Retrouvailles dans le
tourbillon Chapitre 3 En courant au bord de la falaise
Des efforts en vain "Je dis à ma main : arrache les orties à côté de la source qui de leurs liens emprisonnent la Myrte. Et ma main obéit, arrachant les orties par la racine. Je dis à mes yeux : quand le sommeil viendra cette nuit frapper à ma porte, refuse son jusquiame, car si aujourd'hui je veux rêver, je veux le faire éveillée. Et en cette belle nuit, ce fut la lune qui à la place du sommeil entra par ma fenêtre. Je dis à mes lèvres : petit oiseau agité qui a appris ce nom tant aimé, ne le répète à personne, ni même en secret. Et mes lèvres restèrent muettes et se taisent encore. C'est par cette chance, si claire ma raison m'avertit, que finalement je fais tout ce qui me plait et veux. Je dis à mon cur : Oublie, oublie, que libéré de cet amour je veux te voir. Et alors, aïe, mon cur me dit : Vains seront tes efforts, vains et prolixes : ne fais pas semblant de lutter, tu seras vaincue. Je te domine, je suis la force qui te fera errer toute ta vie, Par le joug de cet amour tu iras attelée, Si tu veux oublier, donne-moi la mort."
Maria Enriqueta
Comme s'en doutaient Melle Pony et Sur Maria, Candy ne racontait dans ses lettres que l'infime partie des horreurs dont elle était témoin. La guerre en France était depuis son commencement une guerre de tranchées. Du sud au nord du pays, on avait creusé des tranchées le long des frontières du Luxembourg, de la Belgique et de l'Autriche. L'Allemagne autant que la France luttaient férocement depuis des années. Les Allemands avaient essayé d'occuper le territoire ennemi, lequel défendait ses terres. Malgré les batailles sanglantes qui coûtèrent la vie à des milliers et des milliers de soldats, l'année 1917 n'était parvenue à aucun résultat. Des deux côtés, les Alliés et la Triple Entente se maintenaient plus ou moins sur les mêmes positions depuis longtemps et les hostilités n'avaient cessé depuis 1914. L'ensemble de cette immense zone était connue sous le nom de Front Occidental, un des scénarii les plus horribles de la Première Guerre Mondiale. Les Allemands s'étaient emparé de la Belgique très facilement au cours de la première année de la guerre. De cette position, ils avaient essayé d'envahir la France et de prendre ainsi le contrôle de la mer du Nord, un point très stratégique pour une future invasion du Royaume-Uni, le plus puissant ennemi des Allemands avant que les Etats-Unis entrent dans la guerre. La région des Flandres, une large zone entre la Belgique et la France, avait été pratiquement dévastée au cours de la tentative d'invasion. Quand Candy arriva à Paris à la fin du mois de 1917, une grande campagne était sur le point de commencer dans les Flandres, une fois de plus. Le lieu de conflit était une ville Belge assez importante du nom de Ypres. Cet endroit avait déjà été l'objet de plusieurs batailles en deux autres occasions, mais les résultats s'étaient révélés désastreux pour la cause alliée. En juin, les premières attaques des forces britanniques réussirent à remporter Messines, une ville proche de Ypres. Les alliés entreprirent alors une attaque massive dans la région. Malgré l'optimisme que cela généralisa, la bataille fut très longue et se transforma en une véritable tragédie qui dura des mois. On envoyait du personnel médical depuis Paris et d'autres grandes villes françaises vers les hôpitaux ambulants sur les champs de bataille du Nord, afin de soigner les milliers de blessés provenant du front. Le dramatique processus se déroulait plus ou moins ainsi : les ambulances et les équipes de premiers auxiliaires ramassaient les corps des blessés quand les tirs s'arrêtaient. On les envoyait ensuite en arrière-garde dans des trains spécialement affrétés, vers de vrais hôpitaux dans lesquels les blessés pouvaient recevoir un soin médical complet. Bien souvent le transport durait des jours entiers, pendant ce temps, le personnel des hôpitaux ambulants, qui se résumaient parfois à une tente ou un lieu improvisé dans les ruines d'un immeuble dévasté, devait se charger des blessés et même opérer avec les moyens du bord. Beaucoup de gens mourraient avant de pouvoir recevoir le moindre soin efficace. Comme Flanny Hamilton se trouvait en France depuis le début de la guerre, elle était maintenant une infirmière militaire expérimentée. Flanny avait travaillé dans plusieurs