquille comme le matin, mais cela n'éveillait pas mon amour... ni ma passion; Sa beauté à elle... sa beauté est intoxicante. J'avais continué à avoir ces beaux rêves dans lesquels elle était mienne, pour me réveiller ensuite avec une frustration encore plus grande.

C'était pendant une de ces nuits, après avoir fait un de ces rêves qui se terminaient toujours en cauchemars, que j'avais commencé à boire. Au début, l'alcool apaisait ma souffrance le temps d'un éphémère moment; Après, cela a amplifié ma misère. Malheureusement, là, c'était déjà trop tard et je ne pouvais plus m'arrêter.

C'était à ce moment là, que j'ai quitté New-York. En allant voir Suzanne, avant mon départ, je voulais lui dire que je ne pourrai pas tenir ma promesse de mariage, mais à l'instant où je me suis trouvé face à elle, je n'ai pu lui confesser ce que cachait mon coeur. Je lui ai menti et me suis menti à moi-même encore une fois; Je lui ai seulement prétexté que je partais pour un long voyage et elle ne m'a même pas demandé combien de temps j'allais être parti. Elle m'a regardé avec adoration et tristesse, avec un sourire stoïque en dépit de la souffrance qui était claire dans ses yeux. Ses paroles n'ont fait qu'augmenter ma culpabilité d'une façon que je ne pourrai oublier: "Je t'attendrai", avait-elle dit sans même réaliser combien cette simple affirmation pourrait blesser ma conscience jusqu'au jour de ma chute.

Dans combien de temps, je me le demande! Combien bas allais-je tomber? Chaque fois que je me remémore ces jours, passés à me laisser entraîner dans mes plus noires pensées, je me sens terriblement honteux. Je vois mon enfer personnel, dans lequel j'étais victime, trompé et dégoûté. J'avais sombré profondément avant d'avoir atteint le fond de mon propre abîme.

Que s'était-il passé avec mes rêves? Ma créativité? À l'énergie qui m'avait fait quitter Londres, rempli d'espoir et de plans d'avenir? Où était passé cette douce chaleur que mon âme et mon être expérimentaient lorsque je récitais les merveilleuses phrases de Shakespeare? Où étaient cette poésie si sublime alors? Avait-elle perdu sa brillance. Tout semblait sans but, infructueux et triste... Exceller sur scène? Pourquoi? Pour le mérite? Cela n'avait aucune valeur...

J'avais atteint un extrême dans lequel je ne me reconnaissais plus, travaillant dans un théâtre indécent, me mêlant avec des acteurs de cinquième classe, récitant mes textes sans même les ressentir vraiment. Comment pouvais-je faire semblant de ressentir les sentiments des autres alors qu'il était évident que les miens criaient leur souffrance si fort en moi? Le chagrin, causé par la séparation de celle que mon âme désirait, était trop fort pour laisser de la place à tout autre sentiment, factices ou réels.

J'avais travaillé avec cette pitoyable troupe quelques mois, buvant de plus en plus chaque jour jusqu'à ce que je ne pusse que performer sur scène dans un état d'ivresse avancé. J'avais dû être assez triste à voir...Après tout je n'avais que 18 ans à cette époque.

C'était à ce moment que j'ai eu cette vision. Nous étions arrivés à Chicago quelques jours auparavant, j'étais tout énervé à l'idée d'être dans même ville qu'elle. Dès que je suis arrivé à la gare, je n'ai pu m'empêcher de penser à ce jour où nous avions désespérément essayé de nous voir mais sans succès. Si j'avais réussi à la voir la nuit précédente, j'aurais peut-être plus que le souvenir de quelques baisers...Mais c'est mieux ainsi car je ne mérite même pas les souvenir que j'ai déjà. Comment aurais-je pu vivre si j'avais eu la chance d'avoir plus? Si les âmes, condamnées à l'enfer, avaient pu voir la splendeur du paradis, leurs tourments auraient été encore pires lors de leur descente vers les flammes éternelles.

Me sentir si près et en même temps si loin d'elle m'avait rendu encore plus misérable. J'avais été tenté de la voir, de lui parler...Mais comment aurais-je pu faire une chose pareille? Je n'aurais pu supporter sa souffrance en me voyant ainsi...si bas et honteux. Si elle avait gardé des souvenirs de moi, je voulais qu'ils soient propres et dignes.

Ces considérations avaient maintenu mon esprit tellement bas que je buvais encore plus durant ces jours là. Je voulais m'endormir, m'endormir éternellement...et ne jamais me réveiller...Mais il y avait toujours la possibilité d'avoir des rêves. Et j'avais le mien.

J'étais sur la scène, je n'oublierai jamais comment c'était, mon texte était perdu aux oubliettes, ma voix bredouillait, l'actrice qui jouait avec moi ne parlait pas assez fort et je ne pouvais entendre ses mots à cause de mon ébriété, aussi la foule poussait des cris d'hostilité envers ma piètre performance. À ce moment, au milieu des moqueries tout autour j'ai aperçu son visage!

Pendant une seconde, je n'ai même pas pu bouger ou pensé à respirer. Elle était là, mon ange aux cheveux blonds et aux tâches de rousseur! Mon coeur s'est arrêté devant l'éclat de sa beauté au milieu de la noirceur de l'endroit. De quoi es-tu faite pour que ta simple présence illumine mon coeur trop plein en une fraction seconde? Quelle corde de mon âme as-tu joué avec tant d'habileté pour que je puisse être à la hauteur?

Comme par magie l'alcool avait capitulé devant ma volonté, j'avais pu dire mon texte de la façon dont il méritait d'être exprimé. J'étais redevenu moi-même et le sentiment qui s'en dégageait était absolument agréable! La foule avait dû le ressentir car elle avait arrêté ses rugissements et s'était mise à écouter mes mots et ne portait plus attention à la scène indigne, à la grosse et vieille femme qui était supposé être ma partenaire ou aux costumes peu convenables que nous portions alors.

Comme je finissais de jouer ma partie ce public si rude s'était mit à m'applaudir et je m'inclinais et les saluais pour les remercier de leurs éloges. Lorsque j'avais relevé les yeux, je l'avais cherché parmi la foule, mais la vision avait disparue, cependant, l'effet de sa présence était toujours présent. C'est alors que j'ai été frappé par la réalité, j'avais enfin vu, grâce à la lumière qu'elle m'avait apportée, combien bas j'étais tombé.

Que faisais-je de ma vie? Pourquoi m'avait-elle regardé si attentivement, si intensément? Ce regard, était-ce du désappointement ou de la tristesse? Je ne pouvais supporter ni l'un ni l'autre venant de sa part. J'avais ressenti combien je la faisais souffrir en me comportant de la sorte, elle m'avait déjà aimé, cela je le savais, elle aurait certainement été attristée par ma condition ou encore pire même, peut-être aurait-elle eu honte de moi.

