Candy, la suite

par Edith

Chapitre 4

Engagez-vous !

 

New-York. Hôpital Jacob, soir. Candy, en robe de ville légère, étudie dans sa chambre. La pièce est simple, meublée d’un lit et d’un bureau. Elle est assise au bureau, une pile de feuilles sous les yeux.

Candy (fermant les yeux) : l’amputation des membres inférieurs nécessite une … un … (tapant ses poings contre son visage) Oh, Candy, tu n’es vraiment pas concentrée !

Elle repousse le paquet de feuilles et entend à nouveau en pensées les mots prononcés par Suzanne : « Je sais qu’il ne va pas bien. Pour moi, c’est du surmenage. Il travaille tout le temps. Il en oublie même de manger et de dormir. »

Candy : (secouant la tête) Il faut que je me sorte ça de la tête, il le faut.

On frappe à la porte.

Candy : Entrez.

Caroline (passant une tête dans la pièce) : Il y a plusieurs personnes qui te demandent. Ils sont en bas, à l’accueil.

Elle repart aussitôt sans laisser à Candy le temps de parler.

Candy (se levant) : Qui ça peut bien être ?

 

Candy descend l’escalier qui la mène à l’accueil de l’hôpital. En arrivant en bas, de loin, elle reconnaît Annie.

Candy : Annie …

Elle prend une grande bouffée d’air et, décidée, repart vers le hall d’accueil.

Quand Candy arrive dans le hall, elle se retrouve face à Annie, Archibald et Albert qui la regardent silencieusement.

Candy (allant vers eux) : Vous m’en voulez, n’est-ce pas ? Je sais que j’aurais du vous dire au revoir mais …

Archibald : Bien sûr qu’on t’en veut ! Comment as-tu pu ? Après …

Annie (se précipitant dans les bras de son amie) : Mais non, on ne t’en veut pas … (desserrant l’étreinte et prenant les mains de Candy) Mais c’est sûr, on est venu et on espère bien te faire changer d’avis.

Candy : Je vous demande pardon.

Archibald détourne les yeux et s’éloigne du groupe.

Annie : Ne t’inquiète. Ca va lui passer. S’il est là, tu sais, c’est qu’il a déjà pardonné.

Candy (regardant maintenant Albert) : Et vous Albert, vous allez aussi me gronder ?

Albert : Est-ce que je vous ai jamais grondée ?

Silence.

Candy : vous êtes tous là pour quelques jours, alors ?

Albert : oui. Je dois rencontrer des généraux européens qui parleront au grand meeting de recrutement de la semaine prochaine.

Candy : le fameux meeting d’Eliza !

Albert : J’y suis invité et vous pouvez m’y accompagner tous les trois.

Candy (riant) : Pour voir Eliza se pavaner sur la tribune ! Il n’en est pas question. Je serai bien plus utile ici.

Mme Duncan, l’infirmière en chef, apparaît dans le hall et s’approche du groupe.

Mme Duncan : Jeunes gens, vous ne pouvez pas rester ici pour bavarder.

Candy : Excusez-nous, madame, nous allons sortir dans le parc.

Mme Duncan s’éloigne, déjà préoccupée par d’autres tâches.

Albert : Candy, si vous n’êtes pas de service, nous pourrions tous aller dîner quelque part ?

Candy : Avec joie.

Devant le théâtre Stratford, le soir. A l’affiche, « La tempête » de William Shakespeare.

De nombreux spectateurs, élégants en habits et robes du soir, sortent du théâtre en discutant. Certains partent à pieds, profitant de la douceur du temps. D’autres montent dans des fiacres.

Dans une loge, assis devant la coiffeuse, Terry se démaquille après le spectacle. Il est encore en tenue de scène. Ses vêtements de ville sont posés sur un paravent. Le seul luxe de la pièce est un fauteuil placé à côté de la coiffeuse.

On frappe à la porte.

Terry : Entrez.

La porte s’ouvre et Terry aperçoit Eliza et Niel dans le miroir.