grandes batailles du Front Occidental, dont Verdun et la première bataille de la Marne. Elle avait récemment été promue au poste de chef des infirmières de l'hôpital Saint Jacques, mais en cette période d'angoisse, personne n'était à l'abri d'être envoyé dans ces hôpitaux ambulants quand cela devenait nécessaire. Il y avait pénurie d'aide médicale et toute main prête à coopérer était toujours la bienvenue. Depuis son arrivée à l'hôpital, les supérieurs de Candy s'étaient aperçus que la jeune fille disposait de la force de caractère et le courage nécessaires pour être une excellente infirmière sur le champ de bataille. Mais deux choses la maintenaient éloignée de cette responsabilité. La première était une forte opposition de la part de Flanny qui ne croyait pas que Candy fut la personne appropriée pour ce type de travail, et la seconde était une lettre qu'avait reçue le directeur de l'hôpital , le Major André Lagarde. Dans cette missive, une personne très influente recommandait très spécialement "que Melle André soit exclue de toute expédition sur le front". Candy resta donc à Paris aux côtés de Flanny durant les premiers mois de la troisième bataille de Ypres. Malgré cela, sa vie n'était pas vraiment facile à l'hôpital. Les blessés arrivaient chaque jour par train en provenance de la région des Flandres. Ils étaient nombreux à raconter à leurs infirmières les horreurs qu'ils avaient vécues sur le champ de bataille où Ypres se situait. Bien que ses récits horrifiaient le cur sensible de Candy, elle écoutait attentivement ses malades. Peut-être n'avait-elle jamais lu aucun des livres que le Dr. Freud avait publiés en son temps, mais son intuition féminine lui soufflait ce que ce médecin reconnu avait découvert au cours de ses recherches. Qu'en fait, la meilleure façon de soigner l'âme était de montrer de l'intérêt à tout ce qu'une personne souhaitait dire.
Le cur de Candy se brisa une fois de plus comme à chacune de ces situations. Le jeune garçon avait été atteint par une bombe d'ypérite, une arme chimique inventée par les Allemands, laquelle dans le meilleur des cas causait la cécité. En fait, il avait eu dans son malheur beaucoup de chance car ayant été exposé aux gaz depuis longtemps, il aurait déjà dû mourir d'une détérioration des poumons.
Candy prit le chariot dont elle se servait et laissa le jeune homme pour continuer ses interminables tâches. Des scènes comme celle-ci se voyaient chaque jour, mais la plupart du temps les résultats n'étaient pas si optimistes. Une fois que la vie était sauvée de la menace de la fièvre, ou des infections, la dépression devenait l'ennemi principal à vaincre, et cela était certainement un travail exceptionnellement difficile dans un endroit où le découragement paraissait être le compagnon quotidien.
Marius Duval était déjà médecin au début du siècle. Il avait une cinquantaine d'années et avait vu beaucoup de choses. En ce qui concerne la guerre, c'était un homme expérimenté pour avoir exécuté toutes sortes de tâches dans le service médical militaire depuis le début du conflit. Aux côtés de Flanny, il avait participé aux batailles les plus terribles et durant ce temps, il avait appris à admirer le courage de la jeune femme, mais il était convaincu que son travail n'était pas tout ce qu'un docteur peut souhaiter car il lui manquait la compassion. Candy, au contraire, qu'il avait baptisée "mon lapin" par affection, apparaissait aux yeux de son entourage comme une continuelle bénédiction. Il appréciait beaucoup de travailler à ses côtés car elle avait le don d'illuminer les jours les plus lugubres, et en temps de guerre, ces jours étaient communs. Duval était grand et bien conservé. Sa grande stature pouvait remplir sans problème tout un encadrement de porte. En fait, il était surnommé le "Grand Marius" à cause de cela. Malgré sa taille impressionnante, ses yeux noirs révélaient une bonté particulière et très suggérée pour un homme de cette apparence. Il avait toujours un sourire ou un mot d'encouragement pour ses patients sans se soucier s'il était occupé ou fatigué. Duval avait aussi la qualité d'être de bonne humeur et bien qu'il réalisât toujours son travail avec professionnalisme, il pouvait très bien râler sur lui-même, sur sa taille ou sa calvitie. C'est la raison pour laquelle il trouvait dans Candy une partenaire parfaite pour travailler en chirurgie.