Je me suis regardé dans un miroir et fus horrifié par mon propre reflet, j'étais devenu encore pire que mon père, lui que je méprisais tant. "L'amour n'en est plus lorsqu'il s'éloigne de l'essentiel" Je connaissais ces lignes si bien depuis le début de ma carrière, mais la connaissance de Shakespeare n'avait pu m'aider à prendre les bonnes décisions. Mon père avait trahi ce principe en épousant une femme qu'il n'aimait pas, et en faisant cela il avait participé à la misère de mon enfance et avait condamné ma mère à la solitude éternelle, c'est pour cela qu'elle n'avait jamais aimé de nouveau et qu'elle ne s'était jamais mariée. J'avais condamné mon père pour toute cette misère mais au fond j'avais seulement répété ses même erreurs.

Avais-je bien fait de laisser partir la femme que j'aimais en lui causant tant de peine? Étais-ce plus noble d'avoir fait souffrir Suzanne dû à mon absence et à mon silence? Je n'étais qu'un misérable lâche incapable de se décider, pris au milieu d'un dilemme entre la femme que j'aimais et celle à qui je devais la vie. Mon coeur avait résisté à ce que mon être avait dicté et dans cette bataille mon âme s'était perdue, aucun ne gagnait ou ne perdait. Cependant, de retour à New-York, cette nuit, j'avais prit une décision, j'avais choisi mon devoir plutôt que l'amour! Ainsi, je n'avais rien prouvé de mieux à cet homme que je détestais profondément. J'avais suivi le même exemple.

J'avais imaginé rendre Candy heureuse mais je ne lui avais causé que de la souffrance, comme si elle n'en avait pas assez eu avant de me rencontrer. Peut-être qu'Archibald avait raison après tout et il aurait dû me tuer de ses mains lorsque nous étions au Collège. J'avais été tellement idiot et ce qui était le plus dommage c'est que je ne pouvais retourner en arrière. Six mois avaient alors passé depuis notre séparation, mais ce temps m'était apparu comme si six siècles s'étaient écoulés. C'était beaucoup trop long. Je m'étais alors dit qu'il était simplement trop tard. Durant les mois qui suivirent, j'avais travaillé très fort et avec succès à faire un vrai fou de ma personne...Je n'étais plus l'homme qu'elle méritait, plus maintenant.

De retour dans ce vide théâtre ambulant, je m'étais assis, me sentant totalement indigne. À ce moment, le fardeau de mes regrets m'avait encore fait choisir mes responsabilités au lieu de mon amour. Si je ne pouvais mériter l'amour de Candy, alors j'allais au moins consacrer ma vie à rendre Suzanne heureuse...Dans ce cas j'aurais fais quelque chose d'honorable de mon absurde existence. Absurde car j'avais le coeur rempli d'amour et de passion pour une personne que je ne pourrais jamais avoir.

J'avais décidé de repartir à zéro, de mettre le passé de côté, ni cigarettes ni alcool ne toucheraient plus jamais mes lèvres, au moins je pouvais me donner un peu de dignité. Ainsi, lorsque je retournais à New-York, je suppliais M. Hathaway de me donner une nouvelle chance dans sa compagnie, et demandais à Suzanne de me pardonner. Je les avais conquis tous les deux assez aisément.

Malgré mes efforts, l'amour qui était resté gravé dans mon coeur ne s'était pas envolé avec le commencement de ma nouvelle vie. Ironiquement, l'amour que je ressentais et que je ressens toujours pour Candy était devenu un amour encore plus profond, presque une obsession contre laquelle je ne peux me battre. J'avais alors décidé que je devais apprendre à vivre avec un tel sentiment, comme je l'avais fait pour l'alcool, en acceptant mon problème et en retenant mes envies. Par conséquent, j'avais seulement déguisé mon amour pour Candy et avais commencé à jouer le meilleur rôle de ma carrière.

Comme si mon absence de la scène avait été une excellente stratégie commerciale pour promouvoir mon talent, cela commençait à porter fruit. Le théâtre affichait salle comble tous les soirs où j'y jouais, une tonne de nouveaux contrats de travail m'étaient proposés à travers le pays et M. Hathaway étais plus que satisfait des excellents profits que nous obtenions. Nous avions osé expérimenter différents genres de rôles et essayé quelques pièces de Oscar Wilde et de Bernard Shaw. Ce fût un immense succès.

Mon enthousiasme face à tous mes nouveaux rôles occupait la majeure partie de mon temps et prenait presque toutes mes énergies, je divisais le peu qu'il restait entre Suzanne et le nouveau projet que je venais de commencer: La construction de la maison où Suzanne et moi allions habiter lorsque nous allions être mariés, soit dans l'année qui suivait comme nous l'avions décidé.

Je menais toujours une double vie, d'un côté une façade sociale, l'image publique de Terrence Grandchester, et de l'autre ma vraie personnalité dont je cachais l'existence au monde entier, j'avais investi efforts et argents pour créer un endroit qui serait le foyer secret de mes sentiments réels...un endroit rempli des traces qu'elle avait laissés par son bref passage dans ma vie, sachant très bien que le constant rappel de mon amour frustré ne serait d'aucune aide pour apaiser mon coeur brisé. Quelque chose en moi refusait de l'oublier et avait besoin d'être nourri par son souvenir afin d'apaiser la peine de cette immense perte. Ce fut en ce temps que j'ai commencé à écrire.

Au tout début c'était une sorte de délivrance, mais avec le temps c'était devenu une habitude que j'aimais et l'idée d'écrire une pièce inspirée par la femme que j'aimais assaillait mes pensées de façon inattendue. J'avais commencé ce projet, travaillant sur ce dernier lors des longues nuits où je souffrais d'insomnie qui tourmentaient ma vie et qui bientôt exigèrent toutes mes forces. Durant ces soirées solitaires, je divisais habituellement mon temps d'écriture entre les dialogues et les interminables lettres, remplies par mes désirs ardents et par mon amour sincère, dédié à la femme qui, je savais, ne les lirait jamais.

Cette vie de charade avait continué presque un an, je n'avais pas atteint le bonheur, que je savais hors de portée, mais j'avais au moins trouvé une sorte d'équilibre afin de venir à bout de mon existence pour le reste de ma vie. Ma relation avec Suzanne était stable et les plans pour le mariage avaient commencé à progresser. Évidemment, je faisais de mon mieux pour passer du temps avec elle car j'étais certain qu'il était de mon devoir de faire des efforts pour elle, après tout elle en avait fait pour moi. Pourtant, chaque fois que j'étais seul avec elle, mon esprit ne cessait de me faire des reproches face à l'incontrôlable rejet que mon coeur ressentait.

La partie "physique" était la pire de toutes. Le simple fait que nos mains se touchent semblait brûler ma peau de dégoût. Par conséquent, j'évitais d'accroître notre intimité au-delà de se qui était socialement acceptable, il m'était très convenable que la société fusse assez euphémique pour condamner presque toute sorte de rapprochement physique entre les couple fiancés. Un chaste baiser sur le front était pratiquement un protocole obligatoire, je pouvais sentir les frémissements de Suzanne sous mes doigts et cela me faisait sentir encore plus coupable dû à mon incapacité à lui rendre son amour. Au fond, je craignais le jour où je devrais faire face à mon devoir d'homme marié.

