Candy, la suite

par Edith

Chapitre 5

Les yeux dans les yeux

 

New-York. Madison Square Garden. Sous la tente rouge des André, Candy, immobile, retient son souffle, le regard fixé sur la tribune. Albert la regarde avec anxiété.

Albert (avec insistance) : Candy, ça va aller ? Voulez-vous que je prenne votre place ?

Candy (reprenant le contrôle, sans regarder Albert) : Non, ça va. Ca fait deux ans, Albert. Nous pouvons nous voir en amis.

Albert met une main sur le bras de Candy puis la retire. Elle se retourne et lui sourit. Un sourire un peu forcé.

Lorsque Terry apparaît sur la tribune, on entend un murmure d’admiration. Grand, élancé, cheveux longs et veste trois-quarts ajoutent encore à son charisme naturel.

La foule applaudit. Il salue.

Eliza le rejoint et lui fait signe de prendre l’escalier au centre devant la tribune. Ils descendent. Les flashes crépitent.

De là où elle est, Candy ne voit pas Terry et Eliza. Elle voit juste la foule se fendre au fur et à mesure que le groupe approche.

Autour d’elle, des photographes ont posé leurs appareils et attendent fébrilement l’arrivée de Terry.

Voix de l’homme sur la tribune : M. Grandchester arrive maintenant à hauteur de la tente rouge.

Candy se raidit. Les objectifs sont maintenant tous tournés vers sa fine silhouette.

Voix de l’homme sur la tribune : Il va remettre son don à une jeune femme qui nous fait l’honneur de nous représenter aujourd’hui au travers de son illustre famille, Mademoiselle Candy André.

L’homme a prononcé ses mots au moment où Terry arrive enfin face à la tente rouge entouré d’Eliza et de Suzanne.

Son regard se lève sur Candy en même temps qu’il entend prononcé son nom.

Le temps se fige. La foule a disparu. Candy et Terry sont seuls dans le stade désert. Ils se regardent intensément.

Voix de Terry (off) : Candy …

Voix de Candy (off) : C’est vrai qu’il est pâle … et maigre … Ses yeux paraissent encore plus pénétrants …

Voix de Terry (off) : Tu es une femme maintenant, une très belle jeune femme … Et tu as gardé tes merveilleuses boucles blondes …

Un flash.

La foule est à nouveau là. Son bruit est assourdissant. Les flashs crépitent tandis que Terry, le regard toujours fixé sur Candy, sort une enveloppe de sa veste et la lui tend.

Suzanne et Eliza sont livides de part et d’autre de Terry.

Candy (mécanique, prenant l’enveloppe) : Monsieur, je vous remercie de votre don au nom des Etats-Unis d’Amérique. L’association créée par la famille André se chargera de l’utiliser pour le bien de nos soldats partis combattre en France.

Candy, la lettre à la main, le regard dans celui de Terry, reste interdite.

Albert s’approche d’elle, lui prend la lettre et la met dans le coffre-fort. Ce geste la ramène à la réalité. Impulsivement, elle prend le bras d’Albert et se place près de lui, regardant maintenant Terry avec un sourire amical de circonstance.

Le jeune homme leur fait un signe de tête, prend le bras de Suzanne et s’éloigne dans la foule.

Voix de l’homme sur la tribune : Nous allons maintenant passer à notre deuxième généreux donateur …

Le soleil est haut dans le ciel. La foule est toujours là. Des groupes se sont formés. Des buffets ont été dressés et les gens viennent s’y servir. La tribune est vide. Les généraux et leur garde rapprochée vont de groupes en groupes.

Un peu à l’écart, Eliza fulmine. Niel la rejoint avec un verre et une assiette de petits-fours.

Niel (lui tendant le verre) : Prends ça. Ca calmera tes nerfs.

Eliza : Il a fallu qu’elle soit là, que ça soit elle qui recueille les dons ! Les photographes n’avaient d’yeux que pour elle !

Niel : Il faut dire que, dans cette robe, elle est vraiment divine … Cette masse de cheveux avec cette taille fine …

Eliza (lui jetant le contenu de son verre à la figure) : Arrête ça ! Arrête ça tout de suite !

Niel (laissant tomber l’assiette et prenant sa sœur par le cou) : Tu dépasses les bornes, Eliza !