Duval était aussi un excellent raconteur d'histoires. Il pouvait passer des heures à raconter des blagues sans s'arrêter. C'est pourquoi, le peu de français que Candy avait appris fut en grande partie en écoutant le Dr Duval au cours des terribles heures en chirurgie. Malgré la différence d'âge, Marius Duval et Yves Bonnot étaient devenus des amis proches, passant fréquemment leur temps ensemble, toujours mais surtout quand leurs frénétiques emplois le leur permettait. Ils formaient en effet un couple curieux, l'homme mûr toujours gai et le jeune homme sérieux sinon timide. Duval avait déjà remarqué l'intérêt évident que portait Yves sur Candy et il approuvait cette romance avec enthousiasme. C'est pourquoi Marius profitait de n'importe quelle occasion pour conseiller Yves sur la manière d'approcher la jeune fille qui était bien aimable mais pour autant distante.
* * * * * Yves était tellement occupé à réfléchir sur la forme à employer pour capter l'attention de la jeune blonde, qu'il se montrait absolument indifférent à l'admiration des autres femmes. Après tout il était un séduisant jeune homme d'environ 25 ans, et plus d'une fille aurait fait n'importe quoi pour l'attirer. Une chevelure courte, brillante comme une aile de corbeau couronnait sa tête, et au-dessous de l'ombre de ses épais cils noirs, une paire d'yeux gris clairs regardaient le monde discrètement. Grand et svelte, mais aussi musclé, aux manières élégantes et aux mouvements fermes, Yves était vraiment un régal pour les yeux féminins. Il était cependant peu conscient de son apparence et ne comptait pas sur elle pour gagner l'intérêt de ces dames. Tandis qu'il investissait la plus grande partie de l'énergie qui lui restait après une journée harassante de travail à trouver un moyen pour faire plaisir à Candy, une autre paire d'yeux sombres suivait ses mouvements, souhaitant secrètement être à la place de Candy. Comme toujours, la plus ancienne histoire de l'humanité se présentait une nouvelles fois entre les murs de cet hôpital. Ah ! Stupides curs humains qui rarement posent leur dévolu aux endroits les plus accessibles, comme si nous tous avions besoin d'un peu de désespoir et de désenchantement dans notre vie pour donner un sens à notre existence, le plus souvent sans raison. Yves employa tous les moyens possibles, sans succès. Il invita Candy à connaître la ville mais elle avait insisté pour amener avec elle Julienne, sa compagne de chambre. Une fois de plus, il osa lui envoyer des fleurs avec un peu d'excitation au début car recevoir des fleurs d'un bel homme est toujours flatteur pour une femme. Candy fut surprise de recevoir un ravissant bouquet de roses couleur pêche, nouées d'une une ceinture de soie blanche, mais quand ses collègues infirmières commencèrent à plaisanter au sujet de sa relation avec Yves, elle décida simplement d'arrêter ce défilé de roses. C'est pourquoi, elle demanda à Yves, le plus aimablement possible, de ne plus continuer à lui envoyer des fleurs. Elle trouva comme argument qu'en ces jours difficiles, les gens ne devaient dépenser bêtement leur argent dans ces futilités. Tout spécialement quand cet argent pouvait être utilisé à l'achat de médicaments ou de nourriture pour ces malheureux qui combattaient sur le front. Après cet incident, Yves avait rassemblé tout son courage pour demander un nouveau rendez-vous à Candy. Cette dernière aurait pu accepter devant tant d'insistance mais un nouveau train de blessés arriva alors en provenance du front et les plans de Yves durent être suspendus. En quelques mots, il semblait que les choses n'allaient pas très bien pour le pauvre jeune homme. D'un autre côté, malgré les craintes d'Yves et sa