Retrouvailles dans le tourbillon
Par Mercurio

CHAPITRE 6

(gentiment traduit de l'anglais par Rémi)

La fin d'un mythe

 

Comme toutes les femmes, Candy aurait voulu être élégante pour une telle rencontre….Mais malheureusement, la réalité était bien différente. Dans les bois, la résille qui attachait ses longs cheveux bouclés en un parfait chignon s’était certainement prise dans une branche et avait été déchirée. Ses cheveux tombaient maintenant en désordre sur son dos et sa poitrine et, mouillés, ils avaient pris la couleur jaune foncé du bronze poli.

A la place de l’une des jolies robes qu’elle possédait dans la demeure des André, Candy était vêtue de son uniforme bleu de tous les jours, d’une jupe droite qui lui tombait sur les chevilles et d’un gilet de laine noir. Ses bottes de cuir blanches ainsi que son gilet étaient trempés, victimes de la longue marche dans la neige. "je dois faire peine à voir" pensa-t-elle et elle aurait été effrayée si elle avait pu lire dans les pensées de Terry. Aux yeux du jeune homme, elle était la représentation la plus fascinante de la beauté qu’il avait vu de toute sa vie.

"Alors sergent" dit le capitaine Jackson pour rompre le silence."Maintenant que vous ne prononcez plus que quelques mots, je vous serais reconnaissant de dire la vérité à propos de cette demoiselle. Par conséquent nous devons trouver un moyen de l’aider ainsi que tous les blessés qu’elle a dû quitter.

Terry hocha la tête silencieusement mais ne put faire entendre une réponse audible car son attention s’était soudainement portée sur les vêtements de Candy. Elle était trempée et elle tremblait.

«  Mon dieu, elle est morte de froid »pensa-t-il.

« Je pense que nous devrions d’abord donner des vêtements secs à cette demoiselle, monsieur , suggéra Terry d’une voix qui reflétait sa contrariété. Il s’empara de son manteau posé sur une chaise et avança brusquement vers Candy.

Apportez lui des vêtements secs puis une fois qu’elle sera prête, nous verrons ce que nous pourrons faire pour les blessés, dit Jackson. Les yeux de Terry s’écarquillèrent à cette délicate attention dispensée par l’homme qu’il croyait sans cœur  et qui s’approchait à présent de la jeune fille pour déposer son manteau sur ses épaules.

- Je vais vous indiquer l’endroit où vous pouvez vous changer, Candy » dit il doucement en inclinant sa tête vers la sienne.

Confuse de la proximité de Terry, Candy se contenta d’acquiescer tandis que le jeune homme la prit par l’épaule d’un bras possessif pour l’emmener vers une autre tente. Dehors, loin du chauffage portable du Capitaine Jackson, Candy eut la sensation que la température était encore plus basse qu’avant. La neige tombait toujours avec persistance et Terry resserra son étreinte autour des épaules de Candy pour la protéger du vent froid bien que cela ne s'imposait pas. Ils sentaient tous deux une telle chaleur à l’intérieur que les rafales glaciales n’étaient pas aussi fortes que le battement de leur cœur ; la peine intérieure avait mystérieusement disparu.

Terry emmena Candy vers une grande tente. A l’intérieur, une dizaine de soldats se levèrent immédiatement lorsque le couple entra, en partie parce qu’un officier était apparu mais aussi à cause de la présence inattendue d’une femme dans le camp. Les hommes se regardèrent avec incrédulité, incapable de prononcer le moindre mot.

Terry inclina simplement la tête vers ses hommes en dirigeant ses pas vers un coin de la tente pour prendre une chemise, une paire de chaussettes et un pantalon dans un sac à dos. Il hésita une seconde mais se ravisa à la vue des pieds de candy. Il prit également une paire de bottes noires qui traînait là, sous un des lits pliants.

« Je sais que c’est trop grand, dit il un peu embarrassé. Mais c’est mieux que rien .

-  Ca ira, répondit-elle s’adressant à lui pour la première fois de la soirée.

-  On va te laisser seul, dit le jeune homme en essayant désespérément de garder le contrôle de lui même. Puis, il se retourna pour constater les visages étonnés des soldats derrière lui.

- Tout le monde dehors ! »ordonna-t-il clairement en quittant la tente avant eux, mais en attendant à l’extérieur pour vérifier si tout le monde s’exécutait et laissait la jeune fille seule.

Candy regarda fixement les vêtements que Terry avait laissé pour elle sur le lit de camp. Elle commença à se déshabiller avec une nervosité incompréhensible…Ce n’était pas sous le coup de la froide nuit, ou le grand danger qu’elle avait affronté durant sa marche sans but précis dans la forêt enneigée. Ce n’était même pas la situation précaire dans laquelle les blessés et leurs amis avaient été laissés…Cette nervosité était d’un autre genre et Candy savait très bien quelle en était la cause. C’était une sensation unique dans son cœur, une plaisante difficulté, une contraction des muscles, le rythme fou de son pouls. Une sensation qu’un seul homme sur terre pouvait lui faire éprouver. Et maintenant elle devait se déshabiller pour porter ses vêtements.

Elle resta un instant immobile, tenant la chemise de Terry contre ses seins nus et laissant son essence de lavande envahir ses narines…Mais la seconde suivante, l’image de flammy et Julienne tourmenta ses pensées et elle dû interrompre les divagations de son cœur comme elle commençait à enfiler l’uniforme. Alors, les effluves enivrantes de lavande enflammèrent sa peau et Candy eut la sensation que le jeune homme la soulevait comme il l’avait fait dans le passé.

« Bonté divine, Candy ! » gronda-t-elle alors qu’elle enfilait une paire de bottes trop grandes pour ses petits pieds, «ressaisis toi ma fille !…rappelle toi, rappelle toi de ta position, de sa position ! »

Cette dernière pensée baigna son âme comme une douche gelée sur le cœur.

A l’extérieur de la tente, une autre flamme brûlait d’un éclat désespéré. Gardant cet endroit comme un sanctuaire, Terry attendait à l’entrée. Les battements de son cœur défiaient les lois médicales en galopant dans une course infernale. Même si cela semblait impossible, il était presque sûr de pouvoir entendre chaque vêtement tomber sur le sol alors qu’elle se déshabillait dans la tente. Etait-ce seulement son imagination qui lui jouait des tours cruels ? Le léger bruit était une torture lente, douce et agaçante à la fois. L’esprit de Terry avait laissé de côté les pensées concernant Candy, le fait est qu’elle se trouvait prés de lui après si longtemps. Plus rien sur la planète ne comptait pour lui comme si les obstacles immenses qui les avaient séparés avaient été effacés en un instant ;il était pris de vertige, encore enivré de ses retrouvailles avec elle. L’idée que, d’un simple coup d’œil, il pouvait se délecter d’une vision céleste, le séduisait. Pourtant, il ne bougea pas d’un pouce jusqu’à ce que Candy apparaisse vêtue de son uniforme et de son manteau.

« Je suis prête » dit-elle en évitant son regard.

Il remarqua que quelque chose avait changé en elle comme si elle avait creusé une tranchée pour les séparer pendant qu’elle se changeait. Il avancèrent lentement jusqu’à la tente de Jackson en combattant leurs démons personnels, sans savoir qu’ils partageaient les mêmes tourments.

Jackson avait décidé qu’étant donné les conditions climatiques, la meilleure chose à faire était de rapatrier les blessés au camp pour qu’ils se réchauffent jusqu’à ce que le temps leur permette de continuer leur marche vers Paris. Alors, il ordonna immédiatement à Terry d’affréter deux camions pour retrouver les gens abandonnés. Evidemment, Candy dut se joindre à l’équipe de sauvetage pour leur montrer le chemin.

Pendant le court trajet, Terry avait les yeux rivés sur Candy sous le clair de lune. Il se sentit Terriblement chanceux de ne pas être celui qui conduisait le camion ; de ce fait, il pouvait apprécier les délices d’une promenade mentale sur tous les traits de son visage. Il pensait qu’il avait pratiquement oublié l’immense plaisir d’admirer ce petit nez retroussé, ces grands yeux verts entourés de longs cils noirs, ces lèvres qui accablaient son cœur à chaque fois qu’ils parlaient. Il était euphorique. C’était un sentiment étranger à son âme emprisonnée par des ombres pendant presque trois ans.

Soudain, les furtifs rayons de la lune se reflétèrent sur une surface brillante, ce qui le tira de son rêve inconscient. C’était un scintillement sur la main droite de Candy qui montrait du doigt la route au conducteur, un diamant qui répandait son éclat lumineux dans la nuit noire. L’amère vérité- ou plutôt ce que Terry pensait être la vérité- le gifla, le forçant à admettre sa stupidité.

