Retrouvailles dans le tourbillon
Par Mercurio

Chapitre 2

Les lettres de Candy

 

Au cours des jours qui suivirent le départ de Candy, Albert dut se résigner à annoncer la mauvaise nouvelle à la famille. Après mures réflexions, il se décida à appeler ses parents les plus proches, ainsi que les Legrand et Annie pour les informer de ce qui s’était passé.

Ils l’attendaient déjà quand il entra dans son bureau de l’immense demeure de Chicago. La grand Tante Elroy était assise dans un fauteuil de cuir raffiné, son préféré. A côté d’elle, se trouvaient Annie et Archie, assis dans un luxueux canapé bleu indigo. Eliza et sa mère se tenaient côte à côte dans un grand sofa qui concordait avec le reste du mobilier, placé près d’une fenêtre recouverte de lourds rideaux de soie. Daniel et son père restaient debout, aux côtés des deux femmes. Mr Legrand manifestait son impatience tandis que son fils regardait d’un air absent vers la fenêtre. Eliza était occupée à arranger sa coiffure et à s'admirer dans le miroir de son poudrier : il ne fallait en aucun cas manquer une occasion de paraître à son avantage devant le plus puissant des André, qui était par ailleurs très séduisant.

- Je suis heureux de vous voir tous réunis ici - commença Albert tout en faisant intérieurement une prière pour lui même.

- Bon, laisse-moi te dire que j’ai dû annuler un rendez-vous très important ! J’espère que cela en valait la peine ! - conclut Mr Legrand.

J’essaierai d’être bref, alors - répliqua Albert à son oncle.

- J’aimerai d’abord savoir pourquoi Candy n’a pas été invitée à cette réunion - demanda Archibald sur un ton irrité - Tu sais bien qu’elle fait partie de la famille.

- Devant la loi uniquement ! - souligna Eliza avec dédain.

- Bon - dit Albert en faisant semblant de n’avoir rien entendu - Il y a une bonne raison pour que Candy ne soit pas parmi nous. En fait, cette réunion a quelque chose à voir avec elle.

A ces mots, Daniel revint immédiatement à la réalité, et fixa Albert de ses yeux marron clair. Albert alla s’asseoir dans son fauteuil, derrière un grand bureau de bois et invita les personnes restées debout à l’imiter. Puis, il fit une pause, sollicitant l’aide de Dieu pour lui donner le courage de commencer.

- Le fait est - commença-t-il - que Candy ne vivra pas à Chicago pendant un certain temps.

- Quoi ? - fit Annie qui ouvrait la bouche pour la première fois de l’après-midi - elle ne m’a jamais parlé de vouloir quitter la ville.

- Ahlala!!! On dirait que notre Candy est pleine de surprise ! - s’écria Eliza d’un air moqueur.

Une fois de plus, Albert ne s’abaissa pas à répondre et reprit son explication.

- La vérité est que Candy n’en a parlé à personne, ni même à moi.

- Mais, pourquoi une telle attitude de sa part ? - demanda Archibald visiblement inquiet.

- J’apprécierais que vous gardiez tous votre calme pendant que je vous expose notre problème - dit calmement Albert.

- Pourquoi devrions-nous rester calme William Albert ? - s’interrogea Madame Legrand, prenant la parole pour la première fois - Est-ce si grave que cela que Candy ait déménagé ?

- Vous allez le savoir ma tante, mes amis... Candy a quitté Chicago car elle a décidé de s’engager comme volontaire dans l’armée.

Un souffle muet s’échappa de la bouche d’Annie , tandis qu’Albert cherchait à récupérer des forces.

- A l’heure qu’il est, elle doit être en chemin pour la France.

Albert s’arrêta et regarda la réaction de l’assistance, satisfait intérieurement d’être parvenu à annoncer le plus mauvais côté de la nouvelle.

- Qu’est-ce que tu veux dire ? - s’exclama Daniel avec colère, serrant fortement les poings - Serais-tu en train de nous dire qu’elle est en chemin vers la mort comme Alistair ?

