Candy, la suite

par Edith

 

1- C’est la guerre

 Chicago, 6 Avril 1917. Hôpital Sainte Joanna, l’après-midi. Dans une chambre, Candy prend le pou d’un patient endormi. A 19 ans, elle a abandonné les couettes de son enfance pour un serre-tête brun d’où s’échappent ses épaisses boucles blondes. L’adolescente a laissé place à une jeune femme très séduisante. Brusquement, des cris venant du dehors puis du couloir.

Le patient (ouvrant les yeux en sursaut) : Qu’est-ce … Qu’est-ce que c’est ?

Candy (posant une main apaisante sur son front) : chut … Ne vous inquiétez pas … Reposez-vous.

 L’homme referme les yeux. Candy attend quelques secondes puis sort de la chambre.

 Dans le couloir, un attroupement d’infirmières et de médecins. D’autres courent en tous sens. Candy intercepte une infirmière.

 Candy : Alice, qu’est-ce qui se passe ?

Alice (sans s’arrêter vraiment) : C’est la guerre Candy ! L’Amérique est en guerre.

 Candy est glacée : « La guerre … Ca y est, elle est là … Elle a déjà pris Alistair et maintenant … Il ne faut pas ! Arrête ça tout de suite ! Tu as des patients que tu ne dois pas inquiéter ! »

 Elle prend sa respiration, plaque un sourire sur son visage et entre dans une autre chambre.

 Le soleil est en train de se coucher. Candy sort de l’hôpital. Dans la rue, elle croise un petit marchand de journaux.

 Marchand de journaux : La guerre est déclarée ! L’armée recrute des volontaires !

 Candy échange un journal contre une pièce de monnaie puis poursuit son chemin en lisant. 

 New-York. Au Théâtre Strasford, c’est une après-midi de répétition. Terry, les trais tirés, est en vêtements de ville au centre de la scène. Cheveux longs, veste trois quart. Trois ans passés en Amérique ne lui ont pas fait perdre son allure aristocratique. Autour de lui, une dizaine d’acteurs et actrices.

Le metteur en scène les observe assis dans la salle.

 Terry : il faut la reprendre. Horatio, tu m’as encore coupé trop tôt !

James (Horatio dans la pièce) : Stop ! Tu nous as déjà épuisé hier jusqu’à 2h du matin. Ca ne va pas recommencer !

Terry : si tu veux des horaires fixes, fais un autre métier !

James : Mais il m’insulte !

Le metteur en scène (très fort) : Suffit ! On va …

Un homme (entrant en courant) : La guerre est déclarée, la guerre est déclarée !

 Silence.

 Le metteur en scène : on va s’arrêter là pour aujourd’hui. Que tout le monde se repose. C’est valable pour toi aussi, Terry.

 Les acteurs repartent en coulisses.

 James (en passant devant Terry) : Tu avais déjà la grosse tête avant alors maintenant que tu vas être Hamlet, tu te prends pour le patron. Mais ici, on n’est pas tes larbins, on …

Karen (entraînant James par le bras) : Laisse tomber, James. On est tous fatigués …

 Terry les regarde partir sans broncher. 

 Chicago. Candy arrive devant la maison où elle habite depuis qu’elle y a soigné Albert.

Annie est assise sur les marches devant la maison, la tête dans ses mains.

 Candy (se précipitant vers son amie) : Annie …

Annie (éclatant en sanglot) : Oh Candy. Il  veut s’engager, Archibald veut s’engager. Il dit qu’il ne peut pas se dérober à son devoir …

 Candy la prend dans ses bras et la berce comme une enfant.

 Annie (levant la tête) : tu vas m’aider à le convaincre, n’est-ce pas ? Toi, il t’écoutera. Il t’a toujours écoutée. Dis que tu vas m’aider !

 Candy croit revivre une scène du passé : deux ans plus tôt, Patricia était venue lui faire la même demande à propos d’Alistair. Et personne n’avait finalement pu le convaincre …

 Candy : Tu sais, l’Amérique est en guerre maintenant et chacun doit faire en son âme et …

Annie : Tu veux qu’il parte c’est ça ! Tu veux qu’il meure là-bas comme Alistair …

Annie s’écroule et redouble de sanglots.

