Retrouvailles dans le tourbillon
Par Mercurio

Chapitre 4

Sur le front occidental

 

Le chemin qui menait à Ypres était à la fois long et froid, froid et sinistre, sinistre et lugubre. Alors que le train laissait Paris derrière lui, Candy pouvait constater de ses propres yeux ce que les malades lui avaient raconté. Plus on se rapprochait du Nord, plus le paysage semblait désolé. Des champs de culture entiers étaient abandonnés ou dévastés, de grandes surfaces brûlaient encore après une attaque aérienne. Le silence avait remplacé le bruit des paysans qui travaillaient sous le soleil du Pas-de-Calais.

Beaucoup de monde avait évacué vers le sud et le centre du pays, fuyant la destruction, courrant désespérément pour trouver un refuge, mais on savait que la vie ne serait plus pareille en étant loin de l'unique foyer que certains avaient toujours connu. Tandis que le train roulait, Candy regardait les nombreuses maisons désertées le long des voies. Son cœur se serra devant le triste spectacle des cabanes abandonnées et les fermes inhabitées. Mais ce n'était que le début.

Quand le train arriva à Arras, la capitale du Pas-de-Calais, le groupe dut continuer le voyage en camion. Les tranchées alliées se dressaient le long du camp non loin de là. De l'autre côté de "la terre de personne", les Allemands s'efforçaient de maintenir leurs positions dans la région qu'ils occupaient. Quelques routes avaient été partiellement détruites et le peu de lignes qui restaient intactes étaient consacrées au transport des blessés du front vers Paris et d'autres grandes villes. Le train laissa le groupe et leur équipement au milieu de ruines qui avaient dû être auparavant une gare de chemin de fer. On leur avait dit qu'ils devraient attendre environ trois heures avant que les camions viennent les chercher. Le groupe prit alors le temps de digérer peu à peu l'affligeante vision que les traces de la guerre avaient laissé dans la ville, autrefois belle et pleine vie.

Candy voulut se détendre les jambes et demanda à Julienne de l'accompagner. Pour une raison qu'elle ne comprit pas, Flanny se porta volontaire pour venir avec elles. Après quelques pas, elles se trouvèrent hors de la gare et arrivèrent dans une rue pavée qui menait à une place. De leur position, elles pouvaient voir les ruines d'une église. Un boulet de canon avait détruit un des murs révélant les fresques de la coupole intérieure. Le toit de l'édifice s'était effondré sur les bancs et quelques poutres de bois restaient suspendues dans les airs. A l'extérieur de l'église, un groupe de soldats écossais, assis sur le trottoir, discutaient à voix basse, totalement indifférent à la pathétique scène. Ils avaient assisté tant de fois à ce genre de spectacle qu'ils avaient fini par s'y habituer. C'était la seule façon de combattre les horreurs de cette vie de cauchemar.

Un des soldats laissa échapper un cri étouffé de surprise quand il remarqua la présence des trois jeunes filles en uniforme blanc et longue cape noire. Elles se contentèrent de les saluer de leurs têtes ornées d'un chapeau de paille et poursuivirent leur chemin tandis que Candy se signait en passant devant le sanctuaire en ruines. Arras avait été attaquée férocement en trois occasions depuis le début de la guerre. Il n'en restait plus que d'épouvantables ruines, des bâtiments noir et brûlés, des rues muettes avec seulement les lamentations du vent automnal qui se perdait dans l'écho des pas des trois jeunes passantes.

Une silhouette solitaire et partiellement effacée dans la brume de la nuit s'approcha du groupe et Candy fit des efforts pour la distinguer. Elle vit finalement qu'il s'agissait d'une femme qui marchait vers elles, d'un pas lent. Elle portait dans ses bras un paquet sans forme distincte.

- Mesdemoiselles - dit la femme - Ayez la bonté de me donner un peu d’argent pour nourrir mon enfant, Je vous en prie !

Candy fit un pas en avant vers la femme. Elle remarqua alors que cette dernière n'était vêtue que de haillons, tremblante sous le froid de la nuit. Elle portait dans ses bras un bébé immobile et au teint grisâtre de joues de l'enfant, Candy sut qu'il était déjà mort. La femme la regardait avec des yeux suppliants alors que Candy la recouvrait de sa cape.

  • S’il vous plaît, Mademoiselle - répéta-t-elle le regard perdu dans le vague.

Candy entoura doucement la femme de ses bras, ne pouvant retenir une larme. Julienne et Flanny se raprochèrent en silence sans remarquer qu'un homme observait de loin la scène.

  • Mesdemoiselles - fit l'homme finalement en sortant de la brume.

Julienne se retourna pour voir l'homme et parla avec lui en français pendant un moment. Il semblait qu'ils parlaient de la femme que réconfortait Candy. A la fin de la conversation, l'infirmière se dirigea vers ses collègues américaines, les yeux plein de larmes.

  • Il m'a dit que l'enfant est mort depuis deux jours - commença Julienne - mais elle ne veut pas le laisser partir. Elle a perdu le contact avec la réalité depuis la mort du petit. C'est son mari et ils attendent tous deux qu'un ami vienne les chercher en camion pour les amener dans le sud où ils ont quelques parents.
  • Dis-lui que sa femme peut garder ma cape - dit Candy en aidant la femme à marcher vers l'homme qui recueillit son épouse dans ses bras.

L'homme inclina la tête en signe de remerciement vers la jeune beauté qui lui faisait face et s'éloigna avec sa femme, qui ne pouvait comprendre vraiment ce qui se passait autour d'elle. Son esprit restait diffus dans sa peine comme cette nuit de novembre. Les trois jeunes filles retournèrent vers la gare en silence. Tout le long du chemin, Flanny n'avait prononcé aucun mot mais le clignement nerveux de ses yeux laissa voir ce qu'elle ressentait, tout au moins pour Candy.

  • Elle prétend être trop dure pour s'apitoyer devant ces tragédies - pensa Candy - mais je la connais suffisamment bien pour remarquer qu'elle est aussi bouleversée que moi et Julienne. Ce regard dans ses yeux… Je me le rappelle très bien.. Elle bouge de la même façon ses yeux, les clignent nerveusement comme lorsque nous étions à l'école d'infirmières et qu'elle luttait pour cacher ce genre de démonstration. Après tout, ton cœur ne peut pas rester de glace devant un tel désastre, ma vieille Flanny.

Les trois infirmières rejoignirent le groupe. Une heure plus tard, les camions arrivèrent et toute l'équipe médicale poursuivit son voyage jusqu'au front. Julienne resta muette le restant du trajet, les yeux perdus dans l'obscurité de la nuit froide. Candy voulut dire quelque chose pour la faire réagir mais elle comprit que son amie avait besoin d'un peu d'intimité, c'est pourquoi elle la laissa seule avec ses propres pensées, tandis qu'elle essayait de dormir un peu. Dans quelques heures, elles arriveraient à destination.

* * * * *

Au cours des premiers jours de novembre, la seconde division du Régiment Nord-Américain s'entraînait non loin de cambrai dans le Nord de la France. Ils ignoraient encore le lieu où ils seraient assignés pour entrer en action. Leurs ordres étaient simples, s'entraîner, s'adapter aux conditions climatiques et reconnaître le terrain autant que possible. Malgré le fait que les Américains se furent rapidement mobilisés, aient pris en compte que c'était un régiment entier qui avait traversé l'Atlantique, de nombreux mois s'écouleraient avant que ces troupes soient envoyées sur des positions stratégiques, et soient prêtes pour aider les alliés. Le général John J. Pershing, commandant en chef de la FEA, avait pour ordres du Président Wilson : attendre et être prêt le moment venu.

Entre temps, cette attente était difficile à supporter pour les jeunes soldats, certains étant anxieux d'avoir à affronter le vrai combat, tandis que d'autres plus naïfs et plus réalistes, gardaient leur peur secrète de devoir y faire face un jour ou l'autre. L'espoir d'un futur incertain, peut-être sa propre mort, est une charge accablante pour l'âme humaine.