Néanmoins, ce jour n'arriva jamais. Vers la fin de l'année de 1915, durant les jours froids de décembre, la santé de Suzanne commença à dépérir. Une soudaine et inexpliquée faiblesse enclencha la triste histoire de ses adieux à la vie. Elle devenait de plus en plus faible et n'avait plus d'intérêts pour rien, toujours entourée de docteurs qui ne pouvaient expliquer la cause de son étonnante détérioration physique. Il prit 3 mois aux physiciens pour comprendre la nature de sa maladie, mais cette découverte n'était pas très encourageante. Suzanne était atteinte de leucémie, ainsi était-elle condamnée à mourir tôt ou tard et la science médicale ne pouvait rien faire pour la sauver. Nous n'avions seulement qu'à attendre ce jour fatidique.

La mère de Suzanne avait décidé que seule elle et moi allions connaître le douloureux secret de sa mort imminente, alors nous nous étions impliqués pour prendre soin d'elle pendant ses longs séjours à l'hôpital lorsque son corps avait besoin d'une autre transfusion afin de contrecarrer la perte grandissante des cellules de son sang. Le temps passait et la pauvre fille souffrait des continuels assauts d'une large liste d'infections dues à son sang contaminé. La pauvre Mme Marlowe était si misérable que je n'avais d'autres options que de comprendre sa souffrance. Je croyais l'avoir oublié durant cette période, juste à voir son immense peine.

Ma vie était alors divisée entre la scène et l'hôpital, de longues journées et de longues nuits d'une existence pathétique. C'est en ces temps, où les problèmes de santé de Suzanne commençaient à prendre place à l'intérieur des différents médias, que je reçus une nouvelle qui me frappa avec une cruauté impitoyable.

C'était une journée froide et les nuages gris étaient le signe imminent qu'une tempête menaçante se préparait. J'étais arrivé très tard dans la soirée après une longue journée passée à l'hôpital suivi par une fatigante répétition juste avant la première du lendemain. Effectivement, le jour suivant, je devais jouer Hamlet pour la première fois et les attentes des critiques et du public étaient très élevées. On disait que ce rôle allait être déterminant pour ma réputation, celle du plus important acteur de théâtre du pays.

Je vivais déjà dans la maison que j'avais fais construire et j'avais engagé quelques personnes pour s'en occuper. Alors, lorsque je suis arrivé cette nuit, Edward, le maître d'hôtel, m'attendait avec un dîner et le courrier du jour. J'avais regardé par hasard la petite pile de lettres et de factures sur le bureau de mon studio et une grande enveloppe jaune sans destinataire et sans timbre avait attiré mon attention. Je l'avais ouverte et y avais trouvé une note brève et écrite à la machine qui disait:

Chèr M. Grandchester,

Je crois qu'il est de mon devoir de vous informer des évènements qui se produiront bientôt à Chicago. Comme vous pourrez le constater de vos yeux, il n'est plus utile de vivre dans le passé.

Bien à vous,

Un ancien ami.

Ne comprenant pas mais étant immédiatement intrigué par la mention de Chicago, je plongeais ma main dans l'enveloppe pour y trouver un autre message. Ce dernier avait fais grandir mes yeux de joie et de souffrance au même moment. C'était une note qui provenait d'un journal avec une photo qui avait immédiatement attiré mon attention. C'était elle, élégamment vêtu et sortant d'une voiture. Un homme, dont le visage n'était pas visible sur la photo, lui offrait sa main afin de l'aider à descendre.

J'avais seulement fixé la photo un moment sans regarder l'en-tête. Mes yeux dévoraient avec ardeur toutes les lignes de son visage sur la photo. Elle était tout simplement d'une beauté extraordinaire et je m'étais demandé comment elle pouvait si merveilleusement joindre la beauté et l'esprit noble que j'aimais tant en elle..."Est-ce que la beauté, a encore plus de charme avec de l'honnêteté?" Puis mes yeux s'étaient heurtés au message de l'en-tête, fracassant mon âme et tuant ce qui restait de mon pauvre coeur.

"Mademoiselle Candy Neige André, une des plus importantes héritière de notre pays, va bientôt annoncer formellement ses fiançailles avec un distingué millionnaire de Chicago"

Mon coeur avait cessé de battre un moment qui m'avait parut une éternité. Ces mots que j'avais lus pénétrèrent dans mon esprit de façon tourmentante avant même que je ne comprenne leur sens exact. Lorsque le coup finalement atteignit mon cœur, j'avais perdu la tête, brisé et fracassé tout ce qui se trouvait sur mon chemin.

Tel un fou, je poussais et frappais tout ce qui se trouvait à travers la chambre. Le bruit des objets qui se brisaient ainsi que mes hurlements avaient dû faire terriblement peur à mes domestiques car tous les quatre étaient accouru au salon pour y découvrir leur patron devenu complètement fou de rage hurlant des mots à propos de trahison et d'abandon. Edward et le jardinier avaient essayé de m'arrêter pendant que la femme de ménage et le cuisinier m'avaient regardé de façon horrifiée.

Lorsqu'ils étaient enfin parvenus à me faire arrêter cette crise de destruction, j'étais resté là paralysé par ces deux hommes, incapable de comprendre leurs paroles. Je me souviens qu'après un bout de temps, j'avais commencé à ressentir le besoin de remplir mon corps d'alcool et je l'aurais fais si cette vision que j'avais eu à Chicago n'était pas réapparu dans ma tête. Réalisant le grand danger auquel je faisais face, j'avais demandé à mon maître d'hôtel de m'enfermer dans ma chambre et de n'ouvrir la porte que le jour suivant, d'ici là, j'avais à quitter la maison pour me rendre au théâtre.

Le maître d'hôtel et le jardinier avaient été étonnés par ma demande et avaient surtout eu peur que je me blesse vu l'état dans lequel je me trouvais, ils avaient hésité un moment mais comme j'avais insisté ils avaient finalement obéi à ma demande et m'avaient laissé seul à l'intérieur de ma chambre.

Là, j'avais continué mes attaques enragées jusqu'à ce que mes bras furent fatigués de lancer des objets et jusqu'à ce que mes larmes aient trouvé le chemin de mes yeux. J'étais tombé sur le sol et des milliers d'arguments et de contre arguments tournoyaient dans ma tête.

D'un côté je me sentais trahi et offensé, alors une série de reproches m'étaient venu à l'idée: Comment a-t-elle pu m'oublier si vite? Est-ce que je représentais si peu à ses yeux pour qu'elle m'ait trouver un remplaçant si facilement? Aime-t-elle cet homme? L'aime-t-elle autant qu'elle m'avait déjà aimé...ou peut-être même plus? Était-ce possible que je soit devenu pour elle un mauvais souvenir du passé? Pense-t-elle à moi chaque fois qu'elle se retrouve dans les bras de cet homme? Comment avait-elle pu me faire cela!

