Candy, la suite

par Edith

Chapitre 6

La chute

 

Hopital Jacob, le matin. Candy, en tenue d’infirmière, frappe à la porte du bureau du Pr Bomann.

Voix du Pr Bomann : Oui.

Elle entre. Le Professeur est assis à son bureau, des feuillets devant les yeux. Il lit et il annote. Il lui faut une minute ou deux avant de lever la tête.

Pr Bomann : Vous vouliez me voir.

Candy : Monsieur, je me sens prête à partir.

Pr Bomann : Toujours aussi pressée, je vois.

Candy : Vous pensez que je ne suis pas opérationnelle ?

Pr Bomann : D’après ce qu’on m’a dit, vous l’êtes. Je n’ai donc pas d’objections. Le prochain bateau dans lequel vous pouvez embarquer part dans quelques jours. Préparez-vous parce que les militaires nous informent au dernier moment, parfois la veille pour le lendemain.

Candy : Très bien, monsieur, je vous remercie.

Elle esquisse un pas en direction de la sortie.

Pr Bomann : Melle André !

Candy s’arrête et le regarde à nouveau.

Pr Bomann : Vous avez bien réfléchi à ce que vous faîtes ?

Candy : Oui monsieur.

Pr Bomann : Je l’espère.

Il baisse à nouveau la tête sur son travail. Candy sort de la pièce.

Appartement de Suzanne, le matin. Dans le salon, Terry est seul, assis sur le canapé. Il fait beau, la fenêtre est ouverte.

Mme Marlow le rejoint.

Mme Marlow : Elle arrive, elle finit de se préparer.

Terry (se levant) : Je peux revenir tout à l’heure. De toute façon, ce matin, je ne peux pas rester longtemps. J’ai une répétition.

Mme Marlow : Maintenant que vous êtes là, attendez 5 min. Elle sera déçue si elle ne vous voit pas.

Il se rassoit, prend son texte dans une des poches de sa veste et se met à lire.

Mme Marlow s’apprête à sortir du salon puis se ravise et va s’asseoir sur le canapé à côté de Terry. Le jeune homme lève la tête.

Mme Marlow : Terrence, puisque j’ai l’occasion de vous voir seul à seul, j’aimerais vous parler de quelque chose.

Terry : Oui.

Mme Marlow : Depuis deux ans, vous vous occupez beaucoup de Suzanne. Vous venez tous les jours. Mais …

Terry : Mais quoi ?

Mme Marlow : Quelles sont vos intentions maintenant ? Vous ne lui parlez jamais d’avenir …

Terry reste silencieux. Il baisse les yeux vers son livre qu’il tord nerveusement.

Mme Marlow : Vous voyez ce que je veux dire ?

Terry : Je vois.

Mme Marlow : Vous n’allez pas la décevoir, n’est-ce pas ?

Terry se met à respirer plus rapidement et brusquement, devient blanc.

Mme Marlow : Terrence, ça ne va pas ? Vous n’allez pas vous trouver mal ?

Terry (se levant): Ce n’est rien. Je n’ai pas beaucoup dormi, c’est tout.

Il chancelle un peu mais réussit à marcher jusqu’à la fenêtre ouverte. L’air frais lui fait du bien. Il reprend un teint normal.

Mme Marlow le regarde avec inquiétude. Elle s’apprête à parler à nouveau lorsque Suzanne apparaît à la porte.

Suzanne (enjouée) : Bonjour.

Terry (quittant la fenêtre et allant vers elle) : Bonjour Suzanne. Je suis désolé mais maintenant, c’est l’heure de ma répétition. Je reviendrai toute à l’heure.

Suzanne (visiblement déçue) : D’accord …

Il va à la porte d’entrée et l’ouvre. Le Dr Keller est juste derrière la porte. Tous les deux ont un léger mouvement de recul.

Terry : Bonjour Docteur. Veuillez m’excuser, je suis pressé.

Dr Keller (le laissant passer) : Je vous en prie.

Terry sort. On l’entend dévaler l’escalier.

Le Dr Keller entre dans l’appartement.

Le Dr Keller est assis sur une chaise dans le salon des Marlow. Il regarde Suzanne marcher vers lui sans sa canne. Elle boîte mais la démarche n’est pas trop lourde.

Dr Keller : Vous savez, je vais bientôt avoir cette prothèse légère que j’ai commandée. Avec, je pense que vous ne boiterez même plus.

Suzanne (soucieuse) : Terry n’a pas voulu m’en parler mais ça lui a coûté cher, n’est-ce pas ?