La division avait pris possession d'une surface boisée. Chaque régiment et bataillon avaient été assignés à un secteur où les hommes pouvaient travailler et attendre, coordonnant leurs actions avec celles des autres bataillons et restant en permanence en contact. Le matin, qu'il pleuve ou qu'il tonne, les soldats s'entraînaient pendant des heures. L'après-midi, ils s'occupaient du campement. Ainsi, les troupes restaient occupées dans leur routine, mais les nuits.... Ahhh ! Les nuits étaient réservées à se reposer ou à oublier la cruelle réalité que chaque homme vivait loin de sa famille. Les soldats se divertissaient le mieux possible. Certains se retrouvaient autour du feu et se rencontraient des histoires, jouaient aux cartes, partageaient les nouvelles qu'ils recevaient d'Amérique, se demandaient comment la FEA allait percer les arrières des Allemands, ou bien se concentraient sur leur sujet préféré, c'est à dire, les femmes.

- J'ai rencontré la fille la plus jolie que j'ai jamais vue dix jours à peine avant de venir en France - dit un des simples soldats assis autour du feu - Malheureusement, je n'ai pas pu tenter ma chance avec elle. Mais je le ferai dès que je serai de retour à la maison.

- Elle sera alors mariée et mère de trois enfants - se moqua un deuxième soldat avec un sourire malicieux - Il vaut mieux que tu trouves une française quand tu auras ta première permission - conclut-il.

- Bien sûr que je le ferai - pouffa de rire le premier soldat - C'est ce à quoi je pense depuis que nous sommes arrivés, mais il me semble peu probable que cela se passe prochainement.

- Je crois que je vais oublier ce que c'est que de sentir une femme entre mes bras avant que cette guerre ne se termine - opina une troisième voix.

- Je suis d'accord avec toi - dit une quatrième voix plus jeune poussant les trois autres hommes à se regardés avec amusement devant le commentaire du jeune garçon.

- Allons gamin ! - fit le premier soldat - Tu ne peux pas t'en rappeler car tu n'as jamais tenu une femme dans tes bras - termina l'homme tandis que le reste du groupe ricanait.

A une certaine distance, un autre homme les observait en silence. Son visage et la partie supérieure de son corps se trouvaient partiellement dans l'obscurité. La lumière et l'ombre dansant dans le feu reflétaient des formes mystérieuses sur ses bottes lustrées ainsi que dans ses grands et profonds yeux, uniques points brillants sur sa sombre figure. L'homme se tenait tranquillement assis contre un tronc d'arbre sec, la tête et les épaules posées contre une pile de caisses bois remplies de munitions. Bien qu'il fut visiblement en train de les regarder discuter et blaguer, il semblait que son esprit n'était pas concentré sur la conversation, mais plutôt qu'il rêvait sans que l'on put dire si ses pensées étaient agréables ou tristes, car le visage de l'homme ne révélait aucun type d'émotions.

Un autre homme sortit d'une tente proche. Sa seule présence suffit pour que tous les autres, y compris le rêveur solitaire dans l'obscurité, se mettent debout et saluent leur officier qui avait surgi inopinément pour se mêler au peuple. Le Capitaine Duncan Jackson avait environ 40 ans, une mâchoire carrée et un grand nez qui était la marque de sa personnalité. Il regardait le monde de ses yeux sombres et pénétrants et maintenait le contrôle sur chaque homme de son bataillon sans perdre un détail. Ses épaules larges occupaient l'espace où qu'il se trouvât et personne n'osait demandait qui était en charge.

- Messieurs - commença Jackson - Le tenant Harris s'est montré réellement pathétique en jouant aux échecs, et pour être franc, je trouve son jeu particulièrement ennuyeux. Je suis choqué de vaincre ses faibles mouvements - conclut en jetant un œil sur chacun des hommes qu'il dirigeait - C'est pourquoi, je me suis demandé - poursuivit Jackson - si l'un d'entre vous pense être un meilleur opposant pour moi, j'apprécierais beaucoup que vous m'en fassiez part - termina-t-il sèchement.

Pendant un bref instant, les simples soldats s'observèrent les uns les autres totalement confus devant la proposition habituelle. Il est peu commun dans le cercle militaire où la hiérarchie est un sujet si important, parfois une question de vie ou de mort, qu'un officier de haut rang se rabaisse à parler avec les hommes d'une moindre catégorie dans l'armée, encore moins qu'il en vienne à leur demander de partager un moment de divertissement.

- Je peux vous vaincre, Monsieur - dit une voix profonde que les simples soldats assis autour du feu eurent peine à reconnaître, mais qu'une seconde plus tard, ils attribuèrent à l'homme assis dans l'ombre.

Jackson observa l'homme avec un œil amusé et esquissa un sourire moqueur.

- Ne croyez-vous pas sergent que ce que vous venez de dire est une affirmation un peu trop prétentieuse ? - demanda le Capitaine sans pouvoir retenir un sourire empreint de dédain.

Mettez-moi à l'épreuve Monsieur - dit le jeune sergent sans montrer le moindre signe de peur ou d'hésitation dans la voix.

- Jeune homme, il vaut mieux que vous sachiez bien jouer sinon vous n'aurez pas de permission avant que vous ayez atteint votre 70ème année - l'avertit le capitaine.

Jackson n'en dit pas plus, ni même attendit une réponse du jeune homme. Il se contenta de lui faire signe de la main d'entrer dans sa tente pour commencer à jouer.

- Je croyais qu'une souris lui avait avalé la langue - commenta un des soldats quand le capitaine et le sergent furent entrés sous la tente - c'est je crois la première fois que je l'entends parler.

- Eh bien maintenant nous savons qu'il n'est pas muet et qu'il joue aux échecs. Quant à nous ? - demanda le deuxième soldat - nous allons jouer au poker - proposa-t-il avec exclamation alors que les quatre autres se plongeaient dans le jeu en gardant le silence pendant un moment.

Quand le jeune sergent entra dans la tente, la première chose que ses yeux troublés purent voir, fut un grand damier d'échecs avec des pièces en ivoire finement sculptées. Il put reconnaître le délicat travail des artisans hindous et il réalisa que le capitaine Jackson était un homme qui avait voyagé et connu une grande partie du monde. Il se dit que c'était bien car les hommes qui ont voyagé ont souvent des conversations intéressantes, ce qui est essentiel quand on joue aux échecs. Bien qu'il ne fut pas disposé à parler beaucoup, il trouvait agréable de rencontrer quelqu'un qui fut digne d'être écouté.

"N'importe quoi mérite d'être écouté à côté des ces obscénités qu'ils racontent dehors" - se dit le jeune homme - "En y pensant bien, presque n'importe quoi pourrait être mieux que cette irrémédiable misère que j'ai en moi".

- Un cigare ? - proposa Jackson en approchant un paquet de cigare du jeune sergent.

- Non merci, je ne fume pas, Monsieur - répliqua-t-il froidement.

Dommage - dit le capitaine en serrant ses larges épaules - J'espère que ça ne vous dérange pas que je fume car j'aime cela quand je joue.

- Je dois avouer que je n'aime plus cette odeur maintenant, ayant été auparavant un fumeur invétéré, mais je peux le supporter Monsieur - répondit le tranquillement sergent.

- Comment avez-vous fait ? - s'enquit Jackson en fronçant le front avec curiosité

- Faire quoi, Monsieur ? - demanda frileusement le sergent.

- Pour laisser tomber le cigare, bien sûr !

Durant une seconde, une étrange lumière passa dans les yeux du jeune homme puis disparut si rapidement que Jackson ne la remarqua pas. Le sergent se leva et baissa la tête comme s'il luttait contre ses pensées, puis après ce bref mouvement il fixa son regard absent vers l'officier et lui répondit simplement.

- J'ai trouvé mieux à faire, je crois - donna-t-il comme réponse sur le ton caractéristique des gens qui veulent faire comprendre que ce sujet est à éviter.