- Tais-toi ! - interrompit Mr Legrand en remarquant l’énervement de son fils.

- Non père, je ne vais pas me taire ! - lui répondit-il, puis il ajouta en s’adressant à Albert - Comment se fait-il que tu n’aies rien fait pour l’en empêcher ? N’es-tu pas le tuteur et protecteur de Candy ?

- Je le suis - répondit Albert avec la plus grande maîtrise - mais elle n’a parlé de ses projets à personne. On peut partir très vite quand on le veut.

- Tu es un incapable Albert ! Je ne sais comment tu peux être en charge de cette famille ! - lança Daniel avec rage, visiblement disposé à se jeter sur Albert et le frapper, si son père et l’état d’ébriété dans lequel il était ne l’avaient empêché.

Le silence s’installa dans la pièce durant des secondes interminables, dérangé seulement par les sanglots d’Annie, le visage caché dans ses mains, alors qu’Archibald, faisant abstraction de son entourage, restait immobile et stupéfait, incapable de consoler sa fiancée.

- Cette fille est une malédiction pour notre famille ! - fit la Grand Tante Elroy, en rompant le silence.

- Ce n’est pas vrai, ma Tante - répliqua fermement Albert - Je n’ai pas honte de la décision de Candy, mais au contraire fier de son courage et de sa noblesse. Elle a agi comme une adulte, et bien que cela nous blesse, nous devons accepter sa décision. Je vous ai fait venir car je voulais que vous soyez informés de la situation et que cela soit bien clair pour vous tous : Candy est partie pour la France pour s’occuper de nos hommes sur le front, et si la presse ou quiconque d’autre m’interroge sur ce sujet, je serai très fier de leur en parler. Si vous avez honte, c’est que vous êtes aveugles devant la vertu même.

- Je ne peux en entendre plus - fit Daniel - Si tu ne fais rien pour l’en empêcher, je le ferai !

Le jeune homme, malgré son ébriété, quitta bruyamment la pièce.

- Daniel ! - hurla Mme Legrand, visiblement embarrassée - Reviens ici, tout de suite !

- C’est déjà trop tard ma tante, il ne pourra rien faire. J’ai déjà essayé de mon côté - dit Albert - Très vite il se rendra compte combien nous sommes impuissants dans cette histoire. Laissez-le partir.

Mme Legrand soupira avec résignation et chercha instinctivement les yeux de son mari en quête d’un soutien.

- Maintenant, je vous serais gré de me laisser seul avec Archibald et Annie - dit Albert en s’adressant à la Grand Tante Elroy et aux Legrand.

- Bien sûr très cher, pas de problème ! - répliqua Eliza, une étrange expression se dessinant sur son visage.

"Qu’y a-t-il de si amusant ?" se demanda Albert.

Le visage de la jeune femme s’était visiblement illuminé en apprenant que sa plus ancienne rivale était partie en terres lointaines. Au fond de son coeur obscur, elle était très heureuse.

"Quelle chance j’ai !" - pensa-t-elle - "Encore un peu plus, et une balle perdue me débarrassera de cette maudite pour toujours"

Les Legrand et la Grand Tante sortirent de la pièce en silence. Archibald attendit qu’ils furent tous les trois, seuls, pour vider ce qu’il avait sur le coeur depuis un long moment.

- Qu’allons-nous faire Albert ? - demanda-t-il avec colère, son désespoir se manifestant à chacun de ses mots - Te rends-tu compte de ce que cela signifie ? Ne sais-tu pas les souffrances terribles que connaissent les gens pendant la guerre ? Des choses qui me font trembler de peur rien que d’y penser...

- Je le sais très bien. J’y ai été, l’oublies-tu ? - répondit Albert avec véhémence, désormais incapable de se contrôler.