« Un anneau, un diamant à son troisième doigt, accompagné d’une bague, une alliance ! » se dit il. «avais-tu oublié, crétin ? Elle est mariée, il est défendu de l’approcher. Comment as-tu pu ignorer aussi facilement ce petit détail ! Cœur stupide qui bat sauvagement et qui rêve tout le jour de lèvres qui ne lui appartiennent pas ! »

« Tu vas bien ? demanda Candy pour mettre un terme à sa torture mentale. Tu as pali tout d’un coup ,ajouta-t-elle avec une grande inquiétude.

- Je vais bien » grommela le jeune homme en tournant la tête pour masquer son trouble.

A partir de ce moment, Candy sentit que Terry avait érigé son propre mur contre celui qu’elle avait elle même construit en sortant de la tente avec ses vêtements. De plus, elle devait l’admettre, les frontières qu’elle avait établies étaient précaires et étaient presque tombées sous la persistance du regard de Terry pendant le voyage.

« C’est mieux ainsi , pensa-t-elle tristement, je ne pourrais supporter son regard sans exprimer ce que je ressens tôt ou tard. »

Cela ne leur prit que quelques minutes de plus pour finalement apercevoir le camion sur la surface enneigée. Dès que leur camion s’arrêta, Candy en bondit la première pour courir avec acharnement vers ses amis.

La portière arrière du camion abandonné s’ouvrit sur une jeune femme avec une cape noire qui courait vers Candy en criant son nom. Les deux jeunes femmes se tombèrent joyeusement dans les bras à mi parcours. « j’ai pensé que je ne te reverrai plus mon amie » dit Julienne, trop excitée pour parler en anglais.

« Tes prières ont été plus fortes que tes pensées » répondit Candy en riant.

Terry observait les deux femmes avec délice malgré l’aigreur provoquée par la présence de l’alliance sur la main de candy.

« Tout le monde aime ma petite tache de son »dit il mais une voix intérieure le reprit  « elle n’est pas à toi, ne l’oublie pas. »

« Oui je sais, répondit il à cette voix, mais…cet homme… ! »

Un poison violent emplit le cœur de Terry d’une passion obscure, inattendue. Pour la première fois de la soirée ses yeux s’étaient ouverts pour voir la réalité brutale dont il était témoin et ses traits dramatiques. Son esprit perspicace avait enfin réalisé que la femme qu’il aimait était là, au milieu du tourbillon mortel de la guerre, alors qu’il pensait qu’elle se trouvait à des kilomètres, en sûreté. Elle avait marché au crépuscule dans le froid piquant, risquant sa vie, et même pire, elle revenait du front ! Elle travaillait prés des tires ennemis ! Quel genre d’homme était son mari, lui qui permettait une chose aussi aberrante ?Est ce qu’un ange se promène en enfer ? Quel espèce de lamentable salaud…quel espèce de con était il ?

Terry était possédé d’un mélange de folle jalousie et d’indignation le mettant de si mauvaise humeur que si le supposé mari de Candy était ici, le jeune homme l’aurait étranglé jusqu’à ce que ce rival imaginaire trépasse.

Cependant, sachant bien qu’il était impossible de tuer cet ignoble crétin , il expulsa sa colère en intimant des ordres à ses soldats avec une incroyable grossièreté qui étonna Candy et Julienne.

Grâce à la soudaine manifestation d’ énergie de Terry, les soldats ne tardèrent pas pour transporter les blessés au camp où ils furent auscultés par le médecin de la troupe qui donna sa totale approbation au traitement que Candy dispensait à Flammy. La blonde ressentit un grand soulagement lorsqu’elle entendit le diagnostic du professeur qui lui assura que Flammy guérirait sans qu’une amputation soit nécessaire. Lorsqu’ils furent tous installés dans une tente convenablement chauffée, et après que tout le monde se soit endormi, se laissant aller après les émotions fortes du voyage, Candy sortit de la tente, espérant que le crépuscule glacial l’aiderait à faire taire le tumulte de son esprit. Comment pouvait elle dormir avec les vêtements de Terry sur elle ? Néanmoins, elle n’osa pas se changer pour revêtir son propre uniforme… ressentant à contrecœur la douce sensation de sa présence, malgré les principes qui l’empêchaient d’éprouver ce genre d’émotion pour un homme qu’elle supposait marié.

Les timides rayons du soleil levant caressait de leur chaleur les joues de Candy et les marquaient de rougeurs pourpres.

La lumière violette se teint en nuances roses et dorées sur la couverture blanche entre le feuillage des arbres. Le vent entre les branches semblait répéter le nom qu’elle voulait oublier, l’attirant par ses sifflements. Candy prit une grande bouffée d’air frais. A l’intérieur, sa gorge commença à souffrir d’une irritation peu plaisante, preuve indéniable du rhume qu’elle avait attrapé durant sa marche dans la forêt. Ensuite, comme si elle avait été secoué par un séisme intérieur, son cœur sentit une présence familière derrière elle.

« Qu’est ce que tu fais là ? » demanda Terry, une inquiétude inexplicable dans la voix .

Malgré sa grande frayeur, Candy tourna la tête face au regard le plus glacial qu’elle n’avait jamais vu, qui sous la lueur taquine de l’aube, virait du bleu au vert puis redevenait bleu avec une froideur irisée. Elle se souvint cette expression dans son regard auparavant, longtemps auparavant…Terry était soudainement furieux et elle ne pouvait comprendre la raison de son bouleversement.

« Je ne pouvais pas dormir, je suis sortie pour voir le lever du soleil ,répondit elle en baissant les yeux, incapable de soutenir son regard intense.

- Ce n’est pas la réponse que j’attendais »laissa-t-il échapper avec acrimonie. Cette fois ci son ton la blessa. Elle était là, combattant le désir insupportable qu’elle éprouvait de se jeter à son cou et crier son amour pour lui, et lui la traitait comme une criminelle. Son cœur fut blessé plus que jamais. Mais Candy avait affronté tellement de difficultés par le passé que sa personnalité avait développé une sorte de réaction d’auto défense qui se mettait en place automatiquement. C’est ce mécanisme qui s’activa immédiatement et lui donna le courage de répondre avec une force égale aux provocations de Terry.

« Quel genre de réponse attend tu alors ? » répondit elle brusquement.

Cette fois c’était à Terry de ressentir cette peine persistante dans sa poitrine. Toutefois, il était déterminé à trouver la réponse dont il avait besoin.

-  Qu’est ce que tu fais ici, Candy, à la guerre, si loin de chez toi ? Tu trouves que c’est un endroit pour une femme ? Ne pouvais tu pas rester chez toi ? » lâcha-t-il avec une violente inflexion.

« Candy ouvrit grand les yeux. C’était donc ça pensa-t-elle, une attaque sexiste ! Elle se gonfla d’orgueil . Après tout, elle était de la génération des suffragettes et la moindre insinuation sur le fait que certains endroits et certains travaux étaient réservés aux hommes l’indignait férocement. Si quelqu’un avait l’audace d’exprimer une opinion négative à propos des femmes, Candy brandissait un tas d’arguments pour défendre la femme et elle n’aurait pas fait d’exception pour Terry malgré son amour pour lui.

« Je ne savais pas que tu pouvais te montrer si arriéré, Terrence » répondit elle visiblement en colère, sans savoir que dans toute la phrase qu’elle avait prononcé, un seul mot avait suffi pour briser le cœur de Terry. Depuis leurs retrouvailles inattendues la nuit précédente, Candy ne s’était jamais adressée au jeune homme en utilisant son nom, et maintenant elle avait lâché avec irritation son prénom à la place du surnom que seuls ses amis intimes utilisaient.

« Terrence pensa-t-il. Maintenant tu m’appelles Terrence ! est ce parce que la vie nous a séparé si loin l’un de l’autre que tu ne te souviens plus la façon que tu avais de m’appeler, mon amour ? »

Candy était si en colère qu’elle ne remarqua pas la lueur de tristesse qui traversa l’œil du jeune homme. Au lieu de ça, elle continuait de tenir un discours de rebelle.

« Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, nous sommes au 20ème siècle. Les femmes ont prouvé qu’elles étaient capables de réaliser n’importe quel travail, si peu qu’elles aient reçu une formation et laisse moi te dire que je suis une infirmière efficace. » dit elle en une pluie d’arguments.

Terry reçu chaque mot comme une douche froide. Ce n’était pas ce qu’il avait voulu dire. Ce qu’il se demandait, ce qu’il avait besoin de savoir de toute urgence c’était la raison pour laquelle l’ignoble salaud que Candy avait épousé l’avait autorisé à venir en France comme infirmière de guerre pour risquer sa précieuse vie.

« Ce n’est pas ce que je voulais dire ! »cria-t-il désespérément et il regretta sa réponse pleine de colère.