Les deux hommes s'assirent autour de la table sur laquelle reposait l'échiquier blanc et noir et commencèrent à jouer. Comme le jeune sergent le pensait, le capitaine Jackson n'était pas un homme comme les autres et avait une conversation vivace, laquelle n'avait pas besoin d'être stimulée. L'homme parlait énormément sur l'actuelle situation de l'armée, des possibles mesures stratégiques qui pourraient être prises et des réactions très probables qu'ils devraient attendrent de l'ennemi. Cependant, à mesure que le jeu avançait, Jackson se montrait moins loquace en voyant que son opposant était vraiment habile et difficile à vaincre. Le capitaine avait déjà perdu plus de pièces que de coutume, et cela le rendait dangereusement incommode face au silence du jeune homme qui ne disait rien mais jouait comme un diable.

- Dites-moi sergent - commença le capitaine Jackson en essayant de distraire le joueur - Comment vous sentez-vous en tant que soldat ? Je suis sur que c'est une expérience impressionnante pour un homme qui d'habitude fait quelque chose de différent pour gagner sa vie.

- Je m'y fais Monsieur - fut l'unique réponse de jeune homme tandis qu'il faisait un autre mouvement qui effraya profondément Jackson.

- Son accent... est très rare - pensa Jackson qui était passionné par les langues. En fait, dans sa jeunesse, il avait été tellement attiré par les langues qu'il avait pensé suivre des études de Linguistique à l'université de Harvard, mais son père, étant un officier de haut rang de l'armée américaine, ne lui avait laissé comme option que d'aller à l'académie militaire de West Point. Cependant, Jackson avait continué à étudier l'anglais pour son propre compte et était plus spécialement fasciné devant le sujet incroyablement compliqué de la phonétique. Il avait une sorte d'obsession pour l'immense variété d'accents dans l'anglais parlé et était fier de sa capacité à reconnaître l'origine d'une personne seulement en écoutant sa façon de parler.

"Je pourrais presque dire qu'il est britannique" - poursuivit Jackson - "mais sonnent parfois de légères inflexions américaines. Américaines, oui, mais de quelle région des Etats-Unis. Je n'en sais rien. Il faut vraiment que je le fasse parler un peu plus pour m'en assurer".

- Votre foyer ne vous manque pas, sergent ? - tenta de nouveau Jackson après avoir réalisé son propre mouvement.

Le jeune sergent, se frottant légèrement le menton de la main gauche, regarda les yeux marron du Capitaine Jackson. Il y avait une expression rigide de tricheur sur le visage du jeune homme, ou peut-être bien aucune expression lisible. La lampe de kérosène sur la table derrière les deux hommes éclairaient les traits délicats du sergent. Ses lèvres étaient exquisément dessinées en parfaite adéquation avec un nez droit et fin à l'air arrogant. Une paire de sourcils brun épais assombrissait ses yeux mystérieux.

- Chaque homme est toujours en quête d'un lieu que l'on appelle foyer, Monsieur - répondit-il si froidement que cela gela le sang de Jackson - mais certains ne le trouvent jamais - termina-t-il en faisant un nouveau mouvement sur l'échiquier. Le roi Jackson se trouvait alors dans une position dangereuse.

Jackson regarda l'échiquier en essayant de cacher ses craintes. S'il ne réagissait pas rapidement, le petit jeune risquait de remporter la partie !

- Vous avez raison - poursuivit Jackson en s'appuyant le dos contre la chaise pliante - Mais je suppose qu'un homme avec autant d'allure que vous, sergent, n'a aucun problème pour trouver une place dans le coeur des femmes - ajouta-t-il dans une ultime tentative désespérée pour distraire le jeune joueur.

"Le sujet des femmes marche à tous les coups" - se dit Jackson.

- Peut-être vais-je vous surprendre, mais l'apparence ne permet en rien d'atteindre le bonheur, s'il existe vraiment, Monsieur - affirma le jeune sergent avec sérieux. C'est alors, une lueur de satisfaction dans ses profonds yeux bleu, le premier signe d'émotion de la nuit qu'il se permettait de révéler, qu'il dit finalement :

- Echec et mat, Monsieur.

* * * * *

Près du front, le terrain était accidenté et boueux. La pluie automnale n'avait cessé de tomber depuis qu ils étaient montés dans le camion. La région était devenue un vrai marécage suite aux blessures que les nombreuses batailles laissaient au sol associées à la pluie impitoyable. Le voyage qui ne devait avoir duré que quelques heures leur avait paru durer des siècles à cause de la médiocrité du chemin.

Ce fut en milieu de nuit que le camion passa la frontière, l'équipe médicale se trouvait encore en territoire belge. Cela ne leur prit pas beaucoup de temps d'arriver en entendant le bruit des canons et des bombes. Ils étaient vraiment proches de la ligne de feu sur laquelle les régiments anglais et allemands combattaient pour conquérir Passendale, une petite ville près de Ypres.

Candy se réveilla en sursaut au son des mitraillettes au loin. C est ainsi qu'elle comprit qu'ils étaient arrivés à destination. Elle ne put s'empêcher d'avoir la frousse, mais l'instant suivant, une force puissante venant du plus profond de son être avait fait disparaître son appréhension. "Je suis ici pour accomplir mon travail, et je n'échouerai pas" se dit-elle en ajustant son pardessus, unique vêtement de protection qu'il lui restait après avoir donné sa cape à la femme d'Arras.

Le camion s'arrêta devant une longue file de tentes blanches que la poussière et la boue avaient rendues grises. Toutes sortes de voix et de cris emplissaient l'air froid de la nuit tandis que les gouttes de pluie ne cessaient de tomber. Le groupe était en train de descendre du camion quand homme vêtu comme un chirurgien, la blouse couverte de sang, s'approcha d'eux en respirant lourdement.

- Grâce à Dieu vous êtes arrivés ! – dit le vieux docteur avec un accent britannique – nous avons besoin de votre aide immédiatement. Deux chirurgiens et quatre infirmières s'il vous plaît, dépêchez-vous et suivez-moi – les suppliait l'homme qui s'en était déjà retourné vers les tentes.

Duval, en charge du groupe, donna ses ordres tout en derrière son nerveux collègue.

- Girard, Hamilton, Audrey, Bousseniers et Smith, venez avec moi ! – cria-t-il – Les autres dépêchez-vous à décharger l'équipement.

Le petit groupe courut vers la tente, s'ôtant les manteaux et les capes en chemin, et revêtant les blouses de chirurgie qui se trouvaient empilées dans une grosse caisse habituellement placée à l'entrée de la tente. Candy ne pourrait jamais oublier le spectacle auquel elle allait assister :

Placées en lignes, trois salles d'opération improvisées à l'intérieur desquelles des médecins et des infirmières visiblement épuisés tentaient d'opérer dans les pires conditions qu'ait pu jamais voir Candy. Des bandages sales retournés faits de coton et de laine se trouvaient éparpillés dans toute la pièce, tandis que d'un autre côté on pouvait voir une cuvette métallique débordante d'une eau rouge de sang. L'endroit était faiblement éclairé par de pâles lanternes que les infirmières soutenaient en même temps qu'elles faisaient passer les instruments aux médecins.

On entendait de part et d'autres des cris plaintifs. Parfois, on percevait dans toute la confusion, les cris hystériques d'un docteur essayant de sauver une vie.

- L'éther, où est l'éther, pour l'amour de Dieu ! Je ne peux opérer cet homme sans anesthésie ! – disait une voix avec désespoir tandis que plus loin un homme sans jambes pleurait dans d'horribles hurlements.

- Tuez-moi, je vous en supplie, je ne peux supporter la douleur ! – suppliait-il sur un ton effrayant.

Candy se figea un instant. Tout ce en quoi elle croyait semblait s'être effondré en une fraction de seconde. "Mon Dieu" – pensa-t-elle – "Où es-tu Seigneur ?" – mais une voix intérieure lui répondit chaleureusement – "Je suis là et c'est moi qui t'ai fait venir ici pour faire quelque chose pour moi".