- Mais c’est une femme ! Te rends-tu compte de ce qu’il pourrait lui arriver...? - Archibald s’arrêta subitement, horrifié devant la scène infâme qui se formait dans son esprit. Il posa une main sur son visage, qu’il remonta nerveusement vers le front, puis dit après un moment : "Mon Dieu ! Cette seule idée me glace le sang !" - marmonna-t-il.

- Cela suffit, Archibald, je t’en supplie ! - hurla Annie, laissant échapper de sa gorge les sanglots qu’elle retenait, expression de son immense tristesse - Oh Albert, tout ceci est de ma faute - dit-elle en pleurant.

- Que veux-tu dire, Annie ? - demanda Albert, le coeur plein de compassion devant la peine évidente du coeur fragile de la jeune fille.

- Je suis sa meilleure amie... Et je n’ai pas su me rendre compte de ses intentions, j’aurais dû le lire dans ses yeux, dans la façon qu’elle me regardait et qu’elle me serrait contre elle la dernière fois où...Mais j’étais aveugle...Je... J’aurais pu la retenir alors...

- Sottises ! - fit Archibald en s’adressant à elle avec une irritation inhabituelle - Rien n’a jamais pu retenir cette excentrique ! Rien ni personne ! Dis-moi, en as-tu été capable quand elle a quitté le collège St Paul ? Elle t’avais parlé de ses intentions à ce moment là ? Non, bien sûr que non, elle ne l’a pas fait, et même si elle l’avait fait, tu n’aurais pu rien faire, car aucun de nous n’est jamais parvenu à la persuader !

- Archibald ! - fit Annie, sanglotant de plus belle.

- Assez, maintenant Archibald ! - commanda fermement Albert, admiratif intérieurement devant la réaction du jeune homme.

- C’est évident que nous en sommes incapables - poursuivit-il frénétiquement, ignorant les suppliques d’Albert - Sais-tu pourquoi Annie ? Parce que sur cette maudite terre, seules deux personnes auraient pu la retenir dans sa stupidité, mais malheureusement, une de ces personnes est morte, quant à l’autre... Nom de... ! Cet abruti est sain et sauf à New-York sans se soucier de ce qui peut arriver à Candy, tandis que nous autres...

- Assez je t’ai dit ! - rugit Albert.

Archibald fut lui même surpris de ses propres paroles et quitta la pièce sans un mot. Annie qui se tenait debout depuis un moment, s’affala sur le sofa, pleurant des sanglots déchirants qui brisèrent le coeur d’Albert. Il s’approcha d’elle et posa sa main sur son épaule.

- S’il te plaît Annie, ne pleure plus - murmura-t-il - Archibald ne pensait pas tout ce qu’il a dit, il est seulement bouleversé par ce qui arrive. Je suis sûr qu’il pensait à Alistair. Archibald doit croire qu’il pourrait arriver la même chose à Candy mais je ne suis pas d’accord avec lui. La situation de Candy est différente. Elle est infirmière et non soldat.

- Mais il y a des infirmières militaires qui meurent aussi ! - parvint à dire Annie entre deux sanglots.

- J’ai pris mes précautions pour sa sécurité - dit Albert.

- Tu es sérieux ? Que veux-tu dire ? - demanda-t-elle intriguée.

- Je te le dirai dans une minute quand Archibald reviendra. Je vais d’ailleurs aller le chercher.

Albert sortit de la pièce, laissant Annie pleurer toute seule. Il trouva Archibald sur le balcon de la pièce contiguë, le regard perdu vers l’horizon lointain.

- Archibald ?

- Albert - répondit-il honteux de son comportement précédent - Je..., je regrette sincèrement. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris. C’est que c’est si difficile à accepter - balbutia-t-il avec amertume.

- Ne crois-tu pas que ça l’est aussi pour moi ? - fit remarquer Albert, dévoilant à son tour un peu de son désespoir - Candy est ma protégée et je l’aime profondément. Au cours de ces années, elle est devenue la personne la plus proche de moi. Depuis la mort de ma soeur, personne n’avait eu aussi d’importance à mes yeux.

