Retrouvailles dans le tourbillon
Par Mercurio

Chapitre 5 (suite)

L'hôpital itinérant se déplaçait dans un ordre chaotique. Les trains arrivaient presque toutes les heures, emportant les blessés vers les grands hôpitaux vers le sud, transportant le personnel médical à Verdun, ou chargeant et déchargeant le matériel. Seule la moitié des gens qui travaillaient à l'hôpital durant le mois de novembre restaient de garde à Cambrai en cas d'urgence, au cas où les Allemands décidaient de contre-attaquer, mais cette éventualité semblait peu probable.

En peu de jours, les alliés se rendirent compte qu'ils avaient fait une erreur. En décembre, les Allemands orchestrèrent une contre-attaque dans un furieux élan de courage et l'armée britannique perdit presque tout le terrain qu'elle avait gagné avec son convoi de tanks de guerre. C'est ainsi que les trains commencèrent à ramener de plus en plus de personnel, non seulement médical, mais aussi militaire. Quelques troupes françaises arrivèrent pour soutenir les britanniques. Les routes étaient congestionnées et quelques blessés qui devaient être envoyés à Paris devaient être transportés par camions, lesquels roulaient très lentement, mais vues les circonstances, ils représentaient l'unique option restante dans ce cas d'urgence.

Candy, Julienne, et Flanny furent envoyées en arrière dans un de ces camions par la froide matinée du 15 décembre. Candy avait souhaité rester à Cambrai mais malgré ses protestations contre les ordres qu'elles avait reçus, ses supérieurs insistèrent si énergiquement qu'elle dut obéir. Elle ne pouvait comprendre pourquoi on la faisait rentrer alors qu'elle était en parfaite santé et qu'elle avait montré en de nombreuses occasions qu'elle était suffisamment capable de faire un travail pénible dans un hôpital ambulant. Elle savait qu'avec la contre-attaque inattendue des Allemands que l'hôpital manquait de bras, c'est pourquoi il était absurde de l'envoyer à Paris. Cependant, une partie d'elle était heureuse de savoir qu'elle voyagerait avec Flanny, et de ce fait elle pourrait continuer le traitement d'irrigation tout le long du voyage et jusqu'à ce qu'elles arrivent à la capitale.

Les trois infirmières ainsi que cinq hommes blessés quittèrent Cambrai très tôt dans la matinée. Un vieux soldat avait été assigné à conduire le camion jusqu'à Paris aussi vite que possible. Le voyage était considéré comme dangereux car il avait neigé copieusement les jours précédents, c'est pourquoi on avait pensé qu'il serait préférable de rouler sans s'arrêter afin d'éviter de nouvelles complications du climat.

Julienne voyageait sur le siège passager avec le vieux chauffeur tandis que Candy et tous les blessés étaient à l'arrière du camion, lequel malheureusement n'avait pas été conçu pour transporter autant de personnes. Candy essayait de son mieux de s'occuper de tous et de les distraire avec sa conversion animée; après tout, la traversée allait être longue et inconfortable, étant données les conditions de transport.

Plusieurs heures s'étaient écoulées depuis leur départ, quand une légère couche de neige commença à tomber. Candy regardait danser dans l'air les petites mottes de neige dans des mouvements gracieux, et sentit une peur inexplicable. Elle avait vu des gelées blanches lourdes et dangereuses sur la colline de Pony depuis son enfance et pour une raison inconnue, elle sentit qu'une gelée similaire était sur le point d'arriver. Ils devaient se dépêcher d'arriver à Paris.

  • C'est une vue enchanteresse, tu ne trouves pas, Flanny ? - demanda Candy pour alléger ses noires pensées.
  • Tu trouverais de la beauté dans une vieille casserole percée, Candy ! - dit Flanny avec un petit sourire.
  • Allons, Flanny ! - répliqua Candy en regardant le paysage à travers l'étroite fenêtre de la porte arrière du camion - cet endroit, la neige sur les grands pins, les bois et le silences, tout ceci me rappelle la maison - Candy ferma les yeux pour revoir le foyer tant aimé de son enfance et une douce chaleur envahit son cœur pendant quelques secondes - Je suis si loin de chez moi - pensa-t-elle. Une timide douleur traversa alors son cœur, et Candy se demanda ce que cela pouvait être.