Candy n'avait pas besoin d'en savoir d'avantage. Dans une extraordinaire démonstration de force et de volonté, elle se débarrassa de ses craintes et commença à travailler avec une efficacité et une maîtrise d'elle-même impressionnantes. Un cas de cinq blessures de balles près du pancréas, deux amputations, deux cas d'intoxication au gaz moutarde, un de bombe au phosphore, trois jambes cassées et quatre cas de brûlures profondes causées par l'explosion de boulets de canon.

De temps en temps, Flanny observait Candy en espérant surprendre le moindre signe d'erreur ou de fatigue, mais la jeune fille continuait à travailler sans fléchir, toute concentrée sur la tâche à effectuer. Ce ne fut que vers le 3 novembre, après que le sinistre défilé des blessés se réduise, que Candy et ses compagnons, tous épuisés et étourdis, terminèrent leur garde et furent remplacés pour pouvoir se reposer une douzaine d'heures. Ils avaient travaillé plus de 24 heures sans s'arrêter.

Candy s'assit sur une chaise abandonnée à l'extérieur de la tente, sans remarquer la bruine permanente qui tombait sur son visage. Ses cheveux bouclés étaient tout en désordre sous le filet qu'elle utilisait pour soutenir ses cheveux lorsqu'elle était en chirurgie, les mèches rebelles débordaient de sa coiffe d'infirmière. Son tablier de chirurgie était recouvert de sang et une douleur aiguë à la tête commençait à se faire ressentir. Elle n'avait mangé que quelques morceaux de pain et bu qu'un peu de thé pendant tout ce temps. Flanny se rapprocha silencieusement et se tint à côté d'elle pendant un moment. Une fois de plus, les iris de ses yeux remuaient rapidement comme si une bataille intérieure se livrait dans son esprit.

- Je me suis trompée Candy – dit-elle avec calme après avoir longuement résisté – Tu es la hauteur du travail – admit-elle en lui tournant le dos pour s'éloigner sous la pluie matinale.

Candy en resta muette, il lui semblait avoir entendu une espèce de compliment venant de Flanny. Elle ne pouvait croire ce qu'elle venait d'entendre, mais la figure de Flanny, laquelle marchait vers la tente des infirmières, lui fit réaliser que c'était vraiment un compliment de sa part qu'elle avait reçu. Il était dommage qu'elle fut trop fatiguée pour apprécier pleinement cette petite victoire sur sa continuelle lutte personnelle pour gagner la confiance de Flanny.

* * * * *

Ce ne fut qu'au bout de trois jours que Candy put prendre le temps de parler avec Julienne. Depuis son départ, les choses s'étaient déroulées tellement rapidement qu'elles n'avaient pas eu le temps de faire autre chose que travailler. Candy s'inquiétait du changement d'humeur de son amie depuis qu'elle avait rencontré la pauvre femme bouleversée à Arras. L'incident avait impressionné Julienne avec intensité affectant son comportement les jours suivants.

Il était tard dans la nuit quand Candy entra dans la tente qu'elle partageait avec deux autres infirmières. Il n'y avait personne d'autre que Julienne assise distraitement sur son lit. Ses yeux fixaient un reliquaire qu'elle tenait entre les mains. Ses longs cheveux bruns tombaient en mèches ondulées sur ses épaules. Ses yeux couleur d'ambre restaient cloués sur l'objet qui contenait à l'intérieur une photo d'un homme d'une trentaine d'années avec des yeux sombres tristes et un sourire franc sur les lèvres. C'était le mari de Julienne.

Candy s'approcha de Julienne silencieusement comme si elle ne voulait pas interrompre l'intimité de ce moment. Cependant, elle remarqua que les épaules de Julienne s'agitaient légèrement avec des sanglots étouffés. Candy se plaça à côté de Julienne et la serra tendrement contre elle, tout comme la jeune femme l'avait fait avec elle à Paris, la nuit où Yves avait essayé de l'embrasser. Julienne leva ses yeux couleur de miel vers le visage de sa compagne.

- Oh Candy ! – dit-elle finalement – depuis cette nuit à Arras, je n'arrête pas de penser à mon époux, tu sais, lui qui voulait tant que nous ayons un bébé.

- Tu auras autant de bébés que tu veux quand cette stupide guerre sera finie, Julienne – répondit Candy pour tranquilliser son amie.

- Tu ne comprends pas Candy – fit Julienne en sanglotant – Je... Je... ne peux avoir d'enfants... Mon utérus est trop étroit... La médecine ne peut rien faire pour moi... – conclut-elle et sa voix se perdit dans un pleur amer.

Ce fut alors le tour de Candy de se trouver incapable de prononcer un mot, ne sachant simplement quoi répondre devant une peine si profonde. Bien qu'elle fut consciente de l'existence de problèmes similaires, elle n'avait qu'une seule fois vu ce genre de cas dans sa carrière d'infirmière. C'était toujours triste de voir l'angoisse et la frustration de ces couples qui voulaient voir se réaliser leur rêve de créer un famille mais qui finissaient par découvrir leur impossibilité à y parvenir. Parfois, cela se terminait par un divorce, ce qui était terrible à cette époque, bien que cela le reste actuellement, dû à l'atroce douleur à laquelle doivent faire face les cœurs humains qui luttent devant un échec sentimental.

Candy pensa aussi un bref instant si elle connaîtrait-elle aussi un jour la joie de tenir dans ses bras une partie de sa propre vie ? Elle aimait beaucoup les enfants et savait qu'elle serait ravie d'avoir un petit qui soit à elle. Mais les enfants ne naissent pas de rien...

- Allons Candy – se dit-elle – Ce n'est pas le moment de penser à toi. C'est Julienne qui a besoin de toi à présent – réagit-elle.

- Là, là... – murmura Candy sur un ton maternel – J'ai été une orpheline qui n'a jamais eu la chance d'avoir une maman. Je suis sûre que j'aurais été heureuse d'avoir une mère comme toi et un père comme ton époux. Peut-être penserez-vous à adopter un enfant ?

- Gérald me l'a proposé – fit Julienne timidement – Mais je n'ai pas voulu à ce moment là... Maintenant, je n'en sais rien.

Tu as le temps d'y réfléchir – dit Candy en souriant doucement – Prie seulement pour que cette guerre s'achève rapidement. Quand ton mari sera de retour, tous deux pourrez reconsidérer la question, mais si tu te laisses dominer par la dépression aujourd'hui, tu vas devenir toute maigre et toute pâle. C'est pourquoi il faut que tu te remues mon amie. Quelqu'un m'a dit un jour, qu'on est beaucoup plus jolie quand on rit que lorsqu'on pleure, et je crois que cela peut aussi s'appliquer à toi.

- Merci Candy – dit la jeune femme en la serrant dans ses bras avec gratitude.

Tandis que Julienne la serrait contre elle, une autre pensée perturbatrice s'agita dans l'âme de Candy : "A-t-elle déjà un enfant avec lui ? ... Un enfant de lui ! ... Un enfant d'eux deux, pas de moi" La piqûre de la jalousie était encore si forte au fond de son coeur qu'elle se détesta de ne pouvoir contrôler ses impulsions personnelles.

* * * * *

Il prit son chapeau de feutre, son manteau de laine couleur café noir et les gants fins de cuir pour les laisser à l'entrée du grand bâtiment. Tout était silencieux bien que l'endroit fut rempli de monde. D'un geste las, il poussa vers l'arrière une de ses mèches blondes cendrées. Cela allait être difficile de trouver une place alors que tout le monde préparait les examens finaux. Aller à la bibliothèque en période d'examen était vraiment une perte de temps.

Du coin de l'œil, il aperçut quelqu'un bouger à l'extrême gauche du couloir. Une jeune fille aux joues rebondies était sur le point de partir. "Quelle chance j'ai" – se dit-il tandis qu'il se dirigeait vers la chaise vide. Dans un mouvement mécanique, il prit un livre puis un autre sur les étagères qui se trouvaient sur son passage. Il saisit le dossier de la chaise avec un geste de possession et prit place rapidement sans porter atteinte dans son comportement à l'élégance de ses gestes.