D'un autre côté les mêmes reproches, tel l'effet d'un boomerang, m'avaient frappés en retour avec une tel force que j'avais réalisé que la seule personne à blâmer n'était nul autre que moi même: M'attendais-je à ce qu'elle devienne vieille fille seulement parce que nous nous étions séparés? N'était-elle pas merveilleusement belle? N'en vallait-elle pas la peine? De quel droit l'ai-je blâmé pour avoir trouvé un nouvel amour alors que moi je planifiais mon mariage avec une autre femme? N'étais-je pas celui qui avais perdu le courage de me battre pour l'amour que nous avions déjà partagé? Comment puis-je la blâmer d'être heureuse? N'était-ce pas mon désir?

Jamais auparavant la jalousie n'avait été si empoisonnante et tourmentante, à partir de là mes cauchemars seraient habité par d'affreuses visions de la femme que j'aimais dans les bras d'un autre. Si je méritais une punition pour mes erreurs, celle-ci serait la plus convenable car c'était la plus douloureuse de toutes. Une partie de moi était morte cette nuit là.

La soirée suivante, un tapage désespéré à ma porte me l'avait fait ouvrir après presque 20 heures d'isolation totale. Lorsque j'aperçus le visage de la personne qui frappait avec tant d'insistance à ma porte, j'y reconnus les traits inquiets de ma mère. Les domestiques, encore consternés par mon incompréhensible comportement de la veille, l'avaient appelée. Elle avait dû s'attendre à quelque chose de différent car lorsqu'elle me vit déjà vêtu de mon toxedo, son visage parut surpris. Elle s'était alarmée en voyant dans quel état se trouvait ma chambre et même si elle savait qu'il n'y avait rien à dire, elle osa me demander ce qui s'était passé. Je l'avais regardée froidement et lui avais seulement dit que je ne désirais pas en parler, que ce qui était important était que le spectacle devait continuer.

Et effectivement le spectacle avait eu lieu et avec succès. Je n'avais jamais si bien interprété Hamlet que ce soir là, car plus que jamais, j'avais désiré mettre fin à mes jours. Mais je savais bien que je devais choisir la vie pour accomplir ma mission, tout comme le Prince du Danemark avait résolu son dilemme entre la vie et la mort. "Jamais auparavant la douleur n'avait été mieux décrite" disaient les critiques le jour suivant en faisant référence à ma performance, ce qu'ils ne savaient pas c'était que mon travail n'avait aucun mérite car j'avais seulement laissé mes propres sentiments révéler leur amertume au fur et à mesure que de disais mon texte.

J'avais promis de prendre soin de Suzanne jusqu'à la fin et je l'avais fait malgré le chagrin qui était présent en moi. Plus le temps passait et plus son hospitalisation devenait longue et difficile, Elle vivait des périodes de dépression profondes et seule ma présence aidait à diminuer ses souffrances. Son supplice était lent et pénible, elle perdait du poids et sa beauté se fanait, telles les toiles de De Vinci, et cette fois-ci n'était pas épargnée. Ce témoignage de la fin d'une vie, qui aurait pu être heureuse et productive, n'était qu'un horrible processus qui me rendait encore plus misérable et ténébreux.

Le souvenir de la nuit ou elle mourrut, allait toujours me hanter. J'avais passé tout l'après-midi avec elle car c'était le jour de l'Action de Grâce et je ne travaillais pas. Cela faisait bientôt un an qu'elle était malade et les médecins nous avaient dit, à sa mère et moi, que la fin approchait. Contrairement aux jours précédents elle était exceptionnellement joyeuse et avait même osé s'aventurer à faire des nouveaux plans pour le mariage qui, je le savais à ce moment là, n'aurait jamais lieu.

Suzanne m'avait tenu la main des heures en silence. Son pâle visage, dont les yeux étaient marqués de cernes noirs, auparavant beaux et lumineux abordaient maintenant une expression plus calme, que je pouvais voir malgré les ombres du soir. Soudainement elle avait ouvert les yeux, ils étaient remplis de peur. Elle m'avait regardé et avait essayé de me dire quelque chose avec sa faible voix, mais j'avais de la difficulté à la comprendre. J'avais approché mon oreille à ses lèvres et tel un tendre soupir, j'entendais ses derniers mots.

"Avant que je quitte", m'avait-elle dit, "Je veux que tu m'accordes ton pardon"

Je l'avais regardé d'un air perplexe car je n'avais pas compris pourquoi elle me demandait une telle chose, elle avait sûrement vu à quel point j'étais confus et s'était empressée à m'expliquer.

"Je t'ai fait du mal," m'avait-elle dit les yeux remplis de larmes, "J'ai besoin que tu m'accordes ton pardon avant de faire face à celui qui va juger tous mes actes."

Elle tourna la tête et pointa la table de chevet près de son lit.

"Il y a une lettre qui t'est adressée à l'intérieur," avait-elle ajouté, j'avais alors vu une ombre mortelle traverser le bleu de ses yeux, "Lis la quand je serai parti, mais maintenant dis moi que tu me pardonnes. C'est ce dont j'ai besoin."

"Il n'y a rien à pardonner," lui avais-je répondu en baissant les yeux.

"Si, il y a quelque chose," avait-elle insisté, "Et tu le sais très bien."

Ces yeux étaient tellement déterminés et francs que j'avais compris qu'elle avait raison.

"Je te pardonne," avais-je finalement dit, après que j'eus prononcé ces mots elle ferma ses yeux et rendit l'âme, laissant seulement derrière un corps fragile et sans vie que sa mère et moi avons mis en terre avec une profonde tristesse.

Deux jours après ses funérailles, je lis sa lettre et j'y découvris l'enfer dans lequel elle avait vécu durant ces derniers mois. J'avais lu la lettre une seule fois mais elle est restée empreinte dans ma mémoire.

"Mon cher Terry,

Comment puis-je exprimer ma grande gratitude face à ton immense bonté? Comment puis-je écrire la honte et la culpabilité qui habitent mon âme dû à la souffrance que je t'ai causée? Qui, je le sais bien, ne t'a apporté que de la tristesse. Et cette connaissance me condamne encore plus.

Maintenant que ma fin arrive et que je vois le jour de mon jugement venir à grands pas j'ai besoin de confesser mes péchés à celui que j'ai blessé. Mes fautes sont très grandes car je les ai commises en sachant que ce que je faisais était mal mais je n'ai pas eu le courage de tout arrêter et de corriger ma destiné.

Je savais que tu ne m'aimais pas lorsque tu as décidé de me demander en mariage et je savais très bien que je faisais du mal à une troisième personne autant que je t'en faisais à toi. J'essayais de m'accrocher à toi, mon amour pour toi n'en était plus lorsqu'il s'est transformé en une égoïste obsession qui ne me permettait pas de te délivrer de la promesse que tu n'aurais jamais dû me faire en premier lieu.