Le voyage se poursuivit sous la neige qui commençait à tomber plus violemment. Dans l'après-midi, ce qui avait commencé comme une légère gelée se changea en un puissant blizzard. Candy était en train de rêver qu'elle irriguait la blessure de Flanny, quand un coup violent la réveilla brutalement. Elle ouvrait à peine les yeux, qu'un cri de femme en provenance de la cabine du conducteur la fit se redresser et ouvrir la porte en suivant. Le camion s'était arrêté et la voix était celle de Julienne qui appelait à l'aide.

Candy sauta du camion et ses bottes s'enfoncèrent dans l'épaisse couche de neige. Elle courut de toutes ses forces jusqu'à la cabine du chauffeur, en faisant des enjambées aussi vite que possible. Dans la cabine, Julienne essayait désespérément d'aider le conducteur qui était affaissé sur le volant.

  • Que se passe-t-il, Julienne ? - fit Candy en ouvrant la porte de la cabine, mais la condition de l'homme paraissait suffisamment claire pour elle. Il avait une crise cardiaque.

Sans rien dire de plus, les deux femmes commencèrent à faire leur possible pour aider le pauvre inconscient. Candy essaya une nouvelle fois de ranimer l'homme dans un frénétique effort pour lui sauver la vie. Il lui semblait que le temps s'était arrêté dans ce coin gelé du monde. Tout à coup, les sons disparurent comme si Candy se trouvait coincée dans une bulle, elle n'entendait pas les paroles de Julienne, ni le son de sa propre respiration. Il n'y avait rien à part le silence et la vitale nécessité de sauver une vie.

  • Candy ! - fit une voix lointaine - Candy !

Elle ne répondit pas et continua à appuyer sur la poitrine de l'homme.

  • Candy ! - dit une autre fois Julienne en saisissant Candy par l'épaule - C'est fini, Candy.

Les bruits revinrent alors aux oreilles de Candy. Le vent, la voix de Julienne, Flanny criant depuis le camion.

  • Il est parti, Candy - murmura doucement Julienne.

Candy regarda sa collègue sans savoir quoi ressentir, que ce soit de la frustration de n'avoir pas pu sauver le pauvre homme, ou du désespoir pour avoir été abandonnés à la dérive au milieu de bois gelés, encore à des milles de distance de Paris. Julienne lut les pensées de Candy dans ses yeux inquiets.

  • Qu'allons-nous faire, Candy ? - demanda-t-elle d'une voix qui reflétait sa peur.
  • Je… Je crois je peux conduire - répondit Candy en essayant de garder son calme bien qu'elle fut très énervée - tu sais, j'ai eu un prix, il m'a laissé conduire sa voiture une ou deux fois…Je crois que je pourrais essayer de conduire le camion… Mais nous devons d'abord décider de ce que nous allons faire du corps, Julie.
  • Que se passe-t-il ? - cria Flanny de derrière le camion.

Candy abandonna une seconde Julienne et alla parler à Flanny pour la calmer. Flanny essayait de sortir quand Candy sauta dans le camion, les autres patients s'étaient eux aussi réveillés et lui lançaient des regards inquiets.

  • Candy, pourquoi nous sommes nous arrêtés ? - demanda Flanny très préoccupée.
  • C'est juste le caporal Martin qui s'est trouvé mal, Flanny - mentit Candy qui ne voulait pas alarmer les blessés et Flanny - reste ici et Julienne sera près toi dans une minute. Cela vous va ?

Pas très convaincue, Flanny accepta l'explication de Candy, d'un côté parce que elle souhaitait toujours croire ce qui était le mieux, mais aussi pour ne pas alarmer les patients avec ses doutes.