- Je te comprends. Je sais ce qu’elle représente pour toi... Mais, Albert, ce que je ressens est différent... Je...

- Chuuuttt ! - fit Albert en lui faisant signe de se taire, et baissant d’un ton jusqu’à ce que sa voix devienne un murmure que seul Archibald pouvait entendre - Je le sais. Il y a des sentiments qu’un homme d’honneur doit garder au fond de son coeur pour ne jamais les laisser sortir, ni même les avouer à soi-même, car cela rendrait les choses encore plus difficiles. Tu n’aurais jamais dû prononcer ces choses que tu as dites à Annie.

- Tu crois qu’Annie ?... - s’enquit Archibald.

- Non, ne crains rien. Elle est suffisamment occupée à se culpabiliser du départ de Candy pour se rendre compte de quoi que ce soit. Maintenant, retourne dans mon bureau et redevient le charmeur que tu as toujours été. Annie a besoin de toi, encore plus qu’avant. C’est ainsi que Candy voudrait que les choses soient.

Les deux hommes retournèrent au bureau en silence, leurs craintes intérieures pesant lourdement sur leurs épaules. Une fois tous les trois réunis, Albert expliqua à ses amis les nouvelles précautions qu’il avait prises pour protéger Candy malgré la distance.

Durant son séjour en Afrique, Albert avait rencontré un officier français du même age que lui. Ils étaient devenus très bons amis, ayant de nombreux points communs. Des années plus tard, quand Albert retrouva la mémoire, il essaya de contacter son ancien ami, et ses recherches s’étaient finalement couronnées de succès. De ce fait, les deux hommes avaient conservé des liens réguliers. Ce jeune officier était le neveu d’une personne très importante en France, le Maréchal Foch en personne, un homme qui jouera un rôle important dans la guerre. C’est pourquoi, Albert s’était empressé de contacter son vieil ami et lui demander d’user de son influence auprès de son oncle pour que Candy ne participe à aucune équipe médicale pour travailler en avant garde. Cet ami lui avait immédiatement répondu pour lui assurer que Melle Candy Neige André ne serait jamais envoyée en mission sur le front. A cette nouvelle, Annie et Archibald se sentirent un peu soulagés, et trouvèrent le courage nécessaire pour lire la lettre que Candy leur avait envoyée.

Ils ignoraient cependant que ni les relations d’Albert, ni l’influence du Maréchal Foch, ne pourraient empêcher Candy d’aller vers son destin.

* * * * *

Deux mois après la scène à laquelle nous avons assisté, Albert recevait la première lettre de Candy.

 

29 Juin 1917

Cher Albert,

Nous sommes enfin arrivés à Paris. C’est la première lettre que j’ai pu t’écrire depuis mon départ. Je devine que mon départ t’as causé bien des problèmes. Cela n’a pas dû être facile pour toi de devoir annoncer ma décision à tout le monde. Je regrette beaucoup de t’avoir laissé cette responsabilité, mais tu étais la personne la plus à même de réaliser cette tâche.

J’espère que tu comprends mes raisons bien qu’elles puissent te paraître étranges, à toi comme aux autres amis. Tu te rappelles quand tu es parti pour l’Afrique. C’était quelque chose dont tu avais toujours rêvé. Quelque chose que tu devais faire pour continuer à vivre. Ma décision de venir en France est du même acabit. Je devais venir ici. C’est comme si j’étais née pour une occasion comme celle-ci. Je ne veux pas dire que je fais des choses extraordinaires ici, mais je sais que je devais y être. Tu sais, j’ai déjà trouvé de nombreuses raisons pour être là.

D’autre part, ce n’est pas aussi horrible que ce que les gens disent. Tous sont très aimables avec moi. Il est vrai que le travail est très pénible, mais ils sont tous si touchés par la douleur dans l’hôpital que la plus grande partie des bons sentiments flotte dans les airs et atteint le coeur de chacun. Nous travaillons dur car le personnel n’est pas suffisant pour s’occuper de tout les blessés qui arrivent chaque jour du front occidental, mais nous sommes aussi récompensés quand nous nous rendons compte que nous avons pu sauver une vie.

