Candy, la suite

par Edith

Chapitre 3

Retourner à New-York

 

Dans le train entre Chicago et New-York. Fin de matinée. Candy et son groupe sont assis dans un wagon de 2nde classe bondé. La fatigue se fait sentir. Certains dorment. D’autres lisent ou laissent simplement leur esprit vagabondé.

C’est le cas de Candy. Ses yeux se promènent à l’intérieur du wagon mais son esprit est ailleurs : « La dernière fois que je suis partie pour New-York, j’étais impatiente, j’avais tellement d’espoirs. Et au retour … Terry … J’espère que tu as tenu ta promesse, que tu es heureux … Moi, j’ai remonté la pente. Mon travail me comble de joie. Et il y a Albert … Je ne suis pas encore tout à fait prête mais à mon retour, il faudra … »

Une voix bien connue de Candy (celle d’Eliza) : Tiens donc ! Une fille d’écurie dans le wagon à bestiaux !

Eliza, très élégante, se bouchant le nez comme si l’odeur était insupportable, se tient dans le couloir central du wagon. Juste derrière elle, Niel, mine tout aussi dégoûtée, évite le regard de Candy.

Eliza : Qu’est-ce que tu fais là ? Ton travail te permet de voyager ?

Caroline, assise à côté de Candy, regarde Eliza avec le plus profond mépris.

Caroline : Nous allons en formation à New-York avant de partir soigner les blessés sur le front.

Eliza : Vous allez partir en France ?

La conversation attire les regards des autres voyageurs. Candy remarque un couple de gens âgés essayant de se tenir debout juste derrière Eliza et Niel.

Candy (se levant dans l’idée de laisser sa place) : Et toi, Eliza, que fais-tu ici ?

Eliza : Moi aussi, je participe à l’effort de guerre. Je fais partie du comité d’organisation d’un grand meeting de recrutement qui aura lieu à New-York dans les prochaines semaines.

Candy : Et tu ne voyages pas en 1ère ?

Eliza : Bien sûr que si ! Mais ils ont eu l’idée saugrenue de placer le wagon restaurant à l’autre bout du train !

Candy (malicieuse) : Je suppose que vos deux sièges vont être libres pendant un bon moment.

Eliza : Euh … Oui.

Candy (assez fort) : Avec ton grand cœur, tu ne verras sans doute aucun inconvénient à ce que ces deux personnes (montrant le couple de gens âgés) occupent vos places pendant que vous mangez.

Eliza (crispée, regardant autour d’elle et réalisant que tout le monde écoute) : Mais … non, aucun inconvénient …

Elle passe devant Candy et avance dans le couloir suivie de son frère.

Candy : Eliza ! Tu as oublié de donner les numéros de vos places.

Eliza (à Niel) : Donne lui.

Niel tend les billets à Candy. Elle regarde les numéros puis les lui rend.

Eliza (à Niel qui range les billets) : elle me le paiera !

Ils quittent le wagon tandis que Candy s’apprête à conduire le couple en 1ère classe.

Le train Chicago – New-York arrive enfin en gare de New-York. Candy, Caroline et les autres descendent sur le quai. A quelques mètres, un soldat tient une pancarte « groupe Sainte Joanna ». Caroline entraîne tout le monde vers lui.

Caroline : Nous sommes le groupe de l’hôpital Sainte Joanna.

Le soldat : Très bien. Tout le monde est descendu du train ?

Un des médecins : Oui, oui, nous sommes tous là. Où va-t-on ?

Le soldat : A l’hôpital Jacob.

Candy : L’hôpital Jacob ! Mais ça n’est pas un hôpital militaire !

Le soldat : Depuis que la guerre est déclarée, l’armée a réquisitionné une aile du bâtiment. Suivez-moi, la voiture est à l’extérieur de la gare.

Tout le monde suit. Candy n’a pas l’air très bien. Dora, une petite infirmière boulotte et énergique, le remarque.

Dora : Ca va, Candy ?

Candy : oui …

Dora : J’ai entendu ce que tu as dit. Tu connais cet hôpital, tu y es déjà allée ?

Candy : C’est que … Il y a deux ans, j’y ai perdu un être cher.