Il déboutonna sa veste, révélant une chemise blanche sous un gilet de soie aux élégantes broderies masculines de motifs sépia, châtaigne et d'un délicat jaune crème. Ses pantalons plissés couleur café étaient assortis à sa veste, et une cravate achevaient de compléter cet ensemble soigné qui avait dû coûter une fortune. Il prit une plume d'or d'une des poches intérieure de sa veste et il commença sa tâche. Ses yeux tourmentés de couleur claire de café se concentrèrent sur les pages du livre tandis qu'il griffonnait nerveusement quelques notes sur des feuilles de papier. Deux heures s'étaient écoulées et il était encore devant le même titre : Principes Philosophiques de la Constitution des Etats Unis d'Amérique.

Cependant, il commençait à se fatiguer des même petits sujets et le discours étriqué de l'auteur. Soudain, les citations d'Aristote lui parurent sauter des pages et danser autour de son esprit fatigué. Les lettres se mélangèrent devant ses yeux et par son imagination se réunirent pour former le nom d'une femme, se répétant une fois puis encore et encore à chaque nouvelle page tournée.

Il se frotta les yeux et s'appuya contre le dossier de sa chaise, levant une main jusqu'à la poche de sa chemise. Il en sortit une enveloppe de couleur rose et la porta à son nez puis à ses lèvres. Le doux parfum de roses envahit son odorat et l'assaillit de pensées interdites. "Elle a la même odeur" – pensa-t-il, les yeux rêveurs sans pouvoir contrôler son esprit rebelle. Il avait déjà essayé plusieurs fois, mais il s'était toujours trouvé vaincu dans cette bataille contre ces sentiments si bien enracinés dans son âme, trop anciens et réels pour être effacés par l'effet du temps et du rejet.

- Pour autant que cela soit étrange – poursuivait-il dans sa tête – le fait de la savoir près de moi suffit à me rendre heureux bien que je ne puisse pas la faire mienne...

Il ouvrit l'enveloppe et alors, le bouquet de roses, encore plus fort, l'enivra de sa fragrance.

- Je me demande ce que l'on doit ressentir – s'aventura-t-il à se demander – ce que l'on doit ressentir à la serrer dans ses bras et enfouir sa tête dans ses boucles dorées... Mon Dieu ! – se reprocha-t-il – Ce n'est pas ainsi que je vais pouvoir l'oublier.

Il dirigea ses yeux couleur de miel vers l'écriture féminine pour se gratifier avec la salutation de la lettre :

"Cher Archibald"

Il était certain qu'il s'agissait d'une formalité, de quelque chose que les gens écrivent sur toutes les lettres, mais il ne pouvait s'empêcher d'être heureux en savourant les mots. Après tout, c'était la première lettre qu'elle avait envoyée à lui seulement. Dans le passé, au cours des premiers jours au Collège Saint Paul, ses lettres disaient : "Mes très chers Alistair et Archibald". Une année plus tard, quand elle avait quitté Londres pour retourner en Amérique, ils n'avaient de ses nouvelles que par celles qu'elle donnait aux filles, toujours avec une petite note les mentionnant "Amitiés aux garçons" ou "Dites à Alistair et Archibald que je pense aussi beaucoup à eux"

- Je pense toujours à toi Candy – se dit Archibald – et maintenant que tu es loin je ne peux retenir qui ces sentiments qui convoitent ta compagnie... Je suis tellement inquiet pour toi.

Archibald se trouvait à griffonner la lettre "C" sur toute la page de papier: Il avait essayé de toute ses forces tout au long de ces années. Il était notamment parvenu à développer des sentiments d'affection pour Annie, qui était d'une bouleversante beauté qui faisait sa fierté. Il pouvait dire qu'il était parvenu à l'aimer d'une façon douce et tendre, mais ce qu'il ressentait pour Candy était différent. Albert lui avait fait comprendre qu'il devait taire ses sentiments. Mais Archibald avait renoncé, acceptant qu'il était irrémédiablement vaincu quand il s'agissait de Candy. C'était quelque chose de plus fort que sa volonté. C'était vraiment différent ce qu'il ressentait pour Candy. C'était une passion qu'il ne pouvait contrôler. Parfois, dans ses rêves éveillés, il avait fait sienne la jeune blonde à de nombreuses occasions. Quand avait donc commencé cette maladie et habitude ? Peut-être au cours de leur passage au collège londonien.

Quels jours de fous ! – se rappela-t-il – Alistair ne parlait jamais de lui, mais je savais bien qu'il ressentait la même chose pour Candy. Peut-être, a-t-il accepté sa défaite bien avant que je reconnaisse la mienne, peut-être ne voulait-il pas me voir comme un rival, il a toujours été ultra protecteur avec moi. Je ne sais pas... Cela a toujours été difficile d'en parler tous les deux. Et puis il a fallut qu'IL apparaisse. Maudit soit ce Terrence Grandchester ! Mon coeur ne cessera de te mépriser amèrement. Si seulement tu avais su la rendre heureuse, j'aurais pu te pardonner de m'avoir volé son coeur. Mais tu l'as ruiné stupidement. Quand tu lui as brisé le coeur, j'ai cru devenir fou. Il aurait été alors si facile de rompre ma relation avec Annie et essayer une nouvelle fois de conquérir l'amour de Candy... Mais cela n'aurait servi à rien. Candy m'aurait rejeté immédiatement, non seulement parce qu'elle n'a jamais rien ressenti pour moi sinon de l'amitié, mais aussi parce qu'elle n'aurait jamais voulu faire souffrir Annie. Je suis condamné à être passionnément amoureux d'une loyale et généreuse femme dont la meilleure amie m'aime de la même manière. J'espère réellement que tu vis une misère pire que la mienne, Terrence – murmura Archibald comme s'il lançait une malédiction – Si cela le devait être car j'ai au moins le don de son amitié proche tandis que toi... Tu n'as rien, sale bâtard !

Archibald n'avait aucune idée de la réalité de ses spéculations.

* * * * *

Le 10 novembre, l'armée canadienne, venue pour soutenir les Britanniques à Passendale, parvint finalement à affaiblir les défenses allemandes et traverser la ligne ennemie. L'infanterie canadienne réclama la ville, ou ce qu'il en restait, majoritairement des ruines. L'offensive des alliés fut partiellement un succès et les allemands furent obligés de reculer d'une dizaine de kilomètres. Une petite victoire si l'on se référait aux 250 000 pertes humaines qu'avait coûté cette bataille. Comme les hostilités s'étaient arrêtées à la fin du mois de novembre sur cette partie du front occidental, le personnel de l'hôpital ambulant fut réduit et le surplus de médecins et infirmiers fut envoyé sur un nouveau champ de bataille : Cambrai.

Candy et son équipe furent envoyés sur ce nouveau site. A un douzaine de kilomètres au sud, la seconde division des Etats Unis s'entraînait sur un terrain plus sécurisé, loin des tranchées où les anglais luttaient contre les allemands. La seconde division d'infanterie attendait, sans le savoir, le moment de son héroïque destin, lequel ne se présenterait qu'au printemps suivant.

* * * * *

L'hôpital ambulant où Candy travaillait se situait à moins de deux kilomètres de la tranchée de réserve. Afin de protéger les troupes des attaques permanentes et mortelles des mitraillettes ennemies ainsi que du feu de l'artillerie, les deux rivaux avaient construit une série de tranchées dans lesquelles les soldats luttaient et surveillaient jour et nuit. Chaque coté possédait au moins quatre tranchées principales, oscillant entre 1.8 et 2.5 mètres de profondeur. Sur la tranchée de feu, les troupes en garde résistaient à l'ennemi ou prenaient la tête de l'offensive selon les cas.

Derrière la ligne de feu, se trouvaient trois autres tranchées. La tranchée de renfort pour aider la tranchée de feu et défendre la position en cas que la première fut prise par l'ennemi. La tranchée de soutien était la seconde, dans laquelle les soldats de garde vivaient dans des trous ou des petites cavernes creusées dans la tranchée, et pour finir, la tranchée de réserve où arrivaient les provisions, les troupes fraîches et les munitions pour être ensuite envoyées sur les trois tranchées à travers un réseau de communication, plus précisément des tunnels entre les tranchées.