Après une brève discussion sur ce sujet, Candy et Julienne décidèrent de laisser le corps sur le bas côté du chemin, puisqu'elles n'avaient pas de pelle pour lui creuser une tombe, ni le temps pour l'enterrer. Le blizzard s'accentuait chaque fois un peu plus et il n'était pas conseillé pour la santé de Julienne, de rester plus longtemps sous le froid glacial. Après avoir dit une prière sur le corps du défunt, Julienne monta à l'arrière du camion, et Candy prit la place du conducteur.

Elle regarda la carte et essaya de deviner où ils se trouvaient, la route étant pratiquement invisible sous la neige. En ce temps là, les trains étaient encore un moyen de transport plus populaire que les autos, et les routes n'étaient pas en si bon état qu'aujourd'hui. De plus, la guerre avait balayé tant de choses dans sa folle dévastation, qu'il n'y avait plus aucun panneau de signalisation que Candy aurait pu suivre. Une nouvelle fois, il lui fallait obéir à ses instincts.

La jeune femme respira profondément tout en tournant la clé du camion pour démarrer le moteur.

  • Alistair - pensa-t-elle - s'il te plait, aide-moi.

En vérité, Candy n'avait jamais conduit mais elle avait tant de fois vu Alistair le faire qu'elle se sentait confiante. Candy appuya sur l'accélérateur et le camion commença à se déplacer.

  • Très bien, Mon Dieu - se dit Candy tout en conduisant avec crainte - si je nous ai sorties de cette tranchée, Flanny et moi, je ne nous laisserai pas mourir ici sous la neige !

Candy commença à prier sans savoir qu'à des kilomètres et des kilomètres de distance, de l'autre côté de l'océan, deux autres prières étaient faites pour sa protection. Le camion avança pendant quelques heures, tandis que la neige et le vent augmentaient sans aucune pitié. Le rythme du lent mouvement, comme une berceuse silencieuse, fit s'endormir les passagers du camion. Seule Julienne restait éveillée, dérangée par sa toux continuelle et ses multiples soucis, sachant que Candy était dans la cabine du conducteur à essayer de trouver un chemin pour sortir de ces bois gelés. Plus que jamais le lieu resplendissait de beauté sous la neige, mais il apportait aussi des dangers mortels. L'après midi se termina alors les ombres du soir commencèrent à tomber sur le vaste horizon.

Il était sept heures du soir, ce même jour, le 15 décembre, que Julienne jamais n'oublierait, surtout quand le camion s'arrêta définitivement. Dans l'obscurité, à l'intérieur du camion, Julienne entendit comment Candy s'efforçait à redémarrer le moteur, une, deux…, trois fois…, de nombreuses fois. Julienne pensa un instant qu'elle faisait un cauchemar, mais le bruit de la porte arrière du camion qui s'ouvrait la ramena à la triste réalité.

  • Julie - fit une petite voix féminine- Julie.

Julienne se rapprocha de la porte pour voir Candy qui se tenait à l'extérieur. Le blizzard s'était arrêté mais la couche de neige était incroyablement épaisse. Candy, debout au milieu de nulle part, avec de la neige jusqu'aux genoux, regarda Julienne avec une expression que cette dernière n'avait jamais vu sur aucune autre personne en ce monde auparavant. Pendant un moment, Julienne crut qu'elle voyait l'image d'un ange peinte sur les murs d'une église de son village natal. Elle se rappelait que durant son enfance, elle avait admiré les peintures des milliers de fois, attirée par la beauté des figures mais aussi terriblement émerveillée par la forte détermination de l'archange vengeur que l'artiste avait peint. La jeune et ingénue américaine qu'elle avait rencontrée six mois auparavant avait alors la même expression sur son visage.

  • Que se passe-t-il, Candy ? - demanda Julienne bien qu'elle sut la réponse.
  • Le camion ne nous amènera pas à Paris, Julie - fit Candy d'un ton inhabituellement mort.
  • Candy ! - murmura Julienne, sans oser en demander plus.

Candy posa ses mains sur les épaules de Julienne, rapprochant la distance de leurs visages, jusqu'à ce qu'ils se touchent presque.