 Candy (ne résistant pas au chagrin de son amie) : Mais non, bien sûr que non … Ne pleure plus, je vais t’aider. A nous deux, nous arriverons bien à le retenir !

Annie (levant la tête) : Merci Candy … 

New-York. Terry est dans un immeuble bourgeois et frappe à la porte d’un appartement.

Mme Marlow lui ouvre la porte. Il la salue distraitement en entrant et se dirige vers le salon.

 Dans le salon, Suzanne est debout, une canne à la main. Elle s’entraîne à la marche. Assis sur une chaise, un homme d’une trentaine d’années aux cheveux bruns très courts la regarde avec admiration. Par terre, à côté de lui, une sacoche ouverte et sur une table voisine, un stéthoscope.

 Dr Keller : Vous progressez vraiment rapidement. A ce rythme, vous arriverez peut-être bientôt à vous débarrasser de la canne.

 Terry entre dans la pièce. Le visage de Suzanne s’éclaire tandis que le Dr Keller se rembrunit un peu.

 Suzanne : Terry ! La répétition est déjà finie !

Dr Keller (se levant et ramassant son stéthoscope) : bon, je vais vous laisser.

Terry : mais non, finissez …

Dr Keller (rangeant ses affaires) : nous avions terminé.

Suzanne (soucieuse) : Terry, tu as l’air vraiment fatigué. Pourquoi tu ne profites pas de la présence du Dr …

Terry : Arrête avec ça !

 Le regard du Dr Keller passe de Terry à Suzanne qui baisse la tête.

 Dr Keller (à Suzanne) : Melle Marlow … Au revoir. La prochaine fois, c’est à l’hôpital.

Suzanne (se déplaçant debout jusqu’à la porte du salon) : Oui … Au revoir …

 Mme Marlow raccompagne le Dr Keller. Suzanne se retourne et voit Terry devant la fenêtre, le regard perdu dans le lointain.

Chicago. Demeure des André, le soir. Dans la salle à manger, Candy, Annie, Archibald et Albert sont en train de dîner.

Le repas est silencieux. Personne ne mange vraiment. Annie lance des regards furtifs à Archibald. 

Candy : Eh bien, vous n’êtes pas gais ce soir.

Archibald (lâchant ses couverts bruyamment sur la table) : Tu trouves qu’il y a de quoi être gai !

Candy : Tu me connais. Ne jamais se laisser abattre même si c’est grave !

Albert (la regardant avec tendresse) : Surtout si c’est grave. Candy a raison. Nous sommes ensemble et nous devons en profiter.

Archibald : Je n’arrive pas à penser à autre chose … (les regardant) C’est mon devoir d’y aller.

Annie se met à pleurer. Candy, assise en face d’elle, lui prend la main.

Candy : J’ai lu le journal. Pour l’instant, ils demandent des volontaires mais il y a l’armée de métier. Ils ne savent pas encore vraiment de combien d’hommes supplémentaires ils auront besoin.

Albert : et puis, il y a des choses à faire ici. Moi, ils ne me veulent pas à cause de mes blessures d’Italie …

Archibald : Comment savez-vous déjà que vous n’êtes pas apte ? Hein ? Vous êtes déjà allés au bureau du recrutement, c’est ça ?

Albert : Non, on me l’avait dit à l’hôpital quand on m’a soigné … Vous savez, Archibald, je vais employer l’argent des André à rassembler tout ce qui peut aider les soldats. Vous me seriez très utile.

Annie : Oh Archibald, dis oui … au moins pour quelques mois.

Archibald (fléchissant un peu) : Je vais réfléchir.

 La porte s’ouvre et Eliza entre dans la pièce.

 Eliza : Tiens donc, un dîner familial auquel je n’ai pas été conviée … Vous n’avez pas l’air au courant. C’est la guerre ! Comment pouvez-vous rester assis comme si de rien n’était ?

Archibald : Et peut-on savoir ce que tu fais, toi, à part répandre du venin ?

Eliza : Le gouvernement reçoit des généraux européens. Il va y avoir des meetings dans toutes les grandes villes pour encourager nos hommes à partir pour le front. Je serai sur la tribune ! Et croyez-moi, les recrus vont affluer !

Archibald : Moi, je crois plutôt qu’elles partiront en courant !

Albert : Mais Eliza, d’où vous vient cette fibre patriotique ?