Elle lui prend les mains et le repousse rudement. Il manque de perdre l’équilibre. Elle le défie du regard puis fait volte face et disparaît dans la foule.

Sous la tente rouge, Candy reçoit maintenant des dons de toute part. Albert vient vers elle, suivi de près par Annie.

Albert (entre deux donateurs) : Candy, laissez-moi vous remplacer maintenant. Allez manger quelque chose.

Annie : C’est moi qui vais la remplacer. Emmenez là jusqu’au buffet.

Candy : Tout va bien. Je ne suis pas encore épuisée.

Annie (prenant sa place et poussant gentiment son amie) : Allez, allez.

Candy se laisse entraîner par Albert jusqu’aux gradins où des petits groupes éparts se sont réfugiés pour avoir de l’ombre.

Albert : Asseyez-vous là. Je vais vous chercher quelque chose.

Candy : Mais je peux …

Albert : Non, non. Reposez-vous un moment.

Il tourne les talons pour aller vers le buffet puis change d’idée et revient sur ses pas.

Albert : Candy, je voudrais vous redire à quel point je suis désolé …

Candy : Vous n’y êtes pour rien. Et je vous ai dis que ça n’avait pas d’importance …

Albert : Ne me racontez pas d’histoire, Candy, pas à moi. J’étais aux premières loges. Vous ne pouviez plus détacher vos yeux des siens. Et croyez-moi, j’aurais vraiment voulu qu’il en soit autrement.

Candy (véhémente) : On est toujours troublé de revoir quelqu’un qu’on a aimé. Ca ne veut rien dire ! Je vous ai dit tout à l’heure et je vous répète que c’est de l’histoire ancienne. (se radoucissant et regardant Albert dans les yeux) n’en parlons plus, voulez-vous.

Albert (à demi convaincu) : Comme vous voudrez.

Il laisse Candy et part vers le buffet.

Candy monte quelques rangées de gradins avant de s’asseoir. Elle contemple un moment la foule au loin sur la pelouse lorsqu’elle entend des pas derrière elle. Elle sursaute légèrement et se retourne pour découvrir Terry debout derrière elle, deux verres à la main.

Terry : Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur. (lui tendant un des verres) Est-ce que tu veux boire quelque chose ?

Candy (prenant le verre) : Merci.

Elle porte le verre à ses lèvres, boit une gorgée et le pose à côté d’elle sur le gradin. Il descend sur sa rangée mais reste debout à un ou deux mètres d’elle.

Terry : Tu as l’air bien.

Candy (un peu trop enjouée) : Très bien. Je …

Terry (abrupte) : Tu vas épouser Albert.

Candy : D’où sors-tu ça ?

Terry : Je le sais, c’est tout.

Candy (comprenant) : Ah, Eliza, bien sûr.

Terry (regardant son verre) : C’est une très bonne nouvelle. Tu ne pouvais pas trouver mieux.

Candy : Ca, c’est vrai. Albert est vraiment le meilleur des hommes.

Terry avale une gorgée.

Terry (la regardant) : Une fois mariée, tu n’auras plus aucun souci à te faire. Tu pourras rester chez toi et t’occuper de tes enfants.

Candy (croisant son regard) : Qu’est-ce qui te fait croire que je veux rester chez moi et m’occuper de mes enfants ?

Terry : C’est ce que ferait n’importe quelle femme du monde.

Candy (se levant, lui faisant face) : Mais pas moi. J’ai un métier que j’adore et que j’ai l’intention de continuer à exercer.

Terry (riant) : Ca m’étonnerait que l’honorable famille André partage tes idées du mariage et de la maternité !

Candy : Oh Terrence Grandchester. Tu es toujours aussi impossible !

Terry : Et toi, toujours aussi soupe au lait !

Candy : Je préfère partir avant d’en venir aux mains !

Elle se met à descendre les gradins.

Candy (se retournant et lui adressant un clin d’oeil dénué de toute rancune) : Bonne après-midi !

Terry (doucement) : A toi aussi …

Il la regarde s’éloigner sur la pelouse. Elle aperçoit Albert et court vers lui. Terry termine son verre d’un seul trait.

Assise sur une chaise à l’abri d’une tente bleue, sa canne posée par terre, Suzanne regarde la scène de loin. Son joli visage triste encadré de cheveux blonds longs et lisses lui donne vraiment l’air d’une madone.