Lorsque tu m'es revenu après ta longue absence, je me suis mentie, essayant de me convaincre que tu avais finalement apprit à m'aimer. J'ai vécu un moment en croyant ce mensonge jusqu'à ce que un faux mouvement m'ait révélé la vérité que je refusais de voir.

Un soir où tu travaillais j'avais décidé d'aller voir pour la première fois la maison que tu nous avais fait construire. Avec l'aide de ton maître d'hôtel, je visitais toutes les pièces de la maison jusqu'à ce que j'en atteigne une qui était fermée à clef. Alors, Edward m'avait dit que c'était tes appartements et que tu avais donné l'ordre strict qu'ils soient toujours fermés à clef en ton absence. Malgré tes ordres j'ai insisté pour voir cet endroit et ai finalement convaincu ton si bienveillant domestique, qui finit par m'ouvrir et me laisser entrer pour que je puisse la visiter par moi-même. Si cela ne s'était pas produi,t je ne t'écrirais pas cette lettre en ce moment.

Me sentant si privilégiée de me trouver à l'intérieur de ton endroit le plus intime je regardais alors ton bureau et y découvrais des piles de textes que je n'avais jamais lus. Ils me ramenèrent à la réalité de la façon la plus cruelle qui existe. Ces textes étaient écrits avec une passion que je ne te connaissais pas, tous les mots reflétaient une sincère affection pour une autre personne que moi. À travers ces pages, je compris beaucoup de choses, je m'aperçus que ta maison était remplie des milliers de détails en sa mémoire que ton amour pour elle serait éternel. Dans cette histoire de rivalité, j'avais fini par être la vrai perdante, car même si tu étais près de moi ton coeur était avec elle et malgré tous mes efforts il en restait de même. Savoir cela fut ma plus dure punition car ma jalousie m'a tourmenté avec cette désagréable souffrance depuis.

Cette nuit là, j'aurais dû prendre la décision de te délivrer de la promesse que tu m'avais faite. Mais mon coeur lâche refusa et ce que j'avais découvert grâce à mon indiscrétion ne faisait qu'augmenter ma culpabilité. Je le savais, je savais ce que je devais faire mais je refusais de le faire. Ceci est le péché que je confesse. Ceci est le péché qui empêche mon âme de trouver la paix.

Voici la peine que je porte, celle d'avoir pu faire quelque chose de noble pour toi mais de n'avoir malheureusement pas levé le petit doigt pour le faire. Même au moment où j'écris ces lignes je n'ose pas te laisser savoir que mon égoïsme n'est pas de l'amour mais je n'y arrive pas, je ne veux pas, par tous les moyens, trouver la force qu'elle à démontré en te tournant le dos en cette nuit si froide. Elle a prouvé qu'elle était une meilleure personne que moi, pas surprenant que tu sois toujours tellement amoureux d'elle.

S'il te plait, je t'en supplie pardonne mon manque d'amour et mon excès d'égoïsme, pardonne moi et oublie la peine que j'ai causée.

Si tu lis ces lignes, c'est parce que je suis déjà morte. S'il te plait Terry, fais en sorte que mes erreurs causent le moins de dommage possible en retournant auprès de la femme que tu aimes vraiment, maintenant que le Seigneur t'a délivré du fardeau que j'ai été pour toi. Je t'en supplie, sois heureux avec elle et oublie cette femme qui ne t'as aimé que jalousement.

Bien cordialement,

Suzanne.

 

Lorsque j'eus fini de lire ces lignes mon coeur se remplit d'une sensation de tristesse et d'inutilité. Après tout, j'avais échoué à la rendre heureuse et elle était décédée dans la souffrance. Il m'était soudainement apparu que mes sacrifices aient été vains et maintenant qu'elle n'était plus là, j'étais perdu et ma vie n'avait plus de but. Je ris sarcastiquement à son dernier souhait de me voir heureux auprès de Candy, l'illusoire et l'impossible rêve de passer ma vie auprès de la femme que j'aimais, que je croyais à l'époque mariée et éloignée à jamais.

Deux rêves j'avais eu dans ma vie, et les deux avéraient impossibles. Après avoir prouvé que je ne méritais pas et que j'étais incapable de rendre Candy heureuse, j'avais été incapable d'aimer la femme qui m'avait sauvé la vie. Cette nouvelle révélation de mon échec m'aurait sûrement fait sombrer dans une autre dépression si ce même jour je n'avais pas reçu une visite qui m'avait forcé à faire face à une nouvelle épreuve.

J'étais toujours dans mes appartements lorsque Edward ouvrit la porte de façon craintive. Il travaillait pour moi depuis un an déjà et n'avait toujours pas appris à endurer mes furieuses explosions. Le pauvre homme était toujours terriblement apeuré depuis ma dernière crise de rage d'il y avait quelques mois, et depuis que e lui avais dit que je ne voulais être dérangé par personne, qui cela puisse être, j'imagine que cela avait dû être très dur pour lui de se décider et de m'interrompre à ce moment là.

"Veuillez m'excuser Monsieur," avait-il chuchoté, "je sais que vous m'avez déja prévenu de ne pas vous déranger, mais je crois qu'il y a une personne que vous aimeriez vraiment voir qui attend de l'autre côté"

"Je crois que vous devriez prendre des leçons d'anglais puisque vous semblez ne pas comprendre ce langage Edward," Lui avais-je répondu d'un ton moqueur puisque cette interruption commençait à me fâcher.

"Il y a un homme de l'autre côté, Monsieur," insistait-il, " il dit qu'il vient de la part de votre père qui est malade."

Ma première réaction avait été de crier "Je n'ai pas de père" envoyant au diable le messager de mon père et mon maître d'hôtel mais, une voix intérieure me fit arrêter et me raisonna à l'aide de deux arguments. J'étais resté là un moment, immobile, luttant contre moi-même.

Si mon père, malgré son orgueil, m'avait envoyé un messager après quatre années de silence entre nous, ne devrais-je pas au moins écouter ce qu'il avait à dire? N'était-il pas mon père après tout? C'était les premières questions que je m'étais posées, celles qui m'ont empêché d'être plus arrogant.

Par la suite, je pensai à ma propre culpabilité. Avais-je le droit de juger cet homme, mon père, alors que je savais bien que je ne valais pas mieux? Donc, après avoir cédé à mes propres considérations je demandai à Edward de faire venir le visiteur dans mes appartements. Quelques secondes plus tard un homme d'âge moyen, grand et élégant, entrait dans la pièce. Je reconnus ses traits de caractères, ses cheveux courts et ses perpétuelles lunettes de ton or. C'était Marvin Stewart, l'avocat de mon père.

"C'est un plaisir de vous revoir, Sir," m'avait-il dit cérémonieusement.

"Autant que je sache je ne suis le Sir de personne, M. Stewart," Lui répondis-je avec le sourire, "C'est quand même bon de vous revoir. Je m'appelle Terrence, et j'aimerais que vous vous adressiez à moi de cette façon."

"Je suis désolé de ne pouvoir vous satisfaire, mais je ne peux m'adresser à vous d'une autre manière, Sir." avait-il insisté.

