Candy, la suite

par Edith

Chapitre 2

Suivre l’exemple d’Alistair

 Chicago. Hôpital Sainte-Joanna. Candy est dans une chambre d’enfants. Elle met des thermomètres dans la bouche de quatre petits malades.

 Candy (mettant un à un les thermomètres) : un pour Jim, un pour Clara, un pour Sally et le dernier pour ma petite Mélanie. Voilà, il y en a pour 5 min. En attendant, voulez-vous que je vous raconte une histoire ?

Les enfants (en chœur) : Mmh !!

Candy (malicieuse) : Attention, n’ouvrez pas la bouche ! C’est l’histoire d’un petit ours qui aimait énormément le miel. Il l’aimait tellement qu …

 On frappe. La porte s’ouvre et l’infirmière Catherine apparaît dans l’entrebâillement.

 Catherine (l’air un peu affolée) : Candy, je peux te parler … dans le couloir.

Candy (se levant, avec un clignement d’œil aux enfants) : je compte sur vous, vous n’ouvrez pas la bouche. Je reviens dans une minute.

 Elle rejoint Catherine dans le couloir, laissant la porte très légèrement entrebâillée.

Catherine (agitée) : Quand tu auras fini, le Dr Mayer voudrait te voir à propos du patient du 106 …

Candy : C’est ça qui te met dans cet état ?

Catherine (baissant les yeux) : On vient de recevoir des nouvelles des unités médicales du front. Ils ont besoin de monde, Candy, de beaucoup de monde. (Une larme coule sur une de ses joues) Si tu voyais le nombre de morts parmi les médecins et les infirmières …

Candy (fermant complètement la porte et prenant la main de sa collègue) : Catherine … Si tu veux, fais une pause, je vais m’occuper de tes patients.

Catherine (essuyant ses joues) : Non, non. Pas question. Je vais me reprendre. J’y vais.

 Candy la regarde s’éloigner et retourne dans la chambre.

Quand elle entre, les enfants ont toujours le thermomètre dans la bouche mais ils font tous triste mine.

Candy (faisant comme si de rien n’était, retirant les thermomètres et les regardant un à un) : Je crois que c’est bon, maintenant. C’est magnifique, personne n’a de fièvre. (voyant que la mine des enfants ne s’améliore pas) Eh bien, ne faites pas ces têtes. Je vous la raconterai la prochaine fois, l’histoire du petit ours.

Jim : C’est pas ça Candy mais … Catherine, on l’a un peu entendue ... (contenant un sanglot) Vous n’allez pas tous mourir à la guerre.

Candy : Mais non. Déjà, tout le monde ne va pas partir. Il en restera beaucoup pour s’occuper de vous.

Clara : Mais vous, Candy, vous n’allez pas partir ?

Candy : Je ne sais pas Clara. Mais il ne faut pas vous tracasser pour ça. (Avec une grimace qui fait sourire les enfants) Je suis une dure à cuire, moi !

(Ouvrant la porte) Je dois vous laisser maintenant. Je repasserai tout à l’heure.

 Candy sort de la chambre, avance dans le couloir puis descend les escaliers. Elle revoit le visage d’Alistair : « Alistair … Comment as-tu fait pour prendre une décision pareille … Je voudrais tellement que tu sois encore là. »

 Des cris venant d’en bas la tirent de ses pensées. Elle descend les escaliers à la hâte.

En bas, dans le couloir, deux infirmières et un médecin essayent de maîtriser une femme d’une trentaine d’années en pleine crise de nerfs. Ses cheveux débordent de son chignon et le tablier qu’elle porte pend attaché uniquement à son cou.

 Mme Thomson : Rendez-moi mon mari ! Rendez-le moi.

Le médecin (voyant Candy) : Candy, venez. Vous allez me remplacez. Je vais chercher un sédatif.

Candy (attrapant un bras de la dame) : Venez, Madame, venez vous asseoir.

Mme Thomson (se débattant tant et plus) : Lâchez-moi ! Il faut … Il faut que je vois mon mari.

 Candy et ses collègues ont beaucoup de mal à maîtriser la femme. Le médecin revient alors avec une seringue. Il fait signes aux infirmières d’allonger le bras de la patiente. Profitant d’une accalmie, il fait la piqûre. Sous l’effet de la surprise, Mme Thomson se calme brutalement puis se frotte le bras.

 Le médecin : elle va se sentir mieux dans 5 min. Je vous laisse vous en occuper.

Candy (entraînant le groupe vers une salle d’examen voisine et poussant doucement la femme dans un fauteuil) : Asseyez-vous, Madame.

Mme Thomson (comme si elle se réveillait d’un cauchemar) : Où suis-je ? Qu’est-ce qui se passe ?