Eliza s’approche et s’assoit sur une chaise à côté d’elle. Elle a abandonné la robe rouge pour une verte plus discrète mais tout aussi sophistiquée.

Eliza (regardant Terry qui descend maintenant des gradins) : Ca a toujours été une petite intrigante.

Suzanne : Je n’avais pas cette impression.

Eliza : Oh ça, elle sait s’y prendre pour tromper tout le monde.

Suzanne : Je ne la connais pas bien mais j’avais au contraire l’image de quelqu’un de très droit.

Eliza (que ce discours agace) : Peu importe. En tout cas, elle nous quitte bientôt. Elle part pour la France soigner nos soldats.

Suzanne : Je sais …

Eliza : Vous savez … Et Terry ? Il le sait ?

Suzanne (assez bas) : Non.

Eliza : Je vous conseille vivement de continuer à vous taire. Le prochain bateau emmenant des unités médicales part pour la France d’ici deux semaines. Avec un peu de chance, elle sera dedans.

Suzanne ose à peine soutenir le regard d’Eliza. C’est avec soulagement qu’elle voit arriver le Dr Keller.

Suzanne (alors qu’il est encore à quelques mètres) : Bonjour Dr Keller !

Le jeune homme, d’une élégance discrète, salue les deux femmes.

Dr Keller (à Suzanne) : On m’a dit que je vous trouverais là.

Suzanne (à Eliza) : Melle Legrand, je vous présente le Dr Keller. Il travaille à l’hôpital Jacob et c’est mon médecin. Docteur, vous avez sûrement vu Melle Legrand sur la tribune. Elle fait partie de la famille André et c’est une des organisatrices de ce meeting.

Dr Keller : Ah, vous êtes de la famille de Candy ?

Eliza : Candy est rentrée dans MA famille par adoption ! L’oncle William l’a sorti de l’orphelinat par grandeur d’âme.

Dr Keller : Ah … Je ne savais pas.

Eliza : D’où la connaissez-vous ?

Dr Keller : Elle travaille avec moi à l’hôpital.

Eliza (beaucoup plus aimable) : Vraiment ? Et qu’en pensez-vous ? Elle fera une bonne infirmière pour le front ?

Dr Keller : Très bonne. Elle a vraiment beaucoup de sang-froid.

Eliza (à Suzanne) : Vous voyez, ma chère, moi qui vous parlais de la chance. (se levant) Je dois vous laisser. A bientôt, profitez bien de cet après-midi.

Eliza se dirige rapidement vers un groupe de gens très bien habillés.

Dr Keller : Qu’est-ce qu’elle a voulu dire à propos de la chance ?

Suzanne (évitant son regard) : Je ne sais pas. Je n’ai pas bien compris non plus.

Elle voit que Terry vient vers elle et impulsivement, prend sa canne et se lève. En arrivant, le jeune acteur salue très brièvement le Dr Keller d’un signe de tête.

Terry : Si nous rentrions, Suzanne, j’ai encore du travail.

Suzanne : Comme tu veux. Je suis prête.

Il lui prend le bras et ils vont en direction de la sortie. Au passage, Suzanne fait un signe d’adieu au Docteur.

Terry rentre dans son appartement et jette sa veste sur une chaise.

Il s’assoit sur son lit, attrape le texte d’Hamlet posé sur l’oreiller et commence à lire.

Brusquement, ses yeux ne suivent plus le texte. Il laisse tomber le livre par terre et met la tête dans ses mains.

Archibald, Annie et Albert déposent Candy devant l’hôpital Jacob.

Candy (souriante et enjouée) : Merci de m’avoir raccompagnée ! A bientôt.

Elle s’éloigne en leur faisant des au revoirs.

Annie : Vous croyez qu’elle va bien ?

Archibald : C’est difficile à savoir …

Albert soupire, remet le moteur en route et démarre.

Candy entre dans sa chambre. Elle ouvre le placard, sort son habit d’infirmière et le pose sur le lit.

Elle va au lavabo et se passe de l’eau sur le visage.

Elle retourne vers le lit, se baisse pour attraper son habit puis brusquement, ne termine pas son geste et s’assoit sur le lit. Elle reste immobile une fraction de secondes puis s’affaisse et met sa tête dans ses mains.

 

© Edith 2006