Une chose me dérange profondément. La fréquence avec laquelle on effectue les amputations. Parfois, je trouve que les docteur décide trop rapidement de couper un bras ou une jambe. C’est si triste de voir ces hommes, parmi lesquels certains sont très jeunes, souffrir horriblement quand ils s’aperçoivent qu’on leur a coupé un membre. Je me rappelle l’année dernière être allée à une convention médicale, à l’hôpital Johns Hopkins, et quelques docteurs y testaient un nouveau procédé, l’irrigation, pour sauver un membre d’une amputation imminente. Les résultats avaient été convaincants là-bas, et j’espère pouvoir trouver ici un moyen de suggérer l’utilisation du traitement par irrigation. Mais cela ne va pas être facile car les docteurs n’ont jamais confiance en leurs infirmières pour diagnostiquer des traitements.

Pour passer à des sujets plus agréables, je dois te dire que j’ai rencontré une ancienne collègue. Tu te rappelles de Flanny, qui était à l’école d’infirmière avec moi ? Elle est ici, et devine quoi , c’est l’infirmière en chef ! Tu peux le croire ? Je sais que je t’ai dit une fois qu’on ne s’entendait pas très bien, mais je suis sûre que notre relation va s’améliorer. Je me rends compte que c’est une âme solitaire et j’aimerais beaucoup être son amie. Croise les doigts pour moi.

S’il te plaît, dis à Annie que Paris est bien comme elle me l’avait décrit une fois. La ville est belle à vous couper le souffle. Bien sûr, je n’ai pas beaucoup de temps pour la visiter, mais toutes les deux semaines, j’ai un jour de libre, en fait seulement dix heures. J’utiliserai ce temps pour tout voir et tout connaître, mais il semble que cette guerre durera encore un moment. Ainsi, j’en profiterai pour connaître Paris.

Comme je suis très occupée, je n’ai pas le temps de raconter d’autres choses. Ma prochaine lettre sera pour Annie, puis pour Archibald, puis la Melle Pony et Soeur Maria, puis finalement à toi, c’est pourquoi sois patient, et racontez-vous le contenu de mes lettres. Mais s’il te plaît, ne parle pas à Annie des amputations. Je ne veux pas qu’elle soit triste à cause de cela.

Affectueusement,

Candy

P.S.: J’ai eu 19 ans le mois dernier pendant le voyage. Alors n’oublie pas de m’acheter un cadeau et de le garder bien enveloppé jusqu’à mon retour.

* * * * *

6 Août 1917

Chère Annie,

Je ne sais comment commencer ma lettre. Albert m’a dit comment tu t’es sentie après mon départ. Annie ! il n’y a aucune raison pour que tu te sentes coupable ainsi ! Cette décision n’aurait jamais pu être changé que ce soit par la force ou pour la raison. C’est quelque chose que je devais faire et je ne le regrette pas, bien que je ne voudrais pas que vous en souffriez. Il y a beaucoup de bonnes choses ici, bien plus que tu ne le l’imagines, crois moi . J e commence à connaître des gens sympathiques, comme une fille très agréable qui s’appelle Julienne, et qui partage ma chambre. Elle est plus âgée que toi et moi, peut-être de 9 ou 10 ans de plus, et elle est mariée, imagine ! Son époux est au combat sur le front, c’est pourquoi elle a décidé de proposer ses services comme volontaire, et en fait, elle se révèle être une excellente infirmière. Julienne est très gentille avec moi depuis le début, elle a un grand sens de l’humour et elle fait beaucoup d’efforts pour apprendre un peu d’anglais et pouvoir ainsi parler avec moi. Tu ne trouves pas cela gentil de sa part ? J’apprends de mon côté un peu de français mais je crains de ne pas être très douée pour le prononcer.