Terry (laissant tomber ce qu’il avait en mains et se retournant) : Eliza …

Eliza (entrant comme si elle était chez elle) : Tu as été magnifique ! Encore meilleur que dans Roméo.

Niel ferme la porte et reste à côté, adossé au mur.

Terry : Qu’est-ce que tu fais à New-York ?

Eliza : Toujours aussi direct. (Approchant son visage de celui de Terry) Tu sais que, sous le maquillage, tu as une mine de déterré ? Il faut te ménager, mon cher, sinon tu ne tiendras pas le coup jusqu’à la première d’Hamlet.

Terry : Je suppose que tu n’es pas venue pour parler de ma santé.

Eliza avise le fauteuil et s’y assoit.

Eliza : Tu dois savoir qu’un meeting se prépare pour encourager le recrutement. De grands généraux français et anglais seront là.

Terry (nullement impressionné, finissant de se démaquiller) : c’est dans tous les journaux.

Eliza : Je fais partie du comité d’organisation de cet événement au nom de la famille André.

Silence.

Terry : Et alors ? Je ne vois toujours pas ce que je viens faire là-dedans ?

Eliza : Nous avons sélectionné des personnalités parmi les plus en vues en ce moment. Nous leur proposons de venir parler pendant le meeting.

Terry (se tournant vers elle en éclatant d’un rire cinglant) : Tu comptes vraiment sur moi pour encourager des hommes à aller se faire tuer ?

Eliza : pour les encourager à défendre leur pays !! Tu n’es pas patriote ? Tu ne veux pas que l’Amérique sorte victorieuse de cette guerre ?

Terry : Ma conception du patriotisme est différente : y aller moi-même, pas y envoyer les autres !

Eliza : Tu ne penses quand même pas t’engager ?

Terry : Pourquoi pas ? Je ne vois pas ce qui te choque, tu viens de me dire que tu milites pour ça.

Eliza (perdant un peu pied) : bien sûr mais pas … pas pour des gens comme nous.

Terry (se retournant, menaçant) : Je ne sais pas ce qui me retient de vous fiche tous les deux dehors !

Niel (s’approchant de sa sœur) : Allons-nous en, Eliza ! On ne va se laisser insulter par ce …

Eliza se reprend et fait taire son frère d’un signe de la main.

Eliza : Si tu ne veux pas dire un mot pour encourager le recrutement, tu peux donner de l’argent pour aider les soldats. Ils ont besoin de vêtements, de nourriture et aussi de médicaments. L’argent ira aussi à la recherche pour le soin des amputés.

Silence.

Terry : Je n’aurai pas à parler ?

Eliza : non, juste te montrer sur la tribune et donner le chèque.

Terry : je vais réfléchir.

Eliza (se levant et tendant une carte à Terry) : quand tu seras décidé, envoie-moi un mot à cette adresse.

Il prend la carte et la pose devant lui sur la coiffeuse tandis qu’Eliza rejoint son frère près de la porte.

Eliza : Au fait, comment va ton amie Suzanne Marlow ? On dit que vous allez vous marier.

Terry : (sec) Elle va bien … (impulsivement) Et comment vont … vos cousins et Albert ?

Niel : Si tu veux parler de Candy, justement, elle est (Eliza écrase son pied sur celui de son frère) ... Ah !!

Terry (tendu) : Elle est quoi ?

Eliza : …

Terry (se levant) : Réponds, il lui est arrivé quelque chose ?

Eliza (se détendant) : de bonnes choses en fait. Elle devrait renoncer à son adoption pour épouser Albert.

Le visage de Terry reste une fraction de seconde sans expression puis un faible sourire apparaît.

Terry : C’est effectivement une très bonne nouvelle.

Fusillant sa sœur du regard, Niel ouvre la porte.

Eliza : (se retournant avant de sortir) Toi, en tout cas, tu as vraiment les traits tirés. Tu ne veux pas l’adresse d’un médecin ? J’en connais d’excellents.

(pas de réponse) Si tu changes d’avis, fais-moi signe.