- Ah vraiment ? demanda-t-elle ironiquement. Quelle autre raison aurais tu de me demander des explications pour justifier de ma présence ici  Terrence? »

« Encore une fois elle m’a appelé Terrence »pensa-t-il frustré en détournant son visage, contrarié. Un geste que Candy eut du mal à comprendre.

« Je pourrais peut-être te poser la même question »continua-t-elle, exposant cette fois ci ses propres craintes quant à la sécurité de Terry.  « Que fais tu ici Terrence ?pour l’amour de dieu ! tu n’es pas un soldat, tu…tu es un comédien, un artiste ! Pourquoi risquerais tu ta vie dans ce combat dénué de sens ? Ce n’est pas ta place non plus. »

« C’est différent répondit Terry atteint lui aussi dans sa fierté d’homme. Je suis venu jusqu’ici pour défendre notre pays. C’est une question d’honneur qu’une femme ne pourrait pas comprendre. »

« Une question d’honneur ! notre pays ! dit elle avec un rire méprisant. Des bêtises ! ce n’est pas une question de patriotisme, c’est simplement un diabolique et stupide cauchemar créé dans l’unique but de satisfaire les ambitions des politiciens et des hommes d’affaires sans scrupules ! dit Candy avec véhémence en haussant le ton, le visage rouge d’indignation, des jeunes hommes naïfs comme toi, enrôlés dans cette folie juste pour sacrifier le plus précieux des trésors, la vie, la donnant à ces maudits riches ! »

« Je vois que ça te tient à cœur, c’est viscéral » répondit Terry d’un air moqueur. A ce moment sa combativité était déjà prise au piège de la joute verbale et refusait de renoncer à l’excitation que cela procurait

« Alors toi aussi tu soutiens cette folie comme tu l’appelles puisque tu es ici. Tu as pensé à ça ma chère féministe ? »

Il avait oublié à quel point les disputes avec Candy pouvaient être agréables. Elle avait toujours été la seule avec qui il pouvait se quereller et apprécier le sentiment que cela procurait. C’était comme un jeu, un flirt qu’il trouvait presque érotique.

« Même un aveugle verrait la différence !rétorqua-t-elle avec la même ferveur. Tu me demandes ce que je fais ici, et bien, je vais t’expliquer comme si tu avais cinq ans, puisque tu ne sembles pas bien comprendre. Je suis ici parce que JE SUIS INFIRMIERE. J’ai reçu une formation pour assister les médecins. Je suis ici dans le but de réparer ce que ces armes de malheur font aux hommes. Je suis ici pour sauver des vies, alors que toi tu es ici pour tuer et je ne vois aucun honneur là dedans ! » ajouta-t-elle. Ses joues avait rougi, ses yeux verts brillaient comme des sabres à la lumière du petit jour. A cet instant, Terry l’aima encore plus, écrasé par la manifestation naturelle de son esprit farouche. C’était la femme qui l’enchantait depuis ses années à l’école !

Son regard changea brusquement et l’expression moqueuse laissa place à une tendresse intime que Candy connaissait bien. Même si elle avait été blessée de le voir si emporté quelques minutes auparavant elle devait reconnaître qu’il était plus facile de faire face à sa colère. Sa tendresse en revanche était difficile à supporter. Elle baissa les yeux et recula, pétrifiée pendant un instant mais le charme se rompit en un millier de lueurs multicolores et elle n’eut pas d’autre choix que de retourner à la tente en courant, fuyant cette force intense qui comme un aimant, l’avait poussée dans les bras du jeune homme. Un endroit qu’elle croyait interdit !

Terry la regarda s’éloigner, encore paralysé par le pouvoir irrésistible de sa voix. La jeune fille mutine aux taches de rousseur du Collège Saint Paul s’était transformée en une femme splendide et rebelle, avec des idéaux qui pouvaient heurter mais aussi la rendre absolument séduisante à ses yeux.

« Bon dieu regretta-t-il, c’est la femme que j’ai bêtement perdu ! Une femme de cette trempe ! »

Son esprit s’envola vers le passé, vers une autre époque, une autre vie, un autre destin ; un couple lointain. Il était au volant de sa voiture dans les rues de New York , ses longs cheveux châtains flottant au vent de l’été. Le regard distraitement perdu dans la circulation tandis qu’une silhouette tranquille assise à ses côtés posait sur lui un regard adorateur. Cette femme aux longs cheveux blonds qui retombaient sur son dos en d’impeccables mèches soyeuses était habillée avec goût d’une fourrure et d’une robe de mousseline qui se mariait idéalement avec ses yeux turquoises. C’était sa fiancée, Suzanne Marlow.

Sur le siège arrière, lorsqu’elle n’était pas distraite par les lumières de la ville ou par le quartier chic qu’ils traversaient, Madame Marlow regardait son futur beau fils avec de temps à autre un air méfiant. La conversation s’était arrêtée laissant place à un silence inconfortable qui ne semblait pas déplaire à Terry.

« Regarde cette belle maison Suzie », fit remarquer Madame Marlow en pointant un doigt désinvolte en direction d’une immense résidence qui apparaissait derrière un grand jardin.

« C’est justement l’endroit où nous allons » dit sèchement Terry en tournant le volant pour se diriger vers la demeure. Ils se garèrent derrière une longue file d’automobiles en face de la résidence d’où s’échappaient le son d’un orchestre, des voix et des rires. La fête à laquelle ils avaient été invités battait son plein.

Terry descendit de la voiture et ouvrit le coffre pour prendre le fauteuil roulant de Suzanne. Il effectuait chacun de ses mouvements tel un automate, l’esprit absent, le cœur paralysé. Sa vie tout entière s’était transformée en une liste sans fin de rendez-vous, d’obligations sociales, de répétitions, de représentations, de longues nuit dans une salle d’attente d’hôpital, de vide…Encore l’une de ces interminables soirées dans laquelle son esprit ferait une barrière à la contrariété que les babillements inutiles de Suzanne lui causaient, en s’enfermant dans son monde intérieur.

Le son du fauteuil roulant annonça l’arrivée de l’un des plus célèbres couples de Broadway. Le spectacle commençait et Terry devait une fois de plus jouer le rôle qu’il avait choisi. Ils savaient les gens inquiets de les voir ensemble depuis que Suzanne était restée plus d’un mois à l’hôpital lors d’un des fréquents séjours dû à sa santé fragile. Maintenant qu’elle se sentait mieux, tout le monde attendait son apparition au bras de l’acteur arrogant.

Cette soirée chez Mr Charles Spencer, un banquier renommé et passionné par Shakespeare, n’était en aucun cas différente des autres soirées auxquelles Terry assistait ; ennuyante, frivole et pleine d’intrigues qui rendaient Terry malade. Suzanne aurait pu se mêler à la foule et discuter avec d’autres femmes mais elle restait planté à côté de Terry et quand le jeune homme la laissait pour aller discuter avec Mr Hathaway et d’autres acteurs de sa troupe, elle lui jetait des regards à distance.

Ce soir là, ils étaient ensemble et la conversation glissa vers un sujet inattendu : Les femmes devraient elle avoir le droit de vote ?

« Je pense que cela ne nous concerne pas du tout dit une femme maigre à lunettes. Nous n’avons aucun intérêt pour la politique. Alors pourquoi devrions nous voter ? »

« Eh bien Madame, l’Histoire à prouvé que les femmes peuvent s’impliquer avec succès dans la vie politique fit remarquer Mr Hathaway qui sirotait lentement son cognac. Prenez Elizabeth première et la Reine Victoria par exemple. »

« Ce sont des cas exceptionnels dû au hasard dit une autre femme du groupe. Mais la plupart des femmes sont totalement ignorantes en ce qui concerne la situation politique, nous ne pourrions prendre part à une décision aussi importante que celle de choisir le président des Etats Unis d’Amérique. Par exemple, je ne connais même pas la différence entre les partis Républicain et démocrate. »

« Toutes les femmes ne sont pas ainsi suggéra avec un sourire narquois une jeune femme au long nez et à l’air élégant. Beaucoup d’entre nous sont concernées par les affaires de ce pays et revendiquent le droit de s’exprimer en choisissant nos dirigeants, tout comme les hommes ».

« C’est l’une des plus grosses sottises que je n’ai jamais entendu, si les femmes ici présentes excusent ma franchise dit Mr Spencer, l’hôte de la soirée. Si nous permettons cette absurdité, le monde s’écroulera tôt ou tard. Où irons nous ensuite ? les femmes choisiront leur travail, refuseront de se marier et d’avoir des enfants. Imaginez des femmes avocats, ingénieurs, et qui sait, nous pourrions très bien avoir une femme à la Maison Blanche. »

« Serait ce si mal ? demanda Terry en prenant part à la conversation pour la première fois, trouvant séduisante l’idée de choquer cet auditoire. Cela ne s’est encore jamais produit mais avoir une présence féminine dans le bureau ovale pourrait avoir quelque chose de séduisant. »

Suzanne lui lança un regard foudroyant, lui reprochant des yeux la hardiesse de son intervention qui défiait les idées de leur hôte.