Dr Keller : J’ai promis de ne pas aborder cette question avec vous. Personnellement, je trouve que ça vaut la peine. Jamais je ne l’aurais recommandé si je n’avais pas été sûr du bénéfice.

Suzanne : J’ai vraiment de la chance d’avoir un médecin aussi attentif.

Le Dr Keller baisse la tête puis la relève. Il ouvre la bouche mais les mots ne sortent pas.

Suzanne : Vous voulez me dire quelque chose ?

Dr Keller (lui indiquant le fauteuil voisin de sa chaise): Vous voulez bien vous asseoir un instant. Et … Ne vous inquiétez pas, ça n’a rien à voir avec votre santé.

Suzanne, intriguée, avance jusqu’au fauteuil et s’assoit.

Suzanne : Je vous écoute.

Dr Keller (osant à peine la regarder) : Je … J’ai bien peur que l’attachement que j’éprouve pour vous dépasse beaucoup le cadre professionnel.

Suzanne : Docteur, je …

Dr Keller : Attendez. J’ai bien compris … Je sais vos sentiments pour M. Grandchester et je ne me serais jamais permis de parler si …

Suzanne : Si ?

Dr Keller : Bien sûr, M. Grandchester est très prévenant à votre égard mais il n’a pas l’air …

Suzanne : …

Dr Keller (réalisant ce qu’il est en train de dire et se levant) : Je vous prie de m’excuser, je n’aurais pas du. C’est vraiment grossier de ma part. Oubliez ce que je viens de dire et …

Suzanne (sans le regarder) : Rasseyez-vous.

Il se rassoit.

Suzanne (le regardant) : Allez au bout de votre pensée.

Dr Keller (après un temps) : Voulez-vous … m’épouser ?

Suzanne reste un moment interdite.

Suzanne : Ca n’est pas …

Dr Keller : Mais c’est ça, le bout de ma pensée. Je voudrais que vous soyez ma femme.

Suzanne : Qu’alliez-vous dire à propos de Terry ?

Dr Keller : Si vous voulez bien, restons-en là.

Suzanne (le regardant dans les yeux) : Je ne veux pas. Je veux savoir ce que vous alliez dire.

Dr Keller (après un temps) : Je crois qu’il n’est pas amoureux de vous.

Suzanne (se levant et criant presque) : Vous vous trompez ! Depuis deux ans, Terry n’a pas cessé d’être à mes côtés. Il prend soin de moi, il m’emmène partout. Il …

Dr Keller (se levant, essayant de la calmer) : Melle Marlow, Je suis désolé. Je ne voulais pas …

Suzanne (les larmes coulent sur ses joues) : Vous êtes jaloux ! C’est ça qui vous pousse à parler comme vous le faites !

Dr Keller : Oh, Mademoiselle, je …

Mme Marlow entre et se précipite vers Suzanne.

Mme Marlow (entourant Suzanne de ses bras) : Ma chérie, que se passe-t-il ? Tu ne te sens pas bien ?

Suzanne (se blottissant contre sa mère en sanglotant) : Maman … Maman …

Le Dr Keller ramasse rapidement ses affaires.

Dr Keller (à Mme Marlow qui soutient toujours Suzanne) : Il vaut mieux que je parte. Vous pouvez lui donner un léger sédatif. Quand elle ira mieux, dites-lui combien … que … je regrette … Pardon.

Il sort rapidement du salon. On entend la porte d’entrée claquer.

Suzanne est calme, allongée sur son lit. Sa mère entre et lui apporte une tasse de thé.

Mme Marlow (s’asseyant sur le lit à côté de sa fille) : Tiens ma chérie, bois. Ca va te faire du bien.

Suzanne (prenant la tasse) : Tu penses comme lui, n’est-ce pas ?

Mme Marlow : Je pense qu’il ne faut pas lui en vouloir. Le Dr Keller est vraiment quelqu’un de bien.

Suzanne : Appelle-moi un fiacre, s’il te plaît. Je vais aller chercher Terry à la fin de sa répétition.

Mme Marlow : Ca n’est pas raisonnable.

Suzanne : Maman, je vais aller chercher Terry que tu le veuilles ou non.

Mme Marlow : Très bien, très bien. Repose-toi encore un peu, je vais m’occuper du fiacre.

Mme Marlow se lève, regarde sa fille avec inquiétude puis sort.

Un salon de thé dans New-York. Albert, Archibald, Annie et Candy sont attablés.

Candy (souriant) : Voilà, cette fois, je vous dis tout. Le Bateau va partir dans quelques jours. Je ne sais pas exactement quand.