Un peu plus loin de la tranchée de feu s'étendait une barrière de fils barbelés. Si un homme venait à passer cette barrière, il arrivait sur la "terre de personne", un territoire entre les deux armées ennemies, où la mort arrivait facilement car on était exposé ouvertement au feu et loin de tout soin médical.

Quand l'ennemi s'aventurait à sortir de la tranchée et à attaquer, c'était souvent une question de chance pour chaque homme. Parfois, la force de la triple entente remportait la bataille et prenait les tranchées de l'opposant, d'autres fois c'étaient les alliés qui gagnaient et les allemands devaient reculer de quelques kilomètres. De cette façon, chacune des parties ennemies gagnait et perdait du terrain dans une lutte qui durait depuis plus de trois ans sans aucun résultat sinon la cause d'incontestables tragédies.

Si quelqu'un était blessé sur les tranchées, ses compagnons l'amenaient sur la tranchée de réserve à travers les tunnels de communication. Les équipes de premiers auxiliaires, majoritairement composées d'internes et d'assistants militaires - en somme des jeunes chargés d'apporter les provisions et les munitions - aidaient dans cette tâche. Plus tard, les blessés étaient envoyés vers l'hôpital ambulant en arrière-garde. Cependant, quand la bataille redoublait de danger, il fallait une équipe médicale complète sur la tranchée de réserve, tant le nombre de blessés augmentait. C'était une tâche très angoissante car le danger dans les tranchées était imminent. A n'importe quel moment pouvait apparaître l'ennemi, surgissant avec surprise avec ses bombes, gaz ou mitraillettes.

La bataille de Cambrai fut extraordinairement sanglante et tragique. Le 25 novembre, la lutte devint plus difficile encore. L'hôpital ambulant désigna une équipe chirurgicale pour travailler sur les tranchées. Trois personnes en faisaient partie : Marius Duval, Flanny Hamilton et Candy Neige André.

Quand Duval se rendit compte que du personnel féminin, y compris son "petit lapin" avait été choisi, il protesta fermement, arguant que les femmes n'étaient pas normalement envoyées dans de telles missions. Malheureusement, ses demandes ne furent pas écoutées car c'était une question d'urgence et tout le personnel masculin avait déjà été envoyé sur les tranchées. On avait besoin de plus d'assistant en chirurgie et autant Hamilton qu'André avaient été considérées comme les meilleures qu'ils avaient.

Malgré le risque, Candy vit son nom sur la liste et se surprit à ne rien sentir face au devoir qu'elle allait affronter, le plus dangereux qu'elle ait eu à faire face dans toute sa carrière d'infirmière. Avec une sérénité qu'elle ne se connaissait pas, Candy posa une main sur sa poitrine. Sous son uniforme de Chambray, elle pouvait sentir le crucifix que Melle Pony lui avait donné quand elle avait quitté la maison Pony pour la première fois.

"Je suis entre tes mains, Seigneur" - pria-t-elle - "j'irai où tu veux que j'aille. Cela ne peut être par hasard si Flanny m'accompagne".

Le 28 novembre au matin, à 5:00, Candy fut envoyée sur la tranchée de réserve où les soldats Britanniques attendaient l'arrivée de la relève et essayaient de résister comme ils pouvaient. Sous la brume de cette matinée gelée, les soldats fatigués pensèrent un instant qu'un ange en uniforme bleu, avec un corsage blanc et un casque métallique était descendu du ciel pour venir dans cet enfer. Mais elle savait qu'elle n'était qu'une jeune fille originaire d'un petit coin d'Amérique.

* * * * *

  • Melle Pony, Melle Pony - murmura Sœur Maria à l'oreille de Melle Pony - Levez-vous, Melle Pony, c'est une urgence.
  • Que se passe-t-il, Sœur Maria ? - demanda la gentille aïeule en se levant brutalement - Quelque chose ne va pas avec les enfants ?
  • Non, Melle Pony - dit la sœur - c'est à propos de Candy, nous devons prier maintenant, elle est en danger - acheva la sœur d'une voix tremblante.

Melle Pony était habituée à ce genre de prémonitions que Sœur Maria avait de temps en temps. L'expérience avait prouvé qu'elles étaient toutes exactes. C'est pourquoi, quand Sœur Maria disait que c'était le moment de prier pour quelqu'un qui en avait besoin, Melle Pony ne discutait jamais. Tout au contraire, elle se joignait à sa compagne dans une fidèle prière, sans se préoccuper si elle avait lieu à l'heure de la sieste ou pas, comme en ce moment.

Melle Pony prit son missel et suivit la sœur jusqu'au petit autel qu'elles avaient dans la salle. Les deux femmes s'agenouillèrent devant le crucifix et commencèrent à prier en silence. Plus tard, elles comprendraient pourquoi elles le faisaient.

* * * * *

Les hommes surpris n'en croyaient pas leurs yeux. Le monde devait devenir fou pour risquer la vie d'une créature aussi exquise pour travailler ici. Mais bien que personne ne fut d'accord avec le fait d'envoyer quelqu'un comme Candy sur la tranchée, leurs yeux se plissaient de gratitude pour la vue céleste dont ils bénéficiaient. Certains n'avaient pas vu une femme depuis des mois. Duval en était conscient et maintenait un œil avisé sur la jeune fille, comme Albert l'aurait fait s'il avait été là. Le bon docteur ignorait le risque qu'il courrait à vouloir protéger celle qui lui rappelait sa propre fille.

Les heures dans la tranchée étaient longues et pesantes. De plus en plus de blessés étaient ramenés chaque jour. Si Candy savait combien les conditions de travail étaient difficiles dans un hôpital ambulant, celles dans les tranchées étaient indescriptibles. L'endroit était sombre et étroit.

"Comment veulent-ils que l'on soit efficace quand tout ici est dans l'obscurité?" - se demandait-elle, bien qu'elle n'eut d'autre option que de continuer à travailler en silence sous les yeux attentionnés des soldats britanniques et les cris désespérés des blessés.

La nuit du 30 novembre connut alors un terrible incident :

Candy, Duval et Flanny travaillaient dans un secteur de la tranchée de réserve quand un soldat arriva d'un tunnel de communication en haletant avec précipitation.

  • S'il vous plait docteur - dit le jeune homme d'une voix rauque - il y a eu une explosion dans l'un des tunnels de communication, 5 hommes sont touchés, nous avons besoin de votre aide, mon jeune frère y est aussi..

Duval se tint pensif un instant car il y avait déjà suffisamment de risque à vivre dans cette tranchée de réserve pour devoir s'aventurer dans le tunnel de communication, encore plus près de la tranchée de feu. Le bon docteur craignait aussi pour Candy et Flanny si quelque chose lui arrivait… C'est alors qu'une petite main tapa son épaule.

  • Nous devons y aller, docteur Duval - dit Candy doucement.
  • C'est vrai Candy, nous sommes ici pour sauver des vies - opina Flanny, soutenant pour la première fois les paroles de Candy - nous irons avec vous docteur.

Encouragé par le courage des deux jeunes femmes, Duval prit ses instruments et courut derrière le soldat suivi des deux infirmières.

La tranchée de communication était particulièrement sombre et silencieuse. Candy pouvait entendre son cœur s'emballer alors qu'elle courait derrière Flanny. Un instant elle pensa qu'il n'y avait plus rien d'autre, seul le silence et le battement persistent de son cœur à travers le noir tunnel. Uniquement la lanterne de Duval dans la main. Uniquement les lacets blancs du tablier de Flanny flottant dans l'air. Ils marchèrent et marchèrent le long de couloirs interminables, les sons de la ligne de feu se rapprochant à chaque pas. Duval sentit que d'horribles ondes de peur commençaient à envahir son esprit. Ils arrivaient trop près de la tranchée frontale.