Dora : Je comprends. Mais là, tu y vas en tant qu’infirmière, tu verras, ça sera différent.

Candy : Tu as raison, ça sera différent.

A l’extérieur de la gare, tout le monde grimpe dans la voiture militaire.

Candy aperçoit Eliza et Niel qui montent dans un fiacre.

New-York, Hôpital Jacob. Le groupe de l’hopital Sainte-Joanna est dans le bureau du Pr Boomann, directeur de l’hôpital Jacob. Le professeur est debout derrière son bureau. Très grand et mince, carré d’épaules, une épaisse chevelure grisonnante. Avant même d’avoir parlé, il impressionne physiquement. Le Dr Keller se tient derrière lui, un peu en retrait. A droite du bureau, un militaire visiblement gradé.

Pr Boomann : Bonjour à tous. Vous devez être fatigués, aussi, je ne vais pas vous prendre beaucoup de temps. Merci de votre engagement. Vous savez que vous allez rester ici un certain temps pour être formés. Vous aurez quelques cours théoriques. Pour la partie pratique, vous vous occuperez principalement de soldats rapatriés du front. Toutefois, certaines blessures par balles ou accidents de la vie civile sont similaires et vous permettront aussi de vous frotter à ce qui vous attend là-bas.

(se tournant vers le Dr Keller) Le Dr Keller va vous donner une affectation à chacun.

Est-ce que vous avez des questions ?

Candy lève la main.

Pr Boomann : oui.

Candy : Combien de temps va durer la formation ?

Pr Boomann : Très bonne question. La durée de votre formation sera variable selon l’impression que vous donnerez au Dr Keller, (désignant le militaire à sa gauche) au commandant Garford et à moi-même. Nous n’enverrons que du personnel aguerri. Vous comprenez ce que je veux dire !

Candy : Mais, monsieur, en général, combien de temps faut-il ?

Les autres la regardent sévèrement.

Pr Boomann (son regard semble transpercer Candy) : Vous êtes pressés ?

Candy : Euh … non monsieur.

Pr Boomann : avec le peu de recul que j’ai sur cette formation, au moins 1 mois. Au bout de 3 mois, ça n’est plus la peine d’insister.

Une autre question ?

(Silence)

Je vous remercie. Vous pouvez aller vous reposer.

Le Dr Keller fait signe au groupe de le suivre.

New-York. Hopital Jacob, le matin. Candy, Dora et le Dr Keller entrent dans une chambre avec un chariot contenant des bandes et des produits pharmaceutiques.

Le patient, un homme jeune, est allongé sur le lit. Son corps est caché par la couverture. Il a un pansement sur l’œil droit. Il a l’air prostré et regarde à peine les nouveaux arrivants.

Dr Keller : Bonjour Caporal Parker. Comment allez-vous ce matin ?

Le Caporal ne réagit pas.

Dr Keller : Je vous présente Candy André et Dora O’Sullivan qui vont s’occuper de vous à partir d’aujourd’hui. Je vais d’abord regarder l’état de vos blessures puis elles changeront vos pansements.

Le Dr Keller soulève doucement la couverture. Le visage de Candy trésaille tandis que Dora devient livide.

Candy et Dora sortent de la chambre du Caporal Parker. Dora pousse le chariot. Elles avancent silencieusement dans le couloir jusqu’à la chambre suivante.

Dora arrête le chariot tandis que Candy s’apprête à frapper à la porte.

Dora : Oh Candy. Je croyais m’être préparée … Mais un garçon de 20 ans avec un bras, une jambe et un œil en moins … Je ne sais pas si je peux m’habituer à ça.

Toi, tu avais l’air si calme. Tu arrivais même à lui parler. Je crois que tu as impressionné le Dr Keller.

Candy : Je ne sais pas. En réalité, j’étais comme toi … (avant de frapper à la porte) Prête ?

Dora : Prête.

Candy frappe à la porte. Elles attendent quelques secondes puis entrent dans la chambre.

Chicago. Demeure des André, l’après-midi. Albert est dans son bureau quand Annie et Archibald entrent en trombe, chacun une lettre à la main.

Annie : Albert, c’est affreux. Nous venons de recevoir une lettre de …

Albert (soulevant une lettre posée sur son bureau) : moi aussi.