"Bien, arrêtons de tourner autour du pot," avais-je suggéré, "Je suppose que vous n'êtes pas venu ici par hasard, s'il vous plait asseyez-vous."

L'homme s'assit sur une chaise tout près et d'un regard sérieux commença ses explications. Il me dit carrément que mon père était sérieusement souffrant, en fait, les médecins ne lui donnaient pas plus de quelques mois à vivre, peut-être moins. Apparemment, ses reins ne fonctionnaient pas bien et il n'y avait rien à faire. Lorsqu'il avait appris sa mort éminente, il avait voulu me voir pour une dernière fois, en dépit des reproches de sa femme; il avait ordonné à Stewart de venir en Amérique afin de me prévenir de sa situation. Mon père espérait que je puisse faire le voyage de retour en Angleterre avec Stewart.

"Je suis terriblement désolé de vous apporter cette triste nouvelle, surtout que maintenant vous êtes en deuil de votre fiancée," avait-il terminé sur le même ton de voix.

Si Marvin Stewart était venu me visiter deux ans auparavant alors que je croyais être mieux que je ne le suis vraiment, je l'aurait sûrement renvoyé au Royaume-Uni sans même un mot de sympathie pour Richard Grandchester. Mais comme mes propres erreurs m'avaient rendu un peu moins arrogant j'acceptais l'invitation de mon père, malgré le danger qui régnait en Europe en ce temps de guerre, alors que la marine marchande allemande menaçait le passage dans cette zone.

Ce voyage à Londres, précisément pendant ces journées d'hiver était bien la dernière chose que j'avais envie de faire, je savais que cette saison n'allait pas m'aider à faire face à l'assaut de mes souvenirs qui ne cessaient de s'abattre sur moi depuis le tout début de la journée. Le luxueux bateau, le bon temps écourté, l'arrivée à Southampton, les rues où je m'étais promené avec elle, les vieux édifices aux airs sévères, tout ces sentiments de déjà vu faisaient en sorte que ma rencontre avec mon passé fût encore plus difficile et tourmentante.

Heureusement, ma belle-mère et ses enfants avaient décidé de quitter Londres le temps que j'étais supposé y être. J'avais remercié le ciel d'avoir accordé à la Duchesse un peu de bon sens afin d'éviter cette désagréable rencontre. Stewart avait dit qu'elle était tellement fâchée contre la décision de mon père d'envoyer quelqu'un me prévenir, que lorsqu'elle avait réalisé qu'elle ne pouvait pas persuader son mari du contraire, elle s'était finalement dit qu'elle ne s'abaisserait pas en habitant sous le même toit que moi.

Lorsque j'arrivai au manoir de mon père, mon coeur battit encore plus fort que je ne l'aurais imaginé. J'avais essayé tellement fort de me convaincre que je n'avais rien à faire de Richard Grandchester, qu'il était difficile de réaliser que je pouvais encore avoir d'autres sentiments que la haine envers lui. Lorsque je le vis finalement étendu sur son lit, si maigre et si pâle, sans vigueur ni arrogance, l'éclat de ses yeux qui palissait, je ne pus m'empêcher de ressentir une soudaine peine. L'homme que ma mère avait déjà aimé était mourrant.

"Sir Grandchester" dit Stewart lorsque nous entâmes dans la chambre, laquelle avait gardé son style de la Renaissance impeccablement disposée, "Votre fils Terrence, il est là."

Mon père ouvrit les yeux et essaya de se relever, mais comme il n'avait plus de force, le domestique qui était à ses côtés dut l'aider. Il plissa les yeux pour m'apercevoir dans l'obscurité de la chambre, mais l'éclairage était trop faible, et ordonna donc au domestique d'ouvrir les rideaux. Lorsque la lumière du jour pénétra dans la pièce, je découvris que mon père avait énormément vieilli durant les dernières années. Il était pourtant seulement à la fin de la quarantaine, mais semblait avoir plus de soixante ans.

Il me regarda finalement et je pus pu voir son visage se transformer et prendre une expression qu'il ne soupçonnait pas avoir.

"Laissez-moi seul avec mon fils," demanda-t-il et je remarquai que sa voix était toujours empreinte de ce mépris arrogant.

Lorsque tous les gens, incluant Stewart, nous eurent laissés seuls, il me fixa encore, il bougea pas, sans savoir trop quoi dire ou faire.

"Cela fait un bout de temps, Terrence," commença-t-il.

"Oui, en effet, monsieur," répondis-je sèchement.

"Tu as grandi," continua-t-il faiblement. "Tu dois avoir vingt ans maintenant."

"Je croyais que vous ne vous en souviendriez pas, monsieur," répliquai-je.

"Je me souviens de bien plus de choses que tu peux l'imaginer, mon fils," ajouta-t-il avec une soudaine étincelle dans ses yeux. "J'ai aussi entendu bien des choses, je sais que tu obtiens beaucoup de succès dans les arts et spectacles," dit-il d'un ton moqueur, ce qui éveilla mon ancienne rancoeur.

"Je ne suis pas aussi riche que vous, monsieur, mais je vis bien et je suis indépendant. Ce que j'ai est le fruit de mon travail," répondis-je fièrement avec un brin de reproche dans ma voix qu'il comprit clairement et que je regrettai lorsque ses yeux se remplirent de tristesse.

"Je comprends que je n'ai pas vraiment été un père pour toi Terrence," dit-il en me frappant par sa soudaine franchise.

"Bien, je ne crois pas que je puisse juger cela," marmonnai-je en baissant les yeux.

"Tu as changé," dit-il en me regardant, surpris par ma réaction, " mais tu ressembles encore tellement à ta mère." Il resta silencieux un moment, hésitant. "Comment...comment va-t-elle?" osa-t-il finalement demander.

À ce moment ce fut moi qui fus surprit. La dernière personne dont je croyais qu'il voudrait se renseigner était bien ma mère. J'étais certain qu'il l'a détestait.

"Elle va bien, merci," répondis-je dès que j'eus repris mes esprits. "Elle est en tournée, elle doit être à San Francisco maintenant."

Alors, un lourd silence régna un moment. Nous ne savions pas comment continuer. Ce fut mon père, qui encore, brisa le silence.

"J'ai appris que tu es fiancé," dit-il avec insouciance d'une voix encore plus faible.

"Oui, c'est vrai, monsieur," répondis-je, "mais elle est décédée il y a quelques semaines."

Mon père fronça le sourcil en signe de surprise.

"Je suis triste de l'apprendre," dit-il en baissant la tête.

"Ça va, monsieur. Je vais m'en remettre," répondis-je froidement.

Ma froide réponse ébranla un peu mon père, mais comme il était habitué à contrôler ses émotions, il comprit d'une certaine façon, ou avait cru comprendre mon insensibilité apparente.

"Assis toi, Terrence," m'invita-t-il en me pointant un fauteuil de bois sur lequel était gravé l'emblème de la famille. "Mes forces s'épuisent et il y a des choses que je dois te dire," finit-il en soupirant.