A mesure qu'ils se rapprochaient du lieu de l'explosion, on pouvait entendre les cris horribles des hommes appelant à l'aide. Quelques hommes qui avaient survécu tentaient de retirer les poutres qui étaient tombées sur les blessés. Il y avait un homme que l'on avait tiré sur le côté. L'explosion lui avait brûlé l'épaule et cassé l'épine dorsale. Il demanda de l'aide dans des cris plaintifs tandis que sa bouche dégoulinait de sang. Candy remarqua que l'homme portait un kilt et lui dit calmement à l'oreille.

  • Tout va bien se passer monsieur. Nous sommes avec vous. Vous allez aller bien - dit-elle en faisant une pause pendant une seconde. Tout d'un coup une idée lui traversa l'esprit - Vous connaissez cette petite place au centre d'Edimbourg ? - demanda-t-elle en essayant de lui donner un souvenir agréable au moment ultime de sa vie.
  • Vous connaissez Edimbourg Melle ? - demanda-t-il en oubliant un instant sa terrible agonie.
  • Oui monsieur - murmura-t-elle - J'y ai passé le plus bel été de ma vie.
  • Je vous crois, mon épouse est de là-bas… Il y a une vue magnifique sur les montagnes depuis cette place - répondit l'homme en luttant contre les terribles râles qui assaillaient son corps.
  • Maintenant fermez les yeux et pensez au ciel bleu et aux prés d'un vert intense - dit-elle tandis qu'une larme roulait sur sa joue. Elle prit les mains de l'homme.
  • Je peux les voir clairement - murmura-t-il - Rose, ma Rose - dit-il en dernier tandis que sa tête s'inclinait déjà sans vie. Il était mort.

Dans d'autres circonstances, Candy aurait fait une prière avant d'aller s'occuper d'un autre corps qui semblait sans vie lui aussi, mais la situation la força à dire sa prière tout en s'occupant d'un autre blessé. Elle pourrait toujours pleurer sur les horreurs auxquelles elle assistait un autre moment, mais elle devait pour l'instant rester concentrée.

  • Je ne savais pas que tu avais été en Ecosse - dit Duval tout en travaillant frénétiquement sur un homme dont la jambe saignait à flots.
  • Seulement une fois, marmonna-t-elle.

Le bruit des détonations se faisait de plus en plus fort. Parfois, il semblait à Candy que ses oreilles explosaient. "Même si je vis 100 ans, jamais je n'oublierai cette nuit" - se dit-elle tandis que ses mains s'agitaient rapidement. Dix mètres plus loin Flanny s'occupait qui avait perdu son bras gauche dans la détonation. Elle leva la tête et c'est alors qu'elle aperçut une lumière soudaine dans le ciel nocturne. Une autre détonation… La tranchée lui tombant dessus tout d'un coup… Une montagne de terre sur elle… Une douleur à la jambe… l'obscurité absolue…

Duval avait lui aussi vu la lumière et l'unique chose à laquelle il pouvait penser à ce moment là dans son esprit confus fut à la sécurité de la jeune blonde qui travaillait à ses côtés. Tout se passa en une seconde. Avant que Candy ait faire quoi que ce soit, Duval tombait sur elle, criant des mots en français qu'elle ne pouvait comprendre.

  • A terre !!! Candy, à terre !!! - parvint-il à dire en anglais avant qu'elle n'entende la détonation à quelques mètres où elle se trouvait.

Candy sentit combien le grand corps de l'homme couvrait le sien en tombant lourdement au sol. Il n' y avait plus que le silence. Un silence mortel sur le front occidental. Cela dura un moment. Combien de temps ? Elle ne le saurait jamais, mais après une fraction imprécise de temps, une minute, une heure, ou peut-être une seconde, elle ouvrit les yeux mais ne put rien voir d'autre que l'obscurité, ni entendre autre chose que le silence. C'est alors qu'elle sentit un poids oppressant sur son corps.

Elle essaya de se dégager de cette chose qui l'aplatissait au sol boueux de la tranchée. C'était virtuellement impossible car ce qu'il y avait sur elle était trop grand pour qu'elle puisse le pousser.

  • Mon Dieu ! - se dit-elle - Je suis coincée !

Soudain, quelques minutes plus tard, elle sentit que le poids sur son corps remuait tandis qu'une plainte terrible s'échappait d'une gorge masculine. Candy ne tarda pas à comprendre qu'elle était recouverte du corps de Duval.

  • Docteur Duval ! - cria-t-elle désespérément quand elle comprit ce qu'il venait de se passer.
  • DOCTEUR DUVAL ! - vociféra-t-elle à dans le silence.
  • Mon petit lapin - blagua une voix faible à côté d'elle.

Candy bougea nerveusement dans l'obscurité, palpant à l'aveuglette la boue jusqu'à ce que ses mains trouvent Duval gisant à ses côtés.

  • Docteur Duval ?
  • Oui très chère. Je suis là mais pas pour très longtemps - dit-il dans un faible éclat de rire.

Candy prit une lanterne et parvint à l'allumer. Grâce à la lumière, elle put voir enfin l'homme à côté d'elle. Le sang sortait à grands flots de son épaule. Candy avait vu de nombreux hommes mortellement blessés depuis ces six mois qu'elle était en France, mais la vue de Marius Duval saignant sans qu'on puisse rien y faire dans cette obscure tranchée dépassait sa résistance professionnelle.

  • mon Dieu ! - pensa-t-elle - Il est en train de mourir ! Il est en train de mourir pour m'avoir protégée avec son corps !

Heureusement la lumière était encore trop faible sinon Duval aurait remarqué la pâleur du visage de Candy. Cependant, elle parvint à retenir ses larmes en faisant un effort surnaturel, lui consacrant l'énergie qu'il lui restait. Elle s'était aperçue que c'étaient les derniers moments sur terre de cet homme merveilleux. Elle ne voulait pas pleurer pour dire au revoir au médecin le plus enthousiaste et bon qu'elle ait connu dans sa vie.

  • Candy - dit-il d'une voix faible - prends la chaîne autour de mon cou, elle contient la bague de fiançailles ainsi que l'alliance de mon épouse. Je veux que tu les gardes.
  • Docteur Duval - murmura-t-elle - Cela doit être votre trésor, si vous me le donnez maintenant, vous le regretterez ensuite quand nous serons sortis d'ici - dit-elle en niant l'évidence.

L'homme rit avec difficulté.

  • On ne t'as jamais dit…que tu n'es… que tu n'es pas une bonne menteuse, petit lapin ? - demanda-t-il.

Candy baissa les yeux et sourit tristement.

  • Je crains qu'on me l'ait déjà dit - murmura-t-elle.

Les yeux du bon médecin sourirent d'amusement. Pas même devant sa propre mort il ne perdait le sens de l'humour. Mais après un bref instant, il redevint sérieux.

  • Mon lapin - commença-t-il à dire - Ecoute bien ce que j'ai à te dire. Tu dois sortir d'ici le plus tôt possible. Mais s'il te plait prends les anneaux avec toi, conserve les en souvenir, y si tu veux, quand tu te marieras, je serai très honoré que ton futur époux, quel que soit ce bienheureux, les accepte comme un présent de ce vieux bonhomme que je suis.
  • Je vous promets de les garder précieusement, Dr. Duval, tout comme votre fille l'aurait fait - dit-elle finalement en prenant l'alliance en or et la bague ornée d'un diamant solitaire sur la chaîne que portait au cou Duval - Je ne sais si un jour je me marierai, mais je conserverai ces anneaux avec amour.
  • Mets-les ma fille, tu pourrais les perdre en chemin jusqu'à l'arrière-garde.

Candy mit les bagues à l'annulaire de sa main gauche et se surprit à découvrir qu'elles lui allaient parfaitement. Elle regarda de nouveau le docteur. L'ombre de la mort commençait à danser dans ses yeux. Elle la connaissait trop bien pour l'avoir souvent vu faire les jours précédents.

  • Tu te marieras mon lapin, et tu auras de beaux enfants avec des tâches de rousseur sur le nez, tout comme toi - dit-il, puis il expira.