malchance, il était parvenu à établir une amitié cordiale avec la jeune fille ce qui lui donnait le faible espoir pour continuer à lutter et gagner son cur. Julienne, Yves et Candy prenaient leur repas normalement ensemble et parfois Duval se joignait à eux. En ces occasions, Bonnot faisait de son mieux pour enquêter sur la vie de Candy, curieux comme tout amoureux de connaître chaque détail sur l'objet de son affection. Les forts réseaux d'énergie qui circulaient dans le regard d'Yves vers Candy étaient si manifestes que chaque fois Julienne se sentait comme une intruse et les aurait certainement laissés seuls si Candy ne lui avait explicitement demandé de rester à ses côtés. Visiblement, Candy s'était rendue compte des intentions de Yves mais elle faisait semblant de les ignorer car elle croyait qu'il s'agissait d'une amourette passagère qui s'évanouirait avec le temps. De même, elle voulait garder Julienne à ses côtés car elle était consciente de la période difficile que traversait la jeune épouse en sachant que son mari se battait sur le front. En ce sens, les deux infirmières et le jeune médecin devirent un trio remarqué dans l'hôpital.
A mesure que le temps passait, ce genre de conversations, remplies des regards intenses et rieurs de Yves et des sourires imperturbables de Candy, finirent par devenir une scène habituelle dans l'hôpital. Curieusement, ces pratiques amusaient Duval et Julienne, scandalisaient Flanny et laissaient le dit Yves complètement épuisé. A la fin du mois d'octobre et après 5 mois d'adoration persistante, Yves se trouvait complètement désorienté et pour empirer les choses, de nouveaux évènements virent s'ajouter à la confusion. * * * * * Parmi les nouveaux patients qui étaient arrivés du Front Occidental, il y avait un jeune garçon, encore peut-être adolescent, qui avait été blessé à la jambe par des tirs massifs de mitraillette, autre nouvelle invention belliqueuse que l'ennemi utilisait. Bien que la blessure fut sérieuse, Candy pensait que le traitement par irrigation pourrait être d'une aide significative pour tenter de sauver la jambe du garçon. Cependant, les plans de Candy rencontrèrent de nombreux obstacles sur leur chemin. Le traitement était complètement inconnu par les médecins français, qui préféraient couper un membre que de courir le risque d'un développement de gangrène, un mal excessivement craint en ce temps là. Candy connaissait le risque mais son intuition l'appelait avec tant de forces que cette fois là elle ne put rester muette quand elle se rendit compte que l'amputation était imminente.
Candy reconnut le ton de détermination dans les yeux et la voix de Duval. C'était un signe clair qu'une fois de plus elle avait manqué l'opportunité de sauver un homme d'une tragédie personnelle. Le visage de Flanny s'illumina de victoire quand elle vit sa collègue baisser la tête en signe de soumission. Candy, réalisant qu'il n'y avait pas d'autre option, commença à préparer les instruments. Après trois heures d'horrible boucherie, l'opération s'était achevée avec succès, mais durant tout le temps que cela avait duré, le cur de Candy s'était brisé en milles morceaux. L'impuissance et le désespoir envahissaient son âme. Candy pensa à son ancien ami, Tom, qui était fermier lui aussi. Elle était consciente de la tragédie qu'occasionnait la perte d'un membre quand on n'avait que cela pour travailler. Le patient fut sortit de la salle d'opération et Candy resta seule dans la pièce pour nettoyer les tâches de sang sur le sol. La jeune femme éclata en sanglots. Bonnot, qui avait entendu parler de l'incident par Julienne, arriva à ce moment précis et découvrit la jeune fille qu'il aimait en pleurs.