Ils sortent, laissant Terry se rasseoir face au miroir « Une très bonne nouvelle … Elle doit être heureuse … C’est bien, c’est ce qu’il fallait … Alors pourquoi ça ne m’enlève pas ce poids que j’ai depuis des mois dans la poitrine ? … ».

Eliza et Niel, sombres et silencieux, sortent du théâtre. Un fiacre les attend.

Eliza (s’approchant du fiacre) : Il pense toujours à elle. Tu as vu la tête qu’il a fait quand je lui ai parlé du mariage.

Niel (ouvrant la porte du fiacre pour sa sœur) : Je n’ai jamais compris ce que tu pouvais trouver à ce prétentieux !

Eliza (montant) : Et toi, Qu’est-ce que tu lui trouve à elle ?

Niel se rembrunit et reste un instant sans bouger sur le trottoir. Puis, il monte dans le fiacre et claque la porte. Le fiacre démarre.

Parc de l’Hôpital Jacob, le matin. Candy, en tenue d’infirmière, regarde les gens qui rentrent par la grille principale. Albert apparaît et elle se précipite gaiement vers lui.

Albert : Merci de me consacrer votre pause.

Candy : c’est moi qui vous remercie de la partager avec moi.

Il lui prend le bras et ils marchent ensemble dans les allées du parc, croisant patients et personnel médical.

Albert : Candy, j’ai besoin de vous pendant ce meeting.

Candy : Albert, …

Albert : Je sais ce que vous allez dire mais attendez, j’ai un service à vous demander.

Candy : Bon, je vous écoute.

Albert : Ils veulent que les personnalités qui feront des dons me remettent publiquement leurs chèques. D’une part parce que la famille André va gérer l’utilisation de cet argent. D’autre part, il paraît que c’est symbolique parce que les André ont toujours soutenu les nobles causes et que je suis le chef de cette famille.

Candy : C’est logique, non ?

Albert : Vous m’imaginez recueillant des chèques, disant un mot de remerciement à chacun ?

Candy (riant à cette idée) : Pas vraiment mais vous n’avez pas le choix.

Albert : Je l’ai justement. J’ai proposé qu’une charmante jeune femme de la famille fasse ça à ma place. Ils ont trouvé l’idée excellente.

Candy : Vous plaisantez ?

Albert : Je n’ai jamais été plus sérieux. S’il vous plaît, Candy. Je serai à côté de vous.

Candy : Mais, je ne comprends pas, pourquoi pas Eliza ?

Albert : Parce qu’elle ne s’appelle pas André. C’est ce nom qu’ils veulent citer au moment où les gens apporteront leurs dons.

Candy : Je vois …

Albert : Il n’y a pas d’obligations, bien sûr, mais vous savez, ces dons sont importants. Ils permettront d’acheter beaucoup de choses, notamment des médicaments dont nos unités médicales ont un besoin constant sur place.

Candy reste un moment silencieuse après ce dernier argument.

Candy : Je vais y penser. (Puis faisant une grimace affreuse) Vous croyez vraiment que je suis la personne qu’il vous faut ?

Albert (riant) : Vu comme ça, je crois que, moi aussi, je vais y penser.

New-York. Madison Square Garden, fin de matinée. La pelouse est noire de monde. Les gens ont profité du soleil de début d’été pour sortir en tenues légères.

A une extrémité du stade, une tribune est dressée. Trois escaliers placés à droite, à gauche et au centre sur le devant permettent d’en descendre ou d’y monter.

Sur cette tribune, on aperçoit trois militaires visiblement très gradés portant des uniformes différents. A côté d’eux, deux messieurs dans la cinquantaine en habits. L’un d’eux s’apprête à parler. Un peu en retrait, au fond de la tribune, Eliza et Niel rongent leur frein. La jeune femme se voit de loin grâce à une robe rouge très sophistiquée, sans doute créée pour l’occasion.