Candy va chercher un verre d’eau.

 Candy : vous êtes à l’hôpital, madame. (s’agenouillant devant la femme) Tenez, buvez.

Mme Thomson (le verre à la main) : Mais qu’est-ce qui m’est arrivée ?

Une des infirmières : on vous a emmené ici parce que vous avez fait une crise de nerf sur votre lieu de travail.

L’autre infirmière : vous parliez de votre mari.

Mme Thomson (les souvenirs lui revenant) : Mon mari … Mon mari …

 Mme Thomson laisse tomber le verre et éclate en sanglots.

 Candy : il est arrivé quelque chose à votre mari ?

Mme Thomson (redoublant de sanglots) : Il est là-bas, en France. On m’a dit qu’il est blessé, peut-être mort. Et rien de plus. C’est ça … c’est ça que je dois dire à ma petite fille ? Ton papa est peut-être mort …

Candy : Madame, peut-être … que je peux avoir des informations. Je connais quelqu’un qui a des relations …

Mme Thomson : Oh merci Mademoiselle … Si vous pouviez …

Candy : Dites-moi comment il s’appelle, je vais faire mon possible.

New-York. Hôpital Jacob. La salle d’attente des consultations est pleine à craquer. Terry, une casquette sur la tête, debout près de la baie vitrée, tapotent nerveusement une de ses mains avec le livre qu’il tient dans l’autre.

Suzanne apparaît debout, canne à la main, dans le couloir, accompagnée du Dr Keller. Terry l’aperçoit. Il esquisse un « Ah » silencieux, met le livre dans une poche et se dirige rapidement vers eux.

 Terry (contenant son impatience de partir) : Tout s’est bien passé ?

Dr Keller : Très bien. D’après moi, elle va bientôt retrouver un rythme de marche quasiment normal … Je lui disais d’ailleurs qu’on pourrait faire quelque chose pour améliorer vraiment …

Suzanne : Docteur, je préfère qu’on ne parle pas de …

Terry (oubliant complètement son envie de quitter les lieux et ignorant les paroles de Suzanne) : Qu’est-ce qu’on pourrait faire ?

Dr Keller (regardant Suzanne) : C’est-à-dire, c’est encore assez cher …

Terry (avec fougue) : Suzanne, tu sais bien que l’argent ne compte pas. Si ça peut t’aider à marcher, je suis prêt à tout.

Suzanne (avec retenue) : le Dr Keller m’a parlé d’un nouveau genre de prothèses, en partie en aluminium. Il paraît que c’est beaucoup plus léger.

Terry (au médecin) : Il n’y a pas à hésiter. Faites ce qu’il faut.

Dr Keller (visiblement satisfait) : Très bien. Je connais justement un spécialiste. Je vais le contacter et voir s’il peut être là à notre prochain rendez-vous.

Terry : Merci … (prenant le bras de Suzanne) Il faut y aller, maintenant.

Dr Keller (à Terry) : Attendez, je ne vous ai pas encore vu.

Terry : Comment ça, vous ne m’avez pas vu ?

Suzanne : Terry, je me suis permis de prendre rendez-vous pour toi aussi. Je me suis dit que, puisqu’on …

Terry (s’écartant d’elle, glacial) : Je ne t’ai rien demandé. Et pour la dernière fois, je t’ordonne de me foutre la paix avec ça.

 Sans attendre que Suzanne se reprenne, Terry les plante là et s’éloigne rapidement vers la sortie.

 Dr Keller (regardant Suzanne avec compassion) : Venez, je vais vous trouver un fiacre.

Suzanne : Ne jugez pas Terry … Il est …

Dr Keller (lui prenant le bras) : Bien sûr …

 

Une fois sorti de l’hôpital, Terry continue à marcher vite, droit devant lui, les poings serrés, les yeux fixés sur le pavé. Il parcourt quelques rues sans même faire attention au chemin qu’il emprunte.

 Arrivé au niveau d’un pont, il semble réaliser qu’il s’est éloigné de son objectif. Il ralentit le pas, hésite puis s’engage finalement sur le pont. A peu près au milieu, il s’arrête contre la rambarde et reste là, à regarder l’eau. Il la regarde de plus en plus intensément à tel point que son corps s’incline par-dessus la rambarde.

 Un homme d’un certain âge, bien habillé, s’approche de lui.

 L’homme : Tout va bien ?

Terry (après un léger sursaut, toisant l’homme) : Mêlez-vous de ce qui vous regarde !

L’homme : Jeune homme, je vous trouve bien mal élevé. Laissez-moi vous dire que, de mon temps …

Terry (reprenant tranquillement sa marche et faisant un signe de la main sans se retourner) : Allez vous faire voir, vieux schnock !