« eh bien, Mr Grandchester, laissez moi vous dire que je m’oppose farouchement à une telle aberration répondit le vieil homme, visiblement irrité. Les femmes sont sensées être gracieuse pour illuminer la vie des hommes. Leur monde ne devrait être rempli que d’occupations douces et féminines comme l’art, la charité, les travaux ménagers et l’éducation des enfants. »

« Je suis d’accord avec vous Mr Spencer dit Madame Marlow avec un sourire pincé. C’est pourquoi j’encourage ma Suzie à devenir actrice et malgré les dires de certaines personnes, je pense que cette profession est honorable et en accord avec la nature des femmes. Quelque chose en rapport avec l’art, vous voyez. »

« C’est exact, Madame dit Mr Spencer, en sachant très bien qu’il mentait poliment en prétendant qu’il considérait cette carrière comme honorable alors qu’en fait, comme la plupart des hauts membres de la société, il n’était pas disposé à la considérer comme telle. Je ne suis pas contre le travail pour les femmes mais il y a certaines situations extrêmes qu’il m’est difficile à accepter. Durant mon dernier voyage d’affaires, j’ai rencontré une très riche et excellente famille qui souffrait d’une réelle tragédie. Une des femmes de cette famille, une véritable bête noire, avait poussé l’indécence au point de vivre seule dans son appartement et, comme si cela ne suffisait pas, insistait pour travailler et payer ainsi elle même ses factures alors que sa famille était l’une des plus aisées du pays ! »

« Je ne vois rien de choquant là dedans » fit remarquer Terry une fois de plus malgré Suzanne qui lui pressait discrètement la main.

« Je vois que vous avez tendance à être libéral, Mr Grandchester, répondit le vieux banquier et , s’adressant à Suzanne qui était demeurée silencieuse depuis que la conversation avait pris cette tournure : Et qu’en pense votre fiancée ? aimeriez vous voter Mademoiselle Marlow ? »

« Je ne suis pas très intéressée par tout ça Mr Spencer, répondit Suzanne d’un ton timide en baissant les yeux. Je pense que nous pouvons laissez ces questions aux mains des hommes. Plutôt que de nous exposer au mépris des gens, de nous enchaîner à des réverbères ou de défiler devant la maison blanche, nous devrions consacrer notre vie à notre famille et à notre mari. Nous pouvons leur laisser la pensée. »

« C’est la façon dont parle une vraie femme , Mademoiselle Marlow, dit Spencer avec un sourire approbateur. Oui, vous avez choisi la femme parfaite Grandchester, vraiment.»

Terry acquiesça. Oui c’est sur pensa-t-il, la fille la plus ouverte que j’ai pu trouver. 

Terry revint au présent, aux paysages enneigés de la France, et dans le froid glacial de ce matin de Décembre, il comprit avec la clarté la plus absolue qu’il aimait tout chez Candy même la plus infime partie de son âme. Il l’aimait de la même force qui l’avait fait rejeter l’ennui et les manières conventionnelles de Suzanne. Pourquoi l’avait il laissé partir alors qu’il savait pertinemment qu’elle était la femme de sa vie ? Il ne se l’était jamais pardonné.

* * *

C’était un merveilleux jour d’hiver. Il avait neigé sur la maison pony et le lac était recouvert d’une épaisse couche de glace qui invitait au patinage et à ces jeux que les enfants adorent. Albert et Archie était partis tester la résistance de la glace pour voir s’il n’y avait aucun risque pour les enfants tandis que Patty et Annie étaient restées dans la maison. Sœur Maria et Mademoiselle Pony étaient occupées à préparer le petit déjeuner des enfants et les deux jeunes femmes regardaient le sapin de noël dans le salon.

Annie regardait avec une admiration teintée de crainte le grand arbre qu’Albert avait apporté pour les enfants. C’était une délicate attention mais l’idée de devoir décorer ce grand sapin lui faisait peur. On avait apporté une petite échelle pour les aider dans cette tâche et un millier de décorations était éparpillé sur le sol attendant d’être placé sur les branches vertes.

Patty regarda Annie d’un œil hésitant. Laquelle des deux allait grimper à l’échelle et comment allaient elle placer les guirlandes dorées autour de l’arbre ? Ces questions étaient ancrées sur son visage, qui avait pris un air de distinction à l’approche du son dix-neuvième anniversaire.

« Ne me regarde pas comme ça Patty, cria Annie avec des yeux effrayés. Je ne grimperai pas là dessus. »

« Moi non plus alors répondit Patty riant de leur bêtise. Tu ne m’avais pas dit que tu avais l’habitude d’aider Mademoiselle Pony et Sœur Maria à décorer l’arbre quand tu vivais ici ? »

Annie ouvrit les bras en un geste d’excuse.

« Eh bien, premièrement, le sapin n’était jamais aussi grand et… » la jeune fille s’arrêta et une ombre traversa son visage.

« Et ? » insista Patty qui, les yeux toujours posés sur le sapin n’avait pas remarqué le soudain changement d’expression d’Annie.

« C’était toujours Candy qui sautait sur tout ce qui se trouvait à côté du sapin pour placer l’étoile au sommet » dit Annie d’une voix faible et le visage baigné de larmes.

Patty regarda son amie et, incapable d’arrêter ses larmes la serra tendrement.

« Oh Annie, elle me manque Terriblement à moi aussi murmura Patty en caressant les cheveux soyeux de son amie. Et bien nous devons garder la tête haute. Tu ne crois pas que c’est comme cela qu’elle voudrait qu’on se comporte ? »

«  Oui Patty je sais, répondit Annie, toujours dans ses bras. Mais plus d’un mois s’est écoulé depuis sa dernière lettre. Je suis Terriblement inquiète »dit elle en sanglotant de plus belle.

A ces mots, Patty sentit comme un poignard empoisonné lui transpercer le cœur. Lorsque les lettres d’Alistair cessèrent d’arriver à intervalles réguliers, c’était le premier signe qui avait annoncé sa mort tragique. Patty ne put éviter qu’une douleur aiguë ne lui traverse la colonne vertébrale lorsque son esprit fit une association pessimiste entre le cas d’Ally et la situation actuelle de Candy. Ce fut une pensée fulgurante qui traversa son esprit et disparut aussitôt. Cependant, la dure leçon que la vie lui avait donnée l’avait finalement rendue assez forte pour affronter ses craintes personnelles et savoir que son amie avait besoin de réconfort. Du coup elle mit de côté sa propre consternation.

« Oh Annie dit elle sans relâcher son étreinte, Candy doit être trop occupée pour écrire ces jours ci. En plus, tu sais que le courrier n’arrive pas toujours à destination. Ses lettres se sont peut être perdues. »

« Tu crois ? » répondit Annie, essayant de saisir la lueur d’espoir dans les mots de Patty.

« Bien sur ma chérie ! répondit Patty, se faisant rassurante. Maintenant sèche ces larmes et arrête de déprimer. Candy serait très triste de te voir ainsi » ajouta-t-elle en tendant un mouchoir à son amie.

Annie prit le mouchoir blanc brodé et s’assit sur le fauteuil à bascule de Mademoiselle Pony tandis que Patty s’installa par terre et prit la main libre d’Annie dans les siennes. Annie regarda distraitement par la vitre, ses yeux noisettes pleins de larmes. Au loin, on pouvait facilement apercevoir la cime d’un vieil arbre couvert de neige. Pendant un instant, le bruit incessant des enfants disparut pour laisser place à un silence solennel inhabituel dans la maison. C’était pourtant l’ étrangeté du moment qui avaient rassemblé le cœur des deux amies les remplissant d’une gêne inattendue.

« Tu sais Patty… murmura Annie d’une voix claire.

Oui ?

Quelquefois…quelquefois je me déteste, laissa échapper Annie cachant finalement son visage dans ses mains et libérant sa gorge de ses sanglots.

Patty n’en croyait pas ses oreilles. Depuis quatre ans qu’elle connaissait Annie, elle n’avait jamais entendu des propos aussi amères venant de la brunette.

Qu’est ce que tu racontes Annie, dit patty toujours sous le choc de ses propos.

Annie leva les yeux pour faire face à Patty. Dans leurs profondeurs, on pouvait y lire des vagues de regrets et de pain.

Je me déteste Patty, répéta-t-elle tristement. Ce ne suit pas celle que tout le monde croit.