Il y a aussi un garçon très aimable que j’ai rencontré il y a quelques jours, un jeune docteur de l’hôpital. Il s’appelle Yves et il est très gentil. Tu sais pas ? Je l’ai rencontré par accident dans la rue, son chien courrait après un chat et m’a renversée. Maintenant que je me la rappelle, c’était une situation très comique. C’est bizarre que je n’ai pas remarqué ce garçon auparavant, alors que nous travaillons dans le même hôpital. Depuis cet accident, je l’ai revu plusieurs fois, ayant même travaillé ensemble puisque nous étions en charge de patients communs. C’est vraiment un bon docteur. Aaaah, bien sûr, tu dois t’imaginer dans ta petite tête des choses romantiques entre lui et moi, mais je dois te dire que bien que je le trouve très agréable, JE NE SUIS PAS DU TOUT INTÉRESSÉE PAR LUI ! Alors tu peux déjà oublier ce qui est en train de penser.

Je dois m’en aller maintenant car mon tour arrive et Flanny se met en colère après moi si je n’arrive pas à temps. J’enverrai cette lettre demain. S’il te plaît, lit la prochaine lettre que j’enverrai à Archibald.

Je pense très fort à toi.

Candy

* * * * *

24 Septembre 1917

Cher Archibald,

Infirmière Candy Neige André, membre orgueilleux de la FEA, c’est à dire, Force d’Expédition Américaine. J’ai le plaisir de vous informer, Monsieur, que je vais très bien.

Trop formel ? J’espère que non, car je n’ai jamais été sérieuse, cela n’a jamais correspondu à ma personnalité.

En vérité, les choses semblent s’améliorer ici pour les alliés, comme tu as dû l’apprendre par les journaux. Quand je suis arrivée ici, on préparait une grande offensive pour récupérer les Flandres. Des milliers de blessés nous furent amenés à l’hôpital. De plus, une partie du personnel de l’hôpital a été désigné pour une expédition sur le front afin d’y soigner les blessés. Malgré les efforts des Anglais et des Français, la région reste encore sous le contrôle des Allemands, mais beaucoup de gens pensent que les alliés vont unir leurs forces pour tenter une grande attaque en même temps. Nous espérons tout que cela fera reculer les Allemands et qu’on pourra libérer la région.

Nos garçons, je veux dire nos soldats, ne sont pas vraiment encore entrés en action. Ils ont seulement porté de l’aide à Belfort. Cependant, ils continuent à arriver et à s’entraîner ici. Ainsi Paris, où je vis, est très bien surveillée. Avec l’aide de Dieu, tout ceci se terminera peut être plus rapidement que je ne le crois et je pourrai rentrer. De toute façon, il n’y a aucune raison pour que tu te fasses du souci pour moi. Au contraire, il faut que tu te consacres à soutenir Annie. Tu sais combien elle est fragile et combien elle a besoin de toi. Quand je rentrerai, nous nous moquerons de cette période difficile, et je vous raconterai tous les événements heureux qui me sont arrivés ici.

Autre chose, n’oublie pas que Noël est dans trois mois. S’il te plaît, demande un peu d’argent à Albert pour qu’il achète quelque chose de ma part à Annie. Trouve quelque chose de beau et luxueux, et comme toujours élégant.... Bien, j’ai confiance en ton goût raffiné.

Affectueusement,

Candy

* * * * *

1er Octobre 1917

Chères Melle Pony et Soeur Maria,

C’est la première lettre que je vous écris depuis mon départ des États-Unis, il y a déjà six mois de cela.

Je sais que ce n’est pas bien d’écrire si peu, mais mes obligations ici ne me permettent pas de le faire plus souvent. Vous m’avez toujours appris qu’il fallait d’abord terminer ce que l’on avait commencé. Ici, il y a tellement de gens qui ont besoin de mon soutien et de mon aide, que je ne peux m’arrêter.