  • Julie, écoute-moi bien - murmura lentement Candy, articulant chacun de ses mots - ce camion est mort et coincé dans la neige, nous ne pourrons aller nulle part avec lui, et si nous passons la nuit ici, nous mourrons de froid. Il est clair qu'il nous faut de l'aide, et la seule personne qui peut essayer d'en chercher est moi, c'est pourquoi ne dis rien. Retourne juste au camion, occupe-toi des autres, et prie, seulement prie !
  • Candy ! - fit Julienne sans savoir quoi dire ni faire.
  • Fais ce que je te dis, Julie - répliqua Candy en saisissant les épaules de Julienne - Allez ! - ordonna-t-elle d'une voix résolue - Ferme cette porte !

S'asseyant comme une petite fille surprise devant la colère de sa mère, Julienne obéit à la voix de Candy, bouche bée face au courage de la jeune blonde. Par l'étroite fenêtre, Julienne vit la silhouette de Candy dans son manteau noir, disparaître dans le bois. La jeune femme fit le signe de croix et murmura.

"Notre Père qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne vienne…"

* * * * *

  • Qu'est-ce qu'il fait froid ! - se dit Candy tandis qu'elle marchait à grandes enjambées dans la neige - J'ai déjà connu des froids similaires, bien souvent… l'hiver sur la colline de Pony était parfois pire. Je me souviens qu'Annie avait toujours peur de la neige quand elle était petite… Je me demande comment elle va maintenant. Sont-ils en train de préparer Noël comme je le leur ai conseillé ? … L'année prochaine, quand cette guerre sera terminée, je demanderai à Melle Pony qu'elle prépare ma tarte aux fruits préférée pour que je la mange seule, juste comme j'ai toujours rêvé de le faire quand j'étais enfant et que je la voyais préparer sa tarte la nuit précédant Noël. Oh Dieu qu'il fait froid ! Tom se battait toujours avec moi pour la tarte, ce garçon entêté. Y aura-t-il Albert et Archibald pour cette occasion ? Cela vaut mieux… Je ne veux pas les entendre parler d'affaires ou d'études quand je rentrerai… Je veux leur dire combien je les aime, leur dire la chance que j'ai de les avoir comme amis… Quand je reviendrai… S'il vous plait, Seigneur, si vous m'avez attirée ici, et je sais que vous l'avez fait, laissez moi vivre pour trouver de l'aide… il fait sombre de nouveau, ce blizzard, mais je dois vivre… pour eux… Seigneur, sept personnes là bas, dans ce camion, m'attendent… Ce n'est pas pour moi que je dois rester vivante.

Candy se déplaçait rapidement, comme ses jambes le lui permettaient. Luttant mentalement pour maintenir son esprit en éveil, parlant avec Dieu de temps en temps, et essayant désespérément d'évoquer ses meilleurs souvenirs pour avoir des forces. Elle savait qu'il lui fallait continuer à marcher, éveillée, concentrée et vivante. Les bons souvenirs étaient l'unique chaleur dont elle disposait au milieu de la solitude de ce bois sur le sol gelé d'Europe.

  • Ces bois, ils ressemblent tant à ceux d'Amérique - continuait-elle, levant les yeux pour regarder les énormes sapins, témoins muets de sa marche suicidaire - rien que la liberté du vent soufflant sur mon visage, alors que je me tiens sous le feuillage d'un arbre, la chaude brise de mai… les roses du domaine de Lakewood… La cabane dans l'arbre… Alistair était tellement original, oui, tellement original… Où peut-il être maintenant ?… - Candy s'arrêta, honteuse de ses propres pensées - Comment se fait-il que je ne puisse cesser de penser à toi ?… Cette douleur dans la poitrine… Quand j'arriverai à Paris, j'irai voir un médecin.

* * * * *

Duncan Jackson avait dit à ses hommes qu'il ne voulait pas être dérangé pendant qu'il jouait, à moins qu'il ne s'agisse d'une véritable urgence. On attendait patiemment que l'hiver passe avant d'entrer en action, et on ne s'attendait à aucune sorte d'urgence ce soir là. L'homme regarda le calendrier sur son bureau.