J' approchai alors la chaise près de son lit et faisais face à un homme bordé au milieu de couvertures de soie marine.

"Mon fils," commença-t-il, "je t'ai fait venir jusqu'ici...car," il s'arrêta et je vis qu'il avait de la difficulté à transformer ses pensées en paroles, "...car je sais que notre relation n'a jamais été comme elle aurait dû être, et...et je m'en sens responsable." Admit-il les yeux baissés. Je fus été étonné par ses paroles car je n'avais jamais imaginé pour l'entendre un jour parler ainsi.

"J'ai fait une erreur, Terrence," continua-t-il avec tristesse, "une erreur que j'ai regretté toute ma vie. J'ai trahi mes sentiments envers ta mère afin d'obéir aux désirs de mon père et sauvegarder l'honneur de la famille. J'ai blessé la seule femme que j'ai jamais aimée et j'ai fait une autre erreur, encore pire que la première, celle de t'enlever à ta mère. Je n'aurais jamais du faire cela."

À ce point, une grosse larmes roula sur la joue de mon père, faisant preuve de ses sentiments, finalement délivrés après toutes ces années de désaveu.

"Je...Je t'ai rendu misérable en t'apportant ici," bégaya mon père. "Tu me rappelais quotidiennement Éléonore, et dans mon obsession à vouloir l'oublier, je t'ai repoussé. Je...Je...ne savais tout simplement pas comment m'occuper de toi...Quand tous tes gestes accusaient mes actes illégitimes. Chaque fois que je regardais dans tes yeux, je voyais ceux de ta mère et je ne pouvais y résister. C'est la raison pour laquelle je t'ai tenu à l'écart, au collège, c'est pourquoi j'ai toujours refusé de te montrer combien je t'aimais...Mais...mais je t'aime mon fils...je t'ai toujours aimé."

"Père!" Réussis-je seulement à dire.

"Et ce qui est pire encore," continua-t-il d'une voix enrouée, "la tragédie la plus stupide de toute c'est que...malgré tous mes efforts, tout mon acharnement au travail, toutes les autres femmes, tous mes voyages, ou tous les plaisirs dont je me suis régalés, je n'ai jamais...jamais oublié ta mère...J'ai été tellement stupide et maintenant que je le réalise, maintenant que j'ai le courage de réparer mes erreurs, il est trop tard, mon fils." Termina-t-il en pleurant en silence.

"Ma plus grande punition est que je ne reverrai jamais ta mère et que je ne pourrai recevoir son pardon," continua-t-il avec amertume, "Mais toi mon fils, toi, me pardonneras-tu un jour?" M'avait-il demandé ou plutôt supplié, je n'avais même jamais rêvé que Richard Grandchester soit capable d'une telle chose. Qu'est ce que j'aurais pu répondre à cet homme, à la fin de sa vie, lorsque de mon côté, j'avais fais les même erreurs?

"Je vous pardonne...Père," répondis-je d'une voix enrouée, "Je ne vous juge pas père."

"Merci, Terry," dit-il soulagé, utilisant le nom qu'il m'avait donné étant enfant. Je levai mon bras puis nous nous serrâmes la main un moment. Par la suite, nous demeurâmes en silence, pour la première fois de ma vie mon père et moi étions en paix avec nous même et nous n'avions pas eu à parler pour nous sentir bien.

Le soleil se coucha et la chambre se recouvrit de nos ombres. Les flammes qui dansaient dans la cheminée éclairaient la pièce de leurs reflets timides. La respiration de mon père devenait plus lourde dans le silence de cette fin de journée. Seulement le bruit de ses poumons endommagés était perceptible. À ce moment, une question avait interrompu mes pensées.

"Père," dis-je, brisant le silence.

"Oui?" dit-il épuisé.

"Pourquoi ne m'avez-vous jamais forcé à retourner en Angleterre...Je veux dire, vous auriez été en droit de le faire, je n'avais que seize ans et j'étais toujours sous votre garde."

"J'imagine qu'elle ne te l'a jamais dit," répondit mon père avec un sourire énigmatique.

"Elle?"

"Oui, ton amie d'école, celle dont tu étais tellement amoureux."

C'était le comble. Je me tournai vers l'âtre, incapable de cacher ma déroute. Finalement, tout dans ma vie tournait autour d'un seul nom.

"Candy," dis-je dans un soupir.

"Oui, c'était bien son nom," fit remarquer mon père, "tu sais mon fils, je n'ai jamais rencontré quelqu'un de plus persuasif que cette jeune femme."

"Comment...comment l'avez-vous rencontrée?" demandai-je avec hésitation.

"Bien," dit le vieille homme d'une faible voix, "lorsque tu es parti je me suis rendu au Collège pour parler avec la responsable...elle...elle avait appelé cette fille...cette Candy...pour la questionner à ton sujet, car elle croyait que Candy aurait pu savoir où tu étais allé."

"Elle ne le savait pas," dis-je immédiatement avec la même ardeur que j'aurais eu si j'avais su alors que mon père avait impliqué Candy dans notre conflit familial.

"C'est vrai, elle n'avait pas pu me dire ou tu te trouvais...mais...elle m'avait demandé avec tant d'insistance de te laisser ta liberté...je...je ne sais pas...je n'ai pas pu résister à sa demande...C'est épatant combien cette petite femme peut être persuasive. Après tout, suivre les suggestions de cette jeune fille m'apparaît être une des meilleure chose que j'ai faite," conclut-il d'une voix encore plus faible.

"Candy!" Répétai-je distraitement, perdu dans mes souvenirs. À chaque tournants de mon existence, j'ai toujours fini par savoir que tu étais reliée aux meilleurs choses qui me soient arrivé, Candy Neige.

"Est-ce que...est-ce que tu l'as revue?" s'aventura mon père à demander. Peut-être que mon expression à ce moment laissa transparaître plus que je ne pensais.

"Oui." Dis-je sans pouvoir cacher ma mélancolie.

Encore une fois, un long silence entre nous régna à l'intérieur de la chambre. Les ombres se mélangeaient avec les vives flammes du foyer, projetant des formes fantomatiques sur le vieux mur. Mon père s'endormit et je restais à ses côtés des heures durant. J'avais vu à l'intérieur de ses yeux la même ombre mortelle que Suzanne avait le jour de sa mort. De cette façon, je savais que la fin de mon père était proche et comme je n'avais jamais été près de lui dans sa vie, je ressentais le besoin de rester près de lui pour sa mort.

Après un moment qui m'avait semblé incroyablement long, mon père se réveilla, affichant un regard rempli de douleur. À sa demande, une équipe de médecins et d'infirmières pénétrèrent dans la chambre pour essayer en vain de maintenir en vie un homme que Dieu avait déjà rappelé à ses côtés. Tous ces gens ne pouvaient plus que donner des médicaments à mon père afin de le garder somnolant, et des anti-douleurs afin que ses derniers moments soient les moins difficiles possible. Au moment où ils quittèrent la pièce me laissant seul avec lui, celui-ci me lança le regard le plus sincère qu'il ne m'ait jamais envoyé.