Je ne veux pas que vous vous fassiez du souci pour moi. Je vais très bien, mais priez s’il vous plaît Dieu pour toutes ces personnes qui meurent chaque jour dans mes bras. Parfois, je ne peux rien faire pour elles si ce n’est réciter les prières que vous m’avez apprises et pleurer en silence sur cette frustration. Vous qui avez toujours été si proches de Dieu, demandez-lui d’arrêter cette folie meurtrière. Je ne comprendrai jamais pourquoi les gens ont besoin de se faire souffrir aussi horriblement. C’est indigne de l’homme !

Parfois, j’ai envie de courir et de rentrer à la maison, en Amérique auprès de vous. Mais j’ai compris que ma place est ici désormais. Les gens ont besoin de moi autant que les enfants de l’orphelinat ont besoin de vous. Je n’ai raconté à personne la peine chaque fois croissante que je ressens quand je rencontre un nouveau patient. Une fois de plus, ne vous faites pas de souci pour moi, et ne parlez à personne des choses tristes que je vous ai racontées, mais priez, priez pour eux.

On pense qu’une attaque importante va avoir lieu dans le Nord. De nombreux camions, remplis de jeunes soldats, ont traversé la ville en direction de la frontière nord de la Belgique. Quand vous penserez à moi, pensez aussi à ces jeunes soldats , qui peut être ne retourneront pas chez eux. Mais je vous promets que je rentrerai. Quelque chose au fond de moi me permets de le croire.

Je suppose que Patty est de retour à Chicago depuis cet été. Dites à Annie de la serrer très fort dans ses bras de ma part. Cette personne, si soucieuse des autres, est certainement là-bas pour uniquement tenir compagnie à Annie, j’en suis sûre. Patty a très grand coeur ! Vous devriez tous les inviter à l’orphelinat pour fêter Noël comme au bon vieux temps. J’ai déjà envoyé à Albert toutes les instructions pour qu’il vous fournisse tout le nécessaire pour la fête et les jouets pour les enfants.

Avec tout mon amour,

Candy.

 

- Ma gentille petite fille - dit Melle Pony en achevant de lire la lettre, des larmes coulant sur son visage - Elle est loin là-bas, travaillant jour et nuit, souffrant de carences dont elle ne nous parle pas, mais elle ne peux s’empêcher de penser aux autres, même au repas de Noël et aux cadeaux pour les enfants.

- C’est toujours la même Candy, mais chaque fois meilleure, plus forte et plus attentionnée - répondit la soeur en s’approchant de Melle Pony, avec un mélange d’orgueil et de tristesse.

- C’est vrai, nous pouvons être très fières d’elle.

- Melle Pony ? - demanda Soeur Maria, son regard clair s’assombrissant - Vous ne ressentez pas un sentiment étrange ?

- Que voulez-vous dire Ma Soeur ?

Melle Pony et Soeur Maria avaient passé tant d’années à travailler ensemble, et traversé tant de pénuries en commun, qu’elles pouvaient distinguer chaque changement d’humeur de l’une ou l’autre. Le ton de voix de la Soeur était chargé d’une crainte qui ne plaisait pas à Melle Pony.

- Peut-être ce n’est que mon imagination, mais quand vous lisiez la partie de la lettre dans laquelle Candy nous demande de prier pour ses malades. J’ai... - commença la soeur, sa voix se réduisant à un murmure - j’ai ressenti quelque chose qui me fait penser que nous devons prier, mais prier pour elle.

- Soeur Maria !

- Notre Candy court un grave danger. Je peux le sentir comme seule une mère peut le faire - dit-elle en se mettant à pleurer silencieusement.

Le vent glacial de cette saison d’automne entra dans la pièce, remuant les feuilles du calendrier. C’était le 1er Novembre. Des pages d’une revue se soulevèrent aussi sur le bureau de Melle Pony, sur lesquelles on pouvait lire en titre "Une grande vedette est partie défendre la patrie sur le front Français".

 

Fin du chapitre 2 

A suivre....

© Mercurio 1999