Archibald (frappant des poings sur le bureau) : Comment a-t-elle pu ? Après le discours qu’elle m’a tenu ! Et comme Alistair, sans rien dire à personne.

Albert (les yeux dans le vague) : Qu’aurions-nous fait si elle en avait parlé ?

Annie : Nous l’aurions empêchée de partir, voilà ce que nous aurions fait !

Albert : c’est bien pour ça qu’elle n’a rien dit.

Annie : Elle parle dans sa lettre d’une formation de quelques semaines à Washington, Philadelphie ou New York. On a peut-être le temps de la trouver et d’aller la chercher.

Albert : Peut-être … Mais ça n’est pas ce qu’elle veut.

Archibald : Parce que tu penses qu’il faut tenir compte de ce qu’elle veut !

Annie : Albert, je t’en prie. Si tu lui dis à quel point tu … tiens à elle, ça la fera sûrement revenir.

Silence.

Albert (sans regarder les autres) : Je crois qu’elle sait à quel point je tiens à elle et ça ne l’a pas empêchée de partir.

Annie : … Mais toi, Albert, si tu avais pu partir comme volontaire, est-ce que tu serais resté pour elle ?

Albert : (silence - Annie marque un point) J’ai eu sa lettre ce matin et je me suis renseigné. Elle est à New-York. Je dois y aller de toute façon pour rencontrer un général européen qui sera là-bas pour un meeting de recrutement.

Annie : Je voudrais venir avec toi.

Archibald : moi aussi.

Albert (les regardant l’un après l’autre) : Si vous voulez.

New-York. Hôpital Jacob. Candy est dans une chambre avec Mme Duncan, l’infirmière en chef. Mme Duncan nettoie une plaie sur le bras du patient, un jeune homme dans sa vingtaine assis sur le lit, tandis que Candy lui tend les instruments posés sur un chariot roulant.

Mme Duncan : Vous voyez, Candy, comment il faut faire pour ce genre de plaies. Donnez-moi une bande.

Candy cherche une bande sur le chariot mais n’en trouve qu’un petit morceau.

Candy : il ne reste que ça.

Mme Duncan : Melle André, c’est de votre responsabilité de vérifier que ce chariot est complet ! (lui tendant une clé) Je vais me débrouiller avec ça mais allez tout de suite chercher ce qui manque à la pharmacie. Vous savez où c’est ?

Candy (ouvrant la porte) : à côté du bureau du Dr Keller.

Mme Duncan : c’est ça. Candy, où avez-vous la tête ? Prenez le chariot !

Candy (revenant sur ses pas) : Oui, Madame.

Candy prend le chariot et sort de la pièce.

Poussant le chariot dans le couloir, elle passe devant une porte dont la plaque indique « Dr Keller » puis s’arrête à la porte suivante marquée « pharmacie ». Elle prend une notice et un crayon accrochés au chariot et consigne les éléments manquants. Puis, elle tourne la clé dans la serrure et entre avec la notice, laissant le chariot dans le couloir.

La pharmacie est une grande pièce remplie d’armoires. Au milieu, une table. Une fenêtre donne sur l’extérieur et une autre, voilée par un rideau et très légèrement entrebâillée, donne directement dans le bureau du Dr Keller.

Sur chaque armoire, est étiqueté son contenu. Candy pose la notice sur la table et commence à chercher les produits quand elle entend la porte du bureau du Dr Keller s’ouvrir.

Voix du Dr Keller (refermant la porte) : Entrez. Asseyez-vous.

Le patient marche visiblement avec une canne. Il s’assoit et le Dr Keller s’assoit à son bureau.

De son côté, Candy, une bouteille et deux boîtes dans les mains, continue son travail.

Voix du Dr Keller : Je vous écoute.

Voix de femme (celle de Suzanne) : Comme je vous le disais, il refuse toujours de faire quoique ce soit. Pourtant, je sais qu’il ne va pas bien. Pour moi, c’est du surmenage. Il travaille tout le temps. Il en oublie même de manger et de dormir.

Candy s’arrête « Cette voix … Je connais cette voix … ».

Voix du Dr Keller (prenant des gants): Vous êtes sûre que vous ne prenez pas le problème à l’envers ?