  • 15 décembre - fit-il en grognant - nous ne sommes pas encore en hiver, mais il fait incroyablement froid dehors. Je crois que nous accumulons toute la neige du monde cette nuit.

L'homme assis en face de Jackson ne répondit pas à ses observations. Jackson se baissa légèrement sur l'échiquier, regardant avec une muette concentration les pièces de marbre. Après avoir considéré toutes les possibilités, il déplaça un pion et regarda le visage de son opposant dans une faible tentative pour lire sa réaction. Il savait déjà que rien ne transparaissait sur le visage du jeune homme. C'est alors que Jackson leva les yeux vers le soldat Stewart qui venait d'entrer dans la tente.

  • Excusez-moi, Monsieur - dit l'homme timidement - je crains qu'il y ait une urgence.

Jackson dévora le pauvre homme d'un regard furibond jusqu'à ce que le soldat Stewart devienne tout rouge.

  • Une urgence, soldat - réplique Jackson - Il vaut mieux que cela en soit une pour vous, sinon je vous enverrai travailler jusqu'à ce que vous y laissiez la peau !
  • Monsieur - bafouilla l'homme - c'est vraiment une urgence.
  • Alors, dites-moi de quoi il s'agit avant que je perde patience ! - hurla Jackson, furieux.

Le soldat Jackson regarda autour de lui, son sergent se tenait assis devant l'échiquier, si concentré qu'il semblait en oublier la présence de Jackson et de Stewart. De l'entrée, Stewart ne pouvait voir que le dos du jeune homme dans l'obscurité du lieu. Pendant une seconde, le soldat crut qu'il était fait de pierre pour ignorer ce qui se passait autour de lui. Le soldat s'efforçait de trouver les mots adéquats pour expliquer à son chef de quoi il s'agissait, alors que le sergent restait indifférent.

  • Monsieur - commença Stewart - Il y a… Il y a une…, une femme dans le campement - dit-il finalement.

Les yeux de Jackson se contractèrent sur Stewart au point qu'il crut qu'il allait exploser.

  • Ce fut une bonne tentative soldat - fit Jackson ironique - maintenant dis moi ce qui se passe vraiment.
  • C'est la vérité, monsieur - fit Stewart, blessé - il y a une femme dehors, une jeune femme… elle demande de l'aide.
  • Nous sommes dans un coin perdu soldat, à des kilomètres d'un quelconque village habité ! - cria Jackson - Et vous venez me dire que quelqu'un dehors demande de l'aide, qui plus est une femme !
  • Je…, je…, je sais que c'est difficile à croire, monsieur - répondit Stewart en baissant les yeux sans pouvoir soutenir le regard de Jackson - la dame est là, dehors.
  • Faites-la entrer - dit Jackson, circonspect.

Indifférent à ce qui se passait autour de lui, le jeune sergent ne bougea pas de sa chaise quand le soldat Stewart dit qu'il y avait une femme dans le campement. Il ne dit mot, nit ne fit un quelconque mouvement quand la femme entra finalement dans la tente. Il semblait que cet événement particulier et inhabituel ne l'impressionnait pas. Ses yeux bleus fixaient l'échiquier blanc et noir tandis qu'il luttait mentalement pour se concentrer sur le jeu. L'étrange douleur à la poitrine était plus forte que jamais, et pouvoir contrôler les deux choses, comme la douleur et le jeu, étaient déjà suffisantes pour concentrer son attention hors de la réalité. De son côté, Jackson était étonné devant l'expression absorbée sur le visage du jeune homme et sa formidable distraction. A ce moment là entra la femme.