Mais Annie, qu’est ce que tu veux dire ? demanda Patty, alarmée en tenant fermement les mains d’Annie.

Je ne suis qu’une sale gosse gâtée et égoïste Patty hurla Annie. Une gosse gâtée qui a trahi la personne qui m’a le plus aimé !

Annie ! Patty eut le souffle coupé par cette confession inattendue. Où vas tu chercher tout ça ? Tu es l’une des personnes les plus gentilles que je n’ai jamais connu.

Tu penses ça parce que tu ne me connais pas bien Patty, répondit Annie qui s’était levée et se dirigeait vers la fenêtre. Tu vois cette belle robe ? demanda-t-elle en saisissant la jupe de tartan qu’Archie lui avait offerte pour son anniversaire. Eh bien, je ne devrais pas la porter. La maison dans laquelle j’ai grandi, l’éducation que j’ai reçu, mes parents, mon petit ami et même mon avenir, rien de tout ça ne m’appartient. J’ai volé tout ce que je possède. Conclut elle la voix tremblante.

Volé ? demanda Patty. Annie ! Je ne comprends pas pourquoi tu te tortures en disant tout cela.

J’ai volé cette vie Patty ! je l’ai volé à Candy ! s’exclama Annie en sanglotant.

Patty, qui ne comprenait toujours pas, la prit dans ses bras, lui montrant qu’elle ne lui en voulait pas malgré l’incompréhensible culpabilité qu’Annie avait exprimé.

Ce n’est pas grave, murmura Patty.

Oh, Patty ! Tous les tourments qui ont fait souffrir Candy auraient dû être les miens. J’ai…j’ai…été adopté parce qu’elle avait refusé l’offre de mon père confessa Annie. Mon père voulait l’adopter elle mais j’ai supplié Candy de rester avec moi ici, à la maison Pony. Elle désirait avoir des parents autant que moi, pourtant elle n’a pas hésité à renoncer à la chance de sa vie pour moi. Et moi, au contraire…je n’ai pas refusé lorsqu’ils m’ont proposé d’être leur fille. Oh Patty, j’ai usurpé sa place dans la vie !

Patty était à présent face à Annie et la tenait par les épaules. Elle n’en croyait pas ses oreilles mais après le premier choc causé par les révélations de la culpabilité d’Annie, elle réussit à articuler quelques mots de réconfort.

Annie, tu n’étais qu’une enfant à l’époque. Quel âge avais tu, cinq, six ans ?

Ça ne fait aucune différence. Candy avait le même âge et ce n’est pas tout. Après mon adoption, j’ai obéi à ma mère lorsqu’elle m’a ordonné d’arrêter d’écrire à Candy. Et plus tard, quand je l’ai revue chez Daniel et Elisa à Lakewood, j’ai prétendu ne pas la connaître même lorsqu’elle avait des problèmes. Et puis finalement à Saint Paul mais tu connais cette histoire n’est ce pas ?

Annie ! tout ça c’est du passé et je suis certaine que Candy n’y pense même plus, rétorqua Patty. Tu n’es pas à blâmer pour ces erreurs. C’est fini. Pourquoi ne pas affronter le présent et apprécier ce que les sacrifices de Candy t’ont offert ?

Je ne peux pas Patty ! répondit Annie en détournant son visage, incapable de subir le regard sombre de son amie. Aussi longtemps que Candy ne sera pas heureuse je me sentirai coupable !

Annie retourna devant la fenêtre. Elle essuya la vitre et elles purent ainsi toutes les deux voir la colline et le vieil arbre au sommet.

Qui te dit que Candy n’est pas heureuse dans la vie ? demanda Patty. Elle ne vit pas dans une grande et belle maison mais c’est son choix, elle préfère son indépendance à l’argent et au luxe. Elle fait ce qu’elle veut, elle a choisi le métier qu’elle désirait et profite plus de la vie que nous deux.

Et une famille ? demanda Annie comme si elle se parlait à elle même. Où sont les parents dont elle a toujours rêvé ? Et l’amour dans tout ça ? Et les garçons qu’elle aimait ? L’un est mort et l’autre…A-t-elle accepté Archie plutôt que de le pousser dans mes bras.. ?

Arrête Annie ! cria Patty profondément choquée par le cheminement des pensées d’Annie. Te rends tu compte que ce n’est pas de ta faute ? Si ru tiens à trouver un responsable, tu peux blâmer le destin ou même Dieu mais ne te laisse pas submerger par la culpabilité, ça ne te ressemble pas. Candy ne s’est jamais intéressée à Archie et tu le sais bien. Il est vrai qu’elle a joué les marieuses en quelque sorte avec vous deux et qu’elle n’a pas pris au sérieux son flirt avec lui mais ce n’était pas un sacrifice de sa part car elle aimait déjà Terry à cette époque… Peu importe ce qui leur est arrivé après, c’était indépendant de ta volonté. Cette séparation était un consentement mutuel et tu ne peux pas te reprocher chacun des malheurs de Candy.

Mais pourquoi elle ? se demanda Annie en levant les yeux comme si elle cherchait une réponse dans le bleu du ciel. Pourquoi toutes les choses les plus tristes lui arrivent à elle ? Elle mérite le meilleur, elle est tellement fabuleuse !

Tu as raison sur ce point, Annie acquiesça Patty des larmes dans les yeux. Mais j’ai entendu une fois que Dieu ne nous faisait subir que des épreuves supportables, ni plus ni moins. C’est pour cela qu’elle est en Europe pour aider les blessés pendant que toi et moi sommes ici dans cet endroit où règne la paix. Toi ou moi ne serions d’aucune aide en France mais nous pouvons nous rendre utiles ici.

Candy ! soupira Annie. Elle réalise toujours des actions courageuses pendant que je reste à côté à regarder passivement comment elle illumine les endroits où elle passe. En grandissant, elle est devenue forte, protectrice, intrépide et noble comme l’arbre notre père, ajouta-t-elle les yeux rivés sur la colline. Tu ne sais pas combien je prie chaque jour pour qu’elle trouve le véritable amour et pour qu’elle ait sa propre famille comme elle en a toujours rêvé. Je ne me sentirai pas à l’aise tant que ça n’arrivera pas.

Annie ! » haleta Patty sans savoir quoi dire pour prouver qu’elle aussi désirait le meilleur pour leur amie.

Les deux filles demeurèrent là à regarder la colline blanche à travers l’étroite fenêtre, sans dire un mot. Le sapin de noël avait été laissé de côté…Après tout, Candy n’était pas là pour mettre l’étoile au sommet.

* * *

* *

Candy entra dans la tente à la hâte. Elle se rua sur sa valise qui était restée sur un lit de camp vide. Elle ouvrit nerveusement le bagage pour en sortir un uniforme blanc et sa dernière paire de bottes. Avec la même violence dans ses gestes elle ôta l’uniforme vert qu’elle portait sans ce soucier que ses patients dormaient dans la même tente et pouvaient se réveiller à tout moment. Cependant, il n’y eut que Julienne qui fut réveillée par les bruits d’énervement et la discussion que Candy avait avec elle même.

Qu’est ce que JE fais ici? Qu’est ce que TU fais ici, crétin? Se demanda Candy à haute voix. Une question d’honneur, ah! Quel idiot!

Julienne vit avec étonnement que les doigts de Candy tremblaient comme elle essayait de boutonner son uniforme et de lacer ses bottes. Une plainte incompréhensible adressée à son interlocuteur fictif accompagnait chacun de ses mouvements. Mais lorsqu’elle fût habillée, ses yeux s’arrêtèrent sur les vêtements d’hommes étalés sur le lit. Elle s’asseya brusquement sur ce lit et prit la chemise dans ses mains et y plongea son visage en restant dans la même position, immobile pendant un instant. Lorsqu’elle enleva finalement le vêtement de son doux visage, ses yeux étaient pleins de larmes.

* * *

* *

Le groupe resta un peu plus de deux jours dans le camp Américain. Pendant ce temps, Candy s’était cachée dans la tente réservée aux blessés pour prendre soin de la jambe de Flammy, et combattre désespérément son désir de revoir Terry. Mais comme elle était sûre qu’il était préférable pour son honneur et son cœur brisé de rester éloignée de lui, elle résista à la tentation.

De son côté, Terry essaya par différents moyens de la revoir mais après que Julienne lui ait rendu son uniforme et ses bottes, il crut que Candy était toujours en colère contre lui et par conséquent n’osa pas lui rendre visite dans la tente qu’elle partageait avec ses patients. Une seule de ces manifestations de rejet envers lui avait été assez douloureuse pour lui. Trois jours après l’arrivée inopinée de Candy dans le camp, Le Capitaine Jackson ordonna d’affréter un camion pour envoyer l’équipe médicale à Paris. Le temps était un peu plus doux et il n’était pas prudent de perdre encore plus de temps. Jackson décida que depuis que le camion ambulance avait été totalement détruit, il était nécessaire de s’en fournir un autre ainsi qu’un chauffeur qui pourrait en même temps conduire et escorter les dames pendant leurs déplacements.