 Le monsieur le regarde partir, outré.

 

Chicago, soir. Candy est dans sa cuisine. Elle ouvre un placard, un autre. Ils sont quasiment vides.

 On frappe à la porte. C’est Albert, chargé d’un sac de provisions.

 Candy : Oh, Albert ! Comment avez-vous deviné que je n’ai plus rien à manger ?

Albert : Vous oubliez que j’ai vécu ici pendant un certain temps. Et je n’ai pas oublié vos talents pour les courses et la cuisine …

Candy (faussement susceptible, s’écartant pour le laisser passer) : Je ne vois pas du tout ce que vous voulez dire.

 Albert va directement dans la cuisine et range ce qu’il a apporté.

 Candy : Dites-donc, il y en a pour un régiment. On ne va pas tout avaler ce soir.

Albert : Je me suis dit que vous auriez un peu de provisions pour la semaine.

Candy : Vous êtes une vraie mère pour moi !

 Albert met une casserole sur le feu, prend quelques pommes de terre, s’assoit et se met à les éplucher. Son esprit vagabonde « Candy, si vous pouviez me voir autrement que comme un grand frère … ».

 Candy : Eh bien, Albert, vous rêvez ?

Albert : Candy, vous vous souvenez de ce que vous m’avez demandé ? A propos de cette femme, Mme Thomson.

Candy (s’asseyant à côté de lui) : Vous avez des nouvelles ?

Albert : Malheureusement, de biens mauvaises nouvelles. (s’arrêtant d’éplucher) Il était blessé gravement et il est mort, faute de soins.

Candy : Fautes de soins ?

Albert : l’unité médicale la plus proche était à plusieurs kilomètres.

Candy : Mon Dieu … Je ne peux pas dire ça à cette pauvre femme.

Albert : Vous ne devez pas lui dire ça. Dites seulement qu’il est mort, qu’elle sache. (mettant sa main sur celle de Candy) C’est la guerre, Candy. Des choses comme celle-là arrivent tous les jours.

Candy : Merci, Albert. Comme toujours, vous êtes là et vous savez trouver les mots.

 Albert la regarde et ses pensées  s’envolent à nouveau « Je voudrais tellement faire plus … ».

 

Candy est maintenant seule dans l’appartement, en vêtements de nuit. Elle éteint les lumières et s’assoit sur son lit « Ma petite Candy, ta décision est prise. Il n’y a pas à hésiter ».

 

Gare de Chicago. A l’aube, une dizaine de femmes et deux hommes attendent près des guichets à côté de leurs paquets.

Candy, valise dans une main, un paquet d’enveloppes dans l’autre, les rejoint en courant.

 

Candy (haletante) : Vous n’avez pas vu une boîte aux lettres ?

 Caroline, petite et menue, cheveux impeccablement tenues dans une natte, yeux bleues perçants, jette un coup d’œil entendu à sa voisine.

 Caroline : Candy neige André, en retard et toujours prête à te faire remarquer.

Candy : pas du tout. Il y avait un accident et mon fiacre a du patienter 1/4h.

Caroline : Mm … (montrant du doigt une boîte aux lettres) Là.

 Candy court mettre ses lettres dans la boîte.

 Candy (postant les lettres une à une) : Annie, Archibald, Albert, ne m’en veuillez pas.

 Elle revient vers le groupe.

 Candy : Vous savez où on va ?

Caroline : Un groupe est déjà parti pour Washington. On attend le coordinateur militaire. Il ne va pas tarder à nous dire si, pour nous,  c’est New-York ou Philadelphie.

Candy (pour elle-même) : Si c’est New-York, c’est New-York. Ca n’est qu’une ville, après tout, pas de quoi en faire tout un plat…

Caroline : Tu dis quelque chose ?

Candy (sourire un peu gêné) : Non …

Une infirmière : Voilà le coordinateur, on va enfin bouger.

 Un homme grand et musclé en uniforme militaire s’approche du groupe.

 Le coordinateur : Ramassez vos valises, vous prenez le train pour New-York dans  5 min. Et c’est voie 1, à l’autre bout !

 Tandis que tout le groupe bouge, Candy est la seule immobile, sa valise à côté d’elle. Le coordinateur la regarde.

 Le coordinateur : Mademoiselle ! Mademoiselle !

Candy (sursautant) : Oui ?

Le coordinateur : Vous ne partez plus ?

Candy (regardant autour d’elle et réalisant qu’elle est maintenant seule) : Si, pardon … Bien sûr que si.

 Elle attrape ses affaires et se met à courir vers le groupe.

Fin du chapitre 2

© Edith 2006