  • Mon Dieu, jeune fille ! - fit Jackson, oubliant pour une fois depuis des mois le jeune sergent, en voyant la jeune femme vêtue d'un large par-dessus, lequel était trempé jusqu'aux hanches - Que fait une jeune femme comme vous, ici, par tous les cieux !
  • Je suis Candice Neige André, assistante chirurgicale de la Force d'Expédition Nord-Américaine, monsieur - fit la jeune femme - Je suis en mission pour transporter du personnel médical et militaire blessé, jusqu'à Paris mais notre chauffeur est mort en chemin et le moteur du camion dans lequel nous voyagions est mort lui aussi, peut être à cause du froid. J'ai laissé mes compagnons, tous étant malades, dans le camion, pour chercher de l'aide.

Si le capitaine Jackson avait jeté un œil sur le jeune sergent à ce moment là, il aurait remarqué comme son visage avait été transfiguré juste après que la femme ait prononcé les premiers mots. Ses yeux bleus s'ouvrirent tout grand, son cœur s'arrêta, le pion qu'il tenait sursauta dans sa main et tomba sans vie sur l'échiquier. Son visage exprimait maintenant un tumulte incontestable d'émotions qui courraient sauvagement, étincelant et explosant comme un volcan en furie.

Jackson regarda la jeune femme, sans vraiment croire ce qu'elle lui racontait.

  • Comment puis-je savoir que ce que vous dites est vrai, jeune fille ? - demanda-t-il.
  • Vous pouvez en être certain, monsieur - dit le jeune sergent en se levant et se retournant pour faire face à la jeune femme - Je connais cette jeune dame et je peux vous garantir qu'elle dit la vérité - conclut-il.

Devant les yeux étonnés de Candy, se tenait un homme d'une vingtaine d'années, grand, de taille fine et aux larges épaules, le cheveu couleur café, coupé court. Son visage se composait d'un nez fin, de lèvres sensuelles, d'une mâchoire forte et d'une paire d'yeux profonds et intensément bleus, cachés sous d'épais sourcils bruns. Aux premières intonations de sa voix profonde et douce, elle avait reconnut son propriétaire bien avant qu'il se fut mis debout pour lui faire face. Devant elle, dans un impeccable uniforme vert de l'armée des Etats-Unis et chaussé de bottes noires, se trouvait Terrence G. Grandchester.

  • C'est lui - pensa-t-elle anéantie.
  • C'est elle - se dit-il aussi incrédule.

Si on avait pu mesurer la rapidité de pensées que les esprits humains peuvent produire en une seconde, ou le degré d'intensité des sentiments que nous pouvons exprimer en un soupir; alors Candy et Terry avaient atteint les niveaux les plus hauts de ce bref instant, tandis que le capitaine Jackson s'étonnait des évènements qui se déroulaient devant lui.

  • C'est toi ! - pensa-t-il, étourdi et enivré par sa présence - Ce n'est pas une illusion, cette fois ! C'est vraiment toi, la même qu'autrefois… mais non, tu n'es pas la même… Tu es encore plus belle que la dernière fois, plus attirante. C'est à peine si je peux me retenir de te prendre dans mes bras ici et maintenant ! Tes cheveux. Oh Mon Dieu ! Jamais je n'aurais pensé qu'ils puissent être aussi longs ! Ils sont comme une cascade de boucles ensoleillées, irréelles, en folles spirales de la tête à la taille ! Tes yeux sont plus verts, comme une paire de minuscules aquarium, tes lèvres, des pétales de rose. Sorcellerie ! Elles sont encore plus enchanteresses… mon aimée !
  • C'est toi ! - se dit-elle, surprise, intoxiquée rien qu'à le voir - Tu es plus grand ! Tu as pris du poids aussi, depuis la dernière fois.. Cette fois là, tu étais si pâle et amaigri que mon cœur s'en tordait de douleur… Mais aujourd'hui… Tes épaules paraissent plus larges, tes bras plus forts, chaque centimètres de toi est plus viril que dans mes souvenirs… Tu es si élégant dans cet uniforme, mon amour. J'ai eu si peur là dehors, Terry ! Tellement peur que je voudrais courir vers toi maintenant pour que tu me serres dans tes bras ! Mais… Mais je ne peux même pas bouger !

Fin du chapitre 5

© Mercurio 2000