A la consternation de Candy, l’homme qui avait été chargé de les emmener à Paris n’était autre que Terry. Ce choix n’était pas fortuit. Terry en personne avait demandé l’affectation à cette tâche et Jackson n’avait pas refusé cette faveur car il était particulièrement amusé par le changement radical de comportement du jeune homme. «  C’est incroyable l’effet qu’une femme peut faire à un homme » se dit il à lui même. Il était évidemment trop vieux pour ne pas s’être rendu compte de ce qui était évident.

Au matin du 18 décembre, les blessés furent transportés à l’arrière du camion mais la question était de savoir laquelle des deux infirmières s’asseirait à côté du chauffeur. Cependant, l’état de Julienne ne laissa pas le choix à Candy. Cette dernière ne se sentait pas bien non plus. En fait son rhume avait dégénéré en grippe et elle était en train de subir les effets d’une température anormale. La toux de Julienne ne s’était pas arrangée et comme il y avait un petit chauffage à l’arrière du camion, le docteur lui avait conseillé de s’y installer.

Tout cela fit que Candy et Terry durent faire le voyage l’un à côté de l’autre pour le reste de la journée. Cette seule idée les fit frissonner mais pour différentes raisons.

Au début c’était affreusement difficile de supporter le silence entre eux deux. Mais Candy savait qu’entamer une conversation pouvait les mener à une situation plus dangereuse encore. La dernière chose qu’elle désirait, c’était que Terry parle de sa vie. Elle ne voulait pas savoir comment il avait épousé Suzanne, ou même pire, quand ils avaient eu leur premier enfant. Alors, bien qu’elle fut Terriblement curieuse à propos de la raison qui l’avait poussé à s’enrôler dans l’armée, elle garda les lèvres closes et se contenta de fixer l’horizon.

Terry, au contraire, voulait lui demander chaque détail, même ceux qui l’auraient sûrement blessé, et spécialement la question qui le préoccupait et qui n’avait pas encore été élucidée. Malheureusement, après qu’il eut finalement rassemblé toutes ses forces pour briser le silence, il se tourna vers Candy qui s’était assoupie comme un ange.

Terry s’offrit alors le luxe d’arrêter un moment le camion pour se régaler à la vue de la femme qui le hantait depuis qu’il était adolescent. Ses cheveux légèrement en désordre n’étaient plus retenus par la dentelle qui les attachait en queue de cheval et ses grand cils noirs faisaient apparaître une légère ombre sur ses joues. Terry pensa à cette iris verte et profonde que recouvraient ses paupières et en conclut que l’émeraude de sa bague n’était qu’une pâle imitation des yeux irisés de Candy. Il avait rêvé si longtemps de regarder dans ces piscines pâles pour désaltérer la soif de son cœur mais maintenant qu’ elle était si proche de lui il ne pouvait partager les sentiments qui inondaient son âme.

Candy avait la tête posée sur son manteau noir au dessus de la vitre du camion et elle avait les bras croisés comme si elle enlaçait elle même. Terry pencha son torse doucement, ne prêtant pas attention aux centaines de cloches qui commençaient à sonner dans sa tête, comme un avertissement à ses mouvements audacieux. Il était assez proche pour voir une délicate veine bleue qui traversait sans heurt le cou de la jeune femme, assez proche pour inhaler l’éternel parfum de roses qu’il connaissait, assez proche aussi pour frotter son manteau de laine contre son épaule.

Il leva mêmes ses mains pour chercher une sensation, très douce, vers ses joues pourpres. Mais avant que ses doigts n’atteignent la peau douce, sa voix intérieure cria plus fort que son désir et il avorta la caresse qui resta virtuelle.

« Ce n’est pas honorable » se condamna-t-il et il remit le contact pour reprendre le chemin de Paris. S’il avait osé touché les joues de Candy, il aurait su que la fièvre commençait à monter dans le corps de la jeune femme.

Prés de deux heures plus tard, Candy se réveilla, ressentant une soif incroyable ainsi qu’une irritation dans ses yeux. Les bois étaient loin derrières et avaient laissé place à une vaste plaine. Le soleil commençait à briller au dessus de leur tête dans un ciel blanc. L’atmosphère était si calme et irrésistiblement belle que Candy oublia sa colère et reprit des forces pour parler au jeune homme à ses côtés.

« Quand penses tu que l’on arrivera à Paris, Terry ? » demanda-t-elle doucement en ignorant l’effet de ses paroles.

Le jeune homme tourna lentement la tête vers elle. Une armée de papillons batifolait dans son estomac.  « elle m’a appelé Terry ! » scanda une voix intérieure avec une joie inattendue qu’il avait peine à contrôler.

« Nous y serons ce soir, réussit il à dire d’une voix rauque. Es tu anxieuse ? demanda-t-il d’un ton désinvolte.

En fait oui, répondit elle en regardant à travers la vitre alors que le paysage enneigé commençait à refléter l’éclat du soleil. Je suis inquiète pour Julienne, elle a besoin de médicaments et de repos pour sa toux et le plus vite sera le mieux.

Tu t’inquiètes toujours pour les autres hein ? » dit il en souriant pour la première fois depuis longtemps.

Candy baissa les yeux timidement, en partie à cause des paroles de Terry mais aussi parce qu’elle savait que les sourires de Terry étaient des joyaux rares qu’il n’offrait qu’aux êtres les plus chers à son cœur.

« Je me souviens encore à quel point tu prenais soin de tes amis, ajouta Terry osant parler de leur passé. La fille timide et joufflue avec ses grands yeux et ses lunettes.

Patty n’est pas joufflue dit Candy en défendant son amie et sachant très bien que Terry jouait avec elle. Cette fois ci le jeu était plaisant pour elle. Elle est maintenant une jeune femme distinguée et charmante !

Et je devine que Annie est très sophistiquée elle aussi, dit il avec un petit rire moqueur. Si elle ose enfin sortir de chez elle sans mourir de peur.

Tu serais surpris de voir à quel point elle a grandi et a mûri, Mr j’ai confiance en moi, répondit elle en sourcillant.

Waouhhhhh ! siffla-t-il en feignant l’étonnement. Je suppose qu’elle n’a pas perdu son Dandy non plus. Au fait, comment va-t-il ? demanda Terry avec un léger changement de ton. Aux tréfonds de son âme, il avait toujours gardé envers Archie un sentiment de méfiance qui ne s’était pas éteint avec les années et l’éloignement.

Il fait son droit maintenant répondit elle fièrement. Il sera diplômé l’année prochaine.

J’ai appris la mort de son frère dans le journal il y a quelques années. Le ton de sa voix était plus grave à présent. Cela m’a désolé. Il était comme un ami pour moi.

Oui en effet, répondit Candy d’une voix triste que Terry n’aimait pas. Pour cette raison il se dépêcha d’amener un autre sujet de conversation.

J’ai aussi lu quelque chose sur Albert dans le journal, ajouta-t-il doucement. Cela m’a fait un choc de réaliser que l’homme que j’avais rencontré était en fait Mr William A. André.

Pour moi aussi ça a été un choc. Répondit Candy avec un gloussement. Mais je me suis faite à l’idée maintenant. Hey ! dit elle dans un souffle. Tu à l’air d’en avoir appris pas mal sur notre famille dans les journaux.

Eh bien pas exactement, marmotta Terry soudain attristé. Je t’ai dit tout ce que je savais…En fait c’était il y a quelques années ; je ne lis plus les journaux maintenant.

C’est drôle, moi non plus je ne lis plus les journaux, dit Candy distraitement, un peu perturbée par la certitude qu’elle avait une bonne raison d’éviter n’importe quel journal ou magazine, toujours effrayée à l’idée de découvrir des articles concernant son interlocuteur et la femme qu’elle pensait être son épouse.

Comment vas tu ? demanda Terry dans un murmure qui caressa ses oreilles d’une douce brise. Je veux dire comment se sont passées ces années Candy ? demanda Terry à nouveau.

Je vais bien Terry , vraiment bien ». Elle mentait. Et la conversation s’arrêta un instant car elle n’osa pas lui retourner la question.

Le camion prit un virage et au détour de ce dernier, ils purent voir au loin, une étendue d’eau coulant doucement dans un courant énorme. C’était la Seine, un signe évidant qu’ils arrivaient prés de Paris.