Annie (se mettant à pleurer) : C’est tellement dangereux, Candy. Renonce, je t’en prie.

Candy : Annie, je ne vais pas au combat. Je vais soigner des blessés. Je ne serai peut-être même pas à l’avant.

Annie : Tu dis ça pour me rassurer mais au fond … au fond …

Ne se maîtrisant plus, Annie se lève et part en courant vers la sortie. Candy se lève pour la suivre.

Archibald (se levant et retenant Candy par le bras) : Il vaut mieux que ça soit moi.

Candy et Albert se retrouvent seuls autour de la table.

Candy : Quel fiasco. Moi qui voulais que ça se passe en douceur …

Albert : Vous avez eu raison de nous parler.

Candy : Albert …

Albert : Oui.

Candy : Quand je reviendrai, je pense que … nous pourrons …

Albert : Ne me faites pas de promesse, Candy. Sachez que je vais vous attendre et nous verrons bien dans quel état d’esprit vous serez au retour.

Candy : Vous savez toute l’affection et toute l’estime que j’ai pour vous.

Albert : Mais ça n’est pas ce que je veux. Ce que je veux, c’est … Je veux que vous éprouviez pour moi ce que vous éprouviez pour Terry … Je ne pourrai pas me contenter de moins. Vous comprenez ?

Candy : Bien sûr. Et c’est … C’est ce que je veux vous donner.

Albert : Vous le voulez, Candy. Mais est-ce que vous le pourrez ?

Théatre Stratford. Répétition d’Hamlet en costumes. Terry est au centre, entouré d’une dizaine d’autres acteurs et actrices.

Le metteur en scène : Terrence, qu’est-ce qui vous arrive ? Vous n’êtes pas au bon endroit et vous avez démarré trop tard ! Concentrez-vous, bon sang !

James/Horatio fait un sourire entendu à Karen.

La vision de Terry se trouble. Il transpire.

Terry (assez faiblement) : Excusez-moi …

Un acteur près de Terry (se précipitant pour le soutenir) : Il se trouve mal !

Il fait asseoir Terry par terre. Tout le monde se précipite autour sauf Karen. Elle sort rapidement de scène.

Terry voit tous les visages tourner autour de lui. Tous les sons sont confondus dans un brouhaha. Il ferme les yeux et soutient sa tête avec une main.

Voix de Karen : Ecartez-vous ! Comment voulez-vous qu’il aille mieux si vous ne lui laissez pas d’air ?

Tout le monde s’écarte. Karen s’approche avec un verre d’eau.

Karen (le secouant un peu) : Terry ! Ca va aller ? Tiens, prends ça.

Terry prends le verre et boit quelques gorgées. Il a l’air mieux.

Le metteur en scène (s’est levé de son fauteuil à l’orchestre et s’est approché contre la scène) : C’est pas étonnant ce qui vous arrive ! Combien de fois vous ai-je dit de vous reposer ?!! C’est simple, si vous continuez, je vous décharge du rôle. Vous me faites courir trop de risques !

Terry (se levant, chancelant un peu) : Mais monsieur …

Le metteur en scène : On en reparlera quand vous tiendrez debout. De toute façon, c’est l’heure. A ce soir pour la Tempête.

Tout le monde se disperse. Terry quitte les lieux, un peu abattu.

Suzanne attend devant le théâtre Stratford, debout à côté d’un fiacre. Les acteurs sortent. Certains la saluent. Le metteur en scène sort à son tour.

Le metteur en scène (allant vers Suzanne) : Bonjour Suzanne. Ca fait longtemps qu’on ne vous a pas vu. Vous avez l’air bien.

Suzanne : Oui, je vais bien.

Le metteur en scène : Vous remarchez … complètement normalement ?

Suzanne : Pas tout à fait … Mais on m’a promis une prothèse légère avec laquelle je ne devrais plus boiter.

Le metteur en scène : Vraiment ? Si c’est le cas et que vous avez encore envie de jouer, venez me voir. Nous verrons si je peux vous employer.

Suzanne (enthousiaste) : Je n’y manquerai pas.

Le metteur en scène : (s’en allant) A bientôt, alors. (Se ravisant) Et dites bien à Terry que s’il ne se ménage pas, je lui retire le rôle !

Il s’éloigne rapidement dans la rue. Suzanne le regarde, les sourcils froncés puis son regard retourne vers la porte du théâtre. Terry est debout devant elle.

Suzanne : Ah … Tu sors vraiment le dernier ! (Lui indiquant le fiacre) Nous allons chez moi ?