Candy, incapable d'agir ni de parler, se jeta dans les bras accueillants du jeune homme pour pleurer sa frustration librement. Les secondes passèrent avant que la réalité du moment se fondit dans l'esprit d'Yves. Quand il réalisa ce qu'il se passait, il put alors sentir une douce et suave chaleur dans son cur tandis que ses bras se refermaient autour de la femme qu'il aimait. "là, là , ma chérie" - dit-il, incapable d'utiliser une autre langue que sa langue maternelle en un moment aussi intime. "Elle est dans mes bras !" - pensa-t-il incrédule - "J'attends ce moment depuis des mois et je ne peux à peine le croire qu'aujourd'hui c'est réel. Si c'est un rêve, je ne veux pas me réveiller". Candy continua à pleurer contre la chemise de Yves pendant un moment jusqu'à ce que sa tendre attention efface ses peines. Pendant un instant, elle pensa à Albert, ayant la même impression de protection quand elle allait se réfugier dans les bras celui-ci. Cependant, tandis qu'elle reprenait le contrôle d'elle-même, une dérangeante sensation d'impropriété l'envahit. Candy se rendit compte de la situation embarrassante dans laquelle elle était en essayant de se séparer lentement des bras de Yves. C'est alors qu'il osa résister, contrairement à son habitude aux intentions de la jeune femme, prenant le visage de Candy entre ses mains et l'approchant doucement vers lui, si bien qu'elle pouvait sentir son haleine contre sa peau.
Le jeune homme devint rouge de honte sans savoir quoi dire pour se disculper.
Candy était trop perturbée par la situation pour se rendre compte de la peine qu'elle faisait à Yves en le repoussant sur ce ton. Un tumulte de sentiments qu'elle s'était efforcée à taire depuis longtemps était en train de se réveiller avec un bruit confus dans sa tête.
En sortant, Candy butta contre Julienne. Candy remercia sa bonne étoile de lui envoyer la personne dont elle avait le plus besoin à cet instant.
Julienne ne put terminer sa phrase car Candy traversait déjà le couloir et disparaissait de sa vue. Quand Julienne entra dans la salle de chirurgie et aperçut Yves assis sur le sol, se tenant la tête entre les mains, elle comprit subitement ce qui venait de se passer. Elle baissa la tête sans rien dire et commença sa tâche silencieusement. Finalement, quand le jeune homme eut réunit tout son courage pour l'arrêter, il la regarda directement dans les yeux et lui dit :
* * * * * Candy courut jusqu'au seul lieu de l'hôpital où elle pourrait disposer d'un peu d'intimité, la petite chambre qu'elle partageait avec Julienne. Elle avait retenu ses larmes en espérant ne pas croiser Flanny. Le fracas de ses pensées l'embrouillait des pieds à la tête comme ses plus inavouables sentiments étaient en train de protester contre le permanent contrôle qu'elle avait maintenu sur eux. Ses mains tremblaient quand finalement elle atteint la poignée de la porte et entra dans la chambre, avec un soupir de soulagement. Les larmes commencèrent à rouler librement sur ses joues tandis qu'elle s'adossait contre la porte fermée. Candy pouvait entendre un faible son, le son de ses propres sanglots qui s'échappaient de sa gorge sans retenue.