Le coucher de soleil en était à son plus bel instant. Le rose, le jaune, le violet, le orange et les lumières couleur pêche du soir coloraient le paysage blanc et le doux visage de Candy d’accents multicolores. A l’horizon, le ciel bleu, presque en feu à cause de l’adieu du soleil se mêlait aux profondeurs bleutées de la Seine.

Les deux passagers furent piégés par la magie du moment .Un enlèvement qu’ils ne pouvaient combattre. Ils savaient tous deux qu’ils avaient vécus des moments similaires dans le passé, et pendant un instant ils crurent qu’ils partageaient encore les sentiments d’antan.  

« C’est d’une beauté incroyable »pensa Terry et par un étrange tour de magie, ses pensées volèrent vers les oreilles de Candy dans l’air hivernal.

« Oui c’est vraiment beau » répondit Candy avec un sourire. 

Le cœur de Terry se souleva lorsqu’il réalisa que dans une expérience psychique elle avait atteint ses pensées sans s’en rendre compte. Cela leur était arrivé auparavant ou du moins il le croyait. C’était un soir en Ecosse. Il avait pratiquement oublié ce moment mais à présent c’était très clair.

« Le regard fidèle, le sourire parfait, les mots précis pensa Terry. Pourquoi tout est parfait lorsque je suis avec elle. Ressent elle la même chose ? Ressent elle la même chose lorsqu’elle est avec moi ? » Son âme jouait encore un jeu cruel avec lui le repoussant dans le trou noir qu’il voulait éviter. Le soleil disparut finalement à l’horizon mais les lumières lointaines de Paris le remplacèrent. Candy et Terry se regardèrent lorsqu’ils virent le scintillement des lumières de la ville. Ils savaient que le moment des adieux se rapprochait. Est ce que cette fois ci ce serait pour toujours ?

Le cœur de Terry battait si fort qu’il eut peur qu’elle s’en aperçoive. Mais avec un regard plein de ruse jeté en sa direction il comprit qu’elle était trop absorbée par ses propres pensées pour prêter attention aux battements de son cœur. « Demande lui maintenant ! cria une voix intérieure. Fais le maintenant ou bien tu ne sauras jamais…et tu dois savoir ».

« Candy, demanda-t-il finalement d’une voix tremblante. Je… je voudrais m’excuser d’avoir été aussi impoli l’autre matin. Je crois que je n’ai simplement pas réussi à dire ce que je voulais vraiment dire ». Candy ouvrit de grands yeux, comme hébétée par les paroles de Terry. La dernière chose à laquelle elle s’attendait fut que Terry présente des excuses pour son comportement. Ce n’était pas inhérent à la nature arrogante du Terry qu’elle connaissait.

« Ce n’est pas grave Terry, répondit elle. Je n’ai pas été tendre non plus.

Candy, je ne voulais pas dire que les femmes étaient incapables de se rendre utiles dans cette guerre, continua-t-il le cœur tremblant. Je me demandais juste….s’il ne plait ne le prend pas mal…je me demandais comment ton mari t’avait il laissé venir en France, je veux dire si j’étais lui…

MON MARI ? ! s’exclama Candy, choquée et ne laissant pas Terry finir sa phrase. Où est ce que tu es allé chercher cette idée ? je ne suis pas mariée !

Terry arrêta le camion brusquement en donnant un coup de frein de toutes ses forces.

Tu n’es pas mariée ! dit il avec une fureur naissante dans les yeux. S’il te plait Candy ne joue pas à ce petit jeu avec moi. Tu penses que je suis trop stupide pour ne pas remarquer les bagues à tes doigts ? Terry avait saisi la main de Candy, l’attirant dangereusement prés de lui. Pourrais tu, Madame je ne sais qui, me dire ce que ce diamant et cette alliance signifient ?» dit il en laissant éclater sa frustration.

* * *

* *

Candy réalisa soudainement que Terry avait remarqué les anneaux que le Docteur Duvall lui avait donnés avant sa mort. Pour une raison ou une autre, le jeune homme avait supposé que c’était ses propres bague de fiançailles et alliance. Mais ce qu’elle ne comprenait pas , c’était les raisons de son bouleversement. Elle avait déjà vu cette expression sur son visage…quand était ce?

« Terry tu as tort, se dépêcha-t-elle de lui faire comprendre. Ces anneaux ne sont pas à moi, un homme respectable qui est mort dans mes bras au front me les a données, dit elle en enlevant les bagues. Regarde l’inscription à l’intérieur! »

Terry, toujours prudent, prit l’anneau que Candy lui tendait et regarda les lettres et les numéros gravés:

"Marius et Lucille. 14 Avril 1893"

Il sentit que sa tête tournait affreusement lorsqu’il retira ses yeux du bijou.

« Comment cela se fait ? demanda-t-il abasourdi. J’étais certain que tu étais mariée depuis plus d’un an, je l’ai lu! Dit il en rendant la bague.

Tu dis que tu l’as lu? Demanda Candy étonnée. Comment ça?

Je…Je… bégaya Terry, j’ai lu dans les journaux que tu étais sur le point de te marier. Il était simplement dit que Mademoiselle Candice Neige André était fiancée avec un millionnaire et qu’elle se marierait sûrement bientôt. Son nom n’était pas mentionné. Ensuite quand je t’ai vu porter ces bagues j’en ai déduis que tu étais mariée.

Eh bien c’était une erreur, de toute évidence, car je n’ai été fiancée… Elle s’arrêta brusquement.

Attends une minute, je crois savoir où tu es allé chercher cette idée, dit elle en claquant des doigts. Elle eut une petit rire stupide, laissant Terry dans la plus grande des confusions.

Qu’y a-t-il de si drôle? Demanda Terry contrarié.

Terry, tu te souviens de Daniel? Demanda-t-elle.

Malheureusement, répondit il, déjà ennuyé par la simple mention du nom de l’homme qu’il croyait être l’un des plus odieux êtres humains.

Eh bien tu vas trouver ça très amusement. Dit elle en ricanant. Peux tu imaginer que ce crétin a eu la stupide idée de tomber amoureux de moi au lieu d’une autre! Son rire éclata.

De toutes les émotions qui traversèrent le visage de Terry, aucune ne reflétait l’amusement. Imaginer Daniel courir après Candy n’avait rien d’amusant pour lui.

Cela nous indique qu’il n’était pas aussi stupide que je le croyais autrefois, fit remarquer Terry sans faire attention au compliment implicite dans ses paroles. Mais contrairement à toi, je ne trouve pas ça très drôle.

C’est vrai que je n’ai pas trouvé ça très drôle non plus lorsque c’est arrivé et spécialement quand sa sœur et lui ont essayé De me forcer à ce mariage arrangé. Est ce que tu imagines ? dit elle plus sérieusement.

Tu veux dire que ce putain d’enfoiré à essayer de poser ses mains sur toi ? demanda Terry visiblement en colère.

Candy vit à nouveau un éclair de fureur dans le regard du jeune homme et se souvint ainsi du moment où elle avait vu pour la première fois cette expression dans ses yeux. C’était au zoo de Blue River, le jour où Terry a voulu en savoir plus à propos d’Anthony.

Eh bien ils n’ont jamais réussi à accomplir leurs plans, répondit Candy pour calmer la situation. Albert n’aurait jamais accepté que quelqu’un me force à faire une chose que je refusais. Mais ils ont réussi à publier un article dans les journaux locaux à propos de ces soi disant fiançailles. C’est probablement l’article que tu as lu, conclut elle. Je n’ai jamais été fiancée ou mariée à quelqu’un, je peux te le jurer, et ce n’était pas la peine d’être aussi grossier devant une Demoiselle, Mr Grandchester, riposta-t-elle.

Terry la regarda, encore trop étonné pour s’excuser d’avoir appelé Daniel « putain d’enfoiré » dans son anglais vulgaire. En fait il ne traiterait pas mieux un millier de Daniel ou un million d’enfoiré que cette terre pouvait porter.

En vérité, le monde entier aurait pu s’écrouler à cet instant précis et il n’avait pas remarqué qu’elle n’était attachée à aucun homme ! elle était libre ! Après toutes ces années, elle était encore disponible ! A cet instant, Terry ne savait pas s’il devait rire ou pleurer.

Terry ! dit Candy pour la troisième fois.

Oui ? répondit il finalement.

Nous devrions continuer notre route » suggéra-t-elle, vraiment déboussolée par le comportement lunatique de Terry.  « qu’est ce qu’il a ? » se demanda-t-elle. Il a toujours été imprévisible, mais là c’en est trop ! il est causant et joueur un moment, ensuite il est vexé, et finalement il ne réalise même pas que je suis là. Je ne sais pas jusque où mon cœur tiendra dans ces conditions.