Une timide larme roula sur la joue de Candy tandis qu'elle fermait les yeux de l'homme qu'elle avait appris à admirer et respecter au cours des mois précédents.

  • Pourquoi les gens bons que je connais doivent mourir ainsi ? - se demanda-t-elle mais elle dut chasser ces pensées car elle n'avait pas le temps de s'attarder sur ces amères considérations. Le son de détonations au loin la firent réaliser qu'elle était seule ici et qu'elle devait courir pour sauver sa vie. Il lui semblait que tous les autres dans la tranchée étaient morts.

Elle se fit sur elle même une inspection. Elle allait parfaitement bien. Quelques égratignures au genou mais rien de comparable avec celles qu'elle avait pu se faire quand elle montait aux arbres. Elle se leva, posa un dernier regard sur le cadavre de Duval et la lanterne à une main, essaya d'équilibrer sa vision pour trouver le chemin de la sortie. C'est alors qu'elle entendit un gémissement. Une voix féminine se plaignant de douleur.

  • Flanny ! - fit Candy - Mon Dieu, tu es vivante !

Candy essaya de se déplacer en direction de la voix, buttant de temps en temps contre un cadavre ou contre un morceau de bois sur son chemin. Il faisait si noir !

  • FLANNY ! - s'écria-t-elle - C'est moi Candy, tiens bon, je vais te rejoindre.

Finalement, après d'interminables minutes de recherche, Candy put voir l'endroit où se trouvait Flanny. Elle était assise dans la boue, avait perdu ses lunettes et sa coiffe. Sa jambe saignait gravement. Apparemment l'explosion ne l'avait pas atteinte mais de nombreux morceaux de bois et de métal étaient tombés sur sa jambe. Candy vit que c'était une fracture ouverte.

  • Flanny - glapit Candy en courrant vers elle - Oh Flanny, ne t'inquiètes pas, je vais nous sortir d'ici, laisse-moi t'aider - et en disant cela, Candy essaya de localiser la trousse de secours que Flanny avait avec elle au moment de l'explosion.
  • Tu es folle Candy ! - dit Flanny dans un souffle - Tu n'y arriveras jamais si tu me prends avec toi. Va t'en, cours pour ta vie. Laisse-moi ici. De tout façon, je ne manquerai à personne.

Candy ne put s'empêcher de se sentir touchée par la tristesse qu'elle percevait à travers les paroles de Flanny mais rien de ce qu'elle pouvait dire n'allait la faire changer d'opinion. Elle allait sortir Flanny de cette maudite tranchée, bien que cette dernière ne voulut pas être sauvée.

  • Je ne tiendrai pas compte des bêtises que tu viens de dire Flanny - dit Candy avec fermeté tandis qu'elle cherchait désespérément la pharmacie égarée. Juste derrière une mitrailleuse, elle trouva finalement la caisse blanche et courut vers elle comme une personne perdue dans le désert qui apercevrait un oasis.
  • Il faut que j'empêche le sang de couler - pensa-t-elle - Elle n'a visiblement pas bien vu sa blessure, mais elle doit quand même savoir combien elle est mauvaise. Je dois la distraire.
  • Flanny - fit-elle en essayant d'entamer la conversation - Tu te rappelles comme Mary Jane nous enseignait à mettre les garrots ? Tu te rappelles que nous devions le faire sur nous même et que je devais te le faire ?
  • Oui, je crois que je m'en rappelle - répondit Flanny faiblement- Je me rappelle que tu le faisais très mal - dit-elle et pour la première fois depuis des mois Candy crut voir quelque chose qui ressemblait à un sourire sur le visage de Flanny.
  • Bon, alors - poursuivit Candy en souriant - J'espère m'être améliorée avec le temps car maintenant, je vais faire la même chose et ensuite je poserai une atèle à ta jambe.

Candy bougea ses mains rapidement tout en parlant. Parfois, le ciel nocturne s'illuminait d'une détonation provenant de la "terre de personne". Candy était consciente qu'une autre explosion pouvait arriver à tout moment.

  • Bien Flanny, je crois que je viens de battre le record de Mary Jane - dit-elle quand elle eut terminé son travail.
  • Peut-être - murmura Flanny.

"Ce n'est pas commun de voir Flanny si silencieuse" - pensa Candy, mais étant données les circonstances et tout le sang qu'elle avait perdu, Candy remercia le ciel que la jeune femme fut encore en vie.

"Ce fut le plus difficile" - se dit Candy - "Maintenant, il me faut trouver les forces pour la sortir d'ici. Oh Dieu, aide-moi !"

Flanny se trouvait presque inconsciente mais elle put quand même sentir Candy mettre son bras autour de son propre cou.

  • Que fais-tu ? - demanda Flanny - Jamais nous n'y arriverons. Ne vois-tu pas que je suis plus lourde que toi , Laisse-moi ici !!! - cria-t-elle.
  • NON, NON JE NE TE LAISSERAI PAS !!! - répliqua Candy avec le même ton - Si tu meurs, je meurs, si tu vis, je vis ! Nous sommes une équipe et je ne te laisserai pas mourir ici, folle que tu es! Et maintenant tais-toi, essaye de coopérer et pour une fois dans ta vie, fais ce que je te dis, sotte !

Flanny était stupéfaite de voir la réaction de Candy. Depuis toutes ces années où elle la connaissait, jamais elle ne s'était imaginée qu'elle puisse se mettre ainsi en colère. Pas même dans ses plus fous rêves, Flanny aurait pensé que Candy put risquer sa vie pour sauver la sienne, de cette manière si obstinée et courageuse. Sans pouvoir prononcer quoi que ce soit, Flanny Hamilton se contenta de suivre les ordres de Candy.

Candy aida Flanny à se tenir sur l'unique jambe qu'elle pouvait utiliser pour le moment. Cette dernière posa son bras autour des épaules et du cou de Candy et ensemble, elle commencèrent leur long trajet vers l'arrière-garde, le long des couloirs obscurs de la tranchée de communication, guidées seulement par le sens de l'orientation inné de Candy et une faible lanterne. Candy commença à chercher dans les profondeurs de son âme pour trouver le courage nécessaire en ce moment d'angoisse.

  • Il fait si sombre - pensa-t-elle - je ne sais pas vraiment vers où nous nous dirigeons. Seigneur, guide mes pas.

Candy se rappela que quand elle était enfant, Melle Pony lui avait enseignée les différentes parties des Saintes Ecritures. La bonne dame lui avait dit que ces parties iraient avec elle où qu'elle soit, même très loin de la maison Pony.

"Même si nous ne sommes pas avec toi Candy - avait dit la bonne dame - Même si tu as très peur, si tu es seule ou perdue, les Ecritures seront dans ton cœur, et le Seigneur sera aussi avec toi."

"Je dirai au Seigneur: mon espoir et mon royaume - commença à prier Candy - En mon Dieu, je croirai. Et il me libèrera du chasseur, de la peste destructrice"

Une autre détonation pas très loin retentit.

"Avec ses plumes, il te couvrira, et sous ses ailes tu seras à l'abri, protégée sous le bouclier de sa vérité"

Les lumières des explosions dans le ciel, un bruit sourd depuis un des coins du tunnel…

"Tu n'auras pas peur de l'effrayante nuit, ni de la flèche qui vole le jour. Ni de la pestilence qui marche dans l'obscurité, ni de la mortalité qui détruit en cours de journée".

Des cadavres abandonnés dans un coin de la tranchée…

"Tomberont par dizaines de milliers à tes côtés sans t'atteindre…"

Il faisait très sombre et très froid. Flanny était vraiment très lourde…

"Alors il t'enverra ses anges, pour qu'ils te protègent sur ton chemin."

Etait-ce bien une lumière au fond du tunnel ?

"Car tu as posé en moi ta volonté, moi aussi je la délivrerai. Je mettrai sur les hauteurs, parce que tu as reconnu mon nom."

A L'AIDE !!! - hurla Candy - J'ai besoin d'aide pour mon amie !!

 

Fin chapitre 4

© Mercurio 1999