Terry : Ca t’ennuie de marcher un peu.

Suzanne : Pas du tout. Si on passait par le parc ?

Il acquiesce.

Suzanne (tendant un billet au cocher) : Vous pouvez nous laisser.

Terry et Suzanne entrent dans le parc.

Suzanne (excitée comme une enfant) : Tu te rends compte si je pouvais rejouer ! Si on pouvait rejouer ensemble !

Terry : C’est mon souhait le plus cher …

Suzanne (à nouveau sérieuse) : Tu sais, M. Brennan m’a dit autre chose. Il veut que tu te ménages. Il m’a même parlé de te retirer le rôle.

Terry (s’arrêtant) : Eh bien qu’il me le retire ! Ca m’est égal, après tout. Je …

Une femme enceinte marche vers eux aussi vite qu’elle peut en hurlant.

La femme : Au secours ! Aidez-moi ! Mon petit garçon … Il va tomber !

Terry se précipite vers elle. Suzanne le suit à distance.

Terry : Qu’est-ce qui se passe, madame ?

La femme (pleurant et hurlant à moitié) : Eddy … Eddy est monté dans l’arbre. La branche va craquer …

Terry : Calmez-vous, calmez-vous. Montrez-moi l’arbre.

Elle les entraîne un peu plus loin dans l’allée devant un gros arbre. Un petit garçon d’environ 7 ans est effectivement assez haut. Il est tétanisé de peur sur une branche un peu fendue.

La femme : J’ai entendu un craquement. Elle va casser …

Autour de la femme, un attroupement s’est formé.

Un homme : Je vais chercher les pompiers !

Terry retire sa veste et s’élance vers l’arbre. Suzanne le regarde avec anxiété.

Il monte très lestement et s’arrête un peu au-dessous de l’enfant, ne pouvant lui-même s’engager sur la branche. Le petit ouvre sur lui des yeux terrorisés.

Terry : Ca va aller, tu vas voir. (Tendant son bras) Tu vas tendre ton bras et je vais attraper ta main. Ensuite, quand je te le dirais, tu lâcheras la branche.

Eddy (de grosses larmes coulant sur ses joues) : Je ne peux pas … Je vais tomber.

Terry : Tu ne tomberas pas puisque je te tiendrai.(changeant de tactique) Tu n’as jamais joué à Tarzan ?

Eddy (cessant de pleurer) : Tarzan …

Terry : C’est une amie qui m’a appris. On se balance sur une branche puis on la lâche pour aller sur une autre.

Eddy : Tu veux dire … une fille ? Tu connais une fille qui sait faire ça ?

Terry : Exactement. Tu vois bien, si une fille peut le faire, toi aussi. (Tendant son bras) Donne ta main.

Le petit garçon hésite puis tend son bras. Terry tend le sien et doucement, il prend la main de l’enfant.

Terry : Maintenant, tu peux lâcher. (souriant au garçon) Vas-y. Je vais te balancer et te mettre sur cette grosse branche, juste en dessous.

Le garçon se penche un peu pour regarder.

CRACK. La branche cède. Eddy hurle et, en écho, les gens en bas de l’arbre.

La branche tombe et s’écrase sur une branche inférieure. Mais le garçonnet ne tombe pas. Terry le tient fermement. Il le balance doucement.

Terry : Une, deux , trois, Accroche-toi !

Eddy s’accroche et se retrouve assis sur la grosse branche que lui avait indiqué Terry. En bas, des applaudissements. Eddy lève vers Terry un visage radieux.

Eddy : Maintenant, je peux descendre tout seul !

Terry (regardant le petit garçon joindre le geste à la parole) : Fais attention quand même …

Terry met un pied sur la branche inférieure pour amorcer la descente. Il regarde en bas. Le sol est loin. Il regarde ses pieds sur la branche puis à nouveau le sol. Son esprit bat la campagne « Je pourrais glisser … et ça serait fini … Je serais libre … ».

Eddy est arrivé en bas. Sa mère l’attire dans ses bras. Suzanne lève les yeux et lui sourit.

« … libre … » Terry regarde son pied descendre vers la branche inférieure et lorsqu’il touche la branche, il ferme les yeux et se laisse doucement déraper. C’est la chute. Son corps fend l’air avant de s’écrouler en bas de l’arbre.

Les gens se sont tus sous l’effet du choc. La mère cache les yeux de son enfant.

Suzanne s’approche du corps de Terry et pousse un hurlement terrible. Ce cri semble durer une éternité.

 

© Edith 2006