Terry redémarra le camion et ils continuèrent leur chemin sous le ciel nocturne parisien. Une fois de plus, un profond silence accompagné d’une grande tristesse les envahirent. Ils savaient très bien tous les deux que la fin de leur voyage ensemble approchait. Une fois dans la ville, Candy commença à indiquer à Terry la route vers l’hôpital et d’une manière ou d’une autre l’enthousiasme pour trouver le chemin détendit l’atmosphère. Candy sentit sa tête tourner, la fièvre envahit son corps mais la responsabilité qu’elle portait sur ses épaules la garda éveillée et vigilante. Elle était déterminée à ramener ses patients et amis dans un endroit en sécurité et aussitôt qu’ils pourraient se reposer sur des lits chauds et doux avec des d’autres infirmières et des docteurs pour s’occuper d’eux, elle pourrait prendre tout le repos dont elle avait besoin.

« Prends cette rue maintenant », dit elle. Nous y serons à pas d’heure.

Ils prirent une large rue et passèrent devant un parc tranquille ; c’était celui où Candy et Yves avait eu leur dernière conversation avant qu’elle ne parte pour le front. Finalement, deux blocs de maisons plus tard, ils aperçurent le grand bâtiment qu’ils cherchaient. Candy ne savait pas si elle devait se sentir heureuse car son Odyssée touchait à sa fin ou Terriblement blessée par la séparation à laquelle elle allait être confrontée.

Ils garèrent le camion et pendant que Terry descendait pour aller prévenir les passagers qu’ils étaient finalement arrivés à destination, Candy courut vers l’hôpital pour chercher de l’aide pour transporter les blessés. Après ce moment, tout se passa dans l’urgence et la confusion. Terry se sentait presque inutile parmi l’armée d’infirmiers et d’infirmières qui apparurent de nulle part pour emmener les patients du camion. Parmi la confusion, il put voir Candy appuyée sur le camion comme si elle allait s’évanouir.

« Est ce que ça va Candy ?demanda-t-il.

Je vais bien, dit elle dans un murmure, ne sachant pas vraiment si elle allait avoir la force de prononcer les mots qu’elle devait dire. J’ai…J’ai vraiment apprécié ton aide dans tout ça Terry,…

Ce n’est rien, dit il en sentant les larmes qui commençait à couler sur son visage.

Candy continua avec une voix fatiguée :

J’espère vraiment que cette guerre…va se terminer rapidement et que tu…tu…pourras rentrer chez toi…auprès de…ta femme, Suzanne. Elle était incapable de cacher sa tristesse.

Ma femme Suzanne ? demanda-t-il en fronçant les sourcils. Candy, je n’ai jamais été marié à Suzanne. Elle est morte il y a un an !dit il simplement.

Elle est morte ! réussit à dire Candy avant que sa tête ne tombe et qu’elle ne s’évanouisse dans les bras de Terry.

CANDY !CANDY ! » Il appela son nom désespérément et la souleva dans ses bras.

Terry se mit à courir avec une Candy évanouie dans ses bras en direction de l’hôpital. Il n’eut pas besoin d’appeler à l’aide car il fut abordé par un jeune docteur qui se pressa pour aller à leur rencontre dans le hall.

« Candy ! cria le docteur avec une joie mêlée d’angoisse dans la voix. Mon dieu, que t’es-t-il arrivé ? » se demanda-t-il sans même regarder Terry. En une seconde il avait attrapé la jeune femme dans les bras du jeune homme qui malgré sa répugnance dut la laisser aux bons soins du docteur sachant qu’il ne pouvait être d’aucun secours.

L’homme en blouse blanche disparut dans le labyrinthe blanc de l’hôpital avec Candy dans ses bras et Terry resta dans le couloir, le cœur agité, ne sachant que faire.

Terry était dans la salle d’attente depuis environ une heure quand un visage familier apparut en face de lui. Terry reconnut une des infirmières qui avait voyagé avec Candy, celle qui lui avait rendu ses vêtements. C’était Julienne.

« Tout ira bien sergent, dit elle timidement. Elle est encore fiévreuse mais elle est forte et elle recevra tous les soins nécessaires. Elle a passé du temps dans la neige et ce n’est pas bon du tout.

Je comprend dit Terry d’une voix rauque . Vous pensez… que je peux la voir…je veux dire la revoir avant de partir ?

Julienne ne put refuser, se sentant émue par le regard grave du jeune homme. Elle le regarda avec un sourire de sympathie.

Bien sur sergent, répondit elle. Je suppose que vous devez rejoindre votre bataillon au plus vite.

C’est exact Madame, déclara Terry. Je partirai dès que j’aurai vu Mademoiselle André.

Alors suivez moi » dit elle en avançant dans le couloir.

Ils marchèrent un moment dans les immenses couloirs, le silence le plus total régnait tout autour, mais de temps à autre un gémissement d’homme venait briser la quiétude de la nuit. Ils arrivèrent dans un couloir étroit qui menait au dortoir des infirmières. Julienne s’arrêta et pointa un doigt vers une porte pour indiquer où se trouvait Candy.

« Elle doit sûrement dormir à cause du médicament que le docteur a donné, mais vous pouvez rester avec elle aussi longtemps que vous le désirez, dit gentiment Julienne. Maintenant si vous le permettez je dois soumettre un rapport sur nos blessés . » Elle acquiesça puis disparut dans les couloirs.

Terry s’approcha de la porte et se rendit compte qu’elle était entrouverte. Il pouvait percevoir une douce voix d’homme qui venait de la chambre. Il parlait en français. Terry poussa doucement la porte et vit clairement une scène qui lui fit l’effet d’un coup de poignard dans le dos. Le même jeune docteur qui avait pris soin d’elle la veillait en tenant la main de la blonde endormie.

« Mon amour, murmura l’homme avec tendresse. Tu iras bien, je vais te soigner avec cœur et tu souriras à nouveau comme toujours ».

Terry souhaita ne pas avoir compris ces mots et ne pas avoir vu l’amour pur dans les yeux de l’homme, qui n’était autre qu’Yves . Mais son père lui avait fait suivre des cours de français pendant de longues années et son cœur savait reconnaître ce sentiment dérangeant lorsqu’un rival potentiel apparaît pour être capable de comprendre ce qui se passait en face de lui.

Terry frappa à la porte pour signifier à Yves sa présence. Les deux hommes se regardèrent et pendant une seconde ils purent clairement lire le message inscrit dans leur regard.

«"Excusez moi monsieur, dit Terry avec son regard le plus froid. J’aimerais savoir comment va Mademoiselle André." Yves sentit sa peau frissonner quand la voix grave de Terry se noya dans ses oreilles. Soudain, l’homme arrogant en face de lui semblait être la plus vile des créatures de la terre, quelqu’un qu’il devait garder éloigné de Candy, advienne que pourra.

Tout ira bien, dit il en se levant de sa chaise. Elle est aux mains de professionnels, monsieur, termina-t-il en barrant l’entrée à Terry.

Je vois, murmura Terry à Yves avec un franc mépris. J’espère que vous faites bien votre boulot ici parce que cette demoiselle mérite ce qu’il y a de meilleur, et plus particulièrement après les épreuves qu’elle a traversé.

Soyez en sur », répondit Yves en fermant la porte.

Terry ressentit l’irrésistible envie de pousser cet homme qui lui refusait le droit d’être aux côtés de Candy quelques minutes avant son départ. Mais sa voix intérieure lui fit réaliser que même si un jour il avait eu des droits envers Candy, il était très probable que l’homme en face de lui était possédait à présent de tels privilèges.

« Je ne suis fiancé avec personne »avait dit Candy pendant le voyage mais elle n’avait jamais mentionner les mots ‘rendez-vous’, ’sortir’ ou même ‘aimer’. Pourquoi un homme s’adresserait de cette façon à une demoiselle sauf s’il pensait qu’il était seul avec cette belle au bois dormant dans la petite chambre.

Est ce que cet homme représentait quelque chose pour Candy ? Cette question martela la tête de Terry de battements si impitoyables qu’il lui était incapable d’articuler le moindre mot. Il se contenta de tourner les talons pour reprendre son chemin vers la sortie.

Alors qu’il marchait dans un couloir sans fin, Julienne accourut vers lui. Elle l’appela :

« Monsieur, comment l’avez vous trouvé ? demanda-t-elle innocemment.

Très bien soignée, je pense, madame, dit il tristement.

Je vois, murmura-t-elle comprenant que Yves était avec Candy lorsque Terry était entré dans la chambre.

M’accorderiez vous une faveur Madame ? demanda-t-il d’une voix mélancolique.

Oui, bien sûr.

Quand elle se réveillera, dites lui…il s’arrêta, hésitant. Après réflexion, ne lui dites rien ».

Il acquiesça et reprit son chemin dans la froide nuit.

 

© Mercurio 2000