Candy se dirigea vers la fenêtre de la chambre. Il faisait très froid cette nuit là. C'était les derniers jours d'octobre et elle savait que les jours glacés de l'hiver approchaient. -"C'était une nuit froide comme celle-ci" - se dit-elle - "Ce sentiment glacial dans mon coeur n'a jamais disparu depuis. Je peux encore sentir mon sang se glacer dans mes veines." Candy se représenta de nouveau en pensée la même scène, les mêmes mots, les mêmes sentiments qui explosaient en elle. Tout était resté intact dans sa mémoire. Elle descendait précipitamment les marches, l'esprit confus et embrouillé. Un moment elle avait cru qu'elle était en train de vivre un de ses cauchemars, mais le fort battement de son pouls, si clair et douloureux, lui avait confirmé qu'elle était bien éveillée. Des pas frénétiques masculins la suivaient C'était lui, elle le savait "Il faut que je me dépêche" - avait-elle pensé - "Si je me retourne, je n'aurais pas la force de faire ce que je dois faire" Les marches paraissaient interminables. Elle souhaitait ne jamais atteindre la dernière, et continuer à le sentir derrière elle et rester près de lui. Ses jambes, plus longues et puissantes que les siennes, l'avaient facilement rattrapée jusqu'à ce qu'elle ne put plus s'échapper de ses bras qui l'enlaçaient. Elle crut défaillir quand il la saisit par la taille, la rapprochant contre lui, jusqu'à ce que ses bras l'encerclent. Elle sentit comme chacun de ses muscles à lui s'étaient tendus, durcissant comme une roche contre son dos, son parfum de lavande dont il usait habituellement montant à ses narines. "Candy ! - murmura-t-il à son oreille, la voix enrouée - Candy, je ne veux pas te perdre, je voudrais que le temps suspende son vol pour toujours - ajouta-t-il en suppliant. Il s'était penché sur elle, enfouissant sa tête dans ses boucles indisciplinées. Candy pouvait sentir ses joues brûlantes contre la peau de sa nuque. Une grosse goutte d'un liquide chaud tomba sur son cou dénudé, elle sut alors que c'était une larme qu'il venait de laisser échapper. Il pleurait à chaudes larmes ! Son caractère orgueilleux avait disparu en une seconde pour exposer son âme mise à nue, pleurant désespérément. "Il pleure, Terry pleure !" - pensa-t-elle, le cur brisé en mille morceaux. "Terry mon amour, toi que j'aime nous séparer ainsi. Si je me retourne maintenant - se dit-elle - je sécherais ses larmes de mes baisers et une fois que nos lèvres se trouveraient, seul Dieu sait où nous pourrions aller Si je lui fais face maintenant, je ne pourrais jamais renoncer à lui. Je n'ai pas le courage de le regarder dans les yeux et de l'abandonner ainsi. Oh Seigneur ! Il faut que je parte sans le regarder une dernière fois! La pression des bras de Terry perdit alors de sa force et elle sut qu'il avait finalement renoncé. Il la saisit par les épaules. "Candy, tu seras heureuse, n'est-ce pas ?" - dit-il enfin avec une pointe d'inquiétude - Tu dois me le promettre. Candy, promets-le-moi ! "Nous nous sommes vraiment perdus maintenant" - pensa-t-elle alors et immédiatement elle réunit son courage pour pouvoir lui dire de façon audible - "Toi aussi Terry." Elle se tourna lentement vers lui une dernière fois, mais maintint son regard fixement sur les marches sans pouvoir lever les yeux vers lui. Finalement, soupirant timidement, elle se sépara de ses bras pour toujours et sortir dans la nuit sombre et glacée Candy se frotta les yeux essayant de dissiper ces mauvais souvenirs de sa mémoire mais elle savait trop bien que c'était impossible. Chaque détail était gravé dans son cur et tous ses efforts passés pour oublier avaient été vains. Avec le temps, elle avait appris à cacher ses sentiments, à les maintenir secrets au fond de son cur, comme un souvenir précieux et occulté. Elle avait caché sa douleur personnelle à tout son entourage. Après tout, pensait-elle, cela ne valait pas la peine d'attrister ceux qu'elle aimait en montrant l'image lamentable d'un cur brisé. Suivant les leçons de la vie, elle avait trouvé dans sa croisade personnelle à servir les autres, un moyen d'échapper à la solitude. Elle avait compensé ses rêves brisés en se dévouant entièrement aux autres. Candy passait ses jours à travailler des heures durant à l'hôpital, consacrant le peu de temps libre qu'il lui restait à faire plaisir à ceux qu'elle aimait. Elle allait à ces ennuyeuses réceptions avec Albert pour l'aider à affronter les responsabilités qu'ils détestaient tant, ou bien elle écoutait