Voix de Suzanne : Comment ça ?

Voix du Dr Keller : les symptômes que vous décrivez pourraient tous découler d’une dépression …

Voix de Suzanne : Une dépression ? Mais pourquoi aurait-il une dépression ?

Voix du Dr Keller (dans ses petits souliers) : Je ne sais pas. C’est juste … une possibilité. De toute façon, je vous l’ai dit, si M. Grandchester ne vient pas me voir lui-même, je ne peux vraiment rien faire.

En entendant ces mots, Candy est sous le choc « Suzanne … C’est Suzanne… Elle parle de Terry ». Elle en laisse tomber à grand bruit tous les produits qu’elle tenait dans ses mains.

Dans la pièce voisine, la conversation a stoppé nette. Le Dr Keller se lève et ouvre la fenêtre pour découvrir Candy, debout, la bouteille cassée à ses pieds et les boîtes nageant dans le liquide répandu.

Dr Keller : Candy, qu’est-ce qui vous arrive ?

Candy : Je vous demande pardon. J’étais en train de réunir des produits et la bouteille m’a échappé. Je vais … Je vais nettoyer.

Candy s’agenouille et commence à ramasser les boîtes qu’elle met dans la poubelle.

Suzanne s’est levé et son visage blême apparaît dans l’encadrement de la fenêtre derrière le Dr Keller.

Suzanne : Candy ! Qu’est-ce que … vous faîtes à New-York ?

Candy (levant la tête) : Bonjour Suzanne.

Dr Keller : Vous vous connaissez ? (à Suzanne) Candy est là pour une formation militaire. Elle va partir soigner les blessés sur le front dans quelques semaines.

Suzanne : sur le front …

Dr Keller : Melle Marlow, je suis désolé mais j’ai des patients qui m’attendent. Est-ce que je peux vous raccompagner ?

Suzanne : Non merci. Si vous le permettez, je vais dire quelques mots à Candy.

Dr Keller : Bien sûr. Je vous demanderais de l’attendre dans le couloir. Le règlement intérieur m’interdit de laisser un patient seul dans ce bureau.

Suzanne : Très bien.

Suzanne est dans le couloir près du chariot. Des pensées l’agitent « Est-ce que Candy a entendu ma conversation avec le docteur ? Est-ce qu’elle a tiré un trait sur Terry ? Quand le docteur l’a surprise, elle avait l’air troublée.».

La porte s’ouvre et Candy sort de la pharmacie avec les produits qu’elle était venue chercher. Elle semble sereine.

Candy (posant les produits à leur place sur le chariot) : Je suis contente de voir que vous allez mieux.

Suzanne : Merci. Vous aussi, vous avez l’air bien.

Candy : Mais oui, je vais bien …

Suzanne : … Candy, vous n’avez pas l’intention de le revoir, n’est-ce pas ?

Candy : vous voulez dire, Terry ? (Suzanne acquiesce) … Non, je ne pensais pas le faire.

Suzanne : Promettez-moi de ne pas chercher à le voir ! Promettez le moi !

Candy : Mais … Pourquoi insistez-vous autant ? Nous ne nous sommes pas revus depuis deux ans. Chacun a fait son chemin. Si nous nous revoyions, ça serait en amis.

Suzanne : Je vous crois mais … c’est gênant pour moi. Je …

Candy : Je ne vois aucune raison pour que nous nous revoyions. Je suis ici de passage, le Dr Keller vous l’a dit, uniquement pour mon travail … (mettant les mains sur les poignées du chariot) Maintenant, Suzanne, je vous prie de m’excuser. Ca n’est pas l’heure de ma pause et …

Suzanne : (s’écartant) : Bien sûr. Au revoir, Candy.

Candy : Au revoir.

En s’éloignant, Candy sent le regard de Suzanne pesé sur elle. Ca n’est que quand elle passe le coin, hors de vue, que ses épaules s’affaissent légèrement « Pourquoi Suzanne est-elle si peu sûre d’elle ? Et Terry, est-ce qu’il est malade ou juste fatigué ? … Pourquoi est-ce que je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter ? Ca ne me regarde pas … Ca ne me regarde plus … ».

Fin du chapitre 3

© Edith 2006