"Merci, Terry...d'être là," marmonna-t-il, "je voudrais que ta vie soit meilleure que la mienne, mon fils."

"Je vais bien...papa," mentis-je.

"Je sais...," toussota-t-il, "je sais que tu me mens...car tu ne m'as jamais appelé papa..." Il sourit tristement et je souris en retour. Par la suite son visage devint sérieux et avec beaucoup de difficulté il s'adressa à moi:

"Mon fils, ne trahis pas tes propres sentiments, laisse-toi guider par ton coeur et surtout...pour l'amour de Dieu...ne commets pas le même péché que moi...de n'avoir jamais été heureux." Il s'était alors arrêté un bref moment, n'étant plus certain s'il allait continuer. Finalement, il décida de dire ce qu'il retenait. Des paroles que je n'oublierai jamais. "Tu ne me juge pas, et par St. George, je suis le dernier homme qui pourrait te juger, mon fils...mais il est clair pour moi qu'il y a une passion à l'intérieur de ton coeur que tu...tu...ne peux combattre...ne le fais pas...écoute la voix de ton coeur...et retrouve ton amie d'école." termina-t-il, s'abandonnant à l'effet des puissants médicaments qui l'avaient forcé à s'endormir et à rêver à jamais. Durant son sommeil, il appela ma mère à trois ou quatre reprises puis finalement, au lever du jour, mon père mourrut paix à l'intérieur de son sommeil en tenant ma main. Je ne pus jamais lui dire que je n'allais pas être en mesure de retrouver "mon amie d'école" car elle appartenait déjà à quelqu'un d'autre. Du moins, c'est ce que je croyais à ce moment.

Après le décès de mon père, je fis face à la difficile procédure légale de la division de sa fortune, aux responsabilités politiques et aux demandes de privilèges aristocratiques. Si Stewart n'avait pas été un avocat honorable et efficace, je n'aurais jamais été capable de me débrouiller avec les conflits extrêmement complexes qui m'attendaient. Je fus été surprit de découvrir que, même si les titres principaux de mon père étaient légués au plus vieux de mes demi-frères et que presque tous ses biens étaient destinés à sa femme et à ses enfants, ma mère et moi avions aussi été considérés dans ses dernières volontés.

Inutile de préciser que la Duchesse était encore plus fâchée, mais mon père avait arrangé ses affaires de façon à ce qu'il soit impossible pour elle de lancer un procès légal afin de réclamer ce que mon père avait laissé pour ma mère et moi.

C'est ainsi que, du jour au lendemain, j'étais en possession d'une modeste fortune, du titre de Compte et de la villa de Edinburgh, une propriété que mon père avait insisté afin qu'elle m'appartienne, car comme il l'avait établi clairement dans son testament, j'avais été conçu là-bas et il croyait que cela me donnait le droit d'avoir ces terres et la maison pour moi seul. Ma première réaction avait été de décliner tous ces privilèges et possessions, Mais Stewart m'avait convaincu que je devais les garder car cela aurait rendu mon père heureux. L'avocat m'avait garanti que je n'aurais pas à faire parti du Parlement si je n'en avais pas envie, l'argent serait facilement transféré à ma banque en Amérique et que je pouvais garder la maison sous ses soins et l'utiliser comme résidence d'été pour d'éventuelles vacances. Tout se qu'il avait dit paraissait très sensé mais je m'étais obstiné un peu avec l'idée de garder la villa. Je n'étais pas certain de pouvoir faire face aux souvenirs présents à l'intérieur de ses murs. Pour cette raison, et avant que je ne prenne une décision, je m'étais rendu en Écosse afin de me mettre à l'épreuve, à savoir si je pouvais résister à la rencontre avec mon passé, mais aussi avec l'intention secrète de me donner un peu de temps pour penser et pour réorganiser ma vie après le décès de Suzanne. J'avais espéré que l'ancienne demeure aurait toujours gardé à l'intérieur de ses murs un peu de cette magie que Candy répandait partout où elle allait.

En ces jours, là bas, je décidai, puisque Suzanne était décédée et qu'il m'était impossible d'être avec la femme que j'aimais, que je ne me marierais avec personne. À la place, j'aurais à me trouver un nouveau but afin de donner un sens à ma vie, quelque chose dont je pourrais être fier. Suite à ses jours à Edinburgh, je décidai d'accepter le posthume cadeau de mon père et de laisser Stewart s'occuper de la Villa. Le but que je recherchais m'attendait à mon retour en Amérique. Quelques mois après la mort de mon père, les États-Unis entrèrent en guerre et, dans un élan romanesque, j'avais ressenti le besoin de m'engager dans l'armée. Jamais je ne m'étais douté que cela m'aurait amené à revoir Candy.

Alors... je devais la revoir. Je devais constater qu'elle était vraiment sortie de son cocon d'enfant pour devenir une femme étonnante. Je devais vivre avec elle cette intimité spirituelle pendant ce bref instant à l'intérieur du camion. Je devais la voir s'évanouir dans mes bras une autre fois et goûter à la douce chaleur de son corps inconscient. J'avais découvert que j'avais l'opportunité de reconquérir son amour, mais je n'avais pas réalisé lorsqu'il était encore temps, que quelqu'un agissait de façon à nous séparer une fois de plus. Finalement, je devais vivre afin de rencontrer l'homme qui prendrait peut-être une place que je n'apprécie pas. Maintenant mes cauchemars auront un visage et je ne peux même pas me permettre de les détester car je n'avais pas prouvé en être plus digne.

Oh, Candy, Candy..! J'avais pensé que le temps aurait éteint ce feu en moi, mais il se trouve que je sens ces flammes s'accroîtrent et que je ne peux contrôler mon coeur. Les années ont passé et je ne peux te considérer seulement comme étant un tendre souvenir de mon adolescence, je ne peux penser à toi comme à une amie que je n'ai pas vu depuis longtemps. Je suis toujours amoureux comme au tout premier jour et encore plus, mais cet amour consume sans espoir mon coeur. Pourquoi, Candy, dis le moi...Pourquoi suis-je plus fidèle que j'ai l'intention d'être?

L'horloge sonna minuit et comme si le jeune homme s'était réveillé d'un long sommeil, ou avait été délivré d'un mauvais sort, il se leva soudainement et fit route vers le camion. Il restait encore une longue journée avant qu'il ne puisse retourner à l'endroit dans la forêt où son peloton attendait. Il lança un dernier regard aux lignes floues et gothiques de la cathédrale de Notre-Dame en cette nuit brumeuse et fit ses adieux à celle qu'il aimait.

"Nymphe, dans mes prières, sois tout ce que mes péchés se souviendront," récita-t-il en redémarrant l'engin.

Au bout d'un moment le camion disparut dans le brouillard, l'homme à l'intérieur ignorait à ce moment qu'à son retour au camp il allait rencontrer un nouveau docteur qui jouerait un rôle important dans sa vie.

 

© Mercurio 2000