attentivement les histoires d'Annie, lui cachant le peu d'intérêt qu'elle portait à la mode et aux potins. Candy passaient ses vacances à la maison Pony à s'occuper des enfants. Parfois, elle allait même aider Archibald, qui s'intéressait depuis peu à la politique et ne parlait plus que de cela. Le jeune homme savait bien que ces sujets intéressaient guère Candy, mais pour une raison qu'elle ne comprenait pas, il persistait à lui raconter tout ce qu'il faisait. La mémoire d'Alistair et d'Anthony restait profondément encrée dans le cur de Candy, et sachant qu'Archibald ressentait la même chose, elle ne pouvait nier qu'un lien particulier les unissait, c'est pourquoi elle portait de l'intérêt à tout ce qui lui plaisait. Maintenant en France, elle essayait de faire de son mieux pour offrir un peu de consolation à ceux qui souffraient plus qu'elle. Ces activités lui apportaient joie et paix, un véritable sens à sa vie qui autrement serait bien vide. Cependant, elle savait bien qu'une partie d'elle-même manquait et manquerait toujours. Candy n'avait confié le secret de sa peine à personne, ni même à Albert ou Melle Pony. Elle était résolue à cacher ses sentiments pour toujours car que pouvait faire d'autre une femme d'honneur amoureuse d'un homme qui appartenait à une autre ? Parfois, elle croyait être parvenue à maîtriser ses démons, mais il y avait alors quelque chose pour lui rappeler cette vieille blessure. Et maintenant, le geste passionné de Yves avait remué à l'intérieur d'elle-même tous ces anciens refus, tous ces désirs secrets qu'elle ne s'avouait pas. Tout d'un coup, Candy avait réalisé combien elle avait réprimé ses plus profonds élans de femme. Avoir un homme si près d'elle avait réveillé des besoins naturels. Cependant, ses feux cachés ne pouvaient répondre qu'à un seul homme, une voix, une paire d'yeux d'un bleu profond Malheureusement, les yeux qui l'avaient regardée d'un amour fervent dans la salle de chirurgie étaient gris. "Pourquoi ne puis-je l'oublier ?" - se demanda-t-elle - "Pourquoi ne puis-je ressentir la même chose avec un autre ? Quand Yves s'est approché de moi, je ne pouvais que penser à toi, la chaleur de tes bras, ton baiser ardent, ce baiser unique, sur mes lèvres
Candy tomba sur son lit, sans pouvoir penser à autre chose que pleurer. C'est alors que Julienne entra et s'assit sans un mot à côté d'elle. Elle passa sa main sur le dos de Candy, la frottant avec tendresse.
Finalement, après trois années de silence, Candy avait admis devant quelqu'un ce qu'elle ressentait. Elle jeta ses bras autour du cou de Julienne et pleura. Julienne l'accueilla avec toute la compassion qu'elle pouvait lui offrir sans savoir réellement quoi lui dire pour l'aider. C'est ainsi qu'elles s'embrassèrent en silence pendant un long moment jusqu'à ce que le cur de Candy calmât sa course. * * * * * En 1917, le Général Ferdinand Foch avait obtenu le poste de Commandant Général de l'Armée Française. Comme tous les grands hommes de l'histoire humaine, Foch reconnut c'était le moment d'apporter quelque chose de significatif à sa vie. Il savait que cela arrivait en une période difficile mais il ne voulait faillir à sa tâche. C'est pourquoi, après son accession, il commença à bouger les pièces de l'énorme échiquier du Front Occidental, se préparant à une offensive qui libèrerait son pays de la menace Allemande. Un jour, il déplaçait un peloton complet : une autre fois, il promouvait ou baissait de grade un homme clé comme un joueur d'échec avec ses pions et ses cavaliers. Une de ces pièces était le Major Legarde, qui avait été en charge de l'hôpital St Jacques depuis une année. Foch avait été professeur de Legarde à l'Académie Militaire et il savait que les talents militaires de ce dernier étaient mal employés à diriger un hôpital. C'est pourquoi, à la fin du mois d'octobre, Foch décida d'envoyer son ancien élève vers un poste important sur le front. Il désigna ensuite une autre personne pour diriger l'hôpital avec l'ordre formel d'envoyer une autre équipe d'auxiliaires en Flandres, où les armées françaises, britanniques, et canadiennes se trouvaient. Le matin du 31 octobre, André Legarde reçut l'ordre de partir pour Paris immédiatement. Le soir même, son remplaçant arrivait à St Jacques donnant l'instruction d'envoyer un groupe de 20 infirmières et 5 médecins dans le Nord. Ses ordres étaient clairs, et il devait s'assurer que le groupe fut en chemin dans la nuit. Il n'y avait pas de temps à perdre.