Eliza (se dirigeant vers la porte) : Mais je l’ai toujours eu ! Je ne vous salue pas.

Elle sort sans oublier de claquer la porte.

 Candy : Que ne ferait-elle pas pour être sur le devant de la scène !

 Albert (se levant et entraînant discrètement Annie) : Vous venez Annie. On passe au salon. (aux autres) Vous nous rejoignez …

 Albert et Annie quittent la pièce.

 Candy : Archibald …

Archibald : C’est bon … pour quelques mois. Quand vous vous y mettez tous, je ne suis pas de taille.

Candy : Merci Archibald …

 Au Salon, Annie et Albert sont silencieux, assis chacun sur un canapé. Archibald et Candy les rejoignent. Candy, qui est derrière Archibald, fait des signes de tête à Annie pour lui faire comprendre que c’est gagné.

Le visage d’Annie s’éclaire. 

Annie (se levant et allant vers Archibald) : Archibald, si on allait profiter du parc.

Archibald (lui prenant le bras) : A vos ordres, Mademoiselle.

 Annie et Archibald sortent laissant Candy et Albert.

 Candy : Je ne me souviens pas qu’on ait parlé de votre aptitude militaire quand vous étiez hospitalisé.

Albert : Mais si on vous le demande, vous direz le contraire.

Candy : Vous qui détestez la guerre …

Albert : Mais j’aime mon pays … Dites-moi, Candy, ça se passe toujours bien pour vous à l’hôpital depuis que vous êtes réintégrée ?

Candy : oui, comme si de rien n’était, grâce à vous.

Albert (la regardant intensément) : Candy … Vous ne songez pas à partir soigner les blessés, n’est-ce pas ?

Candy : Je … Pour le moment, on ne nous a rien demandé.

Albert : Je suppose qu’il est inutile de vous demander de rester.

Candy (souriant avec une des grimaces dont elle a le secret) : Vous pouvez toujours demander. 

Chicago. Hopital Sainte Joanna. Porte d’entrée principale.

 Lorsque Candy entre dans l’hôpital, une infirmière l’interpelle.

 Catherine : Candy, dépêche-toi. Le professeur Léonard nous attend dans la grande salle. Il veut nous parler à toutes.

Candy : J’arrive

 Dans la grande salle, beaucoup d’infirmières sont déjà là quand Candy arrive. Le Pr Léonard fait cesser le brouhaha d’un geste de la main.

 Pr Léonard : Mesdemoiselles, vous n’êtes pas sans savoir que nous sommes maintenant un pays en guerre. Des soldats américains vont partir en Europe.

 Brouhaha.

 Pr Léonard : Mesdemoiselles. (Silence) L’armée a besoin de vous pour soigner ses blessés. (Silence) Elle demande donc des volontaires.

Quand vous serez décidés, venez me trouver. Nous organiserons un départ quand nous aurons un groupe de 10 médecins et infirmières.

Celles qui partiront iront d’abord en formation pendant plusieurs semaines.

 Silence. Une infirmière lève la main. Le Pr Léonard fait un signe l’autorisant à parler.

 Infirmière : Est-ce que la formation a lieu là-bas ?

Pr Léonard : Non, en Amérique, dans une des villes d’où partent les bateaux militaires : Washington, Philadelphie ou New-York.

(Silence) Bien. Je vous rappelle que les patients ici ont besoin de toute votre attention. Il n’est pas question que la qualité des soins diminue.

Je vous remercie d’être venues.

 Tout le monde se disperse. En sortant de la pièce, Candy reste pensive. Catherine s’approche d’elle.

 Catherine : Candy, est-ce que tu … tu vas te porter volontaire ?

Candy : Je ne sais pas.

Catherine : Le champ de bataille … Ca doit être horrible … Oh Candy, je crois que je ne pourrai pas.

Candy : il ne faut pas t’en vouloir. Ici aussi, il y a des malades qui ont besoin de toi.

Catherine : Tu crois ?

Candy : Je te le répète, tu n’as pas à t’en vouloir.

Catherine (un peu rassérénée) : Bon. Au boulot alors. A plus tard.

 Candy se prépare elle aussi à reprendre son activité : « Oui, au boulot. Candy, Mets tout ça de côté, tu y réfléchiras ce soir ».

 

Fin du chapitre 1

© Edith 2006