Eliza : Si Albert n’était pas venu, c’est moi qui recueillerais les dons ! Au lieu de ça, nous faisons tapisserie au fond de la tribune.

Niel : Regarde les choses du bon côté. Tu seras sur la tribune avec les donateurs et tu les guideras jusqu’à la tente où Albert ne fera que leur prendre le bout de papier des mains.

Eliza (souriant à cette idée) : Tu as raison. Finalement, c’est moi qu’on verra le plus.

Niel : Tu vas les faire descendre par quel escalier ?

Eliza (montrant du doigt le haut d’une tente rouge à deux ou trois mètres sur la droite de la tribune) : C’est la tente rouge sur la droite mais on m’a dit de prendre l’escalier du milieu pour que ça soit plus visible pour les photographes.

La tente rouge est composée d’un toit en toile soutenu par quatre piquets en carré. D’un piquet à l’autre, des tables recouvertes du même tissu rouge. Une des tables est plus courte pour permettre d’entrer et sortir. Des petits drapeaux américains, français et anglais flottent un peu partout.

Un petit coffre fort est posé sur la table qui fait face à la tribune. La tente est particulièrement bien surveillée par des militaires en armes.

A l’intérieur, Candy regarde vers la tribune avec nervosité. Une robe mauve pâle, longue, serrée à la taille et légèrement décolletée révèle une silhouette des plus séduisantes. Albert, qui parle avec un militaire, lui jette de temps à autre des regards admiratifs.

Annie et Archibald traversent la foule, montrent un laissez-passer à un des militaires et rejoignent Candy sous la tente.

Annie : Candy, ne fais pas cette tête, ça va bien se passer.

Archibald : C’est toi qui le dis … Candy serait plus à l’aise si elle devait s’engager elle-même !

Candy (après une grimace à l’adresse d’Archibald) : Si ça n’était pas pour Albert, je vous jure que j’aurais refusé. Je suis tellement tendue que je n’arrive pas à retenir les trois mots que je dois prononcer quand ils me tendront leur don.

Annie (récitant) : « Monsieur, je vous remercie de votre don au nom des Etats-Unis d’Amérique. L’association créée par la famille André se chargera de l’utiliser pour le bien de nos soldats partis combattre en France. »

Candy : C’est toi qui devrais le faire ! Après tout, qui saura que tu n’es pas Candy André !

Albert (s’approchant du groupe) : Moi, je le saurai. Allons, Candy, …

La foule s’est tue.

Tout le monde est aux aguets sur la pelouse du Madison Square Garden. Sur la tribune, un des hommes en civile prend la parole.

L’homme sur la tribune : Je voudrais commencer par remercier à nouveau les généraux Américains, Anglais et Français qui ont pris la parole tout à l’heure.

Ovation. De la tribune, les hauts gradés saluent la foule.

L’homme sur la tribune : Nous allons maintenant accueillir ceux qui, par leurs dons, vont permettre à nos soldats de se battre dans les meilleures conditions possibles.

Sous la tente, Candy se place derrière la table qui fait face à la tribune. Albert est debout derrière elle. Annie et Archibald sont au fond, en retrait.

Voix de l’homme sur la tribune : Pour vous donner un exemple …

Albert (chuchotant) : vous ne m’en voulez pas trop ?

Candy : je vous dirai ça après.

Voix de l’homme sur la tribune : Notre premier invité est un jeune acteur extrêmement talentueux. Il a déjà interprété plusieurs rôles importants dans des pièces de Shakespeare. Je sais qu’il est très apprécié de ces dames.

Candy tend l’oreille, intriguée et inquiète.

Voix de l’homme sur la tribune : Beaucoup d’entre vous ont déjà deviné alors merci d’accueillir chaleureusement Terrence Grandchester.

Les applaudissements crépitent. Candy est blême. Annie fait un mouvement vers son amie mais Archibald la retient.

Albert (s’approchant de Candy, anxieux) : Candy, je suis désolé, je n’étais pas au courant.

Candy reste immobile et silencieuse, le regard tourné vers la tribune.

 

© Edith 2006