Si de Salle avait pris le temps de lire les archives, il se serait aperçu que parmi elles se trouvait une lettre qui aurait pu l'empêcher d'envoyer en mission une des infirmières qu'il s'apprêtait justement à désigner au hasard. Mais les temps de guerre sont comme une falaise dangereusement escarpée, personne n'est en sécurité en courant au bord de celle-ci. * * * * * Depuis la scène embarrassante que Candy avait eu avec Yves dans la salle de chirurgie quelques jour auparavant, le pauvre homme n'avait pas encore trouvé le courage de s'excuser. Il s'était contenté à la place de lui envoyer un iris blanc chaque jour, avec une petite carte lui demandant "pardon". Il n'avait pas le courage de lui parler ou de la regarder dans les yeux, c'est pourquoi il se trouvait à attendre silencieusement, espérant secrètement qu'un jour elle le pardonnât. Visiblement, le jeune homme se sentait misérable et voyant sa triste condition, Candy se sentait honteuse pour sa violente réaction cette nuit-là. Après de nombreuses hésitations, elle décida finalement de prendre l'initiative et d'aller lui parler pour mettre les choses au clair.
Ils sortirent de l'hôpital pour aller au parc tout proche, marchant en silence pendant un moment qui leur parut une éternité à tous deux. Il craignait les paroles qu'elle allait prononcer alors qu'elle ne savait comment commencer.
Candy s'arrêta un instant pour trouver un moyen de blesser le moins possible le jeune homme. Une brise fraîche vint bouger les feuilles des arbres tandis qu'elle essayait de trouver les mots appropriés.
Tandis qu'elle parlait, elle pouvait voir se dessiner sur le visage du jeune homme une multitude d'émotions. L'espoir, puis le désespoir et pour finir, un chagrin profond.
Candy n'affronta pas son regard intense, fixant au contraire la pelouse du parc, puis répondit :
Candy tourna la tête pour ne pas avoir à faire face au regard suppliant de Yves. Il était clair que ses sentiments et sons sens commun se livraient à une bataille à l'intérieur d'elle-même. "Il pourrait être cette nouvelle chance que la vie me donne ?" - pensait-elle - "Je pourrais apprendre à l'aimer ? Si seulement je pouvais cesser de le regretter ! Dois-je lui faire espérer un amour qui peut-être ne grandira jamais dans mon cur ?"
Yves se promit d'être patient et attentif à chacun de ses mouvements, mais aussi persévérant. Il savait que la jeune fille méritait tous ces efforts, sachant qu'il n'y avait personne autour pour poser des obstacles sur son chemin, alimentant ainsi de nouveaux espoirs dans son cur. Malheureusement, le destin allait bientôt jouer un de ses mauvais tours inattendus. Cette même nuit, Candy fut désignée ainsi que Flanny, Julienne, Duval et 21 autres personnes pour faire partie d'une mission dans le Nord. La décision fut prise sans aucun avertissement préalable et le personnel dut se mobiliser immédiatement. Candy n'eut même pas le temps de dire adieu à Yves qui n'avait pas été choisi pour la mission. Le matin du premier novembre, le même jour où Melle Pony et Sur Maria recevaient la lettre de Candy, cette dernière était déjà en chemin pour les Flandres. A suivre Fin du chapitre 3